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LES RELIGIEUX CAPUCINS DE ROSCOFF DURANT LA REVOLUTION

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1790. Un pardon agité.

Nous avons laissé les Pères Capucins au lendemain de l’inventaire de leur couvent, en mars 1790. Au mois d’août suivant, la fête de la Portioncule attira au monastère un grand nombre de fidèles désireux de gagner la précieuse indulgence obtenue par saint François.

A quatre heures de l’après-midi, entre les cultivateurs des campagnes environnantes, venus aux Capucins pour la circonstance, et les soldats des régiments de Beauce et de Normandie en garnison à Saint-Pol, une rixe éclata. Les soldats trouvèrent-ils insolite cet attroupement ? se moquèrent-ils des paysans et de leurs pratiques de dévotion ? voulurent-ils les disperser ? on ne sait. « Toujours est-il qu’après s’être battus sur la grande place, devant le couvent, les soldats, nous dit l’annaliste, marchèrent sur Roscoff, commettant les excès les plus inouïs, ne respectant ni l’âge ni le sexe, sabrant ou tirant sur tous ceux qui avaient le malheur de se trouver dans leur passage, cassant les vitres, enfonçant les portes ».

« Plusieurs cultivateurs reçurent des blessures assez graves, et six d’entre eux furent emmenés à Saint-Pol par cette soldatesque effrénée, et constitués comme otages des auteurs de la querelle ».

1791. Prélude d’orage.

De tels épisodes joints aux nouvelles peu rassurantes qui parvenaient aux Pères, concernant les arrestations des prêtres qui n’avaient pas voulu prêter le serment de fidélité, les expulsions des religieuses, les menaces des patriotes, les visites domiciliaires des gardes nationaux faites de jour et de nuit, n’étaient pas pour éclaircir le ciel du couvent de Roscoff.

A cette date, une vingtaine de religieux y étaient entassés tant bien que mal ; l’inventaire des officiers municipaux, dont nous avons parlé, porte que le couvent ne pouvait contenir plus de 15 membres.

Croyant leur vie en danger et pris de panique, un jour de décembre, les Pères s’enfuient de leur résidence, à l’exception de trois ou quatre décidés à tenir jusqu’au bout. Rassurés par la municipalité qui promet de veiller sur eux, ils reviennent peu après [Note : Correspondance du P. Alexandre, de Quimper, avec son frère le docteur Alexandre Delaroque-Trémaria, trésorier de Quimper. Archives départementales n° 304. D. 310].

A mesure que passent les semaines et les mois, les choses s’aggravent en France. Après la Constitution civile du clergé, les prêtres fidèles avaient été tracassés, molestés à Roscoff ; l’un d’eux, l’abbé Décourt, avait été enlevé durant la nuit, les autres s’étaient cachés pour éviter toute poursuite. La municipalité désireuse d’assurer le service du culte avait fort envie de s’adresser au couvent des Capucins ; mais avait-on le droit de recourir à eux ? Perplexe, elle en réfère à Morlaix, le 14 mars, et demande au district une ligne de conduite pour l’avenir.

Le district désigne pour assurer le ministère paroissial à Roscoff, un Récollet, le Père Dominique Nouvel, qui fut invité « à dire la messe, à administrer les sacrements et à constater l’état civil et les décès ».

Nouvel embarras, nouvelle perplexité de la municipalité quand se récusa le Père Dominique, alléguant son grand âge et ses infirmités.

Il est à croire que les Pères Capucins devaient avoir mauvaise réputation devant les commissaires, puisque pendant un mois ceux-ci tergiversent, hésitent sur le parti à prendre, jusqu’au 4 avril. La mort d’un enfant leur fait résoudre brusquement la question : afin de ne pas indisposer la chrétienne population de Roscoff, ils décident de faire appel aux Pères Capucins, au risque de se brouiller avec les administrateurs du District.

« Sur ce que le Père Dominique s’est excusé, dit le compte rendu de la délibération de ce jour, malgré nos prières de correspondre à celles que MM. les administrateurs du District nous ont mandé luy avoir faites de constater l’état civil des enfants, de faire les enterrements et d’administrer les sacrements, le corps municipal ayant délibéré arrête : les religieux Capucins seront priés de nommer un d’entre eux pour faire cet enterrement et ce nonobstant que par la lettre des administrateurs il paraît que leurs intentions n’étaient pas d’autoriser le corps municipal à cette prière envers les dits religieux Capucins pendant le séjour du Père Dominique en cette ville ».

Il s’agissait du bien des âmes : des enfants de saint François ne pouvaient se récuser ; ils s’exécutèrent avec une délicate discrétion. « Le supérieur, continue le rapport, amené par le père de l’enfant mort, s’étant trouvé dans la maison commune, la prière luy a été faite sur le champ de faire cet enterrement, a répondu qu’il s’y prêterait pour cette fois seulement ».

Le Père Athanase de Lannion préside donc les funérailles de l’enfant Jacq et ajoute à sa signature cette remarque qu’il avait accompli cette cérémonie « en l’absence du curé ».

Bientôt du reste le District calmait les angoisses des municipaux roscovites. « Par son invitation adressée au Père Dominique, il n’avait voulu disait-il, que procurer aux citoyens un surcroît d’avantage dans l’exercice du culte, sans néanmoins vouloir effacer l’invitation que la municipalité avait faite aux Capucins de Roscoff d’exercer, dans la même Eglise, des fonctions catholiques ». Ces charmants apôtres ajoutaient : « A l'Evêque seul appartient le pouvoir de déléguer de semblables commissions ». Quelle connaissance du Droit ecclésiastique !... Pourtant s’ils sont intervenus auprès du Père Dominique c’est uniquement parce que, quand la tranquillité publique est « troublée, notre devoir nous impose de ne pas laisser le peuple privé de culte » (Lettre du 4 avril).

Prenons acte de ces déclarations. Quel zèle pour la gloire de Dieu et le bien des âmes ! Nous en doutions un peu ; il nous est agréable de l’entendre dire.

Fuite de quelques Pères.

Les choses allaient de mal en pis pour les prêtres non assermentés. D’une part, les clubs régionaux et particulièrement celui de Brest menaient une violente campagne contre eux ; d’autre part, une nouvelle condamnation par le Pape Pie VI de la constitution civile du clergé et du serment schismatique qu’elle imposait, n’avait fait qu’envenimer les choses.

L’abbé Décourt, curé de Roscoff, et l’abbé Paul, curé de Santec, furent arrêtés et conduits à Brest pour y être incarcérés ; en traversant la ville ils subirent de brutales violences, spécialement de la part de mégères qui, se ruant sur l’abbé Décourt, lui arrachèrent les cheveux.

Le récit de ces arrestations et de ces vexations mettent en grand émoi, on le conçoit sans peine, les religieux reclus « aux Capucins ». De jour en jour, ils s’attendent à une invasion de leur couvent. Dans ces conjonctures, sept d’entre eux se dérobent à la surveillance dont ils sont l’objet, quittent leur maison et s’embarquent pour Jersey avec l’abbé Boutin, de Roscoff.

Vers Jersey.

L’histoire a gardé les noms de ces infortunés :

P. Athanase de Lannion (François Gouélou) chef de l’expédition,

P. François-Marie de Morlaix (Lancien),

P. Joseph de Callac (Simon le Denmat), gardien du couvent de Rennes,

P. Paul de Tréguier (Pierre-Joseph le Houérou),

P. Simphorien de Lannion, et deux frères lais, Louis-François et Raphaël.

Comment se réalisa le voyage ? Les Annales ne le disent point, pas plus qu’elles ne rapportent la vie de la petite communauté en exil. Cependant nous avons l’avantage de posséder un document très précieux concernant l’arrivée et le débarquement des Pères à Jersey, dans une page du journal que l’abbé Corre, curé de Boussac, écrivait sur la vie des prêtres insermentés dans l’île anglo-normande.

« Il arrivait ici, (à Saint-Hélier), avant-hier, sept Capucins en habit de religion, écrit l’abbé ; en six heures ils furent tous habillés à l’anglaise (l’habit ecclésiastique est prohibé en Angleterre depuis la Réforme). Un riche négociant, nommé Dumaresq, leur proposa sa maison de campagne sans leur proposer un sol ; mais les Français de l’île ne sont pas au bout de leurs finances et jusqu’à ce moment on n’a pas besoin de secours de l’étranger ».

« Les Capucins firent une excellente impression sur les Jersiais » [Note : Journal et lettres de l’abbé Corre, publiés par E. Dupont dans le Nouvelliste de Bretagne, sous le titre : Les illusions d’un curé de Bretagne sous la Terreur].

C’est tout ce que nous savons de l’existence des Pères à Jersey. Notre curiosité aimerait savoir ce qu’ils sont devenus : s’ils sont restés dans le premier ermitage mis à leur disposition par la libéralité de M. Dumaresq, et quel fut leur genre de vie en exil.

Leur départ de Roscoff ne demeura pas longtemps inaperçu. La Municipalité signalait au District, dans une lettre du 22 juin, leur fuite en ces termes : « On les dit embarqués, mais nous ne savons ni où ni comment ». De son côté, l’officier de classe, Aubert, homme bien renseigné sur ces matières, écrivait au District après une petite enquête : « Vingt-sept juin 1792. Vous savez que Boutin de Roscoff est parti avec sept frères Capucins, par un floger qui n’a pris aucune expédition ni congé pour cette belle oeuvre. Mais je compte bien vous en rendre raison du maître à son retour et l’envoyer à Morlaix à votre disposition. Il est temps de faire des exemples pour arrêter un semblable brigandage » (Archives du Finistère, I. 207).

Le registre de Police de la mairie mentionne le retour du marin au port de Roscoff (Reg. 1-12, résidence et passeport). Les choses devaient s’arranger aisément, si on en juge par sa déclaration :

28 juin 1792. Tanguy, dit Lumière [Note : Nous retrouvons là un exemple typique de la coutume de distinguer les homonymes par un surnom], maître du bateau pêcheur, le « Marie-Anne », de Roscoff, absent depuis 4 jours, arrivé en ce port au jour d’hier, « a déclaré venir de la mer, ayant eu ses filets coupés et n’ayant rien vu de suspect en mer et a déclaré ne savoir signer ». Présent le sergent de garde et le maître.

C’était simple, trop simple pour la canaille, aussi ne sommes-nous pas surpris de trouver joint à cette déposition une dénonciation en règle contre le vaillant chrétien qui avait conduit les religieux en terre libre.

« Dudit jour, Perjadis, caporal de la 4ème Cie du 1er Bon des volontaires nationaux du Finistère, en garnison à Saint-Paul, détaché présentement à Roscoff, déclare que le dit Tanguy Lumière est parti de ce port depuis six jours, époque de l’émigration des Capucins de la communauté et du curé constitutionnel de Roscoff. De tout quoi le dit caporal a fait sa déclaration pour prouver la fausseté de la déclaration du dit Tanguy Lumière et a signé : Perjadis ».

Persécutions.

A la suite de cette dénonciation, quel fut le sort de ce brave Tanguy Lumière auteur de cette « belle » oeuvre, de cet acte de grand courage et de généreuse charité ? On ne sait. Espérons que la Divine Providence le garda des foudres révolutionnaires.

Toujours est-il que les Pères Capucins étaient partis à temps, puisque dans la nuit du 8 au 9 juillet le couvent fut envahi ; le Père Dominique, Récollet, fut saisi, emmené à Brest et traîné de prison en prison, jusqu’au 11 août.

Il est permis de présumer qu’il ne fut pas le seul religieux saisi cette nuit-là, mais que le Père Augustin Le Corre, gardien du couvent de Landerneau, au début de la Révolution, fut emmené lui aussi, car, à partir de cette époque, son nom ne figure plus sur la liste des religieux présents à Roscoff.

Ce Père y était venu à la fin de 1791, après avoir été déjà incarcéré de juillet à septembre à Brest, au couvent des Carmes, transformé en prison.

A la fin de 1792, nous retrouvons le Père Augustin interné dans le fameux château du Taureau, construit dans la rivière de Morlaix pour défendre l’accès du port.

Ce bastion était alors une prison d'Etat et le resta longtemps ; là furent emprisonnés de célèbres agitateurs politiques, tels que Blanqui, Barbès, etc.

Le Père Augustin attendait au château du Taureau un bateau qui devait le déporter en Guyane française. Au lieu d’être envoyé à Cayenne, le pauvre Père, à la suite d’événements inexplicables aujourd’hui, fut exilé à Brême, en Allemagne, le 18 avril 1793.

A cette date, trois frères laïcs : Etienne de Saint-Malo, Victor de Brest, et Jean-François de Brest, disparaissaient du couvent ; ils ont du, très vraisemblablement, être arrêtés la même nuit et emmenés à Brest. Nulle part, en effet, il n’est fait mention d’évasion.

Les Officiers municipaux de Roscoff ne fermèrent pas les yeux sur l’agression dont les Pères avaient été victimes en la nuit du 8 au 9 juillet.

En effet, à la date du 10 juillet, les procès-verbaux de la Municipalité portent, cette protestation :

« Monsieur le Maire a mis sur le bureau le procès-verbal rédigé par les officiers municipaux soussignés et dont il demande acte tant pour lui que pour ses collègues, relative à l’enlèvement illégal des Capucins de Roscoff, exécuté la nuit du 8 au 9 de ce mois ».

« La Municipalité, ouï le procureur de la commune, arrête et délibère que le bureau municipal sera chargé d’envoyer des copies partout où besoin sera pour qu’un pareil attentat au droit de l’homme et à la liberté soit poursuivi, s’il y a lieu ».

Pourquoi faut-il que cette dernière réflexion vienne détruire l’impression de courageuse énergie qui semblait animer les municipaux de Roscoff en face d’une flagrante injustice ?

Tout s’explique : nos édiles connaissaient l’esprit des chrétiennes populations de Roscoff et de Santec privées de leurs pasteurs légitimes ; il fallait les ménager, il fallait éviter un soulèvement de leur part. Aussi portent-ils bientôt ce nouvel arrêté : « Vu qu’il n’y a pas de fonctionnaire public pour la desserte de la paroisse, que le bureau municipal sera chargé de requérir deux religieux Capucins pour dire dans l’église paroissiale deux messes tous les jours de dimanche et fêtes, mais ils ne feront ces réquisitions que la veille et en changeront les heures, (des messes évidemment), afin que s’il est possible il n’y ait que des paroissiens qui puissent s’y trouver ».

Le jeu est clair, douloureusement clair. Pour ne pas permettre aux fidèles de Saint-Pol, Plouénan, Plougoulm, d’assister aux offices célébrés par des prêtres non jureurs, on bouleverse au dernier moment les horaires des offices et l’on se garde d’en avertir les Pères Capucins afin de les mettre dans l’impossibilité d’informer les intéressés. Aucun Capucin ne fut envoyé à Santec, mais pour la forme évidemment, la Municipalité statua : « que l’on écrirait au District de pourvoir à l’envoi d’un prêtre en cette succursale pour y dire la messe d’après les différentes demandes qui lui ont été faites par les habitants de cette section de notre Municipalité ».

Les Pères Capucins ne purent donc mettre leur dévouement au service des fidèles de Santec.

A cette époque de la période révolutionnaire il n’en fut pas de même de l’île de Batz. En effet, les cahiers des comptes (1791-1792 — Batz) portent que les Marguilliers en charge à cette date versèrent au batelier Yves le Bescont la somme de 24 livres, à raison d’une livre par voyage, « pour prendre et conduire les Capucins de Roscoff ».

C’est donc 24 fois que l’un des Pères est allé dans l’île de Batz, ce qui nous fait supposer qu’il ne s’y rendait pas chaque dimanche.

Déportations.

Le 25 août 1792, l'Assemblée législative, afin de détruire la religion catholique en privant les fidèles de leurs prêtres légitimes, vote la loi de déportation. Cette loi obligeait tous les ecclésiastiques qui n’avaient pas prêté le serment à la Constitution civile du clergé, à se présenter devant le directoire du District et la Municipalité de leur propre résidence pour déclarer le pays étranger où ils voudraient se retirer.

On accordait un passeport contenant la déclaration et le signalement de l’intéressé, ainsi que le chemin qu’il comptait prendre.

Muni de cette pièce, il devait quitter le territoire français s’il ne voulait pas être déporté à la Guyanne. Défense formelle était faite de rentrer en France sous peine d’encourir dix ans de détention.

Les mêmes dispositions étaient prises contre les ecclésiastiques accusés de rébellion, ou même dénoncés par six citoyens domiciliés dans le département.

C’était la porte ouverte, largement ouverte à la dénonciation, à la violence, à la persécution, à l’emprisonnement massif et arbitraire.

Roscoff, en raison de son activité commerciale, devait faciliter le passage des prêtres et religieux dans tous les pays d'Europe : Italie, Espagne, Angleterre, Allemagne, Portugal, etc...

La liste de ceux qui demandèrent et reçurent un passeport à Roscoff a été soigneusement conservée.

Nous relevons les noms de quelques Capucins avec les annotations faites par la Mairie. Malheureusement le pays choisi par les déportés n’a pas été mentionné.

Les passeports du Père Alexandre de Quimper (Félix Delaroque-Trémaria) et du Frère Etienne de Matignon (Vincent-Charles Guyot) ont reçu leur visa à Roscoff le 20 septembre 1792.

Le secrétaire, en inscrivant leurs noms, met en note « deux pensions à payer », ce qui laisse entendre que les religieux recevaient à cette date une allocation municipale (Registres de la mairie).

Le Frère Félix Guillou reçoit le visa le 21 septembre. Il n’avait pas été conduit dès le début de la Révolution à Roscoff. Son nom ne figure pas sur la liste des religieux, cependant le greffier ajoute cette remarque : « avec passeport de Roscoff, où il résidait depuis plus de 6 mois ».

Même visa est accordé quelques jours plus tard au Père Félix de Rostrenen, et au Père Corentin, François Carré, Carme de Morlaix.

Nouvelles attaques.

A partir de septembre 1792, les évènements politiques marchent vite en France. La 3ème Assemblée Nationale, la Convention, qui devait durer du 21 septembre 1792 au 27 octobre 1795, maintient les lois de proscription contre les prêtres et organise la Terreur ; la constitution de Comités de Salut public, l’établissement d’un nouveau calendrier, le culte de la déesse Raison et des fêtes décadaires, le renouvellement des lois contre les prêtres fidèles (mai, avril, octobre 1793) sont autant de mesures destinées à déchristianiser la France.

Dès que le District de Morlaix transmettait ces textes de lois persécutrices, la Municipalité de Roscoff les exécutait, sans empressement peut-être, mais en tout cas sans protestation et sans retard.

Ainsi, quand l’ordre fut donné par le gouvernement de fermer le couvent des Capucins et d’en expulser les religieux, les officiers municipaux se réunirent en séance extraordinaire et délibérèrent et arrêtèrent que vu la loi du 16 août « les citoyens Heurtin [Note : Nous trouvons aussi l'orthographe : Heurtain] et Villancourt, se rendraient à l’ex-communauté des Capucins pour y notifier aux religieux qui y sont, qu’ils eussent à quitter leur costume ainsi qu’à évacuer la communauté dans trois jours au plus tard, et à n’emporter d’effets que ceux qui leur sont accordés par la Loi, et à faire auparavant la déclaration à la Municipalité, et il sera nommé pour trois jours des commissaires aux mains desquels le Père Econome remettra les effets portés dans les procès-verbaux d’inventaire cy-devant rapportés ».

Expulsés.

Quatre jours plus tard, le 22 novembre 1792, avait lieu l’expulsion.

Le procès-verbal de cet épisode a été soigneusement rédigé : il porte qu’avant de chasser les religieux de leur couvent, le Maire et le Procureur communal se sont assurés que tous les objets relevés dans l’inventaire de 1790 « n’avaient pas été soustraits à la Nation ».

Cette opération terminée, les religieux ont été sommés de déclarer ce qu’ils allaient emporter en se retirant et d’indiquer le lieu de leur résidence, ajoute le document.

En outre, deux hommes, un cultivateur, nommé Joseph Seité et un certain Rolland Corre, ancien serviteur de la communauté, sont commis à la garde du couvent. De même la « mère » reçut l’ordre de veiller à la conservation de la maison qu’elle habite et des effets à son usage.

« Et pour plus grande sûreté des effets les plus précieux, continue le procès-verbal, nous avons de suite fait transporter à la maison commune : les effets d’argent inventoriés consistant en quatre calices, un ciboire et un soleil ou ostensoir, et avons finalement sommé les ex-capucins de se retirer suivant leur déclaration aux lieux qu’ils nous ont désignés, nous réservant de rendre compte à l’administration supérieure de nos opérations et ont signé avec nous, le supérieur et les gardiens que a nous avons désignés d’office ».

Ce procès-verbal est signé du Maire, Gérard Mège, du procureur de la commune, Jacques Kenfors, du secrétaire greffier, Prat, et de Jacques-Louis Nicol prêtre, en religion Frère Pacifique, économe, de Jeanne Le Minihy, de Corvez et de J. Séité.

Le lendemain de l’expulsion, le Maire et le Procureur municipal retournaient au couvent comme des malfaiteurs qui viennent rôder sur les lieux où ils ont commis leurs forfaits. Arrivés à la « Maison Nationale », occupée par les cy-devant Capucins, ils font mettre les scellés sur la sacristie où l’on entasse tout le linge trouvé dans la maison, sur la bibliothèque et la chambre du supérieur où se trouvaient les archives et les clefs des autres cellules.

Avant de se retirer ils invitent les gardiens, nommés d’office, à prendre à la maison commune fusils et cartouches « pour plus grande sûreté » de la conservation des biens et effets nationaux.

Pauvres biens nationaux, pauvres effets, pauvre bibliothèque, on sait le sort qui leur advint. Toutefois avant de procéder à cette dilapidation, la Municipalité s’était emparée de quelques reliques, « ego primam partem tollo ».

Sainte Pauvreté.

L’inventaire de la maison commune du 22 Messidor, an III, 10 juillet 1795, porte les indications suivantes :

Au bureau municipal, un fauteuil à ressorts, deux bancs, deux tables du réfectoire des Capucins, une petite cloche pour le bureau des Capucins.

Dans le secrétariat... Un buffet à deux battants pris aux Capucins. Une vieille grille de fer provenant de la porte des Capucins, un bénitier de marbre blanc provenant des Capucins, une cloche cassée avec son mouton de l’entrée des Capucins, un baril avec des serrures et des clefs provenant des cellules des religieux.

Dans le cabinet, du Maire sans doute, une carte de terre sainte sur toile, provenant des Capucins...

Quant aux vases sacrés du couvent (4 calices, un ciboire et un ostensoir) ils furent expédiés, le 7 janvier suivant, au District de Morlaix.

Les Capucins chassés, leurs biens volés, le couvent fermé, il ne restait plus aux municipaux qu’une dernière formalité à remplir : informer le District de Morlaix de l’événement sensationnel survenu à Roscoff. Information est faite dès le 23 novembre par une note qui sonne comme une annonce de victoire éclatante.

« Nous prévenons que nous venons définitivement de faire vider la Maison nationale du cy-devant Capucin par les individus qui l’occupaient, lesquels ont quitté leur costume, conformément à la loi. L’un, Yves Mével, sexagénaire, natif de Roscoff, demande à entrer à l’hôpital. Tous les effets d’argent ont été envoyés à la maison commune. On a nommé deux gardiens ».

Sept religieux étaient partis pour Jersey le 21 juin, six avaient été emprisonnés ou s’étaient enfuis dans la nuit du 8 au 9 juillet, quatre autres, s’étant soumis à la loi de déportation, avaient obtenu des passeports.

Entre le 3 octobre, jour où la Municipalité avait trouvé huit religieux, et le 22 novembre où il ne restait que quatre, les quatre autres : le Père Paul-Marie de Landerneau (Allain Kérautret, de Locmélard) et les frères Léon (Jean le Roux), Benjamin (Vincent Maillard), et Cassien (Henri Denis), s’étaient enfuis et cachés en lieu sûr.

Le frère Léon, âgé de 66 ans au moment de sa fuite, ne tarda pas à être repris ; au cours des années 1793-1794, il séjourne dans les diverses prisons du Finistère. Quant aux frères Benjamin et Cassien, ils disparaissent si bien à partir d’octobre que nulle part il est impossible de retrouver leurs traces.

Un obstiné.

Le Père Paul-Marie de Landerneau mérite une mention spéciale : il resta à Roscoff si bien dissimulé dans les bois de Kérestat et des environs qu’il échappa pendant dix ans à toute recherche de ses ennemis. Il fit bénéficier les familles chrétiennes de son dévouement religieux, en exerçant au péril de sa vie les fonctions du ministère sacerdotal.

Caché et introuvable le jour, le Père Paul opérait la nuit.

Nous n’avons ni le relevé des baptêmes administrés, des mariages bénis, des confessions entendues ; cependant, en tenant compte du travail accompli par son compagnon d’infortune, l’abbé de la Bourgonnière, nous avons lieu de croire qu’il fit bonne besogne.

Ce dernier en effet homologue à son actif plus de 200 baptêmes. Il est permis de présumer que de 1792 à 1801 le zèle du Père Paul-Marie ne fut ni moins ardent ni moins fructueux. Au prix de quelle souffrance, de quelle fatigue, nous ne le saurons jamais.

Il nous faut rapporter ici, ne serait-ce qu’à titre de reconnaissance, l’aventure dont un prêtre, le Père Paul peut-être, fut l’acteur et faillit être la victime. Un jour une patrouille arrive à l’improviste dans la cour de François Guyader, le fermier de Kérestat, pénètre dans la ferme sur les pas du fils de la maison qui, en les apercevant, s’était enfui épouvanté. L’enfant bien stylé s’adresse à un prêtre habillé en paysan qui se trouvait assis au coin du foyer et lui crie : « Tad Coz, erru sourdardet », « Mad, Lez-hid » (« Grand-père, voici les soldats »« Laisse-les, petit »). répondit tranquillement le pseudo-paysan. Entendant ces réflexions si désinvoltes, les soldats crurent que l’enfant parlait à son grand-père... Ce jour-là le prêtre insermenté l’échappa belle.

Le 25 germinal, le 15 avril 1795, à la faveur de l’accalmie qui suivit la chute de Robespierre, le religieux et le prêtre séculier réapparaissent au grand jour et se présentent au bureau municipal de la commune de Roscoff. Le Père Paul déclare « s’être tenu caché pour son seul caractère de prêtre et rentre paisiblement dans la société pour tâcher, par ses discours et sa conduite de consolider l’union, la paix et la concorde entre les citoyens. Il déclare en outre fixer son domicile à Roscoff ». Il signe : Allain Kérautret.

Plus tard il fait avec M. de la Bourgonnière une déclaration encore plus nette :

« Les ennemis des ministres catholiques romains cy-devant détenus ou cachés à raison du refus du serment, ne cessent de leur imputer d’être réfractaires à la loi et d’insinuer qu’ils sont en révolte contre le Gouvernement.

Les dits ministres ne sont point et n’ont point été réfractaires. Une loi a prescrit aux fonctionnaires publics de jurer la cy-devant constitution civile du clergé ou d’abandonner leurs bénéfices.

Ils n’ont point fait le serment ; mais ils ont abandonné leurs bénéfices, ils ont donc obéi et ne sont point réfractaires.

Ils ne sont point, ils n’ont point été et jamais ils ne seront en révolte contre le Gouvernement. Disciples d’un Maître qui leur a dit que son Royaume n’est pas de ce monde, ils sont par principe et par état soumis au Gouvernement civil de tous les pays qu’ils habitent. Lorsque Jésus-Christ a envoyé les Apôtres prêcher l'Evangile dans tout l’univers, il les envoya dans les Républiques comme dans les Monarchies, et telle est l’excellence de cette religion toute divine, qu’elle s’adapte à toutes les formes de gouvernement. Dire que le culte catholique romain ne peut s’exercer dans les Républiques comme dans les Monarchies, c’est calomnier ce culte et ses ministres ».

Cette déclaration si nette, vraie charte du Sacerdoce catholique, en matières politiques, est datée du 10 Messidor an III, 28 juin 1795.

Elle satisfait si bien les Municipaux de Roscoff que, recevant quelque temps plus tard du District de Morlaix l’ordre de poursuivre nos héros, ils se contentent de répondre :

« Les deux prêtres que nous avions ici ne paraissent plus dans cette commune depuis la notification que nous leur avons faite de la loi du 11 Vendémiaire, et n’étant pas sous le coup de loi de 1792 et 1793, ils sont exempts de la déportation et de la réclusion ».

Pratiquant généreusement le pardon des injures, le Père Paul accepte de baptiser solennellement le petit-fils d'Yves Heurtain, le trop fameux acquéreur des biens nationaux, le 24 juin 1799, c’est-à-dire à peine deux mois après l’achat du couvent.

Plus tard, sorti de sa cachette après la chute du Directoire, il promet de travailler « au maintien de la paix et de l’union dans la commune ». Sa déclaration est datée du 2 novembre 1800.

Il reçoit alors une carte de sûreté, circule librement dans le pays et officie publiquement dans l’église de Croaz-Batz rendue au culte.

Sommé 6 mois plus tard de prêter, conformément à la loi du 21 Nivôse an VIII, le serment suivant : « Je promets fidélité à la Constitution », il s’y refuse, sur les conseils de Monseigneur Henry, vicaire général de l’évêché de Léon.

La Municipalité, devant ce refus, lui intime l’ordre de quitter Roscoff dans les 24 heures et de se retirer dans son pays d’origine.

A la décharge de la Municipalité roscovite, il faut noter, que cet ordre émanait de Duquesne, sous-préfet de Morlaix.

Mais entre temps, le Père Paul reçoit de nouvelles instructions épiscopales ; aussi se présente-t-il à la Mairie pour faire la protestation suivante avec M. de la Bourgonnière :

« Etrangers à toutes les discussions civiles et politiques ainsi que la religion que nous professons nous l’impose, nous venons donner à la puissance temporelle une garantie de notre soumission, sauf néanmoins la religion catholique apostolique et romaine dont la loi garantit le libre exercice ; à cette condition, en conséquence, je promets fidélité à la Constitution ». Le 4 Messidor an IV, 28 juin 1801.

Cette formule donnée par Monseigneur de la Marche lui-même, de Londres, son lieu l’exil, fut agréée du sous-préfet de Morlaix. Le Père Paul ne fut plus inquiété. Du reste, la signature du Concordat, 15 juillet 1801, mit définitivement fin à la persécution religieuse. Les prêtres de Roscoff rentrèrent d’exil et reprirent le libre exercice du saint ministère. La vie religieuse n’était pas rétablie en France, le Père Paul-Marie se mit à la disposition de l'Ordinaire du diocèse qui le nomma, en 1801, vicaire à Saint-Pol, où il mourut le 6 mars 1821.

Le Calvaire.

Nous arrivons maintenant à la page à la fois la plus glorieuse et la plus douloureuse de notre récit.

Le 22 novembre 1792, le Maire de la commune n’eût donc que quatre religieux à expulser :

P. Pacifique du Faouet (J.-L. Nicol), 75 ans ;

P. François de Quimper, 66 ans ;

P. Joseph de Roscoff (Yves Mével), 63 ans ;

P. Louis-François de Morlaix, (Joachim Alexandre), 28 ans.

Le rapport du secrétaire est muet sur les épisodes qui marquèrent cette expulsion ; il est à croire que ces vaillants qui avaient tenu le secteur jusqu’au bout, durent protester énergiquement contre l’attentat criminel qui les jetait à la rue, après les avoir dépouillés de leurs biens, et de leurs habits religieux.

Ce n’était, que du reste, qu’un détail et le plus bénin de leur marche au calvaire.

Le R. P. Pacifique fut recueilli avec grande bonté par la famille Kermalon, tandis que le Père François devenait l’hôte de la nommée « Bernadine » qui habitait rue des Perles, disent les annales.

Quelques jours plus tard, l’un et l’autre étaient mis en état d’arrestation. En effet, un bataillon du régiment Mayenne et Loire était venu à Roscoff pour tenir garnison dans les premiers jours de novembre.

Deux officiers de ce régiment reçurent la mission sacrilège de mettre la main sur les deux Pères Capucins. Chose aisée en vérité ; le certificat d’arrestation porte, à la date du 12 décembre, que le Père Pacifique était « vieillard et infirme ».

Ces malheureux furent traînés de prison en prison dans les diverses villes du Finistère. Leurs noms, en 1793-1794 et de nouveau en 1795-1796, figurent sur la liste des ecclésiastiques enfermés dans les maisons d’arrêt.

Le Père Louis-François, originaire de Morlaix, se retira en famille, espérant se soustraire plus facilement aux poursuites des sicaires de la Révolution.

Il n’en fut rien : mis en état d’arrestation, il fut déporté sur les pontons et alla grossir le nombre des prêtres et religieux qui y enduraient un véritable martyre, par l’excès de privations de toutes sortes et les vexations brutales dont ils furent les victimes de la part de leurs geôliers.

Le Père Louis-François fut déposé sur le « Washington », en rade de l’île d'Aix. Il ne put tenir longtemps à ce régime surhumain où les proscrits étaient entassés les uns sur les autres, incapables de remuer les membres et dépourvus du nécessaire : alimentation, eau, dans des conditions d’hygiène qui font frémir d’horreur. Le Père Louis-François mourut le 17 octobre 1794, et fut enterré à l’île Madame, comme tant d’autres de ses compagnons d’infortune. Durant tout le temps de sa captivité il fit l’édification de tous les déportés, pratiquant, selon le témoignage d’un rescapé, « les vertus d’un bon religieux » (MANSEAU : Les prêtres et les religieux déportés).

Son nom est inscrit sur la liste de ces vaillants dont l'Eglise étudie, au XXème siècle, les vertus en vue d’établir leur béatification.

Le Père Joseph, de Roscoff.

L’espoir de béatification a des fondements encore plus solides en ce qui concerne le Père Joseph de Roscoff.

Le Père Joseph est né à Roscoff, le 18 octobre 1729. Son acte de baptême est ainsi libellé : « Yves Mével, fils naturel et légitime d’honorables Jean Mével et de Françoise Lahaye, né le 18 octobre, a esté baptisé le même jour par le soussigné curé. Parrain et marraine ont été honorables gens Yves Mével et Anne Le Bellour qui ne sçavent signer ». Signé Jean Mével, Sébastien Mével, Nicolas Floc’h, curé de Roscoff (Archives de l'Eglise).

Son père était tisserand et habitait près de l’église (Registre des délibérations du corps politique, année 1728). La précarité de sa situation ne l’empêcha point d’élever une nombreuse postérité : après Yves, l’aîné, naquirent successivement Catherine-Françoise, en 1731, Jean-Marie-Fidèle, en 1732, Jérome-Maurice, en 1735, Anne-Jeanne, en 1736, Pascal, en 1738.

A l’âge de 22 ans, le 24 décembre 1751, Yves quitte Roscoff et s’en va frapper à la porte du noviciat des Capucins de Quimper ; il faisait profession l’année suivante.

Nous avons encore l’avantage de lire son acte de profession (Archives du Finistère) : « 26 décembre 1752, moi frère Joseph de Roscoff, clerc profès, nommé au monde Yves Mével, âgé de 23 ans, né en légitime mariage de Jean Mével et de Françoise Lahaye, après avoir fait un an et deux jours de probation, ayant pris l’habit le 24 décembre 1751, ai fait profession entre les mains du Très Vénérable Athanase de Lannion, vicaire et Père maître des novices du couvent de Quimper, en présence des très vénérables Pères et Frères de cette famille et autres personnes séculiers ».

Son noviciat terminé, il quitte Quimper et est envoyé dans un couvent d’études pour se préparer au sacerdoce. Il est ordonné prêtre à Dol, le 17 septembre 1755. A cette date, il était de la famille de Nantes. Que devint-il par la suite ? Quel ministère exerça-t-il et dans quelles conditions, dans quel couvent ? Nous ne savons.

On aimerait également connaître dans quelle mesure il pratiqua les vertus religieuses en honneur chez les enfants de saint François : humilité, austérité, détachement. Il nous faut nous résigner à n’en point parler, plutôt que de nous laisser aller à des constructions imaginaires.

En 1790, il faisait partie du couvent de Morlaix, qui se composait alors de neuf religieux ; tous ces religieux, sans exception, optèrent pour la vie commune, à la suite de leur supérieur qui n’était autre que le P. Joseph.

Cette option des religieux de Morlaix mérite d’être rapportée tant elle est catégorique :

« Nous déclarons, disaient les Pères capucins, aux officiers municipaux de Ploujean [Note : Le couvent de Morlaix était en réalité situé sur la commune de Ploujean, à quelques centaines de mètres du viaduc actuel] et aux administrateurs du District de Morlaix et du département, que nous sommes dans la ferme et constante résolution de terminer nos jours dans le cloître, et dans l’étroite observance de la Règle de saint François, ainsi que nous l’avons promis à Dieu tout-puissant, au pied des saints autels et devant les témoins présents qui en ont signé l’acte porté sur nos registres, le même jour de notre profession solennelle. Supplions en sus de nous conserver notre couvent de Morlaix, qui depuis son établissement a toujours servi, excepté depuis la Révolution, à loger un plus grand nombre de religieux, et où la régularité s’observe maintenant comme dans les temps précédents ».

Cette requête si ferme est datée du 1er octobre 1790 ; elle porte la signature du Père Joseph et de ses frères en religion.

Presque un an plus tard, le 21 juin 1791, le Père Joseph proteste à nouveau, avec sa famille religieuse, contre l’arrêté du département « qui leur a signifié le 4 juin et qui leur mande de se retirer de jour en jour au couvent de Roscoff, désigné pour ceux qui avaient choisi la vie commune ».

En outre, ajoute-t-il, « bien que le décret de l'Assemblée Nationale ne leur a pas encore été signifié, ils acceptent cependant de s’y retirer provisoirement, espérant trouver un peu plus de paix dans le pays de Léon ; ils se réservent néanmoins, dans un temps plus heureux, le droit de réclamer la jouissance du couvent de Morlaix et de ses dépendances, conformément aux titres de la fondation, 20 juin 1611, dont la propriété doit appartenir aux fondateurs, René Barbier, seigneur de Kerjean ; les Capucins n’en ayant que le simple usage selon l’esprit de leur règle qui leur défend la propriété de chose quelconque ».

Le nom du Père Joseph est sur la liste des religieux présents à Roscoff à la date du 13 juillet 1791 ; il dut être heureux d’y venir, et de retrouver son ancien Père Maître, le Père Athanase de Lannion, qui remplissait alors au couvent les fonctions de vicaire, après avoir été gardien.

Le Père Joseph eut à souffrir, comme ses confrères, des avanies dont nous avons déjà parlé, jusqu’au jour de l’expulsion.

Fut-il admis à l’hôpital de sa ville natale, ainsi qu’il en avait fait la demande ? Non, il se retira à Morlaix, dans une maison hospitalière, où il fut arrêté peu après.

Arrestation du Père Joseph.

(Archives Nationales, W. 542)

Le récit que nous allons lire dans les pages qui vont suivre peut aussi bien s’appliquer aux premières persécutions de l'Eglise qu’aux excès de la Révolution mexicaine ou espagnole. Il s’agit d’un triste épisode, semblable à beaucoup d’autres, hélas !... qui s’est déroulé dans une petite ville de province et dont un humble religieux a été la victime.

« L’an second de la République française, une et indivisible, le 19 messidor, 7 juillet 1794, Maurice Jézéquel, juge de paix de Morlaix, était prévenu que l’on venait de découvrir un Capucin caché en ville ».

« Nous étant transportés, dit le procès-verbal, dans une maison située au quartier du Dossen, où demeure la dame veuve Ruvilly-Le Saux, et étant montés dans une petite mansarde, à côté d’un autel y étant, nous avons trouvé cet ex-religieux, lequel nous avons interrogé comme suit de ses prénoms, nom, âge, lieu de naissance, et grade dans son cy-devant ordre, a répondu s’appeler Yves Mével, âgé de 64 ans, natif de Roscoff, ayant pour nom de religion Joseph de Roscoff, gardien ».

« Interrogé depuis quel temps il est dans la maison où nous le trouvons, a répondu que la mémoire non plus que son esprit ne lui permettent de s’en rappeler. Sur quoi, ayant fait venir devant nous la veuve Ruvilly, et la cy-devant Demarée le Coant, ses receleuses, nous les avons interpellés l’une et l’autre de nous déclarer depuis quel temps cet ex-religieux était chez elles.

La dite veuve Ruvilly a déclaré qu’il y était depuis 3 mois 1/2 ».

« Interrogée par quelle voie et comment cet individu a été conduit chez elle, répond qu’il a été conduit chez elle par quatre femmes à elle inconnues, à l’exception de la nommée Marie-Yvonne Jégo, blanchisseuse, demeurant rue des Côtes-du-Nord ».

« Interpellée de nous déclarer si connaissant la loi elle n’eut pas dû sur le champ faire sa déclaration de la retraite qu’elle accordait à cet ex-religieux, a répondu qu’elle ne croyait pas obligée de faire cette déclaration, qu’au reste elle croyait faire acte d’humanité ».

La soeur interpellée à son tour répond à peu près dans les mêmes termes.

« Passe desquelles interrogations, continue le rapport, ayant réuni en paquets les calisses, ornements, bréviaires, missels, orsos ou burestes, sierges, robes d’ordre et autres habillements trouvés dans le dit appartement que dans le grenier adjacent, desquels effets nous nous sommes saisis, comme pièces de convictions pour être envoyés avec le présent procès-verbal, au tribunal révolutionnaire séant à Brest ».

Le juge de paix allait se retirer, emmenant ses trois prisonniers, quand, ajoute-t-il, « ayant aperçu dans le même domicile un individu femelle nous l’avons interrogé sur ses prénoms, nom, âge, qualité ».

Il s’agissait d’une demoiselle de Forçanz, âgée de 27 ans. Originaire de Montauban de Bretagne, elle ne se trouvait que depuis deux jours chez la veuve Ruvilly. Prenant ses repas seule, dans sa chambre, elle ignorait, dit-elle, la présence de l’ex-religieux. Ces affirmations n’eurent pas le don de satisfaire le juge de paix Jézéquel, qui lança contre elle un mandat d’arrêt, et la joignit au petit groupe de prisonniers.

« On les a conduits, continue le rapport, dans la maison commune, à défaut de maison d’arrêt, jusqu’à ce que l’on puisse se procurer les voitures nécessaires, tant pour le transport des réfractaires aux lois, que des pièces probantes et justificatoires de leur délit ».

« De quoi nous avons rapporté le présent sous notre seing, ceux des officiers municipaux et membres du comité de surveillance icy présent ».

Ce document relatant l’arrestation d’un vieux prêtre, traqué comme un fauve, et de trois femmes coupables de bienveillance et de délicatesse envers lui est signé de huit individus.

« Le Père Mével, dit Téphany, était infirme, il souffrait de douleurs de goutte très aiguës ; lorsqu’on le saisit il était si faible qu’on dut soutenir ses pas chancelants pour le conduire à la prison ; encore fallut-il pendant le trajet le faire reposer sur une pierre. Il faisait compassion à tous ceux qu’il rencontrait ».

L. Le Guennec, dans ses notes historiques sur la paroisse de Ploujean, relate le même fait, et ajoute certains détails qui nous montrent avec quelle brutalité fut traité le pauvre Père. D’après une tradition conservée à Morlaix, dit-il, « le Père Joseph, pendant qu’on le conduisait en prison, obtint de se reposer sur le parapet du lavoir, devant la place Viarmes, car il marchait avec une grande difficulté. Mais un misérable, nommé Béguel, s’approche de lui et saisissant sa longue barbe, le soulève en l’air en l’accablant de menaces et d’injures pour le contraindre à reprendre sa marche ».

On devine quelles fusées de rires et quelles insultes durent accompagner l’exploit de ce monstre.

Peu de temps après la mort du Père Joseph, note Louis Le Guennec, on trouvait Béguel pendu...

Le Père Joseph et les autres inculpés ne devaient pas rester longtemps à Morlaix. A la date du 26 messidor, 14 juillet, 7 jours après leur arrestation, le fameux Jézéquel annonce à l’accusateur publie que, « profitant du renvoy des voitures ambulantes des hôpitaux militaires de Brest, les inculpés et leurs complices leur parviendront ».

Le voyage dut se faire très rapidement, puisque dès le 1er thermidor, le 29 juillet, ils sont à Brest. Aussitôt on les fait sortir de la prison du Château et comparaître devant leurs juges.

Je dis juges, le mot assassins qualifierait mieux ces bandits, s’il faut s’en tenir aux portraits donné par Lerg Schneider dans son ouvrage sur le conventionnel Jeanton Saint André, et d’après les témoignages de Levot « Histoire de la ville et du port de Brest pendant la Terreur », ainsi que d’après du Chatellier : « Brest et le Finistère sous la Terreur », et « Histoire de la Révolution en Bretagne ».

Le tribunal de Brest. Constitué sur le modèle de celui de Paris, le tribunal se composait de membres dont la férocité et la sauvagerie sont restées légendaires.

Le Président Raguey, ancien avocat à Lons-le-Saulnier, ancien juge au tribunal révolutionnaire de Paris, se montrait la brutalité, la grossièreté et la cruauté personnifiées.

L’accusateur public, Donzé-Verteuil, né à Belfort, Haut-Rhin, ancien substitut au tribunal révolutionnaire de Paris, était un ex-jésuite qui menait comme Raguey une vie d’abjecte débauche.

Le substitut Bonnet n’était qu’un abominable drôle, féroce et vil, au visage sinistre, rendu plus hideux encore par un oeil de verre, au regard toujours fixe.

Un autre juge, le Brestois Maurice Le Bars, ancien compagnon menuisier, se signalait par une cruauté qui n’épargnait ni parents, ni amis.

Enfin le monstre le plus odieux de la bande était, sans contredit, Joseph Palis, né au Maccas, Cantal ; refusé en 1793 par la ville de Brest comme chirurgien de la marine, il fut nommé par la Convention juge au tribunal révolutionnaire.

Dans la prison du Château, il eut l’infâme audace, comme certains de cette équipe, de proposer à Mlle de Forçanz son acquittement et son salut au prix de son honneur et de sa vertu. Ses avances ayant été énergiquement repoussées, il la fit condamner à mort et sur son cadavre, tels certains moscoutaires d'Espagne, se livra à de sadiques outrages.

Le pseudo tribunal, d’où la justice et l’honnêteté étaient bannies, se complétait de jurés, parmi lesquels on trouve trois officiers de marine, trois soldats du bataillon montagnard de Paris et deux membres du comité révolutionnaire de Brest.

Interrogatoire.

Le 29 Juillet 1794, le P. Joseph comparaissait devant ces bandits de grand chemin. Au risque d’être long, mais pour éviter tout reproche d’imagination en si grave affaire, nous donnerons ici tout l’interrogatoire du moine roscovite.

« Cejourd’hui 1er thermidor de l’an II de la République, une et indivisible, à la réquisition et en présence de l’accusateur public, par le tribunal révolutionnaire séant à Brest, nous Joseph Palis, juge au tribunal révolutionnaire établi à Brest à l’instar de celui installé à Paris, assisté de Denis-Marie Cabon, greffier du dit tribunal, étant dans une pièce dépendant de la maison d’arrêt dite le Château de Brest, y avons mandé et fait amener un particulier détendu en icelle lequel nous avons interrogé ainsi qu’il suit » :

Quels sont vos nom et prénoms ?

- Yves Mével.

Votre nom de religion ?

- Joseph de Roscoff.

Votre âge ?

- 65 ans.

Le lieu de votre naissance ?

- De la commune de Roscoff.

Votre profession ?

- Capucin.

Votre demeure avant votre arrestation ?

- à Morlaix.

Vos moyens d’existence avant la Révolution et depuis, et maintenant ?

- Du travail, de la quête et d’aumônes.

Connaissez-vous les motifs de votre arrestation ?

- Non.

Dans quelle maison avez-vous été arrêté à Morlaix ?

- Chez la citoyenne Ruvilly.

Par qui avez-vous été conduit chez la citoyenne Ruvilly ?

- Je ne connais point, il était nuit, c’étaient quatre femmes à moi inconnues.

A quelle époque avez-vous été conduit chez la citoyenne Ruvilly ?

- Je ne m’en rappelle pas.

Combien de temps avez-vous demeuré chez elle ?

- Près de 4 mois.

Avez-vous dit la messe chez cette citoyenne ?

- Quelquefois.

Avez-vous confessé dans cette maison ?

- Oui, j’ai confessé la citoyenne Ruvilly et sa soeur.

Allait-il plusieurs personnes à votre messe ?

- Un peu.

Dans quel endroit de la maison disiez-vous la messe ?

- Dans la mansarde.

Depuis quand erriez-vous et quels sont les endroits où vous avez été ?

- Depuis quatre ans seulement dans la ci-devant Bretagne.

D’où veniez-vous quand vous êtes venu à Morlaix ?

- De Roscoff.

Chez quelle personne avez-vous logé depuis que vous n’êtes plus au couvent ?

- Je ne m’en rappelle pas, parce que je ne les connais pas.

« Telles sont ses réponses, ses interrogations qu’il déclare contenir vérité et y persister et a signé avec nous ».

Cette remarque faite, l’interrogatoire se poursuit en ces termes :

D’où viennent les ornements qu’on a trouvés chez la citoyenne Ruvilly ? 

- Je les avais emportés du couvent de Roscoff et les portais avec moi partout où j’allais.

Personne ne vous aidait à porter ces ornements de l’église ?

- Quelquefois, je trouvais des personnes qui voulaient bien les porter.

A qui appartient le calice, les boîtes à hosties, les pierres sacrées et le reliquaire ?

- A répondu que c’était à lui ; à l’exception de la grande pierre.

L’interrogatoire s’arrête là. Le Père Joseph le signe de son nom séculier : Yves Mével de Roscoff, dit Joseph de Roscoff, ainsi que les deux agents du tribunal révolutionnaire : Palis et Cabon.

Les dossiers du procès des deux soeurs Demarée, ainsi que celui de Mlle de Forçanz sont introuvables ; ils ont disparu. Cette disparition s’explique aisément : en effet, le 30 thermidor, 17 août 1794, le président Raguey était destitué par ordre du nouveau comité de salut public, les scellés étaient mis sur ses papiers et l’un des juges du tribunal, Maurice Le Bars, aussi compromis que son chef, avec le clubiste Dessiré, fut chargé de cette opération. Le Bars avait intérêt à faire disparaître les papiers par trop compromettants et n’y manqua pas. Aussi, n’avons-nous sur celles qui, si chrétiennement et si courageusement, offrirent l’hospitalité au Père Joseph, que les renseignements trop brefs fournis par l’acte d’accusation.

Julie Demarée, veuve Ruvilly Le Saux, était âgée de 66 ans ; elle était née à Saint-Malo et demeurait avec sa soeur Perrine-Eugénie Demarée Le Coant, originaire de Port-Louis. Cette dernière avait 64 ans quand elle fut arrêtée.

Nous aimerions posséder d’autres informations sur ces femmes héroïques qui recueillirent et hébergèrent au péril de leur vie un pauvre vieux Capucin chassé de son couvent et de son pays natal, et errant sans pain et sans gîte sur les chemins de la Bretagne.

Jugement.

Le 12 thermidor, 30 juillet, les accusés sont amenés devant le redoutable tribunal. Ici, comme ailleurs dans de semblables circonstances, on ne sauvegarda pas les formes extérieures de la plus élémentaire justice. Sans doute dans la partie imprimée du procès-verbal il est question de défenseurs officieux. Pourtant il n’y en eut aucun pour plaider la cause de nos martyrs. Les témoins à charge, assignés par l’accusateur public, se bornèrent à dire qu’ils étaient présents lors de l’arrestation. Quant aux témoins à décharge, cités par les inculpés, ils ne furent pas interrogés ou leurs déclarations ne furent pas enregistrées.

Le procès-verbal de cette séance n’est pas achevé et ne porte aucune signature. A quoi bon du reste, puisque dans ce régime d’illégalité continuelle et d’injustice criante les accusés étaient d’avance condamnés.

Leurs illusions, s’ils pouvaient encore en avoir, durent s’évanouir en entendant le violent réquisitoire de l’ex-jésuite, Donzé-Verteuil, faisant office d’accusateur public.

« Cet ex-capucin, dit-il en parlant du Père Joseph, habitait depuis environ trois mois et demi une mansarde dans laquelle était dressé un autel pour servir aux prétendues fonctions de son culte ; tout l’attirail nécessaire à son charlatanisme, saisi en même temps que lui, consiste en un missel, un calice et sa patène, une chasuble, une aube, une robe de capucin, une boîte dans laquelle se trouvait ce que l’on appelle des hosties, ainsi que plusieurs autres effets qu’il serait trop long de décrire.

Dans le repaire de Mével se rendaient les superstitieux et criminels sectateurs d’un culte exercé par des ministres séditieux et rebelles. Là, cet ennemi de la République et du bonheur du peuple, s’efforçait par des mensonges et des impostures de les retenir sous l’étendard de la contre Révolution ».

Après cette virulente diatribe, pour sauvegarder les apparences de la légalité, le jury consulté résume le délit dans cette double déclaration :

« 1° Qu’il est constant qu’à Morlaix, dans le mois de messidor dernier, qu’il a été recelé un prêtre réfractaire.

2° Que J. Demarée, veuve Ruvilly le Saux et Perrine E. Demarée Le Coant, sont convaincues d’être auteurs ou complices de ce délit ».

Ainsi informé le tribunal prononce la sentence.

« Le tribunal déclare le dit Yves Mével convaincu d’être prêtre réfractaire non assermenté et comme tel avoir été sujet à la déportation, en conséquence ordonne que le dit Yves Mével sera livré dans les 24 heures à l’exécuteur des jugements criminels pour être mis à mort, conformément aux articles 10, 14, 15 et 5 de la loi du 30 vendémiaire ».

« Ordonne que le présent jugement sera mis à exécution dans les 24 heures, imprimé, publié dans toute l’étendue de la République Française, et en breton dans les départements maritimes ».

Les choses ne traînaient pas au temps de la Terreur, il fallait encourager et soutenir le zèle des patriotes par des exécutions ; la guillotine avait soif de sang chrétien.

Aussi le même jour, 12 thermidor, an II, le 30 juillet, à trois heures de relevée, sur la place du cy-devant Château, où était installée la guillotine, le Père Joseph et ses héroïques bienfaitrices montaient-ils à l’échafaud.

La Terreur faisait trois nouvelles victimes, et le ciel s’augmentait de trois élus.

Coïncidence qu’il importe de relever, à Paris, le même jour, à la même heure, s’accomplissait la dernière expiation du despotisme de Robespierre, renversé trois jours auparavant.

Espérons que bientôt luira cette glorieuse aurore où l'Eglise ayant achevé sa lente et minutieuse procédure, mettra sur les autels le Père Joseph de Roscoff, le proposant, ainsi que les saintes femmes qui l’ont suivi au supplice, à la vénération des peuples et à l’imitation des membres de sa famille religieuse.

F. de Paule.

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