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CHAPELLE NOTRE-DAME DE LA FONTAINE

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Notre-Dame de la Fontaine, de Saint-Brieuc

- I -

La ville de Saint-Brieuc n'a pas un lieu plus anciennement consacré par la prière, et par conséquent plus vénérable que l'oratoire de saint Brieuc (Note : Je ne veux pas dire que la prière chrétienne, même publique, ne s'était pas exercée à Saint-Brieuc avant l'arrivée de saint Brieuc. Rigual était chrétien ; son voisin Fracan aussi, avec sa femme sainte Guen et ses trois fils saint Guéthénoc, saint Jacut, fondateur de l'abbaye de son nom, et saint Guénolé, fondateur de Landévenec. Je veux dire seulement que le site de l'oratoire de saint Brieuc est le point de la ville signalé d'une manière certaine comme le plus anciennement consacré par la prière) ; et la chapelle qui le recouvre, portant le vocable de Notre-Dame de la Fontaine, participe justement à cette vénération. 

Combien les lieux ont changé depuis que saint Brieuc prit possession du sol en y construisant son oratoire, et à combien de chapelles a succédé celle où les fidèles s'agenouillent aujourd'hui ! 

Il n'est pas possible qu'aussitôt après la mort de saint Brieuc (505) la piété populaire n'ait pas entouré de vénération le lieu où il pria d'abord ; on peut donc supposer une très ancienne chapelle presque contemporaine du saint. Ce n'est assurément pas cette chapelle primitive, mais une autre l'ayant remplacée qui tombait de vétusté vers la fin du XIVème siècle. Auprès de la chapelle, il y avait, au milieu de ce siècle, un hôpital ou « hostellerie » gratuite pour les pèlerins, qui devint une maladrerie ou léproserie (Note : Sur ce point, M. de la Villerabel — p. 49 et 50. L'auteur cite le testament de Pierre de Boisboissel de 1302. — M. de Geslin, Evêchés. I. 289). 

A la fin du XIVème siècle ou aux premières années du siècle suivant, Marguerite de Clisson, comtesse de Penthièvre, fit construire une autre chapelle (Note : On attribue unanimement la construction de la chapelle à Marguerite de Clisson, et non à son mari Jean de Blois, comte de Penthièvre. — Jean de Blois est mort le 16 janvier 1403. Si sa veuve a construit la chapelle, c'est entre cette date et 1420, date de l'attentat des Penthièvre sur le duc Jean V. Anciens Evêchés, I, 284). Le gracieux édicule appuyé au chevet et couvrant la fontaine donne l'idée de ce que devait être l'édifice principal. 

Au milieu du XVIème siècle, un accident survenait au pignon qu'il fallut reconstruire ; mais l'édifice garda la grâce et les ornements dont l'avaient paré les "tailleurs de pierres" du XVème siècle. La chapelle les gardait encore au milieu du XVIIème siècle (Procès-verbal du sénéchal royal de 1652. Anciens Evêchés, I, p. 287) ; et rien ne fait supposer qu'il en fût autrement à la fin du dernier siècle. On ne voit pas qu'aux XVIIème et XVIIIème siècles, la chapelle, heureusement pour elle, ait subi d'autres réfections. A la fin du siècle dernier, devenue bien national, elle devait périr : elle fut démolie presque tout entière, et ses débris furent employés à construire une barricade destinée à fermer le chemin voisin. 

En 1838, une personne dont le nom ne peut être prononcé sans respect à St-Brieuc, Mlle Bagot, acquit ces ruines et reconstruisit la chapelle, mais avec une économie qui lui était une nécessité. Enfin tout récemment Mgr l'Evêque de St-Brieuc et Tréguier a restauré cette chapelle... sans pouvoir hélas ! ressusciter l'édifice de la comtesse de Penthièvre.

Peu de sanctuaires en Bretagne ont vu, dans le cours des siècles, passer un plus grand nombre de pèlerins : Notre-Dame de la Fontaine a été la station ou le but d'un double pèlerinage : le pèlerinage des Sept-Saints de Bretagne, dont nous allons dire quelques mots ; et celui de Notre-Dame de la Fontaine, dont nous parlerons ensuite. 

Nous ne pouvons donner sur le pèlerinage des Sept-Saints des détails qui nous entraîneraient trop loin. Disons seulement que cette dévotion remontant à une très haute antiquité, au XIIème siècle sinon auparavant, fut très populaire pendant tout le moyen-âge [Note : J'ai dit que le pèlerinage pouvait remonter au XIIème siècle. — Le savant Dom Plaine m'apprend que nos Sept-Saints sont nommés dans le « Codex parisiensis » qui est de la fin du XIIème siècle, et il me rappelle le testament fait en 1215, par Guillaume Le Borgne, sénéchal de Goëlo (Morice, Pr. I, 828) que j'ai eu l'occasion de citer et que j'avais oublié. Or le testateur donne cent livres à partager entre les églises des Sept-Saints. De l'existence de ces sept chapelles des Sept-Saints ne peut-on pas conclure l'existence du pèlerinage?]. 

Les Sept-Saints de Bretagne étaient les sept évêques venus de la Grande-Bretagne avec les Bretons fuyant devant les Saxons vainqueurs, et qui sont ou étaient censés fondateurs des sept évêchés Bretons : les saints Brieuc, à Saint-Brieuc ; Tugdual, à Tréguier ; Paul Aurélien, à Saint-Pol ; Corentin, à Quimper ; Patern, à Vannes ; Malo, à Saint-Malo ; Samson, à Dol (Note : Saint Patern n'était pas d'origine bretonne, mais, né au pays de Vannes, il était passé dans l'Ile de Bretagne, et il en revint avec les Bretons). Quant aux évêchés de Rennes et de Nantes, leurs fondateurs ne figurent pas sur cette liste (Note : Et pour cette raison, c'est que ces deux évêchés n'ont pas fait partie de la province ecclésiastique dont Dol fut la métropole ; et que la qualité de suffragants de Dol appartenant aux autres évêchés bretons a mérité à leurs fondateurs l'admission sur la liste). 

Les pèlerins devaient honorer chacun des Sept-Saints dans son église. Il leur fallait donc faire le tour de la Bretagne. C'est de là que le pèlerinage prenait le nom de Tro-Breiz (tour de Bretagne). Pour faire le tour, les pèlerins marchant à pied suivaient une route construite, disait-on, et pavée exprès pour eux [Note : Lobineau (Hist. Préface, et V°, et p. 538) a accrédité cette erreur malheureusement souvent rééditée] ; mais qui en réalité existait longtemps avant qu'il fût question des Sept-Saints : c'était une suite de voies romaines contournant la Bretagne, de Vannes par Quimper et St-Pol à St-Malo et Dol, et la traversant pour revenir à Vannes. Malgré les fatigues et les dangers du voyage, les pèlerins se comptaient chaque année par milliers : on a calculé qu'une année de la fin du XIVème siècle, il en passa 35,000 à St-Patern de Vannes. Trente-cinq mille c'est à peu près le vingtième de la population des sept évêchés [Note : Sur ce point Abbé Luco. Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan (année 1874, p. 27 à 31). Les deux évêchés de Nantes et de Rennes ne devaient fournir que peu de pèlerins des Sept-Saints]. 

La piété et la charité de nos pères avaient bordé ces antiques grandes voies de chapelles, de fontaines dédiées à des saints nationaux, et si nombreuses « qu'elles peuvent en quelque sorte, servir de jalons pour retrouver ces voies » (Note : M. Gautier du Mottay — Recherches des voies romaines des Côtes-du-Nord. p. 20. L'auteur ajoute : « Leur présence (des chapelles dédiées aux saints nationaux) nous a été plus d'une fois d'un grand secours dans les recherches des voies antiques ».]. Le vocable des Sept-Saints fut souvent donné à ces édifices. De plus, sur les mêmes routes s'élevèrent des aumôneries où le passant pauvre recevait un secours de route ; et même des « hôtelleries » ou hôpitaux, où le passant malade ou fatigué trouvait assistance et repos [Note : C'est ainsi que aux Ponts-Neufs, en Morieux, sur l'ancienne voie d'Yffiniac à Alet (Saint-Servan), il y avait un hôpital fondé en 1397. A propos de cette fondation, nous rectifierons prochainement une erreur de M. Gaultier du Mottay, et nous expliquerons une énigme proposée par la Géographie Historique des Côtes-du-Nord, p. 94 (1890)]. 

Le pèlerinage se faisait l'ordinaire à quatre époques de l'année, nommées les quatre temporaux, Pâques, la Pentecôte, la Saint-Michel et Noël (quinze jours avant et quinze jours après) (Note : Au XVème siècle, les temporaux étaient réduits de quatre à deux). Pendant les époques ordinaires du pèlerinage, les reliques de chacun des Sept-Saints étaient exposées dans son église à la vénération des pèlerins. Dans certaines églises, ceux-ci ajoutaient une dévotion à celle du pèlerinage, Ainsi à Tréguier, après avoir prié saint Tugdual, ils allaient, au moins depuis 1303, prier devant le glorieux tombeau de saint Yves. A Saint-Brieuc, après avoir vénéré les reliques de saint Brieuc, sans sortir de la cathédrale, ils s'agenouillaient devant le tombeau de saint Guillaume (1247), puis, après cette double station, ils se rendaient à la chapelle Notre-Dame, pour prier devant son image et honorer une seconde fois saint Brieuc dans l'oratoire même construit par lui ; les pèlerins fatigués étaient reçus à « l'hostellerie » ; et la plupart ne manquaient pas, descendant cent mètres plus loin, d'aller visiter la fontaine de saint Brieuc et se baigner les pieds au douet des Ardents. Tous les rangs étaient confondus dans ces pieuses pérégrinations. L'histoire a conservé le nom de deux pèlerins des Sept-Saints, notre glorieux saint Yves et le duc Jean V, en 1419 (Note : Je n'affirme rien en ce qui concerne saint Yves. J'ai lu le fait notamment dans A travers le Vieux Saint-Brieuc, p. 94 ; mais deux savants ecclésiastiques me disent que les actes de saint Yves ne le mentionnent pas. Albert Le Grand n'en parle pas non plus). 

Mais la chapelle Notre-Dame avait bien d'autres visiteurs. Elle était, avons-nous dit, le but d'un pèlerinage spécial, le pèlerinage de Notre-Dame de la Fontaine. C'est à ce titre qu'elle reçut la visite de plusieurs de nos ducs, celle de Jeanne de Navarre, femme de Jean IV (avant 1394) (Voir Morice, Pr. II, 624) et celle de la duchesse Anne devenue Reine de France. En 1506, la Reine partit de Nantes pour aller par Vannes et Quimper en pèlerinage au Folgoët ; le long de cette longue route elle reçut cet « honneur, triomphant et magnifique », ajoutons singulièrement touchant, que célèbre un contemporain. — « Et estoit quasi chose miraculeuse de veoir par les champs, chemins, boys, si grant multitude d'hommes, femmes et petits enfants qui accouroyent pour veoir leur dame et maîtresse » [Alain Bouchard (1514) f° 265, v° et f° 266, r° et v° Ed. des Bibliophiles Bretons]. Au retour, la Reine prit par Morlaix, Tréguier, où elle s'agenouilla auprès des tombeaux de saint Yves et du duc Jean V, son grand oncle. De là, par Guingamp, elle vint à Saint-Brieuc : « Auquel lieu luy fut la ville tendue honorablement de beau linge blanc de la faczon du pays. Et là estoyt levesque du dict lieu, lequel avec son collège, tous les manans, habitans et citadins de la dicte ville la recEurent le plus honorablement que possible leur fut. Elle ne fut que environ deux jours en la ville qu'elle ne fut mandée du Roy... » [Alain Bouchard (1514) f° 265, v° et f° 266, r° et v° Ed. des Bibliophiles Bretons]. Mais pendant ce séjour, la Reine ne manqua pas de visiter Notre-Dame de la Fontaine.

Pendant cette visite, la Reine ne se doutait pas que du temps de son bisaïeul Jean IV, le pèlerinage de Notre-Dame avait été presque l'occasion d'une guerre entre la France et la Bretagne. — C'est ce que nous allons voir. Au mois de janvier 1395 (n. s.) le Roi Charles VI, députa au duc Jean IV « pour le sommer de réparer et amender plusieurs entreprinses et actemtaz (attentats) faitz par luy et ses gens au préjudice du Roy, de son ressort, souveraineté et droiz royaux » [Note : On a dit que « la duchesse de Bretagne, femme de Jean IV, se rendait à Notre-Dame, quand Clisson chercha à l'arrêter, et qu'il en fut empêché par l'évêque de St-Brieuc » - Anciens Evêchés, I, p. 284. On place ce fait un peu avant 1394, pendant la lutte armée de Jean IV et Clisson. A cette époque, Jean IV avait pour femme depuis 1386 (c'était la troisième) Jeanne de Navarre, fille du roi Charles le Mauvais. Or sa tante paternelle, Jeanne comme elle, était femme de Jean, vicomte de Rohan, beau-frère de Clisson. En 1392, dans une situation désespérée, la vicomtesse de Rohan avait, sur la prière de Clisson, recouru à la duchesse sa nièce, qui avait ménagé la paix entre le duc et Clisson. Comment croire que deux ans plus tard Clisson essaie d'arrêter la duchesse ? [Note : On renvoie à Morice, Pr. II. 632. Il faut lire 624. On voit là une affaire que Lobineau (Hist. p. 489-490) et Morice (Hist. I, p. 421) placent en 1394, et qui est assez obscure. Elle n'est connue que par une lettre de Jean IV (sans date) adressée à un gentilhomme bas-breton. Le duc lui rapporte des paroles de Clisson que l'on peut résumer comme suit (Lobineau, Pr. 787.— Morice, Pr. II, 624-625) : « La duchesse (Jeanne de Navarre) allant à Notre-Dame de la Fontaine, je me disposais à aller au-devant d'elle ; j'appris que l'évêque de Vannes (Henri le Barbu) mettait des hommes armés en embuscade pour me faire un mauvais parti ; mais, je me vengerai, je mettrai l'évêque à mort ; j'assemble mes amis, je soulèverai les communes, et je compte sur 25 ou 30,000 hommes... ». Et ces compromettantes confidences, Clisson les aurait faites à deux gentilshommes dévoués au duc ! Le duc ajoutait que cet armement lui semblait dirigé plutôt contre lui-même que contre l'évêque. — Tout cela a l'air d'une fable imaginée et assez mal par le duc pour avoir l'occasion de soulever la noblesse contre Clisson]. 

Le choix des députés montre deux choses : l'intérêt que le Roi attache au succès de cette démarche et l'importance du duc de Bretagne.

Le chef de l'ambassade est Philippe le Hardy, oncle du Roi, duc et comte de Bourgogne, comte de Flandre, d'Artois, etc.., « lieutenant du Roy et ayant de lui puissance et auctorité » ; il est accompagné des évêques de Bayeux et de Noyon, de Jehan de Vienne, amiral, du président de la cour des comptes et de conseillers du Roi, seigneurs de Bar, de Giac, et Guy sire de la Trémoille, Sully et Craon (Note : Celui qui commença la grandeur de sa maison, le père de Georges, le ministre favori de Charles VII). 

Rendez-vous est donné à Jean IV à Angers ; là, l'évêque de Bayeux expose les griefs du Foi. Il y en a neuf dont de très graves et contre lesquels le duc devait avoir quelque peine à « proposer excusations et déblasmes » sérieux. 

Nous n'en relevons qu'un : Le Roi se plaint de voies de fait exercées sur des Malouins venus en pèlerinage à Notre-Dame-de-la-Fontaine. 

Se charge-t-il donc du patronage des habitants de Saint-Malo ? Oui. Il fait dire par ses députés que « Saint Malo est notoirement de la garde du Roy et que l'évêque, chapitre et habitans maintiennent que ledit duc n'y a que voir, et que le Roy y est souverain seigneur » (D. Morice, Pr. II, 629-633). 

La remise de Saint-Malo au Roi de France est une des curieuses aventures de ces temps-là. 

Le duc Jean IV obligé des Anglais resta leur très dévoué serviteur. Rançonné sans pitié par ses rapaces alliés, il était toujours, comme dit Hévin, « à sec de finances », et fut grand « inventeur de subsides ». Des impositions nouvelles le brouillèrent avec l'évêque, le chapitre et les bourgeois de Saint-Malo. — De ces graves débats il reste un témoin que nous pouvons admirer encore, la tour Solidor, à l'entrée de la Rance, qu'on dirait bâtie d'hier, et qui, aînée de la Tour de Cesson, compte plus de cinq siècles.

Deux évêques de Saint-Malo, Josselin de Rohan, qui, en 1369, possédait à Saint-Brieuc l'hôtel de Rohan, et après sa mort, en 1389, son successeur Roger de la Motte, prétendirent que, seigneurs d'une ville épiscopale, ils relevaient directement du Pape ; sur l'assentiment des bourgeois, l'évêque Roger de la Motte donna la ville à Clément VII, qui la donna au Roi Charles VI, lequel s'empressa d'envoyer son acceptation que les bourgeois ratifièrent (Juin 1394 à juin 1395). 

Prenant ou faisant semblant de prendre son titre au sérieux, le Roi écrivit à Jean IV pour se plaindre des vexations que celui-ci exerçait contre les Malouins. Le duc répondit au Roi, promettant de les faire cesser ; mais en même temps, il frappa Saint-Malo d'une sorte d'interdit, Il « fit crier par toute la Bretagne que nul n'allât à St-Malo sous peine de corps et biens », — et apparemment il prétendit empêcher les Malouins de pénétrer en Bretagne. 

C'est ce que l'on peut inférer du grief énoncé comme nous allons dire ; et remarquez que l'attentat dont se plaint le Roi n'est pas reproché à des brigands (on pourrait s'y méprendre) ; mais aux officiers du duc, c'est-à-dire au duc lui-même ! Lisons plutôt :  « Depuis que le duc avait écrit au Roi qu'il ferait cesser les voies de fait contre Saint-Malo, lui et ses gens, par espécial le sire de Mangon, avaient pris sur les gens de Saint-Malo en biens et marchandises la somme de quatre mille livres et plus ; et ont été pris quelques habitants qui allaient en pèlerinage à Notre-Dame de la Fontaine à Saint-Brieuc, qui sont encore au pain et à l'eau en prison » (Note : Un auteur renvoyant au document que je résume attribue cette plainte au connétable de Clisson. Evêchés de Bretagne, I, p. 284. — Et un auteur renchérissant dit que les pèlerins emprisonnés ne furent « arrachés au pain et à l'eau » que grâce à l'intervention du connétable, en 1394. — Le Vieux Saint-Brieuc, p. 95 ; et l'auteur renvoie encore aux Preuves, T. II, p. 632, de Morice. La vérité est que Clisson fut absolument étranger à cette affaire qui se passe entre le duc Jean IV et le Roi). Or ils ne peuvent être détenus que par ordre du duc.

Nous n'avons malheureusement pas la réponse faite à cette accusation si nettement formulée, ni la suite immédiate donnée à la plainte. Il est probable que le duc ne se sera pas obstiné à garder les Malouins en prison, sauf à protester de sa souveraineté sur leur ville. Le Roi do France laissa dire Jean IV ; et vingt ans passeront avant que Saint-Malo soit rendu au duc Jean V. Jamais acte de justice ne fut mieux mérité. Le duc avait autorisé son frère le comte de Richement à servir dans l'armée royale avec cinq cents chevaliers bretons. Dans la campagne de 1415, il fit plus ; il envoya dix mille hommes d'armes re­joindre l'armée royale. Le 25 octobre, l'armée bretonne était à une journée de marche d'Azincourt. Mais les Français ne voulaient pas partager avec les Bretons l'honneur de la victoire, ils combattirent sans les attendre et on sait ce qui s'ensuivit. 

Le soir, on releva parmi les morts un jeune chevalier couvert de blessures. Les armoiries peintes sur son écu le firent seules reconnaître pour Arthur, comte de Richement, frère de Jean V. Il fut emmené prisonnier en Angleterre. 

Il en reviendra dans sept ans. Deux ans après, il sera connétable de France ; il vengera le désastre d'Azincourt et sa longue captivité. C'est lui qui enga­geant le combat forcera Jeanne d'Arc à vaincre à Patay (1429), qui enlèvera le duc de Bourgogne à l'alliance anglaise (1435), rendra Paris à la France (1436), sera vainqueur à Formigny (1450) ; enfin il formera l'armée qui, victorieuse à Castillon (1453), chassera l'Anglais de France, et que, devenu duc de Bretagne et restant connétable, il rêvait de conduire sous les murs de Londres.

- II-

Il y a quelques années, Mgr Fallières, évêque de St-Brieuc et Tréguier, eut l'heureuse pensée de réparer la chapelle de Notre-Dame de la Fontaine et l'oratoire de St-Brieuc. Une souscription fut ouverte ; et l'accueil qu'elle reçut a prouvé au vénérable prélat combien son projet était sympathique à tous. 

Dans la chapelle restaurée, des vitres peintes rappellent quelques traits de la vie de saint Brieuc. Sa statue occupe la place d'honneur à gauche de l'autel. C'est justice : saint Brieuc est là chez lui. La statue de saint Tugdual fait pendant. L'ancien évêché de Tréguier est réuni à l'évêché de Saint-Brieuc ; saint Tugdual a été pendant mille ans le patron du diocèse de Tréguier. L'annexion de Tréguier à Saint-Brieuc n'a pas destitué Tréguier du patronage de saint Tugdual ? Le grand et infatigable apôtre, conquérant pacifique de la Domnonée, depuis le Keffleut qui passe à Morlaix, jusqu'à la Rance (M. de La Borderie. Histoire de Bretagne, I. 353-359), n'est-il pas un des deux fondateurs du diocèse actuel de Saint Brieuc? A ce titre son image n'avait-elle pas sa place marquée auprès de celle de saint Brieuc? Une fois deux des Sept Saints représentés dans la chapelle, pourquoi ne pas y admettre les cinq autres ? Ils ont été pendant de longs siècles associés par la Bretagne entière aux mêmes honneurs que saint Brieuc et saint Tugdual ; et jusqu'à la fin du dernier siècle, ils avaient des chapelles ou des autels en communauté avec ces deux saints. 

A cette époque, en exécution de lois barbares, beaucoup de chapelles des Sept-Saints ont été (avec tant d'autres églises) vendues comme carrières ou livrées à des usages profanes [Note : A Brest, l'église des Sept-Saints était devenue une auberge et a conservé cette destination jusqu'à 1843 (Ogée, I. 120). — Elle a été démolie en 1844] ; et leurs autels ont été détruits dans les églises saccagées [Note : Comme à la cathédrale de Quimper. Les statuettes des Sept-Saints, si elles étaient de pierre, furent brisées ; si elles étaient de bois, elles furent brûlées solennellement aux pieds de la statue de la Raison, en présence des autorités (12 décembre 1793, fête de Saint-Corentin). Ces dévastations étaient l'exécution d'un arrêté de la municipalité de Quimper prescrivant la destruction des idoles (M. Le Guillon-Penanroz. L'administration du Finistère, p. 374)]. Cent ans après ces orgies sacrilèges, ne convenait-il pas, en reconstruisant la chapelle de l'un des Sept-Saints bretons, de réunir leurs sept images dans le même sanctuaire (Note : Comme il a été fait à Quimper où les Septs-Saints sont peints au retable de la chapelle absidale) ? C'eût été un acte de réparation et de justice. 

Il faut bien le reconnaître, la destruction des autels des Sept-Saints a presque effacé leur souvenir. Je m'explique ; chacun des Sept-Saints est encore individuellement honoré au lieu de sa résidence mortelle, comme saint Brieuc et saint Tugdual dans le diocèse de Saint-Brieuc ; mais les Sept-Saints ne sont plus, comme autrefois, associés à des honneurs communs. 

La Bretagne d'aujourd'hui sait-elle même le nom de ses Sept-Saints ? Non ! et comment s'en étonner ? Au commencement du dernier siècle, D. Lobineau, notre savant historien, « hésitait sur leurs noms », et en dressait une liste inexacte. Or savez-vous qui le tira de son erreur Les images des Sept-Saints sculptées sur le vieil autel de la cathédrale de Quimper [Lobineau. Hist. Préface p. e (v°)]. 

Les images des Sept-Saints rapprochées de nouveau dans la chapelle de saint Brieuc auraient de même ravivé leur mémoire. Or n'était-il pas patriotique au point de vue breton de ressusciter leurs noms pour les graver dans le souvenir ? Les Sept-Saints de Bretagne furent chers à nos pères ; nous leur devons la même reconnaissance, Nos Sept-Saints furent non seulement les compagnons, les guides, les consolateurs des Bretons chassés de leur patrie ; mais les pères et les fondateurs de la nation Bretonne en Armorique. 

Est-ce trop demander pour les Sept-Saints de Bretagne? Du moins pouvait-on rappeler et leurs noms et le souvenir du pèlerinage que la Bretagne entière leur a voué pendant des siècles. Il suffisait d'une inscription rappelant cette invocation que des milliers de bretons ont autrefois répétée « SAINTS BRIEUC, TUGDUAL, POL, CORENTIN, PATERN, MALO ET SAMSON, SEPT-SAINTS DE BRETAGNE, PRIEZ POUR LES BRETONS ! ». Au début de cette étude (voir la Fontaine de Saint-Brieuc), j'ai exprimé le voeu qu'une croix marquât la place de la Fontaine de saint Brieuc et gardât son nom. Je l'adresse avec confiance aux Religieuses propriétaires de la source bénie. 

Je viens d'exprimer un second voeu en l'honneur des Sept-Saints de Bretagne. Je le soumets respectueusement à Sa Grandeur Monseigneur l'Évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, à ce double titre succes­seur de deux de nos Sept-Saints.

Voici un troisième voeu en faveur de la Fontaine Notre-Dame, et indirectement en faveur de la ville de Saint-Brieuc. C'est à la ville elle-même que s'adresse ce dernier voeu.

Lorsque, le 31 juillet 1838, Mlle Bagot acquit les ruines de la chapelle Notre-Dame, la ville se réserva expressément la fontaine et l'édicule qui la recouvre (Note : « La voûte et les deux pinacles qui recouvrent la fontaine Notre-Dame demeureront la propriété de la ville de Saint-Brieuc qui réserve tout son droit à la dite fontaine ». Extrait de l'acte de vente du 31 juillet 1838). Depuis cette époque, plus d'un demi siècle a passé, et la ville n'a fait sur cet édicule qu'un seul acte de possession : elle l'a entouré d'une grille de fer pour le protéger contre le jet des pierres : acte de protection inefficace ; mais qui révèle pourtant l'intention de sauver le monument d'une destruction complète. 

La ville s'en tiendra-t-elle à cet acte unique et insuffisant de conservation ? Saint-Brieuc n'a pas tant de monuments anciens qu'il lui soit permis de laisser en son état de dégradation la fontaine Notre-Dame. 

Or, par un heureux sort, la fontaine ne figure pas sur la liste des monuments historiques ; et la réparation que la ville déciderait pourrait s'accomplir sans l'autorisation et le contrôle de personne. Excellente situation ! Et, une fois la réparation faite, il faut espérer que la ville saura imposer aux enfants du quartier le respect de sa propriété (Note : Art. 257 du Code pénal. — La dégradation de monuments publics est punie d'un emprisonnement d'un mois à deux ans, et d'une amende de cent francs à cinq cents francs. Et art. 475 § 8. — Amende de six à dix francs pour jet de pierres contre les édifices. Voilà deux articles qui, pour la plupart des villes, ne sont plus au nombre des lois existantes). 

Dire (je l'ai entendu) avec une résignation niaise : « Les enfants ne respectent rien ; mais il en a toujours été ainsi », c'est faire preuve d'une coupable indulgence. J'ajoute : c'est calomnier les enfants voisins de la chapelle Notre-Dame aux siècles passés. Si ceux-ci avaient été atteints, comme les enfants d'aujourd'hui, de la manie de la destruction, n'auraient-ils pas, durant cinq siècles révolus, accompli la besogne, ne laissant rien à faire à leurs successeurs du XIXème siècle ? 

Mais je suppose que la ville de St-Brieuc se désintéresse de l'édicule couronnant la fontaine, qu'elle n'en projette pas la réparation ou qu'elle ne voie pas le moyen efficace d'en assurer la conservation. Alors qu'elle renonce, — en ce qui concerne ce monument, — à la réserve écrite dans le contrat passé avec Mlle. Bagot, dont la communauté des filles du Saint-Esprit est aujourd'hui l'ayant cause ! 

Cette renonciation aura un double avantage. Avantage pour l'édicule qui sera réparé. La communauté du Saint-Esprit ouvrira une souscription qui sera bientôt couverte ; et dans un an, elle aura fait ce que la ville n'a pas su ou voulu — je ne dis pas n'a pas pu — faire dans un siècle écoulé. Avantage pour la ville qui aura vu, sans bourse délier, réparer le monument ; et qui sera sauvée pour toujours, — du moins en ce qui concerne la fontaine Notre-Dame, — du reproche de négligence unanimement et trop justement formulé contre elle par ses visiteurs du mois de juin dernier.

NOTE SUR LA FONDATION DE LA CHAPELLE

Notre-Dame de la Fontaine

En 1636, la ville de Saint-Brieuc reçut la visite d'un gentilhomme de Normandie nommé Nicolas Baudot, seigneur du Buisson et d'Ambenay, militaire, diplomate, collectionneur, épigraphiste, chercheur passionné de voies romaines, de généalogies, de curiosités de tous genres. Du Buisson avait parcouru la plupart des Etats de l'Europe, lorsque en 1636 il vint en Bretagne. Il accompagnait Jean d'Etampes-Valençay, président au grand Conseil, nommé commissaire du Roi aux Etats qui allaient s'ouvrir à Nantes. Il ne manqua pas l'occasion de faire le tour de la Bretagne, s'enquérant de tout, prenant des notes sur tout. A la fin d'octobre, il était à Saint-Brieuc (Note : L'érudite curiosité de du Buisson fut récompensée. Il devint gentilhomme de la chambre du Roi, 1645 ; historiographe du Roi, 1646 ; maître d'hôtel ordinaire, 1649 ; intendant des devises et inscriptions pour les jardins, galeries et bâtiments royaux. Il est mort en 1652 tenant le journal de sa maladie jusqu'à l'avant-veille de son décès ! Je dois cette communication et les renseignements qui précédent à M. P. de Berthou, qui s'est chargé d'éditer l'Itinéraire en Bretagne.

Du Buisson a rédigé son Itinéraire en Bretagne que la Société des Bibliophiles bretons va faire imprimer et qui offrira un vif intérêt. Le lecteur en jugera par l'extrait qu'il m'est permis d'en donner. 

On reconnaîtra que du Buisson était peu versé — ce n'est pas un reproche à lui faire — dans l'histoire généalogique de Bretagne ; mais il avait de bons yeux, observait, savait rendre compte de ce qu'il avait vu — c'est un mérite à relever. 

Vous allez le voir appeler par leurs noms de Notre-Dame et de Saint-Brieuc les deux fontaines dont nous avons parlé ; et la description qu'il donne des deux vitres de la chapelle Notre-Dame complète et rectifie sur plus d'un point le procès-verbal dressé, en 1652, par le sénéchal royal de Cesson et Goëlo [Note : Anciens évêchés I. 287. Le procès-verbal cité est signé du sénéchal royal de St-Brieuc, c'est-à-dire du sénéchal royal de Cesson et Goëlo, juridictions réunies par l'édit de Châteaubriant (octobre 1565), et dont le siège après de longs débats fut fixé à Saint-Brieuc, par emprunt de territoire. Saint-Brieuc était de la haute justice du regaire de l'évêque]. Nous aurons à rapprocher le texte de du Buisson de celui du sénéchal venu seize ans après lui à Notre-Dame. Cette confrontation nous apportera de nouvelles lumières. 

Voici le texte de du Buisson (Note : J'écris en italique et en violet les renseignements dont l'inexactitude va être démontrée) :

...... Outre ces trois églises, il y a des chapelles comme celle de St-Gilles, proche la grande église, celle de Notre-Dame, au fond de laquelle soubz un portique sourt une belle fontaine qui mesle son ruisselet avec celuy de la fontaine de Saint-Brieuc, et s'en vont en celuy de l'Ingoguet ; et tous ensemble tombent dans la rivière de Gouët. La chapelle est fort jolie et a un vitrail fait de l'an 1447, où sont les armes des cadets d'Avaugour. Au grand vitrail sont des armes comme il y en a au bout boréal de la croisée de Saint-Brieuc [Note : La vitre du croisillon nord signalée par M. de Geslin, Anciens évêchés, I, p. 216, comme construite par l'évêque Alain de la Rue, entre 1420 à 1424. — Un manuscrit de 1726 y signale les armes de Léon et Rohan en alliance. Du Buisson y a vu les armes de Clisson et Rohan. — Léon porte de gueules au lion morné de sable. C'est sans doute la présence du lion sur l'écusson qui a induit en erreur l'auteur du manuscrit. Les M ne sont pas des lettres à la romaine, comme le dit le procès-verbal de 1652 ; mais des majuscules gothiques, que Du Buisson figure, semblables à celles que M. de Geslin a vues à Notre-Dame de Lamballe. Anciens évêchés, I. 287. Note 1], à sçavoir : de gueules au lyon d'argent coronné d'or, mi-parties de gueules et 9 macles d'or, et partout ce sont M d'or et d'azur coronnées d'or, avec cette devise : « Pour ce qu'il me plest ». C'est en bonne orthographe : « Pour ce qu'il me plaît ». La tradition porte que « ce fut une Margot de Clisson mariée à un de Rohan qui la fit bastir. Mais cela serait fort éstrange que les armes de la femme fussent devant et au costé droit de celles du mary, veu que mesme le mary estoit de plus ancienne et illustre maison »

Nous verrons plus tard s'évanouir cette objection ; mais auparavant étudions les deux vitres décrites : la grande vitre derrière l'autel et une moindre dont du Buisson ne marque pas la place, mais qui, selon le procès-verbal de 1652, était du côté de l'épître. C'est cette vitre qui porte la date de 1447 non relevée dans le procès-verbal. Nous viendrons tout à l'heure à cette date, mais passons d'abord en revue les écussons décrits par du Buisson. 

Au vitrail latéral du Buisson signale : « les armes des cadets d'Avaugour … ». L'auteur veut dire apparemment les armes d'Avaugour, cadets de Bretagne, c'est-à-dire les armes des anciens Penthièvre, dépouillés de tout leur comté moins le Goëlo, par Pierre de Dreux (1212-1225), et ayant pris le nom d'Avaugour, une seigneurie du Goëlo. Mais c'est une erreur. Les armes d'Avaugour étaient anciennement un arbre chargé de trois pommes ; quand les Penthièvre prirent le nom d'Avaugour, les armes devinrent d'argent au chef de gueules (B. de Courcy, Nobiliaire, V° Avaugour). Or, ces armes, du Buisson ne les a pas vues. Ce qu'il a vu, ce sont les ermines signalées à la même place par le sénéchal, en 1652 ; mais signalées à tort comme les armes de Bretagne. Le sénéchal n'a pas remarqué que les ermines sont entourées d'une bordure de gueules. Dès lors, l'écusson chargé d'ermines n'est pas l'écusson de Bretagne, c'est l'écusson de Penthièvre.

Sur ce point, aucun doute. En 1633, une question de compétence sur la chapelle s'élève entre le sénéchal royal et le sénéchal des regaires. Le premier veut voir dans l'écusson en supériorité les armes des ducs de Bretagne, comme fondateurs de la chapelle ; et le Roi, dit-il, est leur successeur au droit de fondateur. Mais l'évêque établit par des pièces que les Penthièvre sont fondateurs ; ils ont donc leurs armes en supériorité (Anciens évêchés. I. 287 et suiv.. Il semble bien que parmi ces pièces était l'acte de fondation puisqu'on y voit indiquées des processions et des messes solennelles à l'intention de Marguerite de Clisson, droits qui ne peuvent être que les conditions de la fondation). 

Ajoutons que les armes de Penthièvre ne sont pas posées là en souvenir des anciens Penthièvre devenus d'Avaugour au XIIIème siècle ; mais en marque de la fondation faite par les nouveaux Penthièvre, possesseurs du comté rétabli par le duc Jean III (1317) en faveur de son frère Guy, époux de l'héritière de Penthièvre-Avaugour. 

La description de la grande vitre derrière l'autel est conforme à la description de 1652 : elle nous montre un écusson de gueules au lion d'argent rampant couronné d'or (Note : Pour être tout à fait exact, il aurait fallu ajouter armé et lampassé, en termes intelligibles pour tous, lion debout, ayant des ongles marqués et la langue sortie de la gueule), armes des Clissson, puis un écusson mi-parti du même et de gueules à neuf macles d'or, armes des Rohan ; enfin du Buisson, comme le procès-verbal, signale un semis de M couronnés d'or avec la devise audacieuse de Clisson : « Pour ce qu'il me plaist », que le sénéchal n'avait pu lire [Note : On voit qu'il n'est pas question des armes de France. Il faut s'en tenir à la remarque de M. de Geslin que « le chapitre les a fait mettre pour enlever la chapelle au regaire en la supposant de fondation royale ». La pose de ces armoiries, qui fut un faux, est motivée par cette raison antihistorique que « Marguerite de Penthièvre avait été opposée au Roi et avait fait sa soumission avant de mourir » (Anciens évêchés. I. 287). Au contraire, les Penthièvre, très grands seigneurs en France comme vicomtes de Limoges, comtes de Périgord, seigneurs de l'Aigle, etc., étaient fort bien en cour du Roi ; et le dauphin, depuis Charles VII, encouragea vivement leur attentat contre Jean V, son beau-frère]. 

L'attribution de ces armoiries est bien simple. De son premier mariage avec Catherine de Laval, Clisson avait eu deux filles. C'est l'aînée, Béatrix, qui fut mariée à Alain (VIII), plus tard vicomte de Rohan. La cadette, Marguerite, à laquelle du Buisson donne pour mari un Rohan, épousa, le 20 janvier 1387, à Moncontour, Jean de Blois, fils aîné de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre, que la mort de sa mère (10 septembre 1384) avait fait comte de Penthièvre. En 1388, Clisson, qui approchait de la soixantaine, épousa Marguerite de Rohan, tante paternelle du mari de Béatrix, veuve, depuis près de vingt ans, de Jean de Beaumanoir, le chef héroïque des Trente (1350). 

Cela dit, rien de plus facile que de faire l'application des armoiries. Les ermines de Bretagne avec bordure de gueules appartiennent à Jean, comte de Penthièvre, et aux cinq enfants mineurs qu'il a laissés en 1403. — Le lion appartient aux Clisson et à ce titre à Marguerite, comtesse de Penthièvre. — L'écusson mi-parti de Clisson et de Rohan porte les armes accolées de Clisson et de sa seconde femme. 

Ici se placent trois observations :

1° Du Buisson (ni du reste le procès-verbal de 1652) ne signale pas un écusson mi-parti de Penthièvre et de Clisson. L'absence de cet écusson induit à penser que la vitre a été posée quand la comtesse de Penthièvre était veuve, après janvier 1403.

2° Ce n'est pas l'écusson de Clisson, mais c'est celui de Penthièvre, qui occupe la vitre en supériorité. Il semble que la comtesse douairière de Penthièvre ait voulu marquer que c'est à la maison de Penthièvre, à ses enfants, au nom desquels elle agit, qu'appartiendra le titre de fondateur.

3° Au contraire de ce que nous venons de dire à propos de l'absence de l'écusson mi-parti de Penthièvre et de Clisson, la présence de l'écusson mi-parti de Clisson et de Rohan nous permettra de conclure qu'il a été posé du vivant des deux époux. Or Marguerite de Rohan est morte après le 14 décembre 1406, et Clisson le 23 avril 1407.

Nous aurons à revenir sur ce dernier écusson. Pour le moment, résumons-nous en disant : D'après les armoiries peintes aux vitres, la chapelle Notre-Dame a été probablement édifiée de 1403, date du veuvage de Marguerite de Clisson, à 1406 et 1407, dates de la mort de la seconde femme de Clisson et du connétable lui-même. Voudrait-on voir dans la date 1447, la date approximative de la fondation de la chapelle ? On a remarqué avec raison que Marguerite de Clisson n'a pu faire travailler à Notre-Dame, de l'année 1420 à 1441, date de sa mort (Anciens évêchés. I. 284) : 1420 est la date de l'attentat des Penthièvre sur Jean V et de la confiscation qui punit leur félonie et qui dura jusqu'en 1448. Mais dira-t-on : « Si la comtesse n'a pas elle-même posé la vitre de Notre-Dame, c'est que la chapelle n'était pas achevée en 1420 ? ». Combien est-ce invraisemblable ! Digne fille de son père, Mar­guerite savait se faire obéir. Qui croira qu'ayant commencé à édifier Notre-Dame, en 1406 au plus tard, elle ait attendu patiemment l'achèvement de cet édifice pendant plus de quatorze années ? Qui pourrait démontrer que la date 1447 est la date de la première pose de la vitre ? Ne marque-t-elle pas plutôt un rétablissement de la vitre après quelqu'accident ou même de simples réparations ? (Note : La grande vitre n'est pas non plus la vitre primitivement posée, puisque le pignon a été réédifié vers le milieu du XVIème siècle. Anciens évêchés, I. p. 285). Du reste, à raison de la confiscation dont nous venons de parler, les Penthièvre n'ont pu faire ces réparations avant cette année 1447.

Olivier de Penthièvre, fils aîné de Marguerite, était mort, en 1433, sans avoir obtenu la restitution du Penthièvre ; son titre passa à son frère puîné, Jean, seigneur de l'Aigle en Normandie, qui n'avait pas personnellement pris part avec ses deux frères à l'arrestation de Jean V. La mort du duc (28 août 1442) facilitait un rapprochement ; et, en 1445, le duc Fran­çois Ier manifesta l'intention de recevoir en grâce ses cousins de Penthièvre (Morice, Pr. II. 1397. — Compte de Guion de Carné).

Des négociations furent entamées qui aboutirent au traité conclu à Nantes, le 27 juin 1448, entre le duc et Jean de Penthièvre agissant en son nom et au nom de toute sa maison (Morice, Pr. II. 1415. Ajoutons que la restitution de Penthièvre retardée pour diverses causes ne se fit que le 29 décembre 1450. Morice, Pr. II. 1154).

En 1447, le Penthièvre n'est pas encore restitué au comte Jean ; mais le respect qu'il témoigne au duc (Traité de 1448. « Premièrement le duc considérant la grande humilité en quoy Jehan de Bretagne, comte de Périgord, est venu devers luy en sa ville de Nantes.... » - Morice. II. 1416), et la bonne volonté de celui-ci assurent l'heureuse issue des négociations. Comment le duc aurait-il refusé à Jean de Penthièvre l'autorisation de rétablir ou de réparer la vitre de Notre-Dame avec ses armoiries, celles de sa mère et de son aïeul le connétable ? Et en rétablissant ou réparant la vitre, Jean, on n'en peut douter, se conformera aux descriptions qu'il a des armoiries. 

Mais l'écusson mi-parti de Clisson et Rohan nous apporte, je crois, une autre révélation. Ne démontre-t-il pas que les deux époux ont contribué, avec leur fille et belle-fille, à l'édification de la chapelle Notre-Dame ? Comment expliquer autrement la présence des armes de la maison de Rohan à laquelle Marguerite de Clisson est étrangère ? Nous ne le voyons pas.

La participation de Clisson et de sa femme à la fondation de Notre-Dame de la Fontaine n'a rien d'invraisemblable... au contraire !

Le second mariage de Clisson fut pleinement agréé de ses filles. En devenant femme d'Alain de Rohan, Béatrix était devenue nièce de Marguerite de Rohan ; et des liens d'autre nature unissaient les deux familles. A sa mort (vers 1368), le maréchal de Beaumanoir avait laissé d'un premier mariage deux fils, Jean, assassiné (en 1386), et Robert, qui vengea la mort de son frère au fameux duel du Bouffay. De Marguerite de Rohan, le maréchal laissait trois filles, dont l'aînée, Jeanne, fut mariée à Charles de Dinan, seigneur de Montafilant et de Châteaubriant. Elle lui avait donné cinq fils quand elle mourut en 1393 [Note : Voici leurs noms : 1° Henri, mort avant son père (1403) ; — 2° Roland ; 3° Robert ; 4° Bertrand, héritiers l'un de l'autre et morts sans hoirs ; (Bertrand, seigneur des Huguetières, depuis maréchal de Bretagne) ; 5° Jac­ques, grand bouteiller de France (1437), mort un mois avant Bertrand, laissant une fille, Françoise, héritière de la maison de Dinan].

Fidèles partisans de Charles de Blois, les Beaumanoir se rangèrent sous la bannière de Clisson dans ses luttes armées contre le duc Jean IV. Comment ses filles auraient-elles méconnu les services rendus à leur père, le courageux dévouement de Robert lors du guet-apens de Vannes (1387), et la reconnaissante amitié dont Clisson honorait Robert (Note : C'est Robert de Beaumanoir que Clisson chargea de porter au Roi son épée de connétable. Il lui lègue 4,000 livres ; et il le fait un de ses exécuteurs testamentaires) ? Ces circonstances ne furent sans doute pas étrangères au mariage de Clisson avec la veuve de Beaumanoir. Ce mariage amena entre les deux familles une seconde union : un jour, la comtesse douairière de Penthièvre donnera sa plus jeune fille, Jeanne, à Robert de Dinan, petit fils de Marguerite de Rohan [Note : Jeanne était veuve de Jean Harpedanne, seigneur de Montaigu. La généalogie de Penthièvre (Morice. Hist. I. p. XIX) met ce premier mariage à 1448. Erreur typographique. Robert, second mari, est mort en 1429. Faut-il lire 1418 ? Une autre preuve de l'amitié de Clisson pour les Dinan se trouve dans son testament. — Il confirme le legs de sa part des conquèts fait par sa femme à Bertrand (seigneur des Huguetières) son petit-fils ; et il y ajoute « toute sa terre de Lohéac, son harnais de corps, son coursier fauve, 300 livres, son jacques (pourpoint) et sa houppelande rouge fourrée de martre » — Il ne peut s'agir de Lohéac, baronnie d'ancienneté, contenant dix paroisses (canton de Pipriac, ar. Redon, Ille-et-Vilaine). Cette seigneurie avait passé (1364) par le mariage d'Isabeau de la Roche (Bernard) à la maison de Montfort-Gaël. (Morice, Pr. II, 422). En 1407 (date du legs de Clisson), elle était aux mains de Jean de Montfort, époux (1403), d'Anne dame de Laval. Leur second fils fut André, maréchal de Lohéac. Testament et codicille de Clisson. Morice. Pr. II. 782]. 

Les oncles du Roi disgrâciant Clisson, en 1392, l'avaient condamné à ne plus tirer l'épée de conné­table. Après la paix tardive d'Aucfer (1395), Clisson s'enferma dans la retraite ; il n'en sortit guère que pour venir armer chevalier le jeune duc Jean V, au jour de son couronnement (23 mars 1401). De ce jour, le connétable ne revêtit plus l'armure ; et nous pouvons nous le figurer drapé dans « la houppelande rouge doublée de martre » qu'il léguera à Bertrand do Dinan, petit-fils de Marguerite de Rohan.

C'est au château de Josselin que Clisson et Marguerite de Rohan passèrent leurs dernières années. Le château était le chef lieu du comté de Porhoët que Clisson avait donné à Béatrix en la mariant à l'héritier de Rohan ; mais il y restait le maître ; et il y recevait la visite de ses filles. 

Dans leur solitude, les deux époux revenaient aux jours passés. Clisson se reprochait bien des actes de violence, il essayait de les réparer par des fondations pieuses et des aumônes. Mais un fait surtout effrayait ses scrupules et ceux de sa femme.

En 1375, Jean IV exilé en Angleterre tentait de ressaisir le duché. Prévoyant une entreprise sur Saint-Brieuc, qui était ville ouverte, Clisson n'hésita pas à munir de défenses les tours massives de la cathédrale. Il attira ainsi la guerre sur l'église qui gardait les reliques de saint Brieuc et le tombeau de saint Guillaume. Jean IV battit les tours pendant quinze jours sans pouvoir les forcer ; mais non sans causer de grands dommages à l'église. Dix-neuf ans plus tard (en 1394), les rôles sont intervertis : les soldats de Jean IV sont logés dans les tours. Clisson bat l'église de ses machines, s'en empare, s'y enferme, la fortifie de nouveau ; mais l'église transformée en forteresse est à demi-ruinée. 

La commune préoccupation des deux époux à cet égard est démontrée par leurs testaments rapportés en 1406 et 1407, à une époque très voisine de leurs morts [Note : Le testament de Marguerite est du 14 décembre 1406. Morice. Pr. II, 775-778. Celui de Clisson est du 5 février 1406 (1407 n. s.) avec codicille du lendemain. 779-784. Clisson mourut le 23 avril suivant]. La première, Marguerite de Rohan lègue « aux fabriques de l'église cathédrale et du manoir de St-Brieuc, pour ce qu'elle a été endommagée par les guerres, à chacune des dites fabriques, 500 livres ». — Quelques jours après, Clisson laisse « à l'église de St-Brieuc pour la réparation d'icelle 300 livres » (Note : En 1431, le duo Jean V, peut-être en souvenir des dommages causés à l'église par son père, en 1375, donnait au chapitre 400 livres, pour l'aider d réédifier l'église. Anciens évêchés, I. 215). 

Pendant que Clisson et sa femme sont dans ces dispositions d'esprit, la comtesse de Penthièvre se met à rebâtir la chapelle Notre-Dame. Le luxe avec lequel elle décore l'édifice lui coûte cher. Supposez qu'elle recoure à la bourse de son père et de sa belle-mère. Lui faudra-t-il beaucoup supplier pour obtenir un don en l'honneur de « la benoiste et glorieuse Vierge Marie », à laquelle les deux époux recommandent si pieusement leurs âmes ? La construction de la chapelle couvrant l'oratoire de saint Brieuc ne sera-t-elle pas, d'ailleurs, comme une réparation faite au saint pour les dommages causés à son église ?

La chapelle Notre-Dame n'est pas nommée dans les testaments de Clisson et de Marguerite de Rohan ; sans doute parce qu'elle est déjà construite ; et peut être dés ce moment les écussons accolés de Clisson et de Rohan disaient-ils aux visiteurs et aux pèlerins de Notre-Dame ce qu'ils nous disent aujourd'hui, que Clisson et Marguerite de Rohan ont largement contribué à la construction de la chapelle. 

Que l'honneur de la fondation de Notre-Dame reste à Marguerite de Clisson et à ses enfants, soit ! Mais ne dénions pas au connétable de Clisson l'honneur d'avoir été avec Marguerite de Rohan, le bienfaiteur insigne de la chapelle ; et que son souvenir y reste uni à celui de sa fille ! 

Clisson fut une des illustrations de temps très différents des nôtres, mais qui ne furent pas sans grandeur. Il est une de nos gloires bretonnes. Il a dignement tenu l'épée de la France entre Du Guesclin, notre premier connétable, et le troisième, Arthur, comte de Richemont, notre duc Arthur III, auquel l'histoire n'a pas fait « toute la place qui lui appartient » (Guizot. Histoire de France. II. p. 256-257). C'est lui, en effet, quoi qu'on dise aujourd'hui, qui a chassé l'Anglais de France [Note : On répète continuellement : « Jeanne d'Arc a chassé l'Anglais ». La vérité est que Jeanne d'Arc a sauvé Orléans, gagné la bataille de Patay, engagée malgré elle par Richemont, fait sacrer le roi, et pris quelques places. Elle a sauvé la France en rendant la confiance au roi, l'espoir et l'assurance au peuple et à l'armée. — Mais, après son supplice, il restait à reprendre la Champagne, l'Ile de France, Paris, le Maine, la Normandie, la Guyenne. Ce fut l'oeuvre de Richemont et de l'armée qu'il avait formée ; et cette oeuvre n'a été achevée que vingt-et-un ans après la mort de Jeanne d'Arc (Victoire de Castillon. Juillet 1453).

Antre légende : on disait dernièrement : « Ce rude chevalier Bertrand Du Guesclin, incarnant la patrie comme la noble fille de Lorraine, à l'époque la plus sombre de notre histoire, sauva le royaume et avec lui la nation française encore an berceau ». Le rapprochement des deux noms de Du Guesclin et de Jeanne d'Arc ne va-t-il pas induire en erreur et les faire prendre pour compagnons d'armes, quand un demi-siècle les sépare ? Passons. — Mais dans le reste pas un mot qui ne soit une erreur. Du Guesclin n'a pas incarné la patrie française : et pour une bonne raison : breton, il n'était pas français, — L'époque la plus sombre de notre histoire est venue après sa mort (1380), avec la folie de Charles VI, le désastre d'Azincourt, la prise de Paris, l'alliance du duc de Bourgogne avec l'Anglais, le traité de Troyes, etc. (1420, quarante ans après Du Guesclin). Il n'a donc sauvé ni le royaume ni la nation française encore au berceau, Erreur ! Tous les historiens ne placent-ils pas la formation de la nation au XIème et XIIème siècles (avant Bouvines — 1214)?]. 

Rappelons surtout à l'honneur de Clisson son projet de descente en Angleterre. Suivant la pensée de Du Guesclin, il voulait porter la guerre chez les Anglais. Tout était prêt dans le port de Tréguier ; Clisson allait prendre la mer, lorsque le duc Jean IV l'arrêta traîtreusement à Vannes. Supposez Clisson vainqueur sur la terre anglaise c'était la France vengée de Crécy et de Poitiers, — et qui sait? — préservée peut-être d'Azincourt et des désastres qui suivirent jusqu'aux jours bénis où Dieu prenant pitié de la France suscita Jeanne d'Arc.

J. Trévédy - 1897

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