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HENRY COMPADRE, SYNDIC DES BOURGEOIS DE SAINT-BRIEUC, 1591-1592.

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En plaçant un nom, ignoré de bien des gens, à la tête de cette étude, nous avons moins eu l'intention de faire la biographie d'un homme, dont la mémoire est cependant digne de rester gravée dans nos annales, que d'essayer une rapide étude sur l'histoire intime de la ville de Saint-Brieuc, durant les années 1591-1592, début, pour ainsi dire, des guerres de la Ligue dans notre pays. Cette époque curieuse, transition entre les derniers jours de la féodalité et l'ère moderne, est encore peu connue en ce qui concerne la chronique locale ; car, grâce au vandalisme des révolutions, qui nous ont bouleversés depuis tant d'années, les pages de la vie privée de nos pères ne nous sont parvenues qu'en lambeaux ; trop heureux encore d'en pouvoir sauver quelques débris.

Il serait cependant intéressant de suivre, comme pas à pas, les hommes de cette époque, d'assister aux progrès d'une civilisation encore à son aurore, et dont la marche, laborieuse, mais incessante, se poursuivait, péniblement sans doute, au milieu des difficultés politiques qui surgissaient de toutes parts.

Certes depuis l'affranchissement des Communes, les villes, Cités ou Communautés, comme on disait alors, avaient gagné du terrain et fait de rapides progrès. « Au lieu de ces huttes de paille et de boue, trop longtemps le séjour des marchands et des artisans, s'élevèrent peu à peu des maisons à plusieurs étages, défendues par une tour carrée et dont le rez-de-chaussée était garni de marchandises et d'objets de commerce. Ces boutiques renfermaient des hommes simples, mais riches, bien que dissimulant avec soin leurs richesses, et déjà pleins de leur importance et de leur nombre. Les seigneurs, plutôt jaloux qu'inquiets de cette prospérité des vilains, y trouvèrent leur compte en augmentant les impôts et en établissant des tributs de toute sorte. Les vilains payaient, quelquefois en murmurant, mais ne continuaient pas moins à s'enrichir aux dépens d'une noblesse, devenue nécessairement tributaire de l'industrie et du luxe » [Note : Amédée Gabourd, Histoire de France, depuis les origines gauloises jusqu'à nos jours].

La rudesse de ces premières relations de deux classes rivales se calma et s'amoindrit par degré ; un contact plus fréquent, un échange journalier de services rendus ou de patronage ; l'opulence croissante des uns et la fortune souvent compromise des autres, par suite des guerres, des dilapidations et du luxe ; enfin, les alliances, rares d'abord, mais bientôt plus fréquentes, entre ces deux classes, furent autant de causes de rapprochement. La noblesse, d'ailleurs retirée presque en totalité dans ses terres, laissa, dans les villes, le champ libre aux bourgeois, dont les principaux partagèrent bientôt, avec ce qui restait d'aristocratie dans leurs murs, des charges et des emplois que la munificence du roi ou d'un puissant seigneur leur octroyait indifféremment.

Quant, à cette haine éternelle, que quelques auteurs modernes se plaisent à nous peindre toujours vivace et toujours acharnée, entre la noblesse et le tiers-état, à cette époque lointaine, il suffirait, pour démontrer qu'elle n'existait pas, d'ouvrir ces registres des naissances, mariages et sépultures, que les révolutions ont épargnés. Ces écrivains y verraient, constamment mêlés, dans les rapports les plus intimes de la vie, des noms qu'ils proclament antipathiques. Il n'est, en effet, si mince bourgeois dont un des pères n'ait été tenu sur les fonts baptismaux ou n'ait eu, pour joyeux témoin de la liesse et des fêtes de son hymen, quelque haut seigneur ou quelque noble dame du lieu.

Compadre, dont nous allons parler, appartenait à l'une de ces vieilles rares de bourgeois, qui, par leur richesse, leurs alliances et les charges honorables de leurs membres, marchèrent toujours la tête haute, respectées de tous [Note : Les titres que nous possédons sur cette famille nous permettent d'attester son ancienneté et sa bonne position dans l'évêché de Saint-Brieuc, par les charges et les alliances de ses membres. Les Compadre, seigneurs des Alleux, de Prélouer, de la Villegicquel, du Hautchamp, des Près-Josse, etc., portaient pour armes (croyons-nous) : d'argent aux trois chevrons d'azur. Plusieurs d'entre eux, ayant fait le commerce, furent déboutés en 1668. (Fondu dans Lymon de la Belleissue et Ruffelet)].

« Noble homme Henry Compadre, sieur de la Villegicquel, quel estoit syndic des nobles bourgeois et habitants de Saint-Brieuc, ès années 1591-1592, » lisons-nous sur le registre des comptes qu'il rendit de sa gestion à la communauté de ville, « le douziesme iour de juillet mil cinq cent quattre-vingt-quatorze, » naquit, le 27 avril 1546, de Guillaume et de Moricette Lochet, seigneur et dame de la Villegicquel.

Comme on le verra, par la date 1591-1592, ce devait être un périlleux honneur que celui de représenter une ville, dans ces temps où les troubles de la Ligue sévissaient avec fureur sur le pays [Note : « Les troubles furent très-ruineux pour la Bretagne (dit Michel de la Belleissue-Lymon dans ses manuscrits), qui y recommencèrent en 1589 et ne finirent que par l'édit de pacification de Henry IV, du vingtiesme mars 1598 ». — Archives de famille]. Cette année 1592 fut en effet bien funeste à la ville de Saint-Brieuc, puisque c'est l'époque d'un rude combat et d'un siège qu'elle eut à soutenir, ainsi que de nombreuses vexations qui précédèrent et suivirent ce siége. Les détails assez curieux de ce drame, qui causa tant d'alarmes et coûta tant de sang et d'argent à nos pères, n'étaient point encore parfaitement connus. On savait que Saint-Brieuc et Cesson avaient été assiégés en cette année ; on connaissait le nom du vainqueur, celui du vaincu, et c'était tout. Le jour de l'action, le lieu du combat, enfin les péripéties qui l'accompagnèrent, étaient presque entièrement ignorés.

Le journal de Compadre, sur lequel j'ai été assez heureux pour mettre la main, me permet aujourd'hui de combler cette lacune regrettable dans notre histoire locale ; il a d'autant plus d'intérêt, qu'il raconte, jour par jour, les faits et gestes des Royaux et des Ligueurs, dans notre ville si tourmentée, durant ces guerres qui la ruinèrent, « renversèrent sa forteresse, détruisirent même son passé, en faisant disparaître ses archives » [Note : Anciens Evêchés de Bretagne, de MM. J. Geslin de Bourgogne et de Barthélemy, t. II, p. 77. — « En 1592, les archives du chapitre de la cathédrale et celles du Bois-Boixel furent pillées par les Anglois et lansquenetz ». Mss. de la B.-Lymon].

Avant d'entreprendre le dépouillement du livre de Compadre, pour y glaner ce qui a rapport aux troubles, parmi les articles d'intérêt secondaire, des menues dépenses de la ville, qu'il nous soit permis d'entrer dans quelques détails. Par ce rapide coup d'œil, jeté sur les us et coutumes des hommes de cette époque, on pourra se faire une idée des mœurs de nos pères en général : Ab uno, disce omnes.

Guillaume Compadre et sa femme habitaient « un hostel et maison, avec chambres et scelliers, jardins et yssus darière et davant, nommée la Galiot, située en la dicte ville de Saint-Brieux, en la rue Clinquaine [Note : La rue Quinquaine], joignant à maison et jardin Jehan Desboys, à ruisseau d'Ingoguetz, » comme nous l'apprend un acte de 1566. Il est à présumer que c'est là que notre syndic est né.

Nous voyons, par ce même acte, que les immeubles, que possédaient Guillaume et Moricette, étaient nombreux et consistaient en plusieurs maisons à Saint-Brieuc, grand nombre de « terres et hébergements, » dans les villages de cette ville, dans les paroisses de Cesson, Plérin, Ploufragan, Trégueux, etc., et force rentes en grains « mesures racles de Saint-Brieux et Gouellou, » dans lesdites paroisses, avec redevances de « solz tournois, chapons et corvées ». La fortune mobilière répondait dignement aux immeubles des Compadre. Leur maison, ou hostel de la Galiot, était en effet abondamment pourvu de « quantité de vaisselle d'estain, » et autres ustensiles de ménage , « de licts et charlicts de chaisne, ô leurs linceulx et couëttes de plumes, » de « tables, banc et accoudouers, bahutz à vingt et ungs tirettes, chaises et taboureaux de chaisne ; » enfin de tentures, « pièces de tapysseryes et tappys de Flandre ». L'argenterie était considérable, luxueuse même, puisque nous voyons « des chenetz d'argent haché ; » en outre, des couverts, aiguières, tasses et bassins, saladiers et écuelles, le tout d'argent, ainsi que des objets de toilette, bagues, bijoux, boucles et boutons d'argent, puis des cannes à pomme, des espées garnies et des pistolets [Note : Voici la valeur de quelques-uns de ces objets, à cette époque : 2 flambeaux à l'antique, 3 marcs, 1 once et 2 gros .... 151 #. 10 s. ; 6 couteaux à pieds d'argent ..... 48 #. ; Les mouchettes et porte-mouchettes ..... 58 #. ; Une tasse de vermeil doré ...... 44 # 5 s. ; Suit un article donnant l'équipement d'un cavalier d'alors : selles, housses garnies de pistolets, « en plus bottines et gamaches »].

Les progrès que les arts avaient faits, depuis la Renaissance, n'avaient pas tardé à remplacer la simplicité première, comme on le voit, par un confortable somptueux et élégant. Aussi, non-seulement les grands seigneurs, mais même les riches bourgeois du XVIème siècle, adoptèrent-ils, dans leurs demeures, les raffinements du luxe d'alors. Nous ne devons donc pas nous étonner de trouver chez Compadre « cinq grands tableaux à l'huile, peinture de Flandre, » estimés 60#, et « aultres plus petits ; » enfin, des meubles de « bois noir, façon d'ébène » et des garnitures de cheminée en « faïences peintes, façon de porcelaine ».

Si nous avons un peu insisté sur le détail d'un mobilier, à cette époque, c'est que nous avons tenu à constater ces progrès immenses de l'industrie et des arts, progrès qui se traduisent autant dans les mœurs et le caractère des hommes de ce temps, que dans la disposition et l'aménagement de leurs habitations. Mais aussi, il faut le constater, ce besoin d'innover, qui se manifesta si puissamment alors, surtout en architecture, et qui a laissé çà et là de si curieux spécimens de cette renaissance de l'art, ne tarda pas à se corrompre, et, dès lors, les vrais amateurs du temps, les archéologues (si tant est qu'il y en eût), purent se prendre plus d'une fois à regretter les traditions qui s'échappaient devant l'implacable marche des novateurs.

A ces chefs-d'œuvre du gothique, en effet, succédèrent parfois aussi, il est vrai de le dire, d'autres chefs-d'œuvre dans le goût nouveau, alors qu'il était encore dans toute sa pureté ; mais, de là à l'exagération, il n'y avait qu'un pas. Certes, nous admirons les gracieuses et quelquefois splendides constructions, merveilles de cette époque [Note : On voit encore, dans quelques-unes de nos vieilles villes de Bretagne, de délicieux échantillons de ce style, sans parler des palais de Fontainebleau, de Chambord et de tant d'autres, que l'on admirera toujours], et nous applaudirions pleinement à cette noble concurrence du gothique et de l'art, dit de la Renaissance, si ce dernier n'avait enfanté ces formes, inspirées de la Grèce, ces froids portiques, aux lignes inflexibles, qui répondaient mieux au caractère rigide de Platon et de ses disciples qu'au caprice et à l'enjouement français. On nous pardonnera, je l'espère, de maudire ici, en passant, cette dégénérescence du goût architectural de la Renaissance, qui a inondé notre sol, aux XVIIème et XVIIIème siècles, de ces affreuses constructions, dont l'aspect glacial est incapable de charmer la pensée et ne convient, tout au plus, qu'à un charnier ou à un mausolée.

Si, des objets extérieurs, nous passons au génie et aux instincts des hommes d'alors, nous y voyons le même besoin d'innover en tout : costumes, mœurs, usages, tout est changé. La fureur de l'antique est partout, bouleverse tout : il n'y a pas jusqu'aux vieux saints de nos calendriers qui ne se voient forcés de céder souvent la place aux nouvelles divinités, et, sur les fonts baptismaux, on n'entend plus nommer que Diane, Sybille, Calliope, Hercule, Polydore ou Socrate ! Nous étonnerons-nous, après cela, au siècle suivant, de l'afféterie des précieuses de l'hôtel de Rambouillet, autour de leur Arthénice, et, presque de nos jours, des pasquinades révolutionnaires, avec accompagnement de Brutus et de Cassius ?

Mais, revenons à notre sujet, après cette digression un peu longue.

Au milieu de cette pacifique révolution opérée dans les arts et dans la pensée, bon nombre d'antiques familles de gentilshommes et de bourgeois, tout en suivant avec précaution le progrès, avaient su garder leur simplicité et leur bonhomie héréditaires. Nous avons vu, par cet extrait de l'inventaire des Compadre, qu'eux aussi avaient partagé le goût du confortable de l'époque ; nous verrons bientôt qu'ils allaient faire un tout autre emploi de leurs économies et de l'excédant de leurs revenus.

C'était, du reste, une noble tradition, dans la famille de Henry Compadre, de faire partager sa richesse à ses concitoyens. En 1545, Pierre Compadre était bienfaiteur et administrateur de l'hôpital de Saint-Brieuc. En 1586, Jean, avec quelques autres citoyens, se signalait par son zèle et son dévouement, lors des ravages d'une épidémie dans sa ville. Henry Compadre devait se montrer digne émule du désintéressement et du patriotisme de ses proches.

On était alors aux jours les plus périlleux de cette guerre de Français à Français, qui bouleversa notre patrie, à la fin du XVIème siècle. Nous n'entreprendrons point de raconter la lutte qui s'engagea avec tant d'acharnement, surtout en Bretagne. Les savants auteurs des Anciens Evêchés de Bretagne ont donné de curieuses et intéressantes pages sur ces luttes, dans lesquelles notre province eut le triste avantage de jouer un rôle capital. Notre intention est de remplir une lacune, de donner une date et quelques détails qui pourront servir à l'histoire de notre ville.

Avant de faire intervenir Henry Compadre au milieu des démêlés des Royaux et des Ligueurs, disons, en deux mots, comment il fut promu à la charge de syndic de sa ville natale. Je ne sache pas qu'on ait écrit, jusqu'à ce jour, ce qui se pratiquait à l'élection et à l'installation de ce magistrat.

La charge de syndic (scyndic, comme on l'écrivait autrefois), des bourgeois et habitants de la ville et communauté de Saint-Brieuc, remplacée par celle de maire, en 1692, était donnée d'ordinaire à l'un des plus notables de la cité, et comme, parfois, le syndic payait autant de sa bourse que de sa personne, la bonne ville avait tout intérêt à s'adresser aux hommes riches, courageux et dévoués à leur pays. Assemblés dans l'église Saint-Michel, « lieu ordinaire de leurs délibérations, » les notables de Saint-Brieuc se consultaient, cabalaient quelquefois, et lorsque, enfin, ils avaient jeté les yeux sur un des leurs, pour l'honorer de leur plus haute magistrature, on s'empressait de signifier à l'élu « la dicte chouaisie des bourgeois, » en même temps qu'on lui délivrait « ung autant de l'acte d'icelle, avec sommation de comparoître le lendemain, jour de dimanche, en l'esglisse parochiale du dict Saint-Michel, pour entrer en la dicte charge, en manière accoustumée ». Tout cela se passait seulement la veille de l'installation du syndic. Nous lisons encore, dans un vieux livre de comptes : « Pour avoir faict dresser la dicte sommation et paié un sergent qui l'inthyma, cy : XV soulz, » enfin, « pour avoir retiré des notaires l'acte contenant la nommée du dict, en la qualité de syndic, cousta, tant pour avoir mené les notaires en l'esglisse Saint-Michel, pour prendre l'agrée du dict acte, que pour la grosse d'icelluy, cy IIII # ».

Voilà donc la « chouaisie » des bourgeois arrêtée, et le nouveau magistrat « scyndic » installé en bonne et due forme, voire même par devant notaires. Jusque-là, l'honneur seul semblait faire les frais de sa nouvelle dignité ; mais l'heure des déboursés allait bientôt venir ; écoutons : « Pour le banquet, que donna le dict nouveau scyndic aux dicts bourgeois, sellon la manière accoustumée à son entrée en la dicte charge, lui cousta quattre escus ». Ce n'était pas exorbitant, il est vrai ; mais, du moins, voyons-nous par là que jadis, comme aujourd'hui, les honneurs coûtaient quelque chose. Cependant, il faut tout dire ; quand notre ville était en fonds (res miranda !) elle payait généreusement à son élu ces légers déboursés.

Telles sont, en résumé, les épreuves par lesquelles passaient les syndics de ce temps. Compadre, avant d'entrer en charge, essuya donc et la chouaisie et le banquet, et fut nommé, pour l'année 1592, c'est-à-dire, du jour « St Michel-Monte-Gargano » 1591 , à pareil jour de 1592, la durée de cette honorable fonction étant alors d'une année.

A cette date, Saint-Brieuc était au pouvoir des Royaux. De nombreuses escarmouches avaient eu lieu déjà ; et, tantôt aux mains des lieutenants de Henry de Bourbon, prince de Dombes, « fort dévoué au roy de Navarre, » tantôt « soubs l'obéissance » de Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, chef de la « Saincte Union » en Bretagne, la ville et ses environs étaient sur un quivive de chaque jour. A tout moment les nouvelles les plus alarmantes parvenaient aux oreilles du syndic. La ville était-elle aux Royaux ? on apprenait que les troupes de Mercœur arrivaient. Au contraire, la Ligue en était-elle maîtresse ? le bruit courait que les lieutenants du prince de Dombes étaient proches ; et tous, et chacun, faisant payer chèrement son passage, on s'imaginera aisément les angoisses de nos pères.

A l'entrée en charge de Compadre, on parlait déjà d'une prochaine attaque de Ligueurs ; à en croire certaines rumeurs, les troupes de l'Union étaient dans le voisinage. Aussi, par mesure de précaution, le syndic se hâte-t-il d'envoyer « trois messagiers [Note : Au XVIème siécle, nous voyons que Saint-Brieuc avait ses messagiers, office dont l'utilité était grande alors, vu le peu de facilité de communication avec le dehors], l'un après l'autre, à Lamballe, pour sçavoir nouvelles de certains gens de guerre y estant, lesquels on craignoit venir au dict Saint- Brieuc, pour y ravager » [Note : Livre de Compadre]. Ceci se passait « le uncziesme iour d'octobre » 1591.

La garnison royaliste, qui tenait la ville, était faible, parce que Henry de Bourbon, ayant résolu de s'emparer de Saint-Méen, avait besoin, pour cette entreprise, de toutes les forces dont il pouvait disposer. Il est vrai que son armée s'était grossie récemment de 2,400 hommes, que la reine d'Angleterre lui avait envoyés, sous les ordres du baron de Noris. Mais cette troupe, décimée par la maladie, suite des excès de toute sorte, ne put lui fournir entièrement l'appui sur lequel il comptait. En un seul jour, le 11 octobre (1591), Compadre avait « faict enterrer huict soldatz anglois de l'armée de mon seigneur le prince de Dombes, lesquels demeurèrent, en cette ville, malades après le départ de la dicte armée » [Note : Comptes de Compadre]. Pour parer à toute éventualité, Henry de Bourbon entretenait une correspondance active avec du Liscouët [Note : Yves da Liscouët, célèbre capitaine royaliste, maréchal de camp en 1593, eut la main droite coupée d'un coup de hache, au sac de Carhaix, en 1590, et fut tué à Crozon, en 1594, à l'attaque du fort des Espagnols], auquel il avait confié momentanément la garde de la Tour de Cesson, et avec le capitaine Chasteau, qui commandait la ville.

Du Liscouët ne resta que peu de temps à Saint-Brieuc ; il en, quitta pour aller reprendre sa garnison de Quintin, et il eut raison, car la rivalité n'eût pas tardé à éclater entre lui et le capitaine Chasteau. « Le lendemain qu'il enstra dans la Tour de Cesson, » nous dit Compadre, il avait, paraît-il, voulu faire acte d'autorité même dans la ville, en y expédiant un messager avec une lettre à l'adresse des bourgeois. Ce procédé déplut sans doute au capitaine Chasteau, « commandant pour le service du Roy, » et une explication dut s'ensuivre, car, à la date du 22 novembre, nous voyons arriver un « commandant, envoyé exprès en ceste dicte ville, par mondict seigneur le prince (le prince de Dombes), pour les affaires d'entre le dict sieur du Liscouët et le cappitaine Chasteau, touchant la Tour de Cesson » [Note : Comptes de Compadre]. Malheureusement l'arrivée du pacificateur coûta encore quelque chose à notre ville, et le déjeûner, que Compadre lui fit servir, ne valut pas moins de « deux escus, deux tiers d'escus ». Cette visite du « commandant », fut de plus défavorable au capitaine Chasteau, auquel on donna tort vraisemblablement, puisque nous lisons que « ung messagier fut envoié exprès à Quintin, de la part des dicts bourgeois , le trantiesme iour de décembre au dict an, au dict sieur du Liscouët, pour luy faire excuses, touchant l'entreprise faicte à la dicte Tour de Cesson, lorsque du Hirant fut bleczé » [Note : Comptes de Compadre].

Que s'était-il passé, dans « l'entreprise faicte à la dicte Tour ? ». Le capitaine Chasteau, après le départ de du Liscouët, aurait-il voulu, aussi lui, étendre son commandement sur sa garnison ? On serait porté à le croire. En tout cas, l'affaire avait eu quelque gravité, puisque le nommé du Hirant y avait été blessé. Quoi qu'il en soit, la satisfaction accordée à M. du Liscouët dut lui plaire, car, non-seulement on lui envoya, « pour faire la dicte excuse, » un simple « messagier, » mais « sire Mathurin Le Coniac, lequel fust depuis députté des dicts bourgeois » [Note : Comptes de Compadre].

Du Liscoët, du reste, était un homme à ménager ; on savait tout le cas que le jeune prince de Dombes faisait de sa valeur et de ses talents militaires. Sa réputation était sans doute bien plus généralement établie, à en juger par le souvenir que son nom a laissé dans les annales de ces guerres, que celle de son compétiteur, le capitaine Chasteau, bien moins connu. Ce dernier, néanmoins, tint bon à Saint-Brieuc et sut, à diverses reprises, se faire payer de beaux et bons écus par les Briochins, notamment au mois d'août 1591. « Quarante ung escus, trois soulz, six deniers, pour la nourriture et entretiennement de soixante lansquenetz, quels furent, l'espace d'une sepmaine, en garnison au dict Saint-Brieu » [Note : Comptes de Compadre]. Nous verrons, du moins, par la suite, ce capitaine joindre ses prières à celles des habitants de Saint-Brieuc, pour supplier ceux de son parti de ne pas s'abattre en trop grand nombre sur cette cité. Il est vrai qu'il sera peu écouté ; mais encore doit-on lui savoir gré de ses bonnes intentions.

De sa garnison de Quintin, du Liscouët avait cependant toujours l'œil au guet, entretenant de tous côtés des espions et des sentinelles. Le 3 novembre, il envoie à Saint-Brieuc un soldat « porter avertissement de certains gens de guerre qu'il craignoit y voulloir donner » [Note : Comptes de Compadre]. et « le dict jour, suivant le récit faict par le dict soldat, fut envoié exprès ung messagier à Plancoët, pour s'asseurer du dict avertissement » [Note : Comptes de Compadre].

L'année 1591 se termina par cette panique ; mais les alarmes des habitants de Saint-Brieuc devaient se prolonger encore, durant tout le cours de celle qui allait commencer. En effet, dès le 17 janvier 1592, le désordre était si grand dans la ville et ses environs, que « le sieur de Crapado arriva en ceste dicte ville de Saint-Brieuc, avecq commission de mon seigneur le prince de Dombes, afin de s'enquérir et faire estat des désordres et insollences que faisoient les gens de guerre en ce païs. Luy fust présenté en son logis, au nom de la dicte ville et par le commandement des dicts bourgeois, quattre pots de vin de Gascogne, à douze soulz le pot » [Note : Comptes de Compadre. — Anger ou Angier, baron de Crapado, fort zélé pour la cause royaliste, découragé, dans la suite, par le peu de succès des armes du roi, après le siége de Craon, 1592, alla offrir ses services à Mercœur et lui promit de lui livrer Rennes. Averti de cette défection, Henry de Bourbon le fit arrêter et passer devant un conseil de guerre, le 3 février 1593, qui le condamna à avoir la tête tranchée, le jour même]. Il fallut, de plus, payer « dix soulz pour avoir ung autant de la commission du dict sieur de Crapado » [Note : Claude Anger (ou Angier), seigneur et baron de Crapado, de la Rivière, de la Chauvelière, et gentilhomme ordinaire de la chambre du roy, et lieutenant de la compagnie de cent hommes d’armes du duc de Montpensier, admis dans l’ordre de Saint-Michel vers le règne de Charles IX, est qualifié chevalier de l’ordre du roy dans le procès-verbal de réformation de la coutume de Bretagne du 15 août 1575. Il était fils de René Anger (ou Angier), seigneur et baron de Crapado, et de Louise de Scepeaux. Claude Anger épousa, en 1578, Marguerite Le Roux, fille de N... le Roux, seigneur de la Roche des Aubiers, en Anjou. Ce fut le 3 ou 4 février 1593 qu’il eut la tête tranchée sur une place publique de Rennes. Son fils Claude Anger, seigneur et baron de Crapado, de la Rivière et de la Chauvelière, est qualifié chevalier de l’ordre du roy dans un acte du 4 novembre 1626. Claude Anger fils épousa : 1° en 1604 Marguerite d’Arconnay ; 2° Diane de Brinon, veuve d’Antoine du Val, conseiller au parlement de Rouen].

Ces pois de « vin de Gascogne » devinrent le salut ordinaire des malheureux Briochins, à l'arrivée de chaque lieutenant du maître. On espérait, par des procédés aussi galants, toucher peut-être le cœur de ces officieux protecteurs. Hélas ! ainsi qu'on le dit vulgairement, ce n'était souvent que mettre l'eau à la bouche de ces messieurs.

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Le 16 du même mois, on avait déjà reçu une missive de Henry de Bourbon, traitant de la même matière ; le 22, Compadre « fist, par Rouault, sergent, inthimer les bourgeois du dict Saint-Brieu, pour s'assembler au lendemain, en son logis, afin de conférer et délibérer sur la dicte commission » [Note : Comptes de Compadre] du sieur de Crapado.

Nous remarquons ici que les délibérations du « général des habitants » n'ont plus lieu à l'église Saint-Michel, comme de coutume, « au post-commun de la grand'messe » [Note : Comptes de Compadre]. Du jour où les huguenots furent maîtres de la ville, les églises furent interdites, ou servirent de casernes et de magasins ; le culte fut ainsi en partie suspendu et la vieille cathédrale, veuve de son premier pasteur, le pieux et savant Langelier, obligé de fuir et d'aller chercher asile à Dinan. Quoique loin de son troupeau, cet évêque, persécuté par le parti royal, veillait encore sur sa ville et l'aidait de ses conseils et de son influence sur Mercœur. Nicolas Langelier est, certes, une des belles figures de cette époque : calme et digne au milieu des difficultés et quelquefois des périls, il sut, malgré son zèle pour la Sainte-Union, se donner tout à tous. Son épiscopat fut un des plus tourmentés ; il n'y a pas jusqu'à certains de ses chanoines, avec lesquels il n'ait eu à lutter [Note : Anciens Evêchés de Bretagne]. Cependant, justice lui fut toujours rendue, comme le prouve le rôle qu'il joua à l'assemblée générale du clergé, à Saint-Germain-en-Laye (1579), au concile d'Angers (1583), aux États-Généraux (1588), et l'estime constante qu'eut pour lui Philippe Emmanuel de Lorraine, dont il devint un des fidèles conseillers.

Ainsi privée de son évêque, noire ville eut sans doute beaucoup à souffrir, au point de vue religieux. Nous venons de le dire, les églises étaient interdites momentanément à l'exercice du culte et par suite fermées aux habitants qui se virent contraints de tenir ailleurs leurs assemblées. C'est donc « au logis » de leur syndic que nous les rencontrons, le 22 janvier 1592, conférant et délibérant « sur le faict » de monsieur de Crapado.

« Estant en la dicte assemblée, fust avisé, tant par les dicts bourgeois que par le procureur du roy [Note : C'était un sieur de Lanigut] (lequel assista en icelle), de faire articuler des plaintes tant des dicts bourgeois que des pauvres laboureurs des paroisses circonvoisines du dict Saint-Brieu, pour présenter au dict sieur de Crapado, afin de remédier aux maux susdicts » [Note : Comptes de Compadre]. Encore, « pour avoir faict dresser les dicts articles et escrire par trois fois qu'ils furent délivrés, savoir : l'ung au dict sieur de Crapado, l'autre au dict procureur du roy et l'autre pour retenir par les dicts bourgeois, en cousta au dict Compadre ung livre, dix soulz » [Note : Comptes de Compadre].

Inutile d'ajouter que toutes ces protestations et « plaintes tant des dicts bourgeois que des pauvres laboureurs des paroisses circonvoisines du dict Sainct-Brieu » restèrent sans effet, car, le 20 février, force fut « au général des habitants » de s'assembler une nouvelle fois pour « délibérer sur les insollences que faisoient les soldats du capitaine de ceste ville, aux environs du dict S.-Brieu » [Note : Comptes de Compadre]. Et cependant, Dieu sait combien les pauvres habitants payaient de leurs bourses ! Un jour, le 25 janvier, c'était trois cent quarante-deux livres de poudre, « à deux escus et demy la livre, » « envoiées à Moncontour, suivant le commandement de mon dict seigneur le prince » [Note : Comptes de Compadre] ; le lendemain, c'était la garnison, « establye au dict Saint-Brieu, » et ses fredaines qu'il fallait solder.

Sur ces entrefaites, « le 12e jour d'avril, le sieur de Bastenay arriva en ceste ville » [Note : Comptes de Compadre. Marc-Antoine de Rochefort, sieur de Bastenay, était capitaine de chevau-légers et favori du prince de Dombes, dont il partageait l'ardeur pour les plaisirs ; aussi, les auteurs contemporains nous le montrent-ils à Rennes avec ce dernier, « faisant l'amour et des courses de bague »]. C'est assez dire que le « vin de Gascogne » joua son rôle ordinaire dans l'arrivée du nouveau venu. Sur l'ordre des bourgeois, en effet, « luy en fust présenté, en son logis, quattre pots » toujours à « douze soulz le pot ». On eut même la courtoisie d'y joindre « ung pot d'ypocras qui cousta quarante soulz » [Note : Comptes de Compadre] ; sans doute parce qu'on augurait bien de l'arrivée de M. de Bastenay, en ces critiques circonstances. Pas du tout ; les nouvelles qu'il apportait n'étaient rien moins que rassurantes, puisque, dès le cinq avril, nous trouvons Compadre payant « xxxj livres à Pierre Marquet et aultres maczons y tant pour eux que pour leurs servans, et, avoir fourny la pierre et ardille, pour deux murailles pour bouscher la rue d'Aguado, sçavoir : l'ung au coign du jardin de la Porte-Aaron et l'autre sur l'Ingoguet, entre le jardin du dict Compadre et celluy de Lorent Bagot » [Note : Comptes de Compadre].

Il était temps, du reste , de préparer ses moyens de défense. Le jour ne pouvait tarder à venir où Mercœur et ses lieutenants allaient tenter une grande entreprise sur Saint-Brieuc et surtout sur sa forteresse de Cesson, objet de convoitise pour les deux partis.

Craignant, et avec raison, de perdre cette position avantageuse, Dombes renforçait, toutes les fois qu'il lui était possible, les garnisons qu'il entretenait dans cette partie de la Bretagne. Nous avons vu deux de ses lieutenants, Crapado et Bastenay, se succéder à Saint-Brieuc, sous prétexte de s'enquérir des vexations que souffraient « les pauvres habitants du pais ; » mais le vrai motif, croyons-nous, de ces visites si rapprochées n'était que d'étudier le terrain, entretenir les garnisons, les fournir d'abondantes munitions, en un mot, ne rien négliger pour rester maître de la place. Aussi, dès le mois de janvier, pendant le séjour du capitaine de Crapado à Saint-Brieuc, avait-on fait prudemment « accoustrer les barrières de Saint-Pierre et du Pylory » [Note : Comptes de Compadre].

Pendant que Saint-Brieuc dépensait son or pour se donner un semblant de défenses et entretenir garnison, il fallait encore songer à faire face au terrible édit de Sa Majesté, qu'on avait lancé comme une dernière vexation sur notre malheureux évêché. Ecoutons : « Item, au dict mois d'apvril, le dit comptable (Henry Compadre) paia, chez Hervé Le Normant, pour la despense da Sr. de Saint-Pabin, anxien avocat en la Court roialle du dict S. Brieu, du Sr. De Lanigut, procureur du roy, de maistre François Quémar, greffier de la dicte Court, et aultres qui furent occupés à faire le département de la somme de quatorze-mille deux-cens cinquante escus, ordonnés par le roy estre levés sur l'évesché du dict S. Brieu, pour le paiement des garnisons establies pour le service de Sa Majesté » [Note : Comptes de Compadre].

Quatorze mille deux cent cinquante écus ! C'était dur pour un pays déjà ruiné ! A cela joignons les autres dépenses journalières et imprévues, les vexations et les « insollences » des gens de guerre à l'égard des Briochins et des « pauvres laboureurs » des environs, et nous pourrons nous faire une idée de la rigueur de ces temps. Jour et nuit, il fallait être aux aguets, et désormais les citoyens durent faire sentinelle, comme nous le prouvent ces lignes de Compadre, qui parle de « soixante huict soulz qu'il paia à ung appelle Le Mercier (maczon), pour avoir faict ung esperon au devant de l'huis de l'entrée du clocher de S. Michel, lequel y estoit nécessaire pour la seureté de ceux qui estoient ordonnez pour faire la sentinelle et garde ordinaire dans le dict clocher » [Note : Comptes de Compadre].

Il était bon, effectivement, de redoubler de vigilance, car, le 25 avril, « les bourgeois de ceste ville receurent avertissement qu'il estoit arrivé, à Lamballe, plussieurs gens de guerre, les quels délibéroient venir ravager en icelle ; fust avisé, en l'assemblée de la dicte ville, escrire à mon seigneur du dict S. Brieu, affin de le supplier estre moien de détourner les susdésignez » [Note : Comptes de Compadre]. C'était sans doute de troupes du parti de l'Union qu'il s'agissait ; aussi, nos bourgeois n'avaient garde d'oublier leur évêque. Mais, en dépit de son bon vouloir, la voix de Langelier était souvent impuissante ; elle fut sans doute peu écoutée en cette circonstance, et « le huictiesme iour de may, le capitaine La Vaugine, avecq nombre de soldats disant estre pour le service de monseigneur le duc de Mercœur, s'empara de la maison de la Ville-Bougault » [Note : Comptes de Compadre — Jérome d'Aradon, Sr de Quinipily, gouverneur d'Hennebont, cite le nom du capitaine La Vaugine dans son Journal, mais sans donner de détails.].

Les Ligueurs étaient bien près de Saint-Brieuc, le manoir de la Ville-Bougault en étant à peine distant d'un kilomètre. Encore un pas et les voilà dans la ville. La garnison du capitaine Chasteau était-elle assez forte pour tenir tête à La Vaugine, qui avait sous ses ordres « nombre de soldats ? ». Que faire ? Nos bourgeois s'assemblent ; vouloir résister au nombre serait folie ; on aime mieux recourir aux moyens de douceur et le mezzo-termine de la conférence se résume en « six potz de vin qui furent baillés, du consentement des dicts bourgeois, à maistre Nicollas du Nay, pour faire porter à la Ville-Bougault pour présenter audit La Vaugine » [Note : Comptes de Compadre]. On est heureux de capituler à si bon compte. Sans doute, on espérait par là gagner du temps et faire prendre patience à M. de la Vaugine ; cette conduite était d'une fort bonne politique. En même temps, des émissaires avaient été envoyés aux garnisons voisines de Royaux pour demander du secours, secours qui ne se fit pas attendre. « Le treiziesme iour de may, le capitaine Quensal, étant venu exprès du Guémadeuc, avec sa compaignie de gens de guerre, pour le secours de la dicte ville de S. Brieu » [Note : Comptes de Compadre. — Le château de Guémadeuc, en Pléneuf, d'où venaient ces renforts de troupes royales, devait tomber bientôt, après un siége de quelques heures, sous les coups de deux canons et de 600 Ligueurs, conduits par le marquis de Chaussin, en 1592 (et non en 1590, comme le dit Ruffelet). D'aprés Jérome d'Aradon, gouverneur d'Hennebont, ce marquis de Chaussin était frère de Mercœur : « Le samedy, XXXème iour dudict mois de juin (1590), le marquis de Chaussin, frère de mon seigneur de Mercœur, dit-il, courut la bague (à Vannes) et plusieurs gentilshommes, en présence de mon dit seigneur de Mercœur, entre lesquels mon frère d'Aradon et moi emportasmes la bague, et estions trente cinq courreurs. ». Cité par dom Taillandier], fut certes le bien reçu. Non-seulement on lui fit boire « huict potz, vin de Gascougne, » mais on ajouta « quelques pains et viandes, ung pot d'ypocras et des confitures » [Note : Comptes de Compadre] ; toutes choses auxquelles le capitaine ne dut pas être insensible, surtout après une marche forcée.

Cependant Quensal et sa compagnie ne semblaient pas encore assez forts, ni assez nombreux aux Royaux pour être opposés à La Vaugine, et l'on fit venir de Guingamp quelques troupes avec le capitaine La Roche-Bagot. Un engagement ne tarda pas à avoir lieu ; on en vint aux mains « devant la Ville-Bougault ». L'affaire fut sanglante, suivant Compadre, qui « paia IX soulz à ung appelle La Coste, pour avoir porté trois coëttes du logix du docteur théologal à l'évesché, pour coucher quelques soldats venus de Guingamp, en la compaignie du capitaine La Roche-Bagot, lesquels furent bleczez » [Note : Comptes de Compadre — La tradition populaire accorde une grande importance au manoir de la Ville-Bougault, dont il ne reste plus que le colombier, et veut qu'un de nos rois, traversant Saint-Brieuc jadis, frappé de la magnificence de ce domaine, se soit retourné vers les seigneurs et les courtisans qui l'accompagnaient et leur ait adressé ces royales paroles : « A qui qu'est l'biau châtel-là ? ». Et les gens du pays de se rengorger dans leurs collerettes et de répondre ; « Est y pas à mon sieur de la Ville-Bougault, donc !... »] dans cette rencontre.

Le manoir épiscopal, depuis le départ de Nicolas Langelier, s'était transformé en caserne et en hôpital de lansquenets. Les huguenots avaient eu bien soin de s'en rendre maîtres, sans doute sous l'inspiration de quelque ministre de la religion prétendue réformée, peu scrupuleux à l'endroit des biens du clergé fidèle. Cependant l'évêque n'avait rien tant à cœur que de voir son palais en de moins profanes mains ; aussi voyons-nous un beau jour arriver à Saint-Brieuc « Edmond Beaulieu, secrétaire du dict seigneur de S. Brieu, pour solliciter que quelques uns des bourgeois de la dicte ville eussent prins la dicte ferme du dict évesché, lequel estoit saisy en la main du roy » [Note : Comptes de Compadre]. Et, à la date du 10 juillet (1592), « pour complaire à mon seigneur du dict S. Brieu et pour le grand bien de la dicte ville, dit Compadre, il estoit expédient que quelques particuliers d'icelle eussent prins la ferme de son évesché, laquelle avoit esté tenue l'an précédent par le capitaine Chasteau, lequel la voulloit encore retenir pour l'an suivant. ». Ce dernier paragraphe ne surprendra personne : en 1592, comme de nos jours, c'est à qui s'emparera du meilleur morceau en pays conquis. La suite des comptes du syndic ne nous dit pas si l'on prit en considération la prière du seigneur évêque.

Le moment était proche, du reste, où le capitaine Chasteau allait s'effacer devant l'un des plus fameux capitaines de Henry de Bourbon, devant Rieux, marquis de Sourdéac, lieutenant-général en Basse-Bretagne pour le service de Sa Majesté. Sourdéac, en effet, ne pouvait tarder à venir à Saint-Brieuc observer par lui-même le mouvement des troupes de Mercœur, qui approchaient à petites journées de cette place. « Le dix-huict juillet, sur certain avertissement que reçeurent les bourgeois du dict S. Brieu, come il y avoit certaines troupes de gens de guerre tant de cheval que de pied, par compaignies du seigneur de Sourdéac, lesquelles restant aux environs de Chastelaudren disoient voulloir venir loger, en ceste journée , en ceste ville de S. Brieu, fust avisé d'envoier exprès Turquays, messagier dudit S. Brieu, porter ung lettre à Guyngamp au dict seigneur de Sourdéac et au commandeur de Quarantouer, de la part des dicts bourgeois et du capitaine Chasteau, affin de le supplier que les dictes troupes n'eussent logé en ceste ville » [Note : Comptes de Compadre — Quarantouer ou Carentoir, dans l'évêché de Vannes, commanderie de l'ordre du Temple]. En dépit de cette gracieuse supplique, dès le lendemain, « le dict seigneur de Sourdéac arriva en ladite ville de S. Brieu. Par l'avis des dicts bourgeois luy fust présenté, à son logix, six potz vin de Gascougne » [Note : Comptes de Compadre].

M. de Sourdéac n'abusa cependant pas d'une si aimable hospitalité et partit bientôt. Mais un motif plus sérieux que le précédent devait incessamment le ramener à Saint-Brieuc. « Le dernier jour de juillet du dit an mil cinq-cens quatre-vingt douze, le sieur de S. Laurent, mareschal de camp de l'armée de mon seigneur le duc de Mercœur, arriva au dict S. Brieu avecq ses trouppes » [Note : Comptes de Compadre — Jean d'Avaugour, Sr de Saint-Laurent (ramage de Penthièvre). célèbre lieutenant du duc de Mercœur, marié, en 1580, à Françoise de Coëtquen, dont le père, le marquis de Coëtquen, gouverneur de Saint-Malo, ardent royaliste, devint pour lui un adversaire et un ennemi redoutable, en plusieurs circonstances, notamment au combat de Loudéac]. Saint-Laurent revenait de Malestroit, qu'il avait en vain assiégé, et comptait se laver de cet échec par la prise de Cesson. Les débuts de sa nouvelle campagne furent engageants ; la garnison de Saint-Brieuc n'étant pas de force à s'opposer à son établissement dans la ville, il y commanda en vainqueur [Note : Ce fait nous est attesté par Compadre qui, après avoir imploré merci près de ce capitaine, « fist dresser une sauvegarde généralle pour les habitans de la dicte ville et du hâvre de Légué »]. Mais c'était moins la ville de Saint-Brieuc que la tour de Cesson qui attirait le lieutenant de Mereœur dans le pays ; Saint-Laurent se disposa donc à mettre le siége devant cette forteresse.

Le détail de cette opération militaire ne manque pas d'intérêt. Arrivé « le dernier iour de juillet, » Saint-Laurent ne perd pas un temps que Sourdéac n'eût pas manqué d'utiliser. Sur son ordre, le syndic Compadre dut envoyer des messagers, « le second jour d'aoust, porter des billets aux curés de la Méaugon, Plerneuf, Trémuson, Plérin, Trégueux et Langueux pour faire venir des pionniers, pour aller à la Tour de Cesson et des chevaux pour y traisner le canon » [Note : Comptes de Compadre]. Cette tactique de Saint-Laurent était prudente ; ses troupes étaient à peine remises des fatigues d'une longue route ; il était bon de les ménager et de leur faire reprendre haleine, en prévision de l'arrivée subite de l'ennemi. Malheureusement, ces « pionniers, » venus des communes voisines, allaient être encore une charge bien lourde pour Saint-Brieuc, et, à chacun des jours suivants, nous voyons, dans les comptes du syndic, une longue addition « d'escus » pour solde du pain « baillé aux dicts pionniers ».

« Le mercredy, 5e d'aoust au dict an, les canons furent amenés du Légué en ceste ville » [Note : Comptes de Compadre]. C'était donc par mer que le matériel des troupes de Saint-Laurent arrivait à Saint-Brieuc [Note : Comptes de Compadre]. Du reste, à ce mois de l'année 1592, les abords de notre ville n'étaient pas faciles pour les troupes de l'Union. Les Royaux occupaient presque en totalité les petites garnisons du voisinage ; la voie de mer était donc la plus sûre pour opérer un débarquement, pourvu toutefois que l'on fût parvenu à tromper la vigilance des hôtes de Cesson. En possession de son matériel de guerre, Saint-Laurent se hâte de dresser le plan et de choisir le lieu de l'attaque qu'il méditait ; à cet effet, les pionniers sont « envoiés près de Saint-Michel pour abattre les murs et fossés, pour y estre ung champ de bataille ». Ce dernier article nous dit positivement où eut lieu le combat. Jusqu'à ce jour, on en était réduit aux conjectures, faute de documents contemporains ; les uns avaient placé ce combat dans les grèves de Saint-Laurent, en Plérin ; les autres, et avec plus de vraisemblance, dans le faubourg de la Corderie, de notre ville.

A peine maître de Saint-Brieuc, nous avons vu Saint-Laurent établir ses batteries de siège devant le fort de Cesson ; sur son ordre et celui « des maistres de camp de son armée, trante-trois futz de pipe furent portés à la dicte tour, pour gabionner devant icelle » [Note : Comptes de Compadre]. C'était le jeudi 6 août. Déjà il avait été fait « commandement au dict Compadre, par le dict sieur de Saint-Laurent ; que en toutte diligence il eust été faict par les habitants du dict Saint-Brieuc ung magazin de trante pippes, vin bon et vieux, pour fournir l'armée d'icelluy sieur et évitter la grande foulle et opression du pauvre peuple de la dicte ville, que les soldats outrageoient journellement. Leur en fournit le dict comptable, pour commencement du dict magazin, et délivra à maistre Michel Hourdel, garde général des vivres en la dicte armée, le nombre de six pippes, tant de Rochelle que de Charente ; et de ce, appert acquit du dict Hourdel, en date du 3e jour d'aoust, au dict an » [Note : Comptes de Compadre]. Or, chaque « pippe estoit de 28 escus ; » qu'on additionne ! Saint-Laurent avait, sans doute, bonne intention en établissant un magasin de vivres ; c'était un moyen d'ôter à ses soldats [Note : Les soldats de l'Union avaient trois quartiers principaux, à Saint-Brieuc, « tant en l'évesché, dit Compadre, en la grande esglise que au devant du logix du dict sieur de Saint-Laurent ». A toute cette soldatesque, il fallait place au feu et à la chandelle des pauvres Briochins, et leur syndic ne parle de rien moins que de « douze chartées de bois tant fagots que busches, à raison de deux escus chaque chartée, et sept douzaines de chandelles, à raison de douze soulz la douzaine ; » et cela, « durant le tems que le dict Sr de Saint-Laurent séjourna au dict Saint-Brieuc, que du tems que l'armée espagnolle du seigneur Dom Jouan y fust, que fust en tout l'espace de vingt ung jours »] le prétexte de rançonner les Briochins ; mais ces deux épithètes « vin bon et vieux » atténuent singulièrement sa bonne envie « d'évitter la grande foule et oppression du pauvre peuple ». Le dicton est vrai : A la guerre comme à la guerre !

Tout semblait présager un triomphe aux Ligueurs. Saint-Laurent a ravitaillé son armée ; son effectif est de deux cents chevaux ; le reste de ses forces se compose de fantassins, français et lorrains, renforcés d'un détachement de troupes espagnoles de Dom Juan d'Aquila [Note : Mercœur, gouverneur de Bretagne pour Henri III, en 1582, avait songé à faire valoir, après la mort de ce roi, les droits, à ce duché, de Marie de Luxembourg, duchesse de Penthièvre, sa femme. Philippe II d'Espagne, en mettant des troupes à la disposition du chef de la Ligue dans notre province, comptait servir plutôt ses prétentions personnelles sur la Bretagne, regardant « cette province, dit Taillandier, comme un héritage qui appartenait légitimement à l'Infante Claire-Eugénie, sa fille, qu'il avait eue de son mariage avec Isabelle de France, fille de Henri II et sœur des trois derniers rois ». Parties du port de Laredo, les galères espagnoles, commandées par Dom Diégo Brochero, avec cinq mille fantassins, sous les ordres de Dom Juan d'Aquila, touchèrent les côtes de Bretagne le 12 octobre 1590]. Mais voilà que le bruit de l'arrivée des troupes royales se répand soudain. Sourdéac, à la nouvelle des entreprises de Saint-Laurent, accourt en toute hâte à Saint-Brieuc pour secourir la garnison de Cesson. Kergommard, gouverneur de Guingamp, du Liscouët, de Précréan et plusieurs autres gentilshommes se joignent à lui et marchent sur notre ville, avec environ quatre ou cinq cents hommes de pied, un corps de lansquenets et près de cent cinquante chevaux. Averti à temps, Saint-Laurent quitte sa position devant Cesson et revient attendre les Royaux dans la plaine Saint-Michel.

C'était le « samedy huictiesme iour d'aoust au diet an mil cinq ceps quatre vingt douze » [Note : Comptes de Compadre] ; « le dit sieur de Saint-Laurent se présente en bataille ; il y eut un fort grand et fort opiniastre combat, où le dict sieur de Sourdéac fit fort courageusement et bravement, comme aussi les dits sieurs de Kergommard, de Kermorvan, son frère, et de Liscouët avec leur troupe de cavalerie ; et le sieur de Pécréan, qui commandait la garnison de Guyngamp, qui estoit à pied, y acquit bien de l'honneur et y fut blessé, et le capitaine la Périère, qui est de Vitré, lieutenant d'une compagnie de la dicte garnison de Guyngamp, s'y fit courageusement remarquer. Le dict sieur de Saint-Laurent fut pris prisonnier de la main du boureau des lansquenets, qui lui saisit la bride de son cheval. Plusieurs gentilshommes furent aussi pris prisonniers ; l'infanterie fut mal menée, et ce qui se put sauver se pila dans l'église du dict Saint-Brieuc, là où ils furent pris par composition. Le dit sieur de Saint-Laurent fut mené prisonnier au dit Guyngamp, d'où il se sauva peu de temps après » [Note : Mémoires de Jean du Matz, seigneur de Terchant, gouverneur de Vitré].

Ce récit d'un contemporain nous apprend le dénoûment de l'entreprise de Saint-Laurent sur la Tour et de la bataille livrée entre cette forteresse et la ville de Saint-Brieuc. Mais, au style, on reconnaît aisément que le narrateur appartient au parti vainqueur. Il exalte, en effet, la valeur de Sourdéac et des autres capitaines royaux, au détriment d'une résistance qui, du côté de Saint-Laurent et de ses compagnons, ne le céda en rien, au dire même de leurs adversaires, au courage et à l'habileté des premiers.

Avaugour Saint-Laurent se signala, du reste, pendant les luttes de la Ligue, par sa bravoure et son dévouement à la cause qu'il servait, et pour laquelle il déploya de vrais talents militaires ; aussi Mercœur l'honora-t-il toujours d'une confiance et d'une affection particulières. Et, quand on se représentera la situation de ses troupes entre la garnison de Cesson et les forces de Sourdéac, on jugera que, malgré toute l'énergie et la tactique d'un maître de l'art, il était difficile de se maintenir entre deux feux. Mais c'est une loi de la guerre, et le terrible Vœ victis sera éternellement vrai. De plus , « ces troupes de pied , » que le sieur de Terchant nous dit avoir été « mal menées » et réduites à chercher asile dans l'église, s'y comportèrent du moins courageusement et ne capitulèrent qu'à la dernière extrémité ; encore, les Royaux durent-ils déployer tous leurs efforts pour en avoir raison. Ecoutons Compadre : « Le dimanche neuviesme iour d'aoust, qui fust le lendemain de la bataille donnée au devant du dict Saint-Brieuc, du commandement de monsieur de Sourdéac, quel commandait aux troupes estant pour le service du roy, le dict comptable fust contraint de prendre chez Jaquette Gaynier trois barres de fer, pour sapper le fort de la grande esglise du dict Saint-Brieuc, encore occupée par ceux du party de l'Union » [Note : Comptes de Compadre. Ces trois barres de fer pesaient ensemble 57 livres, « à raison de trois soulz la livre, » remarquons-nous]. On le voit, la résistance des Ligueurs était énergique.

La veille , « samedy, huictiesme iour d'aoust, que fust donnée la dicte bataille près du dict Saint-Brieuc, » fut sans doute une rude journée pour Compadre, aussi bien que le lendemain et le surlendemain ; car nous lisons dans son Journal que dans ces trois jours « furent tués plusieurs, tant au dict champ de bataille, que à la desroute, tant à la dicte ville, que aux autres environs du dict champ, que les dimanche et lundi ensuivants, en saillant le dict fort de la dicte ville ; les quels le dict comptable fist enterrer, et pour ce païa à ung appellé la Coste et à aultres qui luy aidèrent, tant pour les avoir tirés hors la dicte ville et autres lieux, que pour les avoir enterrés, cinq escus » [Note : Comptes de Compadre].

Ce n'étaient donc pas seulement des soucis de comptabilité qui accablaient notre syndic, il devait encore plus à sa ville ; aussi, le voyons-nous enlevant les cadavres, sur le champ de bataille et dans les rues, et leur donnant la sépulture de ses propres mains, fonctions sans doute bien pénibles et bien périlleuses que celles-là, au milieu d'une cité remplie d'ennemis en armes. En présence de ce dernier trait, on peut dire que Compadre a dignement rempli sa mission jusqu'au bout. Mais l'énergie de cette troupe de braves, assiégés « dans le fort de l'esglise du dict Saint-Brieuc, » ne pouvait triompher du nombre et des ressources des assaillants ; on capitula.

Content de sa victoire sur un rival aussi sérieux que Saint-Laurent, Sourdéac quitta, sans doute peu de temps après, Saint-Brieuc, qui n'offrait pas, comme garnison, assez de sûreté à ses troupes. D'ailleurs, le gouvernement de Brest étant devenu vacant par la mort du Sr de Châteauneuf, son frère, ce capitaine se l'appropria [Note : Dom Taillandier, Histoire de Bretagne].

Cependant les représailles de Mercœur ne devaient pas se faire attendre. Sourdéac et ses lieutenants s'étaient à peine éloignés, que les troupes de l'Union s'annoncèrent à Saint-Brieuc. Cette fois, de guerre lasse, ruinée et hors d'état de tenir tête une seconde fois, la malheureuse cité tenta un dernier effort. Elle résolut de recourir directement à Philippe-Emmanuel de Lorraine pour implorer merci. Afin de donner plus de poids à ses supplications, elle députa Compadre lui même vers son évêque, qui lui servait toujours d'intermédiaire près du chef de la Ligue. « Le vingt-sixiesme jour d'aoust au dict an (1592), estant le dict Compadre à Saint-Mallo, fust , en l'assemblée des bourgeois du dict Saint-Brieu, ecris ung procure spécialle, laquelle luy fust envoiée avec ung mémoire des dicts bourgeois, par Jan Ruffelet-Villeoger, affin d'aller ensemble à Dinan trouver monseigneur de Saint-Brieu pour le supplier escrire à monseigneur le duc de Mercœur et moienner vers luy qu'il luy eust pieu avoir pitié des misères aucuns des iours précédens, en ladicte ville de Saint-Brieu par les gens de guerre tant de l'un party que de l'autre » [Note : Comptes de Compadre. Nous voyons qu'alors le voyage de Saint-Brieuc à Saint-Malo, aller et retour, « par un batteau du Légué, » coûtait « quattre escus »]. Trois jours après, en effet, Compadre et son collègue étaient à Dinan, près de Nicolas Langelier, et « conféraient avec mon dit seigneur de Saint-Brieu pour les affaires contenues au précédent » [Note : Comptes de Compadre]. En cette circonstance, la communauté des nobles bourgeois put constater que son syndic n'était pas homme à faire de folles dépenses, pendant son ambassade à Dinan, « où séjourna le dict environ quatre iours ; luy cousta tant en despenses que pour son passage en ung batteau allant et venant du dict Saint-Mallo à Dinan, deux escus » [Note : Comptes de Compadre]. Certes, il y a loin de là à nos ambassadeurs modernes.

Mercœur eut-il égard aux supplications de nos bourgeois ? On serait tenté de le croire. Il y eut, du moins, un petit temps d'arrêt, de la fin d'août au mois de novembre. Deux mois de paix ! c'est beaucoup en temps de crise et de guerre civile. Mais, au mois de novembre, les hostilités recommencèrent. Pendant que le chef de l'Union se fortifiait dans Josselin, les Royaux s'emparaient des châteaux de Rostrenen et de Corlay : ce fut le prétexte. Mercœur envoya ses lieutenants reprendre ces deux places et vint en personne assiéger Quintin, que du Liscouët et ses lansquenets furent contraints d'évacuer. Saint-Brieuc et Cesson étaient trop voisins, pour que le duc ne saisît pas l'occasion de venger, dans ce pays, la défaite de Saint-Laurent. Cette fois, la victoire fut aux Ligueurs, et leurs troupes s'établirent définitivement dans cette tour de Cesson, qu'elles semblent avoir conservée jusqu'à la paix (1598), paix qui devait être funeste à cet antique champion des rares faits d'armes dont notre sol ait été le témoin [Note : Ruffelet parle de « 400 volées de canon » qu'elle eut à essuyer, avant de tomber au pouvoir de la Ligue]. La tour de Cesson, rentrée, en effet, à cette époque sous l'autorité du roi, Charles de Cossé, comte de Brissac, maréchal de France et lieutenant-général pour Sa Majesté en Bretagne, donna, le 17 avril 1598, l'ordre de la démolir, « pour prévenir les maux infinis que les garnisons avoient causés dans cette province ». Les Etats de Bretagne ratifièrent cette ordonnance au mois de mai de la même année : Précréant [Note : François Conen, sr. de Précréant, chevalier de l'ordre du Roi, gentilhomme de sa chambre et capitaine de Cesson en 1597], capitaine de Cesson, et Ruffelet, sénéchal royal de Saint-Brieuc, furent chargés de l'exécution des ordres du roi. Le procès-verbal « de démolition de la dicte tour » est du 11 octobre 1598. Quelques ruines imposantes, qui attestent l'ancienne puissance de Cesson et demeurent debout sur des rochers, pour servir d'amer aux pilotes et d'abri à des nuées de corbeaux, voilà tout ce qui reste de cette forteresse.

La présence de Mercœur à Saint-Brieuc fut loin de rassurer les esprits ; surtout chez les notables de la cité, qui s'étaient tant soit peu déclarés pour la cause royale, la crainte était grande. Déjà les juges et officiers de la juridiction de Lamballe avaient « faict mettre et aposer les saisies sur tous et chacun les biens » d'un grand nombre d'habitants de la ville, nobles et bourgeois. Que n'avait-on pas à redouter de la présence armée du maître ? Mais le duc se montra digne de son grand caractère, en se rendant aux prières des vaincus et, en leur octroyant des lettres de grâce, datées « du camp à S.-Brieu, le douziesme iour de novembre, mil cinq-cens quattre-vingt douze ». Voici ces lettres :

« Phles-Emanuel de Lorraine , etc., salut. Ayant puis nagueres pris, reduict et remis en l'obeissance de nostre St party et ntre aucthoritté la tour de Cesson et ville de St Brieu, qui estoient tenus et occupées par les ennemys de ntre dict party et obeissance du roy de Navare, tellement que pour raison de ce les juges et officiers en ntre jurisdiction de Lamballe auroient faict mettre et aposer les saisies sur tous et chacun les biens ou de la plus grand part des bourgeois dud. St Brieu ; nous ayant iceulx bourgeois et habitans dict et remonstré que ce quils avoient tenu led. party contraire navoit esté que à leur tres grand regret et par la force et violance desd. ennemys et quaujourdhuy ils n'ont rien sy cher ny en plus grande recommandation que embrasser ntre dict St party et vivre soubz ntre aucthorité et obeissance, et, à ceste fin, jurer le serment de lad. Ste Union, en tel cas requis et accoustumé, nous suppliant de leur voulloir acorder main-levée de tous et chacun leurs dits biens po ladvenir. A CES CAUSES et pour plusieurs bonnes consideraons, leur avons faict et faisons, par ces pntes, plaine et entière main-levée généralle et specialle de tous leurs dicts biens apartenant aud. habitans, vous pryant que vérifiant, ces dictes pntes vous aparoissant, comme ils auront juré le sermant de lad. Ste Unyon, vous faictes lever et oster lesd. saisyes, les faictes jouyr plainement de leurs dicts biens, comme ils avoient acoustumé de faire auparavant lesd. saisyes, avecq deffance que faisons aulx receveurs et commis à la recepte dicelles, de non les contraindre et poursuyvre à payement daucuns deniers po raison dicelles, daultant, queu raportant ces pntes ou copye deuement collaonnée à l'original, ils en demeuront quittes et deschargés en la despance de leurs comptes et rabatus de la recepte diceulx par Messieurs des Comptes, en ce pays et par tout ou il apartiendra. Donné au camp à St Brieu, le douziesme jour de novembre mil cinq-centz quattre-vingtz douze ». Ainsi signé : P. EMANUEL DE LORAINE. [Note : Ces lettres de Mercœur, inédites jusqu'à ce jour, sont données ici d'après une copie (certifiée conforme à l'original par la Cour royale), délivrée à la famille de François-Pierre du Bois, sr. dudit lieu, qui avait tenu pour le roi dans le pays de Saint-Brieuc et suivi en Aunis, comme lieutenant royal, une compagnie au service de Sa Majesté (1592) ; ses biens avaient été saisis par les gens de Philippe-Emmanuel de Lorraine. (Arch. de famille)].

C'était donc bien le pardon et la paix que Philippe de Lorraine voulait laisser aux habitants de Saint-Brieuc après son départ. Malheureusement, ici, comme bien ailleurs, nous trouvons un nouvel exemple de la mobilité des choses humaines, contre laquelle viennent trop souvent échouer les meilleures intentions.

La paix promise à nos Briochins devait encore être plus d'une fois troublée dans les années qui suivirent la prise de notre ville par Mercœur, et les syndics qui succédèrent à Henry Compadre, notamment Lorant Bagot, purent se convaincre que, si le nom des adversaires avait changé, leur tactique pour rançonner le pays était toujours la même. Mais notre tâche s'arrête ici, tâche sans doute bien imparfaitement remplie nous n'avions eu, du reste, pour objet que de fixer la date d'un épisode intéressant pour Saint-Brieuc, avec quelques circonstances qui pouvaient s'y rattacher. On lira, avec plus de charme et plus d'intérêt, dans les Anciens Evêchés de Bretagne, la suite des agitations de notre ville jusqu'à la paix définitive de 1598, et les détails, souvent palpitants, (pour employer une expression en faveur), des entreprises et des escapades, si tragiquement interrompues, du fameux La Fontenelle [Note : Guy Eder de Beaumanoir, sr. baron de La Fontenelle, en Trégueux, célébre capitaine ligueur, gouverneur de Douarnenez, condamné à mort pour divers crimes et « rompu vif » en 1602].

Avant de finir, disons encore quelques mots de Compadre. Son livre de comptes, auquel nous avons emprunté les faits racontés plus haut, se termine par ces lignes qui résument tristement les soucis et les frais de sa charge, bénéfices assez ordinaires des représentants d'un pays en temps de crise politique ; « En outre, supplie messieurs les commissaires et auditeurs du présent compte, considérer les peines, constaiges et despenses extraordinaires que le dict Compadre a souffertz durant sa charge, par l'injure du temps, pour vacquer aux afaires de la dicte ville, lesquels il n'a emploiés au présent estat ; mesme plussieurs autres mises qui n'y sont rapportées, d'autant qu'il a perdu les mémoires et enseignemens d'icelles par les ravages faicts, par trois diverses fois, durant sa dicte charge, en sa maison et demeurance par les gens de guerre, tant de l'un party que de l'autre ». Inutile de dire que la vérification des comptes du syndic, faite par Pierre Cornulier, « procureur du roy en la cour de parlement de Bretaigne, commissaire députté par Sa Majesté pour la recherche des abbus et malversations commises au fait de ses finances et deniers publics, en la province de Bretaigne, » lui fut toute favorable ; il fut en conséquence « renvoié hors de coût et de procès ».

La reddition du compte de Compadre est du 12 juillet 1594 ; sa vérification, par les bourgeois, de la même année ; [Note : Parmi les inspecteurs, nommés pour vérifier les comptes de Compadre, nous voyons : Jan Le Ribault, Jacques Ruffelet, Olivier Le Moenne, Bertran Havart, Salmon du Rufflay, « assemblés en corps politicque et représentans la saine partie des dict bourgeois et paroessiens. » (Arch. de famille)] celle du commissaire du roi, du 19 mai 1604. D'après l'apurement de ce compte, les bourgeois de Saint-Brieuc lui étaient redevables de 601 écus. Aussi s'engagèrent-ils, « soubs le bon plaisir du roy, à faire esgail sur eux de la dicte somme » pour l'en indemniser. A cet effet, Henri IV leur accorda les lettres qui suivent :

« Henry, par la grâce de Dieu, etc. Nos chers et bien amés les bourgeois et habitans de la ville de Sainct-Brieuc et paroisse de Sainct-Michel dud. lieu nous ont faict remonstrer comme , par la déduction du compte leur rendu par Me Henry Compadre, cy devant leur procureur scindic, de la gestion de sa charge, ils se seraient trouvez relicquataires de la, somme de six-cens-ung escus, laquelle somme, pour cuiter aux dommaiges et intéretz en quoy ils succomberoient par faulte de la paye, ils auroient pour y satisfaire, le dimanche, vingt quateme jour de septembre mil cinq cens quattre-vingt quinze, estant assemblez en corps politicque au lieu et endroit ordinaire, consenty et accordé que icelle somme de six-cens-ung escus eust esté sur eulx levée et esgaillée, comme il est porté par leur consentement cy attaché, sous le contrescel de ntre chancellerie, au moien dequoy ils désiroient sur eulx faire esgail de lad. somme, moiennant qu'il nous plaise leur en octroier nos lettres de permission à ce nécessaires, humblement requérant icelles, NOUS, A CES CAUSES, vous mandons et enjoignons que le substitud de ntre procureur général aud. Sainct-Brieuc, présant appellé, et apres qu'il vous aura esté apparu de ce que dessus ou de tant que suffira, vous permettez aud. supplians et auxquels par ces presentes de grâce spcal permettons et octroions quils puissent par entreeulx, le fort aidant au faible, faire taillée, cotisaon et esgail de lad. somme de six-cens ung escuz, pour icelle convertir et emploier en leur acquit et liberaon et non ailleurs et sans que, au moien de la presante permission, ny soulz pretexte dicelle, il puisse être levé ny esgaillé aultre ne plus grande somme, et les frais des presentes taxés à la somme de dix escus, ce que nous avons prohibé et deffendu, sur peine aux contrevenans dicelle paier, en leur propre et privé nom et à la charge, à icelluy ou ceulx qui reglera et distribura lad. somme, den tenir et rendre compte quant a ce que de justice sera ordonné. Car tel est ntre plaisir de ce faire, vous donnons pouvoir aud., commission et mandement spcal à nos huissiers et sergens de haulte justice sur ce requis de faire les exploits, excuons et contraintes nécessaires. Donné à Rennes, le XXIème jour de febvrier, l'an de grâce mil-cinq-cens quattre-vingt saize et de nostre règne le septiesme ». — Et plus bas : « Par le roy à sa declaon au conseil. Signé : COURRIOLLE » [Note : Inédites. — Arch. de famille].

En outre de la charge de syndic de la ville de Saint-Brieuc, Henry Compadre était encore revêtu de celle, non moins honorable, de thrésaurier et fabriqueur de l'esglisse parochiale de Saint-Michel. Son entrée à cette fonction est aussi de 1591 [Note : Les manuscrits de La Belleissue-Lymon nous donnent une liste assez nombreuse de thrésauriers et fabriqueurs de Saint-Michel, de 1537 à 1741]. Il était important de confier en mains honnêtes, dans ces moments de confusion générale, les intérêts des citoyens, ce qui ne pouvait empêcher encore quelquefois bien des malversations. Ainsi les derniers mois de 1591 virent s'élever un procès assez sérieux entre les collecteurs des deniers publics et les contribuables, ce qui donna sans doute un surcroît de soucis au syndic [Note : Non-seulement, il fallait payer « aux comis de monsieur le thrésaurier général des finances de Bretagne les deniers ordinaires deubs au roi par les habitants du dict Saint-Brieuc ; » mais encore donner un bon dîner à messieurs du fisc, si nous en croyons certains vieux comptes. — Les principaux rôles étaient ceux du Martray, de Saint-Guéno, de la rue Jouallan, des Villages, de Fardel ; toutefois, leurs circonscriptions n'étaient pas bien définies, car souvent nous voyons les braves habitants d'une rue s'adresser à tel rôle qui n'était pas le leur].

Les nommés René Georgelin et Louis Le Maistre avaient été élus esgailleurs collecteurs, pour les termes de septembre 1591 et janvier 1592 ; le premier, des rôles de la rue Saint-Goueno, le second, du Martrai ; or, dit Compadre, « ils avoient commis plusieurs erreurs aux dicts roolles, entre autre que plussieurs se trouvoient cotiséz en chacun des dicts deux roolles ». Il était donc expédient de les appeler « en justice pour hoster la confusion qui estoit en les dicts ». Après avoir eu recours aux gens de justice, on convint, mais après bien des difficultés, de s'assembler « le dimanche 23me iour de febvrier du dit an 1592, pour accorder les dicts roolles, par l'avis des paroessiens » [Note : Comptes de Compadre].

Dans la même année, 1592, la ville de Saint-Brieuc fut menacée de perdre la Cour royale, qu'elle s'était donnée tant de peine pour attirer dans ses murs, quelques années auparavant [Note : L'édit, portant union de la juridiction royale de Goëlo à la seigneurie de Cesson et translation de Lanvollon à Saint-Brieuc, est de 1565]. Les habitants de Guingamp cabalaient pour la transporter chez eux. Effrayés d'une telle prétention, les Briochins profitèrent d'un voyage de Me Potier-Chesnaye, « lequel alloit à Rennes, pour conférer avec mon seigneur le prince de Dombes, aux causes des exemptions pour la dicte ville de Saint-Brieuc, des cinq cens escus luy deubs ». Or, ces 500 écus n'étaient que la moitié des mille que l'on devait lever, « par forme de prest, » dit sournoisement l'ordonnance du prince de Dombes, « sur quelque nombre et particuliers, sauf à les remplacer sur les deniers qui pourraient être deubs au roy sur la dicte ville de Saint-Brieuc ». Mais le but principal du voyage de maître Potier était de « présenter une requeste, en la court de Parlement, tendante à fin de continuer en icelle l'exercice de la Court royalle, que quelques uns sollicitoient estre établye en la ville de Guingamp » [Note : Comptes de Compadre]. Deux édits du roi et deux arrêts du Parlement maintinrent nos bourgeois dans la possession de la Cour royale [Note : Comptes de Compadre].

Ce fut dans ces alternatives et au milieu de ces difficultés de toutes sortes, que Compadre s'acquitta de sa mission politique, pour rentrer ensuite dans le calme de la vie privée. Il ne nous reste plus à dire de lui que, jusqu'à sa mort, arrivée « le 23 febvrier 1621, » malgré « les peines, coustaiges et despenses extraordinaires qu'il avoit souffertz par l'injure du temps, » pour soutenir les intérêts de sa ville, son patriotisme ne se démentit pas un instant [Note : Les inventaires, postérieurs à la mort du syndic, prouvent, effectivement qu'il avait fait de grandes pertes, pendant la guerre. — Henry Compadre avait épousé, en 1584, Jeanne Rohan, fille de François, sr. du Formorel, et de Christine Le Normand, dont il eut huit enfants, qui perpétuèrent un nom honorable, éteint au XVIIIème siècle. — Un mot encore sur la famille de Compadre. A la fin du XVème siècle, nous trouvons François, fils de Perrot et de Catherine Poulain, de la maison de la Ville-Boutier, « lequel fust en son tems capitaine des vaisseaux du roy ; » aux XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, Jacques, sr. de Prélouer, greffier et substitut de la Cour royale ; Jacques, sr. du Hautchamp, receveur des fouages de l'évêché de Saint-Brieuc ; plusieurs religieux bénédictins et génovéfains ; deux syndics de notre ville, en 1628 et 1685 ; enfin plusieurs députés aux Etats de Bretagne, à diverses époques. Parmi les alliances de la famille se lisent les noms des : Gouinquet, de Favigot, du Boisgeslin, de la Villecarre-James, le Masson-Saint-Renan, le Pappe, Gendrot des Rosaies, le Normand, Noulleaux, de Pommeret, le Cogniec du Colombier, etc., et finalement, de la Belleissue-Lymon et Ruffelet, dans lesquels le nom de Compadre s'est éteint. (Arch. de Famille)].

On nous pardonnera d'avoir tiré de l'oubli un nom modeste, qui nous a permis de révéler un petit point ignoré de notre chronique briochine. Ce n'est pas assurément le bénéfice d'une réputation, que nous-avons eu la prétention de quêter pour l'hôte de « La Galiot ; » mais le mérite caché, le dévouement à la patrie, enfin, l'amour du sol natal, qui perçaient dans ces débris de pages, méritaient mieux que la destruction du temps, qui ne respecte rien. C'est à ce titre seul que nous osons livrer le nom de « notre scyndic » à la publicité. On l'entourera, nous n'en doutons pas, d'une certaine estime, puisqu'il est de ces hommes, dont la Bruyère a dit : « Celui-là est bon, qui fait du bien aux autres : s'il souffre pour le bien qu'il fait, il est très-bon ; s'il souffre de ceux-là à qui il a fait ce bien, il a une si grande bonté, qu'elle ne peut être augmentée que dans le cas où ses souffrances viendraient à croître : et s'il en meurt, sa vertu ne sauroit aller plus loin, elle est héroïque, elle est parfaite ».

(A. du Bois de la Villerabel).

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