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 Pleudihen durant la Révolution

LA PAROISSE DE PLEUDIHEN

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Lorsqu'éclata la tourmente révolutionnaire, la paroisse de Pleudihen — diocèse de Dol — avait pour recteur (1764-1791) messire Louis-René Georgelin, sieur de la Maufredaye, et pour vicaire, depuis 1773, Jean-Nicolas Marie. Ces deux ecclésiastiques refusèrent de prêter le serment constitutionnel, ainsi que les autres prêtres de la paroisse : Julien Souquet, Louis Noury, Jean Lemée, Michel Briand et Joseph Le Gaignoux ; ce dernier se retira à Saint-Suliac, Michel Briand à Saint-Malo, les autres restèrent à Pleudihen. Ces bons prêtres, sauf l'ancien recteur, furent autorisés par le nouveau curé constitutionnel à dire la messe dans l'église paroissiale de Pleudihen ; la permission fut même fort poliment donnée. « Je verrai toujours avec satisfaction, disait l'intrus, MM. les prêtres habitués de la paroisse de Pleudihen se réunir à l'église paroissiale pour y édifier par leur présence et rappeler par leur exemple tous les fidèle à l'union et à la paix, et je leur permets avec plaisir de dire la messe dans l'église paroissiale en se conformant toutefois aux statuts du diocèse ».

Le pasteur légitime, M. Georgelin, fut officiellement mais injustement remplacé le 13 juin 1791 par l'ancien prieur des dominicains de Guérande, retiré à la Ville-Piron en Pleudihen, l'intrus s'appelait Fidèle Paris. Il n'avait hélas ! de fidèle que le nom, car il manqua à toutes ses promesses, aux voeux de son baptême, de sa vie religieux et de son sacerdoce.

Ce jour là, les électeurs du District de Dinan, réuni dans la chapelle du collège, au nombre de 36, entendirent d'abord la messe, puis procédèrent à l'élection du curé de Pleudihen, l'ex-prieur des dominicains réunit dix-neuf suffrages et fut déclaré élu. L'intrus s'empressa d'informer la municipalité de Pleudihen, de son élection ; il se présenta le 23 juin, à l'assemblée de la paroisse et déposa sur le bureau l'extrait du procès-verbal de son élection et les lettres de son institution (soi-disant) canonique à lui donné par Jean-Marie Jacob, évêque constitutionnel du département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), et contresignées par le vicaire secrétaire Pasturel. Voici la copie de cette pièce :

« Département des Côtes-du-Nord. District de Dinan. Paroisse de Pleudihen.

Institution canonique. — Jean-Marie Jacob, par la miséricorde divine et élection du peuple dans la commu­nion du Saint-Siège apostolique, évesque du département des Côtes-du-Nord, à notre cher frère Fidèle Paris, ex-prieur de la communeauté des Dominicains de la ville et paroisse de Guérande, Salut et Bénédiction en Notre-Seigneur.

Vu le procès-verbal de l'assemblée électorale du District de Dinan, en date des 12 et 13 juin mil sept cent quatre-vingt-onze, signé Urvoy, président, Le Boullanger, Ozou des Champs, scrutateurs, et Baignoux, secrétaire, par lequel il appert que le sieur Fidèle Paris a été élu et proclamé curé de la paroisse de Pleudihen, vacante par le refus du sieur Georgelin de se soumettre à la loi de l'État, après avoir en présence de notre conseil, examiné l'élu sur sa doctrine et ses moeurs, l'avons jugé capable de remplir dignement la place de curé de ladite paroisse, en consé­quence ayant requis son serment qu'il fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine, déférant à la demande qu'il nous en a fait, et sur la reconnaissance que nous avons des moeurs, des vertus chrétiennes et de la doc­trine du dit sieur Fidèle Paris, nous déclarons lui donner et lui donnons par ces présentes, de notre authorité épiscopale, l'institution canonique et la confirmation de l'élection faite de sa personne à la paroisse de Pleudihen, parce qu'avant d'exercer ses fonctions curiales, il fera le serment prescrit par l'article 38 de la loi civile du 24 août 1790.

Donné à Saint-Brieuc, sous notre seing, l'apposition de notre sceau et le contre seing de notre secrétaire ordi­naire, le seize juin mil sept cent quatre-vingt-onze.

+Signé Jean-Marie Jacob, évêque du département des Côtes-du-Nord, et plus bas : Par M. l'évêque, Pasturel, vicaire secrétaire ».

Ces gens-là, en dehors de la communion de Rome, excommuniés, n'ayant qu'un pouvoir civil, pouvaient-ils véritablement se prendre au sérieux ?

A la demande de Paris, son installation fut fixée au dimanche suivant 26 juin. Le 24, fête de saint Jean-Baptiste, l'annonce en fut faite à l'issue de la grand'messe par M. le Maire. Nous donnons le procès-verbal de cette intrusion schismatique ;

« Procès-verbal d'Installation de M. Fidèle Paris dans les fonctions de curé constitutionnel de la paroisse de Pleudihen.

L'an mil sept cent quatre-vingt-onze, le dimanche vingt-six juin, dix heures précises du matin, la municipalité et un grand nombre de citoyens habitants, des deux sexes, de la paroisse de Pleudihen, District de Dinan, département des Côtes-du-Nord, dans le nombre desquels étaient au moins deux cents gardes nationnalles de la ditte paroisse armés, se sont réunis dans l'église de la ditte paroisse, au son des cloches, pour assister au service divin et à l'installation de M. Fidèle Paris dans les fonctions de curé constitutionnel de cette paroisse, en remplacement de M. Louis René Georgelin, curé recteur actuel, exclus faute de voulloir faire et prêter le serment que la loi prescrit à tous fonctionnaires publics. A l'endroit M. Allain Michel procureur syndic de la commune de cette paroisse ayant annoncé au public l'arrivée au presbitaire du sieur abbé Paris, l'assemblée des fidèles est allée processionnellement avec croix et bannières, les cloches, sonnantes en carillon, ayant pour clergé MM. Tobie, Hercouet et Tudeau prêtres ; en tête la municipalité, et en ordre de ligne la garde nationale, quérir le dit sieur abbé Paris, ce qui a été exécuté aux grandes acclamations d'une multitude innombrable de citoyens des deux sexes et de tous les âges qui criaient sans cesse : Vive M. Paris notre curé constitutionnel !

Arrivé en retour à l'église, le procureur-syndic de la commune a pris la parolle et après avoir félicité l'assemblée et tous les habitants de la paroisse sur l'heureuse circonstance, a donné lecture à haute et intelligible voix, premièrement du procès-verbal de MM. les électeurs du district de Dinan des douze et treize juin présent mois, contenant l'élection, nomination et proclamation de M. Fidèle Paris, ex-prieur de la communauté des Dominicains de Guérande, curé constitutionnel de cette paroisse, ledit procès-verbal signé Urvoy, président, et Baignoux, secrétaire.

Secondement, les lettres de l'institution canonique du dit sieur Paris, lui données par M. Jean-Marie Jacob, évesque du département des Costes-du-Nord, et plus bas par M. l'évêque Pasturel, vice-secrétaire, dûment scellées. Ensuite ayant demandé au peuple s'il reconnaissait et agréait le dit sieur abbé Paris pour curé de Pleudihen, toute l'assemblée a par acclamation et générallement répondu en conséquence le requérant le procureur-syndic de la commune, la municipalité de la paroisse de Pleudihen a installé et installe le dit sieur abbé Paris, curé constitutionnel de cette paroisse, au lieu et place du sieur Louis-René Georgelin qui se trouve demis faute de se soumettre à la loi, pour passé du serment luy prescrit par la loi, entrer en fonction et a été invité de prendre les ornements et le siège lui destiné, ce qu'il a fait.

De suite le dit sieur abbé Paris ayant monté dans la chère a prêché un sermon sur l'amour de Dieu, à la suite duquel et d'un discours analogue à la circonstance et qui en a mérité les plus vifs applaudissements du nombreux audi­toire ; à la main levée et à haute voix, fait le serment lui prescrit par la loi et dans les termes suivants : " Je jure de veiller avec soin sur les fidelles de la paroisse qui m'est confiée, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution du royaume, décrétée par l'assemblée nationale, acceptée par le roi ".

D'après quoy M. le maire a pour l'assemblée et pour tous les habitants de la paroisse, prié M. le curé d'être bien convaincu de la sensibilité et de la reconnaissance de son troupeau sur ses bonnes et consolantes dispositions, et d'être persuadé que chacun fera son possible pour luy donner des preuves de son amour, par une entière confiance en ses instructions pastoralles et une parfaite docilité à remplir ses devoirs religieux et civils.

Ensuite M. le curé a célébré une grande messe solen­nelle, précédée d'un Veni Creator, ensuite de la bénédiction du Saint-Sacrement, et les fidèles se sont, retirés avec les marques de la plus parfaite satisfaction.

De tout quoy procès-verbal a été rapporté par la municipalité, sous les seings de M. le curé, de MM. les autres ecclésiastiques, des maire, officiers municipaux, commandant et officiers de la garde nationale, notables et autres personnes. Arrêté que le présent sera transcrit sur les registres de la municipalité égallement que le procès-verbal d'élection et les lettres d'institution canonique et que les expéditions nécessaires seront délivrées sous la signature de M. le Maire et du secrétaire de la municipalité ».

Moins d'un mois après son installation, Paris réclame des réparations au presbytère ; le vieux moine prétendait être confortablement logé. La municipalité s'empressa pour lui être agréable de consentir à la réfection de la charpente et de la couverture, à remettre à neuf les cloisons, les portes et les fenêtres, et à faire de nouveaux enduits.

La fête de la Fédération vint bientôt (14 juillet 1791) fournir au nouveau curé l'occasion d'accentuer encore ses sentiments civiques et révolutionnaires. Ce jour là, après avoir chanté la messe, il renouvela le serment prescrit par l'Assemblée nationale, ajoutant qu'il adhérait même aux décrets qui ne seraient pas sanctionnés par le roi, et qu'il préférait plutôt mourir que de ne pas vivre libre. Il avait en effet la bride sur le cou, et il en usa. On raconte par exemple, qu'un jour de vendredi-saint, Paris était attablé chez lui, se régalant d'une tête de veau, lorsqu'une femme vint lui demander de vouloir bien dire une messe à son intention. — Tout, à l'heure, lui dit-il, dès que j'aurai fini mon repas. — Le complaisant pasteur continua en effet son déjeûner, puis se levant de table, il se rendit, la cons­cience légère et le ventre lourd, dire la messe qui lui était demandée.

Malgré sa pompeuse réception et les flatteries de la municipalité, l'intrus Paris n'avait pas cependant conquis toutes les sympathies. Dans cette grande paroisse de Pleudihen, bien des âmes étaient restées fidèles à Dieu et à l'Eglise ; plusieurs ne se gênaient même pas de le traiter de voleur de bénéfices. Jean Massin qui avait entendu Jean Hulaud tenir ce propos, voulut innocenter Paris en disant que le constitutionnel n'avait accepté le bénéfice de Pleudihen que sur le refus du curé Georgelin de le garder ; Hulaud, en vrai matelot à la foi un peu rude, se fâcha et dit à Massin en lui montrant le poing qu'il n'était qu'un sacré coquin de soutenir un pareil parti. Massin furieux dénonça Hulaud, et ce dernier fut condamné à une amende de trente livres et privé pour six mois de ses droits de citoyen actif. Une autre fois (30 juin 1793) Olivier Lepère fut dénoncé par Rose Lecoublet pour avoir osé dire publiquement que le citoyen Paris n'était pas si capable d'administrer les sacrements que son chien ; d'autres ne craignaient pas d'affirmer qu'ils n'iraient jamais à la messe de ces hors venus qui n'avaient seulement pas le pouvoir de consacrer, et que le prétendu curé ne disait que des bêtises dans la chaire de vérité. Cependant, pour avoir plus d'auditeurs à ses sermons, il avait fait décréter par le Conseil général de la commune une amende de dix francs contre tous les marchands et cabaretiers du bourg qui vendraient et donneraient à boire pendant la messe et les vêpres, et autant contre les acheteurs et les buveurs.

L'ex-prieur de Guérande est vraiment un type de révolutionnaire et d'apostat. Il devait descendre tous les degrés de la bassesse et de la honte. Il se fait nommer, le 3 mars 1793, commissaire de la Convention, par les représentants de la marine à Brest, et le 23 septembre suivant, il institue la Société populaire dite « des sans-culottes de Pleudihen ; » il a soin de faire nommer secrétaire de cette société l'un de ses vicaires constitutionnels. Car cet homme avait près de lui deux acolytes de son espèce, comme lui apostats et bons viveurs.

L'un d'eux, Benoît Thivent, qui fut plus tard desservant à Saint-Hélen, avait été ordonné prêtre par l'évêque intrus Jacob. Il avait été installé vicaire de Pleudihen, le 3 juin 1792, sur la présentation des lettres de Jacob, après avoir prêté devant la municipalité le serment constitutionnel qu'il renouvela aussitôt après publiquement devant le peuple, dans l'église, avant la messe paroissiale qu'il célé­bra solennellement lui-même.

Un autre vicaire de Paris, Francois-Louis Goinguené, ne se contenta pas, comme Thivent, d'être apostat, il se jeta, à l'exemple de son maître, à corps perdu dans la révolution. Ancien confrère de Paris dans l'ordre de Saint Dominique, il était venu prêcher des Adorations à Pleudihen, et le curé l'avait gardé près de lui. Plus tard il se maria, et il eut de cette union sacrilège une fille que le vénérable M. Le Saicherre, recteur de Pleudihen de 1847 à 1880, disait avoir parfaitement connue. Dès 1792, Goinguené, à son titre de vicaire, avait ajouté celui d'officier public, fonction dans laquelle il avait été élu à la majorité des suffrages. Il est dans la suite réélu, à ce poste, en 1794, et les commissaires désignés par Boursault représentant du peuple font observer qu'ils ont auparavant « mûrement examiné la moralité, la conduite et le patriotisme des personnes proposées à leur choix ». Cette révolution sanglante avait des impudeurs cyniques et de bien hypocrites audaces.

Paris se hâta de profiter de ses nouveaux pouvoirs et de son titre de chef des sans-culottes de Pleudihen, pour rechercher et dénoncer les émigrés de la paroisse, et poursuivre leurs parents restés dans le pays. Voici les noms de ceux dont les biens et les personnes furent séquestrés : Henri Ameline, prêtre exporté ; Perrine Desvaux, mère de Michel Briand, prêtre censé émigré ; Saint-Gilles, dite Gaudrion ; Ferron de la Metrie, dont un fils émigré ; Baude de Châteauneuf, deux fils émigrés ; Collin de Bois Hamon, un fils émigré ; Saint Gilles, dit Peronnay. Les citoyens Haslé et Hinel furent désignés pour accompagner le détachement de soldats qui devait conduire à Dinan les suspects arrêtés, et autorisés à prendre chez le trésorier de la commune l'argent nécessaire pour les vivres de la troupe.

Un peu plus tard, furent aussi arrêtés et conduits à Dinan les ci-devant nobles, hommes et femmes, restés dans la commune : Françoise Abilau, née dans la classe roturière, mais veuve de Claude Leroi, ex-noble ; Rose Leroi, sa fille ; Marie Rougeul ; Olive Rougeul ; Anne Rougeul, épouse de Thomas Brébel, passager au passage de Livet ; Madeleine de Garaby, épouse de l'écuyer Guinel.

L'ex-prieur se décida enfin à jeter complètement le masque. Résolu à prendre femme et à s'occuper plus que jamais des affaires de la Révolution, il donna sa démission de curé de Pleudihen, le 19 février 1794. Inspiré par les mêmes détestables principes, François Goinguené suivit son exemple et donna le même jour sa démission de vicaire. A partir de ce jour, l'ancien vicaire fut tout entier aux ordres de la Convention et du Directoire ; la charge d'officier public lui fut confirmée, et lui-même renouvela, le 3 mars, le serment constitutionnel. Tous les deux s'empressèrent de se débarrasser chacun de deux calices, d'une custode et d'une ampoule aux Saintes Huiles. Ils  ne voulaient plus être prêtres. Ils remirent en même temps à la municipalité six sacs contenant les titres de fondations et obiteries de la paroisse de Pleudihen.

Paris ayant ainsi donné des preuves sérieuses de son dévouement à la République, est nommé membre du Comité de surveillance ; bien plus, le jour même où il donne sa démission de curé, il se fait délivrer par l'ignoble Le Carpentier, le certificat suivant : « Nous, Représentant du peuple dans le département de la Manche et autres environnants, certifions que le citoyen Fidèle Paris, ci-devant ministre du culte catholique en qualité de curé dans la commune de Pleudihen, district de Dinan, nous a remis ses lettres de prêtrise et a renoncé à l'exercice de toutes fonctions du culte ; certifions de plus qu'il nous a remis un brevet de pension de 400 livres qu'il avait à prendre sur le ci-devant trésor royal, et dont il fait remise à la République. Port-Malo, le 1er ventôse, l'an 2 de la République. Signé Le Carpentier ».

Muni de cette protection officielle et de cette preuve authentique de bon sans-culotte, l'ex-curé ne sait plus mettre de borne à son zèle. Il se fait dénonciateur. Ayant appris que Patrice Desvaux a refusé de vendre du blé noir à quelques citoyens, il se rend chez lui en compagnie des deux autres membres du Comité de surveillance, Guillaume Haslé et Mathurin Donne ; ils y trouvent le blé noir susdit, eux-mêmes l'étendent dans le grenier et font leur rapport. Desvaux proteste en vain qu'il a acheté ce blé noir pour nourrir sa famille, et qu'il n'en a pas trop pour l'entretien de l'année, le grain est confisqué et porté au grenier de la municipalité. Le 14 juin 1794, il met en état d'arrestation Marie Flaud, qui demeurait à Saint-Malo et était venue à Pleudihen pour voir sa soeur Olive ; la pauvre fille ne s'était point munie de passeport.

Entre temps la municipalité s'occupe, pour se conformer à un décret de la Convention nationale, d'organiser l'instruction des enfants dans la commune. Paris s'offre pour être instituteur. A coup sûr la municipalité pleudihennaise aurait pu lui dire ce que répondirent les Lehonnais au sieur Joseph Bullourde « qu'il avait une science suffisante pour instruire les jeunes garçons dans les principes de la République, » mais elle n'aurait pu lui objecter, comme on le fit à Bullourde, qu'il ne savait pas écrire, car Maître Paris avait réellement un beau caractère d'écriture. Néan­moins, le choix ne tomba pas sur lui. D'autres concurrents se présentèrent pour occuper la place, entre autres Olivier Hinel, et deux professeurs du collège national de Dinan, Pierre Robigo et Dubos jeune. On leur préféra Michel Gernigon, greffier de paix, qui présenta son certificat de civisme et qui fut élu instituteur, à l'unanimité des voix, le 30 avril 1794.

Personne ne s'offrit alors pour institutrice. Mais quel­ques semaines après, l'administration confia l'instruction des filles à la citoyenne Françoise Mancel, épouse de Pierre Davy. Les termes de sa demande, dont nous respectons scrupuleusement l'orthographe, étaient ceux-ci : « Je soussignée Françoise Mancel, metre ma soussismion, pour enseigner le colle aux en fans de mon sciex me conforment à la loi, Françoise Mancel ». Au bout de deux mois, la pauvre Françoise mourait et cédait sa place à Laurence Simonne Goinguenée.

On serait tenté de penser que le refus fait par la population d'accepter Paris pour instituteur ne fut pas insensible à l'ex-curé constitutionnel. Il quitte Pleudihen, au mois de mai 1794 et se retire à Châteauneuf en compagnie de la malheureuse créature dont il a fait sa femme. Cette femme était riche, et il est possible aussi, que n'ayant plus besoin d'aucun salaire de l'Etat, il ait volontiers renoncé aux places et aux honneurs, pour aller jouir en paix — s'il en pouvait exister pour son âme d'apostat — des biens de la fortune et des douceurs de l'amour.

Pour faire de lui un être complètement abominable, il ne lui manquait plus que de haïr sa vieille mère et de lui refuser même un morceau de pain. Il le fit. Le 30 janvier 1795, Pierre Huet, fermier de la métairie Sainte-Agathe, vint déclarer à la municipalité que depuis plus d'un mois il avait recueilli chez lui une pauvre mendiante, malade et réduite à la dernière misère, mais qu'il ne pouvait plus la garder plus longtemps et qu'il priait le maire d'aviser au sort de cette femme. Cette infortunée était la mère du citoyen Fidèle Paris ; son fils l'avait mise à la porte de sa maison, après lui avoir fait endurer les plus odieux traite­ments ; depuis lors, malade et sans secours, elle errait de maison, en maison, implorant de la charité publique un morceau de pain pour ne pas mourir de faim, et un peu de paille pour ne pas périr la nuit de misère et de froid. Elle était rebutée presque partout ; les gens lui disaient : « Va trouver ton fils, il est plus riche que nous, et c'est à lui de te nourrir ». Le maire nomma deux commissaires pour aller s'assurer du fait. Ils se rendirent à Sainte-Agathe ; ils trouvèrent la pauvresse couchée sur un peu de paille, dans la grange de Huet, sans couverture et grelottant de froid. On lui dit de retourner à Châteauneuf, près de son fils dont le devoir était de la loger et de la nourrir. « Je n'irai point, dit-elle, car ils ne me recevraient pas ; quand lui et sa femme m'ont mis à la porte, ils m'ont bien répété que si j'avais jamais l'audace de me présenter chez eux, ils me feraient coffrer ». La municipalité prit un arrêté disant que la commune ne possédant aucun établissement de bienfaisance, et que d'autre part la mendicité étant interdite aux étrangers, elle ordonnait de reconduire la veuve Guillemette Berthélemi, veuve Paris, à Châteauneuf chez son fils « notoirement en état, ainsi que son épouse, de lui procurer le logement et la vie, et auquel l'humanité, les bonnes moeurs, la piété filiale, en un mot toutes les lois de la société et de la nature » font une obligation rigoureuse de recevoir sa mère. La pauvre vieille fut en effet conduite à Châteauneuf avec tous les soins et les égards que méritent le malheur et la vieillesse, et remise entre les mains de l'agent national de cette commune. Nous ignorons comment le fils accueillit sa vieille mère ; mais il y a tout lieu de supposer que ce cœur dur refusa de l'admettre chez lui, et que tout au plus, forcé par la loi, il lui assura au moins un gîte et un morceau de pain.

Le 17 mai 1790, les citoyens actifs des paroisses de Pleudihen et de Saint-Helen, formant ensemble la seconde section du canton dont Plouër était le chef-lieu, se réuni­rent dans l'église pour procéder à la nomination des députés électeurs au département. Furent élus députés : Le Boullanger, sieur Duporche ; Jacques Blondeau, sieur de Launay ; René Bernard, sieur de Pont-Haye ; Louis Loisel, sieur de Langle ; Thomas Salomon ; Henri Lemeur de Kerneven et Antoine Gaudin. L'assemblée désigna pour porter à Plouër le résultat du scrutin, les sieurs Bernard, Loisel, Delatouche, Michel de la Ville-Blanche et l'abbé Marie, curé de la paroisse.

Le 14 juillet suivant eut lieu la fête de la Fédération. La réunion se tint à l'église, où le vicaire, qui venait d'être élu membre de la municipalité, célébra la messe, chanta le Domine salvum fac regem et le Te Deum. Après le serment « de rester à jamais fidèle à la nation, à la loi et au roi... et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité, » la population se sépara « avec concorde et union, » pour se réunir de nouveau le soir, à 8 heures, sur la plaine du Garo, où l'on fit un feu de joie splendide.

Il est probable que M. Marie comprit que sa place n'était point à la municipalité, car il donna sa démission de membre de cette assemblée, le 14 novembre 1790. Le 14 janvier suivant, il remet ses comptes de casuel, se montant à la somme de 866 livres, un sol, 5 deniers, dont on lui donne quittance. Pour n'avoir plus aucun rapport avec l'intrus Paris, il fait remettre à la municipalité, le 29 juillet 1791, les clefs de l'armoire de la sacristie où se trouvaient renfermés en une liasse de parchemins et dans cinq petits sacs de toile, les titres de l'obiterie dont il se fit donner décharge. Malgré cela les fidèles continuèrent encore de lui payer les rentes et les fondations dûes à l'église, et lui-même vient faire, le 16 décembre 1791, remise de ces diverses sommes montant à 300 livres, au trésorier de la municipalité. Paris lui chercha chicane, ainsi qu'aux autres prêtres habitués, concernant les obiteries de la paroisse ; il les accusa d'avoir dérobé des papiers et des titres. Tous protestèrent. M. Briand seul dit qu'il avait remis au juge de paix trois pièces ayant trait à des paiements à recouvrer. Cette mauvaise dénonciation n'eut pas de suite. Toutefois MM. Marie et Briand craignant d'être inquiétés dans l'avenir, demandèrent des passeports qui leur furent accordés, non pour émigrer, mais pour voyager (5 mars 1792). Quinze jours après deux autres prêtres habitués, MM. Julien Souquet et Louis Noury, demandèrent et obtinrent la même faveur. Le 24 avril suivant, M. Jean-Joseph Legaignoux, vicaire de Pleudihen depuis 1784, et, qui avait refusé de prêter serment, demanda à son tour un passeport pour se rendre au Canada. Le procureur de la commune Blondeau lui délivra cette pièce, et l'ancien vicaire partit pour Halifax en compagnie de Julien Landry. Celui-ci, fils de Joseph et de Charlotte Flaud, natif de Pleudihen, s'en retournait au Canada rejoindre ses parents qui s'y étaient établis, et il emportait le prix de ses héritages qu'il avait vendus. L'ancien vicaire et le jeune pleudihennais s'embarquèrent à Jersey. Après la tourmente révolutionnaire, M. Legaignoux revint en 1800 reprendre son poste de vicaire à Pleudihen ; il en remplit les fonctions jusqu'en 1815, sous les rectorats de MM. Marie et Briand qui avaient échappé eux aussi à la persécution. Il succéda à M. Briand comme recteur, en 1815, et mourut saintement en 1821. M. Marie revint aussi vicaire à Pleudihen de 1802 à 1804 ; il fut nommé sur place recteur de la paroisse qu'il avait jadis édifiée par son zèle et sa piété, et il y mourut le 7 mars 1809, à l'âge de 65 ans. Il eut pour successeur son autre confrère pleudihennais, resté fidèle comme lui, M. Jacques-Michel Briand qui vécut jusqu'en 1815.

En 1796, les parents et héritiers de ces ecclésiastiques réclamèrent et obtinrent la fin du séquestre et la levée des scellés sur les biens de ces prêtres déportés : les héritiers de M. Julien Poussin, le 25 février, ceux de MM. Marie, Briand, Souquet, Noury et Jean Lemée, le 23 septembre.

Anciennes Chapelles.

De Saint-Meleuc, aux Templiers ; de Saint-Piat ; de Lyvet (Saint-Jacques) ; La Vicomté (Sainte-Anne) ; Saint-Magloire ; La Grande Tourniole (Saint-Etienne) ; Le Grand Gué (Saint-Raphaël) ; La Tousche-Porrée (Sainte-Anne) ; La Magdeleine, prieuré bénédictin ; Le Val-Hervelin (Saint-Antoine) ; de La Beslière (Saint-André), chapelle domestique ; de Mordreuc (Sainte-Ouine) ; du Pontrieux (tous les Saints) ; du Pompée, chapelle domestique ; de La Touche­aux-Bécasses ; Saint-Nicolas de l'Hostellerie, prieuré rele­vant de l'abbaye du Tronchet.

Ces vénérables chapelles furent fermées au culte et interdites par le curé constitutionnel Paris. Il se plaignit que les prêtres réfractaires qui n'avaient pas quitté Pleudihen s'étaient permis d'aller célébrer la messe dans quelques-unes d'entre elles, et les dénonça au district de Dinan. Sur cette réclamation, la municipalité de Pleudihen fit fermer les chapelles et nomma le 9 octobre 1791 des commissaires pour remplir cet office d'impiété. François Saiget, Pierre Huart, Pierre Hulaud et René Bouvet furent désignés pour la fermeture des chapelles du Grand Gué, de Pontrieux, de Saint-Magloire et de La Tourniolle, et René-Jacques Bonard, François Graffard, Pierre Ameline et Allain Michel se chargèrent de rapporter les clefs des chapelles de Mordreuc, La Vicomté, Lyvet, Saint-Piat, Bois-Fouger et la Bellière. Les commissaires gardèrent les clefs des chapelles chez eux, mais le curé les réclama, et pour être sûr qu'aucun prêtre insermenté ne dirait plus la messe dans ces chapelles, il se fit livrer les clefs.

L'administration du District réclama bientôt, conformément à l'ordre de l'Assemblée nationale, les objets et ustensiles du culte. Le 29 octobre 1792, le Conseil de Pleudihen décréta de faire faire l'inventaire des meubles, effets et ustensiles en or et en argent employés au servie du culte, tant dans l'église paroissiale que dans les chapelles. Jacques Salmon et Guillaume Haslé furent chargé de faire porter tous ces objets au Directoire de Dinan. On réserva cependant pour le service de Paris et de ses vicaires, les soleils, les ciboires et les calices. C'était une gracieuseté, accordée aux prêtres constitutionnels, car dans les paroisses où les pasteurs avaient refusé le serment tous les vases sacrés, sans exception, furent emportés et expédiés à Paris pour être fondus à la Monnaie. De quels trésors d'orfèvrerie ancienne nos paroisses bretonnes on été ainsi dépouillées ! On porta à Dinan une croix de procession en argent pesant 18 marcs, sans le pied, deux burettes et leur plateau du poids de 2 marcs 3 onces, une Croix d'autel du même poids, un encensoir et sa navette pesant 5 marcs 6 onces. Les autres vases sacrés, calices et ciboires, furent aussi portés à Dinan, quelques mois après lorsque Paris et Goinguené, complètement laïcisés, donnèrent leur démission de curé et de vicaire, et renoncèrent à la fois à dire la messe et à leur titre de prêtre ; comme si le sacerdoce n'était pas éternel. Tout ce qui restait d'argenterie, d'objets en cuivre ou en fer, et tout le linge de l'église paroissiale et des chapelles fut porté au District, le 5 avril 1794. Le 8 octobre suivant, Eustache Coupé vient remettre ce qu'il avait conservé chez lui, de la chapelle de Saint-Piat, à savoir : Un calice et sa patène en cuivre, deux chandeliers de cuivre, une tasse de cuivre, deux aubes, trois chasubles, 2 nappes, trois cordons, des essuie-mains et un livre. Les cloches, sauf une laissée dans l'église paroissiale, avaient aussi été portées à Dinan, deux de l'église et une de chacune des chapelles de Saint-Magloire, Pontrieux, Le Grand Gué, La Bellière, La Touche Porée, Mordreuc, Bois Fouger, Touche-aux-Bécasses, La Vicomté et Saint-Piat. Tous les titres et papiers déposés aux archives de l'église furent mis dans un sac, cacheté du sceau de la municipalité, et livrés aux administrateurs du District, le 11 août 1794. La municipalité s'empara du presbytère pour y tenir ses séances, le jardin fut loué à Jean Hinel, maire, au prix de 40 livres, et une maison, dite la maison des pauvres, qui appartenait à la Fabrique, fut louée à Julie Bourdet, pour 30 livres. L'église elle-même, dont on avait arraché les statues et les tableaux, veuve même de ses mauvais prêtres, cessa de servir au culte et devint le lieu des réunions républicaines dites de décadi. Le 8 octobre, le tronc laissé jusque-là dans l'église, fut ouvert ; il contenait 122 livres 13 sols, en argent, en liards et en assignats ; cette somme fut aussitôt versée à la caisse de la municipalité pour être employée au service de la République. On le voit, la spoliation fut complète à Pleudihen, comme partout ailleurs.

Cependant la mort de Robespierre (26 juillet 1794) avait un instant enrayé le régime de terreur qui écrasait la France ; une loi de la Convention, en date du 22 février 1795 avait ordonné le libre exercice du culte, et un arrêté du 26 mars par Guezno et Guermeur représentants du peu­ple dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), avait accordé la permission de rouvrir les églises. Les habitants de Pleudihen restés fidèles au fond de leur coeur à la foi de leur baptême et à Dieu, s'empressèrent de profiter de cette permission et de récla­mer leur église. Voici la pétition qu'adressèrent à ce sujet à la municipalité, le 1er mai 1795, François Beziel, Jean Desvaux, Pierre Pommeret, Joseph Desvaux, Malo Briand, Yves Rouxel, Jacques Hulaud, Julien Flaud, François Saiget, et François Noury : « Nous soussignés demandons à l'administration du District de Dinan, qu'elle veuille bien nous accorder provisoirement la jouissance du bâtiment servant ci-devant d'église à Pleudihen, pour l'exercice paisible de notre culte, et faire faire les bannies nécessaires pour parvenir à la location de ce bâtiment ». Le District accorda la permission qui fut ratifiée par la municipalité, et l'église fut remise à ces bons chrétiens.

La Providence vint d'ailleurs leur offrir juste à point pour célébrer les saints mystères dans l'église rouverte au culte deux prêtres, confesseurs de la foi, qui avaient refusé le serment à la Constitution civile du clergé, et qui pendant la Terreur s'étaient tenus cachés à Pleudihen et dans les paroisses voisines. C'étaient MM. Mathurin Josse, natif de La Baussaine, et Gabriel Thomas Gillot. Ces deux saints prêtres, se conformant à l'arrêté de Guezno qui autorisait le retour des prêtres réfractaires, à la condition de se présenter devant les agents du District, étaient allés se présenter à l'agent national de Dinan et lui avaient déclaré qu'ils faisaient élection de domicile dans la paroisse de Pleudihen. La municipalité les accepta et leur promit « sûreté et protection » conformément aux lois et aux arrêtés des représentants du peuple.

Trois religieuses, natives de Pleudihen, étaient aussi revenues habiter la commune : Perrine Blondeau, ex-hospitalière de Dol, Françoise Busson, religieuse ursuline de Dinan, et Anne Blondeau, religieuse de la Victoire à Saint-Malo.

Cette accalmie ne dura pas longtemps. La tempête se déchaîna de nouveau peu après, et nous voyons la municipalité de Pleudihen protester auprès du département en mai 1796, qu'il n'y a sur le territoire de la commune et même du canton aucun prêtre, ni ecclésiastique séculier ou régulier, ni frère lai, ni convers. MM. Josse et Gilot avaient dû encore une fois se cacher et accomplir en secret les fonctions de leur ministère. L'église avait été refermée pour la plus grande gloire des sans-culottes et l'amour de la liberté.

Dès le début de la Révolution, des bandits essayèrent de jeter l'alarme dans la commune : ils tiraient des coups de fusil, la nuit, sur les chemins publics, dans les rues et jusque dans les cours des maisons. Il en résulta plusieurs accidents graves qui forcèrent la municipalité à instituer une patrouille de six hommes armés pour monter la garde durant la nuit, dans le bourg ; à défendre de tirer des coups de fusils sous peine de 20 livres d'amende, et à faire fermer les cabarets à dix heures du soir (9 avril 1790). Il paraît que la patrouille fit bonne garde, car quelques jours après (le 16 avril), la municipalité condamna à l'amende un sieur Neuville, dit Turinière, pour avoir tué une canne et un canard appartenant à Pierre Hervé. Presque en même temps (le 2 mai), on formait une milice nationale, composée d'un colonel commandant, d'un major, d'un aide-major, de quatre capitaines, de quatre lieutenants, d'un porte-drapeau, de huit sergents, de huit caporaux et de fusiliers, et le grand conseil de la commune chargeait MM. Blondeau de Launay, commandant, et Le Boullanger-Duporche, major, de faire l'acquisition de 50 fusils, d'un drapeau et de deux tambours. Les braves Pleudihennais furent volés, car on leur vendit deux mauvais tambours d'une faiblesse si grande qu'on ne les entendait pas.

Ce n'était pas en vain que la municipalité prenait des mesures militaires pour sauvegarder la vie et les biens des habitants de la paroisse. Mais en réalité que pouvait cette milice nationale bourgeoise contre les colonnes mobiles composées de vauriens et d'enfants perdus de l'armée ? L'une de ces bandes s'abattit sur Pleudihen, le 20 octobre 1791, et y opéra des exploits de sa façon. Ecoutons le récit de l'une de ses opérations au village de Lourmel. Il était sept heures du soir : Jacquemine Beaugrand, vieille femme, âgée de plus de 80 ans, infirme et caduque, achevait son repas en compagnie de ses deux domestiques, Jean Junguené, âgé de 40 ans, et Julienne Houitte, environ du même âge, lorsque tout doucement ils entendirent frapper deux coups à la porte de la maison fermée à clef et verrouillée. Junguené pensant que c'était Jean Cloutier des Barres, petit-fils de la propriétaire, qui rentrait au logis, demanda : « Est-ce vous Jeannot ? ». Sur la réponse affirmative, il ouvrit la porte ; aussitôt six hommes armés de fusils et de sabres se précipitèrent dans la maison et frappèrent à coups de crosse le chien qui aboyait pour défendre ses maîtres. Quatre de ces hommes habillés en bleu (des Bleus), la figure barbouillée les uns de rouge, les autres de noir, sautèrent sur le domestique, le renversèrent et après lui avoir attaché les mains derrière le dos et lié les jambes avec des ficelles d'emballage, lui enveloppèrent la tête avec sa blouse, l'assirent sur une chaise sur laquelle ils le garrottèrent solidement. Pendant ce temps, les deux autres bandits avaient éteint la lumière, s'étaient emparés de la vieille Beaugrand et de Julienne Houitte, leur avaient empaqueté la tête dans des tabliers de milaine, leur avaient garrotté les pieds et les mains, et les avaient attachées plus mortes que vives aux deux billots du foyer. « Vieille bougresse, dit l'un de ces hommes, donne-nous ta clef ». « Elle est dans ma poche, dit la mère Beaugrand, prenez-la ». Ils la prirent en effet, puis parlant à voix basse ils se répandirent dans la maison, la fouillant de la cave au grenier, ouvrant les armoires et défonçant les meubles. Au bout d'une heure, l'un d'eux s'écria : « Avouons, camarades, que celui qui nous a dit de venir faire un coup ici, nous a bien c…. on nous avait assurés, vieille bougresse, que nous trouverions chez toi plus de 30 mille francs et nous ne trouvons que quelques sous ; c'est bien peu pour toi qui possèdes plus de 12 cents livres de rente ; voyons, dis-nous, où as-tu caché ton argent ? ». — « C'est tout ce que je possède, dit la pauvre infirme ; d'ailleurs, Messieurs, n'avez-vous pas toutes mes clefs ? ». — « Du moins, vieille commère, reconnaîtras-tu une autre fois les gabelous ? ». Puis se tournant vers Junguené râlant sur sa chaise : « Quant à toi, nous allons te couper le cou ». — « Ne faisons rien sans l'ordre de notre colonel », protestèrent quelques-uns. Ils sortirent alors, disant : « Vous allez en voir bien d'autres à minuit ! ». Puis ils fermèrent la porte dont ils emportèrent la clef, laissant attachés chacun à leur place les trois pauvres malheureux qui s'attendaient à tout instant à avoir le cou tranché. Quand ils furent partis, la servante, après de violents efforts, finit par se délier les mains et s'empressa aussitôt de couper les liens de sa maîtresse et de Junguené. Ayant ainsi recouvré la liberté, ils allumèrent une chandelle et parcoururent la maison. Ils constatèrent avec effroi que les armoires avaient été pillées, les meubles brisés, les lits éventrés ; les linges et les draps étaient éparpillés sur les planchers ; les tabliers, les serviettes, les chemises, les mouchoirs avaient disparu ; un superbe cotillon de drap d'Elbeuf mordoré, tout neuf, avait été emporté, et chose plus grave, les bandits avaient fait main basse sur le magot de la mère Beaugrand et de ses domestiques, se montant à la somme d'environ 1.350 livres en petits écus de six et trois livres.

On redoubla de précautions, la patrouille fut renforcée, et deux hommes, Pierre et Valentin Miniac, furent chargés de veiller spécialement dans le bourg à la sûreté de l'église dans laquelle ils devaient coucher chaque soir. On enleva aussi les fusils à tous ceux qui n'étaient pas inscrits sur le registre de la garde nationale. Quelques mois après (juillet 1792), le conseil général de la commune annonça la patrie en danger et se déclara en permanence. De plus, il fut arrêté qu'une patrouille de sept hommes parcourrait le bourg durant la nuit, pour maintenir l'ordre, faire fermer les cabarets à dix heures, visiter tous les passants, et mettre en état d'arrestation tous les étrangers qui ne seraient pas pourvus de passeports et qui paraîtraient suspects. Le 30 septembre (1792) eut lieu une véritable petite émeute : les propriétés de Jacques Salmon, de Mathurin Gruenais et de Jean Bonhomme, situées au Clos Olivier et à Lalande, furent envahies par une foule de gens qui prétendaient s'en emparer ; on avait déjà abattu les fossés des clos et l'on menaçait de démolir la maison de Salmon, lorsque le maire, accompagné de son secrétaire, se présenta pour remettre l'ordre ; il eut beau dire qu'on ne doit jamais se permettre des voies de fait et qu'on est toujours coupable d'employer la force, il ne put convaincre les mutins et fut obligé de les dénoncer au District. Ce maire, le citoyen René Bernard, était vraiment vigilant. Le 25 mars 1793 on amène à sa barre un certain Pierre Desvaux qui menace de détruire l'arbre de la liberté à coups de hache, si on ne lui rend pas son fusil ; le maire, bien qu'il reconnaisse que cet homme est ivre, le fait conduire à la prison de Dinan pour avoir tenu des discours inciviques. Desvaux resta trois jours enfermé au château de la duchesse Anne ; il fut de plus condamné à payer une amende de 12 livres et à voir affiché à ses frais au pied de l'arbre de la liberté, le jugement qui le condamnait. Ce pauvre arbre de la liberté fut plus tard scié, au grand émoi des révolutionnaires, dans la nuit du 22 juin 1795.

Le 30 du même mois, le citoyen Mathurin Desvaux, commandant de la garde nationale, fit arrêter un jeune homme âgé d'environ 17 ans, nommé Pierre Grignard. Le gaillard avait bien une cocarde nationale à son chapeau, mais il était en haillons et sa mine n'inspirait nulle confiance. L'interrogatoire qu'il subit fit découvrir qu'il venait de Médréac où le maire, un sieur Launay, l'avait fait s'enrôler à 20 sous par jour, dans une bande de pillards composée d'environ 500 hommes ; il expliqua que 250 de ses compagnons étaient armés de fusils, et les autres de bâtons, de fourches, de brocs et de faulx emmanchées à revers ; ceux, dit-il, qui ont des bâtons, sont chargés d'achever les blessés. Ils avaient parcouru les paroisses de Plouasne, Bécherel, La Baussaine. Où se rendait-il ? Il ne le sut expliquer, et le maire Bernard l'expédia à la prison de Dinan.

Une autre arrestation fut faite trois jours après. Celle-ci mérite une mention spéciale. On venait d'arrêter à la métairie de Gislau un jeune homme âgé de 25 ans ; on l'avait pris d'abord pour M. Joseph Belan, prêtre. Il dit se nommer Jean Cocheril et être neveu de M. Guérin, recteur insermenté de Plouër. On le trouva porteur d'un grand pain à chant pour la messe et de plusieurs autres petits pour la communion des fidèles, d'une ceinture de maire avec une frange d'or, d'une cocarde à deux fins et d'un bréviaire. Interrogé sur la provenance de ces divers objets, il raconta plusieurs histoires saugrenues, et ne pouvant donner des explications raisonnables, il fut condamné à être conduit au District de Dinan. Plusieurs témoins le reconnurent pour Jean Cocheril ; mais le curé Paris appelé lui aussi en témoignage, fit sur le compte du prisonnier des révélations piquantes. Il raconta que le mardi de Pâques, vers 8 heures du matin, ce jeune homme avait demandé à l'entretenir en particulier, qu'il s'était confessé et qu'ensuite, sous forme de conversation, il lui avait appris qu'il se faisait passer pour prêtre auprès des dévots, qu'il les confessait, qu'il disait même la messe à l'occasion, et qu'ainsi il se faisait héberger et nourrir pour rien. Il avoua qu'il venait de confesser, à Pleudihen, Félicissime Belhôte et sa fille, mais qu'il n'avait point donné l'absolution à la première, parce qu'elle n'en était pas digne. Quant à l'écharpe de maire et à la cocarde, il prétendit les tenir du maire de Langrolay qui les lui avait données pour lui permettre de se tirer plus facilement d'affaire. En somme, Jean Cocheril ne devait être qu'un rouleur et un mauvais garnement. Bien d'autres arrestations furent opérées à Pleudihen, où l'on donnait très fort la chasse aux suspects et aux prêtres réfractaires ; les prisonniers étaient généralement reconduits sous bonne garde, soit à Saint-Malo, soit à Dinan, et remis aux mains du Directoire. Dans ce temps-là, du reste, on voyait des suspects partout, et il fallait se méfier de ses parents et de ses voisins ; Guillaume Perdriel en fit l'expérience, pour avoir dit qu'il se « f…. de tous les patriotes » et que les aristocrates étaient de plus honnêtes gens qu'eux. Le commandant lui-même de la garde nationale, Mathurin Desvaux, dénoncé par Haslé, fut arrêté et conduit à Dinan pour y être jugé.

Les pauvres aristocrates ! On ne se contentait pas de les jeter en prison et de les fusiller ou de les envoyer à la guillotine ; on voulait aussi détruire tout souvenir aristocratique et toutes traces de noblesse. Le 16 septembre 1793, Guillaume Haslé, Amant Boudrot, Jean Hervé, Thomas Hinel et René Bouvet reçurent ordre de visiter toutes les maisons et châteaux des ci-devant nobles de la paroisse, et de se rendre compte des armoiries et écussons qui se trouvaient encore sur les murs. Ils s'acquittèrent de leur commission le jour même ; ils s'étaient partagé les quartiers, et dès le soir à six heures, ils revenaient exposer à la municipalité le résultat de leur visite. Ils avaient vu sur la façade de la maison de Pompée un grand manteau royal parsemé de fleurs de lys et surmonté d'une couronne royale ; au Grand Gué, sur une tourelle, une grande fleur de lys, et sur la grille en fer de l'une des fenêtres, quatre autres fleurs de lys, sur la chapelle de ce manoir, une croix dont les branches étaient terminées en fleur de lys ; à la Basse-Motte, sur le portail de la cour, un écusson rempli d'armoiries, sur la porte de la maison, quatre écussons gravés sur des pierres de taille et un autre écusson sur l'une des portes de la cour. La conclusion de cette visite fut probablement l'ordre stupide de briser ces écussons et cette croix dont la vue gênait les patriotes et les impies.

Les titres seigneuriaux et les papiers de famille eurent aussi leur tour. Le 11 octobre (1793) Michel Gernigon remet à la municipalité les minutes du greffe de la Bellière ; le 16 décembre, le citoyen Restif apporte les titres féodaux du fief de Gouillou ; le 29 du même mois, la citoyenne Saint-Meleuc dépose deux sacs de papiers concernant les titres de son propre fief ; le 9 janvier 1794, dix-neuf minutes concernant les fouages de la paroisse depuis 1770, les titres des ci-devant seigneuries de la Touche, Québriac, Litri (?), la Ville-Morin et Porée sont remis par Jacques Blondeau. Tous ces titres portés sur la place de Garo, le 22 février 1794, furent solennellement brûlés vers 4 heures du soir, en présence de Jean Mérienne, fédéré de la commune, du maire Bernard et de plusieurs autres citoyens. Devant cet acte de bravoure et d'intelligence, on dut sans doute pous­ser force cris de « à bas les aristocrates et vive la Convention ! ». La présence de Paris n'est pas signalée à ce feu de joie ; il était en effet trop préoccupé de préparer sa noce pour se soucier de semblable bagatelle !

Le 25 mai 1795, une colonne de mobiles composée de 103 hommes s'abattit sur Pleudihen. Elle était commandée par Vallet, chargé par le général Mathelon, résidant au Port Solidor, de parcourir les Districts de Broons et de Lamballe, ainsi que les communes de la côte depuis Port-Malo jusqu'à Saint-Cast, pour y faire des fouilles et des perquisitions. On était sans doute à l'apaisement et les recherches, pour l'instant du moins, devaient porter plutôt sur les terroristes ou partisans de Robespierre, que contre les prêtres insermentés. Vallet se présenta donc à la municipalité. Mais les Pleudihennais toujours prudents et fins, ne lui accordèrent point d'exécuter son mandat dans la commune, qu'il ne leur eût auparavant délivré une réquisition par écrit. Il s'exécuta volontiers. La municipalité nomma Jacques Salmon pour l'accompagner dans ses perquisitions. Tous les deux se rendirent chez les anciens membres du ci-devant comité révolutionnaire dont Paris avait fait partie : Guillaume Haslé, Mathurin Donne et Joseph Noury.

Chez Donne ils saisirent un fusil et un sabre, et chez Haslé un fusil, deux pistolets et un sabre à poignée d'acier qui furent portés au magasin des armes à Dinan dont le citoyen Bullourde avait la garde. Hasté fut très sensible à cet affront. Quelques mois après il redemanda ses armes à la municipalité qui le renvoya au général Valleteau. N'ayant pas obtenu satisfaction, il revint à la charge une deuxième et une troisième fois ; la municipalité le débouta de sa demande par la raison qu'il avait trouvé d'autres armes et que même on l'avait surpris depuis à Pleudihen, en compagnie d'une colonne mobile dévastant la campagne et pillant les maisons. Le citoyen H. avait su habilement profiter de sa situation révolutionnaire pour attraper lui aussi sa part du gâteau ; il avait acheté en assignats cinq jours de terre labourable et des bois pris sur les domaines de Coëtquen, et en Pleudihennais avisé, il avait vendu une bonne partie des arbres et cédé pour de bon argent comp­tant et sonnant, une partie des terres payées en vraie monnaie de singe.

L'administration Pleudihennaise était demeurée fortement imbue de l'esprit révolutionnaire. C'est ainsi que nous la voyons convoquer, en février 1796, les populations de Saint-Hélen et de Saint-Solen, réunis en canton depuis peu avec Pleudihen, pour fêter sous la présidence des agents de ces deux communes, l'anniversaire de la mort de Louis XVI, ou, comme le dit le texte de l'arrêté, « pour fêter la célébration de la juste punition du dernier roi des Français ». Elle célèbre, la même année (22 septembre 1796), par un feu de joie sur la place de Garo, des discours et des chants patriotiques, l'anniversaire de la fondation de la République ; elle s'abonne au Journal « Les Nouvelles politiques » ; elle forme une colonne mobile composée de trois compagnies de 64 hommes chacune, pour faire des patrouilles et de nouveau poursuivre les réfractaires et les ex-nobles ; le 22 janvier 1797, elle fête encore l'abolition de la royauté et la mort du roi, et vote par acclamation « haine à l'anarchie, à la royauté et à toute sorte de tyrannie ».

Liste des recteurs.

1631-1634, Messire Jean Desrais, trésorier de Dol ; 1634-1654, Messire Gilles Eberard, trésorier de Dol ; 1654-1671, Messire François Chereau, trésorier de Dol ; 1671-1679, Messire Charles Leblanc, trésorier de Dol et docteur, aumônier du roi ; 1679-1686, Messire Jean Deméel ; 1686-1712, Messire François Gaultier (natif de Meillac) ; 1712-1733, Messire François Gaultier (natif de Pleudihen) ; 1733-1738, Messire Joseph Lavallée ; 1738-1763, Messire Louis Chatton, bachelier en Sorbonne ; 1763-1764, Messire Oudineau ; 1764-1791, Messire Louis R. Georgelin, sieur de La Maufredaye ; 1791-1793, Fidèle Paris, curé constitutionnel, ex-prieur des Dominicains de Guérande ; 1804-1809, Jean Marie ; 1809-1815, Jacques-Michel Briand ; 1815-1821, Jean Legaignoux ; 1821-1847, François Rouault, chan. hon. de Saint-Brieuc ; 1847-1880, Jacques Lesaicherre, chan. hon. de Saint-Brieuc ; 1880-1891, Paul Bonnier ; Jean Delahaie, chan. hon. de Saint-Brieuc. 

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