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LA ROCHE-DERRIEN ET SES ENVIRONS |
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Renan nous a laissé ce précepte : « On ne doit jamais écrire que de ce qu'on aime ». Un peu étourdiment, peut-être, j'en ai déduit, un jour, qu'il n'était jamais téméraire de vouloir écrire de ce qu'on aimait, d'ajouter une pierre, fût-elle modeste, au temple qu'est la renommée d'un pays où l'on a passé des années heureuses.
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En 1935, un grimaud sortant du collège trouvait une explication bien fantaisiste au nom porté par sa petite ville dans un livre écrit en langue bretonne par un ancien vicaire de Tréguier [Note : « An Tornaod » (la falaise) de Paotr Juluen.- Editions d'Arvor - Guingamp]. Bien qu'ayant à peine valeur de légende, cette histoire pleine de poésie l'enthousiasmait. Ecoutez-en plutôt un résumé :
Voilà plus de 2000 ans, au point extrême où, « comme un jet de sang fort », la marée vient se mêler aux eaux du Jaudy, vivait une tribu de Gaulois.
Alors qu'une bonne partie des hommes du clan pêchaient, un jour, aux environs de Bréhat, il s'éleva une tempête si terrible que les pauvres pêcheurs décidèrent de chercher un refuge en baie de Paimpol. Mais les éléments étaient de plus en plus déchainés et ce fut des embarcations complètement désemparées que le flot poussa vers l'entrée du chenal.
Au milieu de ce chenal, se dressait un gros rocher. Nuit noire. Les bateaux viennent s'y briser, mais les équipages y trouvent un refuge. Grelottants, transis, les pauvres marins y attendent l'aube. Ils pourront alors rejoindre la rive où des frères de races les accueilleront. Le mac’htiern de cette tribu hospitalière prophétisa devant les étrangers que cette roche, cause de tant de malheurs, serait prochainement arrachée. Le maître des pêcheurs lui demanda de l'autoriser à en emporter un bon morceau en souvenir du terrible naufrage. On casse, on arrache, on taille. « La Falaise » est placée sur un radeau et ce sont les adieux. Nos marins chantaient joyeusement. Mais cette entreprise n'avait pas l'agrément des divinités. A mesure qu'ils s'éloignaient de la baie, le ciel devenait de plus en plus sombre, bientôt Belenus lâcha son tonnerre et le sabbat commença. Mais voici nos navigateurs dans leur estuaire natal ; ils peuvent espérer terminer avec succès leur croisière. Les rives se rapprochent, leur village est en vue. Mais vents, tonnerre, éclairs, pluie, grêle redoublent de colère. Un craquement sinistre au dessus d'eux... un tourbillon infernal... Le radeau est brisé comme un coquillage et « La Falaise » disparaît dans des profondeurs d'eau et de vase d'où elle ne put jamais être extraite.
Le mac’htiern du Jaudy y vit un signe manifeste de disgrâce auprès de Bel et de Teutatès. Il en fut tellement affecté qu'il en mourut en demandant que le territoire où vivait la tribu fût appelé : La Roche.
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Eh bien, croyez ou ne croyez pas, quand on commençait les travaux du viaduc, qui, en 1907, devait permettre au « tortillard » de Tréguier de desservir notre bonne ville, la « Falaises » paimpolaise fut.. retrouvée.
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Anilis fabulœ ! Conte de bonne femme ! C'est un mauvais début pour commencer un chapitre d'histoire, n'aurait-on l'intention que de parcourir des chemins battus, de présenter simplement une synthèse concrète du passé d'une petite ville.
C'est pourtant le puissant tableau de Paotr Juluen qui, tout naturellement, vient à l'esprit quand on veut se représenter La Roche avant la conquête romaine. Il est hors de doute que notre pays fût peuplé de bonne heure quand on examine sa situation et son site.
SITUATION ET SITE.
La Roche-Derrien est placée au fond de la ria du Jaudy qui déploie autour d'elle un ample méandre ceinturant pour une bonne part ses 183 hectares. Ces fins de rias étaient recherchées pour la facilité qu'ils offraient dans la traversée des fleuves au temps où il n'était pas encore question de pont. Un fleuve, un bras de mer étaient également des routes naturelles aux époques où il n'y en avait pas d'autres. Cependant ce n'était guère à l'embouchure même que nos aieux s'installaient, un village visible de la mer courait le risque d'être pillé. Ici, ce danger n'existait pas : l'horizon s'arrête au nord de La Roche à une bande de roches volcaniques anciennes qui s'élève à 75-85 m. alors qu'elle même occupe le centre d'une zone déprimée de schistes briovériens (altitude moyenne : 50 m.).
HISTOIRE.
L'Hypothèse d'un peuplement ancien est étayée par la découverte faite, en 1854, d'un poignard en bronze et d'un glaive gaulois. Ce qu'il y a de sûr c'est que les avantages topographiques précités n'échappèrent pas aux Romains qui y construisirent une cité importante. Quelle ville voisine possède les mêmes quartiers de noblesse ? Les vestiges gallo-romains sont particulièrement abondants à La Roche-Derrien : les substructions de l'ancien château-fort qui se dressait sur la butte du Calvaire, promontoire rocheux dont l'existence ne doit pas être étrangère au nom de notre petite ville ; d'autres substructions à Boured « au milieu de six hectares jonchés de briques, tuiles à rebord, ciment et autres débris » [Note : Ouvrage de Mlle Charant. Voir bibliographie]. Cet endroit paraît avoir été un quartier assez populeux et serait resté longtemps le coin attitré du marché au beurre ainsi qu'en témoigne le nom d'une excellente fontaine « fantenn 'n amann ». On y est d'ailleurs à proximité de l'antique voie Coz-Yeaudet à Nantes [Note : Voie romaine. Coz Yeaudet à Nantes par La Roche, Guingamp, Ploërmel, Rieux, avec embranchement sur Guérande par l'Ardoise en Malansac et le passage de Noy. Signalée par Kerviler, citée par Gaultier du Mottay, étudiée par Louis Marsille dans le Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan (1929)] qui vient traverser la rivière à Pontrod où un gué [Note : Ce gué est encore très visible et constitue un haut-fond auquel les barques viennent buter si la mer n'est pas bien haute. Un embranchement de la voie de Coz-Yeaudet aboutissait à Chef-du-Pont. Voir en appendice] à marée basse, et un passeur aux heures de flux, permettaient d'atteindre le tronçon de route qui escalade l'autre rive et qui est encore bordé de vieux murs. Non loin, encore des vestiges gallo-romains le long d'un chemin de moindre importance qui de l'anse de Billigwen conduisait, par le manoir de Kervihan, à la grève de Sainte-Anne renommée pour ses coquillages [Note : La promenade en vaut la peine, et les jours où le jusant est complet, les Rochois en reviennent toujours les sacs bien remplis d'huîtres, de coques (bucardes), de moules, de crevettes]. S'y trouve un autre gué à proximité d'une chapelle qui serait l'œuvre des Templiers.
A l'emplacement de l'ancien château, on a également découvert des médailles de la famille Antonine, des monnaies de Posthume et de Marus, des bronzes.
A la chute de l'empire romain, La Roche fut ravagée par les Saxons, mais ses habitants avaient trouvé un refuge dans la forêt de Langoat et il est à peu près certain qu'à l'époque des émigrations bretonnes (VIème et VIIème siècles), La Roche avait sa population autochtone, les nouveaux-venus devant se contenter de s'établir en aval où leur présence n'était pas dissimulée par la ligne des menus reliefs marqués par les roches volcaniques anciennes. C'est donc plus au nord que s'installe l'émigrant Tudual qui devient l'abbé-évêque de Ploulantreguer, circonscription comprise entre le Jaudy et le Guindy et limitée au sud par le territoire de Langoat où Sainte Pompée (santez Goupaïa), mère de l'évêque, avait fondé un monastère, et les limites actuelles entre Minihy et La Roche. La butte de Penity qui surplombe la route nationale de Tréguier de ses pins, de ses landes et de ses roches rouillées, était l'un des points extrêmes de ce plou (paroisse primitive, qu'il ne faut pas confondre avec la commune actuelle de Tréguier qui ne mesure que 155 ha.) aux précieuses immunités [Note : Le chanoine Kerbiriou, célèbre hagiographe, signale des traces de monastères primitifs sur les rivages de la rade de Brest, de l'Odet, du Jaudy, du Légué, de la Rance, de la mer d'Etel. Le même fait se rencontre en Cornwall (Nouvelle Revue de Bretagne, juillet-août 1950)]. Penity signifie, en effet, maison de pénitence, ermitage. C'est un endroit qui avait les faveurs de nos courses vagabondes de collégiens en vacances. Nous tenions pour chose certaine qu'il y avait eu là une fondation religieuse, et une anfractuosité dans la paroi rocheuse devenait aussi sûrement la tombe d'un moine [Note : Alain Le Diuzet, le distingué celtisant rochais, a dit quelque part qu'il s'agissait d'une véritable cave murée où l'on a trouvé de vieilles poteries]. Est-ce dans ce péniti que mourut Tudual : « Comme il était un jour dans une cellule voisine de son monastère, lieu où il se retiroit pour prier avec plus de tranquillité, et qui a conservé le nom de Peniti, il eut un pressentiment de sa mort prochaine... » ? (Deric).
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Arru e listri 'r bleidi-mor, - Da digass brezel en Arvor. - Voici venir les navires des loups de mer, - Qui apportent la guerre en Armorique. (Luzel).
En 836, ces bleidi-mor, les Normands, « posèrent les ancres devant le monastère de Trécor, lequel ils pillèrent et ruinèrent ». La ville de Tréguier fut saccagée. Bien qu'assez dissimulée, il est peu probable que La Roche ait échappé à quelque incursion de ces pillards à qui il suffisait de laisser porter leurs drakkars par la marée. D'ailleurs, après 907, date de la mort du roi de Bretagne Alain Le Grand qui, par sa victoire de Questembert, en 888, avait arrêté une première série d'invasions, l'Armorique gît aux mains des Barbares [Note : Ils ravagèrent Guingamp en 907] qui ne la quitteront qu'en 937 après les victoires d'Alain Barbetorte dont l'une des plus décisives fut celle de Toull-ar-C'houiled, en Plourivo.
XIème, XIIème, XIIIème SIECLES.
Ce n'est qu'au XIème siècle que les documents font mention de notre cité.
Sous le duc de Bretagne, Hoël de Cornouaille, et Martin, évêque de Tréguier, vers 1060, Derrien, un des fils du comte de Penthièvre, reçut en apanage la seigneurie de La Roche-Jaudi, y fit bâtir un grand château-fort et ceindre de murailles la ville qui désormais s'appela La Roche-Derrien et devint la meilleure place-forte de la région. Ce même seigneur Derrien (à moins que ce ne soit un de ses descendants), Amice, son épouse, et Eudon, leur fils, fondèrent à La Roche un prieuré où ils appelèrent des moines de l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes. Au XIIIème siècle — du temps de saint Yves — ce prieuré deviendra propriété de l'abbaye Sainte-Croix de Guingamp.
Au XIIème siècle, le sire de La Roche-Derrien, Alain Le Noir, comte de Richemont, épouse Berthe de Porhoët et est le père de Conan IV, duc de Bretagne, dant la fille Constance épousera Geoffroy II Plantagenet et sera la mère d'Arthur de Bretagne.
De 1218 à 1221, Eudon de La Roche-Derrien prit part à la 5ème croisade. Conan, un de ses descendants, donna en mariage sa fille naturelle Plaisou à un grand seigneur du pays nantais, Olivier Ier de Clisson. Pierre de Dreux, surnommé Mauclerc, était duc de Bretagne. Il avait commencé une lutte sans merci contre l'ingérence du clergé dans les affaires séculières (saint Guillaume Pinchan fut chassé de Saint-Brieuc), et contre les féodaux qui se révoltèrent. Olivier Ier de Clisson prit part à cette révolte, mais le duc fut vainqueur et confisqua une grande partie du Penthièvre. De ce fait, notre cité fit partie du domaine ducal et y restera sous les quatre autres ducs de la maison de Dreux. L'un d'eux, Jean II, en fit réparer les murailles. Son petit-fils, Jean III, commit l'imprudence, en 1317, de relever l'apanage de Penthièvre, dont dépendait La Roche, au profit de son frère puîné, Gui de Bretagne, père de Jeanne de Penthièvre... Déplorable erreur politique qui entraînera les guerres horribles de Succession de Bretagne.
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A cette
époque, notre compatriote, Yves Suet, et Henri Fichet, de Pommerit-Jaudy, ont
été les compagnons d'Yves Hélouri, à Paris. Le saint prêcha à La Roche dont le
recteur, Geoffroy de Leanno, était son ami et son confesseur. Ce prêtre devait
déposer comme 5ème témoin à l'enquête de canonisation.
XIVème SIECLE.
Guerre de Succession de Bretagne.
Nous en arrivons à la Guerre de Succession de Bretagne, commencée en 1341 à la mort du duc Jean III. On sait que sa nièce, Jeanne de Penthièvre. ou la Boîteuse, épouse de Charles de Blois, et son demi-frère, Jean de Montfort, se disputèrent la couronne ducale. Charles de Blois, s'appuyant sur la France, Montfort rechercha et obtint l'alliance de l'Angleterre. C'est la période, — la seule à vrai dire — où les traités d'histoire de Bretagne parlent longuement et à plusieurs reprises de notre cité. C'est également à cette période que s'intéresse surtout Mlle Charant dans son récent ouvrage. Nous n'aurions donc aucune raison de développer cette partie et nous nous contenterons d'en signaler les principaux faits.
1341. — Olivier III de Clisson, petit-fils d'Olivier 1er et de Plaisou, est nommé par Charles de Blois au commandement de La Roche. Bientôt désigné pour un autre poste, il passera peu de temps après au parti de Montfort.
1342. — Charles de Blois a donné comme gouverneur à La Roche un petit seigneur bourguignon, Gérard de Mâlain. Il est attaqué par Régnaut, chef de la place d'Hennebont pour Montfort, mais le château tient bon et Régnaut doit lever le siège. (Hum ! cette affaire de 1342 est sérieusement mise en doute par Léon Dubreuil).
1345. — Le capitaine anglais, Northampton, forme son armée à Carhaix, pille les faubourgs de Guingamp et vient mettre le siège devant La Roche. L'affaire fut chaude et il ne s'en empara qu'après plusieurs assauts. Le vainqueur permit à la garnison de sortir ainsi qu'à Yves de Boisboissel [Note : Il s'était rendu en Avignon, en 1329, pour hâter la canonisation de saint Yves], évêque de Tréguier, qui se trouvait dans la Place, puis la ville fut pillée.
1346. — Richards Toussaint, nommé par Northampton au commandement de la citadelle, entraîne ses Anglais à Lannion dont il s'empare par ruse. On raconte que deux des soldats de garde ouvrirent à Richards une des portes de la ville.
« A l'aube, un dimanche, avant que dans la plaine - Le soleil au front d'or ait pu sourire aux fleurs ». (JULIA CAPEL).
Les Anglais en ramenèrent à La Roche un riche butin dont ils chargèrent d'illustres prisonniers, comme le sire de Coëtgoureden, sénéchal de Bretagne pour Charles de Blois.
Ils s'emparèrent également de Tréguier où ils mirent les églises hors d'état de servir de retranchements à leurs adversaires, sans toutefois toucher au tombeau d'Yves Hélouri qui devait être canonisé l'année suivante. Pendant ce temps, le représentant de Charles de Blois à Guingamp lançait une offensive sur La Roche, mais les Anglais purent rentrer à temps et défirent complètement les assaillants.
1347. — Quelques jours après la canonisation de saint Yves par Clément VI, 4ème pape d'Avignon, eut lieu la grande bataille de La Roche-Derrien qui, d'après certains, aurait été l'un des engagements les plus sanglants de toute cette guerre.
Après l'échec de 1346, Charles de Blois s'était décidé à venir reprendre lui-même l'importante citadelle avec l'une des plus belles armées de l'époque : environ 15.000 hommes. Devant un tel déploiement de forces, la place devait tomber. Une seule chose était à craindre : la jonction des troupes anglaises du terrible Dagworth avec les Anglais assiégés. Aussi Charles plaça-t-il ses troupes d'élite aux environs du Vieux-Pont avec ordre formel de n'en point bouger. Le reste s'établit aux environs du cimetière actuel. La cité fut alors bombardée avec des boulets de pierre [Note : De nombreux specimens de ces boulets existent encore en ville. On en a trouvé souvent entre Cher-du-Pont (Penn-ar-Pont) et le Pont-Neuf actuel sous lequel on en a vu deux (ceux-là devaient provenir du siège de 1345)]. Ces boulets pleuvaient drus et le commandant de la place voulut traiter avec le prince qui fit le dédaigneux. Or, voilà qu'en pleine nuit, les troupes de Dagworth, venant de Bégard, tombent à l'improviste non à Traoñ-ar-Pont (Bas-du-Pont, autre nom du quartier du Chef-du-Pont), mais sur les hauteurs de Belle-Vue. « La lutte s'engagea moult forte et dure ». Les nouveaux venus avaient un mot de passe. Ce n'était pas le cas de leurs adversaires qui durent frapper au hasard, mais leur bravoure était telle qu'ils étaient à demi-vainqueurs quand 500 hommes de la garnison anglaise de La Roche survinrent et firent leur jonction avec leurs compatriotes. Charles lutta encore. Longtemps il frappa lui-même d'estoc et de taille adossé contre un moulin à vent, mais atteint de dix-huit blessures, il remit son épée au Breton Robert du Châtel. Le compétiteur de Montfort était prisonnier et il ne devait recouvrer la liberté qu'en 1352. Ce désastre a été comparé à celui que le roi de France avait subi à Crécy quelques mois auparavant. Notons cependant que ce n'est pas l'avis de Dom Plaine [Note : Mémoires de l'Association Bretonne, 1875]. Pour lui, la bataille du 18 juin 1347 n'a pas eu cette ampleur. Du côté de Charles de Blois il n'y aurait eu que 300 à 400 morts, la fine fleur de la noblesse, il est vrai : de Laval, de Chateaubriant, de Derval, de Montfort, de Tournemine, de Boisboissel.
Les Anglais commirent de grandes cruautés dans notre vieille cité. Une requête présentée à Philippe de Valois eut pour résultat l'arrivée du sire de Craon et d'Antoine Doria avec quelques troupes auxquelles se joignirent seigneurs et manants. Nouveau siège qui dura plus d'une semaine et aboutit à la reprise de la ville pour Jeanne de Penthièvre.
1351. — Charles de Blois revient en Bretagne collecter le prix de sa rançon. Il s'établit à La Roche d'où il fait son célèbre pèlerinage à Tréguier pour rendre honneur à saint Yves, nu-pieds sur la terre gelée, sommairement habillé et portant un reliquaire. Il fit continuer à ses frais la construction de notre église commencée au siècle précédent.
C'est dans les années qui suivirent que le bon prince fit don à Du Guesclin de la seigneurie des vieux Derrien, en récompense de ses loyaux services. On croit ferme que le célèbre chevalier vint habiter avec sa savante femme la grande maison située en face de l'église, propriété actuelle de la famille Crec'hriou.
1364. — Bataille d'Auray. Charles de Blois est tué. Du Guesclin est fait prisonnier.
1365. — Traité de Guérande. Montfort devient duc de Bretagne sous le nom de Jean IV, il remet à la veuve de son infortuné rival le Penthièvre dont dépendait La Roche.
Nouvelle lutte (1372-1395).
Si la Guerre de Succession proprement dite prend fin au traité de Guérande, toute lutte entre les deux maisons n'était pas terminée. Jusqu'en 1370, Olivier de Clisson resta attaché à Jean IV qui, à ce moment, commit une injustice ou une maladresse envers lui. Il se rapprocha des Français et des Penthièvre, reçut à la mort de Du Guesclin l'épée de Connétable, maria sa fille au fils de Charles de Blois. Le duc réussit à enfermer Clisson par la ruse et pour prix de sa liberté exigea la cession de ses forteresses et de celles de son gendre, dont La Roche-Derrien. Mais le roi intervient et notre cité change plusieurs fois de mains.
1394. — Jean IV vient en personne prendre possession de La Roche, fait raser les fortifications du château et de la ville malgré les prières d'ambassadeurs français. Jehan [Note : D'autres l'appellent Roland] de Coatmen, seigneur de Tonquédec, fidèle allié de Clisson, est pris et doit promettre fidélité au duc.
Mais Olivier était un homme de ressource, il avait fortifié l'église de Brélévenez, il en fit de même chez nous, invoquant auprès de son suzerain une raison qui ressemble bien à un prétexte. Quelques années plus tard, Margot de Clisson (fille d'Olivier) et ses fils s'emparent par trahison de Jean V, le nouveau duc, et le retiennent captif. Il faut une nouvelle guerre pour le délivrer. Les Penthièvre sont assez aisément vaincus. Leur apanage est confisqué, leurs citadelles démantelées et les fortifications de La Roche ne sont évidemment pas rétablies et c'est ainsi que notre cité en fut privée définitivement (1420).
XVème SIECLE.
« Riche pays, contrée très heureuse, - Aimez de Dieu, ce voit-on clairement ; - Duché sans pair, Bretagne plantureuse ». (Jehan MESCHINOT).
La Roche participa de cette prospérité générale d'un pays où « l'on n'eût trouvé si petit village qui ne fût plein de vaisselle d'argent ». Elle était comprise dans les villes aisées qui, outre les cités députant aux Etats, furent assujetties à des aides, mais peut-être exempte de fouages, impôt foncier ne portant que sur les terres roturières.
Le duc François II, père d'Anne de Bretagne, en créant un de ses fils illégitimes baron d'Avaugour reconstituait le comté de Penthièvre auquel notre cité continua à appartenir. Autres seigneurs de La Roche (ceci valant jusqu'à la Révolution) : Rohan-Soubise, Crozat de Thiers, Kersaliou, Carcaradec. Les Kersaliou descendaient de Geoffroy de Kersaliou qui avait suivi saint Louis à la 7ème Croisade. Son nom figure également dans la liste des croisés bretons de la 6ème croisade (musée de Versailles).
Hyacinthe Félix-Augustin-Madeleine Rogon de Carcaradec de Kersaliou figure dans la liste des fusillés après l'affaire de Quiberon, en 1795, avec deux autres Rogon de Carcaradec. C'étaient trois officiers de marine émigrés en 1791. C'est ainsi que, dans un banquet qu'elle présida chez nous avant la dernière guerre, la comtesse de Carcaradec, de Buhulien, pouvait dire qu'elle était un peu Rochoise.
D'après Habasque, le savant thaumaturge Vincent Ferrier, « l'Ange du Jugement » qui, avec saint Jean Capistran, annonçait comme prochaine la fin du monde, prêché à La Roche, sous Jean V.
C'est notre bonne ville qui donna asile au brave Gouicquet, défenseur de Guingamp pour le compte d'Anne de Bretagne, en 1489.
DU XVIème SIECLE A LA REVOLUTION.
En 1506, Anne, la bonne duchesse, au retour de son pèlerinage à N.-D. du Folgoët, vint prier au tombeau de saint Yves puis se dirigea sur Guingamp. Elle dut donc passer à La Roche. Quel chemin emprunta-t-elle ? La vieille route de Tréguier en passant par le plateau de Penity et le Vieux-Pont [Note : Le Pont-Neuf ne date que de la fin du XlXème siècle. Près de Milin-Saez (Saez ou Saoz : Anglais, Qui sait ? N'est-ce pas un souvenir de l'occupation anglaise du XIVème s. ?) et devant la propriété des Bouget, cette route est une grimpette que les quadriges romains n'avaient probablement aucune peine à escalader (on est en présence d'un tronçon de la voie Coz-Yeaudet-Guingamp), mais il n'en fut pas de même de « la petite diligence » cahotante de le chanson qui devait compléter son attelage au bas de la côte. Quelqu'un y trouvait lucratif de louer ainsi ses chevaux. C'était un endroit mal famé. Ma grand'mère y fut attaquée par deux individus masqués. L'un d'eux la connaissait, il dit à son compagnon : e « Jân-Mari Grec'hriou eo, laosk anezi.... » (C'est Jeanne-Marie Crec'hriou, laisse-là....)] ? Il semblerait plutôt que ce fût l'autre vieille voie (déjà décrite) passant à Pontrod qui évite la traversée de la ville, ce qui expliquerait qu'il ne reste aucun souvenir de ce passage.
La Roche eut-elle à souffrir des guerres de La Ligue ?
C'est
dans le diocèse de Tréguier que le sinistre La Fontenelle exerça d'abord ses
ravages après avoir établi son quartier général à Coëtfrec, en Ploubezre. On
sait également que les Espagnols semèrent la désolation à Tréguier en 1592,
s'attaquant même aux quais, ce qui en détourna le courant commercial qui avait
animé la ville aux siècles précédents. Déjà, en 1590. la Fontenelle «
plumant l'oie où elle était grasses » avait séjourné au manoir de
Kersaliou, en Pommerit-Jaudy, d'où, bien entendu, il avait rayonné... J. Baudry
signale aussi des combats à Langoat entre capitaines de Mercœur et royaux. Nous
ne possédons aucune note sur La Roche, dont le château, bien que démantelé, a dû
cependant tenter plus d'un capitaine-brigand.
(Au sujet de Coadélan, en Prat,
voir infra).
XVIIème siècle. — On ne parle pas davantage de La Roche dans les biographies des grands prédicateurs du XVIIème siècle. Les Rochois se déplacèrent-ils pour aller entendre le Bienheureux Père Maunoir à Quemperven, en 1679 ? En tout cas, il ne semble pas qu'il ait dirigé de mission chez nous.
C'est Richelieu qui a fait procéder à la démolition complète de notre château en même temps qu'il ruinait ceux de Tonquédec, de Rieux, et qu'il « lançait une boule dans le jeu de quilles » (les tours) de la fastueuse demeure des Rohan, à Josselin.
« Aucun événement ne se produisit ensuite à La Roche, où la vie suivit son cours normal jusqu'à la Révolution Française », nous dit Mlle Charant qui nous signale que trois portes rappelaient encore les fortifications d'antan.
Par suite de mauvaises récoltes et de charges trop lourdes, la misère fut souvent très grande dans les campagnes dans les années précédant les événements de 1789. De terribles épidémies qualifiées de fièvre ou dysenterie malignes décimèrent les populations. La Roche connut ce fléau en 1786. « La misère est extrême, et le spectacle des malheureux couchés dans les cendres, sur des fumiers, dans des réduits obscurs, sans pain, sans vêtements, sans secours quelconque, ne peut avoir rien de comparable en ce genre ». (Arch. d’I-et-V., cité par A. Bourgès).
LA REVOLUTION.
Il est très difficile de savoir l'état d'esprit du menu peuple à l'aube de la Révolution [Note : Voir en appendice une délibération de 1788], ou plus exactement on peut affirmer que cet état d'esprit devint souvent le reflet des « Comités permanents » dont les membres furent fournis par les différentes « Sociétés de Pensée » et qui se considérèrent comme les représentants officiels de l'Assemblée Nationale. Les municipalités nouvelles ne devaient être constituées qu'en janvier et février 1790.
Le mandement du 14 septembre 1789 de Mgr Le Mintier, évêque de Tréguier, adressé aux cent trente paroisses du diocèse, fut l'événement qui devait fixer l'attitude des Comités des villes trégorroises.
Dans sa lettre pastorale, l'évêque traitait d'utopie l'égalité sociale, mettait ses ouailles en garde contre les fomenteurs de discorde, rappelait l'intangibilité du droit de propriété, défendait l'Ancien Régime et surtout annonçait que « L'Eglise allait tomber dans l'avilissement et la servitude, que ses ministres allaient être réduits à la condition de commis appointés ». Bref, c'était le procès du régime nouveau.
Dès le 23, les délégués des Comités de Morlaix, de Pontrieux, de La Roche-Derrien (elle avait aussi sa Chambre littéraire ou bureau de correspondance), de Châtelaudren, de Guingamp, de Lannion se réunirent à la Chambre littéraire de Tréguier, désapprouvèrent la lettre épiscopale et la dénoncèrent à l'Assemblée Nationale [Note : Voici quelques-unes des signatures qui se trouvent sous cette dénonciation : Le Bricquier, Le Goaster, Le Roux Chef-du-Bois, de Launay-Provost, Corlouer, Lasbleiz, Le Vot. Plusieurs de ces noms nous sont connus ! L'un des édiles précités devait vendre la toiture en plomb de la cathédrale de Tréguier, s'enrichissant ainsi aisément. L'église de la Roche devait aussi fournir au district 218 livres de plomb].
On ne sait si La Roche eut à déplorer des émeutes comme celle des Lannionnais s'opposant au passage d'un convoi de blé venant de Pontrieux (via La Roche, probablement), celle des Pontriviens s'attaquant aux marchés de froment, celle des Guingampais arrêtant des transports de beurre de Callac à Pontrieux.
Le nom de notre cité se retrouve dans les annales patriotes de 1790. Elle envoya une adresse à l'Assemblée départementale du 27 janvier qui fut la réunion la plus importante en ce qui concerne la fixation des limites départementales. En qualité de délégué du district de Pontrieux, Launay-Provost, avocat, député suppléant à l'Assemblée Nationale, y prit la parole.
Après avoir choisi Morlaix, puis Saint-Brieuc, les fédérés bretons-angevins avaient décidé de se réunir à Pontivy, centre géographique de la Bretagne, le 15 janvier 1790. Notre cité était du nombre des 68 villes et bourgs de la province à y envoyer des députés. On sait que les délégués réunis à Pontivy se prononcèrent pour la centralisation nationale, jurèrent de « combattre les ennemis de la Révolution, de prendre, au premier signal du danger, pour cri de ralliement de leurs phalanges : vivre libre ou mourir ». Les Rochois y trouvèrent les représentants de Guingamp, Lannion, Morlaix. Paimpol, Pontrieux, Tréguier.
A la seconde fête de la Fédération de Pontivy, le 15 février 1790, La Roche fut encore représentée ainsi que les villes voisines précitées excepté Lannion. Ces cités patriotes éprouvent le besoin de se rencontrer en la personne de leurs députés pour « déconcerter les projets des ennemis de la Révolution ».
La Roche, qui appartenait au ci-devant comté de Goëlo, était devenue chef-lieu de canton du district de Pontrieux. Ce district disposait de 3.600 gardes nationaux et nomma 18 délégués pour la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, à Paris. Du nombre était le colonel de La Roche-Derrien, Lanibert. Pommera était représenté par un certain Le Beuz. L'un des députés de Pontrieux était le celtologue Le Brigant, capitaine, ancien maître et ami de La Tour d'Auvergne.
Si les municipes de Tréguier furent plutôt tolérants envers les membres du clergé, nous devons constater la vivacité de la lutte anti-religieuse dans le district de Pontrieux [Note : Les communes de la rive gauche du Jaudy appartenaient au district de Lannion et celles de la rive droite dépendaient de Pontrieux (par ex. Pommerit, Pouldouran)]. L'un des principaux hommes du jour qui faisait montre d'un net anti-cléricalisme, Le Roux, aurait été notaire à La Roche-Derrien. Il en aurait profité pour acquérir comme bien national (?) le domaine seigneurial de Penn-ar-C'hoad (Chef-du-Bois) [Note : Ce domaine est actuellement la propriété de M. Le Provost de Launay. Nous avons dit « bien national », à la suite de Mlle Charant, mais nous avouons être assez perplexe puisque, dès décembre 1788, Le Roux signe « Le Roux de Cheff du Bois » sous une délibération des avocats, procureurs et notaires de Tréguier en vue des Etats généraux (Archives de Rennes)], d'où son nom. Avant la Révolution, il avait été, pendant dix ans, procureur fiscal de l'Evêché de Tréguier. Il devint président de la Chambre littéraire de la ville (voir la note 13), notaire, juge au tribunal du district de Lannion, puis au tribunal criminel de Saint-Brieuc dont il fut nommé président le 16 décembre 1793. C'est à ce titre qu'il condamna à mort (mai 1794) Marie-Catherine-Ursule Thierrier, dame Taupin, à Lannion, où siégeait momentanément le tribunal criminel. On sait qu'on l'accusait de donner asile à des prêtres réfractaires. En effet, les abbés Lageat et Le Gall furent pris chez elle et guillotinés. Notre compatriote, l'abbé Guillaume, qui était en leur compagnie, avait réussi à s'esquiver. Taupin était valet de chambre de Mgr Le Mintier et il avait suivi son maître à Jersey. Rentré en France, il serait venu, une nuit, tuer dans son lit Le Roux qui se reposait dans sa récente propriété de Pommerit, dans ce manoir qui a disparu pour faire place au château de Launay.
En 1790, La Roche avait pour recteur Yves Laviec, qui était depuis 16 ans à la tête de la paroisse, et pour vicaire l'abbé Bidamant. Après avoir bien hésité, l'abbé Laviec prêta à la Constitution civile du Clergé un serment conditionnel, puis se rétracta. Le vicaire refusa ce serment et partit quelques jours après pour Jersey. M. Laviec est resté à La Roche jusqu'au 8 février 1792. En juin 1791, il eut comme vicaire le « jureurs » Le Tinévez qui se plaignit au district des insultes dont il était l'objet comme assermenté. Il mourut quinze jours après le départ de son curé, laissant la paroisse au sieur Calennec, Rochois, autre prêtre sermentaire [Note : Principales sources pour ce paragraphe : « Le Diocèse de Saint-Brieuc pendant la période révol. ». tome II - 1896. Note trouvée dans le cahier de la paroisse : Yves Laviec, sommé de prêter le serment, monte en chaire et, devant les maîtres de l'heure, « jure fidélité à Dieu, au Pape et au Roi et descend au milieu des cris pour s'enfuir ». Yves Laviec ayant rétracté son serment constitutionnel, on se trouve en présence d'une des nombreuses brimades du district. M. Laviec, pacifique vieillard, serait mort quelques jours après avoir quitté La Roche, dans son pays de Plougasnou, entre les mains des Bleus venus l'appréhender]. En fin avril, par nomination de l'évêque Jacob, le vicaire de Lannebert, Claude Le Guen devint curé constitutionnel de La Roche. Cette nomination est portée à la connaissance de la municipalité par le maire Guyomar. Le 13 novembre 1792, le « jureurs » est hué et lapidé par un groupe de femmes et de quelques hommes alors qu'il se rendait du presbytère à l'hôpital (emplacement de l'école communale des filles). Il ne rencontra donc pas plus de respect et de sympathie que Le Tinevez. On en conclut qu'à La Roche ce fut à peu près comme partout ailleurs en Bretagne : on adopta sans difficulté les idées de liberté, d'égalité et de fraternité, mais on considérait les principes religieux comme intangibles, on n'accepta pas le clergé de « l'évêque du département des Côtes-du-Nord ». Les « jurons » ne furent jamais très nombreux, beaucoup d'ailleurs se rétractèrent au cours de la Révolution [Note : « En 1791, les prêtres réfractaires composaient les trois quarts du clergé breton » (Hist. de Bretagne. Ang. Lupouy)]. En général, les anciens desservants refusèrent de se rallier à la Constitution. De ce nombre furent ceux de Pommerit. Langoat (paroisses pour grands dignitaires de l'ancien évêché), Troguéry, Plouec, Ploézal, Quemperven, Plouguiel, Minihy [Note : Lucas, recteur de Minihy, député du Tiers à l'Ass. Nle, mourut en Angleterre. Il était ancien principal du collège de Tréguier]. Beaucoup d'entre eux émigrèrent à Jersey où l'on comptait 146 prêtres du diocèse de Tréguier à la fin d'octobre 1792. Cependant plusieurs localités de la région eurent leur curé constitutionnel pour des périodes généralement courtes : Le Corre, à Langoat ; Le Saint, à Pommerit ; Pacé, à Quemperven puis à La Roche, son pays natal, où il succédait à F. Le Tinévez et à Claude Le Guen ; il y mourra en 1818 après s'être rétracté ; Guenveur, à Rospez ; Tréguier fournit au moins deux sermentaires. Rares sont ceux qui consentirent, en 1794, à déposer leurs lettres de prêtrise et à se marier, nommons cependant : Le Chaffotec à Hengoat, André, à Saint-Clet.
Un prêtre natif de Langoat, Yves-André Le Guillou-Kerenrun, grand dignitaire de la Sorbonne, fut pour ses confrères de Paris un exemple de dignité.
Les cloches de notre église (descente et transport adjugés à Guillaume Plounévez), de la chapelle de Pitié, de l'hôtel-dieu ou St-Eutrope, du « prieuré de Saint-Jean » furent portées à Pontrieux ainsi que tous les ornements et vases sacrés. Ces dépôts furent faits notamment par Connan, agent national, et Le Goaster, officier municipal. Le district semble être d'une vigilance extrême en ce qui concerne la disparition « des hochets du fanatisme ». Pensez donc, en 1794, Le Carpentier, un des Montagnards chargés d'appliquer la terrible « loi des suspects », annonçait sa visite ! Même ardeur à faire établir l'observance du décadi.
Le 22 septembre 1792, la municipalité ordonne au curé de chanter un Te Deum en l'honneur des armes françaises ; sans nul doute, à l'annonce de la victoire de Valmy. Tous les habitants furent tenus d'illuminer, sous peine d'amende de 10 sols [Note : A Pontivy, en 1793, le manœuvre et le journalier sont payés 14 sols par jour].
Le cahier de paroisse signale « le 10 septembre 1792, une insurrection sur La Roche et Pontrieux » et le 19 mars 1793 « attroupements à Ploézal, Pommerit, Hengoat, Troguéry, Pouldouran, Minihy et Runan ». C'est à cette époque que commença la Chouannerie. Le décret de levée de 300.000 hommes datait du 29 février. Au début de l'an II, une insurrection partie de Plouaret trouve des échos à Rospez, Quemperven, Langoat, Tréméven, Prat, Cavait, Tonquédec, Mantallot, Trézény, Camlez.
C'est le 8 mai 1794 que le conseil de Tréguier demande au District d'introniser la déesse Raison. L'église de La Roche fut aussi transformée en temple du même culte. Quel accueil les Rochois firent-ils à la « dimezell Rêson » ? [Note : C'est en ces termes qu'en parlait mon arrière-grand'mère, Brigitte Le Tallec]. Je tiens de source familiale que deux vieilles filles, les demoiselles Le Tallec, refusèrent d'être idolâtres, mais évitèrent les foudres de l'administration grâce à la sympathie générale de leurs concitoyens. Grâse aussi peut-être à une résistance plus active. Il est de notoriété publique que La Roche a eu son chef chouan, le propriétaire terrien, Yann Krec’hriou (Jean Crec'hriou) [Note : Voir infra le chapitre qui lui est consacré]. A quels coups de main a-t-il participé ? Lesquels a-t-il commandés ?
En 1795, on assiste dans la région à un soulèvement des campagnes contre les villes. Le Saint faillit être égorgé par des femmes qu'il ne voulut pas dénoncer. « Il agit avec la même charité à l'égard des habitants qui coururent en masse à Pontrieux. Quelques-uns furent guillotinés, entre autres Yves Brizot, Yves Brouster et Charles Duret. Mais si M. Le Saint avait fait les aveux que le district sollicitait de lui, le nombre des victimes eût été plus grand » (Le Diocèse de Saint-Brieuc).
Yann Krec'hriou était-il de cette affaire ?
J'ai ouï dire qu'un administrateur de Pommerit, Connan — Y. Connan [Note : Il n'avait pourtant pas qualité de maire. Ce furent : 1792, Yves Loyer ; 1793, Corlouer ; an IX, Le Saint (curé constitutionnel). Ne pas le confondre avec un autre Conan, off. municipal à La Roche] y était, en effet, officier municipal — ne plaisait guère aux « chouans » et qu'au cours d'une promenade nocturne il fut tellement rossé qu'il en mourut peu de temps après.
En prairial an II plus d'un mois avant Tréguier, on solennise à La Roche la fête de l'Etre Suprême et le 26 messidor suivant (14 juillet), un cortège accompagné de la garde nationale sous les armes se rend au temple « où les officiers municipaux prêtent serment d'exterminer tous les tyrans et les ennemis de la République. Les citoyens et citoyennes présents ont demandé eux-mêmes à prêter le serment ». Conan lut à la tribune le décret de la Convention instituant les fêtes nationales du 14 juillet, 21 janvier, 31 mai.
Nous ne possédons aucune note sur l'histoire de La Roche sous le Directoire. A Tréguier, on voit plusieurs prêtres venir faire leur soumission « aux lois de la République » et bénéficier d'une certaine bienveillance. En août 1797, M. Paris sera dénoncé pour officier publiquement dans l'église de Langoat « sans avoir obtenu sa radiation de la liste des émigrés ».
Mais le coup d'état de fructidor (4 septembre 1797) fait renaître la persécution religieuse (sous l'impulsion de La Réveilliére-Lépeaux) avec internements aux îles de Ré et d'Oléron. Avant d'être vicaire à Pommerit, l'abbé Briant y passera 21 mois.
L'année 1798 connut les colonnes mobiles et leurs exactions ainsi que celles des Chouans qui finiront par mériter leur appellation de « brigands ». La 7me division royaliste de Debar commit plusieurs méfaits dans la région. Le Jannic, curé de Prat, voit son presbytère envahi dans la nuit du 16 novembre. Il est dépouillé de sa montre en or, de deux couverts d'argent et d'un fusil à deux coups. Même sort échoit à son voisin, le desservant constitutionnel de Cavan. Quelques jours auparavant, Le Gac, agent de la commune de Troguéry, avait été assassiné dans sa ferme de Kerandraou.
En 1800, c'est l'action pacificatrice de Bonaparte couronnée par le Concordat de juillet 1801. Dans l'organisation administrative de l'an VIII, les districts deviennent arrondissements. Alors que presque partout les divisions territoriales restaient les mêmes que celles établies par l'Assemblée Constituante, le district de Pontrieux était démembré en faveur des nouveaux arrondissements : celui de Saint-Brieuc, celui de Guingamp et celui de Lannion. Pontrieux même est rattaché à Guingamp tandis que La Roche passe sous l'autorité du sous-préfet de Lannion (an VIII : Le Grontec) avec son canton de 11 autres communes : Berhet, Cavan, Coatascorn, Hengoat, Lanvézéac, Montallot, Pommerit-Jaudy, Pouldouran, Prat, Quemperven, Troguéry, soit une superficie de 9.467 ha. et environ 13.000 habitants.
Par les nominations du 12 et 14 prairial an VIII, notre premier conseiller général est Le Saux, père, ex-président de l'administration municipale de La Roche. A Pontrieux, c'est Le Brigant qui est nommé.
En marge de la période révolutionnaire :
YANN KREC'HRIOU.
Nous nous sommes penché sur cette intéressante figure... Et de lire, de relire et de fouiller maints ouvrages sur la Chouannerie. Jamais nous n'avons eu la satisfaction de rencontrer le nom de notre compatriote. Aucune mention non plus dans le cahier de paroisse. Nous avons alors confié l'affaire aux archivistes départementaux, M. Merlet (Côtes-du-Nord) et M. Thomas-Lacroix (Morbihan), aussi dévoués l'un que l'autre. Eux aussi ont fait buisson creux. M. Merlet nous signale cependant que M. L. Dubreuil, dans son ouvrage : « La vente des biens nationaux dans le département des Côtes-du-Nord », cite deux fois un certain Jean Crec'hriou cultivateur à Coatréven. Mais Yann n'a jamais été cultivateur à Coatréven. Son arrière-petit-fils interrogé à ce sujet nous a déclaré formellement que ce ne pouvait être lui. M. Merlet ajoute : « Il est possible que nous ayons, dans les dossiers de la série L, quelques pièces mentionnant l'activité de Jean Crec'hriou comme chef de chouans dans la région de La Roche-Derrien, région que le chanoine Pommeret ne paraît guère avoir étudiée... Mais la recherche est pratiquement impossible si l'on ignore la date approximative de l'activité de ce chef de chouans... les dossiers de la série L sont classés par ordre chronologique et occupent un rayonnage fort important (plus d'une travée) ». Hélas, nous n'avons pas pu fournir cette « date approximative » !
Et voici ce que nous avons glané sur notre héros, grâce surtout à son arrière-petit-fils, M. Jean Crec'hriou. Yann Crec'hriou est né à Ploézal en 1775, au manoir de Kernevez, mais il vint de bonne heure habiter à La Roche.
Il aurait pris part tout jeune à la Chouannerie et échappé de peu à un peloton d'exécution. Une femme du peuple, émue par son jeune âge, aurait déclaré que c'était son fils, qu'on faisait erreur, et aurait ainsi réussi à le sauver.
Nous avons eu encore recours aux Archives pour tenter de découvrir le patronyme Crec'hriou sur les listes de détenus pendant la période révolutionnaire. Point de ce nom dans le long état des prisonniers de Saint-Brieuc en 1799 [Note : On y relève le nom de Cressoles-Trelin, de Langoat]. Rien non plus dans les registres d'écrou de la maison d'arrêt de Saint-Brieuc, dépouillés par M. Taupin, sous-archiviste, depuis le début de l'an VII jusqu'à nivôse an VIII.
Force nous est donc de nous fier à la tradition locale.
Yann Krec'hriou habita d'abord dans un logis spacieux mais vétuste qui occupait l'emplacement de la demeure actuelle de M. le docteur Connan. Il était très riche et son or était envié. Une nuit, la maison se trouva gardée seulement par sa fille et son amie, la mère de Mlle Charant.. Tout à coup elles aperçoivent des ombres dans le jardin. Mlle Crec'hriou ne perd pas la tête, elle s'habille en homme, passe et repasse devant les croisées en chantant et en dansant pendant que sa compagne, excellente musicienne, exécute des valses au piano. Les nocturnes visiteurs crurent probablement avoir été mal informés, se trouver en présence d'une nombreuse société, et déguerpirent [Note : Cela nous a été conté de vive-voix par Mlle Charant qui, bien qu'âgée de 88 ans, jouit d'une mémoire exceptionnelle].
Puis Yann Krec'hriou transporta ses pénates dans l'ancien hôtel de Du Guesclin jouxte l'église.
Il arriva à notre héros de faire office de banquier et de prêter à des taux prohibés. Il aurait été excommunié ! Et ce fut civilement qu'à l'âge de 55 ans il épousa l'une de ses débitrices, Marie-Vincente Le Bévert, bien plus jeune que lui. Mais ce mariage fut bientôt régularisé et Yann Krec'hriou put rentrer dans la communauté chrétienne grâce à la bienveillance de Mgr Le Groing de la Romanère, évêque de Saint-Brieuc, qui aurait été son compagnon d'armes (! !).
1830. — De grandes nouvelles parviennent à La Roche : les « Trois Glorieuses », l'abdication de Charles X. Or, Yann était un ardent légitimiste et adversaire irréductible du fils de Philippe-Egalité. Il va fixer la bannière des Bourbons au clocher, ce qui lui vaut trois mois de prison. Et si Jean Crec'hriou s'était contenté d'arborer le blanc gonfalon ! Mais il composa aussi un couplet pour la circonstance et ne se fit pas faute de le chanter en public : « Vive Henri Quatre, - Vive ce roi vaillant, - Vive Henri Quatre - Et tous ses descendants ».
Imaginons quel dut être l'émoi, et peut-être l'effervescence dans notre petite ville ! Nul doute que l'ancien chouan ne trouvât en face de lui quelque vieux Jacobin trop heureux d'exhumer le drapeau de la Garde Nationale. Imaginons... Hélas, c'est tout ce que nous pouvons faire. Cela au moins est facile. Il suffit de prendre l'ouvrage de Charles Le Goffic : « L'Illustre Bobinet », 1ère partie : Piphanic. Le grand Lannionnais aurait trouvé à peu près toute la matière de son récit à La Roche. Epiphane Rousselot n'est autre que Jean Crec'hriou et Piphanig doit faire penser à Yannig. Cela, le descendant de notre héros nous l'a hautement affirmé et il reconnaît que c'est le portrait de son bisaïeul que l'académicien a tracé... : une foi absolue « en la vertu du principe monarchique » défiant toutes les contradictions. Avec cela, plus ou moins voltairien.
Yann purgea ses trois mois de prison. Son épouse en profita pour engager une grosse dépense : la réfection de la façade de l'antique logis. La nouvelle bourgeoise était devenue un tantinet mégalomane et elle voulait une demeure plus digne de la fortune de son mari. Elle exigea que les travaux fussent menés rondement, et quand Yann rentra, il se trouva en face d'une haute maison de trois étages. Le pauvre homme pensa en mourir : « Ma Doue, ma Doue, petra 'zo graet d'am zi ? ». Il en pleura. Dame, si l'immeuble avait gagné en hauteur, il avait perdu toute esthétique et actuellement il se dresse encore singulièrement nu et sans charme [Note : La date 1830 est très visible sur la façade. Il y a une vingtaine d'années, Mme de la Villeguérin, née Crec'hriou, a fait subir à d'autres parties du vieux logis de nouvelles transformations]. Yannig était artiste et homme cultivé et ne se consolait pas d'avoir perdu sa splendide façade médiévale, mais il pleurait aussi tout l'or dépensé car, cela tous les Rochois vous le diront, il était avare. Il garda toujours quelque méfiance au sujet des extravagances pécuniaires de sa femme et elle dut souvent « présenter des objets qu'elle avait achetés comme des cadeaux », des « présents » qu'elle avait reçus. D'où l'expression courante au pays rochois « Presañchou Yann Krec'hriou ». F. Menez, La Dépêche de Brest, 18 août 1942).
Puisqu'il y avait eu excommunication, nous avons espéré qu'il en resterait quelque mention à l'Evêché. M. l'abbé du Cleuziou a bien voulu effectuer quelques recherches, mais en vain. Cependant il nous a déclaré : « Ce que vous m'écrivez est possible — sinon l'excommunication, du moins le refus d'absolution — car Mgr Le Groing de la Romagère maintenait les principes théologiques de l'ancienne Sorbonne en ce qui concernait le prêt à intérêt ». (nommé évêque de Saint-Brieuc en 1817, sacré le 17 oct. 1819).
Finissons cette curieuse histoire, frappée au coin d'un peu de mystère, par une visite au cimetière... Allée centrale, à droite, nous trouvons la tombe de l'ancien chouan. Il mourut en 1862 à l'âge de 87 ans. Son épitaphe est aussi attachante que sa vie : « Fidèle à ses principes, il ne varia jamais ».
Mais ces principes n'intéressaient probablement plus les
Rochois qui considérant les opinions légitimistes de leur vieux compatriote
comme un anachronisme, disaient : « A dammou hag a lampou - En doa kac'het
Yann Krec'hiou goz en e vragou ». Ce qui peut se traduire sans incongruité :
Petit à petit, et malgré ses « bonds », le vieux Jean Crec'hriou fut réduit à
merci.
EPOQUE CONTEMPORAINE.
« Les petites villes de Bretagne sont des Belles au Bois Dormant, le temps y replie ses ailes ; les âmes y macèrent dans je ne sais quel nard d'irréalité ». Charles La GOFFIC.
LA Roche a été une de ces Belles au Bois Dormant pendant tout le XIXème siècle. Révolutions et guerres n'y ont guère laissé de souvenirs.
Cependant, pendant les Cent-Jours, quelques bandes armées signaleront leur passage çà et là. Le notaire Le Caër, maire de Pommerit, est assassiné [Note : Il succédait à Le Saint et sera remplacé par Y. Beauverger. N. Quellien fait allusion à ce meurtre dans sa nouvelle « L'Auberge de Troguéry » (Bretons de Paris)].
Le 14 novembre 1848, eut lieu la Fête solennelle de la promulgation de la Constitution.
Une estrade avait été dressée sur la place du Martray. Toute la population s'y rendit après vêpres. On y fit la lecture de la Constitution puis le clergé entonna le psaume « Exaudiat » sans oublier le verset « Salvum fac Rempublicam ».
Puis chacun revint à l'église pour le Salut du Saint-Sacrement et le Te Deum dont les cloches prolongèrent l'allégresse.
On distribua des secours aux indigents, puis les danses commencèrent et il y eut grande liesse.
C'est à cette époque qu'on décida d'abandonner le vieux cimetière entourant l'église pour un vaste terrain situé sur la route de Pommerit. Le transfert des reliques donna lieu à une touchante cérémonie, peut-être un peu macabre : une longue procession où chaque famille portait les restes de ses morts.
1867. — Démolition des vieilles halles.
1868. — Elargissement de la rue de l'église.
Imaginons un peu d'effervescence à l'époque des nominations ou des élections des maires, un peu d'émotion à la mort du curé ou de l'apothicaire (Le premier pharmacien de La Roche, Emile Lavissière, est décédé en 1868).
Notons aussi l'affluence du vendredi, jour du marché [Note : Voir l'ouvrage de Mlle Charant].
La cité compte deux écoles florissantes : celle des Filles du Saint-Esprit, fondée en 1818 [Note : Voir l'ouvrage de Mlle Charant], et celle des Frères de l'Instruction Chrétienne qui se trouvait à peu près à l'emplacement actuel de la mairie.
Les Frères de La Mennais arrivèrent à La Roche en 1836, 1839 ou 1840 [Note : Presque tous les renseignements concernant les frères m'ont été fournis par le C. F. Hubert-Marie, archiviste de la Congrégation à Jersey et le C. F. Henri-Charles (M. Rulon) érudit professeur d'histoire. Qu'ils trouvent ici l'expression de ma gratitude. Plusieurs passages de mon texte sont la reproduction à peu près textuelle desdits renseignements]. A cette époque, ils dirigeaient déjà 169 établissements en Bretagne. Tréguier avait son école depuis une vingtaine d'années ; La Roche se trouva également parmi les pays privilégiés puisque vers 1850, 62 communes des Côtes-du-Nord n'auront encore aucune école. C'était une bénédiction pour une paroisse d'avoir des Frères alors que beaucoup de localités n'avaient qu'un « petit maître » peu instruit qui enseignait dans une remise, une écurie ou dans l'unique pièce où il dormait et mangeait.
Si Félicité de La Mennais a été un grand homme, son frère, l'abbé Jean-Marie, fondateur de cette institution de Frères enseignants, a acquis aussi une gloire bien pure. Espérons que bientôt « l'auréole des bienheureux rayonnera au front du Vénérable ».
La création de cette congrégation a une corrélation étroite avec l'histoire de notre cité. Le 20 mars 1819, alors qu'il était vicaire général de Saint-Brieuc, le P. de La Mennais écrivit à l'abbé Tresvaux, curé de La Roche, en lui confiant ses projets. Il lui demandait de lui fournir ses trois premiers sujets. Dès le 6 mai suivant, deux jeunes gens étaient trouvés et annoncés au fondateur. Le troisième ayant été recruté peu de temps après, ils vinrent tous les trois ensemble à Saint-Brieuc, probablement dans la deuxième quinzaine de juin 1819.
Il s'agissait de :
— Yves Le Fichant, 18 ans, né à Pommerit-Jaudy. Son père, veuf, était cultivateur et ne savait ni lire ni écrire. Le Vénérable donna à son premier fils le nom de frère Yves et l'envoya, en septembre 1820, ouvrir une école à Guingamp. Moins de deux ans après, le 3 mai 1822, il devait y mourir à la tâche. Au cours du service solennel qui fut célébré lors de la retraite annuelle, le fondateur prononça une magnifique allocution.
— Alain Coursin naquit à Langoat en 1800. Son père était marchand de fils et s'établit bientôt à La Roche. Il devint le frère Alain et fut désigné également pour Guingamp. Le nouvel établissement était en concurrence avec une école mutuelle et la lutte devint si virulente que les enfants se prirent de querelle dans la rue. Un jour, le fr. Alain dut intervenir, fit tomber le chapeau d'un petit mutualiste qui rentra chez lui en accusant le religieux de l'avoir giflé. Le père de l'enfant vint en classe rendre la gifle au pauvre instituteur. Devant ce scandale, le Fondateur retira le fr. Alain et l'envoya, le 8 novembre 1820, ouvrir une école à Plouguernével.
Alain Coursin ne figure pas dans l'état des frères du 1er août 1822 : il avait quitté la Congrégation. Il était revenu à La Roche où il mourut célibataire, le 8 juin 1854, marchand de fils comme son père.
— Le troisième s'appelait Mindu. Après trois mois de noviciat, on suppose qu'il fut rappelé à La Roche pour assister à l'enterrement d'un de ses frères et que ses parents ne le lâchèrent plus.
Sur les trois premières recrues, deux avaient donc enseigné et ouvert deux écoles. Le père de La Mennais aima d'une affection particulière ces premiers de ses fils et quand, de La Roche, lui parvint une demande d'ouverture d'école, il ne pouvait refuser.
En 1841, le C. F. Albert (L. Cadiou, né à Tréguier en 1815) dirige l'école communale aidé par deux autres religieux. Il mourra poitrinaire, à La Roche, en 1850, et sera le premier à être enterré dans le nouveau cimetière.
Les
principaux directeurs furent ensuite : F.
Odon (Julien-Marie Baron), décédé à La Roche, le 19 avril 1861 ; F. Ménandre
(P.-M. Guillou), né à Plouha, et décédé à La Roche en 1869 ; F.
Ambroise-Marie (L. Kerdavid).
A Pont-Croix, où il était allé en quittant
notre ville, il reçut du Ministère de l'Instruction Publique, en 1880, une
médaille de bronze pour la bonne tenue de son école ; F. Rupert (Jean Boucher)
qui ferma l'établissement.
A l'instar des Religieuses, les Frères de La Roche eurent de bonne heure un pensionnat florissant qui comptait 130 élèves en 1858 et 185, distribués en trois classes, lors de la fermeture, en 1882. Ils obtinrent six certificats d'études en 1879, huit en 1880 et sept en 1881.
Le 29 avril 1882, le F. Rupert fut révoqué, les Frères remerciés et l'école laïcisée. C'est un événement bien insignifiant qui en fournit l'occasion : le religieux avait donné une signature, avec deux cents autres personnes de bonne réputation, à un commis-voyageur escroc [Note : Une porte de l'église, face à la mairie, actuellement murée, et qui aboutissait au bas de la nef, s'appelle encore pour les vieux Rochois : « porte des Frères » (Dor ar Frered). C'est par là que les pensionnaires, après avoir traversé le cimetière, venaient entendre les offices].
Notre curé, M. Le Parquer, demanda qu'on lui rendît les mêmes Frères, soit sous l'habit religieux dans une école libre, soit en costume laïc à l'école communale. On a gardé de lui cette lettre du 19 juin 1882 au Supérieur Général des Frères : « On me demande à cor et à cri si nous n'aurons plus, à La Roche-Derrien, d'école congréganiste tenue par des Frères. Nous avons le plus vif désir d'établir une école congréganiste libre... Pour l'amour de Dieu et des âmes, rendez-nous le bien que nous avons perdu et que nous serions si heureux de retrouver.... ».
Les
Supérieurs furent contraints de
refuser et la raison majeure semble avoir été le nombre toujours croissant de
semblables demandes. L'école libre de garçons ne fut jamais ouverte et les
Frères ne sont pas revenus.
« Combien, hier et demain, ont bafoué et
bafoueront ceux qu'ils célébreront après leur mort. C'est de tous les temps et
de tous les lieux ». (R. ROLLAND).
Au cours de ce XIXeme siècle, la population de notre petite ville a considérablement augmenté : 1.094 âmes en 1790, 1.600 environ vers le milieu du siècle. Il est vrai qu'un apport d'une centaine d'habitants nous vint, en 1839, du fait du rattachement du faubourg sis au-delà du Vieux Pont. Le maximum a été atteint entre 1870 et 1880 : 1.540 habitants.
La quiétude de la cité fut grandement troublée par une terrible épidémie de choléra, en 1867, qui motiva la visite de l'évêque de Saint-Brieuc, Mgr David [Note : Bien d'autres localités souffrirent du même fléau en 1867. Parmi ces dernières, la commune de Mûr fut une des plus éprouvées. Les victimes y étaient tellement nombreuses qu'on n'y sonnait plus de glas pour les trépas et les enterrements. Le curé, M. Le Bihan, né à Caouënnec, mourut victime de son dévouement].
Les ardoisières de La Roche avaient une certaine importance, bien que le nombre des affleurements dans la région fût assez réduit. « Leurs produits étaient exportés à plus de dix lieues à la ronde » (M. Gautier).
Une délibération du Conseil municipal, en 1874, fait droit à une demande de passage de Madame Quemper de Lanascol « afin qu'elle puisse continuer l'exploitation des filons d'ardoise ».
Si elle eut ses carriers, La Roche compta aussi de nombreux couvreurs qui se transmettaient souvent le métier de père en fils. Notons, d'ailleurs, que la corporation y a encore quelques membres. Durant les mauvais jours, ces couvreurs taillaient des crochets qui devaient entrer dans la confection des futures couvertures. Les « touerien mein-glas » rochois avaient leur cote.
Quant au commerce des chiffons, il fut très florissant. De grand matin, une quantité de « pilhaouerien » quittaient le Bas-du-Pont pour se répandre dans les campagnes des alentours. Ce commerce était-il de rapport médiocre ou était-il la planche de salut des incapables et des chômeurs ? Toujours est-il que c'étaient en général de pauvres hères. Pour vivre, à défaut de chiffons, ou emmi leurs « pilhou », les malheureux rapportaient souvent autre chose... quelque complément aux frugals repas de leurs nombreux enfants. Ne les a-t-on pas accusés d'avoir changé un mot du pater : « Diskouezit d'imp hor bara pemdeiek... (Montrez-nous notre pain quotidien) ». D'où maille à partir avec la maréchaussée.
Bref, il était de bon ton pour les paysans de se méfier des Rochois et, dans les collèges de la région, il est resté de bon ton pour leurs descendants d'abreuver — cum grano salis — de sarcasmes leurs condisciples rochois « Roc'hiz keiz, tud a galon, tud a boan, sammet a bell, sammet a-dost, met siouaz... ». Mais avant le « traou laeret », le Rochois ne manque jamais d'opposer une impétueuse défense.
D'après Jollivet, notre cité possède quatre tanneries, en 1859, et selon Gaultier du Mottay « quelques tanneries sans grande importance », en 1862. L'un et l'autre signale l'exportation de grains « au moyen de barques qui remontent le Jaudy ».
Vers la fin du siècle, et jusqu'à la guerre 1914-1918, la maison Gélard fut connue dans tout le département et le nord-Finistère. On y fabriquait les machines agricoles de l'époque, notamment les manèges pour battages, puis des batteuses mécaniques plus petites que celles qui devaient venir plus tard de Vierzon.
En 1875, au Concours de l'Association Bretonne, à Guingamp, la maison Gélard, de La Roche, obtint la médaille de bronze, catégorie « Machines à battre ».
Les ateliers Gélard s'étendaient, en aval du Vieux-Pont, sur une longueur d'environ deux cents mètres et employaient une quantité d'ouvriers de plusieurs corporations. On distinguait parmi eux les sédentaires et ceux qui se rendaient dans les fermes du Tregor et du Goëlo pour placer et réparer les machines vendues par la maison. Avant l'aube, on rencontrait ainsi des hommes bardés d'outils, le bâton de voyage en main. Il leur arrivait d'effectuer ainsi vingt, trente kilomètres pour se rendre à leur lieu de travail. Pour ne pas perdre les heures précieuses de la journée, c'est encore de nuit qu'ils revenaient, somnolents, harassés, pas toujours exempts d'une certaine terreur superstitieuse, s'égarant fréquemment, évitant les champs « tri c'horn » où le Malin éprouve grand plaisir à égarer le voyageur attardé, guettant l'intersigne messager d'un malheur en leur foyer. Enfant, j'ai écouté, ému, les récits de mon aïeul, très rude homme qui avait éprouvé si souvent tous ces sentiments dans les solitudes des nuits trégorroises, récits où l'on sentait l'émotion d'avoir vaincu tant de fatigues, d'avoir refoulé cette étrange peur nocturne qui hante et étreint les plus braves si leurs forces ont déjà été mises à rude épreuve par une pénible journée de travail. Une nuit où il s'était égaré, n'avait-il pas retrouvé son chemin grâce à un… petit chien blanc qui, après l'avoir entraîné à travers champs et guérets, disparut comme par enchantement devant le cimetière de La Roche. En arrivant chez lui, le pauvre homme avait la douleur d'apprendre la mort d'un de ses enfants en bas âge. Une autre fois, à la brune, il fut salué d'un : « N'out ket skuiz, mabig ? (N'es-tu pas las, mon gars) », par une très vieille femme qui filait au revers d'un talus. A une lieue de là, alors qu'il avait forcé le pas, il rencontra encore la même fileuse qui, avec la même douceur, lui posa la même question. « Hounnez, paotr bihan, a oa va mamm-yougoz ». (Celle-là, petit. c'était mon arrière-grand'mère). Récits pleins de poésie d'un vieil artisan dont « la paix de la grande nature » avait développé l'imagination et l'esprit méditatif... O tempora !
Mais il y avait des compensations pour les bons serviteurs... Les patrons aimaient réunir leurs ouvriers et leurs familles en des banquets périodiques qui ne sont plus de mode. Ceux qui étaient au régiment recevaient aussi une invitation et faisaient leur possible pour être de la fête.
Très souvent arrivaient à La Roche des attelages venant de très loin, notamment du Léon. Il y avait des écuries pour leurs chevaux et un local pour les recevoir « chez Gélard ».
Il y a peu d'années, j'ai vu une vieille batteuse rochoise fonctionner à Plounéventer, près de Landerneau, et je la regardai longtemps, rêveur...
Une filiale de cette maison se constitua à Guingamp et c'est surtout ce nouvel établissement qui généralisera dans nos campagnes l'usage de la batteuse mécanique.
Hélas, voilà de nombreuses années que les chantiers se sont tus.
Etait-ce la dernière-née des industries rochoises ? Mais non, une grande bâtisse très XXème siècle se dresse au-delà du Vieux-Pont. C'est l'usine Thasse, bien probablement le plus important teillage à lin (70 à 80 ouvriers) de Bretagne... et le plus moderne. Grâce à des dispositifs d'aération et d'aspiration des poussières, les conditions sanitaires y sont pour les ouvriers aussi bonnes que possible. La Roche et ses environs possèdent d'ailleurs d'autres teillages, mais bien plus réduits, certains gardant les caractères d'une exploitation familiale… Une grosse roue moussue et bourdonnante dans un vallon du Jaudy ou sous la chaussée d'un petit étang artificiel.
Un gros négociant centralise toute la filasse à La Roche. Nos terres (La Roche et sa région) sont éminemment propres à la culture du lin, l'une des plus exigeantes au point de vue qualité du sol [Note : Au point de vue valeur locative des terres, La Roche est classée dans la zone I (tarifs les plus forts) ainsi que Hengoat, Langoat, Mantallot, Minihy, Ploézal, Pommerit, Pontrieux, Pouldouran, Quemperven, Rospez, Troguéry, Tréguier (barême de juin 1249). — Zone II : Cavan, Coatascorn, Prat, Runan]. Et ce n'est pas seulement aujourd'hui qu'on s'en est aperçu. En 1875, au Concours de l'Association Bretonne (section linière), de nombreux prix vinrent dans la région :
Médaille d'or donnée par la Société linière : Y.-M. Sebille, Ploëzal.
Médaille de vermeil donnée par l'Association Bretonne : François Goaziou, Ploëzal.
Yves Adam, Pommerit.
Rolland Lestic, Langoat.
Pierre Guédel, Ploëzal.
P.-M. Menguy, Hengoat.
Mention honorable : Toussaint Le Cain, Ploëzal.
Pour le lin blanc, médaille d'or offerte par l'amiral de Kerjégu : Yves Fiblec, Prat.
Et cette année encore [Note : Paragraphe rédigé en août 1953], La Roche a eu sa Journée du Lin le mardi 30 juin 1953, organisée par la Direction des Services Agricoles en collaboration avec le Groupement National Interprofessionnel linier, ces deux organismes étant assurés de bénéficier des encouragements du cultivateur averti qu'est notre dévoué conseiller général, M. François Loyer. La concentration avait commencé dès le 28 juin en vue de la visite collective gratuite des cultures de lin en Tregor. Quoi d'étonnant qu'on appelle La Roche « Kapital ar stoup » (capital de l'étoupe) !
Les liniculteurs obtiennent certaines années une importante prime d'encouragement. A la levée, et avant la fin juin, ils adressent leur demande à la Commission régionale du G.N.I.L., à Pontrieux.
Nota bene que c'est un négociant de La Roche, Jean-Pierre Le Gardien, qui a répandu l'usage de l'égreneuse à lin inventée par son père.
Je ne saurais clore ce chapitre sans signaler l'importante scierie dirigée par la famille Toupie depuis trois générations.
Nos curés.
« Si forts dans nos surplis de lin ».
BRIZEUX.
Avant 1789, la paroisse de La Roche-Derrien se donnait au concours.
Recteurs : Vénérables et discrets messires :
Pierre Kerioual, de 1621 à 1631.
Pierre Latin ou Lafin, jusqu'en 1635 ou 1636.
Raoul Hébert, bachelier en théologie, 1653.
Charles Bossard, 1668.
Thomas Briand, 1676.
Yves Le Saint, 1703, parent de Dom Maudez Le Cozannet, de Langoat, qui mourut en odeur de sainteté le 25 juillet 1720.
Louis Briand, 1705.
René Le Cuziat, 1714.
Allain Le Duc, 1730.
Yves Le Gozmeur, 1754.
C. Le Polozec, 1765.
J. Mahé, 1769.
François Geoffroy, 1773.
vacances de quelques mois.
curé d'office : Morice, puis
En 1774, Yves Laviec (voir chapitre sur la Révolution), il eut pour vicaire l'abbé Bidamant (1789-91), qui émigra.
« Intrus » : François Le Tinevez.
Callennec, Rochois, signe « vicaire constitutionnel ».
Claude Le Guen,
Vincent Pacé, Rochois.
Curés : MM.
Allain Jacob-Clozmeur, frire de l' « eskop
dervek », fut nommé par Mgr Caffarelli à la cure de La Roche, le 21 mai 1803. On
dit qu'il rétracta son ou ses serments à ses derniers moments.
François Roger, ancien émigré, jusqu'en 1817.
Français-M. Tresvaux, né à Loudéac, ancien vicaire de Tréguier. Il semble avoir été un grand ami du Vénérable J.-M. de La Mennais qui lui doit les trois premiers sujets de sa Congrégation de Frères et qu'il accompagna à Plestin pour la reconnaissance des reliques de Saint-Efflam. En 1820, il devint le secrétaire particulier de Mgr de Quélen, archevêque de Paris, membre de l'Académie Française.
Jean Dollo, 1820-1822.
François Trébouta, 1822-1829.
Giles Guillermic, né à Plounez en 1793, mort à La Roche le 6 janvier 1843 (voir sa pierre tombale à l'église).
Daniel, 1843. Acheta les orgues et le maître-autel.
M. Le Floch, 1855.
Pierre Ropers, chanoine honoraire, ancien supérieur du séminaire de Plouguernével, ancien professeur au Grand Séminaire de Versailles. 1er supérieur de la colonie agricole de Saint Ilan. Décédé à La Roche le 25 janvier 1882 à l'âge de 85 ans. Il eut pour principaux vicaires : MM. Saliou (1873), Talguen (1880).
J.-M. Le Parquer, 1890, restaurateur de l'église. Il acheta deux cloches, une croix en argent grâce aux dons d'une bienfaitrice, Catherine Lourec. Il a laissé une réputation de grande sainteté.
Philippe Menguy, 1890-1911, né au Faouët, oncle de M. le chanoine Philippe Menguy, professeur de première à l'Institution Saint-Joseph, de Lannion. En 1900. il fit réparer l'orgue par MM. Didier, Clavers et Rimbaud, facteurs d'orgues à Nancy (coût : 5.000 fr.). En 1895, il eut maille à partir avec le maire, le docteur Le Rolland, au sujet d'un terrain situé au nord de l'église. Il fit construire l'école libre des filles (ouverte en 1911). A l'église, il avait fait reconstruire la chapelle du Rosaire en 1894. Principaux vicaires : abbé Connan qui devint recteur de Rospez, abbé Guillaume Le Pennec (pendant 11 ans), mort récemment à la maison du Carmel, à Saint-Brieuc, après avoir été curé-doyen de Bégard, puis chanoine titulaire.
Jules Le Cocq, 1911-1923. Grand orateur. Il était l'ami de M. Le Troquer qui fut ministre des Travaux Publics. En 1922, il avait eu la joie de remettre à Y.-M. Morvan, chantre depuis 50 ans à La Roche, la décoration « Bene Merenti ».
Roland Turmel, né à Pommerit-le-Vicomte en 1863, curé de La Roche de 1923 à 1948.
Le chanoine Turmel était pour tout le monde le « bon vieux curé de La Roche ». Il était toute bonté et toute charité. Le connaître, c'était l'aimer et en être aimé. « Monseigneur, vous l'aimiez puisque vous le connaissiez, écrivait M. l'aumônier des Augustines de Tréguier annonçant son décès à S. Exc. Mgr Coupel ». Ses noces de diamant sacerdotales, le 6 mars 1943, présidées par NN. SS. Serrand et Coupel, furent une grandiose manifestation de sympathie de la part des clercs et des laïcs. Les Rochois s'étaient surpassés dans la décoration de leur cité qui n'avait pas connu d'aussi beaux atours depuis le grand Congrès Eucharistique de 1929. Tout disait la vénération et l'affection des fidèles pour leur pasteur.
L'année suivante, il reconnut que sa santé déclinait et il se résigna à quitter sa chère paroisse. Derrière la jovialité dont il ne se départissait guère, se cachait un gros chagrin, et à la fin du déménagement, l'un de ses amis le trouva pleurant discrètement dans sa chambre.... « Partir, c'est mourir un peu » ... Il alla se confier aux soins des religieuses Augustines de la maison Saint-Yves, à Tréguier, où il est mort le 26 mars 1949. Dès avant sa démission, il avait obtenu de l'Administration, chose de plus en plus rare, la promesse d'être inhumé dans sa chère église auprès de plusieurs de ses prédécesseurs. Aussi les Rochois allèrent-ils chercher la dépouille mortelle de leur bon vieux patriarche et lui firent-ils un retour triomphal.
M. le chanoine Turmel fit réparer deux fois les orgues. En 1930, par M. l'abbé Leray, de Vitré, puis en 1944, par M. Mack, ancien employé de la maison Goudu, de Saint-Brieuc. Le soufflet fut électrifié, la tribune agrandie par M. Jean Toupin. En 1928, il avait doté l'église d'un somptueux vitrail, aux tonalités profondes et intenses, à la gloire du Bienheureux Charles de Blois. Le noble chevalier est représenté auprès d'un moulin alors qu'il rend son épée à Robert du Châtel, à l'issue de la bataille du 18 juin 1347. Résigné, il tourne les regards vers un crucifix que dresse devant lui un religieux, l'un des plus beaux sujets de cette composition. Comme fond, une reconstitution de la vieille place-forte. Cette verrière, signée des ateliers Léglise, de Paris, occupe la vaste fenêtre ogivale à cinq meneaux de la « chapelle du château ». Dans la rosace du tympan, se détachent sur un fond violet les armes de Blois et de Bretagne, de Montfort, de La Roche (d'argent au lion de gueules). La bénédiction eut lieu le dimanche de Quasimodo, 27 avril 1928.
Vicaires de M. Turmel : MM. Simon, Le Goff, E. Le Pennec, L. Jouron, Y. Briand, qui après avoir été vicaire de Ploubazlanec, est revenu dans le canton comme recteur de Troguéry.
M. l'abbé Louis Mahé, notre curé actuel, est ancien vicaire de la cathédrale de Tréguier. Avec M. le chanoine Lainé « qui comptera parmi les artisans de la diffusion mondiale du culte de saint Yves », il a œuvré pour donner au grand pardon du 19 mai un lustre nouveau. En 1941, revenant de captivité, il publia « Saint Yves, son pardon à Tréguier » où, après avoir présenté un condensé de la vie de « l'avocat des pauvres », il relatait les manifestations grandioses de 1936 et de 1937. Mais l'auteur s'était attaché à son sujet, et, en 1949, parut « Monsieur saint Yves » présenté par S. E. le cardinal Gerlier et Me Philippe de Las-Cases et illustré par M. l'abbé Jean Boulbain. « Le grand mérite de M. l'abbé Mahé sera d'avoir rassemblé, en une synthèse heureuse et personnelle, tout ce que les études antérieures avaient accumulé à la gloire de saint Yves : à tel point qu'il sera difficile désormais de parler avec compétence de ce grand homme et de ce grand saint sans recourir à l'ouvrage de l'ancien vicaire de Tréguier », déclare le Primat des Gaules dans sa préface.
Aux talents d'historien de M. l'abbé Mahé s'allie un beau sens pratique et nous en ressentons déjà les effets à La Roche.
Notre belle église, classée Monument Historique le 4 septembre 1913, avait besoin de réparations, Après une bonne entente avec la Direction des Beaux-Arts, notre curé en a fait l'un de ses principaux soucis :
1949. — Réparation des verrières.
1952. — Electrification des cloches.
La réfection de la toiture de l'autel du Sacré-Cœur est en cours (ardoises de Commana). Enfin M. Mahé est un constructeur. Nous voulons parler de notre magnifique salle de patronage... Le nouvel édifice fut bénit en mars 1954 par Son Excellence Mgr Coupel en présence de nombreux ecclésiastiques, de M. François Loyer [Note : Alors conseiller général et membre de la Chambre d'Agriculture], de M. Le Cozannet, député, de M. Cornic, président de l'Association des Chefs de Famille catholiques.
Quelques jours après, M. l'abbé Mahé célébrait sa 25ème année de prêtrise. Ad multos et faustissimos annos !
Nos derniers maires.
M. Pierre Loyer était le fils d'un médecin rochois. Il choisit la carrière paternelle et vint s'installer dans son pays natal qu'il chérissait, dont il aimait tous les particularismes et dont il possédait la langue et... l'argot, Il a laissé la réputation d'un praticien habile, instruit et dévoué. Il était de surcroît un fin lettré qui ne se lassait pas de lire des historiens tels que Bainville. C'était un administrateur avisé. Il fit de La Roche le lieu de rencontre des champions interceltiques de luttes bretonnes. Il s'est distingué également par son dévouement aux œuvres paroissiales.
Un coup de barre à babord eut lieu aux élections de 1935 et M. Le Bitoux, vétérinaire, devint maire. C'était un homme qui faisait honneur à l'homme par la droiture de sa vie, sa justice et sa bonté. Il devait jouer un rôle dans la Résistance et fut déporté en 1944. Il allait devenir la victime anonyme d'un camp de concentration et on ne devait plus le revoir.
Un dimanche d'avril 1946, la cité rochoise fut le théâtre d'une bien touchante cérémonie : le service funèbre de son maire. A l'église, devant une assistance émue, le bon chanoine Turmel ouvrit au large tout son grand cœur pour nous dire bien simplement, mais avec les larmes aux yeux, quelle compréhension et quelle impartialité il avait toujours rencontrées chez M. Le Bitoux, Au monument aux morts, après le Libera. M. Gélard qui, jusqu'à ce jour, déclina toujours le titre de maire bien qu'en assumant les charges et que M. le Préfet allait investir de ces fonctions, prit la parole, suivi de M. Bouget, conseiller général, d'un délégué du syndicat des vétérinaires et de M. Jean Cornic, président du Comité des Prisonniers de Guerre. M. le Préfet Avril nous dit, avec sa prestigieuse éloquence, l'émotion qu'il ressentait toujours en revoyant notre cité où il passa le certificat d'études, salua la famille du défunt, eut des attentions toutes particulières pour les « bon vieux curé de La Roche », puis évoqua le souvenir du disparu, son ami, retraçant sa vie toute de labeur, d'étude et d'austérité.
M. Jean-Pierre Gélard gardera le mérite d'avoir présidé aux destinées de La Roche pendant les jours difficiles de la fin de l'occupation et de la Libération. Décédé en 1952.
Madame Taïb, chirurgien-dentiste, digne fille de M. Le Bitoux, sut mener de front ses occupations de premier magistrat de la commune, de maîtresse de maison et son activité professionnelle. Aux dernières élections municipales, elle se réjouit de voir son cousin, M. le docteur Clech, prendre la tête de sa liste et lui succéder à la mairie de La Roche. M. Clech est devenu conseiller général en avril dernier en remplacement de M. François Loyer.
« Dis quelles sont tes fêtes ».
L'un des chapitres les plus intéressants de l'ouvrage de Mlle Charant est celui où elle nous rappelle les anciennes coutumes, les foires (dont la vente des « badines ») et fêtes de notre petite cité que son grand âge lui ont permis de connaître en partie. J'y renvoie le lecteur...
Hélas, il n'existe plus que la fête locale des premiers jours de septembre qui est parmi les plus courues de la région. Les championnats de luttes interceltiques y ont été disputés très souvent. Pourquoi ne serait-ce pas tous les ans ? Combien plus de souplesse et de grâce dans un beau lamm que dans le plus savant des K. O. Et puis, bien breton, bien à nous, donc à sauvegarder.
« An eizvet a viz gwengolo - M'oa gwisket ma botou tano - Vit mont d'ober an dirobe - En kér Ar Roc'h war ar pave » [Note : Le huit du mois de septembre - J'avais mis mes souliers fins - Pour aller danser la dérobée - Sur les pavés de la ville de La Roche], disait un barde il y a environ un demi-siècle.
LE JAUDY - LE PORT DE LA ROCHE
« Seul un vieux lougre solitaire - Y relâchait tous les cent ans ».
A. LE BRAS.
Le Jaudy (ar Yeodi) prend sa source dans la commune de Gurunhuel, à plus de 230 m., au pied d'un « menez » de 305 m. d'altitude. Il parcourt une cinquantaine de kilomètres traversant tout le Trégor du sud au nord. Ses rives sont ordinairement encaissées et recèlent beaucoup de poétiques vallons.
Le Jaudy a un débit irrégulier, il traverse longtemps des terrains imperméables et si, à partir du moulin du Duc, en Pommerit, il rencontre le limon, son lit encaissé repose à peu près uniquement sur la roche du sous-sol. Aussi, en amont du Vieux-Pont, les prairies bordières sont-elles recouvertes chaque année. Que l'hiver soit très pluvieux, et la situation devient critique. En 1880 et en 1910, la catastrophe ne put être évitée. C'est la crue de 1880 qui commit le plus de ravages à La Roche. Mlle Charant, témoin des désastres causés par les eaux, en a fait une précieuse relation.
En aval du pont, on ne se ressent guère de cet excès d'eau... La ria commence.
Les eaux marines ne dépassent le pont que lors de quelques grandes marées où elles peuvent parcourir encore un kilomètre et atteindre le moulin du Pré.
Or, figurez-vous que des cartes, officielles et autres, ont fait cesser la ria du Jaudy à Tréguier qui, par la rivière, est à 6 km. d'ici... L'erreur est plutôt grossière. Elle a été, d'ailleurs, déjà signalée par M. Gautier, actuel inspecteur d'académie du Finistère, dans son récent ouvrage sur Tréguier.
La ria s'élargit aussitôt en entonnoir et atteint 70 m. au Pont-Neuf.
La Roche était donc, pour tout l'estuaire, le point de passage le plus facile, et ce carrefour des routes maritimes et terrestres a dû être choisi depuis les temps les plus reculés pour l'établissement d'un petit pont. Ce n'est pas un cas isolé ; Pontrieux et Lannion, et bien d'autres localités, doivent leur naissance et leur fortune à leur situation au fond d'une ria. On les a appelés quelquefois des « villes-ponts ».
« Les seigneurs de La Roche revendiquaient la propriété du fleuve jusqu'à son embouchure ; ils tentaient d'entraver le commerce trégorrois en entretenant devant la ville des bâtiments qui interdisaient l'entrée du havre, et en exigeant un droit des marchands qui voulaient entrer ou sortir » (M. Gautier).
Sous Pierre de Dreux, dit Mauclerc (début du XIIIème siècle), le sire de La Roche, en zizanie avec l'évêque de Tréguier au sujet de la navigation sur le Jaudy, va expulser le prélat « manu militari ».
Un bateau monté par des marins de La Roche échappe à une tempête grâce à l'intervention de saint Yves.
Quand les Anglais prirent la place, en 1345, ils eurent la bonne fortune d'y trouver environ 300 tonneaux de vin de France et d'Espagne.
Nous avons vu que notre cité bénéficia de la prospérité générale de la Bretagne au XVème siècle. C'était le grand siècle de la marine bretonne. On voyait flotter les hermines en Angleterre, en Espagne, dans les villes hanséatiques, et une bulle papale leur ouvrait même les fameuses Echelles du Levant. Nul doute que notre petit port ne fût florissant à cette époque.
Jusqu'au XVIIIème siècle, les seigneurs de La Roche gardent jalousement les « droits d'ancrage sur les marchands » depuis l'embouchure dont le principal amers était le banc du Taureau et devant lequel se dresse maintenant la blanche silhouette du Feu de la Corne.
A cette époque, des barques transportaient les ardoises de La Roche jusque Bordeaux, d'où elles revenaient avec du vin, du sel et des produits coloniaux (bull. Soc. Emulation 1953). D'où l'existence d'un négoce prospère. Par son conte « Yann-he-Grok », Anatole Le Braz sera cause si l'on ajoute que ce négoce s'entachait de contre-bande.
La Roche est restée un centre de commerce en gros des « Vins et Spiritueux ».
Par des délibérations prises en 1882 et 1884, le Conseil municipal émet le vœu (et il aura gain de cause) que le pont Canada, en construction à Tréguier, possède une travée mobile permettant le passage des caboteurs.
En 1886-1887, la municipalité avait fait construire le quai de Boured. Les petits voiliers continuent à fréquenter notre port jusqu'aux premières années du siècle qui voient la construction de la ligne de chemin de fer à voie d'un mètre de Tréguier à Brélidy-Plouec. Un viaduc [Note : Endommagé pendant l'occupation. La ligne était déjà désaffectée. Note. — La rivière était balisée et deux balises rouges se dressaient encore jusqu'à ces dernières années, l'une en face de Pontrod, l'autre aux abords du quai de Boured] à six assises est construit et La Roche est desservie en 1907. Le sifflet du « tortillard » sonna le glas de nos activités maritimes]. A Tréguier même, le cabotage baisse de 30 % dans les 5 années précédant la guerre de 1914.
A condition de ne pas être trop sévère, l'existence de nos trois quais peut encore se justifier par le trafic du traez, maërl et goémon dont les agriculteurs de la région continuent à pourvoir leurs terres.
La pêche ! Ma génération a connu trois petites barques à La Roche. Par bonne marée, elles s'en allaient avec le reflux aux rochers de Saint-Yves, en face de la rivière de Pouldouran. On y péchait, avec des haveneaux à très longs manches, le « bouquet » [Note : A La Roche même, on ne trouve guère que des salicoques ou crevettes grises], splendides crevettes roses de grande taille, particulièrement estimées. Par morte-eau, ces barques s'ancraient au milieu du chenal, nos mariniers mouillaient face au courant de flux ou de jusant un énorme filet triangulaire tendu sur deux grosses montures de bois placées en ciseau. Le pêcheur s'immobilisait... longtemps.., et goélands et mouettes, presque familiers, l'environnaient de leur vol léger et capricieux, réclamant avec force cris le menu fretin. Tout cela respirait le calme et la douceur villageoise d'un tableau de Millet, une paix galiléenne. Yves-Marie Montfort prétendait reconnaître deux ou trois vieux goélands qui lui tenaient compagnie depuis ses premières pêches. De la poitrine, puis du genou, le filet était soulevé et fournissait surtout des plies et des sprats que nous appelions « sardined » ou « pesked gwenn ». Yv-Mari et Charloig, nos deux « vieux loups de mer » sont morts, mortes aussi leurs vieilles embarcations... Quant au sympathique Eujenig, sa bonne vieille barque, « la Suzanne », n'en finissait pas de rendre l'âme par les nombreuses fissures de son bordage... Enfin, elle est morte aussi, de sa belle mort, sur l'une des vasières natales, emportant le deuil de la... marine rochoise et le secret des nombreuses escapades de certains petits Rochois...
Du début de février à la fin mars, l'activité de nos pêcheurs consistait essentiellement dans la capture des saumons. Apercevaient-ils le sillage de torpille de la bête, ils déployaient toutes sortes d'astuces pour s'en emparer. Bien souvent, ils barraient la rivière d'une sorte de senne.
Comme dans les autres fleuves bretons, les saumons passaient jadis en bien plus grand nombre dans le Jaudy et les domestiques agricoles devaient exiger de leurs patrons qu'il ne leur en soit pas servi plus de deux fois par semaine.
Nota bene que Pontrod possède toujours sa flottille.
Le poète Narcisse Quellien.
... «
ses vers, les plus purs et les plus
profonds, sans conteste, qui soient sortis d'une lèvre de Celte... » Ch. Le
Goffic.
« Barde, conteur, historien, folkloriste, son oeuvre est pour nous
d'une grande valeur » . C. Le Mercier d'Erm.
Le Rennais Edouard Beaufils a dit que le nom de Quellien durera car il est inscrit dans un ouvrage immortel, les « Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse » de Renan.
Si l'on ouvre ce livre « que le temps n'usera point », on trouve, en effet, mention de notre concitoyen : « Mon jeune compatriote et ami, M. Quellien, poète breton d'une verve si originale, le seul homme de notre temps chez lequel j'ai trouvé la faculté de créer des mythes ».
Aux Rochois et à ceux qui sont désireux de connaître notre cité, cela ne saurait suffire...
Narcisse Quellien est né à La Roche-Derrien, le 27 juin 1848. Il était fils de Guillaume-Marie Quellien, 33 ans, cordonnier, né à Tréguier, et de Françoise Chaffrézou. 35 ans, tricoteuse. Les témoins furent, à la mairie, Yves Montfort, débitant, Pierre Capitaine, tailleur de pierre.
Dans quelle maison naquit le barde ? Quelques « anciens », dont Mlle Charant, se souviennent bien que la famille habitait dans une maisonnette de Traouñ-ar-Pont, sur la rive gauche, derrière le restaurant Péron [Note : Vieille bâtisse ayant un certain caractère. Le rez-de-chaussée est en contre-bas de la rue] Une seule pièce ; assez vaste, il est vrai. Après les Quellien, y ont habité « Merc'h ar Skern », puis la sœur de M. l'abbé Herviou, Maria. Les parents du poète avaient bien de la peine à régler le montant de leur loyer à leur propriétaire, Mme Arthur, fille de Yann Krec'hriou. Il arriva à Narcisse de s'en acquitter, mais souvent il se trouva gêné quand Mme Arthur l'abordait au cours des vacances passées à La Roche avec sa femme ; cependant son extraordinaire faconde le tirait d'embarras : quand le succès et la gloire viendraient, il paierait « intérêt et principal ».
A mon humble avis, c'est sur cette maison que la municipalité devrait poser la plaque à laquelle tout homme illustre est en droit d'attendre de ses compatriotes.
On m'a assuré que, vers 1890, la famille du barde vint habiter un autre petit logis de la rue du Jouet, à l'entrée de la propriété des Couture [Note : Mes contemporains y ont connu Mari-Vonig Dagorn. cette bonne Maryvonne qui a répété leurs leçons de catéchisme à des générations de petits Rochois et qui, par les longs après-midi d'été, les emmenait en promenade un bois Bouget].
Guillaume Quellien, Kelien goz comme on l'appelait, vécut jusqu'aux dernières années du siècle dans une situation voisine de la misère. On le voyait toujours vêtu d'une vieille redingote « queue-de-pie » (levitenn) râpée à l'extrême et d'un vieux « melon » sans couleur. Il mourut en 1897, âgé de 81 ans. Narcisse ne put assister aux obsèques où se trouvait son unique frère, Yves-Marie, né en 1855. Ce dernier vivait aussi à Paris. Qu'y faisait-il ? On m'a assuré qu'il avait « l'air d'un aotrou ».
Narcisse avait aussi une sœur à laquelle il donna le surnom « L'Oiseau Mouche » où se retrouve le nom paternel, mais aussi une insidieuse comparaison avec « La mouche du coche ».
Après la mort de la mère du barde, qu'il avait surnommée lui-même « Krozerezig » (la petite grondeuse). une jeune laveuse, Mari-Louise « Lagadig » (Petit-Œil), de son vrai nom Louise-Marie Boniord, avait trouvé plus lucratif de se marier au père Quellien, malgré son indigence, « e lec'h mont da skaota ar c'houe bemde » (au lieu, disait-elle, d'aller faire la lessive tous les jours). Empressons-nous de dire que la lavandière ne s'est pas enrichie, mais elle y gagnera plus tard un deuxième surnom : « Ar Gelienenn goz ». Elle est morte à l'hospice de Lannion vers 1930.
Grâce à plusieurs protecteurs, Narcisse put faire ses études secondaires au Petit Séminaire de Tréguier.
Le voilà surveillant au lycée de Quimper. Il se fatigua vite de faire « Le Petit Chose » et, en 1875, il est à Paris, déjà auteur de quelques vers bretons et français. Il trouve à s'employer dans des établissements d'enseignement privé et y rencontre Paul Bourget et Brunetière [Note : Plus tard, Quellien eut aussi des relations avec A. Theuriet].
Il est admis au « Cénacle des Vivants » et y trouve Jean Richepin, Maurice Bouchor, Raoul Ponchon et Gabriel Vicaire. Il habite comme eux la paisible rue Guy-de-la-Brosse, près du jardin des Plantes. Quelques journaux accueillent ses articles.
Plus tard, il fera la connaissance de Renan, alors en pleine gloire, qui lui voua une franche sympathie. Ses relations avec le grand philologue lui faciliteront l'entrée aux Archives des Affaires Etrangères et l'obtention de quelques missions folkloriques du Ministère de l'Instruction Publique. En retour, Quellien devint le meilleur propagandiste de la gloire de son illustre compatriote. C'est à cette époque que le Rochois devint l'âme et la cheville ouvrière du « Dîner Celtique », groupement d'intellectuels bretons — très accueillants pour les étrangers — qui se réunissaient périodiquement en de retentissantes agapes. Le célèbre Trégorrois en accepta la présidence et en fit la fortune. Dans ces rencontres, le « barde » était le champion irréductible de la langue bretonne. Si le lieu ordinaire des réunions était Paris, Quellien transporta le « Dîner » à Tréguier en 1884, « permettant ainsi à Renan de revenir désormais pour l'été au pays de ses ancêtres ». A la fin du repas. Narcisse prit le premier la parole. Il était doué d'une extraordinaire faconde à laquelle Luzel aurait voulu quelquefois « mettre une sourdine » (voir les excellentes études sur le « Dîner Celtique », de L. Dubreuil, dans la « Nouvelle Revue de Bretagne ».
1885. — Le Dîner est à Quimper.
1888. — Le Dîner est à Lorient. Inauguration de la statue de Brizeux.
Quellien fut souvent l'hôte d'Ernest Renan à Rosmapamon. Notons qu'il fit également une villégiature à Pont-Couennec avec le poète Emile Michelet.
Notre barde rochois fut renversé et tué, à Paris, par l'automobile d'un Grec appelé Agamemnon, le 16 mars 1902. Un article assez substantiel parut à ce sujet dans la Revue Universelle. Selon C. Le Mercier d'Erm, la victime laissait plusieurs ouvrages inachevés et l'un d'eux était consacré à Renan [Note : On trouva que la voiture qui renversa notre compatriote roulait avec excès de vitesse : 30 ou 35 km, à l'heure. Après une visite à la « Nouvelle Revue », il se rendait chez le sculpteur Injalbert qui venait de finir la maquette d'un monument dédié à Gabriel Vicaire. A l'annonce du décès de Quellien, Berthou et Taldir composèrent chacun un « Klemgan »].
Quelques années plus tard un « Comité Narcisse Quellien » se constitua sous la présidence de M. le docteur Le Rolland, maire de La Roche et conseiller général, et d'Armand Dayot. L'écrivain Français Ménez, né à Saint Clet, était le secrétaire, et l'une des premières adhésions qu'il reçut fut celle de Mistral, « hommage du père de Mireille à celui d'Annaïk » (Ar Bobl). Le cimetière de La Roche s'orna d'un « peulvan » en granit rose venant des chantiers Hernot, de Lannion. Un médaillon en bronze représentant le barde en buste, œuvre du sculpteur Paul Le Goff, y fut fixé. Sous ce médaillon, Yves Hernot grava ces trois vers du poète rochois : « Hon ine gwenn vel Erminig, - Pelec'h a gousko he c'hunik - Me garfe war galon mammig ». (Notre âme blanche comme l'hermine, - Où dormira-t-elle ? - Je voudrais que ce soit sur le cœur de maman).
L'inauguration de ce monument se déroula le dimanche 8 septembre 1912, jour de la fête locale. A 10 heures, un défilé officiel constitué devant la mairie se rendit solennellement au cimetière où l'affluence était considérable, « eur bobl diniver a dud a garge ar vered : tud war c'horre ha tud dindan », devait écrire Taldir dans « Ar Vro ».
De nombreux discours furent prononcés : celui d'Anatole Le Braz qui connaissait Quellien depuis la visite qu'il lui fit étant lycéen de Saint-Louis ; ceux de Ch. Le Goffic, de Jaffrennou-Taldir et d'Erwan Berthou-Kaledvoulc'h, Grand Druide du Collège bardique, furent reproduits dans « Ar Bobol » ; Jahan (de l'Odéon) lut la « dédicace frémissante et plaintive comme une cantilène » de l'œuvre de Quellien « La Bretagne Armoricaine » ; Théodore Botrel déclama un étage en vers. Le discours de l'écrivain Eugène Le Mouël fut publié dans « Le Clocher Breton ». Cette Revue consacra environ 10 pages à cette fête du 8 septembre sous le titre « Le Médaillon de Quellien ». Le « Fureteur Breton », dans le compte-rendu de son dixième dîner en parla également. Mais rien dans « Kroaz ar Vretoned », « Dihunamb », « Feiz ha Breiz ». Ce qui est très explicable : en souvenir des relations qu'il avait eues avec Renan, Quellien était plus ou moins considéré par les catholiques comme un renégat.
Taldir avait apporté de sa Cornouaille un jeune if [Note : Ce if grandit très vite et dans les années qui suivirent la guerre 1914-1918, on trouva qu'il maintenait trop d'humidité aux alentours et il fut déraciné] symbole de l'immortalité, qui fut planté séance tenante près de la stèle. Dans « Kar an Anko », Narcisse avait déclaré : « E-kreiz ar vered me a garfe - Kichen ar groaz ve toullet ma be. - Ha war ma c'hroazik hano e bed - Na bleunio, Eur barr ivin a vroudfet. - Pad a chomo glaz an ivin-ze - Pedet, tudo, evid ma ine. » (Je voudrais qu'au milieu du cimetière - On creuse ma tombe auprès de la croix, - Et sur ma petite croix aucun nom - Ne « fleurira » . Vous y planterez une branche d'if. - Tant que cet if sera vert, - Bonnes gens, priez pour mon âme).
« Silence ! Les fronts se courbent. Une impression de messe funèbre domine le champ de repos » ... Les élèves du Cours Complémentaire public de Pontrieux, sous la direction de MM. Le Goff et Brochen, commencent un chant très mélodieux, très lent, mélancolique et tendre. C'est un « maronad » (chant funèbre). Les paroles sont de Quellien lui-même et la musique de Maurice Duhamel : « Kousk da hunik, mignon klouar, - Da gorf dindan he vec'h douar, - Da ine paour ouz skeud al louar. - Breman da viken a gouski, - Er vered, arok da gozni, - Prim falc’het e giz gwen lili. » (Mein-Be, Breiz). (Dors ton sommeil, doux ami, - Ton corps sous sa charge de terre, - Ta pauvre âme éclairée par la lune. - Désormais tu dormiras éternellement - Dans le cimetière, avant d'avoir vieilli, - Précocement fauché comme un lys blanc).
A l'issue de cette belle cérémonie, un grand banquet était servi à l'hôtel Huet. On avait envoyé 100 convocations [Note : Je détiens une de ces convocations. La cotisation était fixée à 5 francs]. A la table d'honneur prirent place : Madame veuve Quellien et ses fils Georges et Alain, le docteur Le Rolland et les membres du conseil municipal, les orateurs précités, F. Even, Gourvil.
Armand Dayot [Note :Armand Dayot (1851-1934), né à Paimpol, était un critique littéraire. C'est à lui que Botrel dédia la Paimpolaise. Peu connu à Paimpol (note prise dans « Paimpol et sa région » de l'abbé J. Kerleveo) ], Yann-Morvran Goblet, Paul Sébillot, Psichari, Jos Parker (Unvaniez Arvor), Léon Le Berre, Guy Ropartz avaient adressé des dépêches d'excuses et de sympathie. Toasts par le docteur Le Rolland, Le Mouël, Le Goffic, Le Braz [Note : M. Camille Le Mercier d'Erm qui, jeune alors, assistait également à cette fête, et que nous avons eu le plaisir et l'honneur de rencontrer récemment, nous a déclaré que le fin causeur qu'était A. Le Braz se surpassa, son improvisation fut un régal : « Un autre était au moins aussi enthousiaste que moi, c'était Gourvil qui voyait Le Braz pour la première fois... Il l'a d'ailleurs raconté... ». Puis M. Le Mercier m'a fredonné quelques paroles de la chanson trilingue], Durocher, Berthou, Menez. Le Goffic modula les strophes bretonnes, françaises et latines du « Dîner Celtique », puis Taldir entonna son « Bro goz ma zadou » que tous reprirent au refrain.
Jusqu'au soir, la Bretagne devait être honorée : Berthou, Taldir, Even, F. Gourvil, membres du Collège bardique, improvisèrent un « Ti kaniri Breiz », une maison de la chanson bretonne aussitôt assiégée par la foule qui, en ce jour de la fête locale, était venue voir les luttes et danser.
Et cependant il existait une ombre à ce tableau. Tout s'était passé au cimetière — discours et Maronad — comme si les restes mortels de Quellien avaient été présents sous sa stèle. Or, ils n'y étaient pas [Note : Cause d'erreur dans plusieurs ouvrages dont la « Littérature Bretonne », de L. Herrieu, le n° 50 d'Al Liamm (article d'Abeozon) que nous venons de recevoir en cette mi-juillet], et jamais le transfert n'a été fait... Le grand Paris a gardé sa proie... Et pourtant le pauvre exilé avait dit : « Benn eur berr amzer, pa vin maro, - Ra vin kaset da vered ma bro. » (Peu de temps après ma mort, - Que l'on me porte au cimetière de mon pays).
Cependant quelque chose de lui restera toujours présent parmi nous tant que son fin profil se détachera sur le fruste cénotaphe du cimetière ceinturé de jeunes résineux dont la masse bruissante chante à la mémoire du barde une chanson monotone et douce, la chanson de la terre natale et de la Bretagne tout entière qui furent ses seules inspiratrices.
Aux questions des enfants, les parents tentent d'expliquer : « Il écrivait des livres » ... Hélas, peu nombreux sont ceux qui ajoutent : « C'était un grand Rochois qui aimait son petit pays où il revenait souvent, qui aimait la Bretagne et qui a tenu à le dire dans la belle langue des ancêtres qu'il fut un des premiers à honorer ». Ah ! Narcisse eût été vraiment la gloire de notre cité si, en Bretagne, comme dans tous les autres pays à langue minoritaire, l'instituteur était devenu le défenseur et le gardien de la langue populaire.
Le programme du Gorsedd de Perros, en 1937, comportait une visite au monument de Quellien, à La Roche. Cette visite eut lieu le 17 juillet, surlendemain de la grande fête champêtre à Perros. Un jeune Rochois avait déposé devant le « peulvan » un gros bouquet de bruyère en fleur... Il attendit les bardes... Il se recueillit avec Taldir et ses compagnons... Il brûlait de dire un petit mot, mais il n'osa pas...
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Avant de clore ce chapitre et de passer à l'étude de ses œuvres, il convient de dégager succinctement et aussi nettement que possible la dualité philosophique de Quellien, déjà esquissée.
D'une part, l'ancien petit séminariste, devenu ami de Léon Bloy. Il sera témoin à son mariage, sur la colline de Montmartre, en 1890. La voix chaude de Bloy envoûtait ; ainsi que sur Berthou. l'auteur des « Désespérés », dut exercer une profonde influence sur N. Quellien.
D'autre part, le thuriféraire du « divin vieillard de Tréguier ». Le « pelec'h a gousko » gravé sous le médaillon du barde est tout à fait renanien et dut plaire à la municipalité libre penseuse qui présidait, en 1912, aux destinées de notre cité.
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Un certain jour d'avril 1949, je lisais un article breton dans la revue littéraire « Fontaine de Brocéliande ». Cet article était signé de Gwazgwenn, pseudonyme resté mystérieux même pour les confrères celtisants, bien que tous portent leurs soupçons sur la même personnalité ; poète d'une très haute inspiration et savant linguiste que je suis au désespoir de ne pouvoir nommer. Ce distingué celtisant nous fustigeait, vitupérait contre « kér Ar Roc'h ». Après avoir déclaré qu'il n'aimait pas passer devant notre cimetière sans y entrer, gravir l'allée centrale et se recueillir devant le monument de notre grand homme, il ajoutait : « L'année 1948 vient de s'écouler... Et toi (je traduis), ville de La Roche, que fais-tu donc de l'honneur de tes fils, de ceux même qui ont travaillé pour ta plus grande gloire ? ». Je rougis... Pour ce centenaire, en effet, La Roche n'avait rien fait, pas un mot prononcé, pas une ligne écrite par un Rochois... Un seul article pour toute la Bretagne : celui de l'érudit Léon Dubreuil, ancien inspecteur d'académie, dans « Le Petit Bleu » ... excellent d'ailleurs ainsi que ceux qui suivront dans la « Nouvelle Revue de Bretagne ». Je m'en servirai largement...
ŒUVRES DE NARCISSE QUELLIEN
[Note : Nous avons pris de nombreuses notes dans
l'ouvrage de R. Hemon « La langue bretonne et ses combats »]
— Annaik, 12 x 18, 147 p. Sandoz et Fischbacher. Paris, 1880. — 1er livre. Préface de Renan (voir ci-dessous).
— Rapport sur une mission en Basse-Bretagne, ayant pour objet d'y recueillir les mélodies populaires, in-8°, extr. des « Archives des Missions Scientifiques et Littéraires », 3ème série, t. VIII, imp. Nationale, Paris, 1883.
— L'Argot des Nomades en Basse-Bretagne, in-8°, Maisonneuve et Leclerc, Paris 1886.
Les nomades ? Les « pilhaouer » Quellien s'y donnait pour mission de recueillir les mots de notre argot. Car La Roche, « ar Gêr Gapital », a son argot à l'instar d'une autre plus grande capitale. « Et mieux, disait un pince-sans-rire, tous les Français comprennent l'argot parisien... tandis que peu de Bretons comprennent nos tunodo ».
Nous avons rapproché cet excellent recueil d'un glossaire que nous avons nous-même constitué. Cette étude sera présentée ci-dessous.
— Bardit, lu sur la tombe de Brizeux, au cimetière du Carnel, le 9 septembre 1888, tors de l'inauguration de la statue du poète et du Diner celtique — in-18°. Lemerre, Paris 1888. Il est reproduit dansa « Breiz ».
— Chansons et danses des Bretons (ouvrage couronné par l'Académie Française), in-8°, 300 p. Maisonneuve et Leclerc, Paris 1889. Cet important ouvrage se divise en trois parties après une copieuse introduction où se trouvent de fort bonnes choses :
— 44 gwerz et son.
— les mélodies et les « toniou displegan » (modes de lecture et de diction) des 44 chants.
— 27 airs de danse.
N. Quellien en a recueilli presque la totalité dans le Tregor et plusieurs proviennent de La Roche. Quelques pièces, comme Lezohre, Kér Is, Liskildri, sont des variantes de celles qu'on trouve dans le « Barzaz-Breiz » ou dans Luzel.
La « chanson de kloarek » a eu les honneurs du n° du 1er mai 1955 d'Ar Soner.
Nous y trouvons également :
— « Ann hini goz » avec 26 couplets dont tout Breton connaît au moins l'air qui servira à M. Bouchor pour l'une de ses chansons pour les écoles.
— « Ar Rouzik kemener » harmonisé depuis par M. C. Guillermit.
— « Ann Durzunel », jolie chanson sentimentale qui avait été répandue sur feuille volante par la librairie Le Goffic. Je l'ai entendu chanter moi-même par un vieillard de Lanvézéac. C'est celle qu'on trouve, à quelques variantes près, dans « Vingt chansons bretonnes » d'Arnoux et qui est si souvent apprise dans nos écoles.
Par cet ouvrage, Narcisse Quellien s'apparente à La Villemarqué, Penguern et Luzel ainsi que le fait remarquer Abeozen dans le n° 49 d'Al Liamm. Notre compatriote s'y montre excellent et honnête folkloriste. Bien servi par ses connaissances musicales, il notait lui-même les airs, montrant la voie à suivre à Maurice Duhamel, à Loeiz Herrieu et à François Vallée.
— Loin de Bretagne (recueil de nouvelles). Lemerre, Paris (1886).
— La Bretagne Armoricaine, in-12°, 250 p. Maisonneuve, Paris (1890).
Les huit pages de dédicace de Narcisse à ses fils Georges et Alain constituent un morceau d'anthologie. C'est également un testament qu'il rédige pour eux : amour « du doux pays » du Tregor, de la Bretagne, et respect des ancêtres.
« Les parents qui m'ont élevé étaient deux Bretons de race intègre ; leur native franchise était encore inaltérée ».
L'ouvrage est un traité d'histoire de Bretagne. Il a été très discuté..., erreurs historiques, soit ; mais il reste que cet effort de « vulgarisation » — terme employé par l'auteur dans la préface — a été très louable à une époque où il n'existait guère de manuels d'histoire de Bretagne.
La notice géographique a fourni à MM. Dupuis et Coant une page de leur récent ouvrage « Au beau pays de Bretagne ».
Les illustrations et cartes ne sont pas non plus sans intérêt.
— Perrinaic, une compagne de Jeanne d'Arc (texte français, suivi de poésies bretonnes), 46 p. Fischbacher, Paris (1891).
— Bretons de Paris, 12 x 19, 268 p. Paul Ollendorf, Paris (1893).
Il s'agit d'un recueil de nouvelles très bien venues où Quellien se révèle un maître prosateur. Point de longueurs : si le poète s'attarde en de jolies descriptions faites d'un pinceau aux touches délicates et inattendues. le narrateur est adroit et vif et sait ménager l'intérêt du récit. Mais sur le tout flottent partout répandus une nostalgie pessimiste, un fatalisme d'envoûté, une profonde mélancolie qui, en dehors de ses accès de jovialité, caractérisaient bien notre barde.
« Ciel et Terre » est un poème romantique et symbolique de 40 pages.
« La légende des sirènes », nouvelle dédiée à Louis Tiercelin est un délicieux gwerz.
« L'auberge de Troguéry », à Joseph Loth, est un drame d'un impressionnisme sobre voilant la brutalité de certains sentiments, tel que l'amour, en des âmes simples.
« Pèlerins de Sainte Anne », dédié à Paul Guieysse. Récit de pèlerinage à Santez-Anna-Wened tel que le faisaient nos grand'mères, les trente lieues de la vieille route Lannion-Vannes parcourues à pied, avec opiniâtreté, le chapelet au poing. Que d'émotions quand nous pensons à nos aïeules ! Allez donc prier dans l'une des multiples chapelles semées tout au long de cette voie sacrée et votre cœur se gonflera d'attendrissement. Demandez cette pieuse pensée à la chapelle de sainte Suzanne, de Mûr, où ces braves femmes, parvenues à mi-chemin, ne manquaient pas de s'arrêter pour honorer la Suzanne biblique, patronne des épouses fidèles.
« Le vieux Lozac'h », dédié à Yves Pasquiou. Tristesse et solitude, mais aussi solidarité des émigrés bretons de la capitale au siècle dernier.
« Gabier de misère », à Germain Lefèvre-Pontalis et Alexandre Tousserat. Encore la fatalité, le « sort » poursuivant deux êtres doux et simples.
« Les bêtes de l'Enfant-Jésus », au docteur Langelouze. Un conte de « coin de feu »
« L'aveugle de Tréguier », à Ary Renan. Récit plein de charme, merveilleuse histoire d'un aveugle un tantinet barde.
« Guillerm Abgrall », à Grégoire Delaforgue. Lamentable roman d'amour d'un « kloareg ».
« Dernière Communion ». Autre émouvant roman d'un autre Jocelyn.
— Breiz, 13 x 19, 162 p. Maisonneuve, Paris (1898).
A la chaire de celtique, d'Arbois de Jubainville prit une année comme sujet de ses études, ce recueil de poèmes en langue bretonne.
Narcisse Quellien l'avait dédié à Gabriel Vicaire au nom de leur amitié vieille de vingt-deux ans.
« Je vivrais cent ans encore, que je n'échapperais plus à ces deux séductions, « Annaik » et « Breiz » ; et je pressens que mon dernier gwerz sera l'adieu à mon pays natal et à la jeune fille dont j'ai vu le beau printemps fleurir là-bas ».
Tout Quellien est dans ces paroles : « Annaïk » et « Breiz » qui lui ont fourni les titres de ses deux volumes de poésies et de « si doux accents ».
Tout celtisant devrait savoir sa trilogie « Mein-be », et André Theuriet jugeait l'auteur à sa juste valeur en lui conseillant de rendre en vers français ses poésies bretonnes ; son « Hunvre » dont une première version avait été dite au Diner Celtique de 1883 ou 1884 ; « Son an nevez amzer », « Ann distro ».
Et toujours y flotte te souvenir de la douce Annaig !
— Contes et nouvelles du Pays de Tréguier, in-16°. 263 p. (1898).
— E koun da Narsis Quellien, Dibab Gwerziou (En souvenir de Narcisse Quellien, Recueil de poésies). Publié par ses amis à l'occasion de l'érection de son monument à La Roche. Imprimerie des Editions et Publications de Paris.
Le petit volume commence par cette pièce si fraîche et si charmante :
« Pa oan e ker ar Roc'h ...... Anaen dion verc'h gaer ..... An hini iaouanka - Koantoc'h 'vid ar c'hoanta - Ar iaouanka - Naïk, eun heiez flour.... ».
Il contient cinq poèmes d'Annaig et sept de Breiz.
REVUES. — Narcisse Quellien collabora à La Revue Bleue, La Revue des chefs-d'œuvre, Le Parnasse breton contemporain, Les Chroniques, la Revue de la Société des traditions populaires, La Grande Encyclopédie, La Revue de Linguistique, et, plus près de nous, au Lanionnais.
APPRECIATIONS.
« Quellien se montre bon poète, bon conteur, bon philologue de l'idiome bas-breton, et même bon folkloriste, quoique son imagination eût pu lui causer quelques mécomptes ».
Les los de Léon Dubreuil cessent quand il parle de l'historien. Son livre « La Bretagne Armoricaine » a toujours été discuté dans plus d'une de ses parties. Puis il évoque la querelle de Perrinaïc.
Quellien présente la... biographie d'une jeune Bretonne qui, considérant les Anglais comme les ennemis héréditaires des Bretons, partit trouver Jeanne d'Arc, prit part à ses bonnes et mauvaises fortunes et finit comme elle sur le bûcher.
Narcisse voyait en son héroine un prototype de l'âme bretonne et il rêvait pour elle d'une statue sur le Mene-Bre.
Mais les historiens traitèrent cette œuvre de fantaisie ; Renan, Joseph Loth, J. Trévédy la désapprouvèrent.
Cependant on a pu lire dans « La Bretagne touristique » (15 août 1927) : « Pourtant, trois écrivains contemporains de la Pucelle, attestent en de courtes lignes le témoignage qu'une fille de Bretagne (elle s'appelait en réalité Perrone) rendit à la grande Lorraine : satellite quasi ignoré, elle gravita humblement autour de cet astre, et fut brûlée par ses rayons ». [Note : Le nouveau film « Théodore Botrel » est précédé d'un documentaire « Perrona ». Force m'a été de reconnaître qu'il s'agissait de notre « Perrinaïc » : rappel de sa naissance à Guinniluel (?) et sa mort à Paris, figurée dans un bas-relief du portail sud de Notre-Dame. Perig Caouissin, de Brittia-Films, interrogé à ce sujet, m'a déclaré se reférer aux travaux du chanoine bibliothécaire de Notre-Dame].
Evidemment, à ces « courtes lignes »,
le barde a dû ajouter son imagination qui était débordante, Il n'aurait
d'ailleurs voulu faire « qu'une œuvre de symbolisme patriotique à la gloire de
la terre natale ». (« Ar Bob, » du 31 août 1912 citant le « Gil Blas »).
Léon Dubreuil reconnait que Quellien est un représentant très recommandable de
notre Bretagne. « Ses contes et ses nouvelles « Loin de Bretagne », « Contes et
Nouvelles du pays de Tréguier » méritent de figurer en bonne place dans une
bibliothèque d'œuvres relatives à la Bretagne ». Renan n'avait-il pas déclaré
que ces nouvelles étaient pleines de charme !
Le témoignage de Gwazgwenn est très précieux en ce qui concerne l'œuvre bretonne de notre concitoyen. Lui, ne lit pas Quellien en français, mais il lui arrive de relire ce qu'il a écrit en breton : « Breiz » et « Annaïk ». Il affectionne surtout quelques poésies du livre « Annaïk » où se reconnaît l'influence de Brizeux, « Annaig Quellien étant sœur ou cousine de Marie Brizeux ». Comme le Lorientais, le Rochois a quitté le pays emportant le doux souvenir d'une amie d'enfance et jamais il n'oubliera le vert paradis des amours enfantines.
« De ces jeunes amours, dans le cœur le plus grave, - Il reste un souvenir qui pour jamais s'y grave ».
Ces vers de « Marie » eussent pu être de Narcisse, car le Narcisse rieur et gouailleur, boute-en-train, un peu hâbleur, était aussi un rêveur et un mélancolique.
NOS MONUMENTS - NOS PROMENADES.
« La Motte du château, que nous appelons le Calvaire, lieu historique que nous
devrions respecter et conserver avec soin comme une précieuse relique de notre
passé... ». Marie Charant.
C'est par cette Motte du Château que je conseille aux touristes de commencer la visite de notre petite ville. Au premier plan, le Jaudy qu'enjambe le Vieux-Pont. D'un côté de ce pont la rivière évoquant la truite agile, les grasses prairies, les saules, les peupliers — remontez-la donc jusqu'à Milin 'r Prad... quelle paix ! — de l'autre, le fond de la ria avec sa vase gris argent, son eau saumâtre, son vieux quai, et cette ria s'étale et forme une gracieuse baie avant de s'infléchir vers l'est pour enclore la cité. A vos pieds, les maisons se bousculent le long de rues et ruelles « monte-au-ciel » dans un tohu-bohu pittoresque.
Au-dessus des anciennes carrières d'ardoise, la chapelle de Pitié et son grand if. Plus au sud, le bois et le château de Launay, et vos yeux continueront encore d'errer complaisamment sur cette plantureuse campagne trégorroise.
Une prière dans la petite chapelle du Calvaire dont, hélas, le pardon du 31 mai s'est à peu près perdu. Au siècle dernier, c'était la chapelle mortuaire de l'hôpital de Lannion. Les pierres ayant été soigneusement numérotées, elle fut démontée et reconstruite, en 1867, sur notre tertre où s'élevait jadis un fier donjon. Il paraîtrait que l'érection de ce petit sanctuaire serait venue contrecarrer certains projets de fouilles... Jusqu'à ces dernières années, la clochette de son joli campanile mêlait sa voix grêle aux angelus de l'église. L' « Anjelus ar C'halvar » est mort avec la bonne « Eléonore »... Tout près de la chapelle, des boulets de pierre rappellent les luttes du XIVème siècle. Ces projectiles s'échangeaient par bombardes ou autres « engins de jet » entre notre observatoire et la fortification en terre — Kastell Du — qu'on distingue très nettement sur l'autre rive. Encore une promenade intéressante ! Il s'agit de puissants contreforts en terre entourant un terrain vaguement triangulaire d'environ 55 ares. Les fossés ne sont pas encore entièrement comblés [Note : Un autre fort en terre aurait été raisé sur la ferme de Koad-Faô, en 1834].
Un carrefour de ruelles sinueuses et capricantes et nous avons devant nous la place du Martray et ses vieux logis. L'un d'eux s'impose aux regards par son toit pointu, ses encorbellements déjetés et surplombants, écaillés d'ardoise. La maison de M. Savidan, du style XVème siècle, est également fort jolie avec ses deux étages aux lambourdes de chêne géométriquement disposées [Note : Sa façade est classée dans la liste des édifices inscrits sur l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques]. Le tout constitue une Place du Centre très digne pour un chef-lieu de canton de douze communes qu'il ne sera jamais possible de confondre avec quelque vulgaire bourgade, malgré son territoire très petit, faute de banlieue rurale [Note : Du moins, cette banlieue n'est-elle pas bien vaste].
Cherchons la rue du Pilori (!), et nous voilà sur la route de Kermezen à une altitude sensiblement la même qu'au Calvaire. Vous avez devant vous le plus beau panorama que l'on puisse avoir de notre cité. Toute une vieille petite villotte curieuse qui s'étage dans un aimable désordre entre sa rivière, sa motte féodale, sa magnifique église avec sa puissante tour, haute de 50 mètres.
Quelques pas, — sur l'autre rive, un pigeonnier décoiffé, « ar c'houldri koz » — nous sépare de la Chapelle de Pitié.
La Chapelle de Pitié.
C'est une bonne petite chapelle bretonne aux murs bas, qui voisine avec un petit calvaire rustique et un gros if plusieurs fois centenaire dont les grosses branches tourmentées disent les assauts du terrible suroît.
C'est le point spirituel d'un vaste paysage vers lequel se tourne le regard de ceux qui souffrent. Itron Varia Druez ! C'est ainsi que le breton invoque le plus souvent la bonne Vierge.
La tradition veut que cette chapelle ait été élevée à l'endroit où fut pris Charles de Blois, en 1347. On y admire une très ancienne pieta, une antique grille de choeur en chêne, une poutre de gloire avec la Croix, la Sainte Vierge et saint Jean. La verrière porte les armes de Blois. Au pignon ouest se lit la date 1770.
Ce sanctuaire aurait remplacé le moulin du manoir de Keravel, situé l'autre côté de la route. L'une des vieilles pierres du mur de clôture est armoriée.
C'est la propriété de M. Y.-M. Beauverger. Inscrite à l'Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.
Après une prière à N. D. de Miséricorde, continuons vers Kermezen après avoir donné un coup d'oeil à ce manoir de Keravel qui appartint au XVème siècle à la famille du Tertre.
Kermezen.
Une longue côte et nous voilà à l'un des points culminants de la région d'où le regard découvre le plateau sud-trégorrois qui, après Prat, s'élève progressivement. On distingue très bien Bégard et sa célèbre Communauté et à l'arrière-plan la croupe majestueuse du Menez-Bre.
Notre coteau s'appelle Kra'r Justisou (Parco-an-Justis dans la « Géographie des Côtes-du-Nord », de Gaultier du Mottay). C'est ici que se dressaient les fourches patibulaires des seigneurs de Kermezen (d'après Dom Plaine, celles de La Roche).
Leur château est là tout près à l'extrémité d'une jolie futaie. Il serait fort ancien, la famille de Kermel y réside depuis 1479. Il a actuellement les caractères d'une construction du XVIIème siècle. Un peu d'imagination et, morbleu, dans arroi poussiéreux, on verra entrer un bruyant mousquetaire... « Audacibus, audax ! » C'est la devise du comte de céans.
Au XVIème siècle, Gilles de Kermel aurait collaboré avec Bertrand d'Argentré à la nouvelle rédaction de la Coutume de Bretagne. Un autre Kermel était page du roi en 1734. C'est un comte de Kermel qui est maire de Pommerit-Jaudy pendant une bonne partie du Second Empire.
La chapelle (1638) mérite d'être visitée. Elle est dédiée à sainte Anne et donne lieu à un joli petit pardon.
Mais par une association d'idée très normale, le toponyme Kermezen éveille surtout le désir d'une promenade sylvestre, car il y a ici de fort jolis bois qui forment un écrin pour la vallée du Jaudy au cours tourmenté, les vallons encaissés et broussailleux succédant aux larges prairies. Tout cet ensemble est empreint d'une beauté sauvage qu'on rencontre assez rarement dans les campagnes de notre « paisible et souriant Tregor ».
L'un des bois porte le nom mystérieux de Koad ar C'harlavaneg !
Celui de Koad-Nevenez, qui a recélé une centaine de maquisards, rappelle les jours sombres de la Résistance, l'horrible mort de plusieurs jeunes hommes et l'incendie d'un beau manoir. Mais tout respire maintenant une paix pastorale ; dès 1950, une opulente ferme à installations modernes remplaçait les bâtiments carbonisés,
Chef-du-Bois (altitude 61 m.).
Une autre promenade s'impose en Pommerit : le
Chef-du-Bois ou bois de Launay. Au sein d'une futaie, où subsistent encore
quelques beaux hêtres, se dresse un superbe château très « Second Empire ». Sa
construction date de 1867. Il est la propriété de M. Le Provost de Launay [Note
: Décédé en novembre 1954 (voir en appendice)],
ancien maire de Pommerit, fils d'un sénateur qui restera longtemps célèbre dans les
annales politiques de la région. On rapprochera, avec raison, ce nom de celui
d'un avocat rencontré dans la partie historique de ce petit ouvrage.
Un autre nom vient sur les lèvres : Le Roux. C'est bien aux lieu et place du présent château [Note : C'est également dans l'actuel bois de Launay que se trouvait le Quenquis, manoir natal de la mère de saint Yves] que se trouvait le manoir où l'ex-président du Tribunal criminel des Côtes-du-Nord fut tué dans son lit de trois coups de fusil, dans la nuit du 30 au 31 mai 1796, décès constaté par Claude Guiomar, juge de paix à La Roche. Nous avons déjà dit que ce meurtre est attribué à Taupin, venu venger la mort de sa femme. Plusieurs érudits ont fait leur cette opinion et ont contribué à l'accréditer, par exemple G. Lenôtre dans son « Bleus, Blancs et Rouges ». Mais dans « La Seconde Chouannerie », le chanoine Pommeret nous déclare que « ce n'est que trois ans plus tard que cet exploit sera attribué à la vengeance de l'ex-maitre d'hôtel du dernier évêque de Tréguier, P. Taupin, revenu d'émigration et enrôlé parmi les Chouans, mais à l'époque nul ne le soupçonna et les preuves de sa culpabilité font toujours défaut, en dépit des légendes plus ou moins dramatiques imaginées depuis ». On en trouve la première mention dans un rapport départemental très arbitraire du 13 décembre 1799 fait au Ministère de la Police. Mais H. Pommeret reconnaitra que cette accusation était déjà portée par la rumeur publique « depuis quelques semaines » [Note : Troisième Chouannerie. H. Pommeret].
Taupin passa le mois de juin 1796 à Tréguier et dans les environs où se trouvaient ses enfants puis fut arrêté et emprisonné comme émigré rentré après la pacification de l'an IV. Il est conduit à Rochefort, puis en Guyane, en 1798. Il s'en évade, est à Londres en septembre 1799, regagne la Bretagne où il est nommé par Le Gris-Duval au commandement d'une légion [Note : Principaux chefs chouans du Tregor : Charles Trolong du Rumain, Gabriel-Jonathas de Cressoles, dit l'Armoricain, Hingant de Saint-Maur, alias M. Alexis, Taupin.]. Au début de 1800, il rançonne et blesse le citoyen Adam, de Plouguiel, gros acheteur de biens nationaux, puis fait subir le même sort à Joseph Guillou, de Langoat. Un matin, les Trégorrois ébahis trouveront un avis écrit de sa main sur la porte de la cathédrale. On tremble à Tréguier, à Lannion, à La Roche où, comme à Guingamp, on parlait de remettre les vieilles fortifications en état de servir.
Taupin trouvera la mort le 10 février 1800 dans un engagement contre la garnison de Belle-Isle-en-Terre. C'était à Tréglamus. Quelques instants auparavant, il avait empêché ses hommes d'en fusiller le desservant constitutionnel. La chouannerie venait de perdre l'un des plus fidèles de ses partisans. Et parlant de la soumission de l'armée catholique et royale survenue quelques jours après, Lenôtre conclura : « l'opiniâtre Taupin avait bien fait de mourir ».
L'église (13ème, 14ème et 15ème siècles).
C'est le joyau de notre vieille cité.
Ecoutez ce qu'en disait dans un numéro de la « Semaine Religieuse » M. le chanoine Menguy, le distingué professeur de Première à l'Institution St-Joseph de Lannion, et vrai Rochois, au moins de cœur : « Les Rochois sont très justement fiers de leur église. C'est, en effet, l'un des plus beaux monuments que nous connaissions, dans notre pays, de l'art gothique. Si par l'ampleur des proportions, la hardiesse des voûtes, la finesse des détails, elle doit céder à d'autres, elle se fait remarquer par ses formes robustes et harmonieuses, la sobriété classique des décorations. Son ornementation intérieure est digne de son architecture : des orgues de cathédrale, un maître-autel, chef-d'œuvre de sculpture sur chêne... ».
Je ne tenterai pas une description personnelle de cette église. Mlle Charant qui la fréquente si régulièrement depuis tant d'années y a mis tout son talent et je recommande aux lecteurs de se reporter à son ouvrage.
Ce qui frappe le plus, que ce soit à l'intérieur devant les piliers massifs, ou à l'extérieur devant l'énorme tour, c'est son allure de forteresse. Mieux encore, sa tourelle de l'angle nord avec sa meurtrière par laquelle on aperçoit dans la pénombre l'escalier conduisant aux mystérieux souterrains, le gable très médiéval d'un fronton adjacent, auraient eu leur place dans quelque château-fort. D'ailleurs, d'après les archives paroissiales, cette église fut fortifiée par Clisson qui lui assignait la défense du port qu'elle dominait. Une deuxième tour devait être construite et les travaux furent commencés. L'existence des souterrains n'est pas un mythe, le cahier de paroisse déclare : « le sous-sol de l'église est sillonné de souterrains qui devaient servir à faire communiquer les différentes portes de la ville (portes de la Jument, du cimetière [Note : Comprenons l'ancien cimetière. Cette porte devait se trouver à peu près à l'endroit où s'élève actuellement le monument aux morts], des toiles, des moulins) ».
Remarquons que le clocher n'est pas au-dessus du portail, mais à droite à l'intérieur du bas-côté. Sur trois étages, des fenêtres spacieuses épargnent à ce clocher tout caractère de lourdeur. Une galerie à balustres moulurées enveloppe le départ octogonal de la flèche. Cette flèche, renversée par la foudre en 1853, a été relevée aussitôt.
L'Administration des Beaux-Arts a fait grand cas de notre église puisque, en plus de l'édifice lui-même, sont classés :
— Le rétable du maître-autel du XVIIème siècle,
— les stalles du chœur du XVIIème siècle ainsi que les panneaux de bois sculptés du XVIème s.
— la porte de la sacristie du XVIème siècle,
— un chandelier d'autel en fer forgé du XVème siècle.
« Salud d'eoc'h, iliz ma faroz, - Salud iliz ma zadou koz, - Ma c'halon a zeu da dommañ - Hiz santel pa ho kwelañ ».
TOURISME.
Vous découvrirez, dans un coude gracieux du Trieux, le fier castel de La Roche-Jagu qui appartint au XVIIème siècle à Jean d'Acigné puis au comte de Granbois.
Vous vous attarderez à Notre-Dame de Runan (XVème siècle) dont mille ravissants détails font un bijou unique : le retable en pierre sculptée, les piliers copieusement ouvragés, un charmant petit porche avec ses apôtres finement galbés, qui prolongent de muets colloques, un mobilier remarquable, un calvaire digne de ceux du Léon. Cette église fut payée par Jean V, duc de Bretagne. Elle appartenait aux Hospitaliers de saint Jean de Jérusalem et servit longtemps de lieu de sépulture aux Boisboissel.
Coadélan (en Prat) [Note : Inscrit sur l'Inventaire suppl. des M. H. ainsi que le clocher de l'église de Prat et les ruines de l'église de Trévouazan].
Au cours d'une promenade dans le sud du canton de La Roche, les visiteurs de la région chercheront à voir le château de Coadélan qu'illustrent des pages de l'histoire et de la littérature bretonnes.
Abritant à présent une ferme comme beaucoup d'autres vieux manoirs bretons, cet édifice des XVème et XVIème siècles est très intéressant par ses belles proportions comme par de nombreux détails de son architecture : sa porte d'entrée ornée de clochetons et de feuillages, la grande tourelle contenant l'escalier et deux autres en culs-de-lampe. A l'intérieur, on admirera la cheminée monumentale.
Mais toutes ces vieilles pierres sont surtout de puissantes évocatrices de « la noble matière du temps passé », comme disait Froissart. C'est ici, qu'à la fin du XVIème siècle, naquit Marie Le Chevoir, fille de l'opulent Lancelot Le Chevoir et de Renée de Coëtlogon. Ce Lancelot Le Chevoir était, à cette époque, l'un des plus grands seigneurs de la Basse-Bretagne par l'étendue de ses domaines. Il était le parent ou l'allié des grandes familles trégorroises : de Kersaliou, de Larmor, de Crec'hriou, de Kergorlay, dont un membre avait suivi la 7ème croisade, de Rosmar. Sa maison devait se fondre plus tard dans celle des Kergariou, l'une des plus anciennes de Bretagne (Guillaume de Kergariou avait pris part à la 6ème croisade).
Cependant si l'histoire a retenu le nom des sieurs de Coadélan, ce n'est que grâce aux événements dramatiques qui ont marqué la vie éphémère de Marie, la riche « pennherez ». Elle avait 9 ou 10 ans quand elle fut enlevée par Guy Eder, sieur de La Fontenelle, chef ligueur et surtout sinistre brigand, qui l'épousa presque aussitôt. Où le rapt s'est-il produit ? Le chanoine Moreau, le grand chroniqueur des guerres de religion en Bretagne, désigne le château de Mézarnou, en Plounéventer (Finistère), Renée de Coëtlogon ayant épousé, peu de temps après le décès de Lancelot, le seigneur dudit lieu. Cependant J. Baudry fait remarquer que Marie avait pu demeurer sur son fief, Il est vrai que des gwerziou recueillies par La Villemarqué et Luzel, une seule version place à Coadélan le célèbre enlèvement. Ce qu'il y a de sûr, c'est que le couple y a séjourné, que les époux s'aimaient tendrement et étaient vénérés de leurs vassaux qui, bien probablement, n'ont jamais su à quel cynique bandit ils avaient affaire.
On sait que La Fontenelle subit le supplice ignominieux de la roue, en 1602, et que sa jeune femme mourut quelques mois après. Une mèche de cheveux de Guy fut suspendue à la porte du manoir et y resta longtemps, respectée par le temps et par les... hommes.
Il me reste à vous souhaiter la bonne aubaine d'entendre une vieille Prataise chanter une version de « Fontanella », une de ces braves survivantes d'une époque révolue [Note : Nous avons déjà publié cette petite étude dans les journaux : « Renouveau » et « Le Courrier Indépendant »].
Plus près de nous les manoirs de Mezou-Bran et son chêne séculaire dont parle Quellien dans la préface de « La Bretagne Armoricaine » (Minihy), de Launay (ar Wern) en Langoat, méritent aussi une visite. Ce dernier était au XVIIème siècle la propriété d'une famille de Boisfeuillet [Note : Blason des Boisfeuillet de Langoat : D'argent au houx de sinople, au chef de sable fretté d'or], ramage des Villéon de Boisfeuillet, de Mûr.
Koad-ad-Louarn.
Et le soir, quand vous rentrerez à La Roche après avoir accompli votre « dur métier de touriste », comme le dit François de Croisset, vous irez goûter aux prestiges bénifiants de Koad-al-Louarn (Bois du Renard), à cinq cents mètres de la ville.
Après avoir ceinturé la cité, le Jaudy passe au pied d'une falaise schisteuse, exposée au nord, où l'on trouve en été une agréable fraîcheur, où l'arbre croit en toute liberté. Les plus beaux fûts ont été abattus il y a environ cinquante ans, mais Koad-al-Louarn n'en a pas perdu son charme et de jeunes romantiques y viendront longtemps encore rêver à « Des amours de village - Tressés de fleurs des champs - Au retour des battages - Aux feux de la Saint Jean » [Note : « La Sainte-Catherine », volume de poésies de la Rochoise Monique Loyer (René Debresse, éditeur, 38, rue de l'Université, Paris)].
Quand il est loin du pays, le Rochois rêve d'un petit coin tranquille de Koad-al-Louarn où l'on est si bien avec un livre ami, il rêve de baignades près du quai si aimé des plongeurs, de Toull-Even, une excavation où vécut un vieux solitaire et où les enfants jouent aux robinsons, et il refait en esprit la promenade qui mène du manoir de Boured au pigeonnier et à la chapelle de Saint-Jean, le « prieuré de Saint-Jean », [Note : Il s'agit probablement d'une fondation des Hospitaliers de saint Jean de Jérusalem, hypothèse corroborée par les deux bustes de moines de la chapelle. N. Quellien y fait allusion dans sa nouvelle « Les Pèlerins de Sainte-Anne » (Bretons de Paris). Boured semble avoir abrité ces religieux. C'était l'opinion formelle de notre ancien curé, M. le chanoine Turmel, du propriétaire, M. Pierre Loyer. Le gendre de ce dernier, M. Jean Le Bourdonnec, qui mène de main de maître l'exploitation, m'a désigné l'endroit d'où partait le souterrain depuis longtemps bouché. Un ractiotelluriste spécialisé lui aurait fait le tracé de ce souterrain. Il aboutirait à un manoir très intéressant de l'autre rive du Jaudy, bordant la route de Tréguier, et qui passe pour être une ancienne abbaye. Nous n'avons trouvé aucun document à ce sujet. Boured s'ouvre sur la rive du Jaudy par une grande porte cochère placée au centre d'un mur aux belles proportions flanqué de deux tourelles à escaliers. « Bouret-Bras » est un ancien manoir noble « situé en la cordée de la ville de La Roche-Derrien, paroisse de Sainte-Catherine ». Cette propriété appartenait avant la Révolution à Clément de Ris, comte de Mony. Elle était affermée « pour 230 livres 6 sols 8 deniers, 16 pigeons des plus gros et des dernières volées, une prémice à la manière accoutumée, le tiers des corvées dues suivant l'usement, droit de passage ». Au cours de la Tourmente, le domaine est acquis par Yves Connan qui le revend aux anciens propriétaires, en 1807. Le pigeonnier était à proximité de la façade sud sur un terrain qui s'appelle encore « Park ar C'houldri ». Quant au moulin, situé à quelques centaines de mètres du manoir, mais en Pommerit-Jaudy, il en reste un petit bief qui sépare toujours les deux communes. Il ne semble pas avoir eu grande importance. On dit encore : " Au moulin de Boured, quand il y a de l'eau, il n'y a pas de blé. Quand il y a de l'un et de l'autre, le moulin est en panne"] comme disent les vieux papiers.
(E. Le Barzic).
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