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Les Etats de Bretagne à Saint-Brieuc en 1602.

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Tout le monde sait que l'ancienne France se divisait entre pays d'élections et pays d'Etats, et que ces derniers seuls possédaient des assemblées délibérantes aptes à discuter toutes sortes de questions, notamment, ce qui était fort important, à voter elles-mêmes les impôts demandés à ces provinces. Mais ces institutions, véritables garanties constitutionnelles, étaient fort différentes suivant les lieux. La Bretagne possédait les plus importantes je rappellerai brièvement pourquoi.

Ce duché prétendait s'être donné librement, et représenter, non une province française, mais un Etat fédéré, ayant même souverain que la France, mais lois différentes comme autrefois la Norvège avec la Suède, comme aujourd'hui l'Irlande avec l'Angleterre. - Cette affirmation était fort justifiée. La Bretagne n'était pas française, car elle avait eu titre de royaume au temps où la France n'était encore que le royaume des Francs, enfermé dans des limites fort indécises elle n'avait été rattachée à sa voisine que par trois mariages, deux d'Anne de Bretagne avec Charles VIII et Louis XII, le dernier, celui de sa fille Claude, duchesse à défaut de fils d'Anne, avec François Ier, roi de France. Les lois de succession étant différentes dans les deux pays, il pouvait encore arriver, à cette date, qu'un roi mourant sans héritiers mâles, le duché passât à des filles et fût de nouveau séparé de la couronne.

François Ier remédia à cet inconvénient en faisant déclarer que, quoi qu'il arrivât, le duché resterait uni à la France ; mais il ne pouvait faire cette modification de la constitution bretonne que du consentement des Etats (hommage rendu à leur souveraineté) ; il eut grand'peine à l'obtenir. Cependant sa demande ne s'expliquait pas seulement par son ambition personnelle, elle était conforme aux intérêts de la Bretagne elle-même, comme le faisaient valoir les représentants royaux. Depuis la chute des grands Etats féodaux, Normandie, Anjou, Poitou, le duché breton se trouvait en contact direct avec la France, dix fois plus forte qu'elle et contre qui la lutte n'était plus possible ; elle avait donc tout intérêt à se lier avec cette puissante voisine, à bénéficier, au besoin, de sa protection. Toutefois, renoncer à l'indépendance est pénible disons-le franchement, François Ier dut acheter un grand nombre de voix aux Etats. Mais même en se vendant, les Bretons entêtés surent garder, à défaut d'indépendance, l'autonomie : leurs lois, leurs privilèges, et surtout leurs précieux Etats.

Cette assemblée réunie tous les ans (tous les deux ans depuis le milieu du XVIIème siècle), représentée dans l'intervalle des sessions par une commission intermédiaire élue par elle, gagnait à se permanence une autorite exceptionnelle. A première vue, ce n'était proprement qu'une réunion de notables, car les évêques en étaient membres de droit, les nobles également, et le Tiers-Etat y était presque toujours représenté par des maires des villes, magistrats hommes ou agréés par le roi ; seuls étaient élus quelques chanoines ou quelques membres du Tiers. L'indépendance n'y était pas moins très réelle. D'abord tous les membres de l’assemblée étaient bretons (sauf quelques évêques) et en défiance naturelle du gouvernement français ; ensuite tous les membres de la noblesse y avaient entrée, en dépit des efforts que firent nos rois pour réduire ce droit : ils se reclamaient de l'usage antique et vertu duquel tous les guerriers formaient à la fois l'armée et le conseil du chef. Les Etats de Bretagne voyaient souvent arriver dans leur sein plusieurs centaines de gentilshommes, ce qui, avec les membres des autres ordres, faisait monter la réunion à près de mille personnes. Et ces nobles qui siégaient en vertu de leur seule naissance, sans devoir rien ni au roi ni à l'élection, étaient les notables les plus indépendants et les plus difficiles à réduire : il arrivait souvent qu'une proposition acceptée par les deux autres ordres tombait devant l'opposition de la seule noblesse.

On s'était habitué à cet abus ; même les nobles, par un honorable scrupule, se regardaient comme les représentants du plat pays, qui sans cette fiction aurait été privé de tout droit. On sait, en effet, que l'introduction du Tiers dans les Etats ne s'était accompli que peu à peu et en faveur des seuls citoyens des villes, devenues seigneuries comme les seigneuries féodales ; l'homme de la campagne n'existait pas plus pour ces nouveaux privilégiés que pour les gentilshommes. En Bretagne, une quarantaine de villes, dont le nombre ne s'étendit guère, députaient seules aux Etats ; les gentilshommes étaient donc fondés à soutenir qu'ils représentaient le reste du pays, et ils assumèrent quelquefois ce noble rôle. Le sénéchal de Rennes écrit au contrôleur-général Orry [Note : En l'absence d'un ministère spécial de l'Intérieur, les correspondances relatives aux Etats et à l'Administration sont généralement adressées aux surintendants des Finances jusqu’à Fouquet, puis aux contrôleurs généraux qui les remplacèrent] en 1736 : « M. de Kermainguy, de l'ordre de la noblesse, a fait lire dans l'Assemblée une requête de paysans de l'évêché de Léon contenant plainte que la paroisse de la campagne qu'ils habitent a été surchargée, et la ville de Saint-Pol de Léon déchargée d'autant. Le député de cette ville ayant voulu soutenir que l'imposition avait été bien faite, M. de Kermainguy lui a répondu qu'il avait mauvaise grâce de soutenir l'imposition puisque lui ne payait que 8 livres de capitation, tandis que des paysans payaient de 30 à 40 livres. Les Etats ont renvoyé la requête à la commission intermédiaire, pour rendre justice à qui elle est due ».

***

Arrivons-en aux Etats de 1602 dont nous entreprenons ici l'étude. Ils se tinrent à Saint-Brieuc pour la première fois, sans doute parce que jusque là cette ville, peuplée seulement de quelques mililiers d'habitants, n'avait pas paru assez importante aux ducs et aux rois peur y recevoir une grande assemblée, bien qu'elle fut siège d'un évêché. Henri IV se gouvernait par d'autres raisons : ayant eu bien de la peine à soumettre le duc de Mercœur qui s'était fait à Nantes une espèce de capitale, il voulait apprendre aux Bretons à regarder ailleurs ; du reste les Etats voyageaient ainsi de tout temps. Habitude qui remontait jusqu'à l'époque des invasions du Vème siècle. Les chefs bretons, comme les rois francs, se trouvant maîtres de pays inconnus voulaient connaître successivement toutes leurs provinces, leurs ressources, les comtes qui les gouvernaient ; d'ailleurs l'assemblée, en principe, représentait toute la nation ; il était difficile qu'elle se réunît toujours au même lieu ; on visitait donc les pays les uns après les autres. Telle fut la règle de tout nôtre ancien régime nos rois transportaient leurs champs de mars et de mai d'une villa à l'autre, nos seigneurs de châteaux en châteaux : nos Etats généraux furent souvent convoqués à Ordéans, Tours et Blois, choix très logiques, ces villes, étant au centre de la France. En 1789, on proposa encore Soissons, Compiègne, Tours pour la réunion des Etats avant de se décider pour Versailles, qui finit par s'imposer, parce que nos rois engourdis répugnaient à se déplacer. Cet engourdissement coûta cher à Louis XVI : si l'assemblée s'était réunie loin de Paris, qui ne voit combien le cours des choses était changé ?

Les Etats bretons de 1602 se tenaient donc à Saint-Brieuc. Les villes qui les recevaient devaient préparer trois salles pour les réunions séparées des trois ordres : la plus grande des trois, occupée par l'ordre le plus nombreux (en Bretagne, c'était la Noblesse, comme nous l'avons dit), servait aussi pour les séances d'apparat où figuraient les commissaires du roi. La pauvre ville de Saint-Brieuc ne put offrir à l'auguste assemblée que sa vieille cathédrale, - qui n'a pas beaucoup changé depuis ce temps. - Sans doute on y fit des cloisons et des travaux spéciaux pour le temps des Etats, car en 1620, pour une tenue semblable, nous y a voyons « Monseigneur le duc de Vendosme, de Beaufort et d'Estampes, pair de France, gouverneur et lieutenant-général pour le Roy » [c'est le fils de Gabrielle d'Estrées et le frère naturel de Louis XIII] « assis en une chaire couverte d'un tapiz de velour viollet et blancq, semé de fleur de lys... sur une grande platte-forme soubz un daiz ayant l'aspect [tourné] vers le cœur (sic) de la dicte église ». Après cette session, « Mre François Bourel, chanoinne et fabricqueur de l'église cathédrale de Saint-Brieuc », expose « que ladicte église avoit esté beaucoup occuppée et incommodée durant la tenue des présents Estatz et beaucoup de choses dépendant de ladicte église qui ont esté rompues et desmolies qui cousteront beaucoup a restablir ». Les Etats votent cent livres pour y faire les réparations nécessaires.

L'emploi d'une église pour les débats d'une assemblée n'a rien qui doive surprendre : l'église du Moyen âge était la maison commune le général (l'ensemble des contribuables à fouage) s'y réunissait dès qu'il en était besoin. La cathédrale de Saint-Brieuc a peine à contenir les Etats de 1602. A la vérité, la Noblesse n'a pas abusé de son droit, elle n'y a envoyé que 74 gentilshommes, ce qui, avec les membres des deux autres ordres forme à peu près un total de 200 personnes ; mais ces 200 membres actifs sont loin de représenter la totalité de la réunion. Certains députés se font accompagner d'agrégés, qui n'ont que voix consultative ; puis aux séances d'apparat se présentent les commissaires du roi, dont le premier en 1602 est le maréchal de Brissac, accompagné de ses gentilshommes, gardes, laquais ; les Etats, de leur côté, ont leurs « officiers », le procureur-général-syndic, le trésorier, le greffier et les commis de ces fonctionnaires, le héraut, couvert d'une cote mi-partie de France et de Bretagne. On peut appeler dans l'assemblée des soumissionnaires d'impôts, des pétionnaires ; enfin on prévoit une tribune publique, quoique fort petite, et où l'on ne peut être admis qu'avec l'autorisation de l'un des président des trois ordres.

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Cette foule s'amasse dans la cathédrale le 7 octobre 1602, à onze heures du matin. Le maréchal de Brissac entre avec son cortège et donne lecture d'une première lettre du roi :

« Tres chers et bien amez, Nous avons donné charge aux commissaires par nous depputez pour la prochaine convocation et assemblée des Estats de nostre pays et duché de Bretaigne de vous faire entendre, proposer et remonstrer plusieurs choses de nostre part concernant le bien de nos affaires et service et de la chose publicque de nostre royaulme. Sur quoy nous vous prions les ouyr, accorder et consentir ce dont ils vous requerront comme chose juste et équitable et dont nous avons très grand besoing pour la direction de nos dictes affaires et conservation de nostre Estat. Donné à Sainct-Germain en Laye ».

Cela, ce n'est que la convocation ; la demande du roi est exposée dans une longue lettre au maréchal de Brissac :

« ..... Desirant par tous les moyens faire réussir au contentement de nos subiectz la modération que nous nous sommes toujours proposez de leur faire, depuis la guerre finie, des levées de nos tailles, taillons et autres….. mais quelque mesnage que nous puissions faire, nous sommes pour ceste fois empeschez en l'effet de ceste notre bonne intention pour ne veoir aucun moien de nous passer desdictes despenses..... ».

Si les paroles gouvernementales ne sont pas toujours vraies, il faut convenir qu'après les orages de la Ligue celle-là se justifiaient assez. Aussi le don gratuit est-il accordé sans difficulté, bien que le droit des Etats reste entier en principe ; certaines sessions le revendiquèrent âprement. En 1659, le conseiller d'Etat Boucherat, au nom du gouvernement, demanda 3.200.000 livres. On était aux temps de Mazarin et de Fouquet ; les Bretons se méfièrent, ils n'offrirent qu'un million, encore y mettaient-ils certaines conditions. Les commissaires royaux refusant de diminuer leur demande, les Etats offrirent 1.200.000 livres, puis 1.400.000 ; en ajoutant ensuite 100.000 livres par jour, on arriva à 1.800.000 après quoi le débat resta stagnant. On finit par s'accorder à 2.300.000 livres, mais il y avait fallu vingt-deux jours de bataille, du 23 juin au 15 juillet ;!

La session de 1602 manque de cette passion ; elle est cependant curieuse à étudier, pour montrer la liberté dont jouissaient les Etats et la multiplicité de leurs travaux., Nous n'en relèverons qu'un petit nombre.

Le roi avait créé un second prévôt des maréchaux en, Bretagne ; en sait que c'était un des procédés du temps pour se procurer de l'argent ; on vendait une charge inutile, mais, comme disait un courtisan ; « il se trouvait toujours un sot pour l'acheter ». Les Etats de Bretagne protestent contre cette politique financière : le 20 octobre; ils ont « résolu que Sa Majesté sera supplyée de revocquer et supprimer l'edict portant creantion dudict second prevost…. comme estant inutil et onereux…. mais ilz ordonnent que le sieur de la Villecarré, ancien prevost, seroit ouy en ceste assemblée ».

Le sieur de la Villecarré, entendu, expose « que depuis il avoit, comme il est tout notoire, supporté de grandz fraiz et despences, tant hors de ce pays qu'en celluy, de la prise et capture d'aucuns criminels .... comme il a offert faire apparoir par les procez verbaulx qu'il en a dressez, supplyant tres humblement les dicts sieurs des Estatz d'y voulloir avoir esgard….. et s'estant retiré, auroit esté ordonné que le sieur de la Touschegrippe, pourveu dudict office de second prevost, seroit ouy en ladicte assemblée, et à ceste fin en auroit esté faict evocquation et perquisition par le hérault des Etatz…. et ne s'estant aucunement présenté; esté formellement arresté et conclud, en presence et du consentement dudict sieur de la Villecarré, de nouveau mandé à cette assemblée, que les depputez qui seront envoyez en court de la part desdicts sieurs des Estatz poursuyvront la suppression dudict edict de second prevost ». Nous reviendrons sur les députés en cour.

Les Etats accordent des aumônes aux couvents ; aumônes minimes, car 52 établissements se partagent 1500 écus : les parts sont de 30, 20, 15 et même 12 livres.

La Noblesse expose « qu'a l'occasion des guerres et troubles qui ont eu cours en ceste province…. ilz s'estoient tellement mal mis en leurs biens qu'ilz auoient esté contrainctz se constituer en grandes debtes, requerens qu'il fut faict article pour supplyer tres humblement le Roy voulloir ordonner que lesdicts creanciers seront contraintz de prendre de !la liure de leurs debteurs en payant de leurs deubz, sy myeulx ilz n'ayment accorder surseance. » Cette mendicité de gens à épée n'est pas du goût des deux autres ord'res « esté par lesdicts sieurs des Estatz declaré ne trouuer raisonnable ny a propos de faire ladicte supplication et requeste au Roy en general, sauf auxdiets sieurs de la Noblesse à se pourueoir……. avecq leursdicts creanpiers affin de respit ou autrement ».

On examine les comptes du trésorier, noble homme Gabriel Hua, sieur de la Bouchetiere. Ce personnage n'était pas un trésorier banal : pendant la guerre civile, il avait traité, au nom des Etats, avec la reine Elisabeth d'Angleterre et obtenu de celle-ci, par un accord du 4 avril 1591, un secours de 3000 Anglais qui débarquèrent à Paimpol. Mais Elisabeth, pour ce modeste contingent, aurait voulu qu'on lui cédât Morlaix : Henri IV fit la sourde oreille.

La plupart de ces propositions sont faites par le procureur-général-syndic des Etats, un très gros personnage, qui devait appartenir à la Noblesse. Bien appointé [Note : En 1723, le trésorier des Etats touchait 60.000 livres par an « pour tous gages, taxations, ports et voitures, frais de bureaux et pour tous autres frais »], il agissait encore entre les sessions pour assurer l'exécution des décisions prises. Pendant les troubles de la Fronde, Corneille, le grand Corneille, fut nommé directement par Mazarin procureur-syndic des Etats de Normandie, mais ce fut « par délégation spéciale de Sa Majesté », pour remplacer un frondeur : l'élection de ce magistrat appartenait toujours aux Etats.

Ceux-ci s'adressent maintenant « à Monsieur de Rosny » (Sully) pour s'éclairer sur un cas qui les étonne ; voici leur lettre :

« Monsieur, nous avons esté en ceste assemblée informée de la poursuite que le sieur seneschal de Dynan a faict (sic) depuis les quatre ans derniers contre nostre trésorier, pour estre payé et satisfaict de la somme de sept mil sept cens trente deux escus……. ordonnée par Sa Majesté sur les derniers provinciaux de l'imposition des quatre et deux escus……… et voulant scavoir la cause du refuz et retardement, il nous a dict que sans votre expres voulloir et consentement il ne pouvoir acquiter ladicte rescription. C'est pourquoy... nous auons pensé... le debvoir assister pour vous prier… voulloir commander a nostre dict tresorier luy payer la dicte partie sur les deniers de l'année courante.
A Monsieur, Monsieur de Rosny, conseiller du Roy et superintendant de ses finances »
.

Voici une réclamation qui date des guerres civiles « Olivier Fleury, bourgeois de la ville de Dynan,..... est a la poursuitte du payement de la somme de dix huict cent trente escus qui luy est due pour nombre de pains de munitions par luy fournis au siege de la Tour de Cesson [Note : A la suite de ces événements, les Etats demandèrent la destruction de cette tour, que le gouvernement leur accorda facilement. Elle n'est plus aujourd'hui qu'une ruine, encore imposante, qui domine l'embouchure du Gouet et la baie de Saint-Brieuc] en l'an m v c quatre vingtz dix huict pour le service du Roy... Sa Majesté auroit ordonné qu'il seroit payé de ladicte somme sur les deniers provenans du debvoir... requérant qu'il pleust a nosd. sieurs des Estatz avoir pityé de luy… offrant encore pour l'affection qu'il a à sa patrye se redimer d'affaire… les interestz qui luy sont deubz… et outre attendre encore quelque temps jusques a trois ans... ont lesd. sieurs des Estatz accepté les offres dud. Fleury et ordonné qu'il sera payé de lad. somme dans trois ans et non plus tost, et sans aucune (sic) interestz…. Faict en lad. assemblée en présence dud. Fleury qui a dict se contenter de ce que dessus et a signé ».

***

L'ordre du jour est épuisé, mais les Etats ont encore deux mesures importantes à prendre : rédiger leurs remontrances au roi et choisir les députés à envoyer en cour.

Les remontrances n'étaient que des demandes, qualifiées même de « trés humbles remonstranoes » ; le mot n'a dû son sens péjoratif qu'à l'emploi qu'on en fit sous nos rois, et que ceux-ci prirent trop souvent en mauvaise part. Au XVIIème siècle, il semblait si inoffensif que la plupart des propositions présentées aux Etats commencent ainsi : « Ledict sieur procureur scindic a remonstré… Plusieurs particuliers, tant de l'Eglise que de la Noblesse, ont remonstré… ». Voici quelques-unes des remonstrances ou demandes de 1602, avec les réponses du roi inscrites en marge par le graffier des Etats :

« Sire,… Les subiectz habitans des villes, bourgs, bourgades et villages de vostre dict paye ont esté contrainctz par les guerres passées et depuis, de faire au nom de leurs corps politiques plusieurs debtes pour lesquelles ils sont chacun jour poursuiviz, condampnez et contrainctz avec toutes rigueurs... ont obtenu ung arrest en vostre conseil d’Estat, et icelluy faict présenter en vostre court de parlement de Bretaigne par lequel il est estroitement prohibé a vostre dicte court, juges ordinaires et chancellerye, d'authoriser ne permettre aucune leuée de deniers pour quelque cause et nécessité que ce soit au dessus de cent escus pour le regard de ladicte court et de cinquante pour le regard de la dite chancellerye… aduient que leurs debtes redoublent, que les prisons sont remplyes des particulliers de nos villes. bourgs, bourgades…, les temples des eglises parrochialles demeurées sans réfection ou réparations au grand regret de vosd. subiectz… qu'il vous plaise revocquer led. arrest et renvoyer l'authorité, permission et cognoissance desd. levées pour lesd. causes et nécessité a vostre dicte chancellerye et juges ordinaires ». - Réponse : « Le Roy a trouvé bon que nonobstant le reglement l'on se puisse pourvoir en la chancellerie à Rennes pour y obtenir les lettres nécessaires pour faire les levées par arrest de lad. court de parlement… jusques a la somme de deux cens escus et au dessoubz seullement, et pour les autres sera led. reglement.... gardé et observé ».

« Vostre Maiesté resiouissant ses peuples a leur debvoir, Dieu bénissant cest ouvrage, elle a aussy tost gecté l'œil de sa commiseration paternelle sur l'impuissance de ses subiectz aud. pays, leur remettant les restes des années passées de quelque nature qu'elles soient ; ce neantmoins Jean Loriot, ayant esté aux années des troubles tresorier des pretenduz Estatz au party du seigneur duc de Mercueur, recherche encores aujourd'huy le recouvrement de quelques restes, des années m v c quatre vingtz dix-sept et quatre vingt dix-huict ». – Réponse : « Les supplyans se pourvoiront vers monsieur le chancelier pour estre ouy par luy ou autrement ordonné de ce qu'ils requerent… et cependant le Roy a continué et continue la surseance ordonnée de l'an mil six cens de l'exécution des arrestz et commissions en vertu desquelles led. Loriot faict recherches et levées les dicts restes jusques a ce que, les parties ouyes, en aict esté ordonné autrement en son conseil ».

Les Etats réclament ensuite la suppression de la charge de second prévôt des maréchaux, dont il a été question plus haut. - Réponse : « Le roy accorde la suppression dud. office de second prevost fors ce qui depend d'icelle en remboursant préalablement… le sr de la Touschegrippe qui en est pourveu des somme… qu'il fera apparoir avoir fournies... et la somme de six mil livres a laquelle sont limitez, taxez et arrestez les fraiz, mises, et déspens, que peult prétendre led. de la Tousche pour la poursuite, création, institution et provision dud. office. Veult et entend aussy Sa Maiesté que les gages attribuez aud. second prevost, comme ausssy ceulx qui sont affectez aux lieutenant, greffier et archiers de sa compagnie, par l’estat qu'en a faict Sad. Maiesté, soient entierement faictz et deslivrez aud. sr de la Tousche sur simple quictance et sans estre tenu de faire les monstres de lad. compagnie ne rapporter aucun roolles d'icelle dont elle le dispense...... ».

Les Etats réclament le droit de régale : « C'est un prévillege duquel ont jouy, durant les feuz de bonne mémoire vos prédécesseurs Roys, les eglizes cathédralles de vostre pays et duché de Bretaigne, depuis qu'il a esté inseparablement uny a la conronne, qu'arrivant la mort de quelqu'ung des evesques, le compte du régime des fruictz escheuz et perceuz, le siège episcopal vacant, soit rendu en la chambre des comptes de vostredict pays… et néantmoins depuis quelques années les trésorier et chanoines de vostre Saincte Chapelle, fondée en vostre pallays de Paris, ont appellé en vostre parlement de ladicte ville les oeconomes establiz au gouvernement desdictz revenus, prétendant les contraindre de présenter leurs comptes en vostre chambre des comptes de Paris… qu'il vous plaise, Sire, imposer silence ausdictz de la Saincte Chapelle ». – Réponse : « Le Roy commet le sieur Jannin, conseiller en son Conseil d’Estat, pour ouyr sur ce…, tant lesdictz supplyans que les tresorier et chanoines… de sa Saincte Chapelle de Paris ».
Nous savons le jour auquel ces réponses furent faites : « les remonstrances cy dessus ont esté veues et respondues par le Roy à Paris, le deuxiesme jour de décembre mil six cent deux. Signé Henry et plus bas Potyer ». Ce n'est par le caprice d'un roi qui en décide : elles sont toujours délibérées en Conseil d'Etat. Si cette constitution ne ressemble pas aux nôtres, elle offrait cependant de sérieuses garanties, surtout avec un roi comme Heni IV. Sous Louis XIV, il est vrai les choses changèrent ; le roi n'admit plus qu'on discutât le chiffre de l'impôt, et Colbert exigea sur ce point une « aveugle obéissance » ; toutefois même en ce cas, les Etats réservaient leurs droits. En 1677, ils accordent les trois millions demandés par le gouvernement « dans l'esperance que Sa Majesté voudra bien leur conserver leurs privileges en entier, leur continuer ses bontez royalles, et faisant consideration des justes plaintes qui luy seront portées par lesdictz Estatz, y pourvoir favorablement ». Et le roi répond d'une encre semblable au duc de Chaulnes lieutenant général en la province : « Les trois millions de livres m'ont touché moins que la maniere de m'accorder cette somme, vous leur tesmoignerez en mon nom le gré que je leur en sçais...... Fontainebleau, 17 septembre ». C'est du pur parlementarisme.

En 1717, au contraire, le gouvernement ne demandait que deux millions, et cependant les Etats, où siégeaient 200 nobles, répondirent qu'ils ne pouvaient les accorder avant d'avoir examiné l'état de leurs fonds. Le maréchal de Montesquiou, commandant la province, ne comprit pas cette discussion légale : brusquement, il sépara les Etats et envoya des ordres d'exil à quatre gentilshommes (18 décembre). Ce coup d'Etat sans précédent produisit un effet inattendu : le 1er janvier, on refusa l'impôt, puisqu'il n'avait pas été voté. Le Régent convoqua alors les Etats pour le mois de juillet « pour continuer leur session », disait l'édit, et les Bretons votèrent les deux millions « sans avoir égard ni sans faire attention à l'impuissance et aux épuisements de la province ».

Revenons aux Etats de 1602. Nous avons dit que leur dernier soin, en rédigeant leurs remontrances, était de choisir les députés qui les porteraient en cour : ce n'était pas pour les élus une vaine parade, puisqu'ils avaient à soutenir devant les ministres des demandes plus ou moins difficiles à satisfaire. Quand on les présentait au roi et à la reine, les représentants du Tiers étaient obligés de s'agenouiller pendant que leurs collègues des autres ordres restaient debout ; mais tout n'était pas humiliation dans ces voyages. D'abord ils étaient fort bien payés (de 10.000 à 12.000 livres en général, suivant la durée du séjour) ; ensuite ces représentants étaient traités avec des égards exceptionnels. Quand la cour s'établit à Versailles, il était d'usage de faire jouer pour eux les eaux de Versailles et de Marly et de leur donner des calèches pour s'y promener. Le procureur-général syndic, qui accompagnait toujours les députés en cour, était chargé de veiller à tous ces détails et même d'informer, par lettres spéciales, tous les Bretons qui se trouvaient à Paris du jour où joueraient les eaux (Arch. Nat., H 553).

Voilà une physionomie assez imprévue de l'ancienne France. Depuis plusieurs années, nous vivons sur les sombres tableaux de Michelet : peut-être le royaume des Bourbons était-il plus habitable qu'on ne le croit généralement.

(Jules d'Auriac).

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