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La Police de la Ville de Saint-Brieuc à la fin du XVIIème siècle.

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L'homme a été créé pour vivre en société. Malheureusement il n’est pas parfait, et les principes de sociabilité qui devraient se trouver en lui comme conséquence de sa destination y sont fréquemment combattus par celui des intétêts et des passions.

La première condition pour la formation d'une société, la seule base sur laquelle elle puise se fonder et sans laquelle elle ne saurait exister, c'est la constitution de lois et de règlements destinés à concilier les sentiments et les intérêts individuels souvent différents et, parfois même, hostiles, à combattre l'égoïsme, à déterminer les droits de chacun en même temps que les devoirs envers les autres, ainsi que d'une autorité pour les appliquer afin de permettre à tous de vivre dans la paix et dans la tranquillité.

C’est ainsi qu'on fut amené à créer ces conventions internationales pour régler les rapports entre toutes ces nations indépendantes qui couvrent le globe. Puis, chacune de ces nations, à son tour, fit des lois et organisa un gouverriement pour veiller à l'ordre public, à la bonne administration des affaires, à une équitable répartition de la justice pour la défense des faibles. Chacune eut son code particulier. En France c'est le Code Napoléon.

Mais à côté de ces grandes agglomérations d'individus que sont les nations, il en est d'autres plus ou moins considérables qui en forment précisément les éléments : ce sont les villes.

Nous ne voulons point nous occuper de ces grandes cités qui, par le nombre de leurs habitants et leurs richesses, peuvent rivaliser avec certains Etats indépendants et qui ne sont que des exceptions, mais dans lesquelles, par suite de l'étendue du territoire et des grandes distances qui les séparent comme de la difficulté et de la rareté des communications, les différents membres qui les habitent restent inconnus et étrangers les uns aux autres, mais, au contraire, de ces villes d'importance très secondaire, comme Saint-Brieuc, n'ayant qu'un petit nombre d'habitants resserrés dans un espace restreint. Là, on se connaît entre voisins ; les relations sont plus intimes ; on a près de soi des parents, des alliés, des amis ; les rues que l'on parcourt chaque jour, les maisons où l'on fréquente pour ses affaires ou ses plaisirs, semblent faire partie de notre demeure particulière ; de vieilles coutumes, religieuses ou profanes, d'origine lointaine, recueillies dans l'héritage des grands parents et pratiquées par tous, sont un lien de plus entre les concitoyens.

Toutes ces villes, les grandes aussi bien que les petites, avaient leurs règlements particuliers, identiques pour toutes, au moins dans le fond, parce qu'ils répondaient à un besoin général, mais différant souvent par les détails. Les idées, les besoins, les coutumes variant souvent d'une localité à l'autre, ils devaient nécessairement s'y adapter et s'y conformer.

En examinant ces règlements avec soin, en étudiant leur application, on reconnaît qu'ils ne sont, par le fait, qu'un résultat et un reflet de la mentalité et des mœurs des habitants, un tableau pris sur le vif de leur vie privée au jour le jour, telle qu'ils la vivaient et, après la lecture des quelques registres du Tribunal de police de la ville de Saint-Brieuc de la fin du XVIIème siècle qui ont été conservés aux Archives des Côtes-du-Nord, il m'a semblé que l'étude en serait intéressante pour les Briochins, comme elle l'a été pour moi, en leur permettant de connaître et de revivre par la pensée, pendant quelques instants, la vie intime et habituelle de leurs ancêtres d'il y a plus de deux cents ans et c'est ce qui m'a déterminé à l'essayer.

Les deux principaux documents qui nous serviront sont, d'abord un Règlement fait après enquête « tous prétendans intérests au faict de la policze appelez et règlement donné sur le faict de la justice appelez vers le procureur » dont « lecture faicte le dixiesme jour de janvier 1578, des articles de ladicte policze et règlement de la justice, acte de la publication et ordonné qu'elle sera publyée par les carfours de ceste ville et à prosne de la grand messe des parrouesses de ceste juridiction.

Ensuilt la teneur desdicts articles :

Ordonnances faictes par monsieur le seneschal de la court du regaire de Saint-Brieuc, instant le procureur fiscal en icelle, tant sur le faict de la justice que sur le faict de la police, suivant les ordonnances du roy et arrests de la court et ce que par cy devant avait esté ordonné, le tout faict par l'advis des gens d'église, noblesse et des mannans et habitants de ladicte ville ».

Nous ne donnerons point ici les trente articles qui suivent ce préambule, ce serait trop long, nous nous contenterons de transcrire au fur et a mesure ceux dont nous aurons besoin [Note : Ce règlement a été publié par M. Tempier, archiviste du département, dans le fascicule 1 et 2 octobre et novembre 1884, de la Revue des Archives historiques des Côtes-du-Nord, malheureusement trop tôt interrompue].

Ce règlement est le seul qui existe, ou, du moins, que nous connaissons. C'est lui qui servit de base jusqu'à la Révolution, aux jugements du Tribunal, modifié quelquefois et, aussi, augmenté dans certains cas non prévus, lorsque le sénéchal ou le procureur fiscal le croyaient nécessaire, ainsi qu'on le verra par le second document sur lequel nous nous appuierons. Ce second document consiste en deux petits registres ou, plutôt deux petits cahiers très incomplets, donnant une partie des jugements de police rendus pendant la période de 1690 à 1703.

L'évêque, comme seigneur de Saint-Brieuc, y avait tous les droits de justice, y compris nécessairement celui de police et il y tenait à ce point que, lorsqu'il avait dû autoriser, malgré sa répugnance, l'introduction, dans sa ville épiscopale, de la juridiction royale en 1579, ce n'avait été qu'à la condition formelle que son autorité serait reconnue intacte et respectée par les Bourgeois comme par le Roi. Il voulait être seul à s'occuper de ses vassaux, à veiller sur eux tant au point de vue matériel qu'au point de vue moral, et ce fut précisément à ce moment que fut rédigé le document qui va nous servir.

C'était le tribunal de l'Evêque, ou Cour des Regaires, qui était chargé de la police, d'établir les règlements et de les faire respecter. Représentant l'intérêt général constamment en lutte avec l'intérêt et l'égoïsme particuliers, il avait fort à faire. Sa mission était considérable. Il devait assurer aux habitants aussi bien la satisfaction de leurs besoins matériels : alimentation, salubrité, sécurité et aussi de leurs besoins moraux et nous verrons qu'il ne faillit point à son devoir.

Il nous faut donc étudier les registres des audiences et demander au Sénéchal et au Procureur fiscal de vouloir bien, au moyen de leurs requisitoires et des jugements qu'ils y ont insérés, faire eux-mêmes notre travail pour n'avoir plus qu'à le coordonner et le transcrire.

La composition du tribunal des Regaires, en 1690, était celle-ci :

Sénéchal et premier magistrat : n. Mtre Joseph-André- Pierre Greffier : sr du Bois-Launay.

Alloué et lieutenant de police : n. h. Antoine Le Normant, sr des Portes.

Procureur fiscal : n. h. Pierre Pommeret, sr des Hayes.

Substitut du Procureur fiscal : n. Mtre Yves-Salomon Compadre, Avocat en la Cour.

Greffier : n. Mtre Jacques Le Mesle.

Sergents : Allain Guillou, François Cherpentier, Cardin Dujardin, Pierre Queray, Romain Le Parc, Etienne Le Minoux, etc.

Parmi les besoins matériels, les premiers à satisfaire étaient évidemment ceux concernant l'alimentation. C'était donc des marchés et des fournisseurs des denrées alimentaires : boulangers, bouchers, poissonniers, marchands de vin, etc., dont il fallait s'occuper tout d'abord.

MARCHÉS.

Pour la commodité des habitants et pour leur donner toutes facilités de se procurer les choses nécessaires à la vie, on avait créé des marchés ou ils pouvaient, sans être obligés de courir toute la ville, trouver, accumulés en un seul endroit, un grand choix de tout ce dont ils pouvaient avoir besoin.

Le principal se tenait sur le Martray, ancien cimetière de la cathédrale devenu une place à la suite de sa désaffectation et de son transfert, à la fin du XVème siècle, autour de l'église Saint-Michel lorsque celle-ci devint la seule paroisse de la ville.

Toutefois ce marché, s'il était le plus important, tant à cause de sa position centrale que de l'étendue de la place, de la grande quantité et de la variété des denrées qui y étaient exposées, n'était pas le seul et il en existait quelques autres, sur diverses petites places, affectés à des marchandises spéciales. Ainsi, à l'entrée de la rue Es-Charbonniers (Charbonnerie), on vendait du charbon. A quelques pas de là, un peu plus haut, au croisement des rues Derrière-la-Madeleine, Saint-Benoit et Saint-Guillaume, sur un petit placis qui s'appelait encore tout récemment « Marché-au-Bled », les cultivateurs apportaient leurs récoltes ; le lin, qui était alors l'objet d'un commerce important, à Saint-Brieuc, s'étalait sur la petite « Place-au-Lin » bordant la rue Quinquaine, et à côté les cuirs frais ou « cuirs à poils », jusqu'au moment où furent créés entre le Marché-au-Blé et le Marché-au-Charbon, auprès du grand portail de l'Hôpital des « boutiques et porches affectés aux marchands de cuirs de Moncontour et de la Trinité-Porhoët » et autres [Note : Rentier de l'Evêché. (Archives départementales des Côtes-du-Nord)] ; enfin à la jonction des rues Jouallan, Courbe et venelle du Four (rue du Chapitre), des Bouchers, autrefois rue « Es-Chevriers » prolongée, du Collège et de la Grenouillère, le marché au lait. Ce marché se tenait primitivement à la rencontre des rues Saint-Michel, Grande-Rue-ès-Marchands et rue Es-Charbonniers au pied d'une grande croix en pierre, comme il s'en élevait à tous les carrefours, dite alors Croix-au-Lait, à l'abri de quelques arbres, et ce fut seulement au commencement du XVIIème siècle, à la suite des plaintes des voisins et particulièrement des habitants de la maison faisant le coin des rues Saint-Michel et Es-Charbonniers gênés par le bruit que faisaient chaque matin les maraîchers et le caquetage des acheteuses, qu'il fût transféré sur ce petit glacis dont le nom actuel « Place-du-Puits-au-Lait » rappelle encore le souvenir et que vinrent se grouper, autour d'un puits central, les gens de la campagne apportant le beurre pour la ménagère et le lait nécessaire à l'alimentation des enfants et de la population et tous les produits, fruits et légumes de leurs métairies. [Note : Pour obtenir ce changement, les habitants de cette maison s'étaient engagés, eux et leurs successeurs, à fournir « tapisseries et ornemens pour le prie Dieu qu'ils préparoient devant leur maison pour les deux processions de la Fête-Dieu (Rentier de l’Evêché, Archives départementales) ». Il est à remarquer que si, aujourd'hui, le propriétaire n'est plus tenu à ce « devoir », les reposoirs de la Fête-Dieu n'en ont pas moins continué à s'appuyer comme autrefois à son pignon].

A ces marchés en plein air, il faut joindre des marchés couverts, halles ou cohues pour certaines marchandises qui avaient besoin d'être mises à l'abri des intempéries, telles que la cohue pour les marchands de draps et toiles portée sur des piliers, accolée d'un bout à celle des Bouchers et celle des Cordonniers sa voisine, placée au-dessous de l'Auditoire des Regaires, toutes deux donnent dans la rue aux Toiles et celle des Bouchers ou Grande-Cohue, qui ouvrait sur la Place-du-Martray.

Les marchés étaient établis à l'usage tout particulièrement des forains et des gens du dehors. Les gens de la campagne y apportaient les produits de leur terre, de leur travail et de leur industrie ; les boulangers, du pain ; les bouchers, de la viande ; les poissonniers, le poisson qu'ils avaient pêché ; les petits marchands étrangers, leurs marchandises diverses. Mais, en revanche, il leur était formellement interdit de vendre quoi que ce fût en dehors de ces endroits désignés, soit dans les rues, soit, même, chez les particuliers.

Cette interdiction s'expliquait facilement. D'abord au point de vue fiscal, parce que l'absence des marchands sur le marché diminuait la recette des droits de place que percevait l'Evêque ensuite, et surtout, parce qu'elle compromettait l'existence même des marchés qui n'avaient de raison d'être qu'à la condition de réunir toutes les ressources utiles en un seul lieu, afin de permettre à l'acheteur un choix suffisant, d'éviter l'accaparement et de maintenir, par la concurrence, les denrées à un prix raisonnable.

Aussi voit-on la police la reproduire constamment, avec menaces, non seulement contre les vendeurs, mais contre les particuliers qui, par égoïsme, pour éviter un petit dérangement, payer, peut-être, un peu moins cher, saisissaient les marchands au passage, les attiraient chez eux et portaient ainsi préjudice à la facilité de l'alimentation générale.

1er janvier 1690, défense est faite « à tous marchands, tant en gros que en destail, hostes et haubergistes et cabaretiers et à tous manants et habitants de cette ville et fauxbourgs d'aller à l'entrée de la ville et hors d'icelle avanter le beurre que les gens de la campagne aportent en cette ville pour vendre au marché ny d'en acepter (acheter) que dans le marché sous peine de confiscation de ce qu'ils en auront achepté et de dix livres d'amande pour la première fois et de plus grande en cas de résidive et aussy deffenses à touttes personnes qui aportent du beurre à vendre en cette ville de le vendre que dans le marché sur les mesmes peinnes ».

Le 15 octobre 1701, sur réquisition de Me Yves Salomon Compadre, substitut de M. le Procureur fiscal, nouvelle défense « à touttes personnes, de quelques conditions et qualité qu'elles soient d'avanter aucune sorte de denrées qu'on aporte en cette ville et acheter ailleurs que dans les lieux destinés pour le marché sur peine de 10 liv. d'amande, etc... ».

Cela ne suffit point. Les Briochins sont têtus et, deux ans plus tard, le 16 juin 1703, nous voyons le Sénéchal obligé de recommencer : « aussy défense à tous... d'avanter le beurre et autres denrées et d'en ajeter aux avenues de la ville ny dans les rues que celles destinées pour le marché ».

Les marchés avaient lieu comme encore aujourd'hui, deux jours par semaine, le samedi après les jours d'abstinence pour les provisions des premiers jours, l'autre, le mercredi, pour renouveler ces provisions épuisées.

Les marchés commençaient vers huit heures, mais, jusqu'à dix heures, ils étaient exclusivement réservés aux habitants, afin qu'ils « puissent faire plus aizément leurs provisions ». Les marchés étant institués pour procurer aux habitants une alimentation large et dans les conditions les plus avantageuses il fallait donc qu'ils eussent tout le temps et la facilité de faire leurs achats pour les besoins de leur maison et de leur famille directement avec les producteurs sans être obligés de subir les prétentions d'intermédiaires et de revendeurs qui eussent fait monter les prix, à leur convenance.

Quant à ceux qui venaient pour y faire du commerce et acheter pour revendre, leur cas était prévu par le paragraphe XVIII du Règlement de police qui déclare que « les fruictiers et regratiers, ne pourront achepter auchune marchandise auparavant les dix heures du matin sur paine de l'amande de soixante souls tournoys éxécutible sans depport tant vers les vandeurs que achepteurs et confiscation de la marchandise ».

Cet article du Règlement était regardé comme très important et nous le trouverons souvent rappelé par le Tribunal. L'observation en était sévèrement surveillée et les pénalités appliquées. [Note : Il pourrait paraître inutile de reproduire, ou, du moins, sans un motif sérieux, toutes les Ordonnances du Tribunal rendues sur le même sujet qui feraient longueur. Ce serait inutile, en effet, si nous faisions un travail sur la police en général. Mais ce n'est point ici notre cas ; c'est de la police de Saint-Brieuc, seule, qu'il s'agit ici. Or, si les Ordonnances concernant le même objet, sont, en effet, la répétition des mêmes prescriptions et des mêmes défenses et se ressemblent par le fond, elles diffèrent dans leur rédaction et chacune d'elle apporte souvent un fait nouveau, un détail intéressant, que nous ne devons pas laisser passer, parce que réunis les uns aux autres, ils ajoutent un trait de plus à la connaissance plus complète de la ville et des mœurs, des coutumes et de la vie privée et habituelle de ses habitants, qui est précisément notre but].

Le 31 mars 1691 , le Procureur fiscal ayant appris que « au mépris des ordonnances, les regratiers et revendeurs acheptent le poisson des poissonniers qui l'aportent au marché pour vendre, devant que les neuff heures du matin fussent sonnées, le cachent... dans leurs boutiques et ne l'exposent point au marché que par le menus, de sorte qu'ils en rendent le prix excessif... pour à quoy obvier et empêcher que le publicq ne soit pressé... avons descendu sur la place du Pillory et, ensuite, dans la boutique qui est au coin du Pillory et quia son entrée vers le Martray, dans laquelle avons trouvé l'appelée la Jamette, regratière, saisie de huict tanches fresches qu'elle.. avait enlevé du marché, lesquelles avons faict prendre par nos Sergents et confisqué aux Pères Capucins de cette ville ; ensuite chaix Mathurine Maro, aussy regratière çheix laquelle avons trouvé quarante petites tanches dans un cuveau, toutes vives…….. également confisquées au proffit des Pères Capucins.... avec défense a toutes regratières et revendeuses sur peine de 10 liv. d'amande de achepter ni avanter le poisson que on aporte au marché .. avant les dix heures dit matin pour que ce temps... les habitants et manants de cette ville puissent faire leurs provisions ».

Si les deux jours de samedi et de mercredi étaient suffisants pour les habitants, il y avait encore à compter avec les gens de la campagne qui, retenus toute la semaine par leurs travaux, n'avaient que le dimanche dont ils pussent disposer pour venir en ville et faire leurs affaires.

Quoique le dimanche fut un jour de repos obligatoire pendant lequel tout commerce était interdit, il avait bien fallu, à cause d'eux, chercher un arrangement qui conciliât leurs intérêts et aussi ceux des marchands, pour lesquels c'était une bonne journée, avec l'observation des Commandements de l'Eglise. On permit donc aux marchands de mettre en vente leurs marchandises, tant au marché que dans les halles et dans les boutiques, mais avec la « deffence a tous marchands... de vendre et estaler leurs marchandises les jours de festes et dimanches passé l'heure de neuff heures et demye du matin et est ordonné à ceux qui ont étalé ce jour soubs les halles et dans les places publiques de se retirer et ramasser leurs marchandises ».

Les gens de la campagne pouvaient ainsi venir à St-Brieuc assister aux messes matinales et avaient toute temps nécessaire pour faire leurs achats, mais la condition de la cessation des ventes à l'heure fixée devait être strictement observée et, dès le jour même où il la rappelait dans l'ordonnance ci-dessus, le 6 janvier 1691, le Sénéchal, accompagné de ses Sergents, fait une tournée sur le marché pour voir s'il était obéi et punir toute infraction « et l'heure de dix heures sonnées à l'horloge de cette ville, Nous Sénéchal et seul juge de police, nous dit-il…… descendu dans les halles aux Drapiers, avons trouvé Françoise Pélerin, femme de Doublet, libraire, ayant plusieurs estoffes sur un estal ». C'était un mauvais début. Francoise Pélerin était en ce moment en querelle avec ses voisins et très en colère et, quoique devant avoir, semble-t-il, par suite de la profession de son mari, une position sociale au moins moyenne, était fort peu commode et très mal embouchée, et, au lieu d'obéir, se révoltait en jurant « le St nom de Dieu ».

Malheureusement pour elle, le magistrat qui connaissait la dame ne se laissa point intimider « lui confisque a l'Hôpital général, une petite pièce de frise de Lizieux [Note : Espèce d'étoffe de ratine grossière qui n'est pas croisée, elle est faite de laine frisée d'un côté. (Dictionn. de Trevoux). Probablement l'étoffe appelée « mi-laine »] grise contenant 6 aulnes 1/2, une pièce de Cardillac blanc contenant 5 aulnes 3 quarts et une autre pièce de droguet brun [Note : Etoffe de peu de valeur, moitié laine et moitié fil ou moitié laine et coton] que nous avons foit prendre de sur l'estal de lad. Pèlerin par François Charpentier et Etienne Le Minoux, nos sergents pour estre dellivrées à l'administration dud. Hôpital, si mieux n'ayme lad. Pèlerin payer aud. Hôpital dix livres et, au par sus luy. est ordonné que, comme propriétaire desd. halles [Note : Cela veut dire adjudicataire des droits de place], elle ait, en conséquence de nos ordonnances précédentes, à fermer les halles, les jours de festes que l'on est obligé de tenir le marché, après neuf heures et demie à peine d'amande pour première contravention et de plus grande en cas de residive ».

Puis il continue sa tournée. « Aussy avons trouvé, ajoute-t-il, dans la mesme halle le nommé Ernault, marchand, lequel avoit plusieurs toilles et etofes estalés devant luy desquelles avons fait prendre par nosd. Sergents une pièce de frise de Lamballe, blanche [Note : Il paraît que Lamballe possédait aussi sa fabrique de frise], contenant 32 aunes et un petit morceau de mesme etofe contenant 3 quarts que nous avons confisqué aud. Hôpital sy mieux n'ayn led. Ernault payer pareille somme de dix livres ».

Quittant les halles, il se rend sur la place Martray « où estant y avons trouvé led, marché remply de marchandises desquelles avons confisqué proffit dud. Hôpital plusieurs gasteaux, trois quartiers de moutons, une pochée de...... avec une pochée de Tommes sur gens inconnus ».

La visite se termine pour lui d'une façon aussi désagréable qu'elle avait commencé. Jeanne Feugeré, marchande de sabots de bois, le reçoit fort mal et, soit qu'elle se fut montrée trop grossière, soit qu'il en eut assez de deux algarades dans la même journée, il est pour elle moins indulgent qu'il ne l'a été avec la dame Doublet et fait saisir et conduire la délinquante pour ses insolences « dans les prisons royaux, par ses sergents, pour y être renfermée et ordonne qu'elle sera chargée sur le papier d'écroue et enjoint au geolier d'en faire seure garde ».

La plus grande partie des machandises qui se débitaient dans les marchés étaient celles relatives à l'alimentation : le blé et le pain, le poisson, la. viande, le vin, etc... Il reste à voir dans quelles conditions se faisait ce commerce.

LE BLÉ.

La plus nécessaire des denrées était le pain et, par conséquent, le blé.

Suivant une coutume très répandue à Saint-Brieuc comme ailleurs, du reste, et qui s'est continuée jusqu'à la fin du siècle dernier, beaucoup d'habitants évitaient de s'adresser aux boulangers. Ils préféraient, par économie d'abord, et, ensuite pour être sûrs d'être bien servis, faire leur pain eux-mêmes. Ils se servaient du blé de leur récolte, ou, à défaut, de celui qu'ils achetaient. Ils le portaient au moulin et, de la farine qui en parvenait, la pâte, pétrie par la servante dans la maie qui meublait presque toutes les maisons, était confiée au fourrier qui se chargeait de la faire cuire [Note : Cette coutume ne disparut que fort tard et existait encore au milieu du XIXème siècle. J’ai vu, moi-même, en Ille-et-Vilaine, les boulangers, lorsque leur four était chaud à point, venir s'installer sur le pas de leur porte armés d'un gros coquillage dans lequel ils soufflaient et les ménagères accouraient au son de la corne, c'était l'expression, chargées de leurs tinettes en paille remplies de pâte].

D'autre part, les boulangers eux-mêmes étaient tenus d'en avoir toujours en magasin une provision suffisante pour faire face à tous les besoins courants. Le blé est une marchandise d'une valeur essentiellement variable. Si la récolte est abondante, le prix s'abaisse ; mais, dans le cas contraire, il peut s'élever dans des proportions fâcheuses. Il y avait donc lieu de veiller à ce que tout le blé du pays y restât pour y être entièrement employé à la consommation et à éviter que des exportations irréfléchies ou des accaparements coupables ne le fissent monter, comme cela s'était vu trop souvent, à un véritable prix de famine.

Certes, le transport des grains à la fin du XVIIème siècle, par suite du petit nombre des routes et de leur mauvais entretien n'était pas commode ; mais, cependant à Saint-Brieuc, la proximité de son port le rendait possible. Or, cet enlèvement des blés, dans les cas où ils auraient été rares, constituait, pour l'alimentation publique, un grand danger qui n'avait point échappé aux magistrats et ceux-ci, s'ils n'avaient pu l'empêcher d'une façon absolue, avaient cherché à l'atténuer dans la mesure du possible par l'insertion dans leur règlement des articles X et XII « que en la chierté des bleds et en cas de sterilité, s'il y a congé de transporter bleds hors la province, il en sera faict infformation pour soy pourvoir devers le Roy, nostre sire, et messieurs les gouverneurs, comme de raison ; et ce pendant sy le cas le requiert y sera pourveu par justice, par arest ou autrement, jusques avoir eu advis de nosdicts sieurs les gouverneurs ».

« Aussy est faict prohibision et deffanse à touttes personnes de n'achepter le bled au marché directement ou indirectement pour le transporter par mer hors la province... sur paine de soixante livres d'amande… ».

Quant à l'accaparement on le poursuivait à outrance.

L'article XII que nous venons de citer, à la suite de la défense d'acheter le blé pour exporter par mer, ajoute : « ny pour le revandre pour meptre chierté, sauff aux marchants à s'adresser à ceulx quy ont bled à vandre en grenier hors led. marché, sur la mesme paine de soixante livres d'amande suivant les précédentes ordonnances ».

Mais, que peuvent toutes ces défenses contre l'amour immodéré du gain. Le spéculateur ne se préoccupe point des conséquences que peuvent avoir ses opérations pour les autres ; il ne voit que le profit qu'il peut en tirer. Sa conscience accommodante ferme les yeux et ne se réveille que lorsqu'il s'aperçoit que la repression et les pénalités viennent supprimer le bénéfice. Aussi les magistrats sont-ils obligés de renouveler souvent leurs ordonnances en aggravant les peines et en infligeant aux coupables et la confiscation et des amendes très sérieuses.

En 1698 la récolte avait été mauvaise, le blé avait manqué et n'apparaissait point sur le marché : ceux qui en possédaient dans leurs greniers le gardaient précieusement pour leur usage et le pain était devenu hors de prix.

Craignant que le même fait ne vint à se produire l'année suivante, le Procureur-Syndic crut devoir prendre des précautions préventives avant l'apparition de la nouvelle-récolte et, le 29 août 1699, s'adresse au Sénéchal, lui remontrant que « à l'opression du publique plusieurs personnes, par un esprit d'intéretz sordide ne se contentent pas d'enlever les bleds qui tombent dans le marché et de les devancer mesme avant qu'ils y soient arivés, ils vont encore à la campaigne cheix les fermiers et cheix ceux qu'ils scavent en avoir quantité qu'ils agettent à quelque prix que ce puisse estre pour en faire des magasins et, par ce moyen, les rendre rares et mettre le peuple dans la nécessité de passer par leurs mains pour vivre, ainsin que on l'a veu tout l'an passé, de manière qu'il pensa ainsin ariver famine parce que tous les bleds se trouvoient en la pocession de quelques particuliers qui, d'intelligence et affin de s'acquérir de gros proffitz, le vendaient à un prix très excessif, feignant mesure, quant boni leur sembloit, de n'en point avoir. Que ces mesmes particuliers, dès à présant, et, avant que la récolte soit finie, commencent à en agir de la manière que on a expliqué cy-devant, de sorte que, quoy qu'il y ait des bleds dans le canton suffisant pour mourir le peuple, ils ne diminuent presque point de prix et n'est à craindre qu'il n’arive la mesme chose que l'an passé et que le peuple ne se voist de bonne heure réduit à la dernière nécessité ».

« Pour quoy obvier », il demande que deffense soit faite « à toutte personne de quelque condition et qualités qu'ils puissent estre, d'enlever les bleds qui tombent dans le marché, ny de les devanter avant qu'ils y soient arivés pour en faire magazin, ny d'en agetter dans les marchés plus que pour leur provision ; secondement, que ceux qui en agetteront dans les campagnes pour quelque raison que ce puisse estre, soient tenus d'en faire la déclaration aud. Sr Procureur fiscal de la quantité et qualité qu'ils en auront agetté et du prix qui leur auront cousté à painne de confiscation desd. grains, de 500 l. d'amande aplicable, le tiers au dénonciateur, le tiers à l’hôpital et le tiers à la seigneurie ».

Ce chiffre élevé de l'amende et l'encouragement donné à un dénonciateur qu'ils appellent au partage, montrent bien l'importance qu'attachaient les magistrats à la répression de l'accaparement des grains. Mais, à côté de ces hommes sans scrupules qui, dans un but unique de lucre, ne craignaient point d'affamer une population, il en était d'autres qui, à un degré moindre, sans doute et pour des raisons plus excusables, n'en contribuaient pas moins à augmenter la cherté des blés.
C'étaient des propriétaires qui gardaient pour leur consommation personnelle le produit entier de leurs métairies sans en envoyer au marché, ou de riches bourgeois qui, non par spéculation et pour revendre, mais seulement pour assurer la nourriture de leur famille, faisaient une provision, suffisante pour l'année entière, qu'ils entassaient dans leurs greniers.

Ceux-là, la police ne songeait point à les empêcher, parce qu'ils ne faisaient rien que de légitime, mais, comme il fallait avant tout que le prix du pain fut toujours le plus bas possible pour le peule pauvre, elle les surveillait et prenait toutes les mesures utiles pour empêcher et, au besoin réprimer les abus, même par la saisie.

Le 8 mai 1699, le Sénéchal « enjoint à touttes personnes de quelque condition et qualités qu'ils puissent estre et qui on des grains plus que pour leurs provisions à la subsistance de leurs maisons et familles... d'ouvrir leurs greniers et de distribuer les grains aux peuples à chaque jour de la sepmaine qu'ils en seront requis au prix et suivant le cours des marchés soit par boixeau ou demy boixeau, gaudez et demy gaudez ainsin que un chacun le souhaittera et suivant l'argent que les gens pauvres auront pour l'achat des mesmes grains, attendu la grande disette et cherté d'iceux, faute de quoy il sera descendu dans leurs greniers pour la distribution desd, grains et confiscation d'iceux s'il est veu apartenir, avecq telles amandes que de raison, sauff à régler le prix des mesmes grains sur le raport qu'en fera le commissaire des boulangers de touttes espèces, ce qui luy a esté enjoint de faire ».

Mais il ne fallait pas, cependant, par ces restrictions et ces menaces, en arriver à supprimer le commerce loyal, il fallait, au contraire, l'encourager à apporter ses denrées sur le marché afin que l'habitant peu fortuné, obligé de vivre au jour le jour, put y trouver sa subsistance et, au besoin, le protéger et le défendre contre les injures et les attaques de malheureux affamés. En conséquence, ce même jour du 8 mai 1699, le Sénéchal crut devoir prendre les mesures de protection utiles en ajoutant à son ordonnance l'arrêté suivant : « Deffense à touttes personnes... d'ageter des grains... des gens de la campaigne que dans le marché et lieux destinés pour la vente desd. grains et denrées, ariec deffenses de troubler led. marché ny de prétendre avoir des grains que suivant les cours des mesmes marchés sur peinne d'estre vers eux procédé extraordinairement comme apartiendra ».

« Et pour la commodité, tant des habitants de la ville que des gens de la campaigne... ordonne que les jours de marchés pour la vente desd. grains commenceront à huict heures du matin pour les habitants en agetter jusques à l'heure de dix, à laquelle heure les gens de la campaigne et marchands forins n'en pouront agetter à painne de confiscation et de six livres d’amande par chaque contravention, mais passé les dix heures, ils pourront agetter... avecq deffenses à touts habitants et autres de les troubler.... soit dans le marché, soit dans les rues, ny chemins qu'ils prennent pour se rendre dans leurs demeures, ny les arester et se jeter sur leurs charges pour les leurs enlever à painne d'estre vers eux procédé extraordinairement ».

Après le blé, le pain.

LES BOULANGERS.

N'était pas boulanger à St-Brieuc qui voulait. La question du pain était d'une telle importance, pour la population et surtout pour la population pauvre dont il formait la principale nourriture, qu'on ne voulait en confier la fabrication et la vente qu'à des gens honorables et consciencieux.

On n'était accepté qu'après enquête.

« ART. XI. — Personne ne sera receu en l'estat de boullangier s'il n'est receu par infformation de ses meurs et condictions, qu'il ne baille bonne et suffizante cauption reséante et solvable d'estre tousjours garny d'un tonneau de farine pour lors qu'il luy sera commandé affin de subvenir au public ; et ce pendant sera tousjours garny de pain pour fournir à la nécessité de la ville ; et a esté le nombre desd.. boullangiers de ceste ville stattué de vingt seullement sans comprendre les boullangiers des champs quy pourront vendre leurs marchandises aulx jours de marché seulement, lesquels boullangiers seront tenuz de faire le pain bon et compectant suivant les précédantes ordonnances, et bien et deubment boullangé, sur les paines de soixante souls d'amande et confiscation de marchandise ».

Dans la plupart des villes un certain nombre de Corps de métiers étaient constitués en Corporations, sociétés de confraternité en même temps qu'espèces de Syndicats de défense et de protection, chacune avec ses statuts particuliers. A Saint-Brieuc il en existait quelques-unes et, parmi celles-ci figurait celle des Boulangers qui portait sur sa bannière l'image de son patron : « d'azur à un St Honoré d'or ».

Les règlements de la Corporation ne nous sont point parvenus, mais nous savions déjà que le nombre des associés était forcément limité et, d'autre part, qu'ils marchaient sous la conduite du Commissaire ou Roi qu'ils élisaient eux-mêmes chaque annnée.

Cette élection avait lieu dans la cour dit Manoir épiscopal.

Nous avons le procès-verbal de celle du 10 avril 1691. Quelque long qu'il soit, nous le donnons ici pour montrer la procédure suivie à cette occasion, parce qu'il nous indique quelles étaient les principales fonctions du Roi, enfin qu'il nous fait connaître les noms des boulangers de Saint-Brieuc à la fin du XVIIème siècle et que nous y retrouvons encore presque tous aujourd'hui.

20 avril 1691. « Mr le Procureur fiscal a remonstré que, de tout temps immémorial à pareil jour de vendredy après la feste de Pasques, Monseigneur l'évesque de Saint-Brieuc est en possession de faire établir par ses officiers un Commissaire des Boulangers qui doibt aller pendant une année, aux jours de marché de cette ville ; s'informer du prix des bleds, mesure de St-Brieuc et, à l'aildience de chaque vendredy, faire son rapport pour sur iceux estre les aprécis, tant de rentes de poche que de manger, règles et statues et ce, sur la nomination de tous les boulangoers qui sont assignés d'exploict de se trouver à l'audience pour cet effect, requerant que, sur le rolle qui luy a esté mis en main par Henry Lhostelier, Commissaire sortant, et qu'il a déposé au Greffe, lesd. Boulangers soient appelés pour qu'ils fassent leur nomination.....

Faisant droit sur les remontrances dud. Sr Pr fiscal a esté ordonné que lesd. boulangers fussent apellés et qu’ils nommeront un d'entre eux pour Commissaire, lequel a esté faict ainsi qu'ensuit :
Henry Lhostelier, Commissaire nommé, l'un desd. boulangers lequel nomme pour estre Commissaire des Boulangers pendant un an commençant de ce jour, Mathurin Blandel,
Louis Gautier qui fait pareille nomination,
Mathurin Blandel qui nomme Jacques Voisin,
Madeleine Quintin absente, pour elle Jeanne Le Glé, sa fille, qui nous a dît que sad. mère est malade et nomme pour Commissaire Mathurin Blandel,
Jacques Voisin, présent, qui nomme led. Blandel,
Jean Gaudu, présent qui nomme led. Blandel,
Yves Le Bras, pour luy sa femme qui nomme le mesme Blandel,
Denis Huet, présent qui nomme led, Blandel,
Olivier Le Mée, sa femme présente qui nomme led. Blandel,
André-Denis Huet, présent qui nomme Pierre Monvoisin,
Pierre Rebours, sa femme présente qui nomme led. Blandel,
Julienne Camart qui nomme led. Blandel,
François Blanchart, sa femme qui nomme led. Blandel,
Jeanne Sevestre présente qui fait pareille nomination,
Pierre Caillet, sa fermé présente qui, nomme led. Blandel,
Yves Brulon, présent qui nomme led. Blandel,
François Rounaux (?), la femme présente qui nomme led. Blandel,
Mathurine Sohier qui nomme Mathurin Blandel,
Pierre Etesse, sa femme présente qui nomme Noel Hillion,
Julien Hervé, la femme présente qui nomme Mathurin Blandel,
Isabeau André, la femme présente qui nomme Jan Coynart,
La Tanoche (Françoise Tanot) absente,
René Gaboret, présent qui nomme Mathurin Blandel,
Louis Maro, la femme présente qui nomme Mathurin Blandel,
Marie Philippe qui nomme Mathurin Blandel,
Olivier Daily, la femme présente qui nomme Noel Hillion,
Jacques Gaultier, qui nomme Pierre Monvoisin,
Jean Corpnart (Coynart), la femme présente qui nomme Mathurin Blandel,
Pierre Burnel, la femme présente qui nomme Mathurin Blandel,
Jacques Le Mée, la femme présente qui nomme Mathurin Blandel,
Noel Hillion qui nomme Mathurin Blandel,
Claude Gaultier qui dit retiré boulanger, ce que la plupart desd. boulangers ont déclaré, en conséquence sera rayé du roule,
Catherine Fretay, présente, qui nomme Mathurin Blandel,
François Quintin qui nomme Mathurin Mandel.

Boulangers des villages et de dehors la ville :

Jacques Blanchart, présent, qui nomme led. Blandel,
François Blanchart, fils de Jacques, qui nomme led. Blandel,
Olivier Blanchart qui nomme led. Blandel,
Julien Heurtel qui fait pareille nomination,
Joseph Lhostelier qui fait pareille nomination.
Olivier Garnier, absent,
La veuve de Jan Jago, présente, qui nomme Mathurin Blandel.
Jean Le Nostre qui nomme Mathurin Blandel.
Jean Le Glastin, prisent, qui nomme Mathurin Blandel.

Acte de la nomination desd. boulangers sera faict à l'issue des conclusions du Procureur fiscal et les absents condamnés à chacun vingt sols.

« Veu l'extrait de l'aage dud. Blandel [Note : Mathurin Blandel était fils de Mathurin et de dame Louise Favigo. Il avait été baptisé le 29 mai 1617 (et non 1616) et avait eu pour parrain n. h. Prigent Favigo, sr de Launay Favigo. Marié vers 1646 à dlle Françoise Bilcoq, il mourut en 1693 et fut inhumé dans l'église St-Michel le 12 avril] du mois de may 1616 justifiant qu'il a excédé l'aage de 74, je requiers que Pierre Monvoisin soit institué Commissaire desd. Boulangers au lieu et place dud. St Blandel et qu'il prête le serment de s'y bien et fidellement comporter aux cas requis, et avons, à l'endroict, auxd. boulangers ordonné de porter voix sur autres que ceux qui ont excédé l'usage de soixante et dix ans sur de pareils qui escheront. Conclut et arresté à Saint-Brieuc, led. jour et an que cy-devant. P. POMMERET, Procureur fiscal ».

« Veu l'advist des boulangers donné ce jour à l'audiance pour la nomination. d'un Commissaire d'entre eux..., conclusions du Procureur d'office, avons estably par la pluralité des voix Commissaire led. Mathurin Blandel, ordonné qu'il sera assigné à la prochaine audiance pour prêter le serment de se bien et fidellement comporter en sa commission et exécuter toutes les conditions de sa charge... à Saint-Brieuc, le vingt d'avril mil six cents quatre-vingt-onze. GREFFIER (Senéchal) ».

De la lecture de ce procès-verbal il résulte tout d'abord que le nombre des boulangers avait beaucoup augmenté, sans doute avec l'accroissement de la population, puisque de vingt auquel le règlement de 1578 l'avait fixé, nous en comptons trente-quatre dans la ville, sans parler des neuf qui habitent aux Villages ou dans les campagnes ; puis, que tous les boulangers étaient électeurs, même les étrangers. Le vote était obligatoire sous peine d'amende. Toute abstention était formellement interdite. Toutefois, comme on voulait que le Commissaire fut bien réellement l'élu de tous ses confrères, on autorisait ceux qui, par raison de santé ou tout autre cause majeure, se trouvaient dans l'impossibilité de venir remplir leur devoir, à se faire remplacer, par leur femme et nous voyons, en effet, que dans la liste des votants, les femmes sont en grande majorité, ou par un membre de la famille.

On peut constater, d'autre part, que le scrutin, quoique non secret, était parfaitement libre si l'on en juge par le nombre des voix réparties sur divers noms, autres que celui qui obtenait la majorité.

Le Roi était élu à la majorité. Son tige ne devait pas dépasser 70 ans, parce qu'il lui fallait des forces et de l'activité suffisantes pour remplir sa mission. Cependant, au moins pour cette fois, malgré la protestation du Procureur fiscal, le candidat plus jeune, Pierre Monvoisin, qu'il présentait, fut refusé par les boulangers qui avaient nommé Mathurin Blandel. On verra par la suite que c'était un choix assez malheureux.

Le rôle du Roi était double. Mu de ses compagnons il devait les représenter dans leurs relations avec l'Administration et les défendre contre les plaintes trop souvent fondées du public et, d'autre part, comme agent de l'évêque, il était chargé, et c'était la sa principale fonction, de la surveillance du marché du blé.

« Le roy des boullangiers (art. VIII), chacun jour de l'ordinaire durant la court, davant le juge, fera rapport au greffe, en plaiz ordinaire et audience, de la valleur du bouexeau de fourment, mesure de lad. court ; et sera le greffier tenu insérer sur le pappier d'office, sans fraiz, lad. déclaration pour y avoir recours pour l'exécution des juges et entretenement de la police, comme de raison ».

Cette mission confiée au Roi des boulangers était très grave et son exécution loyale si importante pour la population qu'on ne se contentait pas du serment qu'il avait prêté de remplir consciencieusement ses obligations, mais que, par crainte qu'il ne se laissât tromper, ou peut-être séduire, on lui imposait des surveillants avec menace de responsabilité pour chacun d'eux dans le cas où il manquerait à son devoir « et, en l'audience, le juge recepvra le rapport de deulx ou trois bourgeoys et sur paine à l'un et à l'aultre de soixante souls tournois d'amande, aussy exécutible sans depport et de paroille paine contre led. Roy s'il est trouvé faire faulx rapport ».

C'était, en effet, sur l'apprécis fourni par le Roi que le tribunal pouvait efficacement et devait s'appuyer pour fixer le prix du pain afin qu'il fut toujours en rapport avec celui du blé, montant ou descendant avec lui selon les cours du marché suivant une « échelle mobile ».

« Pour le regard du pain (art. VI), l'ordonnance de longtemps jà faicte et publyée sera gardée, par laquelle chacune livre de pain blanc bien et deubment cuit, assaisonné et boullangé, sera vendu aultant, de obole que le bouexeau de bled vauldra de souls au marché, sellon l'espreuve et essaye quy en a esté cy devant faicte ».

Le Roi des boulangers et le tribunal ayant rempli leur devoir en fixant le prix du pain au mieux des intérêts de chacun, aussi bien des vendeurs que des acheteurs, c'était aux boulangers à faire le leur. Ce devoir consistait tout d'abord à remplir leur engagement envers l'évêque, d'avoir toujours en réserve une provision suffisante de farine disponible pour que la consommation ne fut point arrêtée, puis, tant pour ceux de la ville, dans leurs boutiques ou dans les dépôts qu'ils faisaient chez les aubergistres, ou autres, que pour les forains sur le Martray les jours de marché, d'agir toujours vis-à-vis du public en marchands loyaux, en lui fournissant le poids exact d'un pain « bon et compectant... bien et deubment boullangé... » au taux convenu.

Pour éviter toute discussion et pour faciliter le contrôle, le tribunal avait exigé que tout pain mis en vente serait percé d'autant de trous qu'il devait peser de livres.

Ce devoir si simple, tous les boulangers le remplissaient-ils exactement ? Nous ne l'affirmerons pas.

Les meuniers avaient une assez mauvaise réputation. On les accusait de n'être pas toujours honnêtes et l'on prétendait qu'ils savaient tirer plusieurs moutures d'un même sac. Il paraît qu'un certain nombre de boulangers de Saint-Brieuc, malgré le soin qu'on prenait pour les choisir et les certificats de bonne conduite qu'on leur demandait, n'étaient pas plus scrupuleux.

Les magistrats durent prendre des précautions. Nous avons dit précédemment, en parlant du blé, que nombre de familles pétrissaient leur pain à la maison pour, ensuite, les porter à cuire chez les fourniers. Or, il y avait à craindre que ces fourniers, s'ils se payaient par eux-mêmes, ne cherchassent à mettre une main trop large dans la pâte.

Pour parer à cet abus, les magistrats inscrivirent dans leur règlement l'article spécial, XXXIV, qui leur défendait de se payer en nature et fixait une rémunération suffisante, en argent, de leur travail.

« Que les fourniers de ceste ville ne prandront aucune paste en leur four et se contanteront d'avoir pour la cuisson de chacun bouexeau ung liart, sur paine de soixante souls d'amande pour la première foys et, pour la seconde de cent livres et pour la tierce, du fouet ».

Pour les autres cas de fraudes possibles, l'art. VII décida « que, ung jour de chacune sepmaine les officiers de justice feront paiser le pain et condempnerorit les dellinquants et contrevenants en soixante souls d'amande exécutible sans déport ».

Cette mesure était excellente, à condition, toutefois, qu'elle ne restât pas lettre morte. La mauvaise foi de quelques-uns des marchands était telle qu'une surveillance incessante et une répression énergique étaient nécessaires et, si elles ne pouvaient avoir lieu chaque semaine, du moins le Sénéchal, accompagné du Procureur fiscal et de ses Sergents, descendait-il souvent dans les boutiques des boulangers et sur le Martray pour constater les infractions aux Ordonnances et punir séance tenante et, sans autre forme de procès, les délinquants.

Suivons-les et accompagnons-les dans quelques-unes de ces visites, la promenade sera instructive et ne manquera pas d'intérêt :

« Le huictiesme jour de mars mil six cent quattre-vingt-dix, Nous, André-Joseph-Pierre Greffier, escuyer, sieur du Bois-Launay, Seneschal et premier magistrat de la ville et juridiction des regaires de Saint-Brieuc et seul juge de police en icelle, sommes, en compaignie et à la requeste de Mtre Yves-Salomon Compadre, Advt en la Cour, Substitut du sieur Procr. fiscal, ayant pour adjoint Mtre Jacques Le Mesle, nostre huissier ordinaire, de luy le sermt. pris au cas rquis, suivis pour l'exécution de nos Ordonnances de Allain Guillou, François Cherpentier, sergents de ce siège, descendus dans les boutiques des uns et chacuns les boulangers de cette ville, tant de petits que de grands pains, mesure dans les cabarets où ils débitent du pain et sur la place du Martray où ils étalent, où avons fait prendre des pains de chacuns des boulangers, mesme de grans pains pour scavoir s'ils sont de pois selon le prix du bled et sy lesd. grans pains sont marqués... et, l'heure d'une heure... à nostre logis, s'y sont trouvés lesd. boulangers les pains desquels ont esté pesés et s'est trouvé que celui de Voisin... ne pèse que treise sols, Denys Huet, quinze, Louis Quehet, quatorze et demye, par quoy led. Voisin a esté condamné à cinquante sols d'amande, Denys Huet et Quehet à chacun vint sols…. et, pour les boulangers n'avoir pas marqué leurs pains par autant de troux qu'ils pèsent de livres, les avons condamnés aux amandes qui suivent, scavoir Jullien Heurtel à vingt sols, Olivier Blanchart et Catherine Chapelle à chacun cinq sols, tant pour leurd. pains n'estre marqués que pour n'estre pas bien cuy ny boulangés, Henry Lhostelier (le Commissaire ou Roi de l'année lui-même) et Noël-Michel chacun dix sols et Julienne Camart, à vingt sols, lad. amande payable nonobstant oposition ou apellation ».

Le 5 juillet suivant, le Sénéch.l prévenu par le Procureur fiscal « qu'au préjudice des... Ordonnances de police et quoy que suivant le rapport du Commissaire des boulangers, le bled est à si bas pris qu'il ne valoit plus que à vingt-trois, vingt-quattre et vingt-cinq sols, les boulangers ... vendent leurs petits et grans pains de manière que sy le bled valloit trante-cinq et quarante sols », recommence sa tournée : « accompagné de Etienne Le Minoux, Alain Guillou, Pierre Quehay et Romain Le Parc, sergents.

Descendu sur la place du Martray, dit-il, à chaque estal des boulangers avons faict prendre des pains et s'est trouvé que les grans pains de Joseph Lhostelier, Françoise Tannot et Ollivier Garnier ne sont marqués de trous... par quoy avons confisqué leurs pains à l'Hôpital général... avec défense de résidiver sur peine de vingt livres d'amande, ensuitte de quoy... transporté dans les boutiques de ces boulangers et dans les cabarets, avons fait prendre des pains d'un sol, et de six deniers... et s'est trouvéqué ceux de Françoise Bilecoq (femme de Mathurin Blandel qui sera nommé Commissaire l'année suivante) d'un sol, ne pèsent que une demye livre quoy que suivant les Ordonnances doivent pezer une livre au prix où est le bled ; que ceux de Louis Gautier, Julienne Camart, Madeleine Quintin, Ollivier Blanchard, Janne Sevestre, Jan Gaudu sont trop légers de deux où trois unces sur chaque livre... avons condamné lad. Françoise Bilecoq en dix livres d'amande pour trois de ses pains trop légers de moitié, et Louis Gaultier à six livres pour trois de ses pains trop légers de moitié, et Louis Gaultier à six livres pour trois de ses pains trop légers de trois à quatre unces, Madeleine Quintin a trois livres, Julien Camart à quarante sols, Olivier Blanchart à vingt sols, Jean Gaudu à trente sols et Janne Sevestre à quinze sols, au profit de cette seigneurie ».

Un an plus tard, le 16 juin 1691, le Sénéchal trouve les pains de Mathurin Blandel et Françoise Bilecoq, sa femme, non marqués et ceux d'un sol et trois deniers, « de unze unces » et les condamne « a quinze livres d'amande pour les récidives continuelles qu'ils commettent ».

Cette condamnation sévère était d'autant mieux justifiée que ce Mathurin Blandel et sa femme Françoise Bilecoq, toujours pris en flagrant délit et condamnés à l'amende à chaque vérification des magistrats, venait d'être nommé, il y avait deux mois à peine, Commissaire des Boulangers chargé de donner le bon exemple. Du reste ses compagnons, aussi, ne furent pas ménagés : Jacques Voisin dut payer dix livres ; Louis Gaultier, six livres ; Pierre Etesse, Jean Gaudu, Jeanne Sevestre, Etienne Camart, tous aussi habitués aux contraventions, chacun trois livres.

Le 16 février 1692, à la suite d'une « plainte faite par le publicq et particulièrement par les troupes qui sont en cartier en cette ville que... les boullangers de la ville et fauxbourgs vendent le grand et le petit pain excessivement et sans pris quoyque les bleds fussent à un pris assé modique » le Sénéchal fait une nouvelle descente chez les boulangers... et trouvant que les pains de Julien Herry « pèze moins de quatre à cinq unces par livre » les confisque au profit de l'Hôpital en y ajoutant 5 sols d'amande.

Il en est de même pour Jean Le Glastin, Henry Lhostelier, Joseph Lhostelier, Catherine Cario, Jean Gaudu, Jacques Voisin et l'inévitable Françoise Bilecoq, condamnés à pareille amande et confiscation.

Aussitôt la condamnation prononcée, la sentence était exécutée immédiatement « nonobstant position et apellation » dans toute sa teneur — on n'avait point encore eu l'idée d'inventer une loi de sursis — et le jour même la directrice de l'Hôpital pouvait écrire au Tribunal :

« Comme directrice de l'Hôpital j’ay receu le pain et argent mensionné au procès-verbal cy-dessus, lequel a esté porté aud. Hôpital pour la nouritture des pauvres suivant l'Ordre de M. le Sénéchal. Saint-Brieuc, le 16 février 1692 » JANNE MIRÉ.

En 1699 « les boullangers, sous prétexte que les bleds sont chers, font leurs pains plus petits du tiers ou de moittié qu'ils ne doibvent entre suivant les règlements et pancartes arrestés en ce siège... » descente est faite par le Sénéchal, et les pains saisis et pezés par Mtre Louis Restif, orphevre ; les « pains de Jacques Voisin, reconnus trop légers de 2 onces 5 gros, sont confisqués pour l'Hôpital et les Capucins ; les pains de Marie Gaudu, trop légers de 2 onces et 1 gros, confisqués ; les pains de Françoise Bilecoq, trop légers partye de 3 onces et partye de 2 onces 1/2, 20 sols d'amande et confiscation, etc., etc. et ont esté rendus auxd. boullangers les pains qui se sont trouvés de pois compétant ».

Nous pouvons nous arrêter. Ces quelques exemples suffiront à démontrer la nécessité d'une surveillance des boulangers et pour constater en même temps, à l'honneur des briochins, que ceux qui se rendaient coupables de ces fraudes et de ces vols n'étaient en réalité qu'une infime minorité, toujours les mêmes, et que tous les autres exerçaient très honnêtement et très consciencieusement leur commerce.

LES BOUCHERS.

Les bouchers de Saint-Brieuc, comme les boulangers, étaient réunis en corporation. Leurs armoiries étaient : « d'azur à un Bon-Pasteur d'argent portant sa brebis d'or », patronage singulièrement choisi, semble-t-il, pour des bouchers.

Comme ceux des boulangers, les statuts des bouchers n'existent plus. Les quelques indications que nous possédons sur leur organisation nous les avons recueillies tant dans les règlements de police que dans la pièce suivante relative à une plainte adressée le 5 décembre 1703 au Sénéchal, Mtre Louis Barazer, Sr de Hauteville, par quelques bouchers de la ville :

« Alain Connen, Charles Baudet, Maurice Bougeart, Jan Chapin, Gilles Renouart et Sainte Connen, faisant pour eux et les autres bouchers de la ville, disant que les bouchers de la campagne et des villes voisines, particullièrement de Quintin, viennent journellement.... aporter et y vendent de la viande au préjudice du public, des droitz de Monseigr l'Evesque de St.-Brieuc, Seigr de cette Cour et des suppliants par contravention aux Ordonnances de pollice.

Car ces particuliers aportent presque toujours des viandes débités mortes de mort naturelle et que, pour cette cause, ils n'ont peu vendre aux habitans desd. lieux de leur demeure qui en avoient connaissance, en sorte que ceux qui les achètent en peuvent recevoir et en reçoivent véritablement des incomodités très grandes dans leur santé, ce qui est sy vray que lesd. bouchers, au lieu de vendre lesd. viandes au public où on s'aperceveroit de leurs affronteries, les portent dans les maisons ; ce qui est préjudiciable aux droitz de Monseigr l’Evesque en ce que, ayant droit d'obliger tons les bouchers de cette ville et particulièrement ceux du dehors de vendre et estaller leurs viandes dans la halle à ce destinée et non ailleurs, sy cet, abus continuoit lad. halle se trouveroit abandonnée et le public privé de la commodité ql reçoit d'y trouver à toute heure des viandes à choisir.

Le préjudice qu'en reçoivent les supliants est, qu'ayant payé des taxes au Roy pour maîtrise de leur métier et estant encor actuellement taxéz pour y estre confirmé et dans les droits attribuez aux sindicqs desd. mettiers lesqls. doivent visiter les bestes qu'on tue affin que le public ne reçoive point d'incommodité par la mauvoize quallité desd. bestes, sy cet abus estoit toléré, ils seroient ruinéz et contraints d'abandonner leur métier, ce qui les oblige d'avoir recours à votre justice et de requérir... qu'il vous plaize... faire deffenses à tous bouchers et autres personnes que les bouchers de cette ville et faubourgs d'aporter, vendre ny débiter… aucune viande, soit dans les places publiques, rues, ny dans les maisons particulières, sy ce n'est aux jours de marché pendant lesqls. ils seront tenus d'estaller dans la halle... à peine de confiscation d'icelle et des chevaux et voitures et de 50 liv. d’amande ».

Nous voyons ainsi qu'il leur fallait obtenir des Lettres de maîtrise dons ils payaient l'enregistrement au Roi et qu'ils avaient des Syndics pour la vérification des viandes, élus par eux, ou peut-être munis d'une de ces charges créées, par le bon plaisir royal pour essayer de remplir ses coffres toujours vides.

Les Maîtres bouchers de la corporation fournissaient à l'alimentation de la ville ; ils avaient leurs boutiques et y pouvaient vendre leur marchandise tous les jours de la semaine, comme aussi dans la Cohue les jours de marché. Mais, en quelque nombre qu'ils fussent, ils ne suffisaient pas cependant à la consommation, car il ressort de la plainte d'Alain Connen et Cie que des bouchers étrangers venaient, et même d'assez loin, leur faire concurrence, mais seulement pendant les deux jours de marché où il leur était permis d'étaler dans la Cohue et seulement là.

Cette Cohue, voisine de celles des Drapiers et des Cordonniers, joignant d'une part l'intéressante maison (aujourd'hui pharmacie Corson), placée à l’angle de la rue Es-Tanneurs et du Martray, occupée en 1555 par Mtre Guillaume Pradon, chirurgien-apothicaire, puis plus tard, à la fin du XVIIème siècle, appartenant à Dme Janne Du Crest, veuve Hillion et à son second mari Mtre Melchior Bagot, Sr de Prévallon, était, du reste, fort bien placée, puisqu'elle s'ouvrait sur la place du Martray, avec une entrée secondaire par une petite ruelle sur la rue Es-Tanneurs. La nouvelle halle à la viande recouvre exactement son emplacement.

Une viande de bonne qualité, fraîche, saine et en parfait état de conservation était la première condition à obtenir pour la santé publique et les magistrats chargés d'y veiller exerçaient sur les bouchers une surveillance toute spéciale.

« ART. XVII. Lesdicts bouchiers ne pouront vandre en la Cohue chair corompue, bouctz, chièvres, berbiz, sauff à en vendre en leurs maisons (pas chair corompue toutefois), sur paine pour chacune contravention de lad. amande et confiscation ; et seront mis visitteurs pour visitter lad. chair o pouvoir de s'en ensaesir pour la réprésenter en justice et y ordonner ce que de raison ».

Cette vérification était faite avec soin et nous avons vu les bouchers eux-mêmes réclamer, quand ils le jugeaient nécessaire, l'intervention de ces visiteurs ou syndics de métier qui existent toujours, remplacés aujourd'hui par les vétérinaires chargés de l'inspection des abattoirs.

Ainsi que nous l'avons dit, les Maîtres bouchers avaient le droit de vendre leurs viandes tous les jours de l'année. Cependant il était certains jours où cette autorisation était suspendue.

« ART. XVI. — Les bouchiers ne vandront chair en la Cohue ny ailleurs en public, ny en leurs maisons en détail, aulx fesses de Pasques, Pentecouste, Toussaincts, Nouël, l'Asension, le jour du Sainct-Sacrement, ny feste de Nostre-Damme stattuée, sur paine de l'amande... et de confiscation de leur marchandise, ny mesmes aulx jours de dimanche, fors les yssues que pouront vandre en leurs maisons seullement et non en lieu public sur les paines que devant ».

La même interdiction était faite en ce qui concernait le temps du Carême. « Deffense, nous dit une Ordonnance du Vendredi 2 mai 1691, à tous bouchiers de ceste ville autres que ceux qui seront commis, de tuer ny vandre de la viande soubs quelque prétexte que ce soit pendant le présant caresme à paine de confiscation ».

Cette interdiction n'était pas, cependant, si complète que les habitants frissent absolument dénués de viande. Il pouvait, en effet, se présenter des cas, soit maladie, soit autres où cette alimentation fut nécessaire et on y prévoyait en autorisant, dans l'intérêt public, quelques boutiques à rester ouvertes.

Mais ces restrictions n'en étaient pas moins formelles et, pour qu'elles ne fussent point oubliées, elles étaient renouvelées chaque année ; aussi ne sera-t-on pas étonné de voir, comme dans l'exemple suivant, le délinquant puni avec une grande sévérité.

Le 8 mars 1691. « Nous Sénéchal... (Mtre Pierre Greffier) descendus chez tous les bouchers de ceste ville pour scavoir s'ils... vandent de la viande pendant le présant caresme outre ceux qui ont de nous permission et estant cheix l'apellé Coudray demeurant rue Jouallan, y avons trouvé six veaux morts et pandus à des crochés, lesquels avons confisqué à l'hospital généralle de cette ville et condamné led. Coudray à trante sols d'amande payables par provision nonobstant oposition ou apellation quelconques avec deffenses de récidive sur plus grande paine, ».

LES POISSONNIERS.

Après les bouchers devraient venir tout naturellement se placer parmi les fournisseurs de la ville les poissonniers, mais nous ne voulons point nous en occuper ici, ayant déjà dit, d'eux, par ailleurs, tout ce qui les concernait [Note : Les poissonniers, leur Roi, leur quintaine, par A. Anne-Duportal. Mém. de l'Association bretonne. Session de Lamballe, 1907] et nous passerons tout de suite à une dernière catégorie des gens qui contribuaient à l'alimentation publique.

Voir   Ville de Saint-Brieuc (Bretagne) "Les anciens poissonniers de Saint-Brieuc au XVII-XVIIIème siècle ".

LES MARCHANDS DE VIN.

La principale boisson des habitants de Saint-Brieuc, et cela était naturel puisqu'ils trouvaient chez eux et en abondance les fruits nécessaires à sa fabrication, était le cidre, qui y est ordinairement de bonne qualité [Note : Observations médicinales, de Jan-Louis Bagot, en 1775. (Rev. histor. des C.-du-N., par D. Tempier, Archiviste départemental)], mais cela ne les empêchait pas de boire de la bière et du vin. Celui-ci, par exemple, n'était pas du pays. Moins favorisé que ses voisins l'Ille-et-Vilaine, la Loire-Inférieure et le Morbihan, le département des Côtes-du-Nord, avec son soleil trop souvent caché dans la brume qui ne donnait pas au raisin une chaleur suffisante pour une complète maturité, n'a jamais dû, croyons-nous, produire aucune espèce de vin si rude et si âpre qu'il pût être.

Le vin que l'on vendait à Saint-Brieuc était donc du vin étranger. On allait le demander à la vallée de la Loire, au Poitou et même jusque dans la Gascogne d'où on le faisait venir par mer.

Le commerce était important, si l'on en juge par le nombre des marchands en gros de la ville proportionnellement à celui des habitants qui atteignaient alors 8,000 âmes à peine et qui était presque égal à celui d'aujourd'hui.

Les marchands de vin se divisaient en deux catégories : les marchands en gros et les marchands au détail : aubergistes, cabaretiers, etc...

Sans doute, les grands commerçants étaient honnêtes et les vins qu'ils fournissaient étaient de vrais vins de raisin, purs et naturels, et n'avaient rien de commun avec ces mixtures étranges dont la science moderne nous gratifie si généreusement, à moins qu'ils ne fussent trompés eux-mêmes par des serviteurs malhonnêtes qui trouvaient le moyen d'en enlever une partie pour la remplacer par d'autre liquide ou, tout au moins, par un abondant mouillage. Les picqueurs de fûts ne sont pas seulement de nos jours et ne font que continuer les procédés de leurs devanciers pour lesquels avait été fait l'art. XXXII :

« Est prohibé et deffandu aulx chartiers, cheroiant vin du hâvre en ceste ville de non boire dudict vin que à la charge et descharge d'iceulx et ne percer iceulx sur chemyn, ny en donner à boire à auchune personne pour apprés y meptre eau, ny aultres empyrements sur paine de la prison et punition corporelle ».

En tout cas, il n'était pas inutile de les soumettre à une certaine surveillance, car il y avait à craindre des tentatives d'accaparement pour faire monter les prix aux dépens des petits consommateurs et, probablement aussi, un autre genre de fraude qui n'est pas seulement de cette époque et qui consiste à faire tout son possible pour éviter de payer, soit au fisc royal, soit à celui de l'Evêque, les droits qu'ils réclamaient.

Il était facile, en effet, d'aller chercher, aux bâtiments amarrés au port, ou même, au large en mer, les tonneaux attendus, les enlever avec la complicité des matelots et les introduire en ville à la faveur des ténèbres, à l'insu de tous. Pour parer à cet inconvénient, la première précaution que l'on prit, fut, comme on le faisait pour le blé, pour le beurre, pour toutes les denrées, la défense d' « avanter » le vin et l'on rédigea l'art. XIV.

« Est prohibé et deffandu à tous marchants, tant de ceste ville que aultres... de vandre ny achepter en gros le vin estant entré ou à entrer au hâvre du Légué, Rohannet et Rochier-Cadiou, ou prest à y entrer, jusques à ce que le vin aict été sur le tin en ung cellier de la Grand'Rue de ceste ville l'espace de quinze jours entiers, à ce que la commune se puisse pourvoir, sur paine de soixante livres tournois d'amande pour chacune contravention ».

Une fois installés dans ces chaix ou entrepôts aménagés spécialement pour eux dans la Grand'Rue, les vins étaient alors à la disposition des employés de la Ferme des Devoirs et des Agents de l'Evêque qui avaient quinze jours pour les examiner à loisir et établir les droits qu'ils auraient à payer.

D'un autre côté, il pouvait arriver que les marchands de la deuxième catégorie : aubergistes, taverniers, etc... ne vendant qu'au détail, poussés par un trop grand désir de tirer de leur débit restreint un bénéfice trop considérable, ne fussent tentés de s'entendre pour abuser le consommateur en lui vendant leur vin à un prix exagéré.

Afin d'éviter cet abus, les magistrats jugèrent utile de se servir du même procédé qu'ils avaient employé pour le pain et, comme pour celui-ci, établirent une échelle mobile du prix du vin.

« Que pinte de vin d'Anjou mesure de Saint-Brieuc, (art. XIII) ne sera vandue plus de trois souls tournois, sauff par cy-apprès d'augmenter ou diminuer sellon la varietté du pris et vente desd. vins ; et la pinte de vin de Gascongne en parroil, celle de vin de Poitou en parroil, parce qu'il est aprins que le vin de Poitou est aussy bon ceste année que celluy d'Anjou ou Gascongne ».

Nous allons voir que la précaution n'était point inopportune.

En effet les débitants, toutes les fois qu'ils croyaient la surveillance un peu ralentie, s'empressaient de relever leurs prix, d'où plaintes continuelles des consommateurs et nouveaux rappels de la police à ses Ordonnances. Ainsi, le vendredi 19 janvier 1691, le Procureur fiscal constatant que « par contravention aux dernières Ordonnances de police, les débitants, cabaretiers et aubergistes s'ingèrent et se sont avancés, de leur propre motif, d'augmenter le prix de leurs vins qu'ils débitent à pôt et a pinte, que les uns ont fixé le pot à quatorze sols et quelques autres jusques à seise sols quoy qu'il leur fut faict deffense par les dernières Ordonnances de police de le vendre plus de douze sols le pôt sur paine de l'amande ce qui est, non-seulement au mépris formel auxd. Ordonnances, mais une opression publicq tant pour les manants et habitants de ceste ville que pour les voiageurs et passants dont il a eu de continuelles plaintes, » demande en conséquence, qu'il « soict fait déffense à tous débitans vins et aubergistes de ceste ville de vandre le pôt de vin plus de douze sols… sur paine de cinquante livres d'amande…. jusques à ce que n'y ait esté autrement pourveu sur le prix courant du vin dont le raport sera faict par les marchands en gros ».

Pendant quelques années, les débitants ne semblent pas faire trop parler d'eux ; mais, en 1699, les abus recommencent :

« 29 août. Malgré les dernières Ordonnances qui ont réglé le prix du vin, les hostes et marchants débitants vins, ciltres et autres boissons les vendent, scavoir : le vin jusqu'à vingt-quatre, vingt-six et vingt-huict sols le pôt ; le ciltre et bière jusqu'à huict et dix sols, quoyque la mesure fut la plus petitte de la Province et que, par touttes les autres villes et passages de la Province ou les mesures sont beaucoup plus grandes, on ne les vend pas à un prix si excessif... En conséquence, deffense « de vendre le vin plus de dix-huict sols le pot et les ciltres et bières plus de six sols à paine de 50 l. d'amande… ».

Cette réglementation du prix du vin contre laquelle les débitants regimbaient si fort parce qu'elle les empêchait d'exploiter le public, n'avait cependant rien d'arbitraire. Les magistrats ne l'établissaient point à la légère, mais seulement, comme ils le faisaient pour le pain, c'est-à-dire d'après le cours du vin qu'ils obtenaient des marchands en gros, obligés de le leur fournir.

Cette intervention des marchands en gros, gens riches et considérables qui joignaient presque tous à leur commerce une fonction, soit dans la magistrature, soit dans l'administration de la Communauté de la ville, fournisseurs des débitants eux-mêmes et, par conséquent, intéressés à être agréables à leurs clients, ne pouvait être regardée par ceux-ci comme hostile à leurs intérêts, mais, au contraire, comme une garantie d'impartialité.

A la fin de l'année 1700 eût lieu une de ces réunions des marchands en gros.

Le 24 décembre, en raison d'une remontrance du Substitut de Procureur fiscal disant que « le vin s'est venu à un prix beaucoup moindre que les années dernières et que les marchands en gros le vendaient beaucoup moins qu'ils ne faisaient l'année passée, cependant les cabaretiers, à l'opression du peuple et des voyageurs qui sont obligés de séjourner en cette ville, le vendent autant le pôt qu'ils faisoient les années passées », le Sénéchal convoque les débitants en gros « pour avoir leur déclaration de ce qu'ils vendent leurs vins et un règlement estre faict pour ce que doibvent les vandre les débitans ».

Ces marchands en gros étaient au nombre de sept :

n. h.. Paul Rallet, Directeur des Devoirs des Etats.
n. h. Jean Feudé (Receveur des Consignations de l'Ev. de St-Brieuc, Greffier des insinuations Ecclésiastiques et des Domaines).
n. h. Pierre Du Bois (Administrateur de l'Hôpital, époux de Dame Marguerite Le Pape).
n, h. François Damar, Sr de l'Abraham (Miseur de la Communnauté, Recr des Octrois et Patrimoniaux de St-Brieuc).
n. Mtre François Marie, Sr du Clos (Greffier de l'Ecritoire).
n. h. Nicolas Chapelain, Sr de la Villeguérin ancien Maire de Saint-Brieuc).
n. h. Joseph Pastoureau.

Tous et chacun marchands en gros de cette ville deffendeurs, contre lesquels est requis « que les deffendeurs ayient présentement à faire les déclarations positives du prix des vins qu'ils vendent en gros et a l'affirmer par serment pour, passé de ce, estre, par Nous, procédé à la taxe des vins vendus par les débitants et, à faulte de ce, qu'ils y seront contraints à leurs frais et aux dépens du présent, sauff à prendre telles autres conclusions cy-après... ».

Le Tribunal finit-il par avoir raison des cabaretiers ? Il est permis d'en douter, car, moins de trois ans plus tard, le 28 juillet 1703, ils sont encore pris en défaut et, d'autant plus coupables cette fois, que la ville venait de racheter au Roi les droits que celui-ci avait imposés sur les vins ainsi que nous l'apprend, le Procureur fiscal « quoyque, nous dit-il, le prix des vins ait diminué chez les marchands en gros depuis les trois à quattre mois que le droit qui s'élevait à vingt-huit sols sur chaque barique de brevages que les cabarettiers de ceste ville débittoient par charges réunies au corps de la Communauté, cependant les cabarettiers et aubergistes vendent le pôt de vin blanc et clairet vingt-deux sols chaque par ce qui est un prix très excessif à l'opression du publique, qui en fait journellement des plaintes, d'autant plus que la mesure de ceste ville est la plus petite mesure de la Province et que le pôt de vin rouge, mesure de Rennes, a esté réglé à vingt sols, et le pôt de vin blanc à dix-huit sols... ». En conséquence « le pôt de vin blanc et clairet sera fixé à dix-neuf sols... avecq deffense de le vendre plus grande somme sur peine de cinquante livres d'amande par chaque contravention ».

Les cabaretiers, aubergistes et taverniers étaient des gens têtus à qui leur nombreuse clientèle donnait de l'influence et nous aurons bientôt l'occasion de les retrouver, en d'autres circonstances, encore en lutte avec les Ordonnances des magistrats.

POLICE DES RUES — LES RUES DE SAINT-BRIEUC.

Avant de nous occuper de la police des rues de Saint-Brieuc, il ne sera pas inutile de jeter un rapide coup-d'œil dans le passé pour nous rendre à peu près compte de ce que pouvait être la ville à la fin du XVIIème siècle.

Groupée tout d'abord autour de l'église de Saint-Brieuc, puis de la Cathédrale élevée par saint Guillaume, au fond d'une vallée qui la dérobait aux regards indiscrets et la protégeait des vents, au milieu d'un bas-fonds qui, lui fournissait l'eau nécessaire, la ville primitive était toute entière comprise entre les marais de la Grenouillère et les coteaux Fardel sur lesquels elle s'étageait.

Au bout d'une certain temps, à mesure que sa population augmenta, elle dut chercher à s'étendre.

Il semble que son premier agrandissement soit indiqué par les portes qu'elle contruisit à l'entrée des divers chemins qui y conduisaient : la porte Saint-Guillaume au-delà de l'église Collégiale, au haut de la côte qui descendait à la rivière de Gouédic sur la route, de Lamballe ; la porte Thomasse entre les rues Saint-François et aux Chevriers ; la porte qui fermait la rue au Vicaire ; les portes Morlaise et de Notre-Dame au haut des rues Fardel ; la porte située du bas de la rue de Gouët, sur le chemin de Lanvollon ; enfin la porte St-Michel, enfermant dans leur circuit les quartiers Jouallan, Saint-Guillaume et Saint-Michel.

Plus tard, lorsque les Cordeliers, les Capucins, les Ursulines, les Dames-du-Calvaire vinrent, au XVIème siècle et au commencement du XVIIème siècle, s'établir à Saint-Brieuc et y bâtir des couvents, les limites durent naturellement reculer encore et ce fut la troisième étape.

Comme conséquence de l'établissement de ces Communautés, la superficie avait considérablement augmenté et plus que triplé et comprenait tous les terrains situés entre le chemin de la Haute-Garde (rues Kléber et du Séminaire), le chemin Es-Cordiers et la rue Gourien, la rue Saint-Père, le chemin des Capucins, la venelle des Pendus (rue de Brest), le grand chemin de Morlaix et la rue de la Corderie, près la Caquinerie, demeure aussi des Caquins.

Cette étendue considérable, il ne faut pas oublier que la plus grande partie en était représentée par le Grand Parc du Val ou Quinquangrogne (Parc de la Préfecture), les vastes enclos et dépendances des couvents, et aussi par la Champagne de la Beauce et autres grands espaces vides où quelques maisons seulement, tantôt isolées en métairies ou herbrègements, d'autres fois groupées en petit nombre sur le bord des sentiers et chemins, se prolongeaient jusque dans la campagne et servaient de demeures à des cultivateurs, où, comme dans les rues Gourien et Es-Cordiers (rues d'Orléans et Cordière), abritaient les familles de Caquins exerçant généralement la profession de cordiers, encore assez nombreux au XVIIème siècle.

Maintenant que nous connaissons la configuration extérieure de la ville, pénétrons-y et, avant de nous occuper de leur entretien, faisons une petite, promenade à travers les rues, pour en avoir une idée et en dégager la physionomie.

Il semble qu'on pourrait diviser la ville en deux parties : la ville neuve ou haute et la ville basse ou plus ancienne.

Dans la première, nous comptons la rue ou chemin Saint-Michel allant de l'Hôpital de la Madeleine assez peuplé parce qu'il conduisait à la seule église paroissiale au-delà de laquelle il n'y avait plus qu'un vaste terrain en culture, dit des Champs-Lorrains, coteaux accidentés entre les deux vallées du Gouët et du Gouédic, coupés par deux sentiers seulement, celui des Hillionnais et la venelle des Champs-Lorrains, tous deux se dirigeant vers Le Légué et y aboutissant, l'un à Rohannet, et le second, par la vieille côte, au Port-Favigot. Ce terrain, dépendant de la Seigneurie du Boisbouessel, était partagé en Tenues comme celle du Tertre-Aubert, vulgairement Aubé, sous lequel on découvrait, en 1901, de curieuses Grottes artificielles [Note : Voir Les Grottes artificielles de Tertre-Aubert, par A. Anne-Duportal. — Société d'Emulation des Côtes-du-Nord, t. XXXIX, p. 17] et en métairies ou herbrégements agricoles comme celui des Rozaires ou Rosaies, qui a donné son nom à la rue tracée sur ses dépendances.

Puis après viendraient les rues Saint-Guillaume, Ès-Charbonniers (rue Charbonnerie) et Ès-Marchands (rue Houvenagle qui, parce qu'elles étaient le grand chemin de communication entre Lamballe et la Côte et qu'elles avaient pu être bâties en pleins champs, étaient relativement larges, mais irrégulières dans leur tracé. Généralement évasées à leurs extrémités, là où elles en rejoignaient d'autres pour former des carrefours, elles se rétrécissaient au milieu. La rue St-Michel variait de 12 m. à 6 m. 50 ; la rue St-Guillaume qui mesurait 14 m. près la Chapelle et 13 m. au Marché-au-Blé, n'en avait que 9 au milieu ; la rue Charbonnerie avait 8 m. et la rue Es-Marchands s'ouvrait avec 11 m. pour finir avec 9 m. 50.

Mais, si ces rues étaient larges, rares y étaient, sauf dans la rue És-Marchands, les hautes maisons, et, dans la rue Saint-Guillaume, particulièrement où toutes ne sont pas encore démolies, l'on peut voir que, si quelques-unes s'étendaient en profondeur, leur façade ne présentait qu'une ou deux fenêtres, et ne s'élevait pas au-dessus d'un étage.

Dans la vieille ville il n'en était pas ainsi. Maintenue dans ses bas-fonds étroits par les marécages qui la bornaient à l'est et l'empêchaient de s'étendre, Saint-Brieuc se trouvait dans la situation de ces villes fortifiées dont la ceinture de murailles forçait les habitants à entasser leurs demeures dans l'espace le plus restreint et, comme dans celles-ci, serrait ses maisons le plus possible à l'ombre de sa Cathédrale et sous la protection de cette tour Brieuc crénelée et percée, pour toutes ouvertures, de meutrières et d'archères, qui fut pendant longtemps son seul rempart.

Des rues qui serpentaient à travers les maisons, presque toutes existent encore et, malgré les modifications que le temps y a nécessairement apportées, il est encore facile de se rendre compte de ce qu'elles étaient autrefois.

C'est ainsi que nous retrouvons les rues Ès-Tanneurs et aux Toiles sur lesquelles donnaient les cohues des drapiers, des bouchers et des cordonniers, l'Allée-Menault parcourue dans toute sa longueur par les ruisseaux descendant des coteaux de l'Abraham (place d'Orléans) et fournissant assez d'eau pour inonder le quartier et pour que, semble-t-il, les tanneurs aient pu y exercer leur industrie ; la rue Saint-Père gravissant les coteaux jusqu'à la chapelle de ce nom où se tenait la Congrégation des Bourgeois ; la rue au Vicaire et la maison de Cardenoal, dont le donjon existait encore au commencement du XIXème siècle ; la rue Saint-François conduisant de la rue Saint-Gilles à la porte Thomasse et au couvent des Cordeliers ; la venelle entre les portes et la rue Saint-Gilles qui lui faisait suite bordée d'un côté par les dépendances du manoir épiscopal jusqu'à la chapelle Saint-Gilles, et de l'autre par des maisons particulières dont l'hôtel des Barillots, au coin de l'Allée-Menault, qui devint l'hôtel de la Grand-Maison, à vis « l'hostel ou pendent les armes de Rohan » sur la rue St-François, en face de cette belle maison du XVIIème siècle, en pierres de taille, à la porte sculptée ornée de quatre colonnes, aujourd'hui malheureusement masquées par les planches d'une devanture de boutique, soutenant son riche fronton, aux fenêtres garnies d'élégantes moulures, demeure, croyons-nous, de la famille Guyto et contigüe à l'hostellerie du « Grand-Lion-d'Or », dans la rue de la Grenouillère.

Voici la rue de Gouët avec sa maison de la Porte-Allais, qui appartenait à Christophe Coulon, puis à n. h. Jan James, Sr de la Ville-au-Roux, son gendre, les maisons des Ruffelet, Sr de la Lande, représentants de cette grande famille qui, pendant quatre siècles, jusqu'à son extinction au commencement du XIXème, fournit à Saint-Brieuc tant de personnages distingués aussi bien dans les Cours royale et des Regaires que dans l'administration de la Communuté de la ville, dans l'Eglise et les lettres et dont le chef ou, du moins, le plus anciennement connu, Salomon Ruffelet, Sr de la Villebault homme de haute intelligence et de grand caractère, le premier Sénéchal de la Cour royale lors de son établissement à Saint-Brieuc, qui, pendant la longue période des guerres désastreuses de la Ligue et les calamités, peste, famine, qui la suivirent et enlevèrent une grande partie de la population, rendit à ses concitoyens par ses capacités et son dévouement absolu, les plus grands et les plus signalés services.

Sept fois représentant des habitants de Saint-Brieuc aux Etats de la Province, obligé de s'exiler à Rennes pour éviter les inimitiés qu'il s'était attirées à cause d'eux, il fut anobli par le roi Louis XIII pour ses grands mérites, en 1714, peu de temps avant sa mort.

Ce Salomon Ruffelet, la plus haute expression de la Bourgeoisie dans sa loyauté et son intelligence à servir son pays, ne doit pas être oublié par ses concitoyens et, si l'on veut consacrer la mémoire des Ruffelet, c'est le nom de Salomon, le plus illustre d'entre eux, qu'il faut prendre plutôt que celui du Chanoine, moins méritant, pour le donner, non pas à une ruelle sans maisons et sans habitants, mais à une véritable rue. Après les maisons des Ruflet venaient celles des Guyto, Srs de la Brousse et de la Ville-Dono, des Gendrot, des Triac, Sgrs de Presby, joignant la grande rue Ès-Marchands où vivaient les Pierre Le Maignan, époux de Françoise de Chapdelaine, Ecuyer Etienne Du Val, Sr de la Ville-Calmet, Lieutenant- Royal ; n. h. Claude Le Duc, Maire et député de Saint-Brieuc ; n. h. Martial Baudry, époux de Dlle Hélène Turnegouët, les Favigo, ces grands négociants et armateurs qui ont laissé leur nom au petit port à l'entrée du Légué où venaient accoster leurs bateaux et dont la maison, dite du Clos, avec ses immenses jardins qui s'étendaient jusqu'à la rue des Petites-Forges, démolie il y a quelques jours seulement, montrait encore sur ses cheminées les armoiries de la famille : d'or à la face d'azur chargée d'un croissant d'or accosté de deux roses de même et accompagnée de trois grenades de gueules. Puis ce sont les rues Fardel, à l'entrée desquelles on rencontre cette maison « où il y a une image de la Vierge », bâtie par les Ribault, famille de riches marchands, éteinte à la fin du XVIème siècle, la plus ancienne, sans doute, de Saint- Brieuc, mais, en tous cas, très intéressant spécimen des constructions du XVème siècle avec sa façade haute et étroite, son pignon pointu garni de son ballet, ses frises si finement sculptées qui séparent ses deux étages et les personnages qui la décorent « qui fut autrefois à Thomas Le Ribaut, puis à Salomon Le Ribault, puis à Toussaint Compadre, Sr du Plancheix, puis à Mtre Adam Paboul, Sr de la Ville-Helbert » ( Rentier épiscopal de Saint-Brieuc) ; puis, en montant, l'élégante maison que fit construire, le 7 mars 1572, Yvon Coulon, ainsi qu'il a tenu à nous le rappeler en le faisant graver sur un pilier, qui, très connue sous le nom d'hostel des Ducs de Bretagne où logeaient les hauts personnagés de passage, devint ensuite l'auberge du Chapeau-Rouge, et, au-delà, les auberges du Dauphin-Couronné, du Croissant, du Pigeon-Blanc ; enfin, tout en haut, la Porte-Morlaise, placée entre deux maisons prébendales et tout près de la maison des Budes de Guébriant. En descendant nous rencontrons la rue Es-Echaudés ou au Beurre devenue, en 1667, par ordre de Monseigneur Hardouin Fortin de la Hoguette, évêque de Saint-Brieuc, rue Saint-Jacques, à cause « d'une image de saint Jacques placée au coin de la rue à un post de bois qu'on appelait post plomb » (Rentier épiscopal), avec ses belles maisons ornées de nombreux personnages dont l'une porte les armoiries en alliance des Le Mintier et des Tournegouët et de l'autre côté de la ruelle qui conduisait à la fontaine de la Hellio l'ancienne « Cohue aux souliers », la boutique des Doublet, les premiers imprimeurs établis à Saint-Brieuc et, à quelques pas plus loin, sur la place de la Musoir, le petit hôtel renaissance qui va bientôt disparaître ; la rue Quinquaine où se trouvait le Jeu de Paume ; la rue Es-Tanneurs où l'on verrait entre autres, au coin de la rue aux Toiles, une maison bâtie en 1575, aux solides piliers de bois carrés, couverts de riches ornements renaissance et aux corniches élégantes, si tout cela n'était recouvert de mortier et de chaux ; la rue Saint-Père gravissant la colline jusqu'à la chapelle de ce nom où se réunissait la Congrégation des Bourgeois de Saint-Brieuc ; la venelle de la Grenouillère qui conduisait au Séminaire, etc.

Mais laissons cette nomenclature trop incomplète et continuons notre promenade.

Ces rues que nous venons d'énumérer , quelque cachet d'ancienneté que le temps leur ait laissé, ne donnent pas, cependant, une idée suffisante de la physionomie qu'elles pouvaient avoir à la fin du XVIIème siècle. Essayons de la retrouver en étudiant leur état général.

Le système d'empierrement de M. Mac-Adam. n'était point encore inventé. Pour avoir un sol dur et ferme pour la circulation on ne connaissait que le pavage et toutes les voies, rues des villes, aussi bien que les grands chemins qui y amenaient, étaient pavés. Mais quels pavés !

C'étaient des pierres de toutes formes, non équarries, juxtaposées de la façon la plus irrégulière, comme on peut en juger par ce qui en reste encore dans les rues Fardel, Quinquaine, etc.

Ces pavés avaient deux origines ou, du moins, leur entretien était soumis à deux régimes différents. Il y avait les pavés publics : places, marchés, chemins, etc., à la charge de la ville et les pavés des rues, dont l'entretien incombait aux habitants pour la partie qui longeait leurs maisons.

« ART. XXI. — Quant aux pavés, chacun les fera reffaire devant soy suivant l'ordonnance en faicte par cy-devant et sellon la taxe en rapportée ».

« ART. XXII. — Et quant aulx pavés publicqs, ils seront reffaicts sur les amandes qui seront adjugées, suivant la coustume, et à ceste fin les recepveurs contraincts par corps à bailler les deniers desd. amandes ».

La conséquence de cette dualité d'intérêts pour un même objet ne pouvait être que défavorable pour le bon état des rues.

En effet, en ce qui concernait la ville, celle-ci pouvait trouver, peut-être assez facilement, dans les amendes dont elle ne se faisait pas faute de frapper les délinquants, les ressources nécessaires pour remplir les obligations de l'art. XXII, mais il n'en était pas de même des habitants qui trouvaient lourde la charge qui leur était imposée et ne mettaient, comme nous le verrons plus tard, aucun empressement et aucune bonne volonté à les entretenir ; aussi ces pavés étaient-ils en très mauvais état et la police se voyait-elle obligée de menacer les récalcitrants et de sévir contre eux.

Il a été remontré, nous dit le Procureur fiscal après une visite des rues qu'il avait faite, le 13 janvier 1691, « à tous les habitants dont les pavés sont rompus de les faire raccommoder et principalement au propriétaire de la maison où est demeurante la dame de Kermoal, au Sr Feudé pour sa
maison de la rue Fardel où est demeurant Du Bée, hoste, aux Srs du Chalonges Conan et Des Boys, au Sr Compadre et ce, dans huictaine, faute de quoy il sera envoyé des paveurs les réparer à leurs frais et autrement procédé vers eux comme apartiendra »
.

Ces mesures de rigueur étaient d'autant plus justifiées que les gens contre lesquels elles étaient prises étaient plus coupables en raison de leur fortune et de leur position sociale, puisque la dame de Kermoal était de la famille des Gouverneurs de la ville, que Jean Feudé, écuyer ; Sr des Oriellères, était Receveur des consignations de l'Evêché de Saint-Brieuc, Greffier des Insinuations ecclésiastiques et des domaines des gens de main-morte, que les Srs Conan, Sr du Chalonges et des Boys figuraient parmi les plus notables commerçants, que Yves Salomon Compadre, Avocat en la Cour, Échevin et Maire de la ville, faisait même les fonctions de Substitut du Procureur fiscal des Regaires, et qu'ils étaient tenus plus que tous autres à donner le bon exemple.

« Est ordonné, nous dit encore le Sénéchal, le 14 novembre 1700, à tous ceux dont les pavés ne sont pas en état de les y faire mettre incessamment parce que, des frais, ceux qui ne sont que locataires en auront diminution sur le prix de leur loyer sur la quittance visée de nous qu'ils obtiendront des paveurs, faute de quoy ils seront, en propre et privé nom, condamnés en trois livres d'amande.. applicables à l'Hôpital. ».

Il est inutile de dire qu'un seul et unique caniveau courait au milieu de la rue, la séparant en deux parties étroites, pour recevoir, tout ensemble, les eaux de pluie que les ballets proéminents des maisons venaient y déverser, les eaux des cours et les eaux ménagères.

C'était par ces mêmes caniveaux qu'arrivait encore le trop plein des sources de l'Abraham, Macault, de la Pompe, du Ruisseau-Josse, etc., descendant des coteaux voisins « coulant à pleins bords, quelquefois battant le pied des maisons » (A. Du Bois de la Villerabel, — A travers le Vieux Saint-Brieuc), ce qui autorisait le docteur Bagot, à dire, en 1775, dans ses « Observations Médécinales », que « les rues sont étroites et mal percées ; plusieurs sont humides et il coule, dans la plupart, des ruisseaux d'eau vive qui ne sèchent jamais ».

Cette abondance des eaux dans les rues était, en effet, si considérable, que la place de la Muzoire (place de la Grille), où elles convergeaient pour s'écouler de là vers le Pont-de- Gouët était, nous dit M. de Geslin dans ses Evêchés de Bretagne (T. II, p. 226), couverte à chaque ondée et qu'elle séparait plutôt qu'elle ne soignait les rues Clainquaine, Saint-Jacques, de Gouët et Grande Rue Ès-Marchands. Il ajoute en note que « les alentours de la Cathédrale étaient si humides que les tanneurs s'établissaient entre la rue Saint-Jacques et la rue aux Toiles ; ce passage prit le nom de Rue Ès-Tanneurs ».

C'est cela que, sans doute par ironie, M. de la Villerabel (A. Du Bois de la Villerabel, — A travers le Vieux Saint-Brieuc) nommait le quartier vénitien, qualifiant la rue de l'Allée-Menault de grand canal ; il eut été plus juste de l'appeler un véritable cloaque.

En effet, pures et limpides, peut-être à leur sortie des fontaines, les eaux ramassaient sur leurs routes et entraînaient avec elles les détritus de toutes sortes et les saletés qui recouvraient les pavés.

D'autre part, les ménagères chargées de veiller à la propreté de la famille trouvant, ce qui était bien naturel, trop pénible et trop fatigant de descendre leurs linges sales jusqu'au fond des vallées du Gouët ou de Gouédic pour les remonter ensuite, jugeaient plus avantageux pour elles, sans se préoccuper des conséquences que cela pouvait avoir pour les autres, de faire leurs lavages sur la voie publique, au bord des fontaines qui servaient à l'alimentation, dans l'eau courante qui en sortait.

Cela était bien défendu, cependant, par la police qui, elle, en appréçiait tous, les inconvénients.

« Deffences à touttes personnes de laver et savonner aucunes hardes et linges dans les ruisseaux et fontaines de cette ville à painne de confiscation desd. hardes et litiges et de dix livres d'amande » 28 mai 1699.

Le métier des lavandières est souvent très pénible et lorsqu'elles ont cru trouver un moyen de le rendre moins dur, elles n'aiment pas qu'on les empêche d'en profiter.

La proximité de leur maison qui leur évitait la fatigue, ce courant rapide qui emportait avec lui toutes les impuretés dont une trop grande partie, au contraire, reste au fond des lavoirs y laissant, comme on peut encore le voir de nos jours, un dépôt dangereux pour la salubrité publique, étaient des avantages trop précieux pour elles pour qu'elles se décidassent facilement à obéir.

Aussi les Ordonnances se renouvellent constamment. Deux mois après la précédente, le 29 août, il en parait une autre : « Les servantes et lavandières de cette ville, par un abus préjudiciable au publique, lavent leur buée au dégorgement des fontaines qui fournissent l'eau à boire à toutte la ville, d'où il arrive que l'eau revenant à refouler dans lesd. fontaines, les infectent, d'où il peut ariver de grands inconvénients ». En conséquence : « Deffance est faite à touttes personnes de quelqs quallittés et conditions qls soient de laver ny faire laver aucuns linges ny draps au dégorgement ny près des fontaines qui servent à boire et de laver ailleurs que dans les lavouers faittes à cette fin et dans les rivières, à peine de confiscation desd. linges et de 20 l. d'amande par chaque contravention... ; ordonne que la présante sera publiée au prosne de la grand messe paroissiale de Saint-Michel ».

Nouvelle Ordonnance le 4 novembre 1701 : « Deffenses à touttes personnes de quelsqs quallités qls soient de laver ou faire laver leurs linges et autres hardes aux issues des fontaines servants à boire au publique soubz paine de 10 l. d'amande pour chacune contravention ».

Nous n'insisterons pas. Il est à croire que le magistrat, tout en continuant à rendre des Ordonnances pour remplir son devoir dans l'intérêt général, ne se faisait guère d'illusions sur le sort qui leur était réservé et qu'il savait bien qu'il trouverait en face de lui une résistance acharnée, non-seulement des lavandières à gages, mais des servantes, des bourgeoises et même des bourgeois et une désobéissance devant lesquelles il faudrait souvent fermer les yeux.

Ajoutez à ces eaux polluées par les résidus des lessives et des savonnages, les eaux des ruisseaux chargées des souillures des cours, des détritus des cuisines, des ordures accumulées dans les rues, celles plus sales encore provenant des latrines dont la négligence des habitants laissait le trop plein déborder au-dehors, des Ingoguets sur lesquels nous aurons à revenir quand nous parlerons de la salubrité de la ville, égouts infects circulant à ciel ouvert que, seuls, quelques petits ponts jetés par dessus permettaient de traverser, et vous aurez tous les éléments qui constituaient la Venise briochine.

Quant à la largeur des rues, si celles de Saint-Guillaume et Ès-Marchands avaient encore des dimensions convenables, il n'en était plus de même dans le centre. La rue St-Gouëno, la principale, celle qui faisait communiquer la ville haute avec la ville basse, mesurait 5 m. 70 au maximum, mais les autres n'avaient plus que 5 et 4 mètres ; quelques-unes n'étaient que de véritables venelles, telles que les deux qui aboutissaient au placis du Puits-au-Lait, l'une, rue actuelle des Halles, partant de la rue Saint François, tellement rétrécie à son milieu lors de la construction, dans le marais remblayé de la Grenouillère, du palais Episcopal, qu'elle n'était plus qu'un passage à piétons ; l'autre, la venelle du Four-du-Chapitre (rue du Chapitre), qui lui faisait suite et la reliait à Saint-Guillaume par la rue Corbe (rue du Champ-de-Mars) regardée comme si dangereuse que, pour empêcher une charrette où même un cheval de s'y engager, on l'avait barrée en plaçant une borne à chaque extrémité.

Ce qui contribuait à faire paraître ces rues encore plus étroites était la hauteur des maisons, la plupart à deux étages se dépassant en encorbellements et terminés par ces énormes toits qui semblaient vouloir rejoindre leurs voisins d'en face, ne laissant apparaître entre eux qu'une mince bande de ciel.

A Saint-Brieuc, point de porches devant les maisons comme à Dinan, à Dol, à Vitré, etc., qui élargissaient les rues en permettant un passage au piéton, en même temps qu'ils servaient aux marchands de premier magasin pour la mise en vente en pleine lumière et à l'abri des intempéries.

Les boutiques s'ouvraient directement sur la rue, mais, petites, basses d'étage et obscures, elles étaient très défavorables pour l'exposition des marchandises, aussi était-ce du dehors à travers la fenêtre, sur des étaux en pierres saillants sur la façade de la maison, qu'on faisait ses achats sans autre protection, contre le mauvais temps, que l'avancement du toit, du les quelques planches placées en auvent au-dessus de la devanture.

Ces étalages au-dehors, joint à l'encombrement produit par la foule des acheteurs, étaient d'une telle incommodité et causaient une telle gène que l'évêque, Mgr de la Hoguette, ordonna en 1667 « pour l'embellissement et accroistre les rues de la ville que les balletz de bois et certaines pierres de boutiques qui avançoient dans les rues seroient abatus, démolis... ». Et, comme cette même année, les Etats allaient, tenir leurs Assises à Saint-Brieuc et qu'il voulait que sa ville épiscopale se montrât aux yeux des étrangers avec tous ses avantages, il ajoute « ensemble ordonne que chaque particuliers et propriétaires des maisons les feroient peindre et blanchir, ce qui fut exécuté » (Terrier épiscopal. — Rue Saint-Jacques).

A côté de ces causes d'encombrement qui pouvaient s'expliquer par la nature même des choses et qu'on était obligé de tolérer parce qu'on ne pouvait y remédier, il y en avait d'autres qui tenaient à la négligence et au sans gêne des habitants. C'étaient les dépôts d'objets de toute sortes que ceux-ci, n'ayant pas où les loger ou ne voulant pas s'en donner la peine, laissaient dehors sans s'en préoccuper.

Le cas avait été prévu par le Réglement de police.

« ART. XXVI. - Est aussy prohibé et deffandu à touttes personnes de ne meptre aulcun boys de merain ny à feu, ny aulcuns aurais aulx places du Martroy et Pillory de cette ville, ny place du Marché-au-Bled, sur peine de parroille amande de soixante souls et de confiscation, pour et affin que lesd. places où le trafic ordinaire est faict ne soient empeschées et par immondices lad. ville infectée ».

Mais ce n'étaient pas seulement les places où, à la rigueur, et sous la surveillance de la police, l'espace ne manquant pas, on aurait pu tolérer certains dépôts momentanés ; mais les rues elles-mêmes qui étaient envahies.

On ne peut se faire une idée de tout ce qui y était entassé.

Sans compter le produit du balayage qui devait se faire tous les jours, mais n'était enlevé que deux fois par semaine par les charrettes qui en étaient chargées, et qui restait devant les maisons, on y rencontrait des ordures de toutes sortes, curailles des cours, fumiers, marnis, décombres de maisons ruinées, bois et matériaux de construction, bois de chauffage, etc., etc., et ces rebuts des forges et autres ateliers que les ouvriers ne sachant qu'en faire, allaient porter partout où ils trouvaient un espace vide : le long du Ruisseau-Josse, le long des murs des Ursulines, des jardins de l'Evêché, etc., etc.

Les boulangers eux-mêmes ne se gênaient pas pour laisser indéfiniment, en tas sur la rue, les fagots qui devaient servir à chauffer leur four et l'on avait été obligé de prendre des mesures spéciales à leur égard. « Est ordonné, dit le Sénéchal, le 4 juillet 1690, à tous fourniers de cette ville de faire oster dans la huictaine leurs mayes de bois des rues de cette ville, les mettre et placer en lieux éloignés d'où ne puisse arriver aucun accident soubz peinne, à ceux qui n'obéiront pas après la huictaine, de confiscation de leurs bois à l'hôpital général, outre la somme de vingt livres d'amande ».

Certes, la police faisait tout son possible pour supprimer ces dépôts. Elle les surveillait et toutes les fois qu'il y avait lieu, elle renouvelait ses défenses. Le 16 septembre 1690, il est enjoint « d'oster de sur les pavés les bois, marnix et autres immondices soubz peinnes de 10 l. d'amande ». Le 14 octobre 1701 « il est enjoint à tous particuliers et habitans, de telles conditions qu'ils soient, de faire oster de sur leurs pavés les bois et marnix dans vingt-quatre heures, à peinne de confiscation au profit de l'Hôpital ».

Les 31 mars, 12 mai et 16 juin 1703 « défense faite à touttes personnes de quelque condition... à peinne de telle amande et autres peinnes qu'il plaira au siège d'arbitrer... de mettre aucun marnix dans les rues et places de cette ville, ny contre les murailles des églises et bastiments et murs dépendants du manoir épiscopal, ny mesmes contre les maisons et murailles des habitants .. à peine de confiscation desd. marnix au profit de l'hôpital et de vingt livres d'amande et de plus grande peinne en cas de récidive ».

« Défense à touttes personnes... de mettre ny faire mettre aucuns marnix, curailles ny autres immondices dans aucuns des cartiers, calfours, ny dans aucunes rues, ny ruelles de cette ville avecq injonction à ceux qui en ont mis de les oster ou faire oster dans les vingt-quatre heures ». En voilà assez.

Tous ces dépôts, outre que, par leur nature même, ils étaient une grande cause de malpropreté, comme nous allons voir le Procureur fiscal, si habitué qu'il soit à cet état de choses, obligé de le constater, rendaient la circulation fort difficile et quelquefois impossible même pour le piéton, lorsque se répandant jusque dans les ruisseaux, ils arrêtaient l'écoulement des eaux.

« Avons trouvé généralement, nous dit le Procureur fiscal, en 1699, les rues de la ville très salles et malpropres... aussy quantité de fumiers , amas de matréaux et vuidanges de nouveaux bastiments…. et la rue Saint-Gouëno remplie d'eau et presque impratiquable par le deffaut des conduits par où ils doivent s'écouler, lesquels sont et aparessent bouchés ».

Ce n'était pas cependant la faute du Procureur fiscal, car il faisait fréquemment des tournées d'inspection à travers la ville et rédigeait contre les délinquants des rapports qui étaient toujours suivis d'effet. Ainsi, le 13 janvier 1691, le Sr du Boismarcel (n. h. Charles Thérault), est condamné à 10 s. d'amende « pour n'avoir pas vidé le pavé du Clos-Gibelet, donnant sur la rue de Gouët, de quantité de terre et de marnix » ; le 7 avril « avons trouvé, sur le pavé de Marc Gaultier, un monceau de marnix lequel avons confisqué au profit de l'hôpital... et led. Gaultier à quinze sols » ; le 30 juillet, c'est Catherine Glo qui est condamnée à 10 s. d'amende et faute d'avoir payé « avons exécuté chez elle un chandelier de cuivre » ; le 24 septembre, ordre est donné aux héritiers du Sr de Quihouët (n. h. François Le Clerc, Sr de la Noë-Taron) d'une maison, dans la rue Saint-Gouëno, tombée et fendue en ruines de vieillesse et sans entretien qu'ils avaient négligé de faire relever, d'en enclore l'emplacement « qui es sale et plein d'ordures ».

On voit que la justice du Sénéchal était impartiale, car si elle condamnait les petits, elle ne ménageait pas non plus les gros personnages tels que les Le Clerc, riche famille de magistrats, et particulièrement le Sr du Boismarcel, n. h. Charles Vincent Thérault, Procureur syndic, Maire et plusieurs fois Député de Saint-Brieuc.

Parmi les causes qui contribuaient aux embarras des rues, il en est, encore une qu'il ne faut pas oublier, à savoir l'élevage de cet animal domestique dont Charles Monselet, grand gourmand devant l'Éternel, n'a pas dédaigné, en gastronome reconnaissant, de célébrer les mérites dans ces vers enthousiastes :

« Car tout est bon en toi ! Chair, graisse, muscles, tripe !
On t'aime galantine, on t'adore boudin,
...........
Philosophe indolent qui mange et que l'on mange,
Comme, dans notre orgueil, nous sommes bien venus
A vouloir, n'est-ce pas, te reprocher ta fange,
Adorable cochon... Animal roi, Cher ange ! »
.

Or, campagnards presque autant que citadins, usant pour leur nourriture le plus qu'ils pouvaient des produits des terres qu'ils cultivaient ou des redevances qu'ils retiraient de leurs métairies, les habitants de Saint-Brieuc, sans atteindre au lyrisme du poëte, avaient pour le compagnon de St-Antoine ou, tout au moins pour sa chair, une vive sympathie.

Presque dans toutes les maisons, à côté de la maye où l'on pétrissait le pain, se trouvait un saloir. C'était pour la ménagère une ressource précieuse, çonornique et toujours prête, dans laquelle elle puisait quand elle avait besoin.

Mais, pour remplir le saloir, il fallait d'abord avoir un porc, puis l'engraisser avant de le sacrifier quand il serait à point.

Or, le pauvre cochon, confiné dans le trou où il gisait sans pouvoir se remuer, sans air, sans lumière, vautré dans cette fange que Monselet ne veut pas qu'on lui reproche, saisissait tout naturellement avec le plus grand empressement, l’occasion rare d'une porte entrebaillée pour se précipiter au-dehors, se dégourdir les jarrets, aller fouiller de son groin les ordures entassées dans la rue et se jeter avec de joyeux grognements dans les jambes des passants.

Et alors l'animal, têtu de son naturel, comme nous le savons, s'il obéissait, peut-être au saint ermite, ne voulait plus rien entendre lorsque son propriétaire essayait de le priver de cette liberté qu'il avait conquise, prétendait le faire rentrer dans son bouge et l'emprisonner à nouveau. Il se débattait, s'enfuyait en poussant ces cris perçants et désespérés que nous connaissons et mettait tout le quartier en émoi.

La police ne pouvant supprimer cet élevage trop nécessaire, cherchait du moins à en diminuer les inconvénients.

Le 2 décembre 1690, sur la remontrance de Me Melchior Bagot, Avocat en la Cour, faisant pour le Procureur fiscal « deffenses faictes à touttes personnes de laisser vaguer leurs cochons par les rues de cette ville sur peinne de confiscation et de dix livres d'amande ».

Le 15 octobre 1701 « deffenses à touttes personnes de laisser vaguer leurs cochons par les rues à peinne de confiscation d'iceulx au profit de l'hôpital et permis au Sergent de cette juridiction de se saizir des cochons qui seront trouvés en les rues pour les conduire aud. hôpital auxquels sera donné 20 sols par chaque cochon qu'ils y mèneront ».

Le 9 septembre 1702, encore une autre Ordonnance portant « deffense à tous les habitants de quelques conditions et qualittés qu'ils soient de laisser vaguer leurs cochons dans les rues sous peinne de dix livres d'amande au profit de l'hôpital et confiscation au profit de ceux qui les prendraient dans les rues ».

En conséquence de ces Ordonnances et pour arriver à leur exécution, le magistrat faisait de temps en temps des tournées en ville.

Ainsi, le 7 avril 1691, il trouve dans la rue Fardel un cochon à Louis Rio et condamne celui-ci à 15 sols d'amende ; dans la rue « Clainquaine, il rencontre un cochon qu'il faict mettre en garde cheix Jacques Lorand et condamne le particulier à qui il apartient à 15 sols ; dans la rue Saint-Guillaume, c'est Gabriel Bourel qui a laissé vaguer son cochon et est condamné à 15 sols ».

Le dimanche 6 novembre 1701 « avons trouvé, dit-il, dans la rue Saint-Guillaume, proche le Marché-au-Bled, un cochon noir et, après nous estre informé à qui il pouvoit estre, on nous avoit répondu que on n'en sçavoit rien, pourquoy et attandu la contravention manifeste.... avons ordonné la confiscation dud. cochon au profit de l'hôpital et avons ordonné aux sergents de l'y conduire, ce qu'ils ont fait ».

Le 17 octobre 1701, la veuve et le fils de Gilles Michel sont condamnés à 20 sols « pour avoir oposé les Sergents dans les fonctions de leur charge, les avoir hué et avoir libéré un cochon qu'ils menoient à l'hôpital. ».

On peut voir par ces exemples que, si le Sénéchal tenait à faire respecter ses arrêtés, il savait, au besoin, trouver des circonstances atténuantes et varier les peines suivant les degrés de la culpabilité et qu'il y a loin des 10 l. d'ametde dont il menaçait les délinquants aux 15 sols auxquels il les condamne.

Il nous reste à dire un mot des mendiants et des joueurs de quillettes.

Les Briochins étaient, paraît-il, très charitables ; aussi les mendiants étaient-ils nombreux et, non-seulement ceux de la ville, mais aussi ceux des paroisses voisines. Ces derniers, à certains jours, probablement le lundi comme aujourd'hui, arrivaient en foule et s'en allaient en troupe assiéger les maisons généreuses. Ces invasions périodiques de la voie publique étaient fort gênantes et la police faisait tous ses efforts pour les empêcher. Elle défendait la mendicité et se montrait fort dure aussi bien pour les pauvres briochins que, pour les étrangers.

Le 28 mars 1699, elle faisait « deffenses à tous les gueux et pauvres de ceste ville et fauxbourgs de mandier dans les rues, aux portes et dans les églises à peinne de prison et enjoint à touts pauvres et gueux des paroisses voisines et autres étrangers de se retirer de la ville et fauxbourgs sur pareille peine ».

Ce n'était pas que la ville fut hostile aux malheureux, car elle était toute disposée à les secourir dans ses hôpitaux, mais ce qu'elle voulait, c'était s'attaquer à la fausse misère et empêcher les abus de la mendicité sur la voie publique. Aussi, au commencement du XVIIIème siècle, prenait-elle des mesures encore plus sévères.

Par lettres patentes de 1716, la ville fut autorisée à enfermer à l'hôpital « tous les pauvres de l'un et l'autre sexes ayant cinq ans de résidence à Saint-Brieuc ». Aux autres, elle défendait « de mendier sous peinne de prison pour la première fois et, pour la seconde, du fouet, du cachot, d'être rasé et autres peines de police » et, pour arriver plus facilement à ses fins, elle s'en prenait à ceux qui, par leurs générosités encourageaient les délinquants, en ordonnant « aux propriétaires et à leurs domestiques... d'arrêter les pauvres qui demanderaient l'aumône et de donner main forte pour les amener en prison sous peinne de 4 l. d'amande ». Il était défendu en même temps « à toute personne de donner et faire des aumônes en public, dans les rues, aux églises et aux portes des maisons pour quelque motif de nécessité ou de compassion que ce fut, sous peinne de 3 l. d'amende » (Les Evêchés de Bretagne, par M. Geslin de Bourgogne, t. II, p. 160).

La police réussit-elle à se débarrasser des mendiants et de la perturbation qu'ils apportaient dans les rues ? Hélas, non, car elle avait contre elle l'Administration de l'hôpital lui-même qui n'avait pas les ressources nécessaires pour entretenir de trop nombreux miséreux et la résistance des mendiants qui n'avaient rien à perdre ainsi que celle des donateurs qui trouvaient mauvais qu'on voulût imposer des limites à leurs charités. Aussi dut-elle bientôt céder en reconnaissant l'inutilité de ses rigueurs et fermer les yeux, se contentant, puisqu'elle ne pouvait le faire disparaître, d'atténuer, dans la mesure du possible, un abus si bien entré dans les mœurs qu'aujourd'hui encore, après deux siècles révolus, nous pouvons voir les mendiants des paroisses voisines arriver, malgré les affiches placées à toutes les entrées de la ville, et cette fois bien tranquillement et bien confortablement par le chemin de fer, le lundi de chaque semaine, pour réclamer aux héritiers des anciens briochins du XVIIème siècle les mêmes secours que recevaient leurs pères.

Quant aux joueurs de Quillettes, on se montrait aussi envers eux très rigoureux. Certes, ce n'était pas que ce jeu favori des enfants et des jeunes gens aux jours de repos, eût rien de séditieux ni d'inconvenant, mais parce que, en raison des lieux où il se pratiquait, il présentait certains inconvénients assez sérieux. Le nombre des amateurs de ce jeu si populaire était considérable ; ils avaient besoin de vastes espaces et tous ceux qu'ils trouvaient, les places, les carrefours, les rues mêmes, tout leur était bon.

C'était précisément çet envahissement de la voie publique qu'on voulait empêcher, car, outre qu'il gênait le passage des promeneurs, il suffisait, tous les joueurs n'étant pas adroits, qu'un malhabile ou imprudent dirigeant, mal sa lourde boule, l'envoyât dans les jambes d'un paisible curieux ou d'un passant inoffensif pour causer un accident et, afin d'arriver plus facilement à un résultat, ce n'était pas aux enfants et aux domestiques qu'on s'adressait, mais on s'en prenait directement aux parents et aux maîtres eux-mêmes. « Deffenses, est-il dit, le 28 mars 1699, à touts habitants de quelque condition qu'ils soient de laisser jouer leurs enflants et domestiques aux jeux de Quillettes... dans les places et rues de cette ville à painne de dix livres d'amande et de répondre de leurs propres et privés noms de touts les accidents qui pourront arriver ».

Ce n'était pas le jeu lui-même, qui était prohibé et les amateurs de quillettes pouvaient s'y livrer sans crainte et en toute tranquillité dans tout endroit clos, jeux de boules, jeux de paume, jardins particuliers, etc...

Nous pouvons maintenant nous rendre compte de l'aspect que présentaient les rues de Saint-Brieuc. Elles étaient étroites, tortueuses, sombres, humides, mal pavées, sales, encombrées et pleines d'embûches, particulièrement dans la partie centrale et la plus commerçante.

Certes le tableau n'est pas brillant, mais ce sont les Briochins eux-mêmes qui nous l'ont tracé, et il est exact. Non seulement nous ne l'avons pas exagéré, mais nous en aurions plutôt atténué les mauvais effets en nous contentant de mentionner les Ingoguets, ces égouts infects qui couvraient les rues et en ne disant rien des latrines dont le trop plein arrivait souvent jusque dans les ruisseaux, mais sur lesquels nous reviendrons en parlat de la salubrité.

Dans le dédale de ces petites rues ou venelles, les habitants, habitués depuis leur enfance à leurs inconvénients, passaient s'en trop s'en apercevoir, mais il n'en était pas de même pour les voitures. Du reste, les voitures devaient être rares, non pas que les chevaux manquassent, car la quantité de fers anciens qui se sont rencontrés dans les fouilles des rues Saint-Gilles, Saint-Gouéno, Saint-François (Rohan), mélangés aux résidus de la forge d'un maréchal montre combien, dès le XIIIème siècle, ils étaient nombreux, mais les grands seigneurs comme l'Evêque, les Bréhant de l'Isle, les Budes de Guébriant, les marquis de la Rivière, gouverneur de la ville, s'ils possédaient des carrosses et avaient des cochers, ne s'en servaient guère que pour leurs voyages et usaient, pour leurs promenades dans l'intérieur de la ville, d'un moyen de transport plus facile, la chaise à porteurs.

C'est ainsi que, si nous trouvons en 1687 Jan Le Roux, cocher de l'Evêque, nous trouvons aussi en 1733 Jan Lécuyer et François Gourio qui se disent « porteurs-domestiques de Mgr l'Evesque » ; en 1741, Julien Pincemin est porteur de M. le Cte de Beaucours-Loz ; en 1722, le Sgr de l'Epine-Guen, Messire du Fou se fait porter en chaise à l'issue de la grand-messe à la croix du Martray pour recevoir de chaque cabaretier, le pot de boisson qu'ils lui doivent et, en échange, leur offrir un jambon pour leur déjeuner et les faire danser au son des musettes.

Les grands seigneurs étrangers eux-mêmes, quand ils se déplaçaient, amenaient les leurs avec eux, tel ledit Claude Defrance « porteur-domestique » de Mgr d'Aiguillon ; venu de Rennes avec lui quand celui-ci vint à Saint-Brieuc représenter le Roi aux Etats en 1759 et poser la première pierre du quai du Légué qui porte son nom, et qui mourut le 22 février à l'hôpital.

Il y avait même des porteurs publics pour le service des particuliers. Ainsi Charles Le Doré et François Blanchard, en 1741 et 1742, se qualifient porteurs de chaises et Jean Martin, d'Evran, dans son acte de décès du 16 novembre 1726, est dit « associé avec des porteurs de chaises » (Reg. paroissiaux de St-Michel de St-Brieuc).

Quant aux gens de la campagne, trouvant avec juste raison que, s'il était déjà difficile, à travers les obstacles de toute nature que nous connaissons, dépôts d'immondices, de matériaux, petits ponts ou passerelles jetés sur les ruisseaux, etc., de passer même dans les plus grandes rues comme celle de Saint-Gouéno où, lorsque, dans sa partie la plus large deux voitures chargées essayaient de se croiser, il n'y avait plus de place pour le piéton, il était presque impossible ou, au moins, très risqué de se servir de celles qui aboutissaient aux marchés, les rues Fardel, de Pondichéry, du Four-Pohel, des Echaudés ou Saint-Jacques, aux Toiles, de la Clouterie, la place et rue Ès-Féronniers qui lui font suite, etc., qui étaient précisément les plus étroites de toutes.

Que deux charrettes, entrées par les deux extrémités, vinsent à se rencontrer, ou qu'une charrette fût obligée de s'arrêter, toutes celles qui suivaient, ne pouvant ni avancer ni reculer, étaient aussi immobilisées, et s'accumulaient les unes derrière les autres. C'était l'encombrement et l'arrêt complet de la circulation et la cause de désordres et d'accidents.

Aussi trouvaient-ils tout naturel d'apporter leurs denrées à dos de cheval et, si des marchandises trop lourdes nécessitaient l'emploi de la charrette, ils arrêtaient leurs attelages partout où ils trouvaient un emplacement libre.

La police avait prévu le cas et l'article XXIV du règlement leur ordonnait de ne point laisser leurs, chevaux sur la voie publique et de les ramasser dans des écuries « que les marchants aportants leurs marchandyses à vendre en ceste ville estableront leurs chevaulx, sans les laisser aulx lieux et places publicquement attachés, pour éviter à ce que les personnes ne soient offancées par eulx ».

Pour les gens qui avaient à rester longtemps en ville, la mesure était bonne, mais pour ceux qui, la plupart du temps, n'y passaient que quelques instants ou avaient besoin dans plusieurs endroits, elle était inapplicable. C'était du temps perdu et, d'autre part, une petite dépense, or le paysan n'avait point de temps à perdre et n'a jamais aimé à dépenser son argent inutilement.

Aussi, sans tenir compte de l'art. XXIV, ils arrêtaient leurs voitures sur la voie publique, attachaient leurs chevaux aux grilles des jardins, aux portes des maisons, aux devantures des boutiques, sans se préoccuper de la gêne qu'ils causaient aux habitants. D'autres fois, quand ils trouvaient les portes des cours ouvertes, ils ne craignaient point d'y entrer et d'y installer leurs animaux. Aussi les plaintes étaient-elles continuelles.

Cependant la police ne restait point inactive. Elle avait d'autant plus le droit de chercher à réprimer un abus qui était un danger public, qu'elle offrait aux voituriers les emplacements dont ils avaient besoin « leur a esté néanmoins permis de les mettre (leurs chevaux) dans des lieux rebons [Note : Lieux rebons, lieux écartés, vagues, abandonnés] et qui ne sont point de passage, de manière que le publique n'en soit point incommodé ».

Le 15 octobre 1701, le Sénéchal défend encore « à tous les paysans et gens de la campagne, qui viennent en ville avecq des chevaux les jours de marché, de les attacher aux grilles et trelis des habitans à peine de 20 sols d'amande par chaque cheval ». Il ajoute, à la suite d'une plainte des Bénédictines portant que « aux jours de marchés ceux qui viennent vendre du bled mettent, leurs chevaux dans le chemin appelé la petite-aire, à l'entrée de leur couvent et jusque dans leur cour…… deffense de continuer sous peine de 10 l. d'amande aux délinquants ».

Tout ceci nous donne une idée des difficultés de la circulation et des embarras causait aux habitants et des mesures de surveillance qu'elle nécessitait. Certes, ces inconvénients n'étaient point exclusifs à Saint-Brieuc, toutes les petites villes les subissaient à des degrés divers. Les grandes et Paris lui-même, si l'on en croit Boileau, n'en étaient point exemptes :

« Là, sur une charrette, une poutre branlante
Vient menaçant de loin la foule qu'elle augmente
..........
D'un carrosse en tournant il accroche une roue,
Et du choc le renverse en un grand tas de boue :
........
Vingt carrosses bientôt arrivant à la file
Y sont en moins de rien suivis de plus de mille ;
...........
Je saute vingt ruisseaux
..........
il survient une pluie :
......................
Pour traverser la rue, au milieu de l'orage
Un ais sur deux pavés forme un étroit passage,
.............
Il faut pourtant passer sur ce pont chancelant :
Et les nombreux torrens qui tombent des gouttières,
Grossissant les ruisseaux, en ont fait des rivières.
J'y passe en trébuchant... ; »
.

Si la première partie, appliquée à Paris et grossie encore par l'imagination du poëte, semble un peu exagérée pour Saint-Brieuc, il n'en est pas de même de la seconde et l'occasion de se servir de ces ponts branlants pour traverser les rues trop souvent inondées et les canaux fangeux de la Venise briochine n'était que trop fréquente.

Boileau ajoute encore :

« ….. Sitôt que du soir les ombres pacifiques
D'un double cadenas font fermer les boutiques
..........
Les voleurs à l'instant s'emparent de la ville.
Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté ».
Malheur donc à celui qu'une affaire imprévue
Engage un peu trop tard au détour d'une rue !
Bientôt quatre bandits lui serrant les côtés,
La bourse ! ... »
.

Le poëte écrit une satire ; il ne faut donc pas prendre à la lettre tout ce qu'il dit. Paris était-il aussi dangereux la nuit qu'il le prétend ? Les apaches y étaient-ils autant les maîtres des rues qu'aujourd'hui ? C'est possible, mais, en tous cas, il n'y a plus ici de comparaison à établir avec Saint-Brieuc. Les rues de Saint-Brieuc n'étaient point, heureusement, des coupe-gorges abandonnés aux voleurs et aux bandits.

La population était calme et tranquille.

Les assassinats étaient excessivement rares.. Dans une période de cent ans, les registres des décès, s'ils constatent le décès de quelques personnes trouvées mortes subitement dans les rues ou sur les chemins, ne nous en nomment peut-être pas trois qui aient succombé à la suite de coups et de blessures volontaires.

On prétend, d'après les registres des délibérations de la Communauté de Ville qu'en 1724 des désordres furent causés par des « coureurs de nuit et des libertins » et qu'en 1726 un employé des fermes fut assassiné en pleine rue (Lamare, Histoire de Saint-Brieuc). Les registres paroissiaux des décès de Saint-Brieuc ne nous parlent de rien en 1724 et ne mentionnent aucune mort violente. Quant à l'assasinat de l'employé des fermes en 1726, ils nous apprennent seulement qu'un nommé Jean Chariol, de Bordeaux, tonnelier de la ferme des vins, fut trouvé noyé au Légué le 15 octobre en même temps qu'un camarade Olivier-Tudual Poulailler. Est-ce lui ? Nous l'ignorons, mais, en tous cas, ce serait un accident arrivé à deux amis et non un assassinat.

Cela ne veut pas dire, toutefois, que les rues fussent toujours tranquilles la nuit et qu'il n'y eût pas quelquefois un peu de tapage.

La nuit tombée, les rues, déjà sombres pendant le jour, devenaient tout à fait noires. Aucun éclairage ne tentait de combattre l'obscurité. Seule, peut-être, la lueur tremblottante d'une lampe suspendue devant l'image d'une vierge ou d'un saint, protecteurs des maisons dans lesquelles elle était encastrée, se détachait de loin en loin dans le ciel noir, vague et imprécise comme une imperceptible étoile de dernière grandeur.

Aussi, n'y avait-il plus dehors que de rares passants.

A partir du moment où la famille se réunissait pour le repas du soir, personne ne sortait plus jusqu'au lendemain. La rue devenait déserte. La soirée se passait dans l'intimité autour du foyer domestique qu'on ne quittait que pour aller chercher dans le sommeil le repos pour se préparer à la tâche du lendemain.

Si, cependant, pour une cause quelconque, pour une affaire pressée et insolite, un bon bourgeois se voyait dans l'obligation de quitter momentanément sa maison, il ne se faisait pas prier, comme les bourgeois de Falaise à qui le Bailli avait tant de peine à faire allumer leur lanterne, pour user de cet ustensile, ou même pour se faire précéder d'un serviteur porteur d'un falot.

C'était une précaution indispensable pour éviter les obstacles, et les embûches semées à travers les rues sur leur passage mais c'était, malheureusement, en même temps, pour les coureurs de nuit, une indication dangereuse.

Si, en effet, comme nous l'avons dit, les rues devenaient désertes, elles ne l'étaient pas cependant d'une façon absolue ; et, si tous les hommes sérieux et paisibles étaient rentrés chez eux, on y rencontrait parfois une autre catégorie de retardataires, gens sans famille, préférant à la tranquillité du foyer la compagnie de quelques gais camarades, établis au cabaret en face de pintes de vin ou de cidre, y passant leurs soirées sans soucis et souvent au-délà des heures permises.

Il pouvait arriver de temps en temps que ces amis de la dive bouteille, surexcités par les fumées de libations trop prolongées et animés d'une gaieté trop vive, fissent du tapage en sortant du cabaret et réveillassent les bourgeois dans leur premier sommeil.

Ce n'étaient ni des voleurs ni des criminels. Cependant, comme quelques-uns portaient des armes qui, en cas de rixes et de querelles auraient pu devenir un danger, la police avait pris de prudentes précautions avec l'art. XXVII de son règlement :

« Est aussy deffandu et prohibé aulx mannans et habittans de ceste ville de ne porter espées, dagues ny armes à feu, sur painne de amande et confiscation et de la prison et de ne tirer de nuict harquebuses ny pistolles, ny de jour, synon qu'il seroient assemblés par leur capitaine ou lorsqu'ils seroient à tirer les jouiaulx acoustumés et lorsqu'ils iroient aux champs et hors ceste ville ; et est enjoinct aulx hostes d'advenir ceulx qui viendront loger en leurs maisons et hostelleryes de garder estas de la présante Ordonnance, sur painne d'en respondre ».

Ces armes étaient-elles donc si terribles ? Nous avons peine à le croire. Ce n'étaient point les couteaux à cran d'arrêt et les revolvers de nos apaches modernes. Les épées portées seulement la nuit et par des gens qui n'en faisaient pas métier et peu entretenues sans doute, devaient être quelque peu rouillées et mal affilées et les pistolets, laissant tomber du bassinet la poudre qui servait d'amorce, ne partaient pas.

Elles étaient bonnes surtout à effrayer les paisibles citadins qu'une mauvaise fortune avait obligé à quitter leur tranquille demeure.

C'est ainsi que, le 29 novembre 1700, une petite troupe de jeunes gens en goguette, rencontrant quelques bourgeois avec leurs bourgeoises en grande toilette, qui rentraient au milieu de la nuit d'une fête que leur avait donnée un de leurs amis, leur firent une conduite mouvementée avec un peu de rudesse avec les hommes et, peut-être, un peu trop de galanterie envers les dames.

Les Bourgeois furieux d'avoir été molestés et bafoués devant leurs femmes par ces impertinents et peut-être de la peur qu'ils avaient eue, s'empressèrent d'adresser à Mtre Salomon Compadre, Substitut du Procureur fiscal, une plainte que celui-ci, dès la première audience, le 3 décembre 1700, transmit au Sénéchal, en même temps qu'il déposait ses conclusions.

Il remontre : « que, au mépris des Ordonnances pour empêcher les désordres qui peuvent ariver par les coureurs de nuit, plusieurs jeunes gens affectent d'y contrevenir, courants les nuicts par les rues et mesme avecq des armes à feu et aultres pour entre plus en estat d'exécuter les mauvais desseins qu'ils ont et que l'horreur des ténèbres semblent leur faciliter, jusque à là que lundy dernier vingt et neuffviesme de novembre plusieurs Bourgeois et Bourgeoises de ceste ville, sortants d'un balle dans la Grande-Rue, furent arrestez et insultés par gens avinés et l'espée nue à la main avecq des pistolets qui tirèrent et ratèrent sur eux, ce que ces jeunes gens n'auraient peut-estre pas faict sy les cabaretiers, au mépris des Ordonnances de pollice, ne leur avaient donné à boire passé neuff heures ainsi qu'il leur a esté deffendu... pour obvier à ces désordres et à d'autres plus grands qui pourroient en ariver, requiert premièrement qu'il luy soit permis d'informer de ce qui ariva dans la Grande–Rue dimanche dernier environ l'heure de minuit et, pour cet effet, d'obtenir de faire publier Monitoire et qu'il soit faict deffence à touttes personnes, passé les dix heures du soir, de rauder dans les rues armés ou non armés ».

Il est bien entendu que ces conclusions furent adoptées sans débats.

Qu'advint-il de l'enquête et du Monitoire au sujet des coureurs de nuit ? Furent-ils poursuivis ? Nous n'en savons rien, les registres n'en parlent plus.

Il est à croire qu'on s'en prit surtout aux cabaretiers que le réquisitoire du Procureur fiscal, considérait comme la cause principale des scandales qui se produisaient pendant la nuit dans la ville par leur négligence ou la mauvaise volonté qu'ils mettaient à observer les Ordonnances que la police était constamment obligée de prendre contre eux et dont ils ne tenaient aucun compte, d'autant que cette affaire de l'attaque des Bourgeois se produisait après une dernière, particulièrenient sévère, promulguée le 1er octobre, c'est-à-dire un mois à peine auparavant, disant que « par un abus contraire aux bonnes mœurs et à touttes les Ordonnances de police, les cabaretiers de ceste ville... et, particulièrement ceux qui se trouvent dans les lieux rebons et écartés, donnent à boire indifférament à toutes les heures de la nuit et jusques au jour, facilisant les esprits libertins à mener leurs débauches et libertinage jusques au dernier excès, d'où il arive des querelles, et des batteries presque touttes les nuicts », pour ce à quoy obvier le Procureur fiscal requiert « qu'il soit faict deffences à tous les cabaretiers débitans vins, cidre et eaux de vie, de débiter et donner à boire passé neuff heures du soir, à paine de cinquante livres d'amande applicables à l'hôpital et de répondre de leur propre et privé nom de tout ce qui peut ariver au préjudice de la présente remontrance et Ordonnance qui interviendra sur icelle, laquelle il luy sera permis de faire bannir et publier à son de tambour à ce que personne n'en ignore et que tous les cabaretiers et débitans ayent à y garder estat ».

Nous avons étudié les rues au point de vue surtout de l'encombrement qui s'y produisait par suite des conditions dans lesquelles elles étaient bâties et des dépôts de toute nature qu'on y laissait séjourner, mais il y en avait un autre que nous ne devons pas négliger, parce qu'il est de la plus haute importance et dont la police avait particulièrement à se préoccuper, celui de la salubrité et de la santé publiques.

Il est certain que des rues, placées dans un bas-fonds, sur un sol humide, inondées bien souvent, où les maisons trop rapprochées empêchaient le soleil de pénétrer, devaient être nécessairement malsaines.

Aussi les épidémies étaient-elles très fréquentes.

Sans compter celle si terrible de 1607, à l'occasion de laquelle on avait été dans la nécessité de coenstruire des bâtiments de secours, un hôpital provisoire, en dehors de la ville, près la Fontaine-à-Loups, dans l'emplacement de cette croix, dite Croix-de-Santé, qui en rappelle encore aujourd'hui le souvenir, on peut dire qu'à des degrés plus ou moins violents, elles étaient presque constantes.

Le tableau suivant de la mortalité à Saint-Brieuc, pendant une période de vingt ans, nous montrera quelles différences il y avait, pour une population moindre de 8000 âmes, entre les années qu'on peut appeler normales où le nombre des décès restait aux environs ou même au-dessous de 200 et celle de 174 1, par exemple, où ils atteignaient le chiffre énorme de 623 :
ANNÉES.....DÉCÈS.
1734.....199 ; 1735.....305 ; 1736.....259 ; 1737.....194 ; 1738.....354 ; 1739.....219 ; 1741.....623 ; 1742.....373 ; 1743.....259 ; 1744.....189 ; 1745.....191 ; 1746.....227 ; 1747.....231 ; 1748.....434 ; 1749.....189 ; 1750.....172 ; 1752.....207 ; 1753.....165 ; 1754.....248 ; 1755.....322

Les raisons que nous avons données de l'insalubrité de la ville n'étaient pas les seules. On doit y ajouter d'abord la malpropreté, l'incurie et l'insouciance des habitants. Le balayage qui devait être fait tous les jours ne l'était point et les saletés et les détritus de la semaine restaient étendus sur le pavé. Mais il y avait par dessus tout les Ingoguets.

Ces Ingoguets dont nous avons déjà parlé à l'occasion des entraves qu'ils apportaient à la circulation et sur lesquels nous disions que nous reviendrions, étaient des canaux de un mètre environ de côtés, maçonnés en pierres, qui traversaient la ville basse dans tous les sens. C'étaient les égouts de la ville, mais égouts dans toute leur hideur ; tout y était jeté. Dépotoirs immondes où toutes les ordures de la ville, toutes les immondices, même les produits des latrines, que les bons bourgeois ne se gênaient pas pour y établir, venaient se mêler. Non-seulement ils traversaient les rues à ciel ouvert, quelquefois même les suivaient dans toute leur longueur, passant sous les maisons où ils n'étaient recouverts que par l'épaisseur d'une planche, abominable sentine de puanteur et d'infection, aussi répugnante pour la vue que pour l'odorat.

Ces égouts n'ont point encore entièrement disparu vers 1910 ; il en reste encore, mais du moins ils sont cachés. Celui qui, partant de la rue Jouallan, coupait la rue Saint-Gouéno et contournait l'Allée-Menault pour aller la rejoindre à son extrémité et sur lequel la voirie municipale avait en ces derniers temps établi un urinoire, se voit toujours sur la place du Théâtre. Celui qui venait de l'Evêché continue à passer sous le couloir qui sépare les maisons nos 1 et 3 de la rue St-Gilles pour aller retrouver le précédent.

Or, comme ces égouts n'avaient pas toujours une pente suffisante et qu'ils n'étaient lavés que par les eaux pluviales où celles provenant du trop-plein des fontaines, toutes des matières ne circulaient que difficilement.

Mais qu'était-ce donc, lorsque les bourgeois imprévoyants y envoyaient tout ce qui les gênait, jusqu'à des gravats et décombres, ou négligeants et insoucieux ne surveillaient pas ces cloaques qui passaient à travers leurs maisons ou leurs cours et laissaient leurs latrines se remplir. Toutes ces matières lourdes s'accumulaient, s'aggloméraient et finissaient par obstruer tout passage. Alors les eaux arrivant imprégnées de tous les éléments morbides et malfaisants qu'elles avaient ramassés dans leur passage à travers les infections de ces égouts, trouvant devant elles un obstacle qu'elles ne pouvaient vaincre, s'arrêtaient, débordaient des Ingoguets, envahissaient les rues et s'étendaient en une large mare remplie de tous les détritus, résidus de latrines, fumiers et autres, qu'elles avaient rencontrés sur leur passage, dégageant des miasmes pestilentiels et délétères, véritable source d'infection et de maladies.

Mais ce n'était pas tout encore et ce n'était pas seulement à la surface que ces Ingoguets commettaient leurs méfaits.

L'étanchéité de leurs murs était loin d'être parfaite et les liquides putrides qui en sortaient s'infiltraient en terre et allaient empoisonner les puits et les fontaines qui se trouvaient sur leur passage. C'est ainsi que l'importante fontaine de la Hellio qui servait à l'alimentation de tout le quartier, située au coin des rue des Tanneurs et de l'Allée-Ménault, mais au point de jonction de trois Ingoguets, les deux dont nous venons de parler et un troisième venu de la rue Saint-François (Rohan), dût être fermée et supprimée pour cause de contamination.

En résumé, les Ingoguets étaient un fléau pour St-Brieuc et s'ils n'étaient pas la seule cause du mauvais état sanitaire et des maladies qui dépeuplaient la ville, nous pouvons dire qu'ils en étaient la principale.

La police, cependant, ne restait pas inactive ; le règlement le constate :

« ART. XIX. — Il sera faict feur et marché à estaincte de chandelle, en l'auditoire de lad. court, à jour d'ordinaire, apprès l'avoir banny à prosne de grand'messe à Sainct-Michiel, église parrochialle, pour curer et nétoier la ville et l'entretenir nette ; et celluy qui en prandra la charge sera tenu aller ou faire aller par les rues de lad. ville deulx foys la sepmaine, au mardi et vendredi, pour curer ou faire curer les rues et porter ou faire porter les immondices hors les advenues et aulx endroits où lesd. immondices ne puisent préjudicier et nuire, ou empescher les grands chemins et a ce qu'elles ne puissent auchunement par inovation ou autrement entre ramenées en lad. ville ».

« ART. XX. — Chacun devant sa maison sera tenu nétoier et amasser les immondices en ung monceau ou les amasser dedans paniers en leurs maisons affin que le chartier puisse, incontinant qu'il viendra, les charger sans retardement ; et, au poiement de ce seront contrainctz chacun, de quelque qualitté, estat où condiction qu'il soict, à esgard de justice, sans déport, néantmoins oppositions ou appellations et sans préjudice d'icelles ».

L'organisation était très simple. D'un côté, les habitants chargés de balayer leurs pavés tous les jours et de mettre en tas les balayures ou de les déposer dans un panier, une poubelle du nom d'un Préfet de police qui ne les a pas inventées ; de l'autre, des employés de la ville chargés de venir deux fois par semaine enlever ces paniers et d'aller les vider et déposer les ordures au loin.

Cétait bien ; mais il y avait un point noir. Cette charge imposée aux riverains semblait lourde aux servantes. Peut-être le mardi et le vendredi consentaient-elles à la remplir ; mais, quant aux autres jours, elles n'en voyaient pas la nécessité. En effet, ou il leur fallait empiler les unes par dessus les autres dans un panier les ordures qu'elles tiraient chaque jour de la rue et les conserver à la maison pendant une demi semaine, ce qui n'était pas propre, ou, si elles se contentaient de les mettre en monceaux, comme ceux-ci allaient être immédiatement dispersés et rejetés sur le pavé, elles trouvaient que c'était du temps inutilement perdu.

Mais le Sénéchal ne se préoccupait pas de l'ennui des servantes, il ne pensait qu'à la salubrité de la ville et renouvelait, sans cesse ses arrêtés.

Le 2 décembre 1690, il « enjoinct à touttes personnes de balayer les pavés et oster de sur les bois, marnix et autres immondices sur peine de 10 l. d'amande ».

Le 14 octobre 1701, est promulguée une nouvelle Ordonnance : « est fait injonction, dit-elle, à touttes les servantes et domestiques et aux particuliers qui n'en ont point, de nettoyer leurs pavés, chacun en droit soy, tous les jours soubz les huict heures du matin à peine de dix sols d'amande par chaque contravention qui seront payés par lesd. maîtres et maîtresses à l'esgard des domestiques, sauff à les retenir sur les gages de leurs domestiques ».

Ces Ordonnances n'étaient point seulement sur le papier ; elles étaient réellement appliquées et le juge qui les avait rendues exerçait une surveillance active et faisait souvent des tournées à travers la ville pour voir si elles étaient obéies.

Voici le procès-verbal de la visite qu'il fit le 13 janvier 1691 :

« Descendus affin de visiter les pavés et vérifier de l'exécution de nos Ordonnances de police d'hier..., si les particuliers et les habitants ont nettoyé et osté les immondices, bois et marnix, à quoy procédant, avons trouvé que les pavés de la boutique de Michel Jourdan, la place du Martray de cette ville, le pavé de Dlle Marguerite Hée, celui de l'appelé Hernio non baléiés et remplis de boues, pour quoy avons condamnés lesd. Jourdan, Hée et Hernio à chacun dix sols d'amande et l'appelée Suzanne Cousturier, près le Martray, à vingt sols et, faute de les avoir payés, avons faict exécuter cheiz eux sur le champ, scavoir chez led. Jourdan un cuveau dans lequel il y a un peu de grueau, cheix lad. Hée, un plat qu'elle a retiré en l'endroit en payant au Greffier son amande, cheix la Cousturier une pezée de fer de trante livres ou environ et cheix led. Hernio, trois siseaux de fer que nous avons confisqués au proffilt de la seigneurerie si aucuns lesd. particuliers n'aiment payer la susd. amande, et, continuant, avons trouvé les pavés de l'appelé Bogran, confiseur, salle et non balléié, pourquoy l'avons condamné à dix sols d'amande, à quoy au lieu d'obéir, pour ses insolances et violances de sa femme, l'avons de recheff condamné à quattre livres d'amande et, faute par luy d'avoir payé l'amande, avons faict exécutter cheix luy un petit mortier de cuisine avecq un pilon de mesme métail et confisqué au proffilt de la seigneurie sy mieux n'aime payer la somme de quattre livres dix sols d'amande. Avons aussy trouvé les pavés des Quéro, père et fils, maréchaux, de Thomasse Le Maigre et Jan Briand, celuy des filles du sieur de la Craize, celuy de Michel Morin, celuy de la veuve de Dréau, lesquels avons condamné à pareille amande de dix sols chacun, desquels lad. Briand a payé pour sa part au Greffier et faulte aux autres de le faire, avons faict exécutter cheix eux sur le champ, scavoir cheix les Quéro... et deux marteaux, l'un à férer les chevaux, l'autre à forger, cheix lad. Le Maigre, un chaudron, cheix led. Morin, un petit bassin d'airain que nous avons confisqué comme devant et à la même option des particuliers ; avons condamné pareillement à dix sols d'amande le Sr du Boismarcel [Note : Mtre Charles-Vincent Thérault, Sr du Boismarcel qui était à cette époque Procureur-Syndic, faisant fonctions de Maire et Député de la ville de Saint-Brieuc], pour n'avoir pas vidé le pavé du Clos-Gibelet, donnant sur la rue de Gouët, de quantité de terres et marnix, pareillement dix sols d'amande a Jan Basset pour avoir laissé du marnix aussy aud. Clos... Avons trouvé que les pavés de Lapierre, maréchal et de l'appellé La Volette non ballaillés, lesquels avons condamné scavoir : led. Lapierre à cinq sols et led. La Volette, deux sols et faute de paiement avons faict exécutter cheix eux, sçavoir : chez Lapierre, un marteau et cheix La Volette, une assiepte d'estain et confisqué comme cy-devant avecq la même option... et pour n'avoir pas trouvé le Marché-au-Bled net, avons condamné la veuve de Pierre Feuregard ayant led. ménage à trante sols d'amande et faute à elle de payer, avons ordonné aux sergents d'exécutter cheix elle... à quoy voulant procéder, la veuve dud. Feuregard les a repoussés avecq violance à l'aide d'un homme de haute stature qui s'est trouvé cheix elle, que on nous a dit estre son gendre, pour lesquels violances et insolences avons ordonné aux sergents de les conduire prisonniers, ce qui a esté faict, aux prisons royaux ».

Il aurait été permis de croire que les mesures rigoureuses prises par la police, ces visites fréquentes à travers les rues, la constatation des flagrants délits, la condamnation et l'exécution de la sentence sur le lieu même et sans désemparer, les amendés exigibles sur le champ sans opposition ni appel, les saisies opérées d'emblée chez les mauvais payeurs, auraient dû faire réfléchir les paresseux et faciliter la tâche des magistrats pour l'application de leurs Ordonnances, mais il n'en était rien, et ils étaient obligés, au contraire, de les renouveler à chaque instant et de continuer le cours de leurs inspections. C'est ainsi que, trois mois plus tard, le 7 avril, nous voyons le Sénéchal en train de faire sa tournée :

« Nous, Joseph Greffier, Sénéchal.., descendu dans les rues et calfours... pour voir sy les particuliers et habitants avoient palliés leurs pavés, osté les bois, marneix et immondices suivant nos précédentes Ordonnances de police publiées encore ce jour à son de tambour... avons trouvé, dans la rue Fardel, les pavés de Noël Basset, Jan Le Nostre, Louis Gaultier et Jan Briand non balleiés et nettoyés, pourquoy les avons condamnés chacun à deux sols..., dans la rue Clainquaine, le pavé de Jacquette Nicolas non balléié, pourquoy elle a été condamnée à deux sols ; dans la rue de Gouët, les pavés de Guyonne Gueret et Françoise Morin , non nettoyés, lesquels ont esté condamnés à chacun deux sol ; dans la rue Saint-Michel, les pavés de l'appelé Paulart, hoste, et de Françoise Quintin tous rempli de boue, pourquoy les avons condamnés, sçavoir : led. Paulard à cinq sols et lad. Quintin à deux sols et, dans la rue Saint-Guillaume, les pavés du fils du massier de Saint-Michel, de Jan Gaudu, de Jacques Voisin non balléiés, mesure ceux du Mareschal et de Catherine Lorans, pourquoy ils ont esté condamnés chacun à cinq sols, à la réserve du fils du massier qui n'a été condamné qu'à deux sols ; sur le pavé de Marc Gaultier, un monceau de marnix lequel avons confisqué au proffilt de l'hôpital et led. Gaultier, condamné à quinze sols... et, dans les rues Jouallan et Saint-Gouëno, les pavés de l’hostel du Petit-Lion-d'Or..., du Sr Bourneuf-Guiheneuc, de Marc Sévestre, du Sr Garenne-Guillou et de la dame de la Ville-Guyomar et les avons condamné à deux sols, à la réserve de la dame de la Ville-Guyomar qui, pour la récidive, a esté condamné à dix sols au promit de la seigneurerie... ».

Dix ans plus tard, le 17 octobre 1701, c'est un autre Sénéchal, Louis Barazer, Sr de Hauteville, qui, accompagné de Mtre Hilarion Le Saulnier, son adjoint, « ayant trouvé que les cy-après n'avoient point ballayé leurs pavés, les condamne et les faict exécuter sur le champ, sçavoir : Jan Delaporte, hoste à l'hotel de Rohan, à dix sols, M. de Beauchesne-Serville, Michel Doublet, Morice Alleno, Mlle de la Villeglé, Des Graviers, rabilleur de bas, chacun à cinq sols ; le fournier du Chapitre, à dix sols et Chapin, marchand, Anne Totevin et Bougeard, boutonnier, aussy chacun à cinq sols ... et sur lesd. sommes a esté payé aux quatres sergents Pierre Quéray, Allain Guillou, François Charpentier, François Barré, et le restant qui est trante sols, avons ordonné estte payé à l'hôpital, ce qui a esté faict ».

Quant aux Ingoguets, le règlement et la police s'en occupaient tout particulièrement.

« ART. XXIX. — Est ordonné que le ruisseau de Lingoguet sera curé et nettoié aulx despans de ceulx quy des maisons ou jardrins abortissants jusques au pavé et enjoinct auls propriétaires de faire relever leurs murs quy sont tombés, dedans quinzaine, sur paine et amande de soixante livres tournois ».

De la lecture de cet article il ressort deux faits : le premier, que la partie des Ingoguets qui passait dans les rues à ciel ouvert était surveillée et entretenue par la ville, mais que pour celle qui traversait les cours et maisons des habitants, dans lesquelles la police ne pouvait pénétrer, l'entretien et la propreté étaient à la charge de ceux-ci, et, le second que, si l'on considère le taux si élevé de l'amende dont était menacé le délinquant, les magistrats attachaient au nettoyage de ces égouts la plus grande importance. Aussi les juges rappellent-ils de temps en temps les négligents à leur devoir :

« Ordre, nous dit un arrêté du 23 février 1692, aulx habitants qui ont des maisons sur le grand conduit apellé le l'Ingoguet de le faire curer et nettoyer incessamment ».

Le 24 septembre 1700 : « Remontrances que, malgré les Ordonnances cy-devant rendues enjoignant à tous ceux et celles qui possèdent des maisons et héritages adjacents à l'Ingoguet de nettoyer chacun en droit pour faciliter l'évacuation des eaux et immondices de la ville, aucun desd. particuliers ny ont satisfait ; au contraire, chacun a affecté de combler cet Ingoguet en sorte que les eaux et immondices, bien loin de s'évaquer, demeurent et inondent par leur refoulement toutte la rue Saint-Gouëno et entrent jusque dans les maisons et cours des habittans de lad. rue et infectent la fontaine publique de lad. rue au préjudice de tout le publiq qui en souffre un notable préjudice et d'où il peut arriver de grands inconvénients... Pourquoy il est enjoinct à tous les propriétaires de maisons et héritages adjacents aud. Ingoguet, depuis la rue Jouallan jusqu'à la rue de Gouët, de faire nettoyer chacun en droit et dans quinzaine du jour de lad. publication de l'Ordonnance de sorte que les eaux et immondices ayent leur évacuation libre sur peinne de 20 l. d'amande par chacun des particuliers et que led. temps passé, faute à eux d'avoir satisfait à lad. Ordonnance, il sera permis de faire procéder à un bail à qui moins aux risques et fortunes desd. propriétaires ».

Deux mois plus tard, le 29 octobre, les habitants de la rue Saint-Gouëno n'ayant point obéi, paraît-il, le Sénéchal est obligé de recommencer « et comme la rue nommée de Saint-Gouëno est remplie d'eau et presqu'impraticable, par le deffaut des conduits par où elles doivent s'écouler bouchés et remplis... avons ordonné aux particuliers sujets au nettoyage dud. conduit de le faire nettoyer et vuider... et d'indiquer les réfractaires à notre présente Ordonnance, faute de quoy seront sujets à l'amande de 3 l. en cas que les eaux ne se trouvent pas écoullées dans trois jours ».

Mais le Tribunal ne se çontente pas toujours de parler et de menacer de faire faire les travaux nécessaires aux risques et fortunes des récalcitrants, il agit au besoin et un jugement du 27 janvier 1702 nous montre qu'il exécute ses menaces. « Faisant droit à la remontrance faite verbalement par Mtre Thomas Jouannin, Avocat et Procureur du Sr Guillaume Dagorne... a esté le Sr de la Roche, n. h. Hugues Souvestre, et Jacquette Odio sa femme, marchands et locataires d'une maison appartenante à n. h. Pierre Du Crest, marchand, Sr de la Villepebedor, époux de Dme Epivent, absent de cette ville, seize rue St-Gouëno, condamné de payer aud. Dagorne, par provision, la somme de soixante et seize sols pour la part et portion dud. Du Crest des frais qu'il a advancé pour le nettoyement et réparation et conduit commun entre eux et le Sr du Bourneuf-Guéheneuc, la Dlle du Taillis Hellye, comme héritière du feu Sr de Rochallon et Yves Du Bée, donnant sur la rue de l'Allée-Ménault, mesme de huit sols pour la pledoirye dud. Jouannin et des frais du retrait de la présente remontrance et signification d'icelle, parce que led. Sr de la Roche et femme auront déduction sur le prix dud. louage desd. sommes et frais ».

Les eaux qui servaient aux habitants pouvaient, elles aussi, devenir à certains moments dangereuses pour la santé publique. Les eaux sont souvent le véhicule des maladies et les Briochins, si peu au courant qu'ils fussent des règles de l'hygiène et des causes des épidémies, avaient pu s'en apercevoir.

Ces eaux provenaient de deux origines différentes : fontaines et puits. Les fontaines qui alimentaient Saint-Brieuc étaient, sans parler de la Fontaine-Orel qui se trouvait en dehors de la ville, au nombre de sept : les fontaines de l'Abraham, Macault, celle dite de « la Pompe », la Fontaine-à-Loups, celles de Saint-Gouëno, de la Hellio et du bas de la rue Quinquaine ou de la place de la Muzoire.

Les trois premières, sourdant sur les hauts plateaux dit « Champagne de la Bausse » et la quatrième, de celui des « Sablons », près Saint-Michel, en pleine campagne ; étaient pures, limpides, très abondantes et pouvaient être considérées comme sans dangers.

Les autres fontaines et les nombreux puits que possédaient presque toutes les maisons étaient situés, au contraire, dans les parties les plus basses de la ville. Ils étaient remplis par les infiltrations des eaux de pluie à travers les terres bourbeuses et fangeuses des marécages dans lesquels ils étaient creusés, et aussi de celles du trop-plein des fontaines supérieures qui découlaient à ciel ouvert à travers les rues et particulièrement celle du Ruisseau-Josse, en entraînant avec elles, avant d'arriver à la place de la Muzoire où elles disparaissaient (la Grille), toutes les impuretés qu'elles rencontraient sur leur chemin, même et y compris le produit des latrines de certaines gens sans vergogne, contre lesquels la justice était obligée de sévir, ainsi que nous le voyons par l'Ordonnance du 14 octobre 1701 où il est dit que « faute aux particuliers qui ont les lieux communs de leur maison remplis et quy dégorge dans les rues, de les faire nettoyer et mettre en estat dans trois jours... et a esté permis au Sr Compadre de faire un bail à qui moins ou de le faire nettoyer parce que des frais qu'il fera, il luy en sera délivré... vers lesd. propriétaires desd. maisons pour en estre payé par prefférence sur le prix du loyer d'icelles ».

La pollution de ces eaux avait donc bien des chances de se produire d'autant plus qu'elles avaient encore à craindre le voisinage des Ingoguets. La police le savait et faisait tout son possible pour l'empêcher. C'est ainsi que nous l'avons vue, le 24 septembre 1700, prendre des mesures contre les gens de la rue Saint-Gouëno qui, par leur négligence, laissent les eaux de l'Ingoguet « infecter la fontaine publique au préjudice du publicq qui en souffre et d'où il peut arriver de grands inconvénients » ; défendre en 1699 , de laver des linges sales auprès des fontaines de crainte que l'eau « venant à refouler dans lesd. fontaines les infectent, d'où il peut arriver grand inconvénient », et renouveler encore cette défense en 1701.

En outre, elle ne se lassait pas d'essayer d'empêcher les dépôts d'ordures et d'immondices dans les rues auprès des ruisseaux et le 12 mai 1703, elle rendait encore une nouvelle Ordonnance concernant plus particulièrement le Ruisseau-Jose : « Deffense de mettre ou faire mettre aucuns marnix, curailles, immondices dans le lieu apellé le ruisseau-Josse.., à paine de trante livres d'amande au proffit de l'hôpital avecq injonction à touts ceux qui ont mis ou faict mettre par cy-devant de les faire oster soubz la mesure peinne et de plus grande s'ils ne le font dans les vingt-quattre heures ».

La sévérité de la pénalité indique bien l'intérêt tout spécial qu'avait la ville à faire disparaître au plus tôt ces dépôts dangereux et malsains dans cet endroit plus qu'en tout autre et cependant les Magistrats ne furent point écoutés et ne purent rien obtenir, car le Ruisseau-Josse, chemin ou sentier inhabité sur le bord duquel aucune maison ne s'élevait était un terrain vague si propice et si commode pour les dépôts défendus et les habitudes si bien prises que, sans crainte des arrêtés et des amendes, les habitants continuèrent leurs errements déplorables et, jusqu'au milieu du XIXème siècle venaient encore y apporter toutes les saletés et toutes les ordures dont i!s ne savaient comment se débarrasser.

Quand, malgré ces précautions, le mal était devenu irréparable, la police était réduite à supprimer la source empoisonnée, comme elle l'avait fait pour la Fontaine de la Hellio.

Les magistrats, malgré toute leur bonne volonté, ne pouvaient prétendre à supprimer les épidémies ; les conditions insalubres du sous-sol sur lequel était bâtie la ville et les mauvaises habitudes des habitants leur étaient trop favorables pour qu'il fût possible de s'en débarrasser, et aujourd'hui encore que les temps sont changés, que les principes de l'hygiène sont bien connus, qu'on s'efforce de les appliquer, que la proprété des rues est surveillée, que le nettoyage se fait régulièrement, si leur action est moins meurtrière, elles n'en sont pas moins fréquentes. Cependant, il est à constater que, pendant les années qui suivirent celles dont nous avons parlé, c'est-à-dire de 1751 à 1788, sur lesquelles nous avons des données, deux cas sérieux seulement se produisirent, particulièrement contre les enfants, l'un de dysenterie en 1779, l'autre de variole en 1784, où la mortalité s'éleva à 498 et 396 et que, si l'on défalque ces deux années mauvaises, la moyenne des décès ne dépasse pas 247, inférieure à celle du commencement du XIXème sicle où elle monte, de 1800 à 1808, à 280 et, de 1816 à 1830, cette fois, il est vrai, pour 10,000 habitants, à 330.

II.

Nous avons vu, jusqu'à présent, comment le Tribunal de police avait fait tout son possible pour arriver à la satisfaction des besoins matériels des habitants, mais là ne se bornaient pas ses attributions et il avait à prévoir aussi et à protéger leurs intérêts moraux.

L'évêque, dont les juges. étaient les représentants, n'oubliait pas, en effet, que ses vassaux avaient aussi des âmes et que son titre de Seigneur spirituel lui imposait de montrer pour celles-ci la même sollicitude qu'à titre de Seigneur séculier, il avait témoignée pour les besoins du corps, c'est-à-dire de veiller à la salubrité morale comme on avait veillé à la salubrité matérielle.

Les Briochins croyaient en Dieu. Ils ne pouvaient admettre qu'ils ne fussent qu'un simple tas de boue, un groupe de cellules agglomérées, car ils sentaient en eux un élément que la Matière ne pouvait produire, l'intelligence.

Ils ne pouvaient comprendre, en voyant au-dessus de leurs têtes briller tous ces astres qui les éclairaient, les réchauffaient, que ce merveilleux spectaçle qu'ils admiraient ne fut que l'effet d'un hasard aveugle et inconscient.

Ils estimaient, au contraire, que tout cela était l'acte d'une Volonté puissante, d'une Force suprême qui, de rien, avait créé tous ces mondes, ces soleils, ces étoiles sans nombre, suspendus dans le firmament, ayant chacun ses destinées, naissants, vivants, mourants, se succédant sans cesse, circulant dans le temps et l’espace, dans un ordre parfait, en obéissant à une règle inflexible, sans heurts, sans accidents, en même temps qu'Elle laissait tomber sur un des plus infimes, cet atôme, ce grain de poussière en face de l'immensité, de structure si admirable, mais si fragile, duquel, en lui insufflant une âme et avec une certaine part d'intelligence, elle avait fait un être supérieur aux autres, l'Homme.

Cette Création était bien pour eux œuvre divine et ce Dieu qui, en leur donnant la conscience et le jugement en même temps que les sentiments d'affection, leur avait permis de s'élever jusqu'à lui et d'atteindre à sa connaissance, il leur semblait tout naturel qu'il eut droit à toute la gratitude et à l'hommage de sa créature.

Cette gratitude, l'homme avait plusieurs moyens de la témoigner, d'abord par le respect de son Saint Nom, les prières l'exactitude aux exercices du culte qui lui était rendu, les soins et la pompe qu'on apportait à la célébration des cérémonies, enfin par l'obéissance à ses Commandements.

Ce respect dû à Dieu était un devoir obligatorie pour tous et y manquer constituait un délit punissable.

Certes, en général, il était observé, mais, cependant, il pouvait arriver que des gens grossiers, sous l'empire de l'ivresse ou emportés par la colère, comme nous l’avons vu arriver à Mme. Doublet, vinssent à y manquer. Le cas avait été prévu et c'est pour cela que, sans doute sous l'inspiration de l'évêque, les magistrats avaient cru, avant de s'occuper de toute autre question, devoir commencer par là leur Règlement.

En effet, l'article 1er dit :
« A raison que les blasphémes énormes et exécrables contre l'honneur de Dieu provocquent et excitent son yre et indignation, causent scandale et horreur aulx gens de bien et craignant Dieu est deffendu à touttes personnes, de quelque qualitté qu’elle soict, de ne jurer ny blasphemer le nom de Dieu, sur les paines portées par les ordonnances et édicts du Roy et arests de sa court de Parlement ; et est enjoinct à touts sergents de se saisir desdicts blasphamateurs et les présanter par devant le premier juge de ceste court pour procéder contre eulx suivant lesd. ordonnances, édicts et arests ».

Mais le règlement va plus loin. Il veut que le culte aussi soit respecté et se fasse avec toute la décence convenable et n'entend pas que des indifférents et de simples passants, comme cela arrive encore bien souvent de nos jours, viennent, par une curiosite intempestive, sans respect pour la Maison de Dieu, déranger les fidèles dans leur pieux recueillement, et troubler les offices et il ajoute son article II :

« Est prohibé à tous mannans et habitants de ladicte ville et autres de non se pourmener aulx églises de ceste ville pendant le service divin sur peine de cent soulx tournois d’amande et de la prison ».

Cent sous d'amende et de la prison, cela donnait à refléchir. Pour la célébration du culte, nous n'avons que très peu de renseignements.

Dans l'intérieur de l'église, on voyait, comme partout les riches ornements, le luxe des vases sacrés, les broderies de soie et d'or qui garnissaient l'autel ou paraient les épaules des prêtres, les chants sacrés, la voix harmonieuse et puissante des grandes orgues, l’éclat des lumières resplandissant sur cette demi-obscurité que l'opacité des riches vitraux qui décoraient les fenêtres laissait tomber sur le sanctuaire, enfin toutes les splendeurs du cérémonial.

Quant aux cérémonies extérieures, c'étaient les processions et particulièrement celle de la Fête-Dieu, la fête populaire entre toutes, pour laquelle la population entière déployait fout son zèle. Tous voulaient que leur Dieu qui allait les visiter et se promenrer à travers la ville pour leur apporter ses bénédictions reçût un accueil digne de lui. Chacun tirait du fond de ses armoires, l'un, de riches tentures, l'autre, des draps grossiers selon ses moyens, pour orner le devant de sa maison. D'élégants reposoirs jalonnaient le parcours, probablement aux mêmes endroits qu’aujourd'hui ainsi que nous l'avons reconnu pour celui qui se dressait au carrefour des rues Charbonnerie et Saint-Michel. Un nombreux clergé précédant le Saint Sacrement devant lequel toutes les têtes s'inclinaient et tous les genoux fléchissaient et suivi de tous les hauts personnages de la Noblesse, des Magistrats de la Communauté de ville, des deux Cours royale et des Regaires, de tous les riches Bourgeois et d'un peuple pieux et recueilli, déroulait sa longue théorie à travers toutes les rues au son des chants et de la musique et même au bruit du canon, bruit aimé de la foule puisqu'il n'y a pas de fêtes publiques dans lesquelles il ne se fasse entendre, mais pourtant quelquefois bien dangereux lorsque, par suite de l'ignorance ou de la maladresse de l'artilleur ou de quelque cause imprévue ; il vient en un instant changer les réjouissances en deuil. C'est ce qui advint en 1723 au malheureux Jean Hernio, ainsi que le constate le certificat suivant donné pour lui faire obtenir une pension : « Délivré à Jean Hernio son certificat de probité et pauvreté pour se pourvoir pour pension alimentaire vers Monseigner de la Tour, Intendant de Bretagne, pour s'estre estropié des deux mains et des deux bras rompus en trois endroicts par un coup de poudre à canon dans le temps que led. Hernio le bourroist pour la solennité du Sacre, jeudi 3 juillet 1723 » (Registres paroissiaux de Saint-Michel).

Si les prêtres cherchaient à donner à cette cérémonie le plus d'éclat possible, si les habitants se joignaient à leurs efforts en ornant leurs habitations de tentures et de fleurs, la police avait aussi son rôle à remplir.

Il fallait que le Saint Sacrement, dans sa promenade à travers la ville, ne trouvât aucun obstacle sur son passage, que les rues fussent propres, nettes et dégagées de tous ces dépôts qui les encombraient ordinairement. Ordre était donné de faire un nettoyage supplémentaire (les jours ordinaires de balayage étaient le mardi et le vendredi) complet et spécial à l'occasion de la fête et le juge avait soin de veiller par lui-même à ce qu'il fût exécuté. Voici le procès-verbal que dressait, à cette occasion, le 14 juin 1691, quelques instants avant la sortie de la procession : « Mtre Antoine Le Normand, Alloué et juge ordinaire de police de la ville et juridiction des Regaires…. sommes descendus dans les rues de cette ville environ les huit et neuf heures du matin pour voir et visiter les maisons et pavés des rues par où doit passer la procession du Saint-Sacrement, à quoy procédant, avons trouvé la boutique de Pierre Etesse, boulanger, ouverte avec plusieurs pains exposés en vente sur icelle (toutes les boutiques devaient être fermées le jour de la Fête-Dieu), pourquoy l'avons condamné à dix sols d'amande ; ..... dans la rue Saint-Guillaume avons trouvé les pavés de un chapelier y demeurant salles et rompus, pourquoy, a esté pareillement condamné à 10 s. ; ..... ceux de Jacques Voisin, Jean Gaudu et Foursier (Fourchier ?) pareillement condamnés à dix sols que lesdits ont payé, mesme la femme dud. Foursier laquelle en payant nous avoit dit plusieurs impertinences, nous apellant volleur, pourquoy l'avons pareillement condamnée en 10 s. d'amende et ordonné le sieur Romain Le Parc et François Charpentier, sergens pris pour l'exécution de nos Ordonnances, l'exécuter présentement pour le payement d'icelle amande, ce que s'estans mis en debvoir de faire, led. Fourchier et sa femme s'y sont formellement et violement oposés, quoyque plusieurs fois par Nous sommés d'obéyr à justice et auroit la femme Foursier, en nostre présence, mordu ledit Le Parc en la main droit dont il auroit répandu beaucoup de sang (décidément les femmes étaient violentes à Saint-Brieuc et il n'était pas bon d'avoir affaire à elles), pour réparation de quoy avons réservé d'ordonner ce qu'il sera veu bon en justice apartenir ».

Nous avons dit qu'un autre moyen d'être agréable à Dieu serait l'obéissance à ses Commandements. Si la police ne pouvait l'imposer dans son règlement et se substituer ainsi aux prêtres chargés de la discipline de l'église, du moins en ce qui était de son domaine et de sa compétence, c'est-à-dire ce qu'elle pouvait réglementer et surveiller, comme le repos dominical et l'abstinence des viandes aux jours défendus, avait-elle fait tout ce qui lui était possible de faire.

Nous avons cité de nombreuses Ordonnances rendues par le tribunal portant défense à tous marchands de rien mettre en vente le dimanche, même les denrées alimentaires les plus nécessaires à la vie, sauf, par exception, pour quelques heures et dans des cas bien déterminés. Cependant ce n'était point encore suffisant et les Sénéchaux étaient souvent obligés de rappeler les habitants à leur devoir. Voici, entre autres, une Ordonnance rendue le 11 avril 1705 qu'il ne nous faut pas oublier parce qu'elle nous montre l'état d'esprit d'une partie de la population.

« Nous, ayant esté remontré par Mtre Denis Bernard, procureur fiscal de cette juridiction qu'il se commettoit dans cette ville un abus intolérable en ce que plusieurs personnes au lieu de sanctifier les dimanches, travaillaient et exersoient leurs métiers dans ces jours privilégiés comme dans tous les autres jours de la sepmaine, ente autres les Barbiers et Perruquiers qui jamais n'entendent la Grand'messe ny l'office divin, se contentants seulement d'une messe qu'ils entendent à la haste et qu'ils manquent souvent par des considérations humaines et par un vil intérêt, aussy que les Bouchers et Boulangers et autres marchands de denrées qui estallent et vendent les dimanches, ce qui est directement opposé au Commandement de Dieu qui ordonne : Les dimanches tu garderas - En servant Dieu dévotenent..... C'est pourquoy Nous, Louis Barazer .... faisons deffense aux Barbiers et Perruquiers de razer aucune personne de la ville le demanche et, aux Bouchers et Boulangers et autres marchands de denrées, d'estaller dans les halles, ny dans les places, ny devant leurs boutiques lesd. jours le dimanches à peinne de trante livres d'amande applicable moitié à l’Hôpital, et l'autre moittié au dénonciateur ».

Nous avons vu par les exemples précédents et particulièrement par les peines infligées le dimanche 6 janvier 1691, à Mme Doublet, au nommé Ernault, à la femme Fougeré, combien la désobéissance était rudement réprimée et nous venons de le voir encore à l'instant par la condamnation du boulanger Pierre Etesse.

Quant aux Bouchers, nous connaissons l'article XVI du règlement portant défense de vendre aucune viande aux fêtes de Pâcques, Pentecôte, Toussaints, Noël, de l’Ascension, du Saint-Sacrement et de Notre-Dame, « ny mesmes aulx jours de dimanche » et, si l'ont n'y parle pas du Carême et des autres jours prohibés, les Ordonnances de police viennent chaque année le compléter.

« Deffenses sont faites, nous dit le Sénéchal, le vendredi 10 février 1690, à tous bouchers et autres de tuer et débiter viandes pendant le temps de ce Caresme soubs quelque cause et prétexte que ce puisse estre, sans l'expresse permission de Messieurs le Sénéchal et Procureur fiscal, sous peine de confisquation des viandes et de 20 l. d'amande payables par provision nonobstant oposition quelconque et sera la présente Ordonnance publiée à son de tambour par tous les lieux ordinaires, à ce que aucun n'en prétende cause d'ignorance, par un sergent de ceste Cour ».

Vendredi 2 mars 1691 « déffence à tous bouchers de cette ville, autres que ceux qui seront commis, de tuer ni vendre de la viande soubs quelque prétexte que ce soit pendant le présent Caresme à peine de confiscation » et quoique la sanction ne se fit pas attendre, puisque six jours après la proclamation, le 8 mars, le Sénéchal confisquait au Sieur Coudray, boucher, au profit de l'hôpital en y ajoutant encore 30 sols d'amende, six veaux qu'il trouvait pendus dans sa boutique en contravention à son ordonnance, il était besoin ainsi que le constate Mtres Louis Barazer, de renouveler les défenses et même d’augmenter la pénalité.

Il nous faut parler maintenant du rôle de la police dans la surveillance de cette partie de la moralité publique qu'elle appelait les mœurs.

Pour bien connaître la moralité d'un pays, la première chose à faire, semble-t-il, est de rechercher le nombre des naissances illégitimes qui s'y produisent, leur provenance et les causes qui peuvent les augmenter ou les diminuer.

Nous allons essayer pour Saint-Brieuc.

Il ne semble pas que, dans la ville, le nombre des cas de naissances illégitimes ait été excessif.

Au XVIème siècle, dans les seize années, de 1536 à 1545 et de 1593 à 1599, qu'il nous a été possible de connaître, nous n'en trouvons que deux : celle de Guillaume Gicquel, le 23 janvier 1542 (n. st.) et celle de Jacquette Bedon ou Bedée, fille de Louis et Isabelle Dolou, baptisée le 8 juin 1541 : les compères furent Henri Dolo et Pierre Le Pape et les commères Jacquette de Couvran, dlle des Ligneries et Johanne Lochet, en présence de Jehan Bagot, Olivier Lochet, Vincent Guillou. Du reste, un mariage vint, peu après, réparer la faute et légitimer l'enfant.

Quant à la première, celle de Guillaume Gicquel qu'avait eu de Aliette Girard, sa servante, Jacques Gicquel, Sr. de l'Ecluse, à cause de la position du père, la situation de la famille et ses alliances avec tout le haut commerce de Saint- Brieuc, le baptême fût célébré avec une pompe et une magnificence que nous ne retrouverons plus dans les baptêmes des enfants légitimes des riches Bourgeois ni même de la plus haute noblesse du pays. On en jugera par le procès-verbal inséré dans le registre de la paroisse de S.-Michel :

« Guillermus Gicquel filius naturalis Jacobi Gicquel Dus de l'Ecluse et Aliette Gillart sue ancille fuit baptisatus in e(cclesia.) briocis [Note : La Cathédrale], par Dum Vincencinum Lescuyer et fuerunt b. patres Venlis et discretus vir, Magr Guillermus Favigo, canonicus briocis et Rollandus Gendrot et comatres domicelle Perrina Poullain et Barbara Conen, die lune de nocte vigesima tertia mensis january, anno quo supra milles quinqumo. quadr. primo et in sue laudis et honoris fuerunt organœ magnœ ipsius ecclesie sonatœ durante celebratione hujus modi baptesmi, pentibus ibidem Venlibus. et Magtris. Alano Favigo, Rectore de Goudelin, Francisco Gicquel dus de Beausep (mai) ne, Petro Moro, dus de la Villeberno, Thoma Le Ribault, dus du Vaubrient, Yvono Gendrot, dus des Rosayes, Jehanno Hillion, Mauricio Le Bigot, Carolo Le Ribault, Mauricio de Couvran et pluribus aliis ».

Malgré tout le luxe déployé à ce baptême le résultat pour la mère ne fut pas le même que dans le cas précédent. Soit que le caprice du Sieur de l'Ecluse pour sa servante fut passé, soit plutôt que celle-ci et son enfant fussent morts, il épouse peu de temps après dlle Julienne Poullain dont il a, quatorze mois plus tard, le 10 mars 1543 (n. st.), un enfant légitime.

Faut-il croire que parmi toutes les naissances contenues dans ces registres il n'y en ait eu réellement que deux d'illégitimes. C'est assez peu vraisemblable, ainsi que nous allons le voir quelques années plus tard. Ces registres sont incomplets et le chiffre des baptêmes devrait être plus considérable ; mais celui qui les tenait, Recteur, Curé ou simple Massier, n'était pas toujours disposé à se déranger [Note : Les registres de la paroisse Saint-Michel étaient, en général, très mal tenus, et très souvent donnaient lieu à des plaintes], et, en ce qui concernait les petites gens, et particulièrement les batards de filles-mères de bas-étage, si l'on baptisait très volontiers leurs enfants, on jugeait, sans doute, inutile de les enregistrer.

Ce qui vient confirmer notre opinion, c'est chiffre des naissances inscrites dans ces registres et s'élevant en tout à treize cent cinquante-deux, donnant ainsi une moyenne de 84 à 85, seulement. Or nous trouvons, dans une note consignée, à la fin du registre de 1593 à 1599, concernant les naissances de 1594, 1596, 1597 et 1598, pour les deux premières 135 et 137 baptêmes, tandis que les années 1597 et 1598, au cours desquelles se termina la longue et cruelle guerre de la Ligue qui avait causé tant de souffrances et où

La misère et les désastres furent tels, particulièrement pour Saint-Brieuc sur laquelle s'appesantissait en même temps une si épouvantable épidémie que ceux qui ne mouraient pas s'enfuyaient au loin pour éviter le péril, que la ville fut dépeuplée et perdit jusqu'aux deux tiers de ses habitants, n'en donnent plus que 72 et 47, et ne peuvent être comptées qu'à titre exceptionnel.

Faisant donc abstraction de ces deux années malheureuses, nous croyons pouvoir prendre pour moyenne normale le chiffre de 136 des précédentes au lieu de 84 évidemment au-dessous de la réalité.

Pour la période qui s'étend du 25 janvier 1628 au 16 août 1652, c'est-à-dire pendant un quart de siècle, il n'en est plus ainsi. Ici on ne nous cache pas le nombre des naissances illégitimes. Nous avons une liste contenant tous les noms, au nombre de cent soixante-cinq, des enfants naturels nés à S.-Brieuc pendant cette période (Registres paroissiaux de S.-Michel de mars 1628 à 1652) chiffre élevé puisqu'il représente environ quatre à cinq par an ou deux pour cent sur une moyenne annuelle de deux cents [Note : Nous avons additionné les baptêmes de quatre années prises à intervalles à peu près égaux : 1629-1635-1646 et 1652 qui nous ont été donné 205-186-215 et 183, ce qui fait une moyenne de 197].

Il n'est pas inutile de décomposer ce nombre pour connaître les éléments dout il était formé et arriver à se faire une idée de l'état général de la moralité.

On peut le diviser en différentes catégories. D'abord nous trouverons les enfants dont le père, avoué, est un habitant de la ville, ceux-là sont les plus nombreux, on en compte soixante-deux ; les enfants de prisonnières ou de vagabondes dépravées, avoués à un inconnu ou à « un passant rencontré sur le grand chemin », quarante-cinq ; ceux de parents vivant en concubinnage, quatre ; ceux de professionnelles, c'est--à-dire d'une même femme, mais avoués à des pères différents, au nombre de trente-neuf ; ceux de femmes étrangères, qui fuyaient leurs paroisses originaires pour venir faire leurs couches en cachette à Saint-Brieuc, douze ; enfin les sept déposés à la garde de Dieu par de pauvres mères qui ne pouvaient les conserver près d'elles.

Si l'on défalque les neuf enfants étrangers, les sept, exposés venus aussi, du dehors et aussi, les rares, enfants de la première catégorie qui ont pu voir leur naissance régularisée, par le mariage de leurs parents, il faut avouer, qu'il en reste encore au moins cent trente provenant les uns de ces femmes que nous avons qualifiées de professionnelles de la débauche et le reste de filles au cœur trop sensible et aux mœurs trop hospitalières.

Si nous trouvons ce chiffre très élevé, et il l'est en effet, comparativement à celui de la période précédente, cela doit tenir à des causes particulières que nous ne connaissons pas, mais passagères, car nous allons vair peu d'années après, un grand changement se produire.

Passons maintenant à cette période qui doit nous occuper plus particulièrement, celle qui commence en 1685 pour finir en l'année 1700.

On aurait pu croire que, pendant ces quinze années, la situation morale déjà peu brillante, aurait eu tendance, par suite de certaines circonstances nouvelles, telles que le voisinage des soldats, à empirer. Elle s'était, au contraire, beaucoup améliorée. L'introduction des soldats à Saint-Brieuc où des régiments ou portions de régiments vinrent établir leurs quartiers, qui aurait pu, être un élément dangereux pour la vertu des Briochines, car on sait que Mars fut toujours un grand séducteur, n'eut pas, cependant, de conséquences trop dangereuses.

Beaucoup de ces soldats arrivaient mariés à S.-Brieuc, d'autres y prirent femme, quelque-uns seulement abusérent du prestige de leur uniforme.

Les cent soxante-cinq naissances illégitimes que nous avons du constater précédemment pouvaient faire craindre que nous les retrouvions encore cette fois, au moins dans la proportion de 15 à 25, c'est-à-dire des trois cinquièmes soit quatre-vingt-dix-neuf. Or, en réunissant tous les baptêmes d'enfants naturels qui se sont produits pendant ces quinze années, à savoir : les trente-neuf avoués à des habitants de Saint-Brieuc ou voisins, les dix avoués à des soldats, les deux de filles, étrangères et enfin les trois abandonnés à la charité publique, nous n'arrivons qu’à un total de cinquante-quatre avec une différence en moins, de quarante-cinq à cinquante, c'est-à-dire presque la moitié sur le chiffre prévu. Encore faut-il faire remarquer que la population, avait beaucoup progressé et que la moyenne générale des baptêmes était passée de cent quatre-vingt-dix-sept à deux cent cinquante-trois, d'où il résulte que le nombre des enfants illégitimes n'est plus que de deux par an au lieu de quatre et de 0.75 pour cent au lieu de deux. Il s'est donc produit dans l'état de morale publique une grande amélioration.

Si nous voulons continuer notre enquête, allons prendre dans la seconde moitié du siècle suivant une autre période de quinze ans, de 1765 à 1780, par exemple.

Dans ces quinze années nous comptons quatre-vingt-dit naissances illégitimes ; mais, il nous faut tout d'abord en défalquer la moitié, quarante-cinq qui sont fournies par des femmes étrangères venues accoucher chez les sages-femmes de la ville.

Des quarante-cinq qui restent, attribuées aux femmes de S.-Brieuc, une partie provient de jeunes filles, qui se sont laissées séduire et dont trois, au moins, ont vu leur faute réparée par le mariage ; d'autres, de femmes que leur âge, et leur expérience de la vie auraient dû détourner des voies mauvaises, des veuves, lasses de leur solitude, qui donnaient le mauvais exemple aux plus jeunes. Nous en comptons sept, dont deux purent légitimer leur enfant ; enfin de professionnelles.

Le nombre des enfants illégitimes ayant encore diminué cette fois et celui de la natalité ayant, au contraire, passé de deux cent cinquante-trois à deux cent cinquante-sept, on voit que l'amélioration de la moralité s'accentue de plus en plu.

Jusque dans la première moitié du XVIIIème siècle, la mère d'un enfant naturel, en faisant connaître « avouant » sous la foi du serment [Note : 19 octobre 1637. Un enfant « d'une fille se disant avoir nom Marguerite Beaufay, de la paroisse de Loannec, en l'évêché de Tréguier, se disant âgée de trente-neuf ans, advoué à un gentilhomme passant sur le grand chemin, de Quintin à Lanvollon ; prinse par serment dit ne le cognoistre ; baptisé par Mire Julieu Chotard, ptre en la Cathédrale »] le nom de son complice, pouvait espérer qu’il trouverait au près de celui-ci, par pitié ou par respect humain une chance d'appui et de protection dans le cours de sa vie ; il n'en est plus ainsi à la fin. Maintenant l'enfant n'est plus déclaré que sous le nom de sa mère, le seul qu'il portera. Bien plus, dans nombre de cas, il est présenté au baptême par la sage-femme comme né de père et mère inconnus. Celui-là n'aura pas de nom du tout.

De tous ces enfants venus au monde en dehors du mariage, sans famille et bien souvent dans les plus misérables conditions, quelques-uns survivent et font souche à leur tour, d'autres meurent jeunes, mais jamais, à l'occasiôn de leur décès, il n'est question d'infanticide ou de crime.

L'infanticide est dû le plus souvent à l'abandon par leur séducteur de malheureuses filles odieusement trompées, répudiées par leurs familles déshonorées, craignant de ne plus pouvoir trouver par leur travail les moyens de nourrir leur enfant, sans oser espérer une union avec un honnête homme pour les réhabiliter, qui, perdant la tête et dans un moment de folie, succombent à leur désespoir.

A Saint-Brieuc les malheureuses avaient moins à craindre. La naissance d'un enfant naturel, si elle était une faute n'était pas toujours régardée comme un crime impardonnable, sur- tout lorsqu'il s'agissait de certains personnages. Nous avons vu le faste déployé au baptême du bâtard du Sr Gicquel. En 1634, Jeanne Morel, avouée à Ecuyer Hierosme Bernard, Sr de Lïslaval est nommée par Ec. Nicolas du Halgouët, Sr de Ploubanalec et dlle Janne de la Villéon en présence d'Ecuyer Jean du Halgouët Villeprée, dlle Françoise de la Villéon, écuyer Mathurin Auffray, Sr de la Villeaubry, du Vai Poybeault, etc. ; En 1643, Jacquette Routier a pour parain et maraine Mtre Claude de Lisle et dlle Louise Profit, assistés de Yves Le Privé du Moulin rouge, Helye de Hautgournar, Jean Paboul, Sr Saigné, Desboys, tous nobles bourgeois, etc., etc. ; d'autres ont des parents et amis.

Il était difficile pour une femme coupable, dans ces maisons étroites où toute la famille était resserrée, de dissimuler son état et d'autre part toute grossesse illégitime devait être déclarée officiellement au Procureur fiscal qui donnait reçu de la déclaration. En outre, elles ne connaissaient pas ces mesures préventives qu'une certaine école aujourd'hui, non seulement défend, mais encore préconise. Du reste, elles n'eusent trouvé autour d'elles ni faiseur, ni faiseuse d'anges. Elles acceptaient dans toute leur rigueur et subissaient avec résignation et courage les lourdes et pénibles conséquences de leur faute, soutenues qu'elles étaient par ce sentiment, inné dans le cœur de la femme, de l’amour de la mère pour son enfant, le dernier à s'effacer, même chez les plus dépravées.

Quant à la misère, la plupart des mères n'étaient pas riches, sans doute, mais leurs besoins étaient restreints et le luxe leur était inconnu ; en outre, elles pouvaient être sans inquiétude pour leur enfant.

L'attribution de paternité que faisait la mère sur son lit de douleur n'était point un vain mot. Le dénoncé était rendu responsable et devait, dans la mesure de ses moyens, contribuer à la nourriture et à l'entretien de son enfant. C'est pour cela que le Recteur de S.-Michel protestait, au sujet de Jean André, fils illégitime de Catherine, baptisé le 4 juillet 1701, avoué à François Guillou, « Ce garçon est à Hillion, nous dit-il, et a esté nourry mal à propos sur la Thrésorerie de S.-Michel de S.-Brieuc puisque on connaissait la mère et le père a qui on l'avouait, quoyque posé au Reliquaire » (Registres paroissiaux de S.-Michel. Naissances 1701).

En voici encore une preuve que nous fournit une lettre, malheureusement sans date, adressée au Procureur fiscal : « Monsieur,
Ma fille m'a dit hier au soir que vous l'aviez embarrassée en luy demandant le nom de la mère de Jean-Marie Guilloux. Ce Jean-Marie Guillou n'a de nom que celuy de sa mère, le père à qui on l'attribua l'a nourri jusqu'à l'âge de dix ans et, comme il croyait n'estre pas obligé de le faire davantage, j'eu pitié de le voir abandonner si jeune et j'en pris le soin jusqu'à ce jour. Voyla le vrai, mais que je ne voulus pas vous dire de crainte de luy faire de la payne a ce pauvre enfant. Je suis avec respect La Helligot »
[Note : Dans la série des registres des années 1770-1779 des naissances de la paroisse de Saint-Michel déposés du Greffe du Tribunal se trouvent amassées dans des poches formées par le parchemin des couvertures un certain nombre de pièces : dispenses accordées par les évêques pour cause de consanguinité, du parainage, etc., autorisations données par le Procureur fiscal de baptiser un enfant naturel après la déclaration de grossesse, etc., sans grande importance, en général, mais qui peuvent cependant, comme la lettre ci-dessus, fournir quelquefois un renseignement utile. Je n'ai pu, malheureusemeut, retrouver l'acte de baptême de ce Jean-Marie Guillou, qui nous eut donné les noms de la mère et du pére attribué et la date approximative de la lettre].

Si le père et la mère n'étaient point en état de subvenir aux besoins de leur enfant, ou que le père ne fut point « avoué » ou, enfin, que la sage-femme, en présentant le nouveau-né au baptême, le déclarât de père et mère inconnus, celui-ci n'était point abandonné par cela, et, défaut de parents, était recueilli par la Fabrique de la paroisse et élevé à l'Hôpital, ou mis en nourrice comme nous venons de le voir.

Le 14 juin 1622 « un enffant, fille trouvée ce jour environ les quatre heures du matin soubz le portal de St-Michel de St-Brieuc » baptisée par Mire Guilloux, subcuré, fut nommée Françoise par Françoise Chambrin, femme de Jean Le Sage, maraine et Jean Courcoul parain en présence de Anne Josse, Anne Abrahamet et Françoise Faguet.

Le 17 mars 1724, Catherine Ruellan, fille de Françoise « advouée au paintre qui a demeuré chez Huberdière, nommé René Renaud, au rapport de Jeanne Le Roux et de Isabeau du Pelineuc qui ont prins et déposé l'enfant à l'issue du baptistère » baptisée par F. Chevance, subcuré, eut pour parrain et marraine Mtre Jacques Charles qui signe et Catherine Le Barbier.

Le 2 février 1734 « a été trouvé dans le Reliquaire de St-Michel un enffant masle exposé duquel on ne cognoist le père ni la mère, a esté apporté à la grande église de Saint-Brieuc (la Cathédrale), pour estre baptisé, ou estoient présents et porteurs dud. enffant, Gilette Morel, Isabeau Le Roux, Jacquette Terlet, Jean Pelerin, parain et Françoise Le Breton, commère ».

Le 10 juin 1637, un petit enfant trouvé sous le Portal de St-Michel eut pour parain et maraine Mtre Salomon Girouet et Anne Gaultier.

Le 15 novembre 1662 « un enfant sous le portal de la paroisse Sainct-Michel.. a esté trouvé vers les six heures du matin dont le pére et la mère sont inconnus. a été baptisé et nommé par noble homme François Damar Sr de l’Etang [Note : Greffier à la Cour royale, fils n. François Damar, Sr de l'Abraham et de Dlle Louise Douallan] et de Marie Epivent » [Note : Fille de n. Louis Espivent Sr des Aulnays et de dame Jeanne Clément, mariée le 28 octobre 1673 à n. Jean Le Saulnier, Sr de Boqueho], etc.

Le 14 février 1690, une fille fut trouvée dans le Reliquaire de St-Michel, par le Sr Tresorier et nommée Louise par Louis Pinart et Jeanne Le Mée.

Mais S. Michel n'avait pas le privilège des expositions, il s'en faisait un peu partout.

Le 2 février 1675 un enfant fut trouvé exposé sous le grand portail de la Cathédrale, baptisé par Mire Noël Ango, Curé, et nommé Jean par Jean Le Perdu et Anne Lambrin, en présence de Julienne Oger, Margnerite Maro, Marie Tison, Gabrielle Motais, Thomasse Quintin, et autres.

Une fille exposée à Notre-Dame de la Fontaine le 25 janvier 1624, y fut baptisée par Mire Fr. Chevance.

C'est « derrière le Cul-de-lampe, de la Chapelle Saint-Pierre » que le 25 octobre 1724, fut trouvée « presque nue et sur une pierre vifve », une enfant qui fut nommée Charlotte par Marc Vial, âgé de 17 ans, de la rue St-Pierre et Charlotte Jagoret, du même quartier.

Le 25 août 1711, une fille est déposée sous le portail de Saint-Guillaume.

Le 4 avril 1699 une petite fille exposée « en l'église des Pères Cordeliers, à l'entrée, vis-à-vis l'autel de St-Joseph », baptisée par Mire J. Micault, curé, reçut de Mathurin Bondrap et Michelle Savet qui signent, les noms de Michelle-Cécile.

A défaut d'églises ou de chapelles, on cherchait un lieu quelconque dans les conditions requises, c'est-à-dire, où l'enfant ne pouvait tarder à être découvert et recueilli. C'est ainsi qu'un nouveau-né était trouvé le 8 juillet 1697 sur la place du Pillory, passage très fréquenté, sans doute sur les marches de la croix au pied de laquelle le Hérault de la ville faisait ses publications, et un autre, le 14 avril 1698, déposé sur le perron d'une maison prébendale, proche l'Hôtel de Rohan.

Marie-Vincente Tanguy fille illégitime de Françoise, de la paroisse de Plaintel, accouchée à la métairie de Ste Claire, aux villages, le 7 décembre 1779, ce fut une grande dame, Sainte Claire Marie Phelippot, de la Piguelais, dame de la Brulaire, fille du Sénéchal de St Brieuc, Vve de Messire Gabriel de Perrien et épouse de Mtre Jean-Baptiste Lefebvre Sr de la Brulaire qui accepta de la tenir sur les fonts.

Il arrivait même parfois que, pour des causes particulières, on ne gardait pas l'enfant à Saint-Brieuc et on l'envoyait au loin.

Le 15 novembre 1775, un enfant déclaré de père et mère inconnus « devra, nous dit son acte de baptême, par odre du Procureur fiscal, être déposé sous son seul nom de Jean-François à l'Hôpital Saint-Yves de Rennes ».

Tel fut aussi le cas de cette Marie Pélagie présentée au baptême le 4 janvier 1783 par Mathurine Le Glastin, sage-femme, qui déclare que « la mère dud. enfant était venue subitement se faire accoucher par elle et avait disparu aussitôt sans pouvoir avoir d'autre connaissance, si ce n'est qu'on lui a laissé l'enfant avec une somme de cent cinquante livres pour le transporter à l'Hôpital général de Rennes pour être admis au nombre des Enfants trouvés » et qui eut pour parrain n. Mtre Julien Vincent Halligon, avocat au Parlement, et, en 1785, d'une Rose Marie, de père et mère inconnus, baptisée le 28 juin et expédiée aussi à l'Hôpital général de Rennes.

Nous n'insisterons pas. Nous avons donné assez d'exemples, sinon trop.

Il n'est pas inutile, cependant, de faire remarquer la qualité des personnes qui consentaient à servir de parrains et marraines à ces enfants trouvés et du nombre de gens qui assistaient au baptême.

Autrefois tenir un enfant sur les fonts baptismaux n'était point regardé comme une simple cérémonie, mais comme un acte très sérieux créant entre les parrain et marraine un lien assez étroit pour être, comme une parenté très proche, un empêchement au mariage dont il fallait se faire relever, et les associant dans l'obligation qu'ils avaient acceptée de veiller sur leur filleul. Un bon choix était donc, pour ces malheureux déshérités, d'une importance capitale s'ils pouvaient y trouver un peu de cet aide et de cet appui dont ils avaient si grand besoin.

Les gens à qui il appartenait de s'occuper de la morale et de la surveillance des bonnes mœurs étaient, d'une part, le Ciergé, au point de vue religieux, et le Tribunal de police, au point de vue social.

Certes, les prêtres faisaient ce qu'ils pouvaient. Du haut de la chaire, ils prêchaient la pureté, la chasteté ; au confessionnal ils adressaient des réprimandes et donnaient de bons conseils, mais ils n'avaient pour eux que la force de la persuasion qui ne suffisait pas toujours à réprimer les mauvais instincts et à vaincre les tentations et les séductions perfides, aussi se contentaient-ils, la plupart du temps, lorsque la sage-femme leur apportait, avec l'autorisation du Procureur fiscal, un enfant naturel, résultat d'une faute commise, de lui administrer le sacrement de baptême et de l'inscrire sur les registres avec la mention « illégitime ». Mais quand ils avaient à faire à une femme coutumière du fait, de mauvaise vie habituelle, qui faisait de la prostitution un métier, alors n'hésitaient pas à lui infliger un blâme virulent et à la traiter selon ses mérites.

Voici comment en parle V. et d. Mire René de la Villéon, Recteur de St Michel :

12 février 1742, Louise Marqué, fille illégitime de Charlotte, fille débauchée.

Son prédécésseur V. et D. Missire Guillaume Trébouta, n'était pas plus tendre :

5 juillet 1738, baptême d'Etienne Girault, illégitime de Jeanne, débauchée.

5 avril 1736, Jean Bouyer, illégitime de Jeanne, débauchée depuis plusieurs années. C'était alors son troisième enfant.

Ici c'est la fille perdue dont la vie n'est qu'un scandale perpétuel, Jeanne Guillouet, dont il dit, le 25 avril 1723 dans l'acte de baptême de sa fille Jacquette, « femme libertine et ne méritant aucune foy, ny non plus à cet enfant qu'aux deux autres qu'elle a néanmoins avoués à un certain Robert, de Ploufragan », et le 1er décembre 1730, au baptême de Jacques « débauchée pour la sixième fois ».

Mais voici qu'il ne s'adresse plus seulement à une femme coupable, mais à toute une famille de professionnelles du vice et il laisse déborder toute son indignation. « Louise, fille illégitime de sa mère nommée Mathurine, aussy fille illégitime de la nommée Cyprienne, aussy scandaleuse que sa fille Mathurine susd. et ne vivant pas, non plus qu'elle, d'une conduite à mériter aucune foy ny en justice, ny ailleurs, estant touttes les deux mendiantes libertines et sans aveu comme sans probité. A esté lad. Louise née le mardy quatriesme de novembre mil sept cent vingt et un et baptizée par nécessité à la maison où cette mère et cette marâtre aussy irrégulière en matière de religion que de pureté ont rettenu cette Louise, leur fille, jusqu'à ce jour jeudy treiziesme dud. mois de novembre qu’elles l'ont fait rendre sur les S. S.
fonts ou je l'ay baptizée sous condition estant tenue par Maurice Courcoux, parrain, et Olive Boutin, marraine qui luy ont donné le susd. nom de Louise, sans autre aveu, ayant déclaré n'avoir esté à l'acouchement de lad. Mathurine et ne savoir ny autre nom, ny signer et ne connoistre même lesd. mères que par les noms de Mathurine et Cyprienne. Led. baptesme et onctions sacrées avant esté par nous faittes le susd. jour, 13e, en présence desd. parrain et marraine de Louise, seignant Julien Le Nostre, Marie Touyer, Renée Bougeart, sage-femme, qui, comme tous les autres, ont déclaré ne scavoir signer. Trebouta »
(Registres paroissiaux de St-Michel).
La police avait à son service pour combattre les mauvaises mœurs des armes plus efficaces que le Clergé, parce qu'elles étaient moins platoniques et qu'elles atteignaient l'individu dans sa personne même.

Si le Règlement de 1578 ne contient aucun article concernant les mœurs, sauf, peut-être, indirectement l'art. XV que nous retrouverons à l'occasion des Cabaretiers, la police ne s'en occupait pas moins de la salubrité morale aussi sérieusement qu'elle s'occupait de la salubrité matérielle de la ville.

Elle avait son Tribunal qui rendait des Ordonnances, des Magistrats qui veillaient à ce qu'elles fussent observées, des agents et des Sergents qui les faisaient strictement exécuter.

La surveillance des filles-mères était bienveillante, mais attentive et continuelle. Nous avons vu, entre autres, qu'elles étaient dans l'obligation, aussitôt qu'elles se rendaient compte de leur état, d'aller faire la déclaration de leur grossesse au Procureur fiscal, qui leur en donnait acte.

Quant aux filles sans aveu, aux dévergondées, aux vagabondes, aux coureuses de nuit, on était sévère pour elles et on n'hésitait pas à aller, au besoin, jusqu'à l'emprisonnement et, c'est de la prison que nombre d'enfants naturels ont été apportés par les sages-femmes qui venaient de les y accoucher à l'église Saint Michel pour recevoir le baptême.

Mais qu'une femme, par sa mauvaise conduite habituelle, en arrivât à être un objet de scandale tel qu'elle motivât des plaintes de personnes honorables, la police ouvrait une enquête, à la suite de laquelle elle prenait, s'il y avait lieu, des mesures de répression, selon la gravité du cas.

C'est ainsi que le 17 octobre 1701 « sur l'advis, nous dit le Sénéchal, qui nous avoit esté donné par le Sr Rr. de St Michel, par la dlle de la Vallée, par la dlle de la Motte et par plusrs. autres personnes que il y avait dans la maison du Sr de Rochallon, en haut de la Grande-rue, une jeune fille de mauvaise vie qui s'y estoit venue abituer depuis un mois ou environ, qui vivoit scandaleusement avecq beaucoup de jeunesse de cette ville et en concubinage avecq un particulier y demeurant, dont la femme avoit quitté le mary à cause de ce mauvais commerce, Nous nous serions transporté en compagnie des susnommés jusques en lad. maison, Nous y aurions entré et trouvé lad. fille dans la première chambre sur le devant et estant pleinement convaincue de sa mauvaise vie pour avoir autrefois demeuré en cette ville ou elle avoit mené pareil commerce, Nous avons ordonné à nos Sergents de la constituer prisonnière dans nos prizons jusques avoir escrit à ses parens en la ville de Morlaix et, particulièrement à son frère prêtre, pour scavoir ce qu'ils en voudroient faire ... ».

Peu de temps après un nouvel acte de répression devint nécessaire.

Vers l'année 1700 vint de Dinan s'établir à Saint-Brieuc une fille Perinne Garo, mariée à un Sieur Des Graviers dont elle était veuve ou qui, du moins, l'avait abandonnée.

Il semble que son métier de ravaudeuse qui, dans ce temps où les hommes portaient la culotte courte, devait être d'un bon rapport pour une ouvrière habile et rangée, ne suffisait pas à ses besoins et à ses désirs et elle y ajouta celui de fille de joie plus conforme à ses goûts et à ses instincts pervers.

Elle venait de louer pour un an, au prix de 36 l. un petit appartement dans une maison donnant sur le Martray. appartenant à Missire Melchior Bagot, Chanoine de St Guillaume et de s'y installer quand le Sénéchal dut intervenir dans l'intérêt de la morale publique et du bon exemple et, le 4 décembre 1703, rendait l'Ordonnance suivante :

« Nous Louis Barazer, Sr de Hauteville, Sénéchal des Regaires et seul juge de police, scavoir faisons que, ce jour quatriesme décembre mil sept cent trois, il nous a esté donné advis par plusieurs personnes de considération, mesme par le sieur Vicaire de cette ville, que une femme nommée la Des Graviers, de la ville de Dinan, et ravaudeuse de bas s'estait venue establir en cette ville avecq un homme qu'elle disoit son mare, lequel est absent depuis plus de deux ans et néantmoins que cette femme menoit une vie déréglée et scandaleuse, qu’elle estoit enceinte et débauchoit la jeunesse ...... pourquoy avons ordonné à Mtre Jean Grosset, Sergent, de la conduire en surté à ses parents en la ville de Dinan et de nous en raporter certificat dans trois jours, ...... ordonne que, par led. Grosset, il sera faict une bannie après un son de tambour pour que ceux qui ont donné des bas à lad. Desgraviers les viennent réclamer et que led. Grosset nous saisira des cleffs du département de maison tenu à ferme par lad. Des Graviers pour faire estat des meubles qui y peuvent entre pour payement du loyer en présence du propriétaire de lad. maison ». L'expulsion de la condamnée entraînait, en effet, nécessairement un inventaire du mobilier qu'elle ne pouvait emporter avec elle et qui restait en garantie de son loyer et des autres dettes qu'elle pouvait avoir.

En conséquence « le lendemain, ajoute le Sénéchal, sommes descendus dans lad. maison ayant pour adjoint Mtre Jacques Le Mesle, greffier de lad. juridiction, de luy le serment pris au cas ouvert une chambre au second étage par le moyen de la cleff, nous mise en main par led. Grosset, y avons trouvé les hardes qui suivent :

Un trépier, une pelle à feu et une petite grille de fer ; Un méchant pot de terre ; Une chaise de paille ; Un petit falot ; Un chandelier de fer ; Un chandelier de potin ; Deux pots et un réchaux de terre ; Un poteau (petit pot) de terre grise couvert d'estain ; Un beurier de faiance ; Une casserolle de terre ; Un petit bassin d'airain ; Deux petits plats de terre ; Quattre cuillers d'estain ; Un couteau crochu et deux droits ; Deux cuillers de pots de bois ; Deux tables de bois ; Quattre vieilles chaises de bois et un escabeau ; Une planche ; Un berceau de clisse et un pannier ; Une petite jatte de bois et trois écuelles de bois et une de terre ; Un crible ; Une buis (buire), un pot de nuit (?) et deux terinnes de terre, une bouteille de clisse, deux petittes fioles et un petit ver ; Une petite canne ; Des durotouers (?) ; Trois images ; Une petite armoire de bois ; Un bois de lit garny d'une vieille garniture jaune dans lequel il y a paillace, deux vieilles couetes de balle, deux vieux orilliers de plume, deux vieux linceux et deux couvertures de .... presque uzées ; Une vieille presse (armoire) à deux batans avecq clef et claveure et, ayant trouvé la cleff dans la claveure avons ouvert lad. presse ou s'est trouvé :

Une jupe de ras rouge ; Une méchante camisolle brune ; Deux vieux linceux ; Trois vieilles chemises, deux à femme et une à homme ; Une méchante camisolie de grosse toile ; Une coueffe cars et une frizée ; Un mouchouer ; Une petite tabatière de cor (corne ?) ; Un petit paquet de hardes et méchante lingerie pour enfants ayant esté présentement dellivrés à Nicole Frauvel, femme de Julien Hery, boulanger, commère et voisine de lad. des Graviers pour luy faire rendre à Dinan ;

De tout quoy avons faict et rédigé le présent proceix verbal dans lad. chambre, ne s'estant trouvé aucuns meubles dans celle à costé ..... et, descendu dans la boutique que avons aussy ouvert par le moyen de la cleff, dans laquelle s'est trouvé un escabeau ; Une chaire de bois ; Dix paires de bas de laine et un bas de fil desquets ont à réclamer, scavoir
Le sr Lieutenant royal, une paire ; Le sr Pastoureau, une autre paire ; Guillaume Kerangal, marchand de fil, une autre paire ; Claude Le Tailleur, hoste, deux paires, et cinq autres paires qui n'ont point été réclamées, lesquelles sont restées au greffe jusques à scavoir à qui ils appartiennent, avecq le bas de fil, desquelles cinq paires, il y en a deux, l'une noire et l'autre rose très mauvaises à femme, et les trois autres paires à homme, l'une couleur de gris de fer et deux brunes dont l'une est de nulle valeur... »
.

Nous n'avons pas reculé à donner ce procès-verbal en entier, parce que nous le considérons comme un document caractéristique, utile à la connaissance de la vie briochine à la fin du XVIIème siècle qui nous occupe.

Qu'on se trouve loin, en voyant ce mobilier de misère noire, cette garderobe que dédaignerait une mendiante de ces femmes qu'on appelait des filles de joie, du luxe éhonté de nos modernes prêtresses de l'amour que plusieurs fortunes associées ne peuvent suffir à entretenir.

Si la fréquentation de ces malheureuses était un danger pour les jeunes gens et une occasion de scandale, on ne pouvair pas, du moins, les accuser d'être une cause de ruine pour eux et pour leurs familles.

Du reste, si l'Ordonnance du Sénéchal avait réussi à débarrasser la ville d'une femme de mauvaise vie, elle ne l'avait point corrigée. Elle ne resta pas longtemps, en effet, à Dinan et en repartit bientôt pour reprendre le cours de ses exploits. C'est ainsi que nous la retrouvons en 1714 à Hennebont, vivant maritalement avec un certain Pierre Goupy, soldat, originaire d'Epiniac, qui, lorsqu'il était en quartier à Saint-Brieuc, y avait épousé, le 2 février 1693, Marguerite Philippe dont il avait eu quatre enfants jusqu'en 1704 et qu'il avait abandonnée lorsqu'il avait changé de garnison. C'est pat un certificat délivré par le recteur de St-Michel à la délaissée que nous connaissons ce nouveau détail de la vie de la veuve Des Graviers : « Led. Goupy ayant abandonné sa femme et débauché une veufve du sr Des Graviers, dite Perinne Garo, j’ay délivré cet extrait (des baptêmes des enfants) aux prières de la famille delad. Marguerite Philippe pour faire voir que cette Garo n'était pas femme dud. Goupy, comme elle passait à Hennebont, dans la Cie de M. Le Marchand où ledit Goupil est aujourd'hui sous le nom de St-Brieuc où il a deux enfants, 11 juillet 1714 ».

En résumé, la morale à Saint-Brieuc était plutôt facile et ne se montrait pas trop exigeante. On n'était point hostile aux filles-mères et on ne les repoussait point lorsque la faute était le résultat d'une faiblesse du cœur, ou pouvait invoquer quelques circonstances atténuantes.

Des fiancés trop amoureux et trop pressés n'attendaient pas toujours, pour user des droits de mariage, que le recteur eut prononcé la formule sacramentelle, et des enfants étaient présentés à l'église, bien en avance sur les délais légaux. On trouverait même quelques exemples d'enfants venus au monde avant le mariage et baptisés sans que leur état d'illégitimité soit constaté dans l'acte de baptême, parce qu'ils sont nés, soit après des promesses solennellement prononcées, soit après des fiançailles et pendant les publications.

Toutefois, si l'opinion publique était indulgente pour certaines situations, coupables, il est vrai, mais souvent plus dignes de pitié que de colère, en revanche elle n'avait que mépris et dégoût pour le scandale et la débauche et n'hésitait point à faire entendre ses plaintes et à demander pour les coupables une punition sévère, pouvant aller, ainsi que nous l’avons vu, jusqu'à la prison et à l'expulsion.

Une question encore qu'il serait curieux et très important d'élucider, serait celle des causes de cette facilité de mœurs et de cette indulgence pour la faute, non pas particulière à Saint-Brieuc, mais assez communes partout où certaines coutumes et certaines conditions de vie se ressemblaient.

Etudier ces causes devait faire partie de notre programme, mais elles sont trop nombreuses et trop diverses et cela nous entraînerait trop loin. Nous n'en retiendrons qu'une ; parce qu'elle était des plus importantes, la promiscuité malheureuse et fatale dans laquelle étaient élevés les enfants.

Chez beaucoup de gens et, pas seulement des plus pauvres, souvent une seule chambre, deux au plus, garnies d'autant de lits que leur grandeur le permettait, mais en nombre nécessairement limité, se touchant, plus ou moins clos, abritaient la nuit toute la famille, père, mère, enfants garçons et filles, et même les domestiques.

Par suite de ce voisinage, l’alcove n'avait bientôt plus de secrets pour les garçons, ni pour les filles, et par l'habitude de se dévêtir en commun la pudeur finissait par s'émousser.

D'autre part, la surveillance rendue difficile pour les parents par les exigences de leurs occupations journalières, et cette liberté forcée laissée à la jeunesse vivant dans la communauté des mêmes plaisirs et des mêmes travaux, sans distinction de sexe facilitaient l'intimité des relations et les rencontres entre voisins et amis, dont la conséquence était souvent, pour une jeune fille faible et sans défense, la chute et la faute.

Cette indulgence, qui n'était point le pardon, accordée à la faiblesse, n'était-elle donc pas facilement explicable. Fallait-il donc nécessairement, parce qu'une malheureuse était tombée, lui jeter la pierre, être inexorable, et lui faire porter, à elle seule, alors que le plus coupable, son complice, celui qui l'avait perdue était bien tranquille, tout le poids du châtiment. Non. On pensait qu'il était préférable de lui tendre la main pour essayer de la relever, et on espérait que, généralement au moins, la honte, le repentir, les charges d'une maternité nouvelle pourraient être une expiation suffisante.

Et n'en est-il pas encore ainsi de nos jours. Ne voyons-nous pas, lorsqu'une affaire de mœurs est déférée aux Assises, le procureur de la République repousser, et les avocats, au contraire rechercher les jurés des campagnes, parce qu'ils savent que ceux-ci, dont la manière d'être se rapproche le plus de celle d'autrefois, qui vivent encore les mœurs du passé, seront moins sévères parce qu'ils comprennent mieux que les citadins combien ce contact de chaque moment et trop familier entre jeunes gens, cette promiscuité forcée entre les deux sexes dans une vie commune, à l'air libre, sans contrôle, présentent d’embuches et de dangers pour les jeunes filles sans expérience.

Un adversaire sérieux contre lequel la police avait encore à lutter pour la défense de la salubrité morale de la population était le Cabaretier. Nous avons déjà dit un mot de ceux-ci en parlant des marchands « débitans vins au détail, » et de leur façon d'exploiter le public ; il nous faut y revenir encore à un autre point de vue.

De nos jours, dans toutes les villes abondent des lieux de réunion où l'on mange, où l'on boit : Cercles, Cafés brillants et dorés de 1ère, 2ème, 3ème, 10ème et 20ème ordres ; Cafés dans les hôtels ou estaminets, Brasseries, Cabarets, Caboulots de bas étage que quelques-uns ont appelé « salon du peuple » où l'on s'imprègne d'alcool et où le malheureux inconscient trouve trop souvent, avec la ruine de la santé, les excitations si dangereuses des apôtres de la haine des Classes.

A la fin du XVIIème siècle, il n'en était pas de même. Les Cafés n'existaient pas ou, du moins, étaient encore en petit nombre. Ce fut, en effet, seulement dans la dernière moitié que le premier établissement, où l'on servit du café à Paris, fut installé par un Italien du nom de Procope. Quelques grands seigneurs, quelques personnages marquants dans la littérature et les arts, ceux qui donnaient alors le ton à la ville, ayant pris goût à la nouvelle boisson, y fréquentèrent et s'y trouvant bien, le mirent à mode. Le café Procope devint célèbre, puis l'engouement s'en mêlant, d'autres suivirent l'exemple et bientôt ouvrirent leurs portes a de nombreux clients.

Cette nouvelle création, si l'on en croit Dulaure (Les curiosités de Paris, 1685), eut un vif succès et fut vite appréciée. « Rien n'est plus commode, dit-il, plus satisfaisant pour un étranger que ces salons proprement décorés où il peut, sans être tenu à la reconnaissance, se délasser de ses courses, lire les nouvelles politiques et littéraires, s'amuser à des jeux honnêtes, se chauffer gratis en hiver et se raffraichir à peu de frais en été, entendre la conversation quelquefois curieuse des nouvellistes, y participer et dire librement son avis sans crainte de blesser le maître de la maison ».

Toutefois, sauf dans quelques grandes villes et particulièrement à Marseille, port d'importation de la fève de Moka et où son infusion fut mise en vente en 1654 pour la première fois, la nouvelle mode ne s'établit que peu à peu et assez lentement en province.

Naturellement Saint-Brieuc ne fut pas parmi les villes favorisées et continua à ne compter que des Hôtelleries, des Auberges et des Tavernes.

Les Hôtelleries et les Auberges recevaient les voyageurs qui venaient y chercher un logement passager, ou, tout au moins, y prendre un repas substantiel avant de recommencer une nouvelle étape, et, en outre, accueillaient volontiers tous passants ou habitants de la ville qui voulaient s'y arrêter pour s'y reposer et s'y raffraichir. Mais, si les salles de l'Hôtel dans lesquelles l'on vendait à boire, l'Estaminet, comme on dirait de nos jours, étaient largement ouvertes au public, elles avaient aussi une clientèle particulière qui y fréquentait habituellement.

C'était là que, le soir venu, lorsque la journée était finie, le souper en famille terminé, un certain nombre de Briochins, peu pressés de se coucher de si bonne heure, venaient se rejoindre. Là, devant les pots de vin de Gascogne, d'Anjou, ou du Poitou, ou le bon cidre du pays, on devisait joyeusenient, oubliant les fatigues du jour et les soucis du lendemain. Certes, on n'y trouvait pas le confortable dont parle Dulaure, mais, du moins, quelques-uns des avantages qu'il appréciait, un bon accueil, une franche gaîté, la liberté de parler et, si on « n'y lisait pas les nouvelles publiques et littérataires…. si on n’y entendait pas la conversation quelquefois curieuse des nouvellistes », on s'entretenait des affaires de la ville, on se racontait les cancans et les potins du voisinage, puis, comme on ne peut toujours boire, et que les faits divers étaient vite épuisés, alors, pour passer le temps, on « s'amusait aux jeux honnêtes » et les dés et les cartes faisaient leur apparition inter pocula. C'était pour les Briochins un véritable Cercle.

Enfin, lorsque neuf heures sonnaient à l'horloge de la cathédrale, rappelant qu'il était temps de se reposer, les consommateurs vidaient leurs verres ; chacun reprenait le chemin de son logis et l'hôtelier pouvait éteindre les lumières, fermer sa porte et aller retrouver son lit, à peu près certain de ne pas être dérangé par les voyageurs trop rares pendant la nuit.

Le Cabaret représentait un degré inférieur aux Hôtels et Auberges. Ici on ne loge plus le passant, mais on le nourrit encore. Sur l'enseigne est écrit : Ici on vend à boire et à manger. C'est une espèce de restaurant à bas prix où viennent s'asseoir des voyageurs peu fortunés les paysans aux jours de foire et de marché, le passant qui ne fait que traverser la ville. Mais à côté de la table sur laquelle une soupe bien chaude laisse échapper son parfum appétissant, à côté du large plat où s'étale le morceau de lard accompagné de choux qui a servi à sa confection, on voit sur les murs ou suspendus au vaisselier les pots, les pintes, les chopines où l'on mesure le cidre, le vin, la bière et les diverses boissons que viennent demander des clients altérés, voisins, amis ou habitués et, il faut bien avouer que c'était cette branche de commerce qui semblait le plus prospère.

La Taverne est un cabaret où, dit Larousse, on donne à boire. Il ajoute ailleurs : la Taverne est un cabaret ou l’on ne boit qu'à l'excès.

La seconde définition est peut-être exagérée, mais la première est juste.

La Taverne n'était point un Hôtel, ni un Restaurant, mais un cabaret d'ordre inférieur.

Aujourd'hui la taverne n'existe plus. Elle est remplacée par le « Café » avec toutes ses variétés, depuis l'établissement luxueux, aux murs dorés ornés de peintures et de glaces jusqu'à l'infime caboulot.

La clientèle n'était évidemment plus la même que celle qui se réunissait dans les Hôtels, ni même dans la plupart des cabarets. Ce ne sont plus les voyageurs ou les Bourgeois tranquilles que nous y avons rencontrés tout d'abord. Elle est très mélangée.

C'est, dans la journée un passant qui veut se raffaîchir, un voisin désœuvré qui vient demander un verre de cidre ou de vin ; les jours de marché, les paysans garnissent les bancs, mais c'est le soir surtout que les affaires marchent.

Après sa journée, l'ouvrier a besoin de se distraire. Quelques-uns viennent, au grand désespoir de la ménagère qui attend, jeter sur le comptoir du tavernier une partie de leur salaire, mais la plupart sont des célibataires, des jeunes gens sans foyer qui, ne sachant où passer leurs soirées, cherchent une compagnie agréable ; les autres, enfin, des habitués, de ceux qui ont toujours soif.

Le rôle du Tavernier était assez dificile. Tenir son établissement d'une façon convenable sans que la police trouvât trop à redire ; satisfaire des clients exigeants tout en maintenant les buveurs dans une juste limite afin d'éviter les scandales, n'était pas toujours commode. Le Tribunal le savait bien et exerçait une surveillance active pour éviter les abus.

Vers 1906, par ce temps de liberté dont nous jouissons, le premier individu qui veut ouvrir un débit de boissons et d'alcool, n'a qu'à le déclarer et il y a un Café de plus ; autrefois, il n’en était pas de même ; les juges n'oubliaient pas qu'ils devaient veiller sur la moralité comme sur le bien-être de leurs administrés et prenaient toutes les précautions en leur pouvoir.

Si le nombre des tavernes n'était pas limité, il fallait cependant que le postulant, avant d'être autorisé à placer une branche de houx ou de gui au-dessus de sa porte, soumis tout d'abord à une enquête sérieuse, donnât des garanties de bonne conduite et fournit la preuve de son honorabilité.

ART. XV. « Doresnavant il ne sera permis à auchun de tenir taverne s'il n'est préalablement informé de sa légalité, conversation et meurs, ensemble des lieulx pour tenir lesd. tavernes ; et prestra chacun tavernier le serment de se bien porter et gouverner en son estat par devant les juges auparavant que d'estre souffert à tenir taverne ».

Une autre condition imposée par les juges était que « ne pourront jeunes filles seules et n'aiant père, mère, frère ou aultre parent d'aage de mathuritté en leurs maisons, tenir taverne, parce que telles tavernes sont subjectes à danger, insolence et inconvénients », condition sage s'il en fût, d'abord parce que ces jeunes filles, si honnêtes et si honorables qu'elles pussent être, n'auraient point eu la force matérielle nécessaire pour se faire respecter par les gens avinés qu'elles étaient obligées de servir, et que, d'autre part, si, au contraire, leur vertu était douteuse et qu'elles fussent trop sensibles aux galanteries de leurs clients, leurs maisons auraient pu devenir des lieux de scandale et de débauche, ce à quoi entendaient s'opposer de tout leur pouvoir les magistrats.

Une troisième prescription était relative à l'heure de fermeture des cabarets. On se couchait alors de bonne heure pour se lever matin et, tout en laissant aux gens le temps nécessaire pour passer une agréable soirée, il fallait respecter les habitudes ; aussi, continue l'art. XV, « prohibition sera faicte auxd. taverniers de non recepvoir à boire en leurs maisons et tavernes les habittans de lad. ville apprès neuf heures du soir passée, sur paine de respondre des dellinquans, si aucuns dellicts se trouveroient et de les représenter en justice et d'estre tenuz aulx intérêts des parties intéressées et en l'amande de soixante livres tournois exécutible sans depport ».

Enfin, cet article se termine par une dernière défense aux Taverniers, celle de recevoir « aud. tavernes sur pareille peine, les habittantz de ceste ville aulx jours et festes chomables et stattués, durant la grand'messe, prédication et vespres, et paroilles deffenses aulx maistres des jeux de paulme ».

Toutes les conditions imposées aux cabaretiers, toutes les précautions prises contre eux, avaient pour but de faire des cabarets et des tavernes des établissements aussi convenables que possible et d'éviter et réprimer les abus qui pourraient se produire. Mais ces conditions étaient elles exactement exécutées.

Sur les garanties de moralité et de bonne conduite exigées des taverniers, le Tribunal, tout en rejetant les gens de réputation trop mauvaise, ou au moins douteuse, devait se montrer, cependant, assez facile vraisemblablement, et assez coulant sur la valeur des attestations et des certificats, car le métier de Tavernier était difficile et scabreux et ce qu'il fallait surtout, c'était un homme énergique et ayant assez d'influence et, au besoin, de force pour maintenir l'ordre dans sa taverne.

Pour la seconde, celle qui faisait défense aux femmes et aux jeunes filles de tenir une taverne, elle devait être rigoureusement appliquée, les magistrats ayant trop le souci des bonnes mœurs pour ne pas éviter tout ce qui pourrait y porter atteinte.

Il en était de même pour la dernière interdisant de recevoir des clients et de leur donner à boire, les dimanches et jours de fête pendant les offices, car elle n'était pas seulement applicable aux Cabarets, mais, ainsi que nous l'avons vu, à tous les genres de commerce, même des objets de première nécessité, la police jugeant que, si ces jours étaient destinés au repos et aux délassements, Dieu qui les avait donnés, avait bien droit qu'on lui en consacrât une petite partie pour le remercier en assistant anx cérémonies de son culte. On verra pourtant qu'il se trouvait quelquefois des contrevenants qui n'en tenaient pas compte.

Quant à la troisiêrne condition, celle qui concernait l'heure de la fermeture des cabarets, c'était la plus difficile à faire observer. Malgré les rappels fréquents du Tribunal, les pénalités très fortes appliquées au tavernier et les graves responsabilités qu'il encourrait en raison des conséquences qui pouvaient advenir de son inobservation, elle était bien souvent violée.

Dans une salle basse éclairée par la lueur pâle et incertaine de chandelles de suif, luminaire de l'époque, au milieu d'une atmosphère lourde et rendue opaque par la fumée dégagée des pipes, établis devant une chopine de cidre, un pot de vin, une pinte de bière, une mesure d'eau-de-vie, qui n'était plus un produit pharmaceutique et était devenue de consommation courante, les joyeux buveurs, causant, riant, chantant, n'entendaient point ou feignaient de ne pas entendre les neuf coups que le lourd marteau de l'horloge frappait sur la cloche pour leur rappeler l'heure de la retraite.

Dans les tavernes situées dans le centre de la ville, si la désobéissance aux arrêtés se produisait quelquefois, peut-être même assez souvent, cependant une certaine surveillance y était encore possible et permettait d'en atténuer dans une certaine mesure les désagréments. Les voisins, tracassés par les tapages nocturnes, pouvaient porter plainte et le Procureur fiscal, averti, y faire une descente imprévue et surprendre les délinquants.

Cela était bien pour ces tavernes urbaines, mais insuffisant car elles n'étaient pas les seules. Il y en avait d'autres, non plus, dans l'intérieur de la ville, mais, en dehors, dans des lieux « rebons », c'est-à-dire écartés, isolés, déserts, au bord des chemins, loin de l'œil des magistrats.

Là, les buveurs étaient leurs maîtres et agissaient sans crainte de l'autorité. Les quatre sergents qui composaient toutes les forces de la police des Regaires avaient assez à faire pendant la journée. Il n'avaient aucune envie d'aller passer leurs nuits à courir après les ivrognes, au risque de recevoir des coups et préféraient rentrer tranquillement chez eux prendre un repos bien gagné.

Il en résultait que, de temps en temps, après des soirées trop joyeusement passées, certains jeunes gens se livraient à une gaîté intempestive, et, oubliant le chemin de leur demeure, passaient la nuit à troubler le repos public et à courir sus, comme nous l'avons vu, à de malheureux bourgeois effarés.

Il y avait plus grave encore.

Les gens qui fréquentaient habituellement dans ces tavernes borgnes des lieux rebons n'étaient pas, en général, ce qu'il y avait de plus recommandable dans la population briochine. C'était, pour la plupart, des ivrognes, des piliers de cabarets voulant boire et s'enivrer sans avoir à craindre les procès-verbaux.

Avec ceux-là, il fallait compter. Ils n'avaient pas toujours bon caractère et, lorsqu'à la suite de libations trop prolongées et surtout de l'abus de l'alcool, les têtes s'échauffaient, des querelles s'élevaient pour des motifs plus ou moins futiles qui dégénéraient souvent en rixes et en batailles, et pouvaient devenir le prélude de grands malheurs.

Que faisait la police lorsque se produisait un de ces scandales ?

Elle rappelait aux cabaretiers et aux taverniers « débitans vins, cidre et eau-de-vie » l'article XV de son Règlement et rendait de nouvelles Ordonnances, telles que celle du 2 octobre 1700 que nous avons citée précédemment, pour renouveler la défense de donner à boire passé neuf heures, sous peine de 50 l. tournois d'amende applicables à l'Hôpital. Mais de ces Ordonnances et de ces rappels, que résultait-il en fin de compte ? Pas grand chose.

Les Hôteliers étaient des personnages. C'étaient Mtre Julien Rivet Sr de la Noë, hoste de la Grand Lyon, inhumé le 18 janvier 1676 en l'église de St-François des Cordeliers ; Mtre François Binard, hoste de la Croix Verte, le 16 mars 1676, dans l'église Saint-Guillaume ; n. h. Louis Manoir, Hoste de la Grand maison, allié des Ruffelet, le 30 juin 1681, chez les Cordeliers ; Jacques Jouannin, Hoste du Soleil d'Or et François-Morice Jouannin, Haste de la Grand maison, qualifiés de noble homme dont la famille, de la meilleure bourgeoisie de la ville, comptait parmi ses membres un avocat au Parlement, un maire de Saint-Brieuc, etc. ; Mtre Jean Le Mounier, Hôte à la Grand maison en 1717 ; Mtre Jean Le Clec’h, aubergiste, etc., etc.

Les aubergistes ont toujours été et seront toujours intangibles. De nos jours où l'on parle tant de la répression de l'ivrognerie et de la lutte contre les méfaits de l'alcool, où l'on a fait des lois spéciales pour les combattre, entre autres celle qui punit le cabaretier d'une peine semblable à celle infligée à son client ivre, y a-t-il eu une seule condamnation ? Est-il venu une seule fois à l'idée d'un juge que cet article de la loi pût être appliqué ? Non, certes.

D'autre part, les cabaretiers se savaient des protecteurs. Nous avons dit que nombre de Bourgeois ne dédaignaient pas la fréquentation des auberges, même parmi les plus huppés, et venaient volontiers y trinquer en compagnie ; mais nous devons ajouter qu'ils n'y donnaient pas toujours le bon exemple que leur situation aurait dû leur imposer.

C'est ainsi qu'en 1662, le Sénéchal des Regaires (alors Mtre Pierre du Jardin, sr de la Ville-Guyomar et de la Ville-Cadoret), un dimanche, pendant le cours d'une visite de surveillance dans les cabarets, prenait en flagrant délit « le Procureur du Roi [Note : Ecuyer Yves Robert, sr du Rochay, époux de dame Margnerite Auffray du Gué-Lambert] et d'autres magistrats buvant du vin dans une taverne pendant les offices » (Geslin de Bourgogne. Anciens évêques de Bretagne, t. II, p. 119) en contravention et au mépris de toutes les Ordonnances.

Traîner ses collègues à la barre de son tribunal et les condamner pour infraction à des réglements d'ordre public eut causé du scandale et eut été pénible pour un magistrat, d'autant que tous étaient amis [Note : Mre Pierre du Jardin cumulait et, à ses fonctions de sénéchal des Regaires, il ajoutait celles de lieutenant du Roi à la Cour royale] et plus ou moins parents ou alliés. Maitre Pierre Du Jardin osa-t-ll le faire ? Nous l'ignorons, mais nous ne le pensons pas.

Mais alors c'était l'impunité pour les Taverniers.

Du reste, à moins de cas d'une gravité exceptionnelle, ils étaient bien tranquilles. Comme c'était toujours à cause des clients, et, par leur fait, qu'ils étaient pris en contravention, ils savaient bien que, pour ne pas être, compris dans les poursuites comme complices, ceux-ci avaient tout intérêt à les défendre.

Nous nous arrêtons ici. Certes, notre travail n'est pas complet. Il y aurait encore beaucoup à dire, de documents à consulter dans le peu des archives de la Ville qui restent et aux Archives départementales, si nous avions voulu faire une Histoire de la Police, mais notre prétention n'est point si haute et notre but est beaucoup moins ambitieux. Ce que nous avons voulu est, tout d'abord, de voir comment les magistrats des Regaires chargés de maintenir l'ordre et la tranquillité dans la ville, en même temps que de satisfaire aux besoins de leurs administrés, remplissaient leur importante et difficile mission, et, en second lieu, soulever un coin du voile étendu entre nous et le Vieux Saint-Brieuc d'il y a deux cents ans, faire connaissance avec ses habitants et jeter un léger et rapide coup d'œil sur les conditions de leur existence, leur manière générale de vivre, leurs mœurs, leurs coutumes, leurs usages particulier, en un mot, tout ce qui constitue la vie courante et habituelle de la population, et nous avons pensé que les deux documents que nous avons étudiés, à savoir les deux petits cahiers du Greffe du Tribunal des Regaires avec leurs enquêtes et leurs jugements et le Réglement de police de 1578 que nous avons analysés, nous fourniraient des éléments suffisants.

Nous avons pu remarquer que le Tribunal n'avait jamais reculé devant l'exécution de sa tâche, si pénible qu'elle pût leur sembler quelquefois. Prévoyants dans l'établissement et la rédaction de leurs Règlements, les magistrats n'hésitaient point à les compléter par de nouvelles Ordonnances dès qu'ils en sentaient le besoin. La surveillance était incessante. Constamment le Sénéchal ou le Procureur fiscal descendaient dans les rues, dans les places publiques, dans les boutiques, pour constater les contraventions et tout flagrant délit, quelque fût le délinquant, était puni à l'instant même et sans sursis (il n'y avait point encore de loi Béranger), malgré toutes les protestations. La police faisait donc tout ce qui était alors possible et si, malgré tout son zèle, tout n'était pas parfait, il n'y avait, du moins, rien à lui reprocher.

Quant à ce qui touche à la seconde partie de notre programme, on nous reprochera, peut-être, d'avoir représenté ce qu'il nous a été donné de reconnaître sous un jour peu flatteur et d'en avoir fait une peinture bien noire.

Il ne faut pas nous en vouloir ; ce n'est pas notre faute.

Lorsqu'il fait un portrait, un peintre de talent étudie son modèle pour faire valoir les avantages du sujet et en atténuer les imperfections tout en respectant la ressemblance, mais ce n'est point ici notre cas.

Nous n'avons point à faire un portrait, mais à reproduire un tableau tel que l'auteur l'a voulu et exécuté, sans nous permettre d'y rien changer. Or notre modèle, il ne faut pas l'oublier, c'est la police qui nous le fournit, la police qui n'envisage rien qu'à son point de vue particulier, sous des couleurs toutes spéciales, qui ne voit que les mauvais côtés des choses, les ombres, les défauts et pour qui tout ce qui est beau, bon, lumineux, brillant, n'existe pas, et il en est résulté que, pour arriver à en obtenir une reproduction exacte et une copie fidèle, il nous a bien fallu délayer sur notre palette, les mêmes couleurs qu'elle-même avait employées.

Si nous n'envisagions donc comme base de notre appréciation que les registres du Tribunal des Regaires, il est certain que la situation de la ville et des habitants paraîtrait peu brillante, mais ce serait une erreur. Ces registres ne représentent pas, en effet, la véritable physionomie du pays et des habitants, puisque tout ce qu'ils contiennent ne concerne que les méfaits des délinquants et des coupables, c'est- à-dire des exceptions et que l'on ne peut juger d'après des exceptions. En réalité cette situation était loin d'être aussi triste et aussi mauvaise que les procès-verbaux du Sénéchal et du Procureur fiscal sembleraient le faire croire. Elle était sensiblement la même que dans toutes les autres petites villes et meilleure, peut-être, à cause de la sollicitude intelligente de la police.

Les Briochins n'étaient point des voleurs ni des ivrognes ; leurs femmes n'étaient point des femmes perdues. Du reste, les mesures de précaution que prévoyaient les règlements pour la satisfaction des besoins des habitants et pour la bonne tenue de la Ville, n'étaient point particulières à St-Brieuc et on les retrouve à peu près partout où les mêmes besoins se faisaient nécessairement sentir.

Cette ordonnance si sage qui enjoint aux boulangers de marquer par des trous le poids du pain qu'ils mettent en vente et de livrer exactement au consommateur la quantité qu'il paie, nous la retrouvons dans tous les règlements de police et c'est ainsi que nous voyons, dans une petite ville de Ille-et-Vilaine, le 2 août 1780, à la suite d'une plainte portée par les habitants, la Communauté de Ville constatant que « les boulangers excédant la taxe du prix du pain, qu'ils négligent de faire une marque particulière et d'indiquer par des petits trous la quantité de livres de chaque pain ... inflige un blâme au juge de sa négligence en ce qui concerne la police » [Note : Délibération de la Communauté de Ville de Hédé du 2 août 1780 (mairie de Hédé)].

Il en a été et il en sera de même toujours et partout et de nos jours, par ce temps de morale rationnelle, ne voit on pas les municipalités obligées de prendre des mesures rigoureuses pour obliger les boulangers à livrer à l'acheteur, le poids du pain auquel il a droit. Du reste, nous pouvons constater que ceux qui, à Saint-Brieuc, fraudaient et volaient leurs clients, étaient toujours les mêmes et ne représentaient qu'une infime minorité parmi les nombreux marchands honnêtes et consciencieux.

La voirie laissait beaucoup à désirer sans doute. Les pavés n'étaient pas suffisamment entretenus et les rues étaient sales, le Procureur fiscal l'avouait lui-même. Mais si, malgré les soins de la police, par suite de la situation défectueuse de la ville dans son bas-fond, de l'existence de ses ingoguets, des obstacles apportés par la négligence et l'incurie de gens, entêtés et désobéissants, la ville n'était pas aussi propre qu'elle aurait pu l'être, de grands efforts étaient faits, cependant, pour y remédier. Il ne faut donc pas prendre cette accusation à la lettre et, si l'on juge par l'état actuel, après deux siècles de progrès, de la plupart des petites villes anciennes de Bretagne de ce qu'elles ont du être autrefois au point de vue de la propreté, si l'on considère que, cette année même, les conseillers municipaux d'une cité voisine portaient plainte contre un de leurs collègues dont les latrines se déversaient, tout comme à Saint-Brieuc il y a deux cents ans, dans un ruisseau qui la traversait et dont elles faisaient une sentine de puanteur et d'infection qui empestait tout un quartier, on voit que, à ce sujet du moins, les habitants de Saint-Brieuc étaient, en fin de compte, plus favorisés que beaucoup d'autres.

Les Briochins étaient de braves et honnêtes gens. C'était une population calme et tranquille, d'humeur facile. La police, en prévoyant les querelles qui pouvaient survenir après boire, faisait acte de sagesse, mais ces querelles et disputes n'étaient jamais bien graves et les rixes qu'elles amenaient n'avaient pas des conséquences bien sérieuses. Un poing solide suffisait, en général, à calmer les adversaires. Le meurtre et l'assassinat semblaient inconnus à Saint-Brieuc.

Les registres paroissiaux de la ville, pendant cette longue période de plus de cent cinquante ans que nous les connaissons, constatent les sépultures de sept ou huit personnages trouvés morts sur le grand chemin aux abords de la ville, sans mentionner les causes du décés : maladie, fatigue, vieillesse ..... Tous sont des étrangers, la plupart inconnus qui sont tombés au moment où ils atteignaient le but de leur voyage. Ces morts indéterminées ne pouvaient être que naturelles ou le résultat d'un accident, car tout accident ou tout cas suspect donnait lieu à une enquête et l'inhumation ne pouvait être faite que sur l'ordre du Procureur fiscal après visite des chirurgiens et ouverture du corps. Pour deux seulement, l'acte d'inhumation constate que la mort n'a pas été naturelle. L'un avait été assommé à coups de bâton, l'autre tué, nous dit-on.

La population de St-Brieuc, comme dans toutes les villes se divisait en deux catégories. D'un côté, la haute Bourgeoisie composée de ces vieilles familles dont les membres, de temps, immémorial, faisaient le grand commerce, armant de nombreux navires pour le cabotage sur les côtes de Bretagne et de France, apportant au port du Légué, avec les marchandises qu'ils allaient chercher en Angleterre et dans les pays du Nord, la prospérité et la richesse. C'est parmi cette élite de gens riches et actifs que l'Evêque et le Roi recrutaient ces hommes intelligents, instruits et souvent remarquables qui composaient les éléments de leurs tribunaux, la Ville ses administrateurs et Echevins et aussi le Député, qu'elle chargeait d'aller aux États défendre ses intérêts et ceux de la Province.

Le reste des habitants, petits commerçants, artisans de tous les métiers, laboureurs, marins ...., beaucoup plus nombreux, n'avaient point les prétentions des précédents. L'horizon de leur activité était moins vaste. Ils ne recherchaient point les honneurs. Habitués à une vie simple, sans grands besoins, peu soucieux d'un luxe et d'un confort dont ils n'avaient qu'une vague idée, ils bornaient généralement leur ambition à gérer avec soin leurs affaires et à les faire prospérer, n'ayant d'autre désir que d'arriver par un travail assidu à cette aisance modeste qui leur permettrait de vivre sans inquiétude du lendemain et d'élever honorablement leur nombreuse famille.

Quant aux femmes, à cette époque où les fêtes étaient presque exclusivement religieuses et les autres très rares, n'ayant pas, comme aujourd'hui, chaque dimanche et, sous tous prétextes des bals, des danses, des assemblées de toute sorte pour les distraire, elles se confinaient dans l'accomplissement de ce rôle si élevé et tout de dévouement de la maternité pour lequel Dieu les avait créées. Maîtresses dans la maison qu'elles dirigeaient, compagnes fidèles et dévouées de leur époux elles « restaient au foyer et filaient la laine ».

Essayer d'établir un parallèle entre la police municipale actuelle et celle de 1690 constituerait une étude très intéressante. Mais pendant le long intervalle qui sépare les deux époques, les temps sont devenus trop différents, les mœurs, les idées ont trop changé, trop de besoins nouveaux se sont créés, tout cela rendrait très difficile la comparaison. Du reste ce n'est point notre affaire, puisque nous n'avons à nous occuper que des temps anciens.

(A. Anne Duportal).

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