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UNE ANNÉE TRAGIQUE

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Chouans et Patriotes. — Revers royalistes. — Les Commissions à l'oeuvre. — De Mal en Pis. — Toujours plus de sang.

I. - CHOUANS ET PATRIOTES.

Au canton de Rieux, les élections du 2 décembre 1792 n'avaient pas satisfait le Jacobin Sauveur, président du district. Il en obtient l'annulation le 3 janvier 1793 avec ce motif : « Il n'y a pas eu de scrutin. Les membres patriotes de la municipalité ont été insultés ». Patriotes ! Ce mot servira désormais à qualifier les fanatiques de la Révolution, comme le nom de chouans ou de brigands désignera les opposants.

Ces opposants s'agitent de plus en plus. « Je vous préviens, écrit Lallemand, le 13 janvier au district, que depuis 15 jours, les chouans ont détruit tous les bacs qui font communiquer Redon avec Saint-Perreux et Aucfer, Bougro et le Port-Corbin. Il est très urgent que les communications soient rétablies pour prévenir la disette qui déjà se fait sentir. Il en résulte un autre inconvénient, c'est que les troupes cantonnées ne peuvent correspondre. Cela doit exciter votre sollicitude, car toutes les paroisses voisines sont occupées par les chouans ».

A la même date, ordre est intimé à Rieux de faire l'inventaire des biens des émigrés, ces biens devant revenir à la Nation.

Quelques jours plus tard, l'on apprend au pays que Louis XVI, condamné à mort par la Convention, a été guillotiné le 21 janvier. Alors la colère est à son comble et l'insurrection achève de se préparer. Elle éclate à l'occasion de la levée de 300.000 hommes, ordonnée le 27 janvier par l'Assemblée.

Les administrateurs départementaux l'ont pressentie et ont dirigé des troupes vers La Roche-Bernard et Redon. Le 11 mars, Rieux reçoit l'ordre de fournir 18 hommes au contingent appelé. Aucun ne bouge, mais, le 14, les chouans de la région se groupent et marchent sur La Roche-Bernard. Dans le trajet, leurs rangs grossissent de plus en plus. Ils franchissent la Vilaine à Cran et au Passage-Neuf. Où vont-ils ? D'abord à Saint-Dolay.

A cette nouvelle, Guillaume Lévesque, le curé constitutionnel de cette paroisse, prend peur et se cache. Il n'a pas tort, car bientôt les insurgés envahissent son presbytère, brisant meubles et vaisselle et vociférant contre le jureur. A la cave, ils boivent, s'il faut en croire une déclaration de l'intéressé ; une demi-barrique de vin et une barrique de cidre ; de plus, ils emportent le charnier et une somme de 1.500 livres (Archives départementales, L. 270). Puis ils continuent leur marche sur La Roche-Bernard vers laquelle convergent d'autres colonnes d'insurgés. Les administrateurs du district s'en alarment :

« L'insurrection, écrivent-ils le 14 mars au département, venant du pays de Savenay se propage déjà à Pontchâteau. Nous craignons pareille insurrection dans notre district. Férel a refusé son contingent ; les commissaires ont failli être égorgés. A Péaule, même chose. Nous n'avons pas de nouvelles de Rieux, mais sûrement le même esprit y est répandu ». Dans la soirée du même jour, sentant le danger imminent, ils réclament avec insistance des renforts.

De fait, dans la matinée du 15 mars, les insurgés, déjà maîtres de Savenay, approchent de La Roche-Bernard, tandis que ceux de la rive droite de la Vilaine se dirigent à leur rencontre, armés de fusils, de sabres, de pistolets, de faulx retournées. Ils ont été appelés aux armes par le tocsin qui a sonné toute la nuit aux clochers des églises et chapelles des districts de Vannes, Ploër­mel, Rochefort et La Roche-Bernard.

Ce fut une nuit épouvantable. En toute hâte, les gens se précipitent à moitié vêtus pour savoir à quelle cause attribuer ces glas nocturnes. Des cavaliers inconnus paraissent et disparaissent rapidement dans le noir. Ici, le maire et les officiers municipaux donnent eux-mêmes l'ordre de sonner ; ailleurs, venus pour interrompre le tocsin, ils se trouvent en face d'étrangers, voire de jeunes enfants qui s'en donnent à coeur joie. Des hommes armés s'assemblent pour prêter la main, disent-ils, à leurs frères de Vendée. Tous doivent se porter sur La Roche-Bernard et Rochefort, se concentrer à Muzillac et marcher sur Vannes, afin de rétablir le Roi et les bons prêtres.

A la tête des insurgés de Rieux, Pierre Grignon, de Villeneuve en Rieux et Gardon, des Alliers en Béganne. Les deux officiers municipaux de la ville avaient bien essayé de retenir leurs compatriotes, mais inutilement ; au contraire, ce sont eux qui furent obligés de suivre les révoltés. Ceux-ci avaient orné leur veste d'un Sacré-Coeur et placé une cocarde blanche à leur chapeau, et ils marchaient en criant : « Vive le Roi ! Vive la bonne Religion ! ».

Ils arrivent à La Roche-Bernard vers les 3 heures de l'après-midi. A ce moment, la garnison de la ville, forte de 250 hommes bien armés, soldats du 109ème d'infanterie et douaniers, plus des gardes-nationaux, appuyée en outre de deux canons, avait cédé devant les assaillants, laissant 27 tués sur le terrain ; les royalistes n'avaient perdu qu'un homme.

Certains administrateurs purent s'enfuir, tel Pierre Cornu, qui se sauva jusqu'à Redon. D'autres restèrent prisonniers des royalistes, en particulier Sauveur et Le Floch. Le président du tribunal, Claret de la Touche, fut obligé de s'aliter, souffrant d'une forte fièvre, suite des coups reçus dans la bagarre et surtout des émotions ressenties en cette journée tragique. Il se remit d'ailleurs rapidement puisque, le 17, il siégeait au Comité provisoire de sûreté.

Le lendemain, 16 mars, pendant que des émeutiers exécutaient deux de leurs prisonniers : Joseph Sauveur, président du district, et Le Floch du Cosquer, procureur-syndic, les insurgés de Rieux s'en retournaient chez eux. Jean-Marie Foucault, de Saint-Jean, surnuméraire de l'enregistrement à La Roche-Bernard, les accompagnait. Il allait devenir un valeureux chef royaliste. A Saint-Dolay, ils recherchent de nouveau le constitutionnel ; inutilement d'ailleurs. Ils rentrent alors à Rieux.

Pour garder leurs conquêtes, les royalistes détruisent les bacs de la Vilaine et de l'Oust et occupent le passage d'Aucfer (17 mars). Leurs chefs en cette affaire sont, Gardon, Julien Cadoudal, maire de Béganne, et Jean-Marie Foucault dont la tante, Mme du Quercron, logeait à Aucfer l'état-major royaliste.

 

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II. — REVERS ROYALISTES.

Gardon est alors invité à intensifier son action par Montméjean — de son vrai nom Dupuis-Montbrun — commandant royaliste de Rochefort, ville qui avait été prise le 16 mars. « Je sens bien l'importance de hâter nos expéditions militaires, répond-il d'Aucfer le 22 mars, mais nous ne pouvons rien faire avant que les troupes mandées ne soient rendues à leur poste sur la route de Rennes à Redon. Car il ne suffit pas de prendre Redon, il faut en désarmer les soldats et pour cela que la route de Rennes soit bien gardée ; et elle ne l'est pas... La Roche nous fournit 8 canons ; il y en aura 2 à Saint-Nicolas, 4 sur la route de Rennes, 2 à Saint-Perreux, et ici une pièce de 24. Voilà les dispositions que prit devant moi le Conseil de La Roche... J'ai reçu d'excellentes nouvelles : les Espagnols sont en nombre à Fontarabie ; M. de Bouillé est à Jersey avec des forces considérables, etc. ».

Ces excellentes nouvelles eurent bientôt leur revers. Le général Beysser qui occupait Redon avait porté sa garnison à 800 fantassins et 30 cavaliers, avec 4 pièces de campagne. Le 27 mars, il s'empare de Saint-Perreux et d'Aucfer et il se dirige vers La Roche-Bernard. En passant à Rieux, il réquisitionne des vivres chez certains habitants pour lesquels Lallemand réclame plus tard des dédommagements, prétextant que « la misère les écrase » : « à la citoyenne Lévesque, 18 livres ; à la citoyenne veuve Tual, 1 barrique de vin, 90 livres ; au citoyen Penhaleux, 2 veaux, 10 livres ; à la citoyenne Rasé, 1 veau, 5 livres ; au total, 123 livres » (Archives départementales, L. 541).

Le 27 mars, La Roche et Rochefort étaient reprises. Beysser l'annonce au département :

« Je suis entré aujourd'hui sur votre territoire, en poursuivant les brigands qui l'infestaient. Je les ai chassés de Saint-Perreux et d'Auquefer. Ainsi sont rétablies les communications entre les deux départements par les routes de Muzillac et de Malestroit. J'ai mis 30 hommes à Rieux qui avait sonné trois fois le tocsin et arboré la cocarde blanche. La soeur du citoyen Poisson, personne très exaltée, avait fait et distribué elle-même les cocardes ; elle avait fait de plus arborer sur l'église le drapeau blanc. Presque tous les habitants étaient complices de l'attroupement d'Auquefer.

Tandis que je me concertais avec les Commissaires de la Convention, nos soldats sont entrés dans l'église, tapissée d'armoiries. Je suis arrivé à temps pour sauver le calice, le ciboire et le linge que j'ai mis sous la garde de l'officier chargé du détachement. J'espère que vous voudrez bien passer aux soldats l'expression un peu militaire de leur indignation dans une église où ils ne voyaient que des armoiries, et où il n'y a jamais eu de prêtre constitutionnel. Vous les excuserez d'avoir brisé les cloches, en considérant qu'elles ont été aux aristocrates le moyen de sonner le tocsin... J.-M. BEYSSER ».

Dans la bagarre, les soldats de Beysser saisirent au hasard quelques habitants. Dès le 30 mars, la municipalité les réclame à Redon. Elle cite Jean Cornu de l'Hôtel-Hérault : « Nous l'avons toujours connu, dit-elle, comme un honnête garçon et un bon citoyen, bien que nous ne puissions en dire autant de son frère Pierre (c'était le fameux jacobin, juge au district). Délivrez aussi Joseph Blanchard, Julien Heinleix, Yves Boucher, d'Aucfer, Vincent Mounier, de la Gras, Pierre Le Beau, de Vaujobert, Joseph Guiho, notre secrétaire THOMAS BEUVE, maire, etc... ».

 

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III. — LES COMMISSIONS A L'OEUVRE.

Après la victoire des Bleus, plusieurs Commissions interrogent les personnes arrêtées ou simplement suspectes (Archives départementales, L. 268, 269). D'abord, les tailleurs de pierre de la Poterie, qui comparaissent à Redon devant les Commissaires d'Ille-et-Vilaine : Gilles Le Métorel, 64 ans, des environs de Vire, contre-maître ; Jacques Restoul, 37 ans, de Mortain ; Etienne Potel, 25 ans, de Vire ; Pierre Le Graverend, de Mortain. « Ils déclarent avoir quitté leur travail et avoir été arrêtés par les brigands ; conduits à Rochefort, ils étaient revenus se cacher dans leur perrière (carrière) et dès qu'ils le purent, ils étaient venus à Redon déclarer qu'ils étaient bons patriotes ». Sur cette explication, ils sont relaxés.

Gardon, de Béganne, raconte qu'une troupe armée le contraignit de la conduire à La Roche, le 15 mars, sous peine de mort. Il en revint le 16 et resta environ huit jours à Aucfer, sous les ordres de Bernard, après quoi il rentra tranquillement chez lui. Il proteste de son attachement inviolable aux lois.

Jean-Marie Foucault, de l'Enregistrement, assistait à la prise de La Roche par les brigands, avec lesquels il s'en fut à Rieux. A Aucfer, du 18 au 28 mars, il resta avec l'état-major des insurgés chez Mme du Quercron, sa tante. Pierre Trochu, ancien domestique de Lallemand, excellent patriote, accuse Foucault d'être plus méchant que Grignon et Gardon (Note de police).

Le maire d'Allaire, Jean Voisin, et ses conseillers déclarent le 30 mars, en leur âme et conscience, qu'ils se sont rendus aux impulsions des traîtres et à l'influence scélérate des prêtres déguisés, pour conserver la vie. C'est avec la vérité et la sincérité d'un coeur pur qu'ils déclarent avoir été contraints de suivre ces bandits à Aucfer et Rochefort, essayant par leurs exhortations d'amollir ces scélérats... A Aucfer, ils ont reconnu dans les chefs des brigands Grignon fils, de Vannes, et Gardon, de Béganne, qui se conduisait en forcené.

Marie-Jeanne Grignon dépose en faveur de son mari, Coué, de la Tremblaye en Saint-Jacut, que les brigands ont entraîné de force à Rochefort après l'avoir déguisé et avoir pillé sa maison.

Le 31 mars, « les officiers municipaux de Saint-Jacut déclarent que, effrayée des menaces d'inconnus, la commune n'a pu refuser de se joindre aux autres malgré leurs conseils ».

Julien Cadoudal, maire de Béganne, « déclare qu'il a été forcé de marcher à Aucfer par Gardon ; pendant les tirs du 19, il était dans la chapelle, il a gardé ses sabots et, pour ne pas monter la garde, il payait des chopines de cidre ».

Le maire de Saint-Perreux, Jean Pucelle, a reconnu, dit-il, dans le détachement de Gardon, Duchêne curé de Saint-Perreux, Noël Briend, curé de Saint-Maurice, et René Collet, curé de Saint-Marcellin-en-Bains, qui ont dit plusieurs fois la messe.

Julien Heinleix, demeurant à Rieux, 23 ans, capitaine au bataillon de La Roche-Bernard, dénonce Pierre Thébaut, de Béganne ayant été à Aucfer armé d'un bâton, et la veuve Sécillon qui fournit aux royalistes des vivres. (Greffe de Vannes).

Les arrestations et les interrogatoires de suspects continuent ainsi à se succéder.

Apeurée, la municipalité de Rieux veut faire preuve de loyalisme et, le 11 avril, elle prête solennellement serment de fidélité à l'Etat, cérémonie ainsi relatée :

« Nous, maire et officiers de la commune de Rieux, étant assemblés avec tous (??) nos concitoyens au pied de l'Arbre de la Liberté, placé sur le champ de foire, pour manifester notre civisme et réparer les égarements auxquels malheureusement nous nous étions laissés entraîner par les brigands des autres paroisses et nos chefs perfides, jurons obéissance aux lois de la République et de ne jamais porter les armes contre notre patrie, de marcher même au premier signal à son secours et sur le premier réquisitoire de notre département ».

Cependant les Commissaires chargés des enquêtes, débordés de besogne, s'adjoignent un Comité de surveillance. Deux citoyens de Rieux en font parti : Claret de la Touche et Pierre Cornu. Celui-çi est recommandé par l'odieux Bercegeay, curé intrus de La Roche, et par le département qui le nomme commissaire au recrutement de l'armée.

La liste des suspects dénoncés s'allonge de jour en jour. Nous y trouvons notamment cités : Poisson, recteur, de Sécillon, notable, Motel, ancien chapelain, de Rieux. Mais ils échappent aux recherches. A une demande concernant M. Poisson, Mathurin Allain, de Branguérin, arrêté le 24 avril, répond qu'il le vit pour la dernière fois le jour où il partait pour l'Assemblée électorale d'Hennebont ; M. Poisson était déguisé en paysan. — Pourquoi ? lui dit Allain. — A cause du malheur des temps, répondit le recteur.

Devant les tracasseries, l'effervescence s'accroît dans nos campagnes. Le jour du tirage au sort de Rieux, le 24 avril, les jeunes gens marchent sur le bourg en criant : « A bas la cocarde de la Nation ! Prenez la cocarde blanche, nous tirerons pour notre bon Roi ! ». Et des échauffourées se produisent entre les soldats et les paysans, si bien que les autorités déclarent : « La terreur seule peut dominer le peuple des campagnes ». Plutôt l'exaspérer.

Elles se défient particulièrement des « potiers de Rieux qui portent à vendre dans les départements de la ci-devant province des pots, des buies et autres argiles, servent d'agents entre les aristocrates et méconnaissent le service des Postes ». Elles demandent donc aux municipalités, « vu le danger de la Patrie, de surveiller étroitement ces potiers, de même que les saulniers de Guérande » (15 mai).

Le 18 mai, nouvelle lettre dénonciatrice au district : « Vous n'ignorez pas, disait-elle, que, dans la ville de Rieux, vous avez des personnages très suspects : 1° le sieur Sohier qui, en tout temps, a fait l'insolent vis-à-vis des corps constitués ; d'ailleurs, il était au rassemblement d'Aucfer et dut prendre un fusil pour tirer sur des particuliers qui, sur la chaussée, lui montraient le derrière, mais le fusil ne partit pas. 2° Vous avez encore Mlle Aubin et Mlle Thomelin, du Fraîche, dont le père est émigré. Tâchons de purger la terre de la liberté de tous les êtres qui ne cherchent que notre destruction. Veillons, frères et amis, point de relâche ! Aidez-nous, nous vous aiderons ». Signé : Lallemand, Degousée, Chevalier, Le Batteux.

Ce dernier était un véritable bandit. Ancien marmiton de l'abbaye de Redon qu'il avait incendiée le 14 février 1790, puis aubergiste et finalement directeur des Postes de cette ville, il devint, nous le verrons, le fidèle lieutenant du sanguinaire Carrier.

Le 23 mai, nouvelles dénonciations. « Vous avez su, écrit Lallemand au district, qu'il y avait encore quelques malveillants à Rieux, qui cherchaient à troubler la tranquillité ; mais nous espérons déjouer leurs manoeuvres par des promenades militaires. Hier, on a désarmé une partie des habitants et nous espérons que ceux qui ont caché leurs armes seront découverts par ceux qui ont fourni les leurs. Les fusils sont en fort mauvais état, ils sont au bureau. Les domestiques de de Forges, ses fermiers et le journalier Baron sèment des bruits alarmants à Rieux et environs. Vous devriez appeler près de vous les demoiselles Thomelin avec le nommé Sohier, très suspects. Terminez la vente du ci-devant recteur et de de Forges avant que tout ne soit dilapidé ». LALLEMAND.

Le 25 mai, c'est une victime des Bleus, Joseph Péniguel-Châtaigneraie, qui se plaint du sac de la Courberie, sa demeure, par la garnison de Redon le 22. « Après avoir saisi trois fusils, d'ailleurs déclarés, dit-il, le commandant s'éclipsa. Alors sa troupe fait sauter à coup de hache toutes les armoires, pleines de linge, renversant tout et prenant ce qui leur convenait.

On fit sauter la porte de la cave où se trouvaient une centaine de bouteilles de vin assez cher, et l'on crut faire preuve d'une discrétion remarquable en en laissant vingt. On but le reste sur les lieux au point de s'en ressentir fortement et l'on mit en sac ce que l'on jugea convenable pour faire agréablement la route.

A un quart de lieue, le commandant ayant rejoint sa troupe, accepta d'un de ses soldats l'offre obligeante de se rafraîchir, sans s'enquérir autrement d'où lui venait cette aubaine.

Je ne parle pas des jardins ravagés, des poules et autres volailles mises dans le sac, ce sont des bagatelles... Je ne dis rien non plus des effets pris dans le coffre de mon fermier. Ces modèles de discipline militaire lui ont laissé plus qu'ils n'a perdu : la barre de fer dont ils s'étaient munis pour enfoncer les portes. S'étant trouvée trop pesante pour des gens aussi chargés de vin, ils l'ont jetée dans un champ. Le fermier en reste le gardien et ne demande qu'à la remettre à qui de droit.

Pour empêcher le renouvellement de pareil délit, j'ose croire que les administrateurs prendront ma maison sous leur sauvegarde... ».

 

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IV. — DE MAL EN PIS.

Le jeudi, 30 mai, arrivait la Fête-Dieu. La populaire Procession du Sacre, ainsi qu'on la nommait, se fit encore naturellement là où se trouvait un curé constitutionnel, comme à la Roche-Sauveur, à Redon. En cette ville, « l'on porta les cierges-torches des Confréries, ornés de fleurs et de fruits, ainsi que des statuettes aux cheveux naturels, habillées de satin et de brocard ; les enfants escortaient un brancard sur lequel l'on voyait un Enfant-Jésus adolescent ». Eut-elle lieu à Rieux, non pourvue de curé assermenté ? Nous l'ignorons, En tout cas, sa trêve de Saint-Jean se permit de la faire et l'on note que, suivant une antique coutume, « on roula les petits enfants sur les reposoirs, car cela leur donnait des forces et les faisait marcher plus vite ».

A cette date, la situation s'aggravait singulièrement. Les Montagnards — parti extrémiste de la Convention — venaient de triompher des Girondins, et leurs chefs : Robespierre, Danton et Marat, étaient devenus les maîtres de la France, Soixante-dix départements s'insurgent à cette nouvelle ; administrations et municipalités protestent contre la proscription des Girondins. Rieux fait partie de ces protestataires.

D'autre part, les Vendéens sont maîtres de la Loire et leur armée marche vers la Vilaine, En même temps, des émissaires royalistes parcourent les campagnes pour entraîner les jeunes gens de la réquisition.

Afin d'empêcher les Chouans du Morbihan de se joindre à ceux de la Vendée, le commandant de Redon prend des mesures. Il poste 600 hommes à Roche-Sauveur et 600 à Redon pour être répartis entre les passages de la Vilaine. Au pays de Rieux, on place « 40 hommes à Cran, port entouré d'habitants suspects, autant à Rieux qui est de même conséquence et de même danger du côté des habitants, rien moins que patriotes : il y existe même une ruine de château de laquelle on peut fusiller les passagers ; Aucfer sur la rivière d'Aoust (Oût) est aussi très important » (Archives départementales, L. 270).

La situation de la France est alors navrante : sur les frontières, ses armées reculent ; à l'intérieur, les provinces sont soulevées ; partout le deuil, la misère, car les vivres sont rares, les loyers hors de prix...

Malgré cela, nos Jacobins ne jugent pas déplacé de fêter la Révolution. A Roche-Sauveur, chef-lieu du district, c'est un citoyen de Rieux, Cornu, qui, au pied de l'Arbre de la Liberté, prononce « un discours plein de feu et d'énergie », note le compte-rendu. Puis un cortège parcourt la ville ; il ne comprend guère que les autorités et les soldats. Pour terminer, Cornu, debout sur l'avant-train d'un canon, harangue de nouveau l'assistance et sa péroraison est saluée par les cris de Vive la République ! Vive la Montagne ! Vivent les Représentants du peuple !

Autre fête le 10 août, anniversaire de la chute du Trône, Lallemand raconte ainsi au département celle de Rieux : « Notre fête s'est exécutée dans le meilleur ordre. Le matin, à 10 heures, nous allâmes dans le temple dédié à notre culte offrir les prémices de cette journée. Nous y entonnâmes le Veni Creator à l'Esprit-Saint pour le prier d'éclairer nos incrédules ; ensuite on chanta une messe. A 2 heures après-midi, tous les Corps constitués se réunirent à la Maison commune, d'où la marche s'ouvrit par l'Hymne à la Liberté que nous chantâmes jusque sur la place où on avait dressé l'Autel de la Patrie. Nous étions précédés par deux vieillards portant sur un brancard orné le Livre sacré de la Constitution soutenu par deux enfants d'une figure superbe. Le dépôt se fit au pied de l'Arbre de la Liberté. Nous saluâmes cet arbre chéri aux cris répétés de Vive la Constitution ! Vive la Montagne ! Et chaque chef des Autorités fit le serment. Puis tout le monde se mit à danser en rond, buvant par entr'acte le nectar des dieux qui coulait à grands flots ».

Après ce lyrisme si comique, Lallemand, dans sa lettre, en vient à une question plus terre à terre, mais aussi plus pratique pour lui.

« Envoyez-moi les affiches pour l'affermage du citoyen de Forges auprès de ma campagne ; cela presse, car les terres n'ont pas été labourées depuis un an ; la lande et les genêts y sont déjà grands ». C'est lui d'ailleurs qui les afferma.

Lallemand intervient encore dans une autre affaire. Les gens, craignant d'être dévalisés, cachaient leurs effets et leurs objets précieux. Le Jacobin accuse les ouvriers de la Poterie d'en être la cause en semant la crainte dans les esprits. Il prie donc les administrateurs de Roche-Sauveur, d'abord, d'arrêter ceux qui seront pris à encaver leurs affaires ; ensuite, leur mande-t-il, « chargez votre pauvre juge de paix et votre piteuse municipalité de faire des perquisitions dans la paroisse, afin d'arrêter les coquins qui agissent en tous sens. Nous pensons que le recteur y est encore et ce coquin de Massonet qui était jeudi à la Poterie, mais que nous avons manqué il y a huit jours passés de vendredy. Ce scélérat va se déguiser et se tiendra avec Guével, le recteur et ses complices. Faites surveiller, agissez : nous vous seconderons » (Archives départementales, L. 1338).

Un peu plus tard, une note de police dénonce d'autres suspects de Rieux et des environs (Archives départementales, L. 267). Elle n'est pas signée, mais quelle perfidie elle dénote avec ses ont dit, il se peut ! Et cependant cela suffisait pour être arrêté, emprisonné et même guillotiné en cette douce époque de liberté et de fraternité ! Oui, Lallemand était vraiment passé maître en cet art !...

 

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V. — TOUJOURS PLUS DE SANG.

Dans ces conditions, est-il étonnant que la révolte grondât dans nos campagnes ? Les Jacobins s'en inquiètent et ils multiplient les garnisons, de Carentoir et Questembert à Roche-Sauveur.

« La garnison de Caden (150 hommes) était chargée de Caden, Gorgon, Allaire, Rieux, Béganne, Limerzel, Malansac. Celle d'Alaire (150 hommes), unie à celle de Caden, surveillait Allaire, Gorgon, Rieux, Béganne, et, avec celle de Peillac, Jagut, Vincent, Perreux et Peillac, etc. ».

Constatons que le mot saint a disparu du langage révolutionnaire. Dans le calendrier, les saints sont remplacés par des animaux, des plantes, etc. : poule (25 mars), cochon (25 novembre), dindon, tanche, grillon, souris, carotte, céleri, navet, ardoise (1er janvier), fumier (28 décembre)... Et voilà ce que l'on qualifiait de Progrès !... Le peuple repoussa d'ailleurs ce tissu d'absurdités, préférant dédier le 25 décembre à Noël plutôt qu'au chien (sympathique pourtant), le 15 août à la Sainte Vierge plutôt qu'au salsifis et à la mâcre.

Même les autorités parlent encore du dimanche et non du décadi, tel le citoyen Guiho, officier public de Rieux, qui, « moyennant 200 livres, s'engage à se trouver le dimanche et le mardi à la maison commune pour enregistrer les actes de l'Etat-civil ».

Afin d'exciter le zèle des garnisons, le général Avril enjoint au Directoire de Redon de choisir Le Batteux en qualité de Commissaire dans la région. L'action de ce sectaire se fait aussitôt sentir et, dès les 8 et 12 octobre, sont arrêtés sur son ordre Joyaut jeune, de la Ricardaie, Lardenoir, notaire à Rieux, et Dayot, ancien sénéchal de Rieux.

Rieux était toujours sans prêtre constitutionnel. Pour un chef-lieu de canton, n'était-ce pas une anomalie ? Le Conseil Général le pensa et, le 21 octobre, il se réunit pour la faire cesser. Etaient présents : Thomas Beuve, maire ; Julien Sérot, Vincent Briend, Yves et Joseph Le Lièvre, officiers municipaux ; Joseph Robert, Julien Jouan, Mathurin et Jean Hidoux, Julien Sérot, du Temple, Pierre Allain, Joseph Sauvourel, Joseph Goupil, Jean Penhaleux, Joseph Chemin, Joachim Evain, Mathurin Maucoueffé, Pierre Noury, notables. Ils élisent curé le citoyen Pichon, curé de Drefféac. Les administrateurs de Redon, « charmés, disent-ils, de voir le zèle que montrent leurs frères de Rieux, appuient le choix qu'ils font du citoyen Pichon, car ce prêtre, vraiment révolutionnaire, les affermira et les gouvernera... » (Archives départementales, L. 857).

On ne vit point à Rieux ledit citoyen Pichon. Quant à ses électeurs, au fond, ils réprouvaient la Constitution civile, mais ils avaient peur, car les Jacobins devenaient de plus en plus sanguinaires. Les représentants du peuple, envoyés dans le Morbihan par le Comité de Robespierre, étaient Prieur de la Marne, et, dans la Loire-Inférieure, Carrier.

A cette date, c'est par charretées que, à Paris, les victimes sont menées à la guillotine ; parmi elles, la reine Marie-Antoinette. Dans les campagnes, la chasse à l'homme s'intensifie, activée par d'infâmes délateurs, comme, au pays de Rieux, Pierre Lallemand et Thomas Chedaleux.

Pour les districts de Roche-Sauveur et Rochefort, Carrier, le 24 novembre, a délégué comme lieutenant avec pleins pouvoirs un homme de passion fougueuse, Le Batteux. En même temps, il lui envoie une petite armée que doit commander le général Avril. A celui-ci Carrier ordonne de porter la terreur et la mort dans le Morbihan. Malgré sa répugnance, Avril obéit.

Devant cette injonction, il écrit au département : « J'ai ordre du Représentant du peuple Carrier de parcourir révolutionnairement les campagnes, afin de les purger des coquins qu'elles contiennent, de tous les scélérats de prêtres et ci-devant nobles, et autres monstres qui souillent la terre sacrée de la liberté. Ils doivent être immolés à la vengeance nationale » (Archives départementales, L. 546 ; L. 269).

Aussitôt Le Batteux et Avril partent en campagne. Leur colonne, connue sous le nom de Colonne infernale, parcourt le pays, semant le meurtre, l'incendie, le pillage. A Rieux et aux environs, des chapelles sont brûlées, des croix sont brisées, des hommes, des femmes, des enfants même, sont fusillés ou égorgés...

C'est dans cette atmosphère de troubles sanglants, de persécution et de misère, que se termine cette année 1793, à jamais mémorable dans notre Histoire par les folies inouïes et les crimes atroces dont elle fut remplie (abbé Henri Le Breton).

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