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LES TROIS FEMMES DU CONNETABLE DE RICHEMONT, ARTHUR III.

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Arthur III de Bretagne, dit le Connétable de Richemont, fils de Jean IV et de Jeanne de Navarre, est né le 24 août 1393 au château de Suscinio (près de Vannes). Il est Connétable de France à partir de 1425 et duc de Bretagne de 1457 à 1458. Il décède le 26 décembre 1458 à Nantes. Marié à trois reprises, il n'a pas de postérité : 1° le 10 octobre 1423 à Dijon, avec Marguerite de Bourgogne, fille de Jean Sans Peur ; 2° le 29 août 1442 à Nérac, avec Jeanne II d'Albret (1425-1444), comtesse de Dreux, fille de Charles II d'Albret et d'Anne d'Armagnac ; 3° le 2 juillet 1446 avec Catherine, fille de Pierre Ier de Luxembourg.

Duc de Bretagne Arthur III, comte de Richemont et épouse de Catherine de Luxembourg

I. Marguerite de Bourgogne, comtesse de Richemont.

Je vais, aujourd'hui, vous parler d'une de celles qui ont joué un rôle important dans l'histoire de France comme dans celle de Bretagne, Marguerite de Bourgogne, dauphine et duchesse de Guyenne, comtesse de Richemont.

Si vous rencontrez, à chaque instant, dans mon récit, le nom du grand connétable qui mit les Anglais hors de France, c'est que, en histoire, plus que dans notre Code civil il est bien difficile de séparer ceux que Dieu à unis.

Jean le Conquérant laissait en mourant, le 2 novembre 1399, ses enfants, encore très jeunes, sous la tutelle de leur mère, Jeanne de Navarre ; absorbée par les préparatifs de son second mariage avec le roi d'Angleterre, la duchesse se débarrassa, le 19 octobre 1402, d'une tâche trop lourde pour son caractère frivole (Cf. Les trois femmes de Jean IV, E. Fonssagrives, 1923), en cédant la garde et tution de ses fils au duc de Bourgogne, leur plus proche parent.

Celui-ci emmena, le 3 décembre 1402, Jean, Artus et Gilles à la cour du roi Charles VI ; Blanche et Marguerite restaient avec leur mère et le petit Richard demeurait à Sucinio, aux bons soins de sa nourrice, Marion du Val.

A Paris, Jean retrouvait la petite princesse, Jeanne de France (Cf. Jeanne de France, E. Fonssagrives, 1921), qui était, au moins de nom, sa femme depuis 1397 ; Gilles s'attachait au dauphin, Louis de Guyenne, alors âgé de cinq ans ; Artus avait pour compagnons de jeux les petits-enfants du duc de Bourgogne, parmi lesquels la plus près de son coeur était Marguerite qui devait, plus tard, unir sa destinée à la sienne.

Après une courte visite en Bourgogne, à la duchesse Marguerite de Flandre, Artus revint à Paris assister au départ de son frère Jean devenu majeur et duc de Bretagne et aux fiançailles de sa petite amie Marguerite avec le dauphin Louis ; il suivit en Flandre le duc Philippe le Hardi rappelé par l'agitation chronique des bourgeois de ce pays.

Surpris par la mort, le 27 avril 1404, à Notre-Dame de Hall, le puissant duc de Bourgogne dont les fils n'avaient rien eu de plus pressé que de courir mettre la main chacun sur son apanage, n'eut pour l'accompagner à sa dernière demeure qu'un enfant de dix ans, Artus cadet de Bretagne qui, couvert d'un long manteau de deuil, suivit le corps de Hall à Arras et Dijon, malgré les fatigues du voyage et la rigueur de la température.

Le nouveau duc, Jean sans Peur, se souciait peu de recueillir le pupille de son père et Artus serait resté sans asile si le duc de Berry, Jean II, n'avait eu pitié de lui et ne luy avoit baillé bonne ordonnance dans sa maison et estat convenable à sa naissance, il le logea à l'Hôtel d'Allègre, rue des Poitevins, puis à l'Hôtel de la Forest, rue de la Harpe. A la cour de ce prince éclairé et ami des arts, il grandit aux côtés de Chartes de Bourbon et de Bernard de la Marche dont l'amitié ne lui fit jamais défaut au cours de sa carrière.

En dépit du deuil encore récent, le mariage de Marguerite de Bourgogne et du dauphin. Louis eut lieu, le 31 août 1404, à Notre-Dame, et feurent les nopces faictes au Louvre ; les jeunes époux s'installèrent à l'Hôtel du Petit Musc ou du Pont Perrin, près de la Bastille ; ce logis devint plus tard le Petit Bourbon.

Ce mariage fut-il heureux ? II est permis d'en douter ; en tous cas, le sort de la dauphine ne fut guère à envier, vous allez pouvoir en juger.

Les guerres civiles qui suivirent le meurtre du duc Louis d'Orléans par son cousin le duc de Bourgogne, la démence du roi, l'inconduite de la reine Ysabeau de Bavière, les terribles émeutes cabochiennes, tout cela m'entraînerait bien au delà des limites qui me sont assignées ; je me bornerai donc à noter au passage les faits où se peuvent apercevoir l'ombre plaintive de la pauvre petite princesse et le profil falot de son très volage époux ne rêvant que fêtes et plaisirs, ballotté dans le remous des partis, servant successivement d'otage à l'un comme à l'autre, portant tantôt la bande rouge d'Armagnac, tantôt le chaperon blanc de son terrible beau-père.

Dans ce désordre universel, les docteurs et les légistes pérorent et jettent de l'huile sur le feu, pendant que les bouchers courent les rues de Paris, assommant sans pitié tous ceux qui leur sont signalés comme partisans du duc d'Orléans, et Dieu sait combien de riches hoiries sont ouvertes, combien de dettes criardes sont éteintes par un cri de : A l'Armagnac ! opportunément proféré.

Ainsi que cela devait se reproduire moins de 400 ans plus tard, les suspects sont arrêtés en masse, les prisonniers sont arrachés à leur cachot et massacrés, la Bastille doit capituler devant les masses populaires ; rien n'y manque, pas même les faux bruits et les calomnies semées on ne sait par qui et qui rencontrent d'autant plus de crédit qu'elles sont anonymes ; on se raconte sous le manteau les orgies scandaleuses qui se passeraient chez le dauphin, et la foule envahit son hôtel de la rue Saint-Antoine.

Le prince est obligé de paraître à une fenêtre et de subir une interminable remontrance du chirurgien Jean de Troyes qui lui enjoint de mener une vie plus régulière, de prendre soin de son âme et de son corps et de livrer les traîtres que l'entourent ; s'il les vouloit bailler il les baillast, sinon, en la présence de son visaige, on les prendroit et les pugniroit selon leur démérite. Passant immédiatement de la menace à l'exécution, la foule empoigna le duc de Bar, le chancelier Vailly, Michelet de Vitry lequel Mme de Guyenne tenoit en ses bras, et une vingtaine d'autres ; pour se faire la main, les émeutiers en égorgèrent trois sur place et emmenèrent le dauphin à l'hôtel Saint-Paul où il fut gardé à vue et où tous ceux qui sortaient de chez lui étaient sévèrement fouillés.

Le 9 mai 1413, le carme Eustache de Pavilly présente au prince une liste de soixante nouveaux suspects, puis, le 18, une autre portant vingt-et-un noms parmi lesquels figurent ceux du frère et du confesseur de la reine, du trésorier du dauphin et d'une douzaine de dames. En vain la reine supplie, malade en péril de mort, en vain le dauphin implore en torchant ses larmes, nous dit Monstrelet, il fallut livrer les proscrits qui furent conduits au Louvre, non sans que les nobles prisonnières aient été irrévérencieusement enfarinées et même un peu battues en chemin ; le premier violon du dauphin, Courtebotte, fut mis en pièces dans l'escalier.

Le 2 juillet, le Bourguignon Jacqueville faisant une ronde entend de la musique chez le dauphin : il monte quatre à quatre, fait taire l'orchestre et cesser la danse et dit brutalement au fils du roi : Vous passez vos nuicts à veiller et vos jours à dormir : avec ce régime vous ne vivrez pas vieux. Le duc de Bourgogne arrivant sur ces entrefaites, son gendre lui reprocha d'être l'instigateur des insultes qu'il ne cessait de recevoir et le menaça de sa vengeance. Le Journal de Paris rapporte que le dauphin ressentit une telle émotion de cette scène qu'il en eu des crachements de sang pendant plusieurs jours.

Une réaction devait fatalement se produire et, lorsque le huchier Cirasse eut osé répondre aux menaces des bouchers : Il y a à Paris autant de frappeurs de cognées que dassommeurs de vaches, Jouvenel des Ursins marcha sur le Louvre, mit en liberté les prisonniers dont l'heure et le mode d'exécution étaient déjà fixés et les portes de la ville furent ouvertes aux princes qui firent leur entrée, le 10 août, sans escorte et au milieu de la joie générale.

Le dauphin ne vit dans cette délivrance qu'un moyen de reprendre sa vie joyeuse, mais le comte d'Armagnac qui avait saisi les rênes du gouvernement n'entendit pas de cette oreille et exigea qu'il jouât sérieusement le rôle auquel l'appelait sa naissance ; le duc de Berry entrant dans ces vues, voulut mettre auprès de lui un compagnon énergique et averti qui put l'amener à prendre la vie au sérieux : il choisit pour cela Artus de Bretagne que Louis prit aussitôt en affection malgré la différence de leurs caractères, mais sans toutefois se plier à ses bons conseils.

Le dauphin n'avait, en ce moment, d'yeux et de pensées que pour une fille d'honneur de la reine, Gerarde Cassinel, dont il portait ouvertement les couleurs et les armes parlantes : un K, un cygne et un L et la pauvre Marguerite délaissée ne pouvait trouver, ni près de son père, ni près de sa belle-mère, le réconfort ni l'appui moral dont elle avait tant besoin.

Gêné dans ses plaisirs et ses amours, le dauphin se considéra comme une victime et écrivit à Jean sans Peur de venir le délivrer : sa lettre parvint à destination mais elle avait été lue en route : le 12 janvier 1414, la reine et la dauphine arrivèrent au Louvre, firent empoigner quelques uns des compagnons de plaisir du prince et ne les relâchèrent, qu'après leur avoir fait jurer de ne plus reparaître auprès du dauphin. Celui-ci n'oublia jamais l'intervention de sa mère et de sa femme dans ses amusements : après plusieurs fugues où Artus fut obligé de servir de médiateur, profitant d'une absence de la reine, le duc de Guyenne apprenant que sa mère avoit grant finance ès hostels de Michaut de Laillier, Guillaume Sanguin et Picquet de la Haye, fist prendre et emporter toute icelle chevance avecques luy en son hostel. C'était bieu la plus cruelle vengeance qu'il put tirer de l'avaricieuse Ysabeau ; la dauphine devait, elle aussi, en subir le contre coup : elle fut éloignée de la reine et Artus reçut l'ordre de la conduire à Saint- Germain en Laye ; cette mesure destinée, disait-on, à assurer sa sécurité, laissait à son mari plus de liberté dans ses frasques amoureuses. Quelques auteurs prêtent gratuitement à Artus, en cette circonstance, un rôle de nature à lui attirer le mépris et la haine de Marguerite de Bourgogne : son mariage ultérieur avec cette princesse prouve que cette assertion, bien contraire à ce que nous savons de son caractère et de ses moeurs, est controuvée.

Quoi qu'il en soit, le 14 août 1415, au moment du débarquement de l’armée anglaise, Artus dut quitter le dauphin, rejoignit les troupes françaises sur la Somme et, après des prodiges de valeur, il tombait, le 25 octobre, sur le champ de Bataille d'Azincourt, la face tellement sillonnée de coups de taille, qu'on ne put le reconnaître qu'aux hermines de sa cotte d'armes.

Ce désastre et la guerre étrangère ne mirent pas fin à la guerre civile: le duc de Bourgogne profitant de ce que le chef du parti Armagnac, le duc Charles d'Orléans, était, comme Artus, prisonnier des Anglais, tenta de ressaisir la direction du royaume et de son gendre qui dut venir, en personne, à Meaux, lui barrer la route et lui interdire d'avancer. Ce sursaut d'énergie devait coûter cher au dauphin Louis, car, quelques jours plus tard, le 18 décembre, il mourait subitement et le parti bourguignon prenant les devants pour ne pas être accusé, s'empressa de faire courir le bruit qu'il avait été empoisonné par les Armagnacs qui n'avaient cependant, en ce moment, aucun intérêt à sa disparition.

Marguerite de Guyenne qui, depuis quelques jours, vivait retirée à Marcoussis, fut réclamée par son père ; elle lui fut rendue mais, le Trésor étant à sec, Charles VI ne put restituer ni sa dot ni ses bijoux. Elle arriva à Dijon, le 2 janvier 1417 ; nous savons peu de chose surs son séjour en Bourgogne où elle dut vivre chichement d'une rente de 1.200 livres que lui servait son père ; le 27 juillet 1417, elle assistait, dans une loge en bois, sur le mur des chartreux, à une prédication de saint Vincent Ferrier ; le 16 janvier 1420, elle se joignait à sa mère, Marguerite de Bavière, et à ses soeurs, Agnès et Aline, pour demander au roi justice contre les assassins de son père, Jean sans Peur.

Pendant ce temps, Artus menait, à la Tour de Londres et à Fotheringay, la vie pénible et monotone des prisonniers ; cependant le meurtre du duc de Bourgogne à Montereau, la capture de Jean V à Chantoceaux, avec l'assentiment plus ou moins tacite du dauphin Charles, et la signature du traité de Troyes, le 20 mai 1420, avaient amené une détente dans les relations anglo-bretonnes : pour l'accentuer, Henry V autorisa son prisonnier à passer en France et en Bretagne, le combla de cadeaux, puis, après entente avec le duc de Bretagne, son souverain, l’emmena au siège de Meaux, en qualité de commandant de sa garde particulière.

C'est sous les murs de cette ville, en janvier 1422, qu'Artus retrouva son ancien ami d'enfance, le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon ; il lui produisit une si bonne impression que le duc l'aima fort et feurent bien accointez et privez ensemble et aussi les gens de Mgr de Bourgogne l'aimoient fort.

Artus lui faisant remarquer l’affection et l'alliance constantes de leurs pays, lui exprima le désir de resserrer encore cette union en épousant une de ses soeurs. Philippe s'en montra joyeux et répondit qu'il avait trois soeurs à marier : Marguerite, Agnès et Anne. La première, veuve du dauphin Louis, était maîtresse de disposer de sa main ; quant aux deux autres, bien qu'Agnès fut déjà promise à Charles de Bourbon, comte de Clermont, et qu'un dédit de cent mille écus eut été stipulé, une somme de cette importance n'était pas pour l'embarrasser et il se faisait fort de leur consentement à l'une ou à l'autre et des deux luy bailler à choisir.

Artus avoua alors que c'était précisement Mme de Guyenne qu'il demandait : il l'avait connue toute petite et avait pu l'apprécier quand il était commensal du dauphin. Le duc lui promit de plaider sa cause auprès de sa soeur si bien qu'il s'en apercevroit. Il lui demanda de lui confier son escuyer pour trencher devant, Raoul Gruel, qu'il emmena avec lui à Dijon. Aussitôt dans cette ville il fit connaître à Marguerite les sentiments qu'elle avait inspirés au comte de Richemont et, après lui avoir laissé le temps de la réflexion, il assembla son conseil pour entendre sa réponse. Mme de Guyenne déclara qu'elle ne vouloit point estre mariée à un prisonnier, mais que quand le roy d'Angleterre le voudroit quitter, elle feroit ce que ses amys luy conseilleroient. Raoul Gruel eut l'occasion de la visiter à plusieurs reprises, parla à elle, et y avoient des gens de Mgr de Bourgogne qui bien désiroient que le mariage s'accomplist. Il revint en Bretagne trouver son maître et luy fist son rapport dont il fut bien content.

La condition essentielle du mariage d'Artus, sa libération, n'allait du reste pas tarder à se réaliser : le roi Henry mourut à Vincennes, dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1422, après avoir renouvelé la défense de jamais relâcher certains prisonniers d'Azincourt qu'il désigna nommément, omettant volontairement d'y comprendre Richemont; celui-ci qui, au moment où la nouvelle de cette mort lui parvint, à Gâvre, en octobre, avait exactement observé jusqu'à la date fixée et au delà les conventions du traité de Corbeil, était fondé à se déclarer entièrement libre, car les promesses qui le liaient jusqu'au 30 septembre 1422, étaient strictement personnelles au roi Henry et devenaient caduques à sa disparition, même si le temps fixé n'avait pas été expiré. Certains auteurs modernes ont cru devoir émettre des doutes sur la correction de cette prétention admise cependant sans conteste par les contemporains meilleurs juges, à mon avis, du droit des gens de leur temp s; aucune trace d'une protestation contre la libération d'Artus ne se retrouve dans les recueils des actes publics d'Angleterre qui fourmilleraient de réclamations indignées si le moindre doute eut été possible ; Bedford lui-même resta muet ; il est plus que probable qu'il fit la grimace en voyant Richemont recouvrer sa liberté et qu'il regretta de ne pas l'avoir eu sous la main en temps utile, mais il n'en laissa rien paraître ; peut-être pensa-t-il que l'alliance avec Jean V et Philippe le Bon valait mieux que la rançon d'un cadet de Bretagne. Au courant, du reste, des pourparlers du mariage de Mme de Guyenne et songeant à demander pour lui-même la main d'Anne de Bourgogne, il était intéressé à ménager un futur beau-frère par qui il comptait bien tenir les ducs de Bretagne et de Bourgogne.

Les Etats de Bretagne réunis à Dinan favorisaient, peut-être inconsciemment, les désirs du frère de leur duc ; ils le chargèrent à la fin de décembre 1422, de se rendre auprès du duc de Bourgogne pour travailler, de concert avec le légat du Pape, au rétablissement de la paix générale, pensans que plus plaisant oeuvre ne plus agréable à Dieu ne pourroit estre faict que de labourer à trouver moyen et matière d'appaisement des dictes guerres et divisions. Le duc Jean se serait volontiers chargé de la commission, mais, de crainte de complications en son absence, les Etats le supplièrent qu'il luy pleust, pour le présent, demourer en son pays et faire procéder ès cas dessus dicts par mondict seigneur de Richemont ou par aultres ambaxeurs.

Artus s'en alla donc chez son cousin de Bourgogne duquel il fut très agréablement recueilly et, durant ce séjour, fut faict, ou du moins décidé, le mariage de luy et de la vefve du feu duc de Guyenne.

Lorsqu'il revint rendre compte de sa mission, il fit part à son frère du désir exprimé par Philippe d'avoir une entrevue avec lui, à Amiens, au moment des fêtes de Pâques. De son côté, Bedford rappelait à Jean, par lettre du 12 février 1423, la promesse qu'il lui avait faite de venir délibérer avec lui, à Paris, sur les affaires du royaume. Les Etats de Bretagne continuaient à s'opposer au départ de leur souverain, mais la présence de Jean à Amiens semblait indispensable ; il fut donc passé outre, et, dès la fête de Pâques qui, cette année, était le 4 avril, le duc et son frère se mirent en route avec, une escorte de 180 lances sous le commandement de Guillaume Giffard ; ce déploiement de forces d'un millier d'hommes n'était pas superflu, quelques trêves qui feussent lors et malgré les saufs conduits délivrés par le régent d'Angreterre.

A la frontière de Normandie, Bedford, dont, nous dit Gruel, on se fust bien passé, qui eust peu, se rencontra, comme par hasard ; il venait, dit-il, à la rencontre des princes bretons, renouvela les ordres donnés pour leur sécurité et pour qu'ils fussent, en route, largement défrayés de tout et les fit escorter jusqu'à Amiens où il devait les rejoindre quelques jours plus tard. Les voyageurs arrivèrent à Rouen, le 7 avril, et à Amiens, le 12.

Mme de Guyenne à qui les princes apportaient de riches cadeaux affirma son consentement en remettant à son futur mari un diamant de grande valeur.

Le contrat fut signé, le 14 avril : il contenait les stipulations suivantes : la Bourgogne reviendrait à Marguerite si son frère mourait sans postérité ; dans le cas contraire, Philippe s'engageait à léguer à sa mort 100.000 livres à Marguerite ou à Artus ; dès la célébration du mariage, la rente de 1.200 livres faite par Jean sans Peur et continuée par son fils était remplacée par une rente de 600 livres gagée sur les ville, château et chatellenie de Montbard, en attendant qu'il soit possible de l'asseoir sur des terres de même revenu en France. Marguerite renonçait à l'héritage de ses père et mère et à tout ce que lui avait été promis au moment de son premier mariage et ne lui avait pas été remis ; elle réservait ses droits sur la moitié des biens meubles du feu duc de Guyenne et sur son douaire de dauphine ; enfin, conservaitson titre de Mme de Guyenne, pour ne pas sembler déchoir en devenant comtesse de Richemont après avoir été un moment héritière de la couronne de France.

Artus, de son côté, était dans unè assez brillante situation de fortune : outre les 5.000 livres de rente sur Montfort l'Amaury qui lui étaient échues en partage, il possédait 3.000 livres de rente sur les terres confisquées aux Penthièvre, le Goëllo et Gâvres, sans compter des droits plus incertains sur le duché de Touraine, le comté d'Ivry, Richemont et Parthenai.

Jean et Philippe donnèrent ensuite leur consentement officiel au mariage et, quand Bedford fut arrivé, les trois ducs signèrent, le 17 avril, un traité d'alliance et de confédération que les Etats de Bretagne refusèrent d'ailleurs de ratifier ; puis, sous l'escorte de Bedford qui avait obtenu sans difficulté la main d'Anne de Bourgogne, Jean de Bretagne revint dans ses états, muni, par les soins du régent, d'une somme de 6.000 livres, à titre de frais de route.

Artus demeura auprès de sa fiancée ; il fit même avec elle un petit voyage en Flandre dans les circonstances suivantes : une aventurière échappée d'un couvent de Cologne s'était présentée aux Gantois comme étant Marguerite de Bourgogne et avait réclamé leur secours pour empêcher le duc son frère de la contraindre à se mésallier en épousant le cadet de Bretagne ; les Gantois s'étaient apitoyés sur son sort, l'avaient prise sous leur protection, et il ne fallut rien moins que la présence de la véritable fiancée d'Artois et son affirmation que le mariage se faisait avec son libre consentement, pour les tirer de leur erreur. L'Allemande, bien et dûment fustigée, fut renvoyée à son couvent et les princes purent revenir à Arras reprendre les fêtes un instant interrompues.

Philippe emmena aussi son futur beau-frère à Paris où ils furent reçus par le régent et la reine Ysabeau, puis ils regagnèrent Dijon à petites journées.

Le 2 octobre 1423, la cérémonie des fiançailles par paroles de présent eurent lieu à la chapelle du logis ducal, où, huit jours après, l'archevêque de Besançon célébra, devant toute la noblesse de Bourgogne le mariage de Mme de Guyenne et d'Artus, fils de duc de Bretagne, comte de Montfort et d'Ivry et duc de Touraine (les titres bretons du comte de Richemont, seigneur de Gâvres, de Goëllo et autres lieux, étaient passés sous silence), et Dieu sçait dit Gruel, les festes et les joutes qui y feurent et la grant chère.

Les nouveaux époux, après quelques jours passés auprès de la duchesse-mère, allèrent s'installer à Montbard et y feurent un peu de temps ; ils en sortirent cependant pour assister tous les deux, à Châlons, du 1er au 20 décembre, avec le duc de Savoie, à des conférences pour la paix.

Pour les empêcher de trop s'absorber dans le tête à tête de la lune de miel, le duc les comblait de petits cadeaux : le 2 novembre, c'étaient dix queues de son vin de Beaune ; le 23 janvier 1424, il versait un petit acompte de 300 francs sur les 1.700 restons à faire de 2.000 qu'il donna pieça à Mme de Guyenne pour emmenager ; c'étaient ensuite des tas de paperasses au sujet de la dot convenue mais sujette à de continuelles modifications et à des stipulations additionnelles ; le 23 octobre Artus devait s'engager, ainsi que sa femme, à se dessaisir de Montbard à la première réquisition et contre compensation ; par contre, Gié-sur-Seine, Crusi, Laingnes et Grisolles leur étaient donnés dans les mêmes conditions que Montbard ; le 9 novembre, le comté de Tonnerre, Poilly, Arnay-le-Duc et une série de petites chatellenies étaient adjointes à ces libéralités. Toutes ces terres firent retour, le 15 février 1425, au duc de Bourgogne qui se trouvait enfin en mesure de verser la rente de 6.000 livres.

Marguerite qui venait de perdre sa mère, le 23 janvier 1424, demeurait à Montbard pendant que son mari suivait Philippe dans ses déplacements et lui servait d'agent de liaison avec le duc de Savoie, le cardinal de Sainte-Croix, légat du pape, la reine de Sicile, le duc de Bretagne en un mot, tous ceux que travaillaient à la réconciliation entre France et Bourgogne. Au cours d'un de ces voyages, en juin 1424, une grave discussion entre Artus et Bedford mécontent d'un accord passé à Nantes entre Charles VII et Jean. V, dégénéra en pugilat : Fenin nous assure qu'ils olrent aucun estri de paroles où l'en dict que ledict duc luy donna une buffe qui décida le prince breton à rompre définitivement avec les Anglais, malgré les cadeaux dont le combla, un peu tardivement, le régent. Après une visite à Montbard où sa femme était en sûreté, il passa en Bretagne, mais ne voulant pas se mettre ès périls des Anglois, il envoya ses gens par la Normandie, sous la conduite de Beaumanoir, avec mission de semer sur la route le bruit qu'il les suivait à petite distance, et s'embarquant dans un port de Flandre, il aborda à Saint-Malo d'où il gagna Vannes.

La reine de Sicile, Yolande d'Aragon, outrée de voir les Anglais confisquer d'un coup de plume, bien platoniquement du reste, l'Anjou et le Maine, profita du brutal coup de poing de Bedford pour attirer Artus au parti français en lui faisant offrir l'épée de connétable devenue vacante par la mort, à Verneuil, du comte de Buchan ; mais le roi était entouré de tous ceux qui avaient trempé dans le meurtre de Montereau etail bien difficile au gendre de la victime de venir vivre au milieu d'eux : Artus posa des conditions et demanda à consulter les ducs de Bretagne, de Bourgogne et de Savoie.

A cet effet, il alla rejoindre Mme de Guyenne à Moulins-Engilbert où Philippe, veuf de Michelle de France depuis le 8 juillet 1422, épousait Bonne d'Artois. Il tombait à pic : le duc furieux des aventures de Glocester avec Jacqueline de Hainaut et de la politique tortueuse et cassante de Bedford, consentit à tout ce qu'on voulut. Après avoir assisté avec sa femme, le 15 décembre 1324, à l'entrée à Dijon de la nouvelle duchesse, Artus se rendit à Montluel où le duc de Savoie l'encouragea à accepter l'offre du roi, puis il revint à Redon prendre l'assentiment de son frère et, le 7 mars 1425, dans la prée de Chinon, il reçut l'épée de connétable des mains du roi ; le lendemain, les coupables présumés du meurtre de Jean sans Peur quittaient la cour, du moins en apparence.

Malheureusement, les absents ont toujours tort : pendant que, afin de remplir les devoirs de sa charge, Artus était allé en Bretagne pour lever des troupes et organiser la milice de ce pays, Louvet, le président de Provence, chambrait le roi et, lorsque le connétable revint, il dut courir après le souverain qui fuyait devant lui d'étape en étape, s'évertuant à conserver le jour d'avance qu'il avait sur lui.

Enfin, après avoir échappé à une tentative d'assassinat, Artus parvint, le 24 mai 1426, jusqu'à Bourges où il fut bien accueilli par la population et où, le 5 juin, Mme de Guyenne vint le retrouver et lui apporter l'appui de l'autorité que lui donnaient sa haute naissance et son titre de dauphine-douairière.

Louvet fut obligé de céder, mais, en s'éloignant, il mit auprès du roi une de ses créatures, le sire de Giac, qui ne valait pas mieux que lui et qui réussit à retarder jusqu'au 10 juillet la rentrée en grâce provisoire du connétable ; à cette occasion, Mme de Guyenne qui, dès le 9 mars, avait reçu Chinon pour y faire sa demeure, et qui n'avait pas encore réussi à en prendre possession, s'y installa et put également jouir de Montargis, Gien-sur-Loire, Dun-le-Roy et Fontenay-le- Comte, à titre de douaire de son premier mariage.

Après avoir garny les frontières, le connétable s'occupa activement de ramener Jean V au parti français et, le 26 septembre 1425, il décida le roi à quitter Poitiers pour rencontrer le duc à Saumur.

Charles VII voyageant trop lentement à son gré, Artus le quitta dès la première étape et vint, après une course de quinze lieues, coucher à Chinon d'où, menant avec lui Mme de Guyenne, il alla demander pour elle l'hospitalité à Jean du Bellay, abbé de Saint Florent le Jeune lez Saumur ; le lendemain, il courut à Angers et en ramena à Saint Florent le duc et une moult belle compaignée de prélatz, barons et nobles hommes de Bretaigne qui trop long seroient à nommer. Le duc y rendit visite à sa belle-soeur qu'il n'avait pas revue depuis ses fiançailles ; ils s'entrefeirent si grant chère que homme ne sçauroit penser et après avoir communiqué quelque peu avecques les dames, il se rendit à Saumur où il jugea prudent de laisser la Loire entre lui et son beau-frère et s'installa à la Croix Verte, là où se trouve actuellement la gare.

Le mardi, 2 octobre, le duc retourna voir Mme de Guyenne et l'amena saluer le roi au château de Saumur ; le duc de Bourbon et plusieurs grands seigneurs vinrent à sa rencontre ; la reine de Sicile l'attendait bien avant en la court du chasteau si s'entrefeirent grant chère et feurent assez long temps en prière à qui iroit devant : elles finirent par monter côte à côte jusqu'à la grand'salle où se trouvait le roi qui s'avança bien près de l'huis et luy feit grant chère et feurent assez long temps à deviser. Mme de Guyenne fut ensuite reconduite à Saint Florent par les seigneurs français. Le lendemain, elle reçut à son tour le roi, le duc et Monseigneur de Bourbon à l'abbaye et dansèrent dedans le cloistre et feirent grant chère et puis s'en retournèrent.

A la suite de ces fêtes, fut planté, par le traité de Saumur, le premier jalon sérieux de la réconciliation des deux branches de la Maison de France, mais avant que cette oeuvre capitale fut accomplie, les mauvais conseillers du roi devaient créer bien des difficultés. A Giac empoigné à Issoudun, cousu dans un sac et jeté à l'eau à Dun-le-Roy, à Beaulieu dagué en présence de Charles VII, avait succédé Georges de la Trimouille qui, jaloux des succès de son ancien chef et dressé contre lui par des questions de mur mitoyen, sut jouer habilement des hésitations de Jean V entre l'alliance française et l'alliance anglaise et du trouble apporté aux plaisirs et à la nonchalance du roi par le caractère entier et énergique du connétable, pour représenter comme une conspiration contre l'autorité royale une entrevue entre Richemont et ses amis, les comtes de Clermont et de Pardiac, et fit défendre de par le roy que homme ne fust si hardy de les mettre en ville ne chasteau, ny de leur faire ouverture en nulle place que ce fust.

Repoussé de Chatellerault, Richemont ne voulut pas donner aux Anglais l'avantage qu'ils espéraient retirer d'une rebellion de sa part : il céda, confia sa femme et la place de Chinon au capitaine Guillaume Bélier à qui il croyait pouvoir se fier et se rendit, au commencement de novembre 1427, à Parthenai qu'il venait d'hériter de Jean l'Archevêque. La Trimouille le poursuivit dans sa retraite du Poitou et, nous dit Gruel, eut mondict seigneur de grandes brouilleries et guerres particulières avec les gens de La Trimouille et Jehan de la Roche et leurs alliés, en beaucoup de manières.

Le 12 mars 1422, le roi parut devant Chinon, à la tête de 3000 Ecossais : Guillaume Bélier n'osa lui résister et ouvrit ses portes. Mme de Guyenne qui eut grant peur d'estre maltraictée, se présenta à Charles VII et lui demanda si elle devait se considérer comme prisonnière ; le roy luy tint, à elle et à ses gens, bons termes et luy offrit qu'elle demourast à Chinon ou en quelque aultre place du royaulme qu'elle vouldroit, à condition qu'elle renonçat à revoir le connétable. La princesse refusa de demeurer en ung lieu où elle ne peust veoir Monseigneur son mary ; en vain le roi essaya-t-il de la faire endoctriner par l'archevêque de Reims, Marguerite opposa une fin de non recevoir absolue aux arguments de Regnault de Chartres ; elle finit par obtenir l'autorisation d'aller retrouver Artus qui se trouvait le 18 mars, à Fontenay-le-Comte ; elle passa par Saumur et Thouars, sous la protection des Ecossais qui vinrent se mettre spontanément à sa disposition, rejoignit son mari à Partenai, en feut grandement receue et feurent long temps ensemble audict lieu de Parthenai.

Pendant ces lamentables querelles, les Anglais avaient beau jeu pour tenter un effort décisif contre un roi sans royaume, sans armée, sans général, sans énergie et sans le sou : Salisbury, après avoir enlevé toutes les places de la Beauce, venait de mettre le siège devant Orléans. Je vous ai conté jadis (Cf. Jeanne d'Arc et Richemont, E. Fonssagrives 1920) comment, à la nouvelle qu'il venoit une pucele par devers le roy, laquelle se faisoit forte de faire lever le siège et qui tint parole, Richemont, passant outre aux défenses royales, rejoignit Jeanne d'Arc et prit une part prépondérante à la victoire de Patay. Après ce haut fait, et malgré l'intercession de Jeanne, il reçut l'ordre sec de retourner en sa maison et, en route, on luy ferma toutes les villes et passages et lui feirent tous du pis qu'ils peurent, parce qu'il avoit faict tout le mieulx qu'il avoit peu.

Tous les moyens étaient bons pour l'indigne favori : en retournant chez lui, Artus faillit être assassiné par un Picard à la solde de La Trimouille ; au commencement de l'année suivante, il reçut de ce dernier une invitation a une rencontre pacifique entre Poitiers et Parthenai, mais, au dernier moment, il feut adverty qu'on luy debvoit faire une méchante trahison et feut la chose rompeue. Il envoya cependant à la cour trois de ses amis qui furent arrêtés, emprisonnés et condamnés, à mort ; l'un d'eux Louis d'Amboise, vit sa peine commuée en détention : sa femme, Marie de Rieux, et sa fille, Françoise d'Amboise, expulsées de Thouars, supplièrent le connétable de les protéger comme ses povres parentes à qui on faisoit si grand tort ; elles furent accueillies à Parthenai et y demeurèrent jusqu'au mariage de Françoise avec Pierre de Bretagne, neveu et héritier du connétable.

Pendant que la Trimouille lançait les troupes royales contre son ennemi personnel et que les gens d'armes de France guerroyaient contre leur général, les Anglais brûlaient Jeanne d'Arc sans qu'une protestation s'élevât du côté français : on avait bien autre chose à faire.

Enfin, ayant vent que Bedford et le duc de Bourgogne faisaient à Artus les offres les plus tentantes dont l'une des moindres était la propriété de tous les biens favori en Poitou, la Trimouille comprit qu'il avait été un peu loin : par, un accord signé à Rennes, le 5 mars 1432, il faisait rapporter toutes les mesures prises contre le connétable, sauf celle qui l'éloignait du roi ; cet accord, du reste, n'empêchait pas Richemont d'avoir à lutter avec Jean de la Roche, en Poitou, et Rodrigue de Villandrando lâché par la Trimouille contre les princes angevins ; il s'efforçait, en même temps, de hâter par tous les moyens posibles la paix entre le roi et le duc de Bourgogne.

Pour arriver à ce résultat, il fallait la chute du favori qui, en ce moment, excitat le sire de Chateauvillain à créer des ennuis à Philippe le Bon. La prise par les Anglais, en août 1432, de Montargis que la Trimouille, qui savait cependant si bien trouver les troupes pour combattre contre ses ennemis personnels, avait négligé de défendre puisque cette place devait être restituée à Richemont, fit éclater l'indignation générale : à la fin de juin 1433, Georges de la Trimouille enlevé pendant la nuit, à Chinon, au Logis du Coudray, fut gratifié par Rostrenen d'un coup de dague qui ne mit pas ses jours en danger et enfermé au château de Montrésor.

Charles d'Anjou, comte du Maine, lui succéda dans la confiance de Charles VII et Richemont qui s'était abstenu de prendre part en personne au coup de main du Coudray, put reparaître à la tête de l'armée ; son succès de Sillé le Guillaume, le 7 mars 1434, lui rouvrit les portes de la cour.

Pendant ses continuelles absences pour le service du roi, Mme de Guyenne habitait toujours Parthenai où la triple enceinte du château et de la ville lui assurait une complète sécurité. Elle y entretenait une suite brillante de dames et de demoiselles d'honneur, d'officiers et de serviteurs de toute sorte dont les comptes de Robin Denisot nous donnent la longue liste et les emplois ; Michel Beaudouin, dit de Parthenai, était chargé de la garde et de la défense de la chatellenie.

Dans sa retraite, elle s'occupgit de la grande cause de la réconciliation, par l'entremise du connétable, de son frère, le duc de Bourgogne, avec son beau-frère, Charles VII, et était ainsi l'artisane de la renaissance française par l'union de toutes les branches de la famille royale. Son rôle actif et persévérant, bien qu'effacé, ne semble pas avoir été compris, ou même remarqué, par la plupart des historiens.

Elle éleva, en mémoire de son père, Jean sans Peur, un autel de Saint Jean-Baptiste à l'église Sainte Croix de Parthenai et y fonda 30 livres de rente pour la célébration de trois messes par semaine.

Au début de 1435, le duc de Bourgogne, pressé par son beau-frère, peu aidé et même desservi par ses alliés d'outre-Manche qui s'occupaient surtout de leurs intérêts propres, décida la réunion d'une assemblée à Nevers, le 20 janvier ; il y fut annoncé que des conférences définitives pour la paix s'ouvriraient, le 1er juillet, Arras ; que, d'ici là, le roi de France ferait au roi d'Angleterre des offres raisonnables ; si elles étaient repoussées, le duc ferait, son honneur sauf, tout son possible pour s'entendre avec Charles VII. Artus alla à Tours rendre compte de ce qui était convenu : le ro lui en témoigna sa satisfaction en lui confirmant de nouveau la possession de Parthenai et de ses dépendances.

Après quelques jours de repos auprès de sa femme, Artus retourna en Normandie pousser, tout en négociant toujours, la guerre contre les Anglais ; il était cependant, en mai, à Parthenai où les reines de France et de Sicile venait visiter Mme de Guyenne. C'est de là qu'il se rendit à Arras où, après bien des démarches et des discours et malgré la mauvaise foi des Anglais qui étaient représentés aux conférences et ne cessaient de soulever des difficultés, il réussit à faire signer, le 20 septembre 1435, le traité dû à son habileté et à sa ténacité, consacrant la réconciliation de tous les princes de la Maison de France.

Les Anglais furieux de ce qu'ils appelaient la trahison du duc de Bourgogne, redoublèrent d'efforts pour mener à bonne fin la conquête de la France, mais Richemont réussit, avec l'aide des bourgeois de Paris, à entrer, le 13 avril 1436, presque sans coup férir, dans la capitale d'où il chassa ceux qui, depuis quatorze ans, la terrorisaient. Il alla loger à l'hôtel du Porc Epic, grand logis situé entre la rue Percée et la rue de Jouy, construit par le prévôt des marchands, Hugues Aubriot, et dont les ducs d'Orléans et de Berry et Jean de Montaigu avaient été successivement le propriétaires ; son Logis d'Allègre, rue des Poitevins, avait été confisqué par les Anglais, donné par eux au comte de Suffolk et était inhabitable.

Le roi, peu pressé de faire son entrée dans une ville que lui avait laissé bien des mauvais souvenirs, ordonna au connétable de s'y installer et de l'y représénter : celui-ci se rendit d'abord à Parthenai inviter Mme de Guyenne à venir occuper avec lui leur nouvelle résidence et lui donna rendez-vous à Poitiers où le Parlement, la Cour des Comptes et celle des Monnaies devaient s'assembler pour aller en corps reprendre leur ancien siège à Paris. Le 23 novembre, sous la conduite du connétable et du chancelier, Mme de Guyenne, les magistrats et leur famille firent leur entrée dans la capitale ; le lendemain, Mme de Guyenne était solennellement reçue à Notre-Dame par l'évêque et les chanoines et, le 1er décembre, elle assistait avec son mari, à la Sainte-Chapelle, à la messe d'installation du Parlement.

L'obligation de résider à Paris n'empêchait pas le connétable de faire de fréquentes sorties pour nettoyer les villes entre Seine et Oise des bandes anglaises qui s'y cramponnaient, pour réchauffer le zèle du duc de Bourgogne ou négocier la libération du roi René et du duc d'Orléans. Quand il revenait à son poste, c'était pour prendre des mesures sévères pour faire avorter des complots tendant à introduire les Anglais par les catacombes et pour faire exécuter les traîtres avec cette rigueur inflexible qui lui valut son surnom de Justicier. En son absence, sa femme le suppléait de son mieux, imitant sa vigilance et tempérant par une note de douceur les arrêts un peu rudes du connétable, d'Ambroise de Loré et de Tristan L’Hermite ; c'est ainsi que, le 23 avril 1438, elle obtenait l'élargissement de l'évêque de Langres détenu à la conciergerie pour je ne sais quelle cause. Sous la direction de son aumônier, maîitre Vincent de Crosses, elle s'adonnait, tout en tenant son rang et en accomplissant rigoureusement, ses devoirs d'état, aux oeuvres de piété et de charité et y consacrait une notable partie de ses revenus personnels.

Après la prise de Montereau à laquelle il avait vaillamment contribué de sa personne, le roi se décida enfin, le 12 novembre, à faire son entrée à Paris : les chroniques nous en décrivent le somptueux apparat ; le connétable, couvert, par desus son armure plate, d'une cotte d'hermines, portait l'épée insigne de sa haute fonction. A la Porte Saint-Denis, se trouvait le Corps de ville dont quelques membres avaient, moins de six ans auparavant, accompli le même geste rituel à l'entrée à Paris du roi d'Angleterre. Michel de Laillier, le prévôt des marchands, présenta les clefs de la ville à Charles VII qui les remit immédiatement à celui qui lui avait rendu sa capitale.

Le roi recut Mme de Guyenne, lui témoigna une affection à laquelle il ne l'avait pas habituée et la combla de cadeaux ; il lui restitua Gien et lui donna Sainte-Menehould qu'Artus avait conquise l'année précédente, comme compensation à Dun-le-Roi réuni à la couronne et à Montargis encore aux mains des Anglais et comme récompense des éminents services de son mari.

Charles VII ne resta pas longtemps à Paris : le froid, la famine et l'épidémie l'en chassèrent, le 3 décembre ; Mme de Guyenne resta à son poste pendant tout l'épouvantable hiver de 1337, où, nous dit le bourgeois de Paris, les malheureux n'avait pour vivre que des épluchures de navets et des trognons de choux et où toute nuict et tout jour crioient petits enfans et femmes et hommes : Je meur, doulx dieux ! Je meur de faim et de froid ! Le connétable, pendant pendant ce temps, luttait, avec des moyens ridiculement réduits, contre les Anglais et contre les capitaines du roi qui, à la tête de leurs bandes d'écorcheurs, se payaient sur les paysans et les bourgeois de la solde que Charles était incapable de leur fournir.

La peste s'étant mise de la partie, Artus vint chercher sa femme pour la mettre à l'abri de la contagion : Chabannes leur refusa l'entrée du château de Vincennes ; il fallut amener du canon pour décider les routiers de Beaulté sur Marne à ouvrir leurs portes et à se rendre à merci ; ils furent conduits à Paris tous liez en ung chariot et le cordel au col, mais la bonne Mme de Guyenne, oublieuse de leur outrage, supplia Artus de leur laisser la vie sauve. Elle fut errante entre Sainte-Maure, le Pont de Charonton et Bray sur Seine, jusqu'au 26 décembre 1438, date à laquelle la fin de l'épidémie lui permit de rentrer au Porc Epic.

Elle ne devait plus revoir son mari qu'à quelques rares et bien courtes occasions, quand, au cours de ses luttes contre les Anglais qui osaient pousser leurs pointes jusque sous les murs de Paris, de ses efforts contre l'indiscipline des capitaines ou contre la Praguerie des grands seigneurs, il revenait vainqueur de Meaux, de Saint-Germain en Laye, de Saint-Maixent ou de Pontoise, et venait réclamer de nouveaux subsides des Parisiens.

A partir de sa rentrée à Paris, Mme de Guyenne fut continuellement malade : durant laquelle maladie, nous dit Le Baud, elle faisoit merveilleuses complaintes des grans pompes, oultraigeus et excessifs estats où elle s'estoit, en son temps, délictée, et s'en repentoit, pleurant moult tendrement.

En janvier 1442, son état empira tout d'un coup ; le 14, enferme de corps et saine de pensée, ayant bon et vray entendement, elle fit son testament, élisant pour lieu de sépulture l'église de Notre-Dame des Carmes de Paris, et ordonnant que son coeur fut porté à Notre-Dame de Liesse et mis dans un tombeau sur lequel serait faicte la ressemblance d'elle, laquelle tiendra ung coeur représentant le sien, à deux mains, en manière qu'elle l'offre à Nostre-Dame. Tous les détails ses obsèques y sont minutieusement réglés : elle désigne ses éxécuteurs testamentaire, les prie d'acquitter ses dettes, même celles douteuses, énumère les prières à dire à son intention, les aumônes à faire et la longue liste de ses serviteurs à qui elle lègue ses vêtements, ses bijoux et des sommes souvent considérables.

Le 31 janvier, elle complète ses volontés en léguant à Jehan des Noyers, le fils de sa lavandière, qu'elle avait oublié dans son testament, 25 livres tournois pour aller à l’escole.

Trois jours après, le jour de la Purification, elle rendit pieusement son âme à Dieu, en son Logis du Porc Epic, après avoir reçu les sacrements moult dévotement, comme bonne catholique ; elle fut, à grant congrégation de gens, tant d'église que séculières, portée à Nostre-Dame du Carme où elle fut honorablement ensépulturée.

Artus n'assista pas aux derniers moments de Madame de Guyenne : il se trouvait en Bretagne où il s'occupait, le 11 janvier, du partage éventuel de ses biens entre les fils de son frère Jean V, s'il venait à mourir sans postérité. Le duc informé de la mort de sa belle-soeur ainsi que tous les gens du connétable, crut devoir attendre pour annoncer cette triste nouvelle à son frère qu'il fut revenu à Parthenai.

Artus en ressentit une vive douleur : c'était l'amie d'enfance, celle vers qui allaient ses rêves de jeunesse, la collaboratrice, la confidente et la consolatrice de tous les moments qui le quittait : il se remaria, il est vrai, deux fois, mais il garda toujours un profond souvenir de Marguerite.

Après avoir fait célébrer pour elle un service à Sainte-Croix de Parthenai, il lui fit, selon sa volonté, élever chez les Carmes de la place Maubert, du côté de l'Evangile, un tombeau couvert d'une plaque de cuivre sur laquelle on lisait : CY. GIST. TRES. HAULTE. ET. PUISSANTE. PRINCESSE. MADAME. MARGUERITE. DE. BOURGONGNE. LADIS. FEMME. DE. FEU. MONSIEUR. LE. DUC. DE. GUYENNE. AISNE. FILS. DU. ROY. DE FRANCE. ET. APRES. FEMME. DE. TRES. HAULT. ET. TRES. PUISSANT. PRINCE. MONSIEUR. ARTHUS. FILS. DE. DUC. DE. BRETAIGNE. CONTE. DE. RICHEMONT. SEIGNEUR. DE. PERENNAY. (Sic). CONNESTABLE. DE. FRANCE. LAQUELLE. TRESPASSA. A. PARIS. LE. 2e. IOUR. DE. FEBVRIER. L'AN. 1441. (1442. N. S.).

L'église des Carmes fut saccagée et démolie pendant la révolution, les tombes violées, la poussière sacrée des morts jetée au vent et, sur l'emplacement où la princesse avait rêvé de dormir son dernier sommeil dans le recueillement et le parfum de l'encens, règnent actuellement, le tumulte et les odeurs du marché couvert de la place Maubert.

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II. Jeanne d'Albret, Comtesse de Richemont.

Après la mort de Marguerite de Bourgogne, le connétable de Richemont abrita quelque temps sa douleur dans son château de Parthenai, seul reste, avec Fontenay le Comte, des vastes possessions du Poitou retournées à la couronne et données par le roi à Charles du Maine en même temps que Gien et Montargis étaient offerts par lui à la reine Marie d'Anjou.

Il s'occupait activement, avec l'aide d'un maitre maçon de Luçon, nommé Jean Berthelot, de réparer les défenses de la ville, le château et les immeubles qu'il avait acquis à Parthenai, lorsque, vers la fin d'avril, le roi qui venait de purger le Poitou, l'Angoumois, l'Aunis et la Saintonge des derniers débris de la Praguerie, lui envoya l'ordre de venir le trouver à Limoges. Voici ce qui s'était passé : Charles II d'Albret, l'un des signataires de la Ligue d'Aire formée, en novembre 1418, entre les principaux seigneurs de la Gascogne dans le but de mettre le Midi à l'abri des maux que les Anglo-Bourguignons faisaient peser sur les pays d'outre-Loire, avait eu, à plusieurs reprises, a lutter, avec des chances diverses, contre les attaques des Anglais maîtres de la Guyenne ; sa ville de Tartas, délivrée vers 1440, avait, depuis sept mois, à essuyer les assauts du Sénéchal de Bordeaux, Huntingdon, et de Jean IV de Grailly captal de Buch, qui l'assiégeaient avec un corps important de la milice de Guyenne. Charles d'Albret qui s'était enfermé dans la place, pressé par la famine, avait demandé et obtenu, le 20 janvier 1442, suivant une coutume assez généralement observée à cette époque, une composition aux termes de laquelle une trêve lui était accordée à condition qu'il s'engageât à rendre la ville si, le 25 juin, les Français ne s'étaient pas présentés en force pour la secourir ; il avait dû donner en otage, comme garant de cette composition, son fils Jean vicomte de Tartas.

Le roi de France dont il implora l'intervention fit, de Saumur, savoir aux Anglais qu'il serait à Tartas, le 1er mai ; sur leur demande cet ajournement fût reporté au 24 juin.

Le temps pressait, car il n'était pas facile de rassembler les bandes indisciplinées d'écorcheurs disséminées sur tout le territoire dépendant du roi et ne consentant à s'unir que dans l'espoir du butin.

Le connétable eut préféré retourner dans son gouvernement encore bien imparfaitement pacifié, de l'Isle de France, mais il finit par se laisser persuader de suivre le roi dans le Midi. Il fut convenu entre eux de se rendre à Toulouse par des chemins différents, le roi par le Rouergue, Artus par l'Auvergne, chacun donnant un coup de rateau aux gens de guerre qui se trouveraient sur sa route.

A Toulouse, il fallut perdre quinze jours pour faire passer les gens d'armes et attendre ceux qui n'estoient pas encore venus, avant de gagner Mont-de-Marsan en plusieurs colonnes pour faciliter le ravitaillement. Enfin, le 22 juin, la plus belle armée qu'ait eue depuis longtemps le roi de France à sa disposition, au nombre, d'après Monstrelet, de 80.000 chevaux, mais de peu de gens de trait, vint coucher autour de Meilhan et se rangea, le lendemain, au petit jour, en bataille devant Tartas ; les Anglais n'osèrent pas se présenter et les otages furent rendus.

Les sièges de Saint-Sever et de Dax, quelque glorieux et fourmillant de détails curieux qu'ils aient été, sont en dehors de cette causerie ; qu'il nous suffise donc de mentionner qu'après leur heureuse issue, le roi revint à Agen pendant que le connétable retournait par Mont-de-Marsan avec son frère d'armes, Bernard d'Armagnac comte de Pardiac et de la Marche. Celui-ci eut été heureux de resserrer son alliance avec le chef d'une puissante armée dont l'aide pouvait lui être utile, le cas échéant ; il avait une nièce, Jeanne d'Albret, fille aînée de Charles II et d'Anne d'Armagnac et, depuis le veuvage du connétable, il préméditait de la lui donner comme femme.

Artus, comme la plupart des princes de sa famille où le remariage était chose fréquente, prisait fort le précepte biblique : Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; il avait, du reste, besoin d'une affection pouvant, entre deux étapes de sa vie aventureuse, lui donner le repos et le réconfort que lui avait prodigués Mme de Guyenne. Il accueillit donc favorablement les ouvertures que lui fit son ami, et les choses marchèrent assez vite pour que, en juillet 1442, pendant le siège de Dax, un contrat put être rédigé, aux termes duquel le futur beau-père s'engageait à payer, bailler et délivrer en faveur dudict mariage, la somme de trente mil escuz d'or du poix de LXX au marc. Trente mille écus de trois livres valant chacune un peu plus de quarante francs de nos jours, c'était une somme d'environ trois millions et demi d'avant-guerre ; Albret eut pu être embarrassé de les payer : aussi, dès le 21 juillet, Artus lui en fit-il remise. Pour ne pas être en reste de générosité, Albret lui offrit, le 18 novembre, les titres constatant le don fait au connétable d'Albret, son père, le 21 décembre 1407, par le roi de France, de la conté de Dreux et de toutes ses appartenances, qui étaient encore, il est vrai, aux mains des Anglais.

Richemont de Mont-de-Marsan, se rendit à Nérac où se trouvaient Charles II avec sa femme, sa fille et son beau-frère, Bernard d'Armagnac. Quand il fut, nous dit un témoin oculaire, à quatre lieues de là, il envoya Raoul Gruel qui avait déjà joué le rôle de bazvalan lors de son premier mariage, annoncer, avec Guillaume de Vendel, sa visite, et les attendit deux jours ; puis il veint audict lieu de Nérac, là où il trouva M. de la Marche, et ceste nuict souppa avec les dames et les veit à son aise et dansèrent; puis feurent bien tost faictes les fiançailles et les épousailles qui eurent lieu le 29 août, moins de vingt jours après la prise de Dax. Il feut bien huict jours, ou plus, à Nérac ; c'était un bien long congé pour un homme aussi actif et aussi occupé que le connétable, puis s'en alla mondict seigneur devers le roy, à Agen.

Après avoir convenu avec Charles VII, de se retrouver à Marmande, Artus gagna cette place par Castel jaloux et Sainte-Bazeille : Marmande s'était rendue au roi quand il y parvint ; il y séjourna bien quinze jours en attendant les gens d'armes. Comme ceux-ci s'était égaillés pour vivre et ne se pressaient pas de revenir au régime plus austère de discipline, le connétable eut mission de les rassembler à Toulouse pour marcher sur La Réole et Bordeaux. Il passa d'abord à Nérac où il prit avec lui sa femme, dans le dessein de l'envoyer à Parthenai.

Comme il approchait de Toulouse, il rencontra à Gaure, dans le canton de Verfeil, Maître Robert de la Rivière que venait lui apprendre la mort de son frère Jean V, décédé, le 21 août, à son logis de La Tousche à Nantes, et l'inviter, de la part du nouveau duc, François Ier, à assister à son couronnement. La Rivière continua sa route vers Marmande afin d'obtenir du roi un congé permettant au connétable de se rendre en Bretagne ; Charles VII ne fit pas de difficulté pour l'accorder.

Artus conduisit Jeanne à Parthenai où ils arrivèrent le 22 novembre ; ils y apprirent la mort, à Saumur, le 14 novembre, de la reine de Sicile, Yolande d'Aragon. Malgré ce nouveau deuil, Richemont continua sa route vers la Bretagne avec les ducs d'Orléans et d'Alençon, les comtes de Vendôme et de Dunois et une brillante suite de seigneurs. Il parvint à Ploërmel, un mois après le mariage du nouveau duc avec Ysabeau d'Ecosse ; (Cf. Les deux femmes de François Ier de Bretagne, E. Fonssagrives 1925) il assista, le 8 décembre, à l'entrée de Fracois Ier à Rennes, et le lendemain, à la cérémonie du couronnement au cours de laquelle il l'arma chevalier.

Les fêtes furent abrégées par un autre deuil : celui d'Ysabeau de Laval, soeur de François Ier, morte à Auray, le 13 janvier 1443 Artus revint donc trouver sa femme à Fontenay-le-Comte où elle s'était réfugiée à cause d'une épidémie que sévissait à Parthenai. C'est de cette époque que date la construction de l'église Notre-Dame de Fontenay dont le splendide clocher est un peu postérieur. Une confirmation faite par Richemont, à Parthenai, des fondations des Larchevèque, ses prédécesseurs, à l'église Sainte Croix, prouve que la contagion avait pris fin avant le 25 août 1443.

Entre temps, le connétable avait été à Poitiers, le 24 mai, il y avait conféré avec le roi sur un sujet quilui tenait fort au coeur : la répression, des pilleries des gens de guerre, question, en ce moment terriblement aigüe, car les habitants insuffisamment protégés abandonnaient toute culture et se terraient au plus profond des forêts pour éviter les sévices des écorcheurs qui, ironisait Salazar, détroussaient les sujets du roi pour se plus honorablement entretenir à son service. C'est de cette conférence et de celle tenue en juin dans la même ville, que sortit le plan des réformes militaires qui devaient constituir le plus beau titre de gloire de Richernont.

Au mois d'août 1443, un important débarquement à Cherbourg, de troupes anglaises sous le commandement de Sommerset, vint surprendre La Guerche et pousser un raid jusqu'aux portes d'Angers ; mais pendant que son chef festoie à l'Abbaye Saint-Nicolas, un coup de canon tiré du château, à 1.100 mètres, tue à ses côtés un de ses compagnons, et le décide à se retirer sur Segré.

Richemont accourt à Château-Gontier pour prendre langue avec le duc d'Alençon, mais des capitaines trop ardents et trop peu disciplinés, au lieu d'attendre, comme il le voulait, d'être en forces pour tenir les champs, vont se faire surprendre et tailler en pièces au bourg de Saint-Quentin, par le célèbre Mathew Gough, plus connu sous son surnom de Matago, laissant Sommerset faire tranquillement sa retraite, investir Pouancé et assiéger Beaumont le Vïcomte qui ouvrit ses portes, le 17 décembre.

Après avoir paré aux conséquences possibles de cet échec, en renforçant la garnison de Granville, Artus revint continuer ses entretiens avec le roi, à Saumur où il se trouvait, du 12 au 21 octobre. Les comptes de Raoul de Lannoy, le maistre de sa chambre aux deniers nous prouvent qu'il n'y fut pas heureux au jeu de paume et qu'il entretenait, par l'intermédiaire du poursuivant d'armes, Vouvant, une active correspondance avec sa femme demeurée à Parthenai ou, pendant les continuelles absences de son mari, elle menait une vie assez monotone, s'occupant de faire rentrer les revenus de la Gâtine, de tenir son rang, de mener sa maison et, les temps où la reine Berthe filait étant révolus depuis longtemps, de confectionner, suivant la coutume de ses contemporaines, d'interminables tapisseries ; un inventaire de l'église Sainte-Croix de Parthenai, daté de 1693, fait mention d'une chape aux armes parties de Bretagne et d'Albret.

Artus put aller la retrouver en décembre 1443, mais, cette fois encore, pour bien peu de temps : rappelé à Angers, le 22 janvier 1444, il y trouva la cour en ébullition au sujet de propositions transmises par le Pape et appuyées par les ducs de Bretagne et d'Orléans, tendant à la conclusion d'une trêve de longue durée en attendant la cessation définitive des hostilités entre la France et l'Angleterre. Envoyé inviter le duc François, il revint avec lui à Tours où le 16 avril, arrivèrent les ambassadeurs anglais, sous la conduite de William de la Pole comte de Suffolk.

Henry IV, malgré l'éclipse notable de ses succès sur le continent, avait de grosses prétentions : il se refusait tout d'abord à reconnaître Charles VII comme roi de France et à se contenter de la Normandie qu’on lui laissait avec la Guyenne sous réserve d'hommage. On ne put s'entendre que sur le désaveu du raid de Sommerset et la conclusion d'une trêve valable jusqu'au 1er avril 1446 et renouvelable ; le duc de Bretagne, malgré les protestations de Suffolk, contresignait cette trêve en qualité de vassal du roi de France et non comme vassal et allié du roi d'Angleterre. Au cours des fêtes données à cette occasion, fut conclu le mariage d'Henry VI avec Marguerite d'Anjou, fille du roi René, à condition que les Anglais rendissent au futur beau-père tout ce qu'ils possédaient encore dans le Maine et dans l'Anjou ; les fiançailles furent célébrées à Saint-Martin de Tours, le 23 mai.

Le connétable crut ensuite pouvoir aller se réposer à Parthenai, mais il semblait qu'un destin fâcheux lui créerait de nouvelles occupations toutes les fois qu'il songerait à vivre de la vie de famille : l'idée qu'il avait semée de supprimer les pilleries des gens de guerre par la création d'une armé permanente soldée, avait germé. Mais, avant d'y donner suite, il fallait tout d'abord se débarrasser des plus irréductibles des écorcheurs qui n'eussent jamais consenti à se plier à la discipline ni à se laisser licendier et à vivre dans la légalité.

Le problème s'était déjà posé sous Charles V et avait été momentanément, résolu en envoyant les Grandes Compagnies se faire décimer en Espagne sous la conduite de Duguesclin ; la situation était identiquement la même et le procédé que avait si bien réussi, en 1366, ne pouvait manquer d'être couronné d'un pareil succè s; les survivants, en petit nombre, il fallait l'espérer, seraient faciles à mettre à la raison : justement, deux bonnes occasions se présentaient : l'archiduc d'Autriche, Sigismond, fiancé à Radegonde, fille de Charles VII, demandait instamment à son futur beau-père de l'aider dans sa querelle avec les Cantons suisses ; le roi René d'Anjou en faisait autant à propos de ses continuels démêlés avec les Trois Evêchés, Metz en particulier, et faisait valor que les trois villes impériales Toul, Metz et Verdun, étaient des transfuges de la couronne de France.

En conséquence, pendant que le dauphin Louis menait 13.000 Français, 2.000 Espagnols et les 8.000 Anglais de Matago, unis dans l'espoir du butin, verser, le 26 août, à la Maladrerie de Saint-Jacques, près de Bâle, le mauvais sang que si longtemps avoit altéré le corps du royaulme, le connétable se rendait, dans le même but, devant Metz.

Parti de Parthenai, environ la my-aoust, il laissait sa femme indisposée, mais rien ne pouvait lui faire prévoir une issue fatale prochaine ; un mois après, il apprenait en Lorraine que l'état de Jeanne était grave et, quelque hâte qu'il put faire, il ne parvint à Parthenai que deux jours après sa mort.

Jeanne d'Albret à dû être enterrée à Sainte-Croix de Parthenai, mais je n'ai pu trouver trace nulle part de sa sépulture ; du reste, au cours des guerres de religion et des ravages exercés dans la Gâtine par les soldats de Westermann, les tombes des églises de Parthenai furent saccagées à plusieurs reprises et seuls les gisants de Guillaume VII l'archevêque et de Jeanne de Mathefelon ont survécu, quoique très mutilés et odieusement peinturlurés et restaurés ; quant aux archives, elles ont, comme de raison, fourni l'aliment à de nombreux feux de joie.

Bretagne : Histoire, Voyage, Vacances, Location, Hôtel et Patrimoine Immobilier

III. Catherine de Luxembourg, Comtesse de Richemont, Duchesse de Bretagne.

Après quelques jours consacrés a son deuil, Richemont dut rallier son poste en Lorraine ; pendant le siège de Metz, il faisait la navette entre cette ville et Nancy où se trouvait le plus généralement le roi. C'est à brancy qu'il fit, le 9 janvier 1445, signer l'ordonnance créant l'armée permanente, ou du moins sa cavalerie : les Compagnies d'ordonnance composées d'hommes à cheval, qui, accolées à une solide infanterie instituée par l'ordonnance du 28 avril 1448 et à la formidable artillerie de Jean et de Gaspard Bureau, devaiènt, en 1453, mettre les Anglais hors de France.

Metz rendu, le 28 février, Artus convoqua, sans leur confier le but de cette mobilisation, toutes les bandes réparties sur le territoire obéissant, plus ou moins, au roi de France. Elles répondirent à son appel avec un enthousiasme qu'explique l'espérance d’une fructueuse campagne. Quand furent toutes concentrées aux environs de Châlons, dans ces champs catalauniques qui avaient jadis vu la dispersion des bandes d'Attila, le roi fit paraître l'ordonnance du 28 mai 1445, datée de Louppy le Chastel, dans laquelle, après s'être plaint amèrement de la grant destruction qui se faisoit à cause du grant et excessif nombre de chevaux et de gens de néant que estaient ès compaingnies, et de rien ne servoient fors à piller et mengier le povre peuple, il ordonna que tout ledict bagaje seroit mis et gecté hors des dictes compaingnies et envoyés chascun en leur hostel et domicile avec défense de plus jamais se rassembler.

Le roi entouré d'une brillante escorte passa la revue des bandes et ordonna au connétable de désigner nommément ceux qui devaient entrer dans la composition des quinze premières compagnies. Le nombre de lances formant compagnie d'ordonnance, bien que non fixé d'une façon stricte et uniforme, fut d'environ une centaine ; chaque lance se composait d'un homme d'armes, un coustillier, un page, deux archers, et un varlet d'armée avec six chevaux.

Des héraults proclamèrent ensuite le pardon complet des méfaits commis jusqu'à ce moment, et Dieu sait s'il y en avait de toutes sortes, puis ceux qui n'avaient pas été retenus par le connétable furent invités à rentrer chez eux, par petits paquets, directement et sans délai, et à renoncer à plus tenir les champs fors seulement le temps à eulx nécessaire pour leur chemin.

Pour leur ôter la tentation de s'arrêter et de piller en route, à chaque croisée de chemins, les baillis locaux les attendaient avec leurs archers et de solides potences ; des lettres de rémission étaient signées en blanc pour ceux, nobles ou vilains, qui leur auraient donné mort ou mutilacion en essayant de les réprimer, et le nom seul de Tristan l'Hermite, qui venait de troquer son titre de grand maître de l'artillerie contre celui de prévôt du connétable, garantissait que tout se passerait en bon ordre : Aussi, Mathieu de Coussy peut-il nous assurer qu'on n'eut plus, dedans les quinze jours ensuyvans aucune nouvelle d'eulx dans tous les pays du roy... si sembla à plusieurs marchands., laboureurs et populaires que Dieu nostre créateur les eust pourveus et remplis de sa grâce et de sa miséricorde. Ainsy, conclut Gruel, feut ostée la pillerie de dessus le peuple, laquelle avoit long temps duré, dont mondict seigneur le connestable feut bien content, car c'estoit l'une des choses que plus il désiroit et que tous jours il avoit tasché de faire.

Pour assurer la continuité de ce nouvel âge d'or en ôtant tout prétexte à d'arbitraires réquisitions, une solde de 21 livres tournois par lance et par mois, vivres compris, fut établie le 4 décembre 1445 et les sénéchaux de province furent chargés de veiller à ce qu'il n'en fut pas exigé davantage ; les compagnies furent, d'ailleurs, disséminées, par petits détachements, dans des garnisons où la milice bourgeoise était de taille à tenir tête à toute incartade.

Pendant la mise à exécution de ces indispensables mesures, des fêtes se succédaient sans relâche autour du roi : les reines de France et de Sicile, la dauphine et sa soeur Ysabeau d'Ecosse, duchesse de Bretagne, les princesses de Naples et de Bourgogne et les dames d'honneur, au nombre desquelles Agnès Sorel, âgée de 23 ans, commençait à faire parler d'elle, lui formaient une cour des plus brillantes ; Charles d'Orléans et René d'Anjou, dans toute la force de leur talent, y représentaient, l'un la poésie, l'autre les beaux arts. Suffolx y venaient chercher Marguerite d'Anjou, à la tête de 1.500 chevaux ; on y traitait de l'union d'Yolande d'Anjou avec Ferry de Lorraine. Le vent était aux mariages, Artus ne se fit pas trop prier pour y tendre sa voile.

Catherine, la plus jeune des filles de Pierre de Luxembourg et de Marguerite des Baux d'Angrie, était disponible ; son frère, Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, le futur connétable de Louis XI, avait longtemps refusé de souscrire au traité d'Arras ; il venait seulement, en avril 1441, de faire sa soumission à Charles VII. L'une de ses soeurs, Jacqueline, était, depuis 1433, veuve du duc de Bedford, une autre, Isabelle avait, en 1443, épousé Charles du Maine. Louis n'était pas fâché de se créer un nouvel et solide appui auprès du roi ; il y avait bien la différence d'âge, car Artus né en 1393, comptait 52 printemps et Catherine une trentaine d'années de moins, mais à cette époque de vie physique intense, cela n'avait qu'une importance secondaire ; le duc de Bourgogne, du reste, ne faisait aucune objection au mariage de son beau-frère avec la fille d'un de ses vassaux. Le contrat fut donc signé à Châlons, le 30 juin, et enregistré devant la Cour de Laon, et bien tost après, sçavoir au mois de juillet ensuyvant, ils feurent espousés.

Louis de Saint-Pol faisait à sa soeur une rente de 3.000 livres ; de plus, Charles du Maine et lui s'engageaient à lui donner, dans les quatre ans qui suivraient la célébration du mariage, chacun 5.000 écus d'or. Promettre et tenir étaient déjà deux : huit ans après il fallait faire intervenir les gens de chicane pour décider Saint-Pol à s'exécuter ; de son côté, Richemont donnait en douaire à Catherine 3.000 livres tournois gagées sur ses possessions du Poitou, de Saintonge et de Bretagne ; ils se firent, plus tard, donation mutuelle de leurs biens meubles évalués à 60.000 écus.

Toutes les hautes alliances du connétable ne pouvaient manquer de soulever la jalousie des gens en place : Pierre de Brezé, le nouveau favori du roi et de la favorite, essaya, sans succès, d'y faire voir une autre tentative de Praguerie : Artus n'eut pas de peine à démontrer l'absurdité de cette accusation et s'empressa d'emmener sa nouvelle épouse dans l'atmosphère plus paisible de Parthenai.

Mais il était écrit que ses périodes de repos seraient toujours de courte durée : la lamentable querelle entre le duc François et son frère Gilles de Bretagne, querelle qui, grâce au dramatique mais très inexact roman du vicomte Walsh, le fratricide, a arraché tant de larmes à ceux qui n'étudient l'histoire que dans les élucubrations romanciers, couvait depuis longtemps : Gilles élevé en partie en Angleterre près de sa grand'mère, Jeanne de Navarre, et d'Henry VI, était très nettement anglophile ; mécontent des apanages qui lui avaient été assignés, il comptait sur ses amis d'outre-Manche pour se faire mieux partager ; dans sa retraite du Guildo, il recevait sans cesse la visite des capitaines anglais de Normandie qui venaient l'entretenir dans ses rancoeurs et épier le moment où il serait mûr pour la révolte ouverte. L'enlèvement d'une riche héritière de huit ans, Françoise de Dinan, qu'il s'empressa d'épouser, malgré son âge, multiplia, dans l'entourage du duc son frère, le nombre, de ses ennemis frustrés par ce mariage du riche héritage des Montafilant et des Huguetières. Sentant l'orage gronder autour de lui, Gilles envoya Lesquen offrir au roi d'Angleterre ses services et l'entrée de ses places de Bretagne : sa correspondauce fut interceptée ; Richemont dut venir trouver le duc et intercéder pour le coupable qui, dans une entrevue, à Rieux, le 19 octobre 1445, après de lamentables dénégations, et après avoir tout rejeté sous des, sous-ordres, finit par tout avouer et implorer piteusement son pardon. Sur les prières d'Artus, le duc se laissa fléchir et fit grâce, à condition que Gilles renonçât à ses relations avec les Anglais et vint, avec sa femme, vivre auprès de lui et sous sa surveillance.

Pendant ce séjour à Rieux, Richemont avait incité le duc à fonder à Nantes un couvent de Chartreux, dans le faubourg Saint-Clément, sur l'emplacement d'une église dite la chapelle au duc, construite par Jean IV, là où se trouve, de nos jours, l'Ecole professionnelle ; François y consentit, par un acte du 13 octobre, et Artus s'engagea à contribuer à l'édification du sanctuaire dans lequel il comptait bien reposer avec Catherine jusqu'à la consommation des siècles.

Le duc ayant manifesté le désir de faire la connaissance de sa nouvelle tante, le connétable l'envoya quérir et elle vint à Nantes où elle feut très festoyée ; le duc lui conféra l'ordre de l'Hermine ; à l'occasion du 1er janvier 1446, il donna à son oncle une couppe et une esguière d'or pesans six marcs, six onces et cinq gros, (1671 gr.) et à Mme de Richemont un bracelet d'or garny de six gros rubis et six grosses perles avec ung escusson de dyamant assis, en ung annel d'or esmaillé.

Artus et sa femme revinrent à Parthenai où ils passèrent les premières semaines de 1446, mais, aussitôt qu'ils eurent quitté la Bretagne, Gilles s'éclipsa, sous le prétexte d'aller chercher Françoise de Dinan et s'éternisa au Guildo ; ses ennemis en profitèrent pour attiser le feu qui couvait toujours, grâce aux imprudences et aux récriminations du prince.

Celui-ci-étant soutenu par le roi d'Angleterre, le duc François se rapprocha du roi de France et alla lui prêter hommage à Chinon, le 14 mai. Le connétable assistait à la cérémonie. Mais ses ennemis, Pierre de Brezé entre autres, prêtèrent une oreille intéressée aux doléances du duc : Hingant envoyé porter au Guildo une invitation à se présenter devant le Conseil ducal rédigée en termes assez secs et une lettre plus modérée d'Artus conseillant la soumission à son neveu, n'eut pas de peine à exaspérer Gilles aussi bien contre l'un que contre l'autre et s'empressa d'envoyer un compte-rendu tendancieux de la fureur et des propos inconsidérés dont il avait été le témoin. Très rapidement, le bâtard de Bretagne, Tanguy, fils naturel de Jean V, réussit à calmer son frère et le fit s'excuser de son emportement, mais François ne voulut rien entendre et pria le roi de vouloir bien mettre en état d'arrestation Gilles, son vassal pour ses possessions d'Anjou, Ingrandes et Chantocé. L'amiral de Coëtivy, qui n'eut pas été fâché de récupérer ces domaines jadis confisqués sur son beau-père, Gilles de Rais, se chargea volontiers de la commission et se mit en route pour la Bretagne avec Raoul du Dresnay.

Artus avait été soigneusement tenu à l'écart de ce qui se tramait ; il apprit trop tard la mission de Coëtivy et reprocha franchement au roi de vouloir destruyre la Maison de Bretaigne, alors que par aultre moyen il pouvoit bien appaisier la chose sans mettre le duc et son frère par telle manière en guerre et discussion. Charles ému de la généreuse indignation de son connétable à qui il devait tant, finit par lui dire : Beau cousin, pourvoyez y et faictes diligence, ou aultrement la chose ira mal. Artus partit donc en toute hâte, craignant d'apprendre en route la résistance armée de Gilles, mais quand il parivint au but de sa course, l'arrestation avait eu lieu, le 26 juin 1446, sans incident, et Gilles avait été emmené à Dinan où se trouvaient le duc, son frère Pierre et Françoise d'Amboise.

Richemont y courut : sur ses instances, Gilles consentit à se mettre à genoux devant François et à implorer son pardon ; le duc restant inflexible, Artus et Pierre s'agenouillèrent auprès du coupable, supplians au duc qu'il luy pleust avoir mercy de son frère, en pleurans tous trois en toute humilité, mais le duc ne s'en fist que rire et n'en tint compte pour quelque chose qu'il luy peussent dire ou faire. Le connétable indigné de tant de dureté s'en retourna à Parthenai d'où il ne revint qu'en août, lorsque les Etats furent réunis à Redon pour juger Gilles. S'appuyant sur la très ancienne coustume de Bretaigne qui établissait que l'aimé n'a point haulte justice sur son juveigneur, il n'eut pas depeine à décider les Etats à se déclarer incompétents et à s'en remettre à la volonté du duc que son amour fraternel debvoit émouvoir à pitié et compassion.

Les Etats se dispersèrent sans prendre d'autre décision, et Gilles demeura confié à la garde de son pire ennemi, Arthur de Montauban, trainé de prison en prison et voyant sa situation s'aggraver au fur et à mesure des menaces et des maladresses de ses amis les Anglais.

Artus reprit ses occupations habituelles coupées de courts séjours à Parthenai où Catherine vivait sans incidents sa vie de bonnes œuvres et de travaux à l'aiguille : l'inventaire de 1693 signale des ornements d'église aux armes de Richemont-Luxembourg ; l'écu d'hermines au lambel de cadet que l'on voit encore sur la façade du collatéral de gauche de l'église Saint-Laurent de Parthenai date de 1447 la reconstruction de ce monument.

Richemont put à ce moment s'adonner entièrement à la création, par l'ordonnance de Montils lès Tours, du 28 avril 1448, d'une infanterie nationale établie sur le modèle de la milice qui, grâce à lui, existait en Bretagne depuis 1420, et destinée à remplacer avantageusement les mercenaires étrangers ou les gens sans aveu qui, jusqu'alors, constituaient la piétaille des armées royales. Chaque groupe de cinquante feux devait fournir et entretenir un Franc Archer exempt d'impôt, tenu à s'exercer tous les jours non ouvrables et à servir toutes les fois qu'il en serait mandé par le roi, pour une solde de quatre francs par mois. Cette paie généreuse de quatre francs, valant 161 francs d'avant-guerre, me rappelle qu'en 1879, alors que j'étais sous-lieutenant, le gouvernement m'allouait libéralement la solde d'un Franc Archer augmentée mensuellement des 70/100 d'un franc de 1448.

Entre temps, les pourparlers et les renouvellements de trèves avec les Anglais continuaient avec plus ou moins de bonne foi de part et d'autre, quand, le 23 mars 1449, un capitaine espagnol au service du roi d'Angleterre, François de Surienne dit l'Aragonais, jeta le masque et surprit l'importante place de Fougères, sous le prétexte avoué de venger Gilles vassal du roi Henry. Merlin avait jadis prédit que le léopard entreroit dans Foulgières mais qu’il en seroit déporté et serait dégasté, et Merlin fut bon prophète car le roy d'Angleterre qui est signifié par le léopard perdit à l'occasion de la ville de Foulgières la duché de Normandie et tout ce qu'il tenoit deça la mer.

Par ordre du roi, Richemont, tout le plus tost qu'il peut, se rendit à Rennes et de là à Saint-Aubin du Cormier qu'il mit en état de défense ; puis, lorsque la guerre eut été déclarée à l'assemblée des Roches-Tranchelion, il envahit le Cotentin, pendant que le roi et Dunois parcouraient triomphalement les vallées de l'Eure et de la Basse-Seine ; la réduction de Fougères, le 5 novembre, et l'entrée du roi à Rouen, le 10 novembre, mirent fin à la glorieuse campagne de 1449. Après avoir mis des garnisons dans les villes reconquises, le roi et le connétable prirent, suivant la coutume de cette époque, leurs quartiers d'hiver. Mais, dès les premiers beaux jours, Artus apprit à Parthenai que Thomas Kyriel venait de débarquer à Cherbourg, le 15 mai 1450, et qu'il marchait à la rencontre de la garnison anglaise de Bayeux commandée par Matago. L'armée royale, sous ordres du comte de Clermont, tenta de lui barrer la route et, grâce à l'arrivée très opportune du connétable, vit, le 15 avril, un gros insuccès se changer en la victoire décisive de Formigny, à la suite de laquelle toutes les places au pouvoir des Anglais : Valognes, Vire, Avranches, Tombelaine, Bayeux, Saint-Sauveur le Vicomte, Caen, Cherbourg, Falaise et Domfront, tombèrent l'une après l'autre ; Nantes dépensa 20 sols et 40 deniers pour faire des feux de joie à la nouvelle de Formigny.

Artus qui avait appris au siège d'Avranches la mort de Gilles de Bretagne, fit à ce sujet des reproches sanglants au duc qui, furieux, revint à Vannes ou il mourut, le 18 juillet, à Plaisance, 84 — et non 40 — tours après avoir été, suivant la légende, cité à comparaître dans les 40 jours, devant la Justice divine.

Richemont alla prendre quelques jours de repos à Parthenai, puis nous le voyons assister, en octobre 1450, au couronnement de Pierre II à Rennes, à son entrée à Nantes et à son voyage à Montbazon où il fit hommage au roi avec toutes les restrictions habituelles.

Seigneur de Vire et gouverneur de Normandie, Artus s'occupa activement des devoirs de sa charge pendant que Dunois allait conquérir la Guyenne avec l'aide de contingents bretons dont la vigoureuse contre-attaque à Castillon, le 17 juillet 1453, fut, au dire du Pape Pie II, le facteur principal de la victoire. Catherine, suivant le désir exprimé par le roi, quitta sa retraite de Parthenai où elle venait d'inaugurer la très belle cloche qui, sur la porte de la citadelle porte encore la date de 1454 et les armes de Richemont, et suivit son mari à Vire, puis à Falaise, à Séez, et à Issoudun d'où elle revint à Parthenai pendant qu'Artus était à Genève pour endoctriner le duc de Savoie mal conseillé par le Dauphin, et à Paris pour remplir une mission assez insolite pour un vieux guerrier : arbitrer un grave différent entre les Ordres mendiants et l'Université de Paris, au sujet de la confession pascale. Il apprit dans cette dernière ville que Pierre II était tombé gravement malade, et jugeant, en qualité d'héritier présomptif de la couronne de Bretagne, que sa présence dans la duché pouvait être utile, il se mit en route et arriva à Orléans, le 9 avril 1457 ; à Tours, le 11, il reçut avis que sa femme était aussi très souffrante à Parthenai : il n'hésita pas: il se rendit au chevet de Catherine où il parvint le 15.

Au début de juin, Mme de Richemont étant en état de supporter le voyage, ils se rendirent ensemble à Nantes où il occupa ses loisirs à poursuivre les assassins réels ou présumés de Gilles.

Pierre mourut, le jeudi 22 septembre, et fut inhumé, le lendemain, dans le choeur de l'église royale et collégiale de Nostre-Dame de Nantes. Son tombeau sur lequel il était représenté auprès de sa femme, Françoise d'Amboise, fut détruit quand, au commencement de la Révolution, l'église fut transformée en atelier.

Artus lui succéda sous le nom d'Artur III, et fut couronné à Rennes, le 30 octobre 1457 ; pendant son règne de courte durée, il habita à Nantes, au vieux Logis de la Tour Neuve çonstruit au XIIIème siècle par Guy de Thouars, détruit, le 25 mai 1800, par l'explosion d'une poudrière et dont les fondations ont été retrouvées en 1924. Un de ses premiérs actes fut de marier Jeanne, fille naturelle de Pierre II, à laquelle il offrit deux garnitures de vermeil pesant un marc et six onces ; la duchesse lui fit cadeau de deux pièces d'étoffe, l'une cramoisie et l'autre bleue.

Les discussions habituelles avec la chancellerie royale au sujet de l'hommage, lige ou non, dû au roi, les nécessités la défense du duc d'Alençon accusé, hélas à juste titre, de haute trahison en faveur des Anglais, de violentes et inopportunes querelles avec l'évêque de Nantes, Guillaume de Malestroit, assombrirent les derniers jours du vieux guerrier : était-il atteint d'une ces maladies internes qu'ignorait encore l'empirisme des médecins de son temps, fut-il empoisonné, comme le laissa entendre Gruel, Bouchard, d'Argentré et les Bénédictins ? Quoi qu'il en soit, il mourut debout, le 26 décembre 1458, dans sa 66ème année.

Son corps fut ouvert et conservé jusqu'au 28, jour auquel il fut inhumé dans une tombe, provisoire, comme il en avait exprimé le désir, dans l'église des Chartreux de Nantes qu'il avait contribué à fonder et où il avait, même avant l'achèvement des bâtiments, installé les religieux.

Catherine de Luxembourg voulut passer son long veuvage près du tombeau de son mari qui, six mois avant de mourir, lui avait accordé un douaire de 6.000 livres et fait donation de tous ses biens meubles. Malgré la tradition vannetaise qui en fait une des trois habitantes de l'hôtel des Trois Duchesses, il est très vraisemblable qu'elle ne résida jamais dans notre ville. Dépossédée, dès la mort d'Artus, de Parthenai donné par le roi à Dunois, obligée de céder la place au château de Nantes à la nouvelle duchesse, Marguerite de Bretagne, fille de François Ier, elle obtint, dans l'avant-cour des Chartreux, un logement où quelques carreaux ornés d'une hermine de forme insolite ont conservé longtemps la trace de son passage.

Ogée, qui écrivait une douzaine d'années avant la Révolution, mentionne dans l'église du couvent, la bannière et le précieux reliquaire d'Artus III, tryptique d'or pesant dix ou douze marcs, garni de plusieurs reliques de la Passion, orné de saphirs, de rubis et de grosses perles, avec, sur les volets, des reliques de plusieurs saints et saintes ; il cite également un portrait du duc armé, celui qui, gravé par Pitau d'après Jean Chaperon, orne les Histoires de Bretagne de Dom Lobineau et de Dom Taillandier. Dans le logement de la duchesse se voyaient encore une image sous verre de la Sainte. Vierge, un fauteuil en bois recouvert de cuir épais, sans sculpture ni dorure, et les belles et riches heures de Catherine. Il ne parle pas, et pour cause, de la tapisserie représentant, en huit ou neuf tableaux, la bataille de Formigny brodée, sinon entièrement par la duchesse, émule cependant de la reine Mathilde, du moins sous ses yeux et sous sa direction.

Cette tapisserie léguée par elle à sa nièce, Marie de Vendôme, à qui la reine Anne la racheta 14.000 écus d'or, ornait encore, au XVIIème siècle, les murs de la salle des Gardes et de l'antichambre royale à Fontainebleau ; pas, ou mal entretenue, elle finit par être mise au rebut, mais Peiresc nous en a, en 1621, laissé une minutieuse description accompagnée de quelques croquis. Le connétable y est représenté armé, sur un cheval caparaçonné d'hermines au lambel de gueules de trois pendants chargés chacun de trois léopards d'Angleterre ; son armure plate n'est pas, suivant une mode récemment établie, recouverte d'une cotte armoriée ; les gens d'armes qui l'entourent portent à leur lance un guidon à la croix blanche de France ou orné d'un sanglier rappelant son étendart blanc frangé de blanc et de noir, chargé d'un sanglier couronné d'or au naturel, paissant sur un terrain de sinople, auprès d'un chêne de même.

Artus y est tantôt coiffé d'un heaume sommé d'un panaché d'or fait en forme de masse d'honneur, tantôt d'une calotte noire surmontée d'un chapeau, et, dans ce dernier cas, sa figure plus visible est étonnamment semblable à celle des nombreux portraits du bon roi René, d'une belle laideur par conséquent.

La physionomie, beaucoup plus agréable, de la duchesse nous serait, assure Kerdanet, conservée au Folgoët, dans la statue de sainte Catherine, don du connétable.

Le duc François II confirma l'assiette du douaire de Catherine sur la recette de Torfou évaluée â 6.000 livres. La veuve d'Artus était, le 30 juin 1463, avec Françoise d'Amboise, marraine de François, comte de Montfort, fils du duc et de Marguerite de Bretagne, né la veille à Nantes ; le baptême fut célébré à la cathédrale par Yves de Ponsal évêque de Vannes. Le jeune prince mourut, le 30 août suivant, et fut enterré dans le choeur de Saint-Pierre.

Le 19 avril 1484, en donnant aux Chartreux le reliquaire d'Artus, la duchesse spécifie : Nous voulons et ordonnons que, quand Dieu fera son commandement de nous, de estre enterrée audict lieu desdiciz Chartreux, auprès de ceste ville de Nantes et en l'abbit de leur ordre. Elle vécut, dans la retraite et la prière, s'occupant jusqu'à sa mort d'achever la construction du couvent et d'édifier le tombeau où elle voulait reposer aux côtés de son mari.

Nous la voyons cependant, prendre, du 19 juin au 6 août 1487, part à la défense de Nantes assiégé par les Français : le compte d'un miseur de cette ville fait mention du pur et loyal don fait par la duchesse Catherine à Pierre Le Moënne, son prédecesseur, de bijoux du poids de 18 marcs, 7 onces, un gros d'or à 27 carats et 6 mars, 4 gros d'or de 19 carats 1/2, pour iceluy nombre d'or estre employé en achat de salpêtre pour la ville ; ces bijoux étaient évalués à 1.500 escuz d'or, 4 solz et 10 derniers oboles, bonne monnoye. Cette largesse était d'autant plus méritoire qu'en 1468, pour la punir de s'obstiner à demeurer en Bretagne, auprès du rebelle François II, Louis XI avait confisqué tous ses revenus, y compris la pension que lui servait son frère le comte de Saint-Pol.

Par son testament daté de 1491, Catherine fonda un libera annuel avec les oraisons ordinaires que le chapitre de Notre-Dame de Nantes devrait chanter sur sa tombe dans l'église des Chartreux ; à la Suite du don de 60 livres en bonne monnoye bretonne, par Raoul Tual, son exécuteur testamentaire, en 1492, il fut décidé que ce libera serait chanté au cours de la procession annuelle de la cathédrale à Saint-Donatien, le lundi des Rogations.

Caiherine mourut au mois de mars 1492. Nous ne connaissons son tombeau que par un dessin à la plume rehaussé de couleurs du chevalier de Gaignères : il était franchement du style de la Renaissance Italienne qui venait de pénétrer chez nous et d'y être mis à la mode. Dubuisson-Aubenay qui le vit, en 1636, nous assure qu'aucune statue n'y rappelait les traits des illustres défunts, qu'aucune inscription ne redisait leur nom ; au milieu de pilastres, de rinceaux et de médaillons polychromes, se voyaient les écus de Bretagne plein et de Bretagne-Luxembourg. Ce tombeau était placé au milieu du choeur, devant le maître-autel, éclairé par des vitraux reproduisant les traits du duc et de la duchesse

A la mort, à Blois, d'Anne de Bretagne, le 9 janvier 1514, son coeur fut apporté à Nantes pour y être dépôsé aux Carmes dans la tombe de ses père et mère. En attendant que tout fut prêt pour cette cérémonie, le coeur fut exposé, du 13 au 19 mars, sur la tombe du feu duc Artur qui oncle estoit de ladite Dame, ornée pour la circonstance d'un drap de velours, puis d'un drap d'or moult riche ; il fut ensuite porté processionnellement aux Carmes, en passant par la Porte Saint-Pierre.

Il y a quelques années, un correspondant occasionnel de journaux locaux a, sous le voile d'un prudent mais bien transparent anonymat et en des termes un peu lourdement facétieux, cru devoir railler mes modestes études sur des tombes disparues : s'il est ici, il va bien souffrir, car je le mets au défi de me citer une seule tombe ducale de Bretagne ayant échappé aux iconoclastes des XVIème et XVIIIème siècles, et le tombeau des Chartreux a subi le sort commun ; d'ailleurs, ne serait-ce pas me rendre coupable d'un regrettable truisme que de lui rappeler que si ces tombes n'avaient pas disparu, il serait peut-être inutile de les rechercher ?

Au commencement de la Révolution, en septembre 1791, le mobilier des couvents de Nantes fut mis à l'encan et, trois mois plus tard, les bâtiments et églises furent vendus pour être démolis. Cependant, certaines sépultures, celle de François II, par exemple, parurent présenter un intérêt artistique suffisant pour être mis à l'abri des enchères et du marteau des démolisseurs. Le 20 décembre, sur une requête de la municipalité, le Directoire du district décida, pour permettre à Gaudin, l'adjudicataire des Carmes, de procéder à son oeuvre de destruction, que le tombeau de François II sera démonté et transporté à la cathédrale pour y être reconstruit dans une chapelle latérale, celle de Saint-Clair désignée à cet, effet par une commission. En attendant, le 17 février 1792, le caveau fut ouvert et les cercueils de plomb du duc et de ses deux femmes, ainsi que le reliquaire contenant le cœur d'Anne de Bretagne furent transportés de nuit dans la cathédrale ; le reliquaire fut déposé dans le Trésor de Saint-Pierre et les cercueils descendus dans un caveau, près de la grille du chœur, où reposaient déjà trois évêques : Messeigneurs Turpin de Crissé, de la Muzanchère et de Sara. Les marbres du tombeau furent, le 18 avril 1792, apportés sans avarie majeure, à la chapelle Saint-Clair.

Le 3 mai suivant, le Procureur-Syndic représenta qu'il y avait dans l'église de la ci-devant communauté des Chartreux, la sépulture d'Artur de Bretagne et de sa femme : l'adjudicataire allant commencer la démolition, il émettait l'avis qu'il conviendrait d'enlever les deux cercueils et de les transporter dans le caveau de la cathédrale où étaient déjà les trois cercueils provenant de l'église de la ci-devant communauté des Carmes : les marbres du tombeau des Chartreux ne lui paraissaient pas devoir être conservés.

En conséquence, le 1er juin, d'après un procès-verbal longtemps ignoré et publié par le savant chanoine Durville, la sépulture fut ouverte mais, sur les barres de fer qui s'y trouvaient, il n'y avait plus trace des cercueils ; au dessous, on pouvait constater les ossements de de deux corps avec quelques parcelles des aromates ayant servi à l'embaumement. Ces débris furent rassemblés dans un cercueil en bois et emportés à Saint-Pierre, dans le caveau des évêques ; la table de marbre du tombeau d'Artus aurait, dit-on, malgré la décision prise, été transportée à la chapelle Saint-Clair.

Le 21 mars 1793, tous les tombeaux et caveaux furent profanés sous le prétexte d'en retirer tous les plombs et fers que l'orgueil et l'aristocratie y avaient accumulés ; les cercueils furent dépecés et les ossements dispersés ; les marbres emmagasinés dans la chapelle Saint-Clair furent vendus pour 30.000 livres à condition expresse de les débiter pour en faire des dessus de tables et de cheminées : heureusement, un homme d'esprit et de coeur, Mathurin Crucy, sut mettre à l'abri les parties intéressantes du tombeau des Carmes, mais celui des Chartreux disparut irrémédiablement ; j’ai jadis ouï conter que plusieurs des cheminées de la préfecture de Nantes en proviendraient.

Au moment où après l'enlèvement des corps d'Artus et de Catherine l'église des Chartreux fut rasée, une personne bien intentionnée de la ville recueillit dans les décombres, près de l'emplacement de la tombe ducale, des débris humains épars qu'elle enferma dans deux petits barils et qu'elle remit, le 16 août 1802, à l'abbé Gély, premier sacriste de la cathédrale, en lui affirmant, avec la plus entière bonne foi, qu'ils contenaient les restes du duc Artur. Le moment n'était pas encore favorable à l'officielle découverte des reliques d'un duc de Bretagne ; l'abbé Gély se contenta de transvaser le contenu des barils dans une boite en bois noir portant l'étiquette : ossements d'Arthur III duc de Bretagne, et la déposa, en attendant des temps meilleurs, au petit cimetière Saint-Jean, entre la cathédrale et l'évêché, dans le caveau destiné à la sépulture des entrailles des évêques.

Quinze ans plus tard, le tombeau des Carmes, après avoir failli être utilisé pour orner la colonne à la gloire des armées de la république, avait enfin été restauré à la cathédrale : l'abbé Gély devenu chanoine fit part à qui de droit du dépôt qui lui avait été confié et il fut décidé que les restes d'Arthur III seraient transportés dans le chef d'oeuvre, encore vide, de Michel Colombe. En conséquence, le 28 août 1817, en présence de toutes les autorités civiles, militaires et religieuses, avec un grand déploiement de troupes, au son du canon, des cloches et des fanfare, la modeste boîte en bois noir fut retirée de sa cachette, transportée à la cathédrale et déposée dans le monumen t; une plaquette en bronze accrochée à la grille en fait foi.

Mais, puisque nous savons, à n'en pas douter, par le procès verbal du 1er juin 1792, que lorsque ces débris humains furent recueillis aux Chartreux, les restes d'Artus et de sa femme étaient déjà dans le caveau de la cathédrale, il nous est permis de supposer, en dépit de l'inscription de la plaquette, que toute cette pompe a été déployée en l'honneur des ossements d'un bon moine qui, dans ses rêves les plus ambitieux, n'avait jamais osé espérer être transporté par quatre officiers généraux dans la magnifique sépulture ouvrée pour un prince souverain, par le plus célèbre tailleur d'images du XVème siècle et y dormir seul jusqu'à la fin des temps.

Où se trouvent alors les restes d'Artus et de Catherine ? Le 11 février 1819, pour retrouver les corps de François II et de ses deux femmes, on ouvrit le caveau où on savait qu'ils avaient été transportés dix-sept ans auparavant : Hélas, les sacrilèges chercheurs de plomb du 21 mars 1793 n'avaient que trop bien accompli leur besogne : quelques débris de soieries, quelques morceaux de bois pourri, des os épars, les éléments de cinq crânes d'hommes, une partie de crâne et une omoplate de femme, un assez grand nombre d'ossements brisés et impossibles à identifier, étaient semés çà et là. On dut se contenter de les rassembler, pêle-mêle, dans un cercueil en bois étiqueté : ossements inconnus et de les laisser sur place jusqu'en 1887, époque où ils ont été transportés dans la crypte où ils doivent être encore et où on pourrait s'incliner devant le peu que nous reste du libérateur de la France.

Quant au reliquaire du coeur d'Anne de Bretagne, après avoir été ouvert et vidé de son contenu jeté on ne sait où, fut, aprés un séjour à la Monnaie où un employé intelligent put le sauver de la fonte, déposé comme bibelot curieux à la Bibliothèque nationale qui le renvoya à Nantes, le 6 octobre 1819. Il est placé, au Musée d'Archéologie, sur une très exacte reconstitution du tombeau d'Artus exécutée sur le dessin de Gaignières, par les soins du regretté M. de Lisle du Dreneuc.

(E. FONSSAGRIVES).

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