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LE DOYENNÉ DE DINAN

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Nous n'avons trouvé de notes précises, sérieuses, officielles que pour trois paroisses : Dinan, Lehon et Pleudihen. Les mairies de ces trois communes ont seules conservé les registres des délibérations municipales de l'époque révolutionnaire ; Saint-Hélen, Tressaint, Lanvallay et Saint-Solen n'ont d'autres registres officiels que ceux des naissances, des décès et des mariages de ce temps-là. La Vicomté était alors en tutelle, et son histoire se confond avec celle de sa chère grand'mère, la paroisse de Pleudihen. Cependant on tenait un compte exact des séances municipales, et la moindre commune avait son registre de délibérations où tout était inscrit au jour le jour. Que sont devenus ces registres qu'il serait si précieux de consulter aujourd'hui ? Ils furent portés sans doute aux cantons pour être transmis au chef-lieu du département. Les archives des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) doivent en contenir quelques-uns ; mais vers la fin du XIXème siècle le travail de dépouillement des pièces nombreuses dont se composent nos archives départementales est loin d'être fait, malgré le persévérant labeur de M. Tempier ; à cette époque, les documents révolutionnaires ne sont pas tous classés, et l'archiviste ne peut mettre encore à la disposition des chercheurs qu'un nombre relativement restreint des pièces désirées. Je me suis laissé dire que le greffe du tribunal de Saint-Brieuc est fort riche en documents, qu'il contient les actes des tribunaux révolutionnaires des districts des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) ; mais, à la fin du XIXème siècle, c'est un sanctuaire fermé aux profanes où ne peuvent entrer que certains privilégiés du Barreau.

A l'Evêché, on ne possède rien ou presque rien. Le registre officiel de l'intrus Jacob, ainsi que les pièces ecclésiastiques de cette époque, furent confiés vers le milieu du XIXème siècle, à un chanoine de Saint-Brieuc, pour en faire l'histoire. A la mort du bon chanoine, ces papiers furent dispersés, au lieu d'être remis aux archives de l'Evêché ; d'aucuns disent même que le vénérable prêtre aurait, avant sa mort, poussé par un scrupule exagéré, détruit plusieurs de ces documents pour les empêcher de passer à la postérité.

 

DINAN.

Voici les noms des ecclésiastiques, sauf un ou deux peut-être, qui composaient le clergé de Dinan, au moment de la Révolution. Je les fais suivre de la liste des religieux et des religieuses des diverses communautés de la ville. Nous aurons ainsi le tableau complet du personnel religieux de Dinan en 1790.

Tableau des prêtres de Dinan en 1790.

MM. Carron d'Amery, Ange-Bonaventure, curé de Saint-Sauveur ; Burel, Pierre-François, vicaire à Saint-Sauveur ; Le Tulle, Michel, curé de Saint-Malo ; Le Renard, Louis, vicaire à Saint-Malo ; Le Sénéchal, Jean, vicaire à Saint-Malo ; Burel, René, directeur des Ursulines de Saint-Charles ; Plaine, Thomas, directeur de l'Hôpital ; Derouillac, René-Jean, professeur de théologie ; Mancet, régent au collège ; Lecoq, régent au collège ; Arot, régent au collège ; Gautier, régent au collège ; Verger, régent au collège ; Simon, S., régent au collège ; Berthier, Julien-Jacques, régent au collège ; Gérard, régent au collège ; Rochefort, régent au collège ; Pérard, prêtre sacristain ; Rault-Maisonneuve, Jacques, prêtre de choeur ; Régeard, prêtre de choeur ; Haslé, prêtre de choeur ; Guinard, prêtre de chœur ; Rol­land, Jean, prêtre de choeur ; Sotinel, Pierre, prêtre de choeur ; Denis, prêtre de choeur ; Tostivint, prêtre de choeur ; Lefranc, prêtre de choeur ; Perot, Jean, prêtre de choeur ; Macé, Jean-Baptiste, prêtre ; Plesse Saint-Mirel, prêtre ; Joulain, tonsuré ; Fleury, Olivier, tonsuré ; Picault, Paul, tonsuré ; Labbé, tonsuré.

Ordre de Saint Dominique (hommes).

Feillet, Julien-Gaspard, 52 ans, profès en 1757 ; Moncoq, Tanguy-Marie, 68 ans, profès en 1743 ; Tardif, Guillaume, 58 ans, profès en 1749 ; Loisel, René-Jean, 48 ans, profès en 1772 ; Pallix, Etienne, 37 ans, profès en 1776 ; Coupeaux, Michel, 27 ans, profès en 1782 ; Dauphin, Alexandre ; Paris, Fidèle-Marie (prieur de Guérande) ; Chauvière ; Le Mée, Joseph.

Ordre de Saint François (Cordeliers).

Hercouet, Jean-Baptiste, 49 ans, profès en 1760 ; Aubry, Emmanuel, 52 ans, profès en 1756 ; Dubois, Joseph, 38 ans, profès en 1768 ; Gaudicheau, Mathieu, 65 ans, profès en 1745 ; Barraud, Henri, 51 ans, profès en 1755 ; Bonnic, Bernard, frère lai.

Ordre de Saint-François (Capucins).

Hervé, Guillaume, 56 ans, profès en 1754 ; Person, Jean-Mathurin, 61 ans, profès en 1750 ; Mahé, Luc-François, 80 ans, profès en 1730 ; Thouault, Fulgence, 63 ans, profès en 1745 ; Tardive!, Joseph-Jean, 43 ans, profès en 1767 ; Chrétien, François-Etienne, 30 ans, profès en 1780 ; Berthelot, Guillaume, 40 ans, profès en 1779 ; Gallais, François, 46 ans ; Gouédard, Jean, 48 ans ; Berthelot, René, 53 ans ; Le Roy, Jean, 66 ans ; De la Goublaye, Jean, 56 ans, profès en 1762, frère lai ; Jouan, Pierre-Toussaint, 30 ans, profès en 1780, frère lai ; Hamon, Charles, 33 ans, frère lai ; Lesturgeon, Julien, 27 ans, profès en 1786, frère lai.

Ordre des Trinitaires.

Bouezo, Julien, 62 ans, profès en 1749.

Curés et Vicaires constitutionnels dans le district de Dinan. 1791.

L. Tobie, curé de Saint-Sauveur ; Tudeau, curé de Saint-Malo ; Le Renard, vicaire de Saint-Malo ; Jean Paytra, vicaire de Saint-Malo, puis curé c. de Ploubalay ; Delépine, curé de Lanvallay, puis curé c. d'Evran ; Regnaud, curé d'Evran ; Jean Tostivint, vicaire d'Evran ; François André, vicaire d'Evran ; Saudrais, curé d'Yvignac ; Haye, vicaire de Brusvily ; J.-Elie Sarrazin, vicaire de Trigavou ; Bourgeau, curé de Languenan ; Tézé, vicaire de Languenan ; Legros, curé de Brusvily ; Hercouët, curé de Plouër ; Deminiiac, curé de Saint-Carné ; Brindejonc, curé de Vildé ; Paris, curé de Pleudihen ; Goinguené, vicaire de Pleudihen ; Jean Bohier, vicaire de Trévron ; Chauchart, curé de Saint­-Judoce ; Beslay, curé de Languédias ; Guillaume, curé de La Landec ; Ferté, vicaire d'Yvignac ; Le Branchu, curé de Saint-Maudez ; Pornic, vicaire de Saint-Maudez ; François Le Bret, vicaire de Lancieux ; Jean-Marie Glemée, vicaire de Plélan ; Fénice, curé de Plouasne ; Huet, curé de Bourseul ; Huet, curé de Plessix-Balisson ; Esbalard, curé de Quévert ; Pihan, curé de Trégon ; Guillotin, curé de Saint-Maden ; Chenu, curé de Plancoët ; Le Bigot, vicaire de Plumaudan ; Josse, vicaire de Quévert ; Thivent, curé de Saint-Hélen ; Cardon, curé de Saint-Solen ; Tricault, curé de Saint-Samson.

Liste des curés.

PAROISSE SAINT-MALO :

Michel Le Tulle ; Julien Bertier ; Victor Chenu ; Paul Marval ; Pierre Gautier ; — 1893, Ange Gauthier.

PAROISSE SAINT-SAUVEUR :

1772, Ange-Bonaventure Carron d'Amery ; Oger ; Malo Brajeul ; — 1874, Jacques Daniel.

Les débuts de la Révolution française, à Dinan, furent presque dithyrambiques. La race dinannaise est généreuse ; elle aime l'agitation, le nouveau ; un rien l'enthousiasme et la met en belle humeur. A la nouvelle de la prise de la Bastille (14 juillet 1789), les coeurs s'enflamment, les têtes s'échauffent ; on apprend que le roi vient de rentrer à Paris, qu'il a donné aux troupes l'ordre de s'éloigner de Paris et de Versailles, qu'il s'est présenté au milieu de l'Assemblée en s'écriant : « Je ne suis qu'un avec la Nation ; je me confie à vous ! » les bons Dinannais n'y tiennent plus et s'empressent d'expédier à Sa Majesté une protestation exaltée d'affection et de dévouement :

AU ROI. « SIRE, Quelle éclatante révolution ! Une foule impie environnait le Trône ; des êtres abhorrés en investissaient les avenues ; la vérité n'y pouvait pénétrer ; le crime avait rendu son intermission nécessaire ; entouré de nos ennemis, on ne vous laissait entendre nos plaintes que défigurées ou rendues odieuses par les interprétations, les commentaires et les suppositions étonnantes de la scélératesse ; nous n'avions près de vous que peu d'amis, que quelques ministres vertueux qui ne briguèrent jamais que par leurs services les faveurs de leur Maître ; d'audacieux conjurés égaraient votre bienveillante tendresse ; on armait votre bras contre vous-même... Quels étaient leurs projets... Sire, Sire, que notre silence vous témoigne notre indignation.

La scène a changé et le bonheur de notre situation doit effacer les traces douloureuses d'un funeste ressouvenir. Aujourd'hui, Sire, investi par l'amour inaltérable du Peuple Français et par le zèle patriotique de ses Représentants, le nuage obscur qui vous dérobait à nos yeux est dissipé ; une communication paternelle unit par une heureuse chaîne de soins et de dévouement réciproques, le Monarque et son Peuple.

0 Prince ! chère idole des Français, entretenons, cimentons à jamais cette liaison ; c'est autant votre premier intérêt que votre première gloire ; c'est autant notre premier devoir que notre principal bonheur. Sire, rendez-nous heureux, et fiez-vous à des Français pour vous récompenser du mérite d'être juste.

La reconnaissance va nous développer un nouvel ordre de devoirs ; par combien de titres vous allez nous devenir cher ! Nous vous aimerons avec le même enthousiasme, mais cet enthousiasme sera réfléchi : nous vous aimions, Sire, par habitude et par devoir, nous vous chérirons par habitude et par reconnaissance. Respectable Père de vos Peuples, vous allez consacrer au bonheur de vos enfants les moments sereins que vous promet leur tendresse ; c'est le plus bel ouvrage qui vous reste à faire : Sire, voilà la véritable route qui doit conduire votre Règne glorieux à l'immortalité, elle fut choisie par Henri IV, elle est digne de Louis XVI.

Et nous, dont l'heureuse Patrie réunissait tous les avantages de la liberté et de l'obéissance à un Monarque chéri ; nous, descendants de ces fiers Gaulois dont la valeur nourrie au sein de la liberté et sans cesse animée par elle, faisait trembler Rome accoutumée à voir ses Consuls et ses Légions humiliés par ce Peuple belliqueux ; nous, sous les coups desquels s'abattit le farouche despotisme qui faisait ramper l'Univers ; nous, nous laisserions fuir de notre sein, devant une cohorte conjurée qui, sur les débris de votre Trône chéri, voulait établir le sceptre affreux du despotisme, cette liberté qui valut à nos Pères leur glorieux renom et la longue durée d'un vaste et florissant empire ! Que ces monstres conjurés apprennent qu'où la liberté perd ses droits, là se trouve la frontière de l'Empire Français.

Oui, Sire, il est encore de vrais Français, de zélés défenseurs de la Patrie et de votre Couronne ; Sire, il est encore des hommes vertueux, nos preuves en sont certaines, nous vous aimons, et tout ce qui vous aime doit vous ressembler. Nous sommes avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté, les très humbles et très obéissants serviteurs et fidèles sujets. Les communes, communauté et jeunes citoyens de la ville de Dinan, en Bretagne. CERCLER, maire. LOHIER, ancien maire et commissaire. DE NOUAL, ancien lieutenant et commissaire. BUREAU, commissaire des communes. CORSEUL, commissaire des communes. BESLAY FILS, commissaire des jeunes citoyens. BÉNARD FILS, commissaire des jeunes citoyens ».

Quelques jours après, la fameuse séance du 4 Août, dans laquelle tous les privilèges sont abandonnés, met à son comble l'enthousiasme des patriotes dinannais ; ils se hâtent d'envoyer à l'Assemblée, devenue Constituante, une adresse de félicitations :

« ADRESSE A NOS SEIGNEURS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE par les Maire, Echevins, Habitans et jeunes Citoyens de la Ville de Dinan.

Illustres Représentants de la Nation Française, que les vertus et les talens ont rendus dignes du sublime emploi qui vous est confié pour l'établissement d'une Constitution qui doit faire le bonheur commun, et la confiance du monarque bienfaisant qui nous gouverne, et celle d'un peuple qui le chérit ; de quelle gloire n'êtes-vous point couverts, quels éloges et quelle reconnaissance ne mérite point le zèle ardent, la constance ferme et la conduite prudente que vous avez tenue dans les circonstances critiques et dangereuses qui se sont présentées !

L'orage élevé sur vos têtes et celles du Peuple paraît maintenant dissipé, Sa Majesté éclairée par vos sages conseils, revenue à elle-même, a banni ceux qui l'avaient induite en erreur, et a rappelé près de sa Personne sacrée les Ministres éclairés et vertueux sur lesquels elle devait fonder ses plus grandes espérances. Quels présages plus heureux de la félicité publique et du bonheur de tous !

Daignez, illustres Représentants de la Nation, agréer la Couronne civique et les voeux sincères et fidèles des maire, échevins, habitans et jeunes citoyens de la ville de Dinan.

Daignez-vous persuader de leur reconnaissance et de leur amour vraiment patriotique. Daignez croire qu'ils prendront le plus vif intérêt à tout ce qui pourra vous arriver, et qu'ils sont prêts à sacrifier leurs biens et leurs vies pour la gloire du Roi, le bonheur de la Patrie, et votre conservation.

Tels sont les sentiments inaltérables des maire, éche­vins, habitans et jeunes citoyens de Dinan. Arresté en l'Assemblée générale des Communes de la ville de Dinan en Bretagne, par les Commissaires soussignés. CERCLER, maire. LOHIER, ancien maire et commissaire. DE NOUAL, ancien lieutenant de maire et commissaire. BUREAU, commissaire des communes. CORSEUL, commissaire des communes. BESLAY fils, commissaire des jeunes citoyens. BÉNARD fils, commissaire des jeunes citoyens ».

Les événements se précipitent ; la Garde Nationale, commandée par Lafayette, ramène, le 6 octobre (1789), Louis XVI à Paris. Les Dinannais s'emballent ; encore une adresse à la Garde Nationale de Paris ! Ils ont vraiment la démangeaison d'écrire.

« ADRESSE AUX GARDES NATIONALES par les Maire, Echevins, Habitans et jeunes Citoyens de la Ville de Dinan.

Courageux et vrais citoyens, guerriers patriotes et magnanimes, votre conduite généreuse et digne de soldats français, vient de sauver l'Etat.

Les communes et les jeunes citoyens de la ville de Dinan en Bretagne, instruits de la bravoure et de la loyauté avec lesquelles vous avez pris la défense du peuple de Paris, ont senti les mouvemens de la plus vive reconnaissance, auxquels se sont unis dans le coeur des jeunes gens, ceux de l'émulation la plus noble, pour secourir leurs frères à votre exemple : ils étaient prêts à marcher, lorsque, de concert avec tous leurs concitoyens, ils ont goûté la joie la plus pure, en apprenant qu'un monarque cher à ses sujets, venait de rétablir le calme par sa présence au milieu d'eux.

Ils se réunissent en ce moment avec l'ardeur du patriotisme, pour vous offrir l'hommage des sentimens de l'estime la plus sincère et la mieux méritée, qu'ils partagent avec la France entière, à qui vous avez épargné l'affreux désespoir de voir ses enfans s'égorger dans son sein.

Oui, très-chers compatriotes et amis, le nom de Gardes Françaises, toujours aimé et respecté de la Nation, devient encore plus cher à nos cœurs patriotiques : ils n'oublieront jamais qu'un roi bon et juste, qu'un roi qui a su apprécier le service insigne que vous lui avez rendu, en sauvant son peuple qu'il chérit, vous a érigés en Gardes Nationales. Eh ! qui pouvait mieux mériter ce titre honorable que les sauveurs de la Nation, que ceux qui les premiers ont donné l'exemple héroïque et sublime que suivent à l'envi tous les braves militaires français.

Arrêté en l'Assemblée générale des communes de la ville de Dinan, par les commissaires soussignés. CERCLER, maire. LOHIER, ancien maire et commissaire. DE NOUAL, ancien lieutenant de maire et commissaire. CORSEUL, commissaire des communes. BESLAY fils, commissaire des jeunes citoyens. BÉNARD fils, commissaire des jeunes citoyens ».

Hélas ! tous ces beaux sentiments, toutes ces protestations si chaleureuses de dévouement et de fidélité à la personne du roi, ne devaient pas résister au souffle de la tempête. Bientôt nous verrons les autorités dinannaises, parmi lesquelles plusieurs signataires de ces adresses ampoulées, se réjouir de la mort du malheureux monarque et fêter avec des accents d'une allégresse délirante, les anniversaires de son assassinat ! 0 les inconstances humaines !

Le bon roi, lui, était sincère, mais il fut trop faible. Le 13 juillet 1790, il se croyait encore assuré de l'amour de son peuple, et dans la réponse qu'il fit ce jour-là au discours que Lafayette lui avait adressé au nom et à la tête des députations de toutes les Gardes nationales du royaume, il laisse avec confiance épancher son coeur :

« Je reçois, dit-il, avec beaucoup de sensibilité les témoignages d'amour et d'attachement que vous me donnez au nom des gardes nationales, réunies de toutes les parties de la France.

Puisse le jour solennel, où vous allez renouveler en commun votre serment à la Constitution, voir disparaître toute dissension, ramener le calme, et faire régner les lois et la liberté dans tout le royaume !

Défenseurs de l'ordre public, amis des lois et de la liberté, songez que votre premier devoir est le maintien de l'ordre et la soumission aux lois ; que le bienfait d'une constitution libre doit être égal pour tous ; que plus on est libre, plus graves sont les offenses portées à la liberté et à la propriété des autres ; plus criminels sont les actes de violence et de contrainte qui ne sont pas commandés par la loi.

Redites à vos concitoyens que j'aurais voulu leur parler à tous, comme je vous parle ici ; redites-leur que leur roi est leur père, leur frère, leur ami ; qu'il ne peut être heureux que de leur bonheur, grand que de leur gloire, puissant que de leur liberté, riche que de leur prospérité, souffrant que de leurs maux. Faites surtout entendre les paroles ou plutôt les sentiments de mon coeur, dans les humbles chaumières et dans les réduits des infortunés. Dites-leur que si je ne puis me transporter avec vous dans leurs asyles, je veux y être par mon affection et par les lois protectrices du faible ; veiller pour eux, vivre pour eux, mourir, s'il le faut, pour eux : dites enfin aux différentes provinces de mon royaume, que plus tôt les circonstances me permettront d'accomplir le voeu que j'ai formé de les visiter avec ma famille, plus tôt mon coeur sera content ».

Depuis le retour du roi à Paris, l'Assemblée poursuivait ses travaux. Elle venait de décréter la mise en vente des biens du clergé (2 novembre 1789), l'abolition des voeux monastiques, et de substituer la division en départements à l'ancien partage territorial du royaume en provinces (20 janvier 1790). La France était partagée en 83 départements à peu près égaux en étendue et en population ; chaque département en districts ; le district en cantons. On donna au département un conseil administratif de 36 membres et un directoire exécutif de cinq, l'un permanent, l'autre tenant des séances annuelles. Le district eut également un conseil et un directoire, qui relevèrent du conseil et du directoire du département, par lequel ils se relièrent hiérarchiquement, le premier à l'assemblée de la nation, le second au pouvoir exécutif du roi. Le canton, formé de l'ensemble de cinq ou six communes, était seulement centre électoral. Quant au système d'élection, on jugea nécessaire de le constituer à deux degrés : le premier degré fut composé de tous les citoyens actifs, qui, réunis au canton, devaient nommer les électeurs proprement dits. Pour être citoyen actif, il fallait avoir 25 ans, payer directement à l'Etat l'équivalent de trois journées de travail, n'être pas dans une position de domesticité, être inscrit au rôle des gardes nationales, avoir prêté le serment civique. Les électeurs, nommés par les assemblées primaires, avaient à nommer à leur tour les membres de l'Assemblée nationale, les administrations du département et du district, les juges des tribunaux. Tous les pouvoirs, sauf le pouvoir royal, émanaient ainsi de l'élection. L'administration de la commune fut de même organisée au moyen d'un conseil général et d'une municipalité, les officiers municipaux devant être nommés directement par tous les administrés.

Conformément à cette nouvelle organisation, les électeurs du district de Dinan se réunirent pour l'élection des administrateurs du district. On tint séance dans l'église du Collège les 14, 15, 16 et 17 juin 1790. Voici le compte rendu de ces diverses séances :

« L'an 1790, le 14 juin, aux neuf heures du matin assemblée de MM. les électeurs du district de Dinan, département des Côtes-du-Nord, tenue en l'église du Collège de cette ville, et composée de MM. Bameulle de la Chabossais, etc... Où après la messe du Saint-Esprit, célébrée par M. Carron d'Amery, recteur de la paroisse de Saint-Sauveur, et la prière ordinaire chantée pour le roi, M. Carron a prononcé un discours analogue aux opérations subséquentes, lequel a été applaudi.

M. Charles-François-Guillaume Malapert, âgé de 73 ans passés, s'est trouvé doyen d'âge de l'assemblée, et en cette qualité y a pris séance comme président provisoire.

M. Charles-Louis Baignoulx a pris place au bureau comme secrétaire provisoire.

MM. Charles Le Breton, Jean-Baptiste Deschamps et François Le Chien-Vallée, aussi les plus anciens d'âge, ont pris place au bureau en qualité de scrutateurs provisoires.

M. le président a donné lecture des lettres patente du roi sur décret de l'Assemblée Nationale du 28 mai dernier, relatif aux assemblées électorales.

L'appel nominal a été fait pour l'élection du Président de l'Assemblée, par scrutin individuel et à la pluralité absolue ; les électeurs successivement venus au bureau, ont écrit leurs billets mis dans un vase. Compte en fait, ils se sont trouvés au nombre de 62, et par le dépouillement, M. Urvoi de Saint-Mirel ayant réuni 38 suffrages, pluralité absolue, a été proclamé président de l'Assemblée ; M. Malapert lui a cédé le fauteuil.

Par autre appel, MM. les électeurs ont écrit sur le bureau les billets pour l'élection du secrétaire aussi par scrutin individuel et à la pluralité absolue, leur nombre s'est trouvé de 61, et M. Baignoulx ayant réuni 37 suffrages, pluralité absolue, a été proclamé secrétaire de l'assemblée.

Ensuite, MM. les président et secrétaire élus ont prêté à l'assemblée le serment ordonné.

L'assemblée a député MM. Goupil et Benjamin de Launai vers MM. les officiers municipaux, à l'effet de les inviter à faire tirer un coup de canon pour annoncer aux électeurs les ouvertures des séances, et vers M. le colonel de la milice nationale, pour le remercier de la garde d'honneur qu'il a envoyée. MM. de la députation, de retour, ont rapporté que MM. les maire et officiers municipaux allaient s'occuper de faire remplir le voeu de l'assemblée et que M. le colonel ferait continuer la garde d'honneur.

Etant environ midi, la séance a été levée et renvoyée à 2 heures ; signé sur le registre : MALAPERT, président d'âge, LE BRETON, DESCHAMPS, LE CHIEN-VALLÉE, scrutateurs, URVOI DE SAINT-MIREL, président élu, et BAIGNOULX, secrétaire.

Aux 2 heures de l'après-midi après le coup de canon, MM. les électeurs, etc...

En conformité de l'article 4 du décret du 28 mai dernier, a été exposée en caractères visibles, à côté du vase du scrutin, la formule du serment dont la teneur suit :

Vous jurez et promettez de ne nommer que ceux que vous aurez choisis en votre âme et conscience comme les plus dignes de la confiance publique, sans avoir été déterminés par dons, promesses, sollicitations ou menaces.

MM. les électeurs ont écrit sur le bureau et successivement, chacun leur billet par liste simple, pour l'élection des trois scrutateurs, les ont mis dans le vase en disant sur la vue de la transcription du serment : Je le jure.

Compte fait des billets au nombre de 66, il s'est trouvé par le dépouillement qu'aucun membre n'a réuni la pluralité absolue, en conséquence on a passé dans la même forme, au second scrutin qui s'est trouvé composé de 62 billets, lesquels dépouillés, le résultat a été en faveur de M. Goupil, qui a réuni 37 suffrages, de M. Ozou des Verries, qui en a réuni 35, et de M. Boulanger du Porche, qui en a réuni 33. Ils ont été proclamés scrutateurs ; et en cette qualité ont prêté le serment prescrit par les Lettres patentes du 3 février dernier sur décret du 2, devant l'assemblée, et a nommé par acclamation, pour la rédaction du procès-verbal avec M. le secrétaire, MM. Bameulle de la Chabossais, Lohier, Carillet et Freslaut du Cours.

L'assemblée a député MM. Bameulle de la Chabossais et Cathenos vers MM. Picot de Clorivière, supérieur des Clercs, et Puel de Saint-Simon, principal du collège, pour les prier d'accorder à MM. les abbés et écoliers un congé de trois jours, à commencer demain matin jusqu'à jeudi au soir inclusivement, et Messieurs de retour, ont annoncé à l'assemblée que leur députation avait eu l'effet désiré.

M. le président a dit qu'en conformité de l'arrêté pris par l'assemblée électorale du département à Saint-Brieuc, on devait procéder à l'élection d'un membre de l'administration, pour chaque canton du district de Dinan.

Sur quoi l'assemblée a arrêté que, quoiqu'elle ne soit et ne puisse être encore saisie du procès-verbal de l'assemblée électorale à Saint-Brieuc, elle a parfaite connaissance du voeu de cette assemblée, qui est celui des électeurs de Dinan.

Procédant en conséquence par appel nominal, MM. les électeurs venus successivement au bureau, ont écrit et déposé dans le vase du scrutin, en présence de MM. les scrutateurs, les billets par liste double, pour l'élection d'un membre de l'administration du district au canton de Dinan, en répétant chacun sur la vue de la formule du serment : Je le jure.

Toujours dans les mêmes formes, ont continué les scrutins pour l'élection d'un membre dans les cantons de Plouër, Ploubalay, Plancoët et Corseul ; chacun desquels scrutins ont été renfermés dans des feuilles de papier cachetées et renfermées dans une armoire, etc...

Et étant 7 heures, la séance a été levée et renvoyée à demain 8 heures du matin ; signé sur le registre Urvoi de Saint-Mirel, président ; Ozou des Verries, Le Boulanger du Porche, Goupil, scrutateurs ; Bameulle de la Chabossais, Lohier, Carillet, du Cours Frelaud, commissaires rédacteurs, et Baignoulx, secrétaire.

Aux 8 heures du matin de ce jour 15 juin, dit an, le coup de canon tiré, MM. les électeurs assemblés, lecture a été faite par M. le secrétaire du procès-verbal des séances du jour d'hier.

L'assemblée s'est occupée dans la précédente forme, des scrutins successifs pour l'élection d'un membre à l'administration du district dans chacun des cantons de Saint-­Méloir, Plumaudan, Tréfumel et Evran, et ces scrutins cachetés comme les précédents ; l'assemblée a arrêté de faire le dépouillement de tous, en commençant par le canton d'Evran, dernier désigné dans la liste.

Les cachets sur l'enveloppe du scrutin pour le canton d'Evran levés, compte fait, etc., etc.

Par le résultat des dépouillements de ces premiers scrutins, M. Cormao a réuni 62 suffrages sur 70 pour le canton d'Evran.

M. Essirard a réuni 52 suffrages sur 70 pour le canton de Tréfumel.

M. Freslaut du Cours a réuni 62 suffrages sur 67 pour le canton de Plumaudan.

M. Hallouet a réuni 44 suffrages sur 68 pour le canton de Saint-Méloir.

M. Gervaise a réuni 36 suffrages sur 68 pour le canton de Corseul.

M. Carillet a réuni 42 suffrages sur 67 pour le canton de Plancoët.

Aucun membre n'a réuni la pluralité absolue pour le canton de Ploubalay.

M. Le Boulanger du Porche a réuni 61 suffrages sur 68 pour le canton de Plouër.

Aucun membre n'a réuni la pluralité absolue pour le canton de Dinan.

Etant plus de midi, la séance a été levée et renvoyée à 2 heures ; signé sur le registre, Urvoi de Saint-Mirel, etc., comme ci-devant.

Aux deux heures de l'après-midi, après le coup de canon, l'assemblée a procédé, dans les formes précédentes, aux seconds scrutins successifs pour les élections des membres de l'administration du district, pour les cantons de Ploubalay et de Dinan. Et par le résultat des dépouillements, M. Le Borgne, recteur de Ploubalay, a réuni 57 suffrages sur 72 pour le canton de Ploubalay. M. Benjamin de Launay a réuni 48 suffrages sur 69, pour le canton de Dinan.

M. le président ayant fait la proclamation de Messieurs ci-devant dénommés, en qualité d'administrateurs pour les neuf cantons du district de Dinan, M. Gervaise ayant déclaré ne pouvoir, pour des raisons particulières, accepter la place dont l'assemblée l'a honoré pour le canton de Corseul. Sur ce qu'il a été vérifié que M. Forcoueffe, du même canton, a réuni 35 suffrages sur 68, conséquemment aussi la pluralité absolue, il a été déclaré par l'assemblée, membre de l'administration du district, au lieu et place de M. Gervaise, et proclamé tel par M. le président.

Et attendu que MM. Le Borgne et Forcoueffe ne se trouvent électeurs dans cette assemblée, elle a arrêté d'envoyer à chacun d'eux un exprès chargé d'une lettre de M. le président, avec invitation de se rendre demain matin à l'ouverture de la séance.

L'assemblée a procédé au scrutin par liste double, dans les formes précédentes, pour l'élection de trois autres membres de l'administration du district, et par le dépouillement du scrutin, M. Lohier seulement ayant réuni la pluralité absolue — 39 suffrages sur 70 — il a été reconnu par l'assemblée et proclamé par M. le Président, membre de l'administration du district.

Etant près de 6 heures du soir, la séance a été levée et renvoyée à demain 8 heures du matin. Signé sur le registre, Urvoy de Saint-Mirel, etc., comme ci-devant.

Aux 8 heures du matin de ce jour 16 juin, dit an, le coup de canon tiré, MM. les électeurs assemblés, etc., lecture faite par le secrétaire du procès-verbal du jour d'hier, ils se sont occupés dans les formes précédentes du second scrutin par liste double, pour l'élection de deux membres de l'administration du district. Et ce second scrutin dépouillé, d'après le compte des billets au nombre de 70, dont la pluralité absolue est de 36, aucun membre n'ayant encore réuni cette pluralité, l'assemblée a passé à un troisième scrutin dans les formes précédentes.

Compte fait des billets déposés, ils se sont trouvés au nombre de 74, et par le dépouillement MM. Le Masson de Vaubruand ayant réuni 50 suffrages, et M. Cathenos 38, ils ont été reconnus membres de l'administration du district, à la pluralité relative, et proclamés en cette qualité par M. le président.

Se sont présentés MM. Le Borgne, élu le jour d'hier pour le canton de Ploubalay, et Forcoueffe, en remplacement de M. Gervaise pour le canton de Corseul, lesquels ont dit accepter avec reconnaissance les places dont l'assemblée les a honorés.

MM. les officiers de la milice nationale de Dinan ont député un de leurs membres pour demander à l'assemblée l'heure à laquelle elle pourrait les recevoir en corps au nom de la milice nationale ; l'assemblée a arrêté de les admettre à 11 h. 1/2.

MM, les officiers municipaux ont député un de leurs membres précédé du hérault pour demander l'heure à laquelle MM. du corps municipal pourraient avoir entrée à l'assemblée.

Elle a arrêté qu'ils seraient admis aux 3 heures de  l'après-midi.

L'assemblée a procédé dans les mêmes formes que ci-devant au scrutin individuel pour l'élection d'un procureur-syndic du district, et les billets comptés, trouvés au nombre de 74 dont la pluralité absolue donne 38, M. Lohier ayant obtenu 40 suffrages, il se trouve élu procureur-syndic du district, et il a été proclamé en cette qualité par M. le président.

MM. les officiers de la milice nationale en corps, ayant été annoncés et entrés, M. Beslay, colonel, a prononcé un discours, auquel a répondu M. le président, et l'assemblé a arrêté que le discours et la réponse vivement applaudis, seront insérés dans le procès-verbal. Etant midi, la séance a été levée et renvoyée à deux heures. Signé sur le registre comme ci-devant.

Aux deux heures de l'après-midi, MM. les électeurs réunis après le coup de canon, M. Carron d'Amery, recteur de Saint-Sauveur, a fait passer sous cachet le discours par lui prononcé à l'issue de la messe du Saint-Esprit, et Beslay, colonel, celui qu'il a prononcé le matin de ce jour, leur demandés par députation.

MM. les officiers municipaux en écharpes, et MM. Les notables précédés des héraults et valets de ville, se sont fait annoncer ; et admis dans l'assemblée, M. Bameulle de Liesse, premier officier municipal, a prononcé un discours auquel a répondu M. le président ; discours et réponse applaudis par l'assemblée qui a arrêté de les insérer au procès-verbal, en conséquence M. Bameulle de Liesse a laissé son discours sur le bureau.

L'assemblée s'est occupée dans les formes précédentes, du scrutin par liste double pour l'élection d'un membre de l'administration du district, en remplacement de M. Lohier, élu procureur-syndic. Compte fait des billets au nombre de 75 dont la pluralité absolue donne 39, aucun membre n'ayant réuni cette pluralité, on a passé toujours dans les mêmes formes, à un second scrutin ; les billets duquel se sont trouvés au nombre de 69 dont la pluralité absolue donne 36, et par le résultat du dépouillement, M. Viel de Granchamps ayant réuni 41 suffrages, il se trouve élu membre de l'administration du district, et a été proclamé en cette qualité par M. le président.

L'assemblée a arrêté qu'il sera demain, aux 9 heures du matin, chanté en action de grâce, une messe solennelle suivie du Te Deum et de la prière pour le roi, en l'église de Saint-Malo de cette ville, à laquelle seront invités d'assister MM. les officiers municipaux, MM. de la milice nationale et tous les corps séculiers et réguliers de la ville, et a nommé pour commissaires à ces invitations MM. Lohier et Cathenos ».

Voici les discours dont il est fait mention dans le compte-rendu ci-dessus.

Discours de M. Carron d'Amery, recteur de la paroisse Saint-Sauveur.

« MESSIEURS, TRÈS HONORÉS FRÈRES ET CONCITOYENS,

En vous voyant rassemblés dans ce saint temple pour demander à l'Esprit-Saint ses divines lumières, je regrette infiniment de n'avoir pu consacrer qu'un instant à vous manifester la joie que nous ressentons des hommages que vous ne cessez de rendre à la religion catholique, apostolique et romaine, la seule véritable.

Le désir que vous avez eu que le premier acte de votre réunion commençât sous ses auspices, est la preuve la plus authentique de la piété dont vous faites profession.

Ne sont-ce pas, en effet, ses divines influences qui on dirigé vos suffrages dans les élections que vous venez de faire ? Elles sont trop l'éloge de votre justice, pour que nous n'y reconnaissions pas la main de Dieu qui a protégé vos desseins.

Pénétrés en ce jour du même esprit, animés de mêmes intentions, quel succès ne devons-nous pas nous promettre de vos nouveaux choix ?

Le serment que vous allez prononcer de n'accorder vos suffrages qu'aux plus dignes, ne peut qu'ajouter à l'espérance du bonheur que votre zèle et vos travaux vont nous préparer.

Appelés à rendre la justice la plus exacte, la plus éclatante dans toutes les fonctions qui vous seront confiées ; choisis pour coopérer avec nos illustres représentants à la restauration de ce vaste empire, nous sommes bien assuré qu'il n'en est aucun parmi vous, Messieurs, qui ne soit disposé à faire les plus généreux sacrifices pour le bien public ; qui ne soit prêt à maintenir et à défendre de tout son pouvoir une Constitution qui doit assurer à jamais la prospérité du plus beau royaume de l'univers.

Que ne m'est-il permis, Messieurs, de me livrer à tous les épanchements que m'inspire votre présence ! Oh ! je n'aurais à vous entretenir que des satisfactions que j'éprouve en ce moment, où je suis aussi attendri qu'édifié par le spectacle si consolant des plus pures et des plus sincères adorations que vous rendez à notre Dieu. Oui, Messieurs, tout l'honneur que vous vous efforcez de décerner à la majesté de son culte, le venge bien des injustes et odieuses imputations qui ont été faites à ce divin culte. Tels son les sentiments qui m'enflamment, et je me félicite, Messieurs, d'avoir pu vous témoigner ma sensibilité de la considération dont vous m'avez honoré, et quel prix j'attache à tout ce qui peut me rendre digne de votre indulgence ».

Discours de M. Beslay, colonel.

« MESSIEURS ET CONCITOYENS,

La milice nationale de Dinan, par l'organe de ses représentants, vient vous offrir l'hommage respectueux de son attachement. Elle ne vous parlera point de son zèle, de sa fidélité, de sa soumission, elle se ménage la gloire de vous en donner dans l'occasion des preuves moins équivoques que de simples promesses, et vous devez tout espérer de citoyens qui détestent le parjure et qui ont solennellement juré sur l'autel de la Patrie, de vivre libres ou de mourir.

Il est encore, Messieurs, un sentiment bien cher à nos cœurs, celui de la reconnaissance intime, pour l'attention que vous avez mise à élever à l'administration, les génies tutélaires de la Patrie ; et l'opinion publique doit vous savoir gré d'avoir consacré sa justice par le choix que vous avez fait de citoyens qui jusqu'ici avaient été favorisés de son estime particulière ».

Réponse de M. le Président.

« MESSIEURS ET CONCITOYENS,

La jeunesse de Dinan a été dans nos cantons la première à s'armer pour la défense de la liberté. Nous nous rappelons avec plaisir, qu'animée du plus pur patriotisme, elle a dans plusieurs circonstances donné des preuves non équivoques de courage, de fermeté et de modération. Un si bel exemple ne pouvait manquer de produire les plus heureux effets. La jeunesse de toutes les municipalités circonvoisines a pris les armes. Les lois ont été respectées, le bon ordre et la tranquillité ont régné dans nos cantons. A peine le district s'est-il ressenti des secousses violentes qui ont agité l'empire français. Voilà, Messieurs, ce que nous devons aux milices nationales. Nous ne dissimulerons point que si la raison n'eût pas été armée, la raison n'eût pas prévalu. Je pourrais ici, Messieurs, dire beaucoup de choses particulières à la louange des officiers, mais la conduite de la troupe est le plus bel éloge des chefs ».

Discours de M. de Liesse, premier officier municipal.

« MESSIEURS,

Le corps municipal de Dinan, dépositaire des sentiments des citoyens de cette ville, vient avec joie dans cette respectable assemblée, vous prier d'en agréer l'expression vive et vraie, et vous témoigner sa satisfaction reconnaissante de la continuité des travaux pénibles auxquels vous vous êtes livrés sans interruption et avec toute l'ardeur du Patriotisme.

Les ennemis de l'Etat, pour s'opposer à la régénération de cet empire, ont par des menées sourdes et antipatriotiques, fomenté dans plusieurs endroits, l'insubordination de l'anarchie ; mais leurs noirs projets vont s'évanouir par l'organisation des Départements et des Districts. Cette sage gradation des pouvoirs administratifs décrétée par l'Assemblée Nationale, approuvée, applaudie même par notre auguste monarque, restaurateur de la liberté française, ramènera le calme et la tranquillité si désirables, et cet espoir, Messieurs, est d'autant mieux fondé pour nous, que l'heureux choix que vous avez fait des honorables membres du département des Côtes-du-Nord et du District de Dinan, nous en assure l'administration la plus éclairée ».

Réponse de Monsieur le Président.

« MESSIEURS,

Le patriotisme des officiers municipaux de Dinan est bien connu ; la justice, la fermeté et la modération ont toujours été la règle de leur conduite. Le bureau est devenu un tribunal conciliatoire qui a mérité la confiance des étrangers comme celle des habitants : plusieurs officiers municipaux des paroisses circonvoisines s'y sont adressés pour prendre des instructions sur différents objets d'administration ; ils y ont toujours trouvé des frères prêts à leur faire part de leurs lumières et de leurs vues pour le bien commun. L'assemblée reçoit avec bien de la satisfaction les compliments d'un corps qui a tant de droits à son estime ».

M. le président leva la séance à 7 heures du soir, et fixa la nouvelle réunion au lendemain à huit heures du matin.

Le lendemain 17 juin (1890), les électeurs se réunissent, lecture fut faite du procès-verbal de la veille, et quand 9 heures sonnèrent annoncées par un coup de canon, l'assemblée quitta le lieu de ses séances et se rendit en corps à l'église Saint-Malo comme il avait été décidé. A l'entrée de la rue de Grâce, les officiers de la Milice Nationale s'unirent aux électeurs. Le cortège ainsi formé se présenta au portail de l'église où les attendaient MM. les recteurs des deux paroisses, en chapes, accompagnés de tout le clergé séculier et régulier de la ville. Les recteurs leur présentèrent l'eau bénite, et, précédés de la croix, les introduisirent dans le choeur pour assister à la grand'messe solennelle. Elle fut chantée par M. Cathenos, recteur de Taden ; pendant qu'on la célébrait, une quête fut faite dans l'église pour les pauvres, par MM. Huet, recteur de Plessix-Balisson, et Goupil, curé de Bourseul. Après la messe, pendant qu'on chantait le Te Deum et la Prière pour le Roi, toutes les cloches de la ville sonnèrent à la volée et de nombreux coups de canons furent tirés en l'honneur des nouveaux élus.

L'assemblée rentra en séance pour entendre le serment de chacun des administrateurs élus ; la main levée, chacun d'eux prononça séparément la formule suivante : « Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution du royaume, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de remplir avec zèle et courage les fonctions civiles et politiques qui me seront confiées ».

Aussitôt après se présenta un écolier de quatrième, M. le Moine de Launay, armé du discours suivant, pour remercier l'assemblée du congé de trois jours qu'elle avait accordé aux écoliers :

« Messieurs, pénétré de la plus vive reconnaissance, je viens remercier cette auguste assemblée de la grâce qu'elle a bien voulu nous accorder. Nous redoublerons nos efforts pour mériter la continuation de ses bienfaits ; nous la regarderons toujours avec confiance, comme notre mère qui nous fait espérer l'avenir le plus heureux. Déjà nous voyons par ses soins, revivre le siècle d'or ; ses respectables membres resteront à jamais gravés dans nos coeurs, et nous ne cesserons de répéter : " Vivent, vivent à jamais les Res­taurateurs de la liberté " ; les écoliers ont toujours aimé les congés et gratifié de chaleureux Vivat ceux qui ont la bonté de leur en accorder ».

Après l'Évangile de la messe solennelle dont nous venons de parler, le célébrant, M. Cathenos, avait prononcé une allocution dont voici la teneur :

Discours de M. Cathenos, recteur de Taden.

« MESSIEURS,

Dans l'empire français, divers événements dont toute la sagacité, toute la prévoyance humaine ne pouvait apercevoir la fin, ont amené la plus nécessaire des révolutions et produit la plus sage des Constitutions. Persuadés que c'est Dieu qui a tout fait, tous les bons citoyens, tous les véritables chrétiens lui en ont rendu grâces. Convaincus qu'il restait encore beaucoup à faire et que nous pouvions tout attendre de l'Etre bienfaisant qui nous commande de l'appeler notre père, de nous croire ses enfants, de nous considérer, de nous aimer comme des frères, et que c'est lui qui donne la sagesse. Avant d'élire les administrateurs du département des Côtes-du-Nord, nous avons imploré l'assistance du Très-Haut ; il a daigné nous écouter, et lorsque nous nous connaissions si peu, les citoyens les plus éclairés et les plus vertueux ont été choisis. Pour élire les administrateurs du district, nous avons aussi commencé par la prière et par offrir le sacrifice divin de nos autels. Que Dieu est bon, Messieurs, et qu'il nous aime ! Si je n'étais du nombre des administrateurs, je vous dirais que vous ne pouviez avoir des hommes plus capables d'opérer le bien de tous ; à cette exception près, que de probité, que de talents, que de vertus dans les administrateurs du district ! Nous allons, par le plus divin de tous les sacrifices, remercier Dieu de ce nouveau bienfait. Pendant que nous verserons le sang de l'Agneau sans tache, adressez au ciel les prières les plus ferventes ; demandez pour vos administrateurs, un esprit de discernement et de lumières qui ne les abandonne jamais, un cœur droit et bon ; qu'ils n'aient en vue dans toutes leurs opérations, que le bien général ; que toutes leurs démarches, guidées par la sagesse, soient selon l'équité ; qu'ils aient de la fermeté pour la conservation des moeurs ; que par une conduite pleine d'aménité et de modération ils fassent chérir la Constitution ; qu'ils donnent un exemple constant de la vénération, de l'attachement inviolable à notre religion sainte ; qu'en s'acquittant des fonctions politiques, ils aient toujours pour fin, le bonheur de leurs concitoyens et de leurs frères, et qu'ils n'attendent que le ciel pour récompense de leurs pénibles travaux ».

Le moins amphigourique de tous les discours que nous venons d'entendre, le plus patriotique et le plus chrétien, j'oserais même dire le plus délicatement pensé est bien celui-là.

Quand l'assemblée eut fini d'entendre les remerciements du petit de Launay, le président pour clore les séances d'élection, adressa aux électeurs et aux élus les paroles suivantes :

Discours de M. Urvoi de Saint-Mirel, Président.

« MESSIEURS,

L'objet de notre mission est enfin heureusement rem­pli. Appelés par la confiance de nos concitoyens, à travailler à l'édifice dont l'Assemblée Nationale a posé les fondements sur des bases immuables, nous venons d'élever sur le plan qu'elle nous a tracé, deux colonnes de ce monument majestueux du génie des Français.

S'il est encore quelques ennemis de la Constitution, ils seront frappés de terreur quand ils apprendront qu'une heureuse harmonie a accompagné le choix (oubliez dans ce moment, Messieurs, l'effet de vos bontés pour moi) plus heureux encore que vous avez fait. Puisse cette terreur leur être salutaire, puisse-t-elle être pour eux le commencement de la sagesse.

Oui, Messieurs, nous sommes unis, et nous le sommes à jamais. En vain tenterait-on désormais de faire naître la défiance entre les habitants des villes et ceux des campagnes. Les cultivateurs, ces pères nourriciers de la nation, ont eu dans nos assemblées une influence proportionnée à l'importance de leurs travaux. De retour dans nos hameaux, nous raconterons avec quelle cordialité nous avons été reçus par nos frères des villes ; nous rappellerons tous les égards qu'ils ont eus pour nous ; le récit fidèle de ce que nous avons vu et de ce que nous avons entendu rendra plus chers et resserrera des noeuds que l'intérêt commun avait formés ; il prouvera que dans ce nouvel ordre de choses on ne prise plus l'homme par ses vêtements et son langage. Le simple villageois connaîtra l'honneur attaché au titre de citoyen, il en ressentira le prix, et une fierté noble et décente décorera un front qu'un gouvernement despotique et la servitude féodale avaient humilié.

Si quelques lâches ennemis du bien public, couvrant du manteau de la religion leur intérêt personnel, osent dire que nous avons porté atteinte à cette religion divine, par notre adhésion pure et simple aux décrets de l'Assemblée Nationale, cette odieuse calomnie tombera d'elle-même quand on saura que nos vénérables pasteurs ont coopéré à tous nos travaux, qu'ils ont disputé de zèle avec nous pour affermir la Constitution, et que plusieurs d'entre eux s'honorent d'être membres de nos assemblées administratives ; quand on saura enfin qu'une prière religieuse nous a préparés à l'important ouvrage que nous venons de terminer, et que la Religion elle-même y a apposé son sceau, en le couronnant par la plus auguste de ses cérémonies.

Messieurs, je ne vous entretiendrai point ici de ma reconnaissance ; mes expressions seraient trop au-dessous de mes sentiments ».

On ne peut qu'applaudir à ce noble langage, tout empreint de foi chrétienne et patriotique ; mais il fait naître dans mon âme d'anxieuses réflexions. M. de Saint-Mirel se félicite des encouragements et des approbations du clergé ; il reconnaît la dignité du prêtre, il lui rend un hommage respectueux, et cependant le lendemain du jour où il parle doit être un lendemain de ruines et de sang ! Qu'est-ce donc qui nous attend demain, nous, génération incrédule qui fait la guerre au sacerdoce, qui bafoue la religion et qui la maudit ? Quelle tempête va donc se déchaîner sur la France du centenaire des massacres de Septembre et de l'assassinat du 21 janvier 1793 !

L'assemblée vota des remerciements mérités à MM. Les Président, Secrétaire et Scrutateurs, et décida qu'il serait fait trois copies du présent procès-verbal et imprimé des extraits pour être envoyés aux municipalités du District de Dinan.

« Fait et arrêté en l'église du collège de Dinan, les dits jour et an, à midi, signé sur le registre : Urvoi de Saint-Mirel, président ; de Launay ; Essirard ; Le Masson de Vaubruand ; Cormao ; Forcoueffe ; Hallouet ; Grandchamps Viel ; Cathenos, recteur de Taden ; Le Borgne, recteur de Ploubalay, administrateurs ; Le Boulanger du Porche, scrutateur et administrateur ; Carillet et du Cours Frélaut, commissaires, rédacteurs et administrateurs ; Lohier, procureur-syndic et commissaire rédacteur ; Ozou des Verries et Goupil, scrutateurs ; Bameulle de la Chabossais, commissaire, rédacteur, et Baignoulx, secrétaire ».

Comme on le voit, les cœurs étaient à l'espérance. Aussi quand l'assemblée résolut de célébrer l'anniversaire du 14 juillet dans une fête où serait prêté le serment civique et, où la fédération générale de toute la France serait représentée par des députations de toutes les gardes nationales et de tous les corps de l'armée, trouva-t-elle un écho dans toutes les provinces. A Paris, la fête fut admirable. Dès la veille, un enthousiasme difficile à décrire, s'était emparé de Paris. « Douze mille ouvriers, dit le marquis de Ferrières, travaillaient sans relâche à préparer le Champ-de-Mars... Les districts invitent, au nom de la Patrie, les bons citoyens à se joindre aux ouvriers. Cette invitation civique électrise toutes les têtes... Tous les citoyens mêlés, confondus, forment un atelier immense... Le 14 juillet, les fédérés rangés par départements sous 83 bannières, partirent de l'emplacement de la Bastille... La pluie qui tombait à flots ne dérangea ni ne ralentit la marche... Le chemin qui conduit au Champ-de-Mars était couvert de peuple qui battait des mains... Les fédérés les premiers arrivés commencent à danser des farandoles ; ceux qui suivent se joignent à eux en formant une ronde qui bientôt embrasse une partie du Champ-de-Mars... La danse cesse ; l'évêque d'Autun célèbre la messe ; Lafayette, à la tête de l'état-major de la milice parisienne et des députés des armées de terre et de mer, monte à l'autel et jure, au nom des troupes et des fédérés, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi. A son tour, le roi se lève et fait le serment de fidélité à la Constitution ; la reine prend le dauphin dans ses bras et le présente au peuple en disant : " Voilà mon fils ; il se réunit ainsi que moi, dans ces mêmes sentiments ".  Le soir, les Champs-Elysées furent illuminés, et l'emplacement de la Bastille, en partie détruite, fut transformé en salle de bal ».

A Dinan, la fête de la Fédération ne fut pas sans éclat. Nous en donnons la description officielle dans les pages suivantes :

Cérémonie du Pacte Fédératif, à Dinan, le 14 juillet 1790.

MM. les commissaires nommés par délibération du conseil général de la commune, pour ordonner les préparatifs de la fête du 14, avaient fait élever, sur la Place du Champ, une plate-forme en amphithéâtre, adossée au mur de sainte Claire, couverte de tapis, ayant 60 pieds de longueur, sur 25 de profondeur.

Dans le fond et au milieu de cette plate-forme, près du mur qui était revêtu de tapisseries, s'élevait sur un piédestal de 6 pieds de hauteur, en couleur de marbre blanc, un obélisque de 40 pieds, terminé par un globe surmonté du bonnet de la liberté et de l'écusson du roi, entouré de lauriers.

Au-dessus de l'obélisque, s'élevait un pavillon chinois en draperie aux trois couleurs, garni de branches de chêne, de festons et guirlandes en fleurs naturelles ; le tout se terminait par un trophée d'armes, composé de trois drapeaux, blanc, bleu et rouge, de deux canons, piques et hallebardes et autres instruments de guerre en sautoir.

En avant du pavillon, était suspendue la couronne civique, du milieu de laquelle partaient des guirlandes qui se prolongeaient en retour sous les ailes du dit pavillon. Sur la première assise de l'obélisque, était écrit : Vive le Roi. Au milieu de l'obélisque, dans un grand médaillon, on lisait : Vive la Nation et la liberté. Et aux deux côtés, dans deux grands écussons, étaient inscrits les quatre vers suivants, composés par M. le Comte, l'un de MM. les notables.

Souviens-toi que le Dieu qui punit le parjure, 

Lit au fond de ton âme, y voit tes sentiments ; 

Si par hypocrisie ou par crainte tu jures, 

Va loin de cet autel porter tes faux sermens.

Sous ces deux grands écussons, étaient placés en trophée les deux drapeaux de l'ancienne milice bourgeoise. En avant, et à 15 pieds du fond de l'amphithéâtre, on avait dressé un autel en forme de tombeau, au-devant duquel on lisait en lettres couleur d'or : Autel de la Patrie. Sur l'autel on avait placé deux épées nues en croix et deux vases de porcelaine remplis de fleurs naturelles des trois couleurs.

La cérémonie, annoncée la veille à 7 heures du soir par une salve d'artillerie, fut précédée le 14, à dix heures du matin, par une distribution de plus de 3 milles livres de pain aux pauvres, qui fut présidée par MM. les deux recteurs de Dinan, conjointement avec des commissaires nommés à cet effet. Quelques minutes avant midi, MM. les administrateurs du district, sur l'invitation des membres du conseil général de la commune, se transportèrent avec eux, une branche de chêne à la main, sous l'escorte d'une garde d'honneur, sur la place du Champ, où toute la troupe nationale était sous les armes, une branche de chêne au chapeau, la brigade de maréchaussée au centre, MM. Le Président et administrateurs du district se placèrent sur les sièges du côté droit de l'amphithéâtre ; MM. les maire, officiers municipaux et notables, sur ceux du côté gauche ; tous les citoyens indistinctement occupaient la place du Champ ou les fenêtres des maisons situées à l'opposite.

A midi, la cérémonie fut annoncée par 21 coups de canon et le son de toutes les cloches. Aussitôt M. l'abbé Gaultier, maire, quittant son siège, s'avança vers l'autel de la patrie et prononça le discours suivant.

Avant de rapporter ces paroles, disons un mot de ce maire de Dinan, prêtre et ancien curé de la paroisse Saint-Malo. Docteur en Sorbonne, il avait été nommé curé de Saint-Malo de Dinan en 1767, puis avait résigné sa cure, le 19 décembre 1778. Il continua, après sa démission, de résider à Dinan. Entré complètement dans les idées du jour, il fit partie de l'administration municipale et du bureau de permanence de Dinan à la fin de 1789 ; il fut nommé maire de Dinan en 1790 et devint ensuite membre du district et suppléant à l'Assemblée législative en 1791. Il fit depuis partie du conseil de l'évêque schismatique Jacob et mourut le 18 Messidor, an X (7 juillet 1802) dans une maison de la place de la Concorde — ex-place Saint-Sauveur — qui avait appartenu à l'église Saint-Sauveur et qu'il avait nationalement achetée. Voici le discours qu'il prononça à la fête de la Fédération :

« Vous n'ignorez pas, Messieurs, le motif qui nous rassemble aujourd'hui avec tant de solennité. Il s'agit de renouveler à la face du ciel et de la terre la profession des sentiments patriotiques dont chacun de nous est animé ; il s'agit de leur donner, s'il est possible, un nouveau degré d'énergie et d'intensité par la réunion de ce nombre prodigieux de nos frères qui les partagent avec nous, et qui dans toutes les parties de ce vaste empire, se font gloire de les publier comme nous et au même instant.

Il s'agit de célébrer tous ensemble la victoire complète que l'équité, la raison, l'humanité ont enfin obtenue sur le délire, l'injustice, la barbarie des préjugés affreux dont nous fûmes si longtemps victimes, et dont nous avons eu le bonheur de secouer le joug. Il s'agit d'éteindre dans le coeur des ennemis du bien public le désir de s'opposer de nouveau à notre bonheur, en leur démontrant par la force invincible de notre fédération, l'impossibilité absolue de réussir dans leur funeste entreprise. Il s'agit enfin, ou de les gagner à la patrie par le langage persuasif de notre exemple, ou de les réduire à se punir eux-mêmes des maux qu'ils nous préparaient, par le désespoir que leur causera le spectacle de notre allégresse.

Je n'éloignerai pas davantage, chers concitoyens, l'instant précieux qui doit nous consacrer spécialement au service, à l'amour, au culte de la patrie ; déjà dans la capitale de ce royaume, le signal de cette consécration est donné, unissons-nous d'intention à nos députés et à nos frères, empressons-nous de prêter le serment qu'ils prononcent eux-mêmes ».

Après quoi, M. le maire a présenté à M. le président du District la formule du serment, que celui-ci au nom des membres du district a prononcé en ces termes :

« Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi : de maintenir de tout notre pouvoir la constitution décrétée par l'assemblée nationale et acceptée par le roi ; de protéger conformément aux lois, la sûreté des personnes et des propriétés, la libre circulation des grains et subsistance dans l'intérieur du royaume, et la perception des contributions publiques, sous quelques formes qu'elles existent ; de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité ».

M. le maire a ensuite prononcé le même serment au nom de la municipalité. Puis M. Beslay fils, colonel de la milice nationale, est monté à l'autel, l'épée nue à la main, et a prononcé le discours suivant : « Frères et braves amis, qu'il est beau, qu'il est imposant ce jour où la France entière retentit du serment de maintenir la Constitution, où chaque citoyen s'empresse de venir renouveler sur l'autel de la patrie la promesse solennelle de consacrer son bras à la défense de la liberté, où l'hommage d'une entière soumission aux décrets de l'Assemblée, est l'hommage réfléchi de tout bon Français ; où l'enthousiasme du patriotisme fait répéter dans tous les coins de l'empire, ce cri sublime et sentimental : Français, nous sommes libres, Français, nous sommes frères... Vivons désormais dans la sécurité de la bonne cause, sous l'égide de la loi dont nous allons nous déclarer solennellement les soutiens. Vivons et mourons fidèles à la nation qui créa le bonheur public, à la loi qui l'établit, au roi qui le protégea.

Jurons de réunir toutes nos forces pour la défense de la liberté, pour le maintien de la Constitution. Jurons amour, respect, fidélité au monarque chéri que la France reconnaissante proclame restaurateur de la liberté. Jurons de garantir de tous nos efforts la sûreté des personnes et des propriétés, ressouvenons-nous qu'elles sont sacrées, et que le moindre attentat en ce genre est une violation manifeste des conditions primitives de la société. Jurons de partager avec nos frères les bienfaits de nos récoltes, d'aider la libre circulation intérieure des produits de nos moissons. Jurons d'alimenter les ressources de l'État, en offrant d'ajouter notre pouvoir aux soins de l'administration pour assurer la perception des contributions légales. Jurons, et que ce serment s'élève du fond de nos coeurs, jurons amour, union, fraternité à tous les Français ; et dans ce grand jour de concorde et de paix, répétons avec l'enthousiasme du sentiment, le serment sacré d'être à jamais frères. Réunissons tous nos efforts pour élever l'édifice de la félicité publique, et n'oublions jamais que nous ne saurions créer le bonheur, que nous ne pouvons que le partager.

Je pressens, braves amis, que vous comptez déjà les instants que je dérobe à l'impatience du désir que vous avez de proférer cet engagement auguste ; c'est l'empressement du patriotisme ; il fait l'éloge de vos coeurs. Je me hâte de me rendre à vos voeux ». M. le colonel prononce aussitôt le serment.

Alors M. Baignoulx aîné, procureur de la commune, s'est pareillement avancé vers l'autel, où avant de prononcer le même serment au nom de tous les habitants, il leur a parlé en ces termes :

« Ad Dominum, cum tribularer clamavi, et exaudivit me...

Etre Suprême, Dieu créateur et conservateur de ce vaste univers, c'est toi que j'implore ! Continue de répandre sur ce royaume tes rayons de lumière et de vérité. 0 France superbe, te voilà donc le théâtre de la liberté ! 0 législateurs mémorables, quelle couronne ne vous êtes-vous pas acquise ! 0 roi chéri et si digne de l'être, que ton titre de citoyen donne de force à notre amour pour ta personne sacrée ! Le voilà, chers frères et chers concitoyens, ce jour solennel, ce jour de l'alliance des Français, ce jour qui assure à jamais le plus grand et le plus beau de leurs triomphes. Loin de nous tout ce que les fastes de l'histoire la plus reculée nous offrent de plus intéressant. Tout ce qu'elle nous annonce de mieux réfléchi et de mieux exécuté pour le bonheur général, se trouve aujourd'hui confondu, anéanti par les sages, profondes et graduelles opérations de nos législateurs éclairés, du meilleur des rois et d'un ministre incomparable. Le voilà ce jour de l'époque anniversaire de la liberté française. 0 Bastille, que tes horreurs nous procurent de trophées ! ô heureuse faute de nos pères qui sert leurs enfants avec tant de libéralité. Voilà l'heure, voilà l'instant où le cri général du peuple français à l'autel de la patrie, se fait entendre d'une extrémité à l'autre du plus beau royaume de l'univers. Joignons-nous, chers frères et concitoyens, joignons-nous avec tous les transports d'allégresse et d'admiration à nos frères français entourant dans ce moment le plus beau de leur vie et de la nôtre, le plus grand des monarques, et les plus illustres régénérateurs de la France. Religion sainte, religion de nos pères, c'est sous tes auspices que nos serments et nos cris vont être entendus du Dieu bon qui gouverne les empires.

Approchez donc de cet autel, ô vous tous qui avec tant de zèle, de fermeté et de courage avez contribué à la régénération triomphante, tant par vos lumières que par vos travaux ; ô vous tous, ministres séculiers et réguliers de notre sainte religion, qui n'avez écouté dans les heureux changements qui s'opèrent, que le cri de votre conscience et de l'humanité opprimée ! 0 vous, brave et brillante jeunesse, qui avez, d'une manière si glorieuse, contribué au salut de la patrie et à la tranquillité publique ! 0 vous, citoyens de tous les sexes et de tous les âges, de la ville et des campagnes, qui avez, avec confiance dans nos dignes représentants, attendu le bonheur qu'ils vous ont préparé et dont vous allez jouir à longs traits ! 0 vous, chers étudiants, qui sans cesse donnez des preuves de votre zèle patriotique ! 0 vous tous, enfants de la patrie, qui bénirez un jour et ferez bénir aux vôtres l'époque du terme de l'esclavage français ! 0 vous enfin, aveugles ennemis du bonheur et du salut de l'Etat, reconnaissez vos erreurs ou retirez-vous dans ce jour du triomphe et de la gloire des Français qui vous plaignent ! Approchez donc tous, bons citoyens, et répétez avec moi, la main élevée vers le ciel : Nous jurons sur l'autel de la Patrie, en face du Dieu de l'univers, pour nous et nos enfants, de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, etc., etc. Vive la Nation, vive la loi, vive le roi ! ».

Après la prestation du serment, tout le cortège s'est rendu solennellement à l'église Saint-Malo, où l'on a suspendu à la voûte du choeur un des deux drapeaux de l'ancienne milice, pendant qu'on chantait la prière pour le roi.

De là on s'est transporté à l'église Saint-Sauveur, où le maire, l'abbé Gaultier, s'est exprimé ainsi : « Messieurs, la consécration civique à laquelle nous venons tous de participer, est sans doute bien respectable par elle-même, puisqu'elle est de notre part une reconnaissance solennelle des devoirs que nous impose la qualité de citoyen ; mais cette consécration doit acquérir dans ce moment un nouveau prix à vos yeux, si nous sommes convaincus que la religion sainte dont nous faisons profession, en approuve l'objet et nous prescrit impérieusement d'en remplir avec fidélité toutes les obligations. Vérité consolante que le fanatisme seul peut révoquer en doute, mais que tous les principes du christianisme, tous les monuments de l'antiquité sacrée établissent de la manière la plus incontestable. Offrons donc à Dieu, offrons-lui avec confiance les sentiments qu'il nous a inspirés lui-même. Rendons-lui d'immortelles actions de grâces pour l'heureuse révolution qui s'opère en notre faveur, et dans laquelle nous ne pouvons méconnaître la protection visible de sa providence. Efforçons-nous par nos prières, d'attirer ses bénédictions les plus abondantes sur le monarque chéri qui a contribué si puissamment à notre bonheur, et qui vient de prendre aujourd'hui l'engagement sacré et solennel d'employer tout le pouvoir qui lui est confié au maintien d'une constitution si chère à tous les Français ».

Le Maire entonne alors le Te Deum. Pendant ce temps le canon tonne, toutes les cloches de la ville sont en branle, et l'on suspend à la voûte du choeur de l'église Saint-Sauveur le second drapeau de la milice bourgeoise. Le soir, il y eut illumination générale, annoncée par un coup de canon. A neuf heures, MM. les Administrateurs du district et les membres de la municipalité, conduits par un détachement de la milice, se rendirent sur la place du Champ, où un feu de joie, préparé à cet effet, fut allumé par deux membres du district, quatre de la municipalité, deux de la milice nationale et MM. les recteurs de la ville. A peine le feu a-t-il été allumé, que la foule a poussé les cris de : Vive le Roi ! Vive la nation ! Vive la liberté ! et a formé des danses au son du tambour.

Le soir de ce même jour eut lieu un souper patriotique durant lequel l'auteur des quatre vers placés près de l'obélisque, composa la chanson suivante sur l'air : Mon moulin, quoiqu'on en raisonne.

Dans ce jour, digne de mémoire,

Que nous fêtons, mes chers amis,

Il nous faut à la ronde boire,

A nos députés de Paris.

 

Au grand autel de la Patrie,

Pour eux, pour nous ils ont juré

De donner leur sang et leur vie,

Pour conserver la liberté.

 

Sortis de l'aristocratie,

De l'esclavage délivrés,

Chantons, répétons à l'envi,

Vive, vive la liberté.

 

Jurons aux lois obéissance,

A la France fidélité,

A Louis, amour et constance,

Pour prix de notre liberté.

 

Au Président, à La Fayette,

A Coupard, Gagon et Bailly,

Buvons, et que chacun répète,

Par eux, nous sommes tous unis.

 

Daignez permettre, camarades,

Que pour terminer ma chanson,

A vous je boive une rasade,

Et que j'en demande raison.

Ce fut seulement le 8 janvier 1791 (en ce temps-là les communications n'étaient pas aussi faciles qu'aujourd'hui) que la municipalité de Dinan reçut du Directoire, avec ordre d'en assurer l'exécution, l'ampliation du décret de l'Assemblée nationale relatif à la Constitution civile du clergé. Ce décret soumettait à l'élection les membres du clergé paroissial, depuis l'évêque jusqu'au simple desservant, et les astreignait à prêter le serment de fidélité à la nation, à la loi, au roi et à la constitution.

On le fit publier le jour même « à bat de caisse », dans la ville et les faubourgs, et les « recteurs » des deux paroisses furent invités à en donner lecture en chaire aux prônes du lendemain, ce qui fut fait à Saint-Malo, en l'absence de M. Le Tulle, par un de ses vicaires, et à Saint-Sauveur, sur le refus de M. Carron, par un des membres du Conseil général de la commune. Dès le 9, MM. de la municipalité se plaignent au district de l'attitude de M. Carron en cette affaire, et voici le récit qu'elle en fait : « ... Lui, maire, s'étant trouvé dans l'église paroissiale de Saint-Sauveur à la grand'messe, vis-à-vis la chaire, voyant que la loi n'avait pas été lue au prône et que M. Carron, curé, se retirait de la chaire après avoir lu à l'issue de la messe différents billets et affiches sans donner lecture de ladite loi, il l'avait prié de donner cette lecture ; que sur la réponse de M. Carron qu'on commençait la messe (celle militaire), il lui avait répliqué : il fallait commencer vos lectures par cette pièce ; à quoi M. Carron a donné pour réponse qu'il n'y avait point de loi de l'Assemblée nationale qui l'oblige à cette lecture, et qu'au surplus, on ne peut forcer un accusé de lire sa condamnation ; que lui, maire, lui a alors dit : Vous ne voulez donc pas en donner lec­ture ? — Non, a répondu M. Carron. Sur lequel refus, lui, maire, lui a répliqué : Cela ne pourrait cependant que vous faire honneur. Et voyant que Carron se retirait, il lui a ajouté : Nous allons rapporter procès-verbal de votre refus, et ayant envoyé le secrétaire-greffier demander la remise de cette loi au sieur recteur, qui la lui a faite sur le champ, lecture en a été donnée au long, à haute et intelligible voix par M. Fouques, membre du Conseil général de la commune, aux fidèles assemblés en grand nombre dans ladite église. Au bureau municipal, le 9 janvier 1791. BAMEULLE, HEURTEVENT, NÉEL, FOUGERAY, LECOMTE ET LARERE, assemblés. VAUVERT, secrétaire-greffier ».

L'attitude du curé de Saint-Sauveur est noble et ferme. Il est probable que le curé de Saint-Malo eût également opposé un refus à la lecture de cette pièce schismatique, s'il n'avait pas été absent ; son vicaire, sans doute, se laissa surprendre, et M. Le Tulle dut certainement le réprimander de cet acte de faiblesse.

Comme on n'en peut douter, le district accueillit favorablement la plainte du maire et dénonça M. Carron au Directoire du département : « Vu le procès-verbal ci-dessus et de l'autre part, le Directoire du district de Dinan, considérant le refus du sieur Carron comme contraire à la loi, et notamment à l'article 4 du décret du 2 juin dernier, et comme propre d'ailleurs à exciter une fermentation dangereuse parmi le peuple, a, ouï et le requérant le procureur-syndic, arrêté que le procès-verbal dont il s'agit sera envoyé à MM. les Administrateurs du département, avec prière d'y avoir tel égard que de raison. Fait au Directoire du district, à Dinan, le 11 Janvier 1791. Benj. DELAUNAY, CARILLET ».

Le même jour, les membres du District de Dinan mirent leurs menaces à exécution et écrivirent au Directoire du département la lettre suivante :

« Dinan, 11 janvier 1791. MESSIEURS,

Nous avons l'honneur de vous adresser le procès-verbal rapporté par les officiers municipaux de Dinan, du refus fait par le sieur Carron, curé de Saint-Sauveur de cette ville, de publier le décret du 27 novembre dernier. Vous verrez notre avis au pied. Les administrateurs composans le Directoire du District de Dinan, Benj. DELAUNAY, FORCOUEFFE, CARILLET ».

« P.-S. — La fermentation que fait naitre le refus des curés de cette ville, de ceux des campagnes et des régens du collège, de prêter le serment, nous donne les plus violentes inquiétudes. Le parti que vous prendrez à cet égard pourra les calmer, s'il nous offre les moyens d'opposer une force active aux desseins pervers des aristocrates fanatiques. Un des régens du collège nous a tous excommuniés ce matin, et nous a traités d'apostats. Nous aurons l'honneur de vous envoier le procès-verbal que nous avons rapporté de ses indécentes objections et de ses ridicules sorties contre les décrets de l'Assemblée nationale. Benj. DELAUNAY ».

Qu'allait-il résulter de cette attitude du clergé de la ville ? On devait se le demander avec inquiétude, et la municipalité dut éprouver une très agréable surprise lorsque, le 14 janvier, au matin, les deux recteurs, accompagnés de leurs vicaires, vinrent déclarer au greffe qu'ils avaient l'intention de prêter serment le dimanche 16, à l'issue de la grand'messe, « en conformité de l'article 13 du décret du 17 novembre 1790 ». Mais sa satisfaction ne fut pas de longue durée, car, une heure plus tard, elle recevait d'eux une lettre expliquant que le serment qu'ils se disposaient à prêter était celui de l'évêque de Clermont qui exceptait formellement dans sa soumission à l'autorité civile « les objets qui dépendent essentiellement de l'autorité spirituelle ».

La municipalité de Dinan refusa d'accepter ces réserves, absolument justes pourtant, et nécessaires, en sorte que les deux curés ne prêtèrent aucun serment ; ils se contentèrent de lire en chaire, le 16, une déclaration dont ils remirent ensuite le texte, dûment signé, au Directoire du District.

Il ne semble pas que l'autorité Dinannaise leur ait tenu trop fortement rigueur de leur refus, puisque MM. Carron et Le Tulle restèrent à la tête de leurs paroisses jusqu'aux élections du 12 juin. Le conseil général de la commune, semble même vivre en assez bonne harmonie avec les curés comme le prouve leur désir de s'entendre au sujet des heures des messes, le dimanche :

« L'an 1791, le 23 feuvrier, aux deux heures de l'après-midy. Assemblée du Conseil général de la commune en vertu de convocation faite le matin de ce jour et an, au son de la cloche de l'hostel de ville en la manière accoutumée, où a présidé M. Le Coq, maire ; présents : MM. Bameulle, Heurtevent, Le Comte, Fougeray, Restif, Larere et M. le Procureur de la Commune ; aussi présents : MM. Le Patîcier, Percevault, Crosse, Houel, Morault, Harouard Le Saulnier, Perard, Rabot, Guérin, Faisant et Foulques notables.

M. Baignoulx, procureur de la Commune, a dit : " MESSIEURS, Dans les circonstances où nous nous trouvons par suppression des communautés des RR. PP. Cordeliers et Dominiquains de Dinan qui y procuraient un certain nombre de messes, je crois qu'il devient intéressant d'aviser aux moyens de faire dire des messes de demie heure en demie heure, entre les deux paroisses de cette ville, les dimanches et fêtes, tant pour la commodité des habitants de la ville que de ceux des campagnes circonvoisines.

Vous scavez, Messieurs, que les prestres de choeur sacristains des deux paroisses sont payés des deniers des fabriques, et nous sommes persuadés qu'ils ne tendent dans l'exercice de leur saint ministère qu'à la plus grande gloire de Dieu et à procurer aux fidèles les moyens de ne manquer d'assister à l'auguste sacrifice de nos autels ", pourquoy  il a prié l'assemblée de délibérer et a signé : BAIGN0ULX.

Sur quoy l'Assemblée délibérant a arresté, d'inviter Messieurs les prestres de choeur et sacristains des deux paroisses de cette ville à l'Assemblée et à prendre entre eux tous les arrangements convenables à l'effet qu'il soit dit une messe basse de demie heure en demie heure dans l'une ou l'autre des églises paroissiales de cette ville, et alternativement depuis 6 heures du matin jusqu'à 11 heures et demie, les dimanches et fêtes, parce que néanmoins les messes de fondation seront comprises dans celles ci-dessus, mais toujours de manière qu'une messe ne puisse être commencée dans une église avant la fin de l'autre, et qu'elle soit toujours sonnée quelques minutes auparavant.

Attendu qu'il est essentiel de donner connaissance dès dimanche prochain, au public et paroisses circonvoisines du résultat du présent, MM. les prêtres et sacristains sont de même invités de déposer dans vingt-quatre heures, au bureau municipal, leur arrêté ce touchant, d'eux souscrit, à l'effet de quoy copies du présent seront servies dans le jour, à chacun de MM. les receveurs du choeur des deux paroisses. Fait et arresté ledit jour et an que devant. Signé LE COQ, maire, etc., etc. Pour copie conforme au registre le dit jour et an, VAUVERT, secrétaire-greffier ».

Les prêtres des deux paroisses ne crurent pas pouvoir accepter cet arrangement, et ils s'en expliquèrent par cette lettre à la municipalité :

« MESSIEURS,

Quelque désir que nous ayons d'entrer dans vos vues qui ont toujours été les nostres, nous ne pouvons absolument nous astreindre à dire ponctuellement la messe à telle heure, parce que la médiocrité de nos places ne nous permet pas de les dire toujours dans l'église paroissiale, attendu que la plupart d'entre nous manquons d'honoraire aux paroisses et que nous en trouvons dans d'autres églises.

D'ailleurs, Messieurs, nous ne pouvons ny n'avons point de fondations à desservir les dimanches, que deux à Saint-Sauveur qui se trouvent à 8 heures et 11 heures et demie, et à Saint-Malo, une simplement les jours de festes à 11 heures.

L'invitation que vous nous faites se réduira donc, Messieurs, à desservir nos messes particulières aux heures par vous désignées. Nous ferons à cet égard tout ce qui nous sera possible, sans entendre contracter néanmoins une obligation qui ne fut jamais attachée à nos places.

Et ont signé les prestres des deux paroisses et les sacristes, le 26 feuvrier 1791 ».

La révolution ne restait pas stationnaire. L'assemblée ordonna de remplacer dans les évêchés ou les paroisses les évêques et les curés qui refusaient le serment constitutionnel. On procéda donc dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) à l'élection du nouvel évêque.

L'abbé Jacob, recteur de la paroisse de Lannebert, dans le district de Pontrieux, fut élu le 14 mars 1791 évêque de Saint-Brieuc. Si, au dire de ses contemporains, c'était un « pasteur éclairé, vertueux, charitable et zélé », son ambition gâta ses belles qualités, et nous ne pouvons voir en lui qu'un usurpateur, un schismatique et un révolté. La municipalité de Dinan décida de faire célébrer, à cette occasion, un Te Deum d'actions de grâces.

Les recteurs de la ville, qui s'obstinaient à refuser le serment, déféreraient-ils à ce désir ? C'était au moins douteux. On tourna assez habilement la difficulté en donnant à la cérémonie projetée un double caractère. En même temps qu'on fournissait aux partisans de la Constitution civile du clergé un moyen de fêter l'élection d'un prélat qui, « nouvel Aaron, » contribuerait à « faire refleurir la religion » dans son diocèse, « en la ramenant à sa discipline primitive », on invitait les autres à « remercier l'Etre suprême de la convalescence du monarque chéri, qui a acquis à si bon droit le titre de restaurateur de la liberté française ». De sorte que, finalement, tous les partis semblaient devoir y trouver leur compte.

Le procureur-syndic, dans sa « remontrance » obligée, s'était même attaché tout particulièrement à calmer par avance les appréhensions ou les scrupules qu'une telle manifestation devait nécessairement éveiller. « Non, s'écria-t-il, l'Église de Jésus-Christ ne sera pas renversée ; elle est fondée sur un roc contre lequel se briseront tous les efforts !... ».

La cérémonie, à laquelle toutes les autorités assistèrent, eut lieu le dimanche 27 mars, après les vêpres, dans l'église Saint-Malo. Elle fut marquée, — nous pourrions dire égayée, — par un curieux incident.

C'était la municipalité qui, de concert avec les administrateurs du district, en avait dressé le programme. Il avait été convenu qu'aussitôt après la bénédiction, l'abbé Gaultier, ancien recteur de la paroisse, monterait en chaire, ferait un discours et prêterait le serment civique. Mais les deux recteurs, qu'une indiscrétion sans doute avait mis au courant de ce petit complot, s'entendirent pour le faire avorter. Déjà, dit le procès-verbal, M. Carron et quelques prêtres avaient chanté les prières du programme « sur le ton le plus commun et avec précipitation ». Mais voici bien pis, au moment où l'orateur allait parler, les deux curés ordonnèrent aux chantres d'entonner le Te Deum. Malgré les sommations du procureur de la commune d'interrompre ce chant, ils refusèrent, et le Te Deum commencé s'acheva, mais au milieu du plus affreux tapage.

Après la dernière oraison, quelqu'un vint de la part des autorités « sommer » le clergé d'attendre pour sortir, que l'abbé Gaultier eût dit ce qu'il avait à dire ; le recteur de Saint-Malo répondit à l'injonction par « un geste » qui ne laissait aucun doute sur le cas qu'il en faisait ; il se retira ainsi que le curé de Saint-Sauveur, les vicaires et les prêtres de choeur, si bien qu'il ne resta plus au choeur que deux pères cordeliers et un capucin dégoûtés du froc. L'abbé Gaultier ne se déconcerta pas : « monté sur le banc des fabriciens » (on avait sans doute fermé la porte de la chaire à clef), il prononça, dit le procès-verbal, « un discours religieux et patriotique » à la louange de la Constitution civile, à la suite duquel il prêta publiquement le serment prescrit par la Constitution. La cérémonie se termina par un second Te Deum, précédé des « prières pour le Roi ». Le soir de ce jour, les patriotes furieux de leur échec et de la résistance des deux curés, vinrent faire tapage dans la rue autour des deux presbytères, dont ils brisèrent les vitres. Ainsi finit cette belle journée patriotique.

Bientôt une autre fête vint distraire encore les bons habitants de Dinan. Mirabeau venait de mourir, le 2 avril. La nouvelle qui en arriva à Dinan, le 12, mit la ville en émoi. Le Directoire s'assembla d'urgence et, après l'inévitable « remontrance » du procureur-syndic, il décida qu'un service funèbre serait célébré en mémoire du « défenseur des droits de l'homme ».

La cérémonie eut lieu le samedi suivant, à dix heures, « en l'église de la ci-devant communauté des Jacobins », qu'on avait choisie sans doute pour éviter tout conflit avec les recteurs des deux paroisses. Les « autorités civiles, ecclésiastiques et militaires » y avaient été invitées. Laissons parler ici le procès-verbal officiel :

« Le Directoire a pris la place qui lui avait été destinée dans le bas du choeur ; les officiers municipaux se sont placés dans le sanctuaire, à la droite de l'autel, et les juges du tribunal du district à la gauche. Les soldats du régiment d'Anjou ont entré dans le choeur, les officiers ont demeuré à l'entrée.

Un détachement de cent hommes de la garde nationale entourait le catafalque qu'on avait élevé au milieu du choeur, entièrement tendu en noir. Sur ce catafalque était suspendue une couronne civique en chêne. Sur le derrière on lisait l'inscription : " Aux mânes de Mirabeau ". Sur le devant, du côté de l'autel, était placé un livre ouvert sur lequel on lisait d'un côté : " Constitution des Français ", et de l'autre : " Droits de l'Homme ". Auprès de ce livre, on en avait mis un autre intitulé : " Lettres de cachet abolies ", et un troisième, sur lequel on lisait : " Fanatisme détruit ". Pendant le service, un citoyen militaire, le sabre à la main, veillait à la garde du livre de la Constitution et des Droits de l'Homme.

La messe a été dite par Jean-Baptiste Gaultier, prêtre citoyen, docteur en théologie, ex-maire de Dinan et ancien curé de la paroisse Saint-Malo de la même ville. Après sa célébration, les membres du Directoire ont jeté de l'eau bénite sur le catafalque, et M. le vice-président a remis le goupillon à M. le maire de Dinan, qui l'a donné aux officiers municipaux ; MM. les juges ont ensuite jeté l'eau bénite dans le même ordre.

La cérémonie faite, le Directoire s'est retiré en corps, ainsi que les autres corps civils et militaires. Pendant le service, il a été fait différentes décharges de canon ».

Il y a, dans ce procès-verbal compendieux et quelque peu naïf, des détails symptomatiques qu'il serait superflu de souligner. On trouve, avec un étonnant souci du cérémonial et des préséances, ce goût des inscriptions et attributs allégoriques qui fut un des côtés ridicules de l'époque révolutionnaire. La seule conclusion à en tirer en passant, c'est que, d'une part, le clergé paroissial — qui, depuis le fameux Te Deum en partie double du 27 mars, s'était retiré à l'écart de toute démonstration officielle — n'assistait pas à la cérémonie, — et, d'autre part, que le choeur des Jacobins devait être de belles dimensions, puisqu'il pouvait contenir, outre un catafalque encombrant, les administrateurs du district, des détachements de la garnison et cent hommes de la garde nationale.

Peu de temps après son élection à l'évêché de Saint-Brieuc, l'abbé Jacob était parti pour Paris afin de s'y faire sacrer et de prêter le serment d'usage entre les mains du roi. Son installation solennelle fut fixée au 15 mai 1791. Cinquante hommes de la garde nationale de Dinan, désignés par leurs pairs à la pluralité des voix, se mirent en route le 8 afin d'assister à la cérémonie. Ils n'en revinrent que le 17.

Jacob arriva le 13. Des députations de toutes les gardes nationales du département se joignirent à la garnison pour lui faire, à son entrée à Saint-Brieuc, une escorte d'honneur. Cent cinquante volontaires à cheval se portèrent à sa rencontre jusqu'à Lamballe. Quatre-vingts prêtres — l'élite des constitutionnels — s'étaient réunis au chef-lieu pour lui présenter leurs hommages. Ce fut son vieux père qui, radieux, le reçut dans ses bras à sa descente de voiture, pendant que la musique de Guingamp mêlait ses airs joyeux aux maigres vivats de la foule.

Le nouvel évêque, l'intrus, choisit pour grand vicaire l'abbé Gaultier, qui avait été successivement recteur de Saint-Malo et maire de Dinan ; l'abbé Duhamel, ex-régent de philosophie au collège, fut chargé d'administrer provisoirement une des paroisses de la ville, en attendant l'élection des curés constitutionnels qui se fit quelques jours plus tard, le dimanche de la Pentecôte, le 12 juin 1791, dans l'ancien prédicatoire des Cordeliers.

Les deux curés légitimes de Dinan, qui jusque-là avaient fait toutes les concessions possibles et permises à leur conscience, qui avaient été membres du comité de salut public et qui avaient assisté à la plupart des cérémonies patriotiques, avaient rompu complètement avec la Révolution au sujet de la constitution civile du clergé. Ils quittèrent Dinan et prirent le chemin de l'exil ; on croit que M. Carron se retira à Plouër avant d'émigrer en Angleterre. Ils revinrent à Dinan après la Révolution.

On choisit pour remplacer MM. Carron et Le Tulle, deux dominicains défroqués, du couvent de Nazareth, Tobie et Tudeau, demi-frères de sang. Ils furent solennellement installés le dimanche 3 juillet.

Vers les 9 heures du matin, le maire et les officiers municipaux, « précédés du hérault, suivis des valets de ville et accompagnés d'une escorte d'honneur », se rendirent en corps en l'église Saint-Sauveur, où bientôt arrivèrent les administrateurs du district, les membres du tribunal, le procureur-syndic, commissaire du roi, et une députation des officiers de la garnison. La garde nationale et des détachements de troupes de ligne étaient rangés en bataille sur le Carrouët.

Le clergé, précédant le délégué de l'évêque, M. le grand vicaire Gaultier, sortit, au son des cloches, pour aller chercher au presbytère le nouveau curé, qui fut ramené processionnellement à l'église, « dont il fit le tour ».

Du haut du banc des trésoriers, le secrétaire-greffier de la municipalité donna lecture, « à haute et intelligible voix », d'un extrait du procès-verbal de l'élection et de l'acte d'institution canonique (?). M. Tobie prononça ensuite « un discours plein d'énergie et analogue à la circonstance », qui se termina nécessairement par le serment constitutionnel, et descendit de chaire « au milieu des plus vifs applaudissements ». La messe qui suivit fut chantée, dit le procès-verbal, « avec toute la solennité possible ». Le chant, toutefois, dût être assez maigre, car quelques jours plus tard, pour ne pas célébrer les offices à la muette, il fallut faire venir un chantre de Dol et réquisitionner un soldat du régiment de Forez qui se trouvait alors à l'hôpital.

A onze heures, les autorités et les troupes se transportèrent à l'église Saint-Malo, où la même cérémonie fut « exécutée ». M. Tudeau, lui aussi, fit un discours « qui lui mérita les suffrages de tous les assistants », et l'on se donna rendez-vous à Saint-Sauveur, dans l'après-midi, pour le Te Deum traditionnel.

On avait, par trois fois, tiré cinq coups de canon. Le programme annonçait aussi que les cloches des couvents conservés carillonneraient, comme celles des paroisses, en l'honneur des nouveaux curés ; mais les communautés refusèrent d'obtempérer à cette invitation, et le soir même, on leur interdit de sonner leurs cloches et d'ouvrir leurs chapelles au public.

Peu de jours après leur installation, les deux curés constitutionnels présidèrent l'anniversaire du grand pacte de la Fédération. J'ai raconté par ailleurs la grande fête de la Fédération à Dinan, le 14 Juillet 1790. Un an plus tard, jour pour jour, on fêtait dans toute la France ce grand anniversaire. Toutes les municipalités du district de Dinan avaient été invitées à se faire représenter à cette fête.

Vers 11 heures du matin, le cortège officiel sortit l'hôtel-de-ville, — provisoirement installé dans une salle des Jacobins, — pour se rendre sur la place Saint-Sauveur, où se trouvaient déjà rangés en bataille, autour de « l'autel de la Patrie », les troupes de la garnison, la garde nationale et les cavaliers de la maréchaussée.

Chaque assistant tenait une branche de chêne à la main, les soldats en avaient une au bout du canon de leurs fusils. Les cloches de la ville, — celles qu'on n'avait pas encore dépendues, — sonnaient à toutes volées, et l'unique petit canon dont on pût se servir avec sécurité tonnait de son mieux sur la vieille tour de Sainte-Catherine.

M. Tobie, curé de la paroisse, « entouré de plusieurs prêtres en chape », fit un sermon « relatif à la circonstance et aux fonctions de son ministère », et dit une messe basse. Celle-ci terminée et les membres du clergé s'étant rangés autour de l'autel, le vice-président du district, le maire, le président du tribunal, le commandant de la garde nationale et un officier du 36ème régiment d'infanterie, prononcèrent successivement des discours qui devaient se ressembler beaucoup, et se terminaient par le serment solennel « de maintenir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale, de protéger, conformément aux lois, la sécurité des personnes et des propriétés, et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la Fraternité ».

Après la lecture de chaque formule, les troupes, les gardes nationaux et la foule criaient, en levant la main « Nous le jurons ! ». La cérémonie se termina par le Te Deum d'usage, « chanté, dit le procès-verbal, avec une véritable allégresse ».

Le premier acte du ministère de Tobie à Saint-Sauveur, fut un mariage célébré le 11 juillet, et le premier acte de Tudeau à Saint-Malo, fut un baptême en date du 5 juillet. Les deux intrus conservèrent les registres de l'état civil de Dinan, jusqu'à la fin d'octobre 1792, époque à laquelle Pierre Marheu fut nommé officier de l'état civil. Peu après on chargea le même citoyen de faire l'état civil des deux paroisses de Lanvallay et de Lehon ; il demanda pour cette besogne la somme de 400 fr. par an, ajoutant qu'on lui devait au moins cela, puisqu'il « faisait la besogne de trois curés ».

Malgré tous leurs efforts, les deux intrus ne parvenaient pas à se rendre populaires ; les prêtres insermentés les méprisaient et les fidèles les délaissaient. Jacob croyant faire un beau coup, décréta d'enlever les pouvoirs de confesser aux prêtres qui s'éloigneraient à plus de six lieues de leur résidence. Il s'imaginait par là retenir le zèle des prêtres qui avaient refusé le serment... comme si sa juridiction toute civile avait eu quelque valeur ! Le Directoire de Dinan, lui accusant réception de cette ordonnance (21 juillet 1791), dit qu' « il espère beaucoup de cette mesure pour arrêter les progrès du fanatisme. Les réfractaires se remuent toujours ; il y en a même qui ont refusé de dire la messe, le 14 juillet, pour le renouvellement du pacte fédératif. Si vous connaissiez des sujets sages pour prendre les places de quelques enragés qui soufflent le feu de la discorde, nous ferions assembler les électeurs et renverrions les réfractaires. Il faut réagir ! N'est-il pas inouï de les voir chaque jour nous présenter des requêtes pour obtenir des traitements qu'ils ne tiennent que des bienfaits d'une Constitution dont ils désapprouvent les principes et contre laquelle ils déclament hautement ». Ce fut dans ce même mois, le 6 juillet, qu'une expédition de 30 hommes de la garde nationale et de la ligne, avec deux commissaires à leur tête, prit la route de Plouër pour arrêter le recteur, M. Guérin. L'histoire locale raconte plaisamment que les deux commissaires furent « rocheyés » par les vaillantes femmes de Plouër.

La résistance du clergé fidèle se fortifiait de plus en plus, et les constitutionnels étaient aux abois pour le recrutement de leurs curés. « Sur la connaissance, écrit le district de Dinan à M. Gagon, député à Paris, le 28 juillet 1791, que nous avons eue que vous étiez à lieu de nous procurer cinq sujets pour remplir des places de curés dans notre district, nous vous écrivons pour vous engager à ne pas négliger l'occasion de leur inspirer le goût de venir ici. Quoiqu'il ne dépende pas de nous de faire nommer aux cures tels ou tels, nous croyons que ceux que vous proposeriez ne manqueraient pas d'être admis. Aucune des places à donner ne sera au-dessous de 1.500 livres, quelques-unes iront à 1.800 livres, et même 2.000 ». Il paraît que les appointements de Tobie se montaient à 2.400 livres, mais que les caisses de la République ne lui servaient pas régulièrement son traitement. Il réclame ses quartiers arriérés, par la lettre suivante qu'il écrit à MM. les administrateurs du département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) :

« Dinan, 11 octobre 1791. MESSIEURS,

Vous ne devez pas douter des grandes dépenses que nous avons été obligés de faire pour nous transporter de plus de 30 lieues à Dinan, et des dépenses que nous avons été obligés de faire, tant pour la vie que pour l'ameublement. Les provisions d'ailleurs que nous sommes nécessités de faire pour l'hiver ; le retard de paiement excite contre nous les clameurs du peuple, qui n'a pas encore perdu de vue nos devanciers, et nous frustre de l'espoir de rétablir l'ordre et la paix. Je fis ma pétition au district vers le 22 septembre, également que mon frère Tudeau, curé de Saint-Malo. Elles vous furent envoyées par le même courrier : l'une a été expédiée ; la mienne est restée dans l'oubli. Le district cependant, n'ignorant pas mes besoins, m'a délivré un bon pour me faire compter par M. le trésorier 600 livres pour mon quartier comme curé, et 200 livres pour les quartiers de juillet et octobre comme religieux de 50 ans. Je me suis présenté chez ce dernier avec mon bon ; il m'a bien reconnu pour curé constitutionnel, mais il ne s'est point trouvé de fonds dans la caisse. Ils n'auront pas tardé à rentrer, car il y avait sur mes pas un curé anticonstitutionnel pour lequel il devait s'en trouver. Je vous supplie, Messieurs, de faire en sorte qu'il s'en trouve aussi pour moi et mes semblables, afin de ne pas éloigner de nous par des retards de paiement, la bienveillance du peuple que nous nous efforçons de nous concilier. Daignez agréer les sentiments de respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur, L. TOBIE, curé constitutionnel de Saint-Sauveur ».

Si l'on considère que l'argent avait à cette époque une valeur d'environ moitié plus grande qu'aujourd'hui, on reconnaîtra que le traitement du clergé est actuellement bien modeste. Quoiqu'il en soit, l'appât du gain fut impuissant à faire déserter la cause catholique à la masse du clergé. Le 22 août de cette même année, le Directoire de Dinan écrit au commissaire Le Masson qu'il n'y a « rien de nouveau, si ce n'est une fermentation sourde qui tient les esprits en agitation ; les diables de calotins en sont la cause et nous donnent toujours par continuation bien du train ». Le grand nombre des fidèles restait lui aussi attaché à la cause sacrée de l'Église et aux anciens pasteurs. « Le nouveau décret, lisons-nous sur le registre des Observations du district de Dinan, en date du 10 décembre 1791, n'a fait que resserrer la coalition des prêtres ; on présume que fort peu prêteront le serment, et qu'on ne prévoit pas pouvoir en trouver un assez grand nombre pour mettre à la tête de 59 paroisses... La majeure partie du peuple des campagnes, trompé par les prêtres non assermentés, n'assiste point aux offices, et n'hésite pas d'aller à une lieue, deux lieues, pour avoir ce qu'ils appellent une bonne messe ».

A l'époque où nous en sommes de notre histoire, on fermait les couvents l'un après l'autre, et leurs biens, confisqués comme ceux des prieurés et des bénéfices ecclésiastiques, étaient vendus souvent à vil prix, comme le prieuré de Lehon, « au profit de la Nation », qui n'en retirait pas un sou. Du 7 février au 12 octobre 1791, il en fut aliéné dans le district de Dinan pour 730.313 livres ; à cette dernière date toutefois, les acheteurs n'avaient encore payé que 210.802 livres 14 sols et 6 deniers sur le prix de leurs acquêts.

Enumérons d'abord les couvents qui existaient à Dinan à l'époque révolutionnaire.

Il y en avait sept dans la ville, dont quatre d'hommes et trois de femmes, sans compter les religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve et de la Sagesse qui, chargées d'un service hospitalier ou d'assistance publique, n'étaient pas propriétaires des immeubles qu'elles occupaient, et ne tombaient pas directement sous le coup du décret d'octobre 1790 :

1° Celui des Dominicains ou Jacobins, fondé en 1224 par Alain de Lanvallay, au retour d'une expédition contre les Albigeois. Son vaste et superbe enclos s'étendait de la rue de l'Horloge aux anciens murs qui longent le Grand-Chemin ; il était limité d'un côté par l'ancien monastère des Bénédictines de la Victoire (collège), et de l'autre par le jardin des Catherinettes (hospice). De temps immémorial, la communauté de ville tenait son assemblée générale annuelle de la Saint-Sébastien, le 20 janvier, dans le « prédicatoire » de cet établissement, où l'on avait transféré en 1790 les bureaux du district et ceux de la municipalité.

2° Celui des Franciscains ou Cordeliers, fondé vers le milieu du XIIIème siècle par Henri d'Avaugour, en accomplissement d'un voeu qu'il avait fait au cours d'une croisade. Ses dépendances allaient presque jusqu'aux remparts ; c'est par là que dans la nuit du 12 au 13 février, les conjurés de l'hôtel Marot des Alleux avaient passé pour aller ouvrir aux volontaires royaux les portes de la ville, dont la garnison tenait toujours pour Mercœur.

3° L'aumônerie de Saint-Jacques et Saint-Yves, instituée en 1366 par Olivier Bréal et sa femme Estiennette « pour le salut de leur âme », dans un « clos » situé entre les rues de la Poissonnerie, de l'Apport, des Merciers, de la Croix-aux-Cordeliers et de la Lainerie, et desservie par des Trinitaires ou Mathurins. Ceux-ci, après avoir détaillé et vendu fort cher les emplacements de ce qu'on appelle « l'îlot », s'étaient retirés dans un immeuble de moindre importance, rue de l'École, entre le Bignon et le Jerzual, sur la paroisse de Saint-Malo.

4° Le couvent des Clarisses, bâti à la fin du XVème siècle par un franciscain dinannais, Nicolas Cavaret, directeur de l'abbaye de Sainte-Claire, à Nantes ; il possédait un terrain compris entre la rue Sainte-Claire, la rue de Lehon et la place du Champ (aujourd'hui place Duguesclin), jusqu'à la limite méridionale de la propriété de Mme J.-M. Larere.

5° Celui des Capucins, fondé au commencement du XVIIème siècle, dans le voisinage de la chapelle Saint-Marc, et dont l'enclos, coupé depuis par la route de Brest, appartient en partie aux Petites Soeurs des Pauvres.

6° Celui des Dominicaines réformées ou Catherinettes, fondé en 1625 par Pétronelle et Françoise d'Yvignac dans un immeuble de la Haute-Voie, qu'on appelle encore le Vieux-Couvent, et transféré, le 7 juin 1664, dans le vaste local qui sert vers la fin du XIXème siècle d'hospice, « au bord des Vaux de Dinan ».

7° Celui des Ursulines installées en 1625 dans le beau domaine de Saint-Charles, entre les rues de la Croix et de la Boulangerie.

Les Dominicains, les Capucins et les Cordeliers fournissaient alternativement des prédicateurs aux deux paroisses : la ville leur allouait 150 livres pour le Carême, 100 livres pour l'Avent et 50 livres pour l'octave de la Fête-Dieu.

Les trois communautés de femmes qui tombaient directement sous le coup de la loi du 8 octobre 1790, — les Clarisses, les Catherinettes et les Ursulines, — obtinrent sans peine d'être conservées, à la condition qu'elles éliraient, « au scrutin secret et à la pluralité des suffrages », une supérieure et une économe, dont les pouvoirs renouvelables ne devaient durer que deux ans. Cette élection se fit le 15 avril, sous la présidence d'un officier municipal.

Les communautés d'hommes — au nombre de 7 pour le district — se dispersèrent sans incident et sans bruit ; à la fin de juin 1791 elles avaient disparu. Le premier couvent évacué fut celui des Cordeliers, qui, dès la fin de janvier, cédèrent la place aux troupes envoyées de Saint-Malo pour réprimer l'émeute d'Evran. La population les vit partir avec regret, car elle se rappelait qu'après le combat de Saint-Cast (1758), et pendant la cruelle épidémie de 1778, ils avaient fait de leur monastère un second hôpital. A peine en étaient-ils sortis, qu'on morcela leur enclos pour arrondir les héritages voisins ; leurs meubles, sous la réserve de la bibliothèque et des objets servant au culte, furent vendus le 18 mai ; quelques difficultés de procédure, sous lesquelles se cachait une spéculation, firent ajourner l'aliénation des bâtiments. Ceux-ci, malgré la présence d'un poste, furent d'abord à tel point délaissés, que par une belle nuit, des mélomanes, qui connaissaient le prix du vieux plomb, forcèrent les portes de la chapelle sans être aperçus, et volèrent une partie des tuyaux de l'orgue.

Le couvent des Jacobins était, dès la fin de 1790, ouvert presque à tous venants ; il fallait bien, du reste, que le public pût à toute heure, accéder aux bureaux du Directoire et de la municipalité, qui en occupaient une aile. Un rapport de police du 7 novembre 1790 constate que « journellement une troupe de jeunes gens s'assemble dans le cloître des PP. Dominicains, et y établit le théâtre de ses jeux, » que « leurs cris et leurs clameurs pénètrent dans l'intérieur de la maison conventuelle et dans l'église, et troublent l'office divin, » qu' « ils s'exercent encore à jeter des pierres sur les couvertures des bâtiments et à en dégrader les murs, » que « leur malignité les porte aussi à fermer la porte pour interdire l'entrée et la sortie à ceux qui ont besoin à la communauté des religieux et aux bureaux du district et de la municipalité ». Les religieux néanmoins n'abandonnèrent leurs cellules que dans la première semaine de juin, sur une injonction provoquée par les prédications de l'un d'entre eux, le P. Pallix. On vendit leur mobilier, après en avoir fait régulièrement l'inventaire et le prisage. Le maire réclama l'orgue pour une des paroisses ; Saint-Malo reçut, beaucoup plus tard, la chaire qui existe encore ; il fut aussi question de partager les cloches entre Plouër, Corseul et Plorec. Un petit détail à propos de ces cloches : « il fallut, pour les descendre, crever la toiture du clocher », les moines ayant fait maçonner la voûte par laquelle on les avait autrefois montées. Les bâtiments, avec leurs vastes dépendances, dont la majeure partie forme à la fin du XIXème siècle le bel enclos des Dames Ursulines, ne fut vendu comme domaine national qu'en 1797. C'est dans l'ancienne église conventuelle, qui depuis eut les fortunes les plus diverses, que se tinrent toutes les assemblées, réunions et clubs, pendant la période révolutionnaire.

A quelle date les Mathurins de la rue de l'Ecole évacuèrent-ils leur aumônerie ? Les registres n'en parlent pas plus que s'ils n'avaient jamais existé. M. Odorici prétend qu'ils ne se dispersèrent qu'en 1793 : c'est évidemment une erreur, car dès le mois de décembre 1790, M. Guillaume Laurent Le Sage « soumissionnait » leurs maisons et la belle métairie des Clos Gâtels qu'ils possédaient dans la paroisse de Lehon, et le 16 mai suivant, on procédait à la vente de leurs effets mobiliers.

Plus heureux que les Jacobins et les Cordeliers, les Capucins avaient obtenu du département, le 26 janvier 1791, que leur établissement fût conservé comme maison de retraite, « à charge de se compléter au nombre de vingt » avant le 1er avril. Ils ne purent satisfaire à cette condition, plusieurs religieux sur lesquels ils comptaient ayant renoncé à la vie commune et prêté serment, pour se mettre à la disposition des évêques constitutionnels de Saint-Brieuc et de Rennes. A la fin de mai, ils n'étaient plus que dix au couvent, dont cinq frères lais. En échange de leurs biens confisqués, l'État servait à chacun d'eux un traitement qui variait de 75 à 200 livres par trimestre. Comme ils refusaient de signer le procès-verbal de l'élection du supérieur et de l'économe, à laquelle il avait été procédé le 15 avril en présence d'un membre de la municipalité, le Directoire les mit en demeure de se disperser, ce qu'ils firent le 3 juin, et confia la garde des scellés et de la sacristie à l'un d'eux, le F. Benjamin, qui ne tarda guère à demander à être relevé de son emploi. Dès le 11, on affermait à Isaac Allaire, pour 500 livres par an, leurs jardins et vergers. On eut d'abord l'idée d'utiliser les bâtiments pour y transférer l'hôpital : « Nous pensons, écrivait la municipalité dans un rapport au district, en date du 18 octobre 1791, que la maison des Capucins serait très propre à faire un hôpital, et si l'on pouvait réussir à y transporter celui de cette ville, il en résulterait un très grand avantage pour les malades, qui respireraient dans cette maison un air plus salubre que dans celle qu'ils occupent aujourd'hui, et n'empoisonneraient pas celui de la ville. Il en résulterait encore un autre avantage pour les revenus qui, par cette translation, se trouveraient augmentés, attendu que la majeure partie des biens qui avoisinent l'ancienne communauté des capucins, lui appartient ». Ce projet n'eut pas de suite.

Les bâtiments des Capucins furent employés à loger des troupes de passage et des volontaires nationaux. On sait même, par une plainte du maire d'alors au procureur-syndic, que ceux-ci n'imaginèrent rien de mieux pour amuser leur loisir, un jour qu'ils étaient en gaîté, que de mutiler deux statues, un Ecce Homo et un saint Michel, qui ornaient le cloître. Je possède au presbytère de Lehon une des dernières épaves du couvent des Capucins : un panneau en bois sculpté représentant un coeur entouré d'une couronne d'épines. — Un mot des trois autres monastères d'hommes du district de Dinan :

Il y avait déjà pas mal de temps que les Dominicains de Nazareth et les Carmes du Guildo s'étaient séparés. Ces derniers, qui avaient pour prieur un Père Piel, étaient au nombre de cinq et n'avaient pour vivre qu'un maigre revenu de 1.800 livres. Leur situation était devenue d'autant plus précaire qu'ils avaient dû rebâtir leur clocher, fait refondre leurs cloches, et que, pendant quelques années, l'ouverture d'un cours de philosophie et de théologie avait, sans augmenter sensiblement leurs ressources, doublé le personnel de leur maison. Le commissaire civil chargé de l'inventaire constate, dans son rapport au Directoire, que l'établissement était administré avec une sévère économie.

C'est aussi vers le mois de février 1791 que l'abbaye des Bénédictins de Saint-Jacut avait été évacuée. Elle se composait de douze moines présents. Le dernier abbé, non résident, dom Philippe d'Andrezel, émigra en Angleterre, rentra en France vers 1803, devint inspecteur général de l'Université sous l'Empire, et mourut à Versailles en 1826. Les meubles et les chevaux furent vendus aux enchères ; on expédia, par ordre, le mobilier de l'église et des cloches, à Saint-Malo. Les livres et papiers ne furent apportés à Dinan que le 3 septembre ; le tout tenait dans sept mannequins.

On serait assez porté à croire que les moines des couvents supprimés laissaient des trésors dans leurs bibliothèques et dans leurs archives. Un rapport du Directoire au département prétend le contraire :

« Il est absolument impossible, dit ce rapport, de vous envoyer le catalogue des livres des bibliothèques des RR. PP. Cordeliers, Dominicains et autres de cette ville. A la sortie de ces religieux, leurs bibliothèques étaient dans le plus mauvais état du monde et, sur quelques mille volumes qu'elles contenaient, il n'y en a peut-être pas trois douzaines de bons. Les meilleurs sont les ouvrages des Saints Pères. Nous avons cependant fait tout ce qui dépendait de nous pour mettre de l'ordre dans cette collection, et nous n'avons encore pu y parvenir. Un des commissaires adjoints au Directoire s'en occupe constamment et il est aidé dans ce travail bien ennuyeux par un ancien avocat (M. Cholou), qui cherchait de l'emploi et que nous avons chargé d'étiqueter les livres. Il y a plus de deux mois qu'il est journellement occupé et il n'y a pas encore la moitié de fait. Nous craignons que les frais ne soient plus considérables que la valeur des livres. Ceux de Saint-Jacut et du Guildo y sont encore.... Il n'y a en aucune de ces maisons ni médailles, ni manuscrits, ni pierres précieuses ».

Parmi ces volumes et papiers, dont on n'expédia qu'une partie à Saint-Brieuc et dont le reste encombrait encore, il y a cinquante ans, un coin des combles de l'hôtel Montmurant, il devait s'en trouver, quoiqu'en dise le rapport du Directoire, d'intéressants et de précieux : d'autres, depuis, surent en tirer parti de plus d'une façon.

Le flot révolutionnaire avait monté rapidement. On n'avait pas dès le principe exécuté les menaces portées contre les membres du clergé qui refusaient de prêter le serment constitutionnel. Mais dans les premiers mois de 1792, la persécution s'accentua et en vint aux mesures violentes. Le 17 avril 1792 il y avait déjà seize prêtres enfermés au château de Dinan. Presque tous appartenaient à ce qui forme aujourd'hui la partie bretonne du diocèse de Saint-Brieuc. C'étaient, dans l'ordre d'arrivée : MM. Le Gloannec, curé de Plourac'h ; Geffroy, vicaire de Pommerit-Jaudy ; Fouasse, vicaire de Lanvignac ; Le Bris, vicaire de Saint-Thégonnec ; Nais, curé de Ruca ; Brajeul, vicaire de Saint-Quay ; du Ros, vicaire de Guingamp ; Sotinel, ex-chantre à l'église Saint-Malo ; Louesdon, vicaire à la Prénessaye ; Chartier, vicaire de Broons ; Ernault, vicaire de Ploubazlanec ; Le Corgne, de Merdrignac ; Bigot, vicaire de Trémeur ; Isaac, curé de Saint-Quay-Perros, et deux autres.

Les administrateurs du district, qui leur témoignaient par moments une bienveillance relative, demandèrent, craignant pour eux pire aventure, qu'on les déportât au plus tôt. Si les dispositions de la municipalité semblaient moins bonnes, son embarras n'était pas moindre. Mais les plus à plaindre étaient les malheureux prisonniers qu'on avait arrêtés sans jugement, par mesure de salut public, comme on disait alors, et qui, protestant de leur innocence, réclamaient obstinément des juges qu'on s'obstinait à leur refuser.

Ce n'est pas que sous le rapport matériel ils fussent trop mal traités. On leur laissait la liberté de recevoir de l'argent du dehors ; ils occupaient des chambres « vastes et bien aérées » ; ils avaient une nourriture « saine et de leur choix, » — pourvu toutefois qu'ils eussent le moyen de se la payer — et pouvaient tous les jours, sauf le dimanche, monter sur la plate-forme du château « pour y prendre l'air ». Mais sous prétexte d'empêcher les évasions et de déjouer des complots imaginaires, on ouvrait toutes leurs lettres, et ils n'avaient le droit de s'entretenir avec les parents qui les visitaient qu'en présence du concierge et de deux grenadiers du poste. Ils se plaignaient aussi de ce que le concierge leur fit payer trop cher les vivres et autres objets qu'ils ne pouvaient se procurer que par son intermédiaire.

Le commissaire du roi, à qui ces doléances étaient parvenues, essaya d'intervenir. On lui fit comprendre que la loi du 28 septembre 1790 attribuait exclusivement aux municipalités la police des maisons d'arrêt, et que, d'ailleurs, il n'avait point à s'occuper de gens « qui n'étaient pas détenus en vertu d'un jugement ». C'était cynique, mais logique.

Le District, à son tour, insista pour qu'un règlement mît les détenus à l'abri des procédés vexatoires et des petites exactions dont ils avaient journellement à souffrir.

Au directoire du département qui lui reprochait sa rigueur à l'égard des prêtres détenus au château, la municipalité répondait avec moins d'humanité que de logique :

« C'est vous qui les avez fait arrêter et nous ne savions pas plus qu'eux ce dont on les accuse. S'ils étaient innocents, votre devoir serait de les remettre en liberté ; s'ils sont coupables, vous n'avez pas le droit de trouver mauvais que nous les traitions comme tels. En tout cas, vous pourriez les garder à Saint-Brieuc et nous débarrasser ainsi d'une responsabilité qui nous pèse ». Néanmoins, et si mal disposée qu'elle fût, elle finit par s'émouvoir des vexations et des abus qui lui étaient signalés, et voici le règlement qu'elle adopta, sur les réquisitions du procureur de la commune, dans sa séance du mardi 24 avril 1792 :

« Le concierge, — on n'osait pas écrire : le geôlier, — conformément à la demande de MM. les prisonniers eux-mêmes, achètera chez le boucher et le boulanger qui lui seront désignés, telles quantités de viande et de pain que les dits prisonniers lui demanderont chaque jour. Il produira, à la fin de chaque semaine, les mémoires signés des fournisseurs, dont le montant sera acquitté de suite par les prisonniers, au moyen de quoi, étant les maîtres de mesurer leurs dépenses à la hauteur de leurs facultés, ils ne seront plus fondés à se plaindre de l'excès des dites dépenses.

Le concierge recevra de la part des détenus, tant pour ses peines et soins que pour la préparation des aliments, cinquante livres par mois. Il sera payé en outre de ses fournitures telles que beurre, racines, épiceries, bois, charbon, lumière, etc..., sur les mémoires détaillés qu'il fournira de ses avances, visés par le bureau municipal. Il recevra en outre deux sous pour chaque commission et un sou pour chaque envoi ou remise de lettre, de la part de ceux qui l'auront employé, et ceci conformément à la proposition faite par les détenus eux-mêmes.

Le concierge ne souffrira entrer ni sortir de lettres ou paquets sans les avoir préalablement soumis à l'inspection de la municipalité. Il ne laissera entrer qui que ce puisse être, pas même les officiers municipaux, à moins d'un ordre de la municipalité, dans lequel seront déterminés et l'heure et le temps que devra durer la visite.

Il laissera aux prisonniers, tous les jours de la semaine, la liberté de respirer l'air sur la plate-forme de la tour (et ce jusqu'à nouvel ordre seulement) ; il les fera rentrer dans leurs chambres à l'heure du souper et les laissera sous clef jusqu'au lendemain. Pendant la promenade des prisonniers, la double porte placée sur l'escalier sera soigneusement fermée pour les empêcher de communiquer dans les embas. Le haut de la tour leur sera interdit les dimanches, et lorsqu'il se trouvera deux fêtes de suite, la promenade aura lieu seulement l'après-midi de la seconde dans l'enceinte du parc où sont les canons.

Il est expressément enjoint au concierge de ne recevoir pour les prisonniers aucune espèce de viande ou autre comestible de la part des personnes de la ville, qui pourront remplacer leurs libéralités en argent, lequel devra passer par les mains de la municipalité ; avec cet argent les prisonniers seront à même de se procurer les choses de leur choix qu'on leur offrirait en nature.

Chaque jour, le concierge fera la visite des portes et fenêtres pour s'assurer qu'il ne se pratique aucune entreprise ni projet d'évasion ».

Ainsi, les prêtres arrêtés par ordre du département, sous prétexte de salut public et sans autre forme de procès, n'étaient pas seulement obligés de se nourrir à leurs frais ; on les condamnait encore à payer eux-mêmes le geôlier de la prison. Un vrai comble !

La municipalité de Dinan était peu satisfaite d'avoir la garde de ces prêtres insermentés. M. Girault, maire de Dinan, essaya, pour leur faire rendre la liberté, de les convertir. Sa tâche était ardue. Il leur écrivit, le 18 mai 1792, une longue lettre, toute remplie des arguments du jour contre la religion catholique, en faveur de la nouvelle constitution civile. On avait d'ailleurs mensongèrement fait courir le bruit en ville, que les prisonniers demandant à être éclairés dans leurs doutes, désiraient conférer sur les questions pendantes avec quelque prêtre constitutionnel ; un grenadier vint même leur dire de la part de la municipalité, de présenter par écrit cette réquisition d'une conférence contradictoire. Les prisonniers protestèrent : « Nous n'avons fait, dirent-ils, aucune demande à ce sujet, et nous n'en ferons aucune ; la municipalité toutefois peut permettre à un assermenté de venir au château où nous conférerons avec lui avec toute sorte d'honnêteté ; ce sera d'ailleurs de sa part un acte de charité que les soi-disant nouveaux pasteurs de Dinan n'ont point encore exercé à notre égard ».

Le grenadier commissionnaire emporta cette réponse, mais aucun prêtre assermenté ne se présenta. Ce fut alors, au pis aller, que le maire écrivit sa lettre. Les prêtres prisonniers saisirent avec joie cette occasion de manifester par écrit leurs sentiments, heureux de défendre les vérités catholiques attaquées par la Constitution prétendue civile du clergé, et de faire ainsi publiquement savoir aux fidèles qu'ils ne craignaient pas de défendre, même dans les prisons, les vérités qu'ils avaient prêchées lorsqu'ils jouissaient de la liberté. Voici cette admirable réponse :

« MONSIEUR,

Nous avons l'honneur de répondre à votre lettre du 18 mai 92. Nous y répondrons avec toute l'honnêteté dont nous sommes capables, et tout le respect qui vous est dû.

Permettez-nous d'observer d'abord que nous n'avons requis qui que ce soit pour venir disputer avec nous. Celui qui l'a cru et vous l'a rapporté, s'est trompé et vous a trompé. Vous concevez, Monsieur, qu'une pareille réquisition, surtout par écrit, aurait un petit air de suffisance qui ne nous sied pas et qui n'est nullement de notre goût. Il est vrai qu'en différentes visites que l'on nous a rendues, on a voulu connaître nos sentiments sur les affaires actuelles. Nous n'avons pas craint de les manifester. Nous avons prouvé que la Constitution prétendue civile du clergé attaquait plusieurs articles de la foi. On finissait ces discussions par nous dire qu'il y a des prêtres très instruits qui ont prêté le serment, qui nous convaincraient par leurs raisonnements. Nous avons répondu que nous les verrions avec plaisir, que nous conférerions volontiers avec eux. Mais, nous le répétons, nous n'avons fait aucune réquisition quelconque, pas même verbale.

Nous vous remercions de la peine que vous vous êtes donnée pour rédiger les observations que vous nous envoyez. Vous vous estimeriez heureux si elles produisaient sur nous l'effet que vous vous proposez ; vous entendez par là notre conversion à la Constitution. Et nous, Monsieur, nous nous estimerions heureux, si nous pouvions avec le secours de Dieu, sans lequel nous ne sommes capables de rien, procurer votre conversion à la vraie religion. …. Vous dites que votre religion et la nôtre sont la même.

Détrompez-vous, Monsieur ; votre religion et la nôtre sont bien différentes. Votre religion est la religion constitutionnelle qui ne fait que de naître ; à peine est-elle âgée de deux ans, la nôtre a pris naissance avec le monde ; elle a été perfectionnée par Notre Seigneur Jésus-Christ, il y aura bientôt 1800 ans. Notre religion est la religion catholique, apostolique et romaine.

Votre religion 1° n'est pas catholique. En effet, on entend par religion catholique, une religion qui est répandue dans tout le monde ; or, la religion constitutionnelle n'est qu'en France, et elle y a peu de partisans. La nôtre, au contraire, est vraiment catholique elle est connue dans les quatre parties du monde et dans leurs différents royaumes : en France, en Angleterre, en Espagne, en Allemagne, etc..., à Constantinople, capitale de la Turquie, dans les Indes, à la Chine ; à Pékin, capitale de ce dernier royaume, il y a un séminaire dirigé par des prêtres catholiques....

Notre religion est apostolique parce qu'elle a été prêchée par les apôtres, et que nous prêchons toutes les vérités qu'ils ont prêchées. La vôtre ne remonte pas si haut, comme nous l'avons déjà vu. Elle a été fabriquée par les Camus, les Treilhard, les Martineau et les Mirabeau, de brillante mémoire.

Notre religion est la religion romaine, parce que nous reconnaissons pour son chef le Pape, pontife de Rome ; nous le regardons comme vicaire de Jésus-Christ, comme chef de toute l'Eglise ; c'est un article de foi, comme nous l'avons déjà prouvé. Votre religion n'est point la même que la religion romaine ; elle ne reconnaît point le Pape pour son chef ; elle défend même de reconnaître en aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit, l'autorité qu'il a reçue de Jésus-Christ. Vous n'en doutez pas, mais si vous en doutiez, vous pourriez vous en convaincre en lisant le titre premier de la Constitution prétendue civile du clergé.

Ne dites donc pas, Monsieur, que votre religion et la nôtre sont la même ; vous voyez qu'il y a entre elles des différences essentielles.

Il y avait des abus dans l'ancien régime ; vous nous les avez rappelés maintes fois dans votre lettre, nous en convenons. Mais ne pouvait-on les corriger qu'en bouleversant tout, qu'en détruisant la foi ? Que l'on conserve la religion et que l'on corrige les abus, nous serons au comble de nos vœux.

Vous voulez faire entendre que nous sommes attachés à une faction.

Non, Monsieur ; nous sommes attachés à notre religion. Nous aimons mieux tout perdre, la liberté même et la vie, que de sacrifier un seul article de notre foi. Voilà toute notre faction.

Quant aux massacres dont vous nous rappelez le triste souvenir, nous ne pouvons y penser sans frémir. Que l'on répande notre sang et que l'on épargne celui de nos frères !

Quoique vous en disiez, on ne saurait être plus tolérant que nous le sommes. Nous tolérons tous les hommes et nous les aimons. " Diligite homines, " nous dit saint Augustin. Il n'est qu'une chose que nous ne pouvons et ne devons pas tolérer, ce sont les erreurs : " Interficite errores, " dit le même saint. Cependant encore nous devons travailler à détruire les erreurs, de manière que nous ne troublions pas la paix ; c'est la conduite que nous avons tenue et que nous tiendrons toujours.

Reste à répondre aux promesses et aux menaces que vous nous faites.

Nous pouvons, dites-vous, prétendre aux meilleures cures, et même aux évêchés. Nous vous répondrons d'abord ce que saint Basile répondit à un envoyé de l'empereur Valens qui voulait l'attirer au parti des hérétiques ariens. Cet envoyé lui fit d'abord les plus belles promesses de la part de l'empereur. Le saint lui répondit : " Ce que vous dites là est bon pour attirer les jeunes gens qui sont ordinairement ambitieux et amateurs de la gloire ".  Ne pouvant réussir par les promesses, cet homme a recours aux menaces. Il dit au saint qu'il a tout à craindre de la colère de l'empereur : " Cela est bon, repartit le saint évêque, pour effrayer les jeunes gens qui sont peureux ".

Nous répondrons encore avec Notre Seigneur Jésus-Christ : Que nous servirait-il de gagner tout le monde, d'avoir les meilleures cures et les plus riches évêchés, si nous perdons nos âmes ! Quid prodest homini … ! Pourrions-nous éviter de perdre nos âmes, en prêtant le serment, puisque sans la foi, dont la Constitution attaque plusieurs articles, il est impossible de plaire à Dieu, sine fide, impossibile est placere Deo? Vous menacez que nous pourrions bien être abandonnés, que les présents qu'on nous fait ne sont pas inépuisables. Eh bien ! qu'arrivera-t-il de là ? Nous serons réduits à la faim, à la soif, au froid, peut-être à être mal vêtus. Saint Paul nous apprend qu'il faut servir Dieu dans la faim et la soif, dans le froid et la nudité : In fame et siti, in frigore et nuditate.

Notre Seigneur Jésus-Christ nous a dit qu'il ne faut pas être inquiets, ni demander : qu'aurons-nous à manger ou à boire ? Nolite solliciti esse dicentes, quid manducabimus aut quid bibemus...

Trois jeunes hébreux refusent de commettre une idolâtrie, en fléchissant le genou devant la statue de Nabuchodonosor. Ce roi menace de les faire jeter dans une fournaise ardente. Que lui répondent ces généreux défenseurs de leur foi ? " Prince, le Dieu que nous servons peut nous délivrer de cette fournaise ; mais, soit qu'il nous en délivre ou non, sachez que nous lui serons fidèles et que nous ne deviendrons point idolâtres en adorant votre statue ". Nabuchodonosor les fait précipiter dans les flammes, mais Dieu les y conserve par un miracle éclatant, le feu respecte même leurs habits et leurs cheveux.

Le Dieu que nous servons, Monsieur, est le même que servaient ces heureux jeunes gens ; il pourrait nous conserver ici par un miracle ; nous ne le méritons pas, nous ne l'attendons pas ; mais quelle que soit la conduite qu'il tiendra à notre égard, nous lui serons toujours fidèles ; nous le bénirons dans la disette comme dans l'abondance, dans les maladies occasionnées par cette disette, comme dans la santé, à la mort comme pendant la vie ; soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur : Sive vivimus, sive morimur, Domini sumus.

Vous nous menacez encore d'être déportés du royaume.

Les anciens disaient : omne solum forti Patria est. Pour nous, nous avouons que notre vraie patrie est le ciel, que cette terre n'est pour nous qu'un lieu d'exil. C'est l'aveu que faisaient les anciens patriarches : Confitentes quia peregrini et hospites sunt super terram ; nous savons que Dieu est partout présent, que toute la terre est à lui : Domini est terra et plenitudo ejus. Partout on peut et on doit le servir et l'aimer. Si l'on nous menace de nous jeter dans un pays où nous aurons beaucoup à souffrir, chacun de nous dira avec saint Cyprien, évêque et martyr : Plus j'aurai souffert, plus ma récompense sera grande dans le ciel ; Quanto graviora pertulero, tanto praemia majora percipiam.

Nous sommes plus sensibles aux menaces que vous faites de nous regarder comme auteurs de la guerre, soit civile, soit étrangère. Nous ne pouvons penser aux malheurs qui seraient la suite, surtout d'une guerre civile, aux flots de sang dont serait inondée une patrie que nous chérirons toujours, quoique tant de gens veuillent faire entendre que nous en sommes les ennemis déclarés. Nous ne pouvons penser à ces malheurs sans être touchés de la douleur la plus vive.

Une dernière menace que vous nous faites, c'est que nous serons considérés et jugés comme des rebelles et des ennemis de la patrie qui nous a vus naître et qui nous alimente.

Nous savons bien, Monsieur, et nous le savons depuis longtemps, que si on nous juge et si on nous condamne à quelque peine que ce puisse être, on ne dira pas que c'est parce que nous ne voulons pas renoncer à la foi, mais, comme vous le dites très bien, on fera entendre que c'est que nous sommes des rebelles, des traîtres, des ennemis de la patrie. N'est-ce pas déjà ce que l'on voudrait faire entendre et apporter pour raison de notre emprisonnement ?

Voilà précisément la conduite qu'on tint en Angleterre quand l'hérésie et le schisme s'y introduisirent sous Henri VIII et sous Elisabeth. On fit mourir des évêques, des prêtres, des religieux. — C'était bien parce qu'ils refusaient de renoncer à la foi, mais on se donnait bien garde de le faire entendre ; on les condamnait, ainsi que le portait leur sentence, parce qu'ils étaient des traîtres, des rebelles, des ennemis de la patrie. En particulier on leur offrait leur grâce, pourvu qu'ils voulussent prier publiquement avec les hérétiques. Ces généreux prêtres aimaient mieux mourir ; on leur lisait devant le peuple leurs sentences qui portaient les titres odieux dont vous parlez, de traîtres, d'ennemis de la patrie. Si l'on en vient à cette extrémité à notre égard, on tiendra la même conduite.

Mais disposés comme nous le sommes à endurer la mort même, plutôt que de renoncer à un seul article de foi, les calomnies doivent-elles nous effrayer ? Tous les jours nous prions pour nos persécuteurs et nos calomniateurs, suivant le commandement que nous en fait Jésus-Christ. Orate pro persequentibus et calumniantibus vos. Nous devons de plus être disposés à prier pour nos bourreaux ; notre divin Sauveur nous en a donné l'exemple : Mon Père, pardonnez-leur, Pater, dimitte illis, disait-il en parlant des siens. Saint Etienne pria pour ceux qui le lapidaient. On vit aussi de ces prêtres qu'on fit mourir en Angleterre, embrasser tendrement ceux qui allaient leur ôter la vie. Tels sont les exemples que nous devons imiter et que nous imiterons avec le secours de Dieu.

Nous finissons, Monsieur, notre réponse, que vous trouverez peut-être trop longue, par rappeler ce que nous vous avons déjà dit : que nous n'avons manqué ni au respect ni à l'observation des lois. (Nous avons demandé, vous le savez, par une requête honnête, à être jugés suivant leur disposition, et l'on ne nous a pas écoutés). Nous répétons que nous n'avons fait tort à personne, que ce n'est point nous qui avons mis le trouble dans le royaume ; mais que plusieurs de ceux qui nous accusent d'être des perturbateurs du repos public, ont plus troublé le royaume que nous. Nous pouvons leur dire ce qu'un prophète disait à un roi impie qui lui reprochait d'avoir mis le trouble dans le royaume d'Israël : Prince, répondit Elie à Achab, ce n'est pas moi, c'est vous qui avez mis le trouble dans Israël, non ego turbavi Israël, sed tu.

Nous avons demandé la paix pour ce royaume, nous la demandons et ne cesserons de la demander, tandis que nous respirerons. Nous prions pour tous les Français, nous n'exceptons personne ; toutes nos forces consistent dans la prière ; ne craignez pas que nous les tournions contre notre infortunée Patrie, comme vous voudriez le faire entendre par ce vers que vous nous adressez : 

" Ne Patriae validas in viscera vertite vires ".

Ah ! que nous aimons bien mieux dire :

" Gallia sit felix, Gallis sint prospera cuncta !

Que tous les Français soient heureux !

Biens aux Français ! voilà nos vœux ".

Nous entendons ici par biens, toute espèce de biens, biens temporels, biens spirituels, biens éternels. Oui, Monsieur, voilà nos voeux et ils ne sauraient être plus sincères.

Nous avons l'honneur d'être avec bien du respect, vos très humbles et très obéissants serviteurs, les ecclésiastiques prisonniers au château de Dinan, le 22 mai 1792. Signé : J. Le Gloannec, recteur de Plourac'h ; L. Geffroi, vicaire de Pommerit-Jaudy ; Fr. Fouasse, prêtre ; G. Isid. Le Bris, curé de Saint-Thégonnec ; Brajeul, vicaire de Saint-Quay : Nais, curé de Ruca ; Duros, prêtre ; Y. Ernault ; Jos. Charetier, vicaire de Broons ; Sotinel, prêtre ; J. Louesdon, vicaire de la Prénessaye ; Trotel, prêtre ; Sossois, prêtre ; J. Le Corgne, prêtre ; B. Isaac, curé de Saint-Quay ; Bigot, vicaire de Trémeur ; J. Le Dezio, recteur ; Fr. Le Millin, curé de Loc-Maria ; Joïeux, vicaire de Saint-Barnabé ».

Il manque deux noms à cette liste qui fut signée par 21 prêtres. On voit que depuis le 17 avril, cinq nouveaux confesseurs de la foi étaient venus se joindre aux prisonniers ecclésiastiques du château de Dinan.

Le maire de Dinan n'ayant pas réussi à convertir à la Constitution les ecclésiastiques détenus au château de Dinan comme le prouve abondamment la lettre ci-dessus, le curé constitutionnel de Saint-Sauveur, Tobie, vint au secours, du maire et fit de nouvelles instances auprès des prisonniers. La présence de ces Messieurs était gênante et leur attitude catholique était la condamnation des assermentés de Dinan. Tobie écrivit donc un long mémoire pour justifier la Révolution et défendre la Constitution civile. Il commence par réprimander les prêtres d'avoir osé faire la leçon à Monsieur le Maire : « Votre première observation, dit-il, décèle d'abord une suffisance que vous semblez désavouer, justifie le rapport de vos gardes sur vos défis téméraires et prouve la justice de votre détention. Persuadés que vous êtes d'avoir isolé la vérité avec vous, vous voulez en laisser échapper quelques rayons aux yeux de M. Girault ; vous faites consister sa félicité à l'apercevoir, et en lui donnant le change, d'un ton persifleur, vous prétendez procurer sa conversion. Dieu que vous invoquez n'approuve pas ce langage, et l'ironie insultante fut toujours désagréable à ses yeux, comme à ceux des hommes. Vous prétendez rectifier la phrase d'un homme qui vous parle raison, et pour y parvenir vous révoltez la raison et blessez toutes les bienséances. Vous vous érigez en juges suprêmes de l'Assemblée nationale, et guidés par votre opinion, vous vous attribuez le droit de troubler l'état, d'en anéantir toutes les lois, en fomentant l'insurrection par vos propos et par vos démarches... ».

Après une charge à fond de train contre les anciens évêques, Tobie essaie de justifier l'Assemblée nationale et il ose prétendre qu'elle n'a touché ni à la foi, ni au dogme de la religion, ni au gouvernement spirituel de l'Église. Le mémoire du curé de Saint-Sauveur n'est qu'un sophisme d'un bout à l'autre, une interprétation fausse de l'histoire, de l'Ecriture et des saints Pères. On voit qu'il a dû lire — peut-être même l'avait-il sous les yeux en l'écrivant — une brochure imprimée à Saint-Malo en 1791, ayant pour titre : Réfutation de toutes les déclamations épiscopales contre le Décret sur la Constitution civile du Clergé, par M. de la Croix, docteur en théologie de la Faculté de Paris, et Prieur des Prémontrés de la rue Haute-Feuille. Ce factum — car c'en est un — accuse les évêques de France qui ont refusé de se soumettre, d'être dans l'erreur et de ne défendre la religion que par des motifs d'orgueil et d'intérêt ; le prieur de la rue Haute-Feuille ose même dire qu'il prend la plume « pour prémunir les ministres du culte contre la séduction des mandemens épiscopaux ». On ne peut lui supposer plus de bonne foi qu'au dominicain Tobie, et tous les deux mentaient à leur conscience en défendant des principes qu'ils savaient contraires à la vérité. Cet écrit du Prémontré La Croix reçut les félicitations de M. Mulot, docteur en théologie de la Faculté de Paris, et vice-président du corps municipal et du conseil général de la commune de Paris ; les titres de ce dernier ecclésiastique disent assez quels devaient être ses sentiments.

Voici la conclusion de la lettre de Tobie : «... Je ne réponds point à toutes les déclamations que vous faites contre l'Assemblée nationale en général, contre ses membres, en particulier contre M. Girault, notre maire. Il ne me conviendrait pas de venger la nation insultée dans ses représentants. Je ne puis me permettre que de vous répéter la réflexion de tous ceux qui ont lu votre écrit : Si vous avez la voix si haute dans votre détention, que ne deviez-vous pas faire dans votre liberté ! Cependant les erreurs du passé auraient dû vous servir de leçons et vous garantir des suggestions perfides de ces hommes qui ne vous regardèrent jamais que comme leurs vils instruments.

Je ne me suis jamais attendu dans cette réponse à être assez heureux pour vous persuader. Je sais qu'une opiniâtreté endurcie par le temps, l'espoir et les rapports, est presque toujours invincible. Mon but a été de rectifier l'abus que vous faites des principes, par les principes mêmes et la raison, et vous faire connaître que c'est de leur oubli ou de leur violation que sont nés tous vos maux.

Puisque vous êtes chrétiens et prêtres, soyez fidèles à la religion et n'en provoquez pas l'anéantissement par des complots perfides ; soyez fidèles à l'Église de Jésus-Christ et n'armez pas ses enfants du poignard du fanatisme. Tenez-vous fermement appuyés sur l'ancre immobile de la foi, et ne laissez plus perdre dans les airs ces cris d'alarmes dont vous avez trop souvent fatigué les campagnes. Dites que vous avez la foi, mais donnez-en la preuve par la charité ; ne fondez plus votre espérance sur des bras perfides ensanglantés du sang de vos frères, mais établissez-la sur les promesses de Jésus-Christ. Ces règles ne sont point équivoques, et tout ce qui ne leur appartient pas, regardez-le, ainsi que nous, comme l'alliage impur de l'ambition, de l'ignorance et des passions qui ont trop longtemps déshonoré le clergé et compromis le sacerdoce. Ne doutez pas de la joie que j'éprouverai de vous voir recouvrer votre liberté, de vous serrer tendrement dans les bras de l'amitié et d'apprendre que vous répondez fidèlement à votre vocation, en travaillant avec courage au salut des âmes et à augmenter la gloire de Dieu par le double lien de la paix et de la charité.

Je suis avec respect, Messieurs, Votre affectionné serviteur, L. TOBIE, curé de Saint-Sauveur de Dinan. Dinan, 10 juin 1792, l'an 4ème de la liberté ».

Le bon apôtre Tobie en fut pour ses frais d'éloquence ; les prisonniers n'apostasièrent pas.

Dès le lendemain, les prêtres détenus au château adressèrent une lettre aux Habitants de Dinan, à la fois pour les remercier de leur sympathie, les maintenir dans la vraie doctrine, et les prémunir contre les Tobie et les Tudeau qu'ils appellent « des trompeurs ». C'était une réponse indirecte aux arguments faux de Tobie et une nouvelle protestation de leur foi  : 

LETTRE AUX HABITANTS DE LA VILLE DE DINAN.

« MESSIEURS,

Vous avez compati à nos peines. Mais vous ne vous êtes pas contentés d'une compassion stérile. De concert avec les âmes charitables des villes et des campagnes voisines et même éloignées, que n'avez-vous pas fait pour en alléger le poids ? Provisions, argent, vêtements même et linge, etc., rien n'a été oublié. Que ne pouvons-nous payer d'une juste reconnaissance tant de bienfaits ? Les aumônes que vous nous faites, ainsi que toutes vos autres bonnes oeuvres, n'ont pour motif aucun intérêt temporel. Réussir dans l'importante affaire du salut, c'est ce que vous avez d'uniquement cher ; c'est aussi dans le succès de cette affaire que nous voudrions vous être de quelque utilité ; c'est le seul moyen que nous ayons de reconnaître vos bontés pour nous. Une foi sincère qui croit tout ce que Dieu a révélé à son Eglise et que l'Eglise nous propose à croire de la part de Dieu, une humble soumission à l'enseignement des vrais pasteurs qui ont été placés par l'Eglise, sont deux vertus sans lesquelles on ne peut être sauvé. En effet, sans la foi il est impossible de plaire à Dieu, nous dit l'Esprit-Saint par la bouche de saint Paul. Si l'on n'écoute l'enseignement des vrais pasteurs, l'on sera traité comme les païens, c'est Jésus-Christ qui nous l'assure. Soyez donc stables dans la foi que l'hérésie s'efforce de vous enlever. Ecoutez avec docilité l'enseignement des pasteurs de l'Eglise, de Notre Saint-Père le Pape, des évêques et de vos pasteurs du deuxième ordre, nous voulons dire vos recteurs que l'on chasse de vos paroisses, et contre lesquels on cherche à vous révolter.

« Puisse cette foi que, par la grâce de Dieu, vous avez conservée, s'affermir de plus en plus ! Puisse votre soumission à la voix des vrais pasteurs devenir toujours plus parfaite ! — Les vérités que nous établissons et prouvons dans notre Réponse aux observations que l'on nous a envoyées, sont une partie du dépôt de la foi, dépôt confié à l'Eglise. Lisez donc cette Réponse. Nous espérons qu'elle contribuera à vous prémunir contre l'erreur, à vous rendre fermes dans la confession de la foi, et toujours soumis à l'enseignement des pasteurs que vous aviez reçus de Jésus-Christ par la voie de l'Eglise.

Le Bon Pasteur qui doit nous servir de modèle, quitta pour un moment son fidèle troupeau, pour courir après la brebis égarée. Vous ne trouverez donc pas mauvais, qu'à son exemple nous donnions une partie de nos soins à ceux qui se sont écartés du chemin du salut, en renonçant à la foi, en renonçant à l'Eglise établie par Jésus-Christ, en fermant l'oreille à la voix de leurs vrais pasteurs pour écouter des trompeurs. Puissions-nous les ramener tous au bercail ! Réunissons nos prières pour obtenir de Dieu cette grâce. Nous les exhortons aussi à lire notre Réponse. Mais s'ils veulent profiter des vérités qu'elle contient, il faut qu'ils la lisent dans un esprit de paix ; c'est dans cet esprit que nous la leur présentons.

Nous avons l'honneur d'être, avec la plus parfaite reconnaissance et le plus profond respect, Messieurs, Vos très humbles et très obéissants serviteurs, LES ECCLÉSIASTIQUES détenus au château de Dinan. Ce 11 juin 1792 ».

Dans l'intervalle de ces deux lettres, un des ecclésiastiques détenus au château, M. Lecorgne de Merdrignac, dont l'arrestation remontait au 9 avril, mourut subitement dans sa chambre. Ses confrères demandèrent qu'il fût « enterré par des prêtres insermentés et non par d'autres ». Cette requête fut repoussée comme « indiscrète » et ce fut le curé constitutionnel Tobie qui se chargea d'ordonner la cérémonie. Mais, « considérant que la mort de M. Lecorgne, n'ayant été précédée d'aucune maladie, pourrait exciter les malveillants à répandre des propos calomnieux », la municipalité décida qu'avant l'inhumation deux chirurgiens de la ville, MM. Lemercier et Harouard, procéderaient en présence du juge de paix, « à l'ouverture du corps ». Le résultat de l'autopsie fut d'établir que M. Lecorgne avait succombé à une attaque d'apoplexie foudroyante.

Pendant ce temps, les portes du château s'ouvraient souvent pour laisser entrer de nouveaux prêtres qui avaient refusé le serment constitutionnel. Vers la fin de juin 1792, il y en avait au moins une quarantaine détenus au château, sans jugement. La présence de ces prêtres était pour l'autorité locale une cause de transes continuelles. Non pas qu'on les supposât capables de se révolter contre leurs gardiens, ce qui leur eût été d'ailleurs absolument impossible. Mais on avait peur des sympathies et de la pitié qu'ils inspiraient à la population de la ville et en particulier aux dames dont l'âme était émue à la vue d'une aussi injuste détention. « Beaucoup de citoyennes fort attachées au régime sacerdotal ancien », écrivait la municipalité, « pourraient bien, en voyant la place dénuée de troupes, ne vouloir plus se borner, comme elles l'ont fait jusqu'ici, à une simple compassion oisive et impuissante pour les prisonniers, mais au contraire, entreprendre de les protéger plus ouvertement ou par un rassemblement de moyens plus indiscrets que criminels, occasionner quelque soulèvement ». On dirait vraiment que les fiers municipaux de Dinan ont peur d'être rochéyés par les dames de la ville, comme l'avaient été l'année précédente les deux commissaires civils, par les femmes de Plouër, lors de l'arrestation de leur recteur, M. Guérin.

Un incident vint encore augmenter ces appréhensions. Le département avait fait arrêter un des réfractaires les plus en vue du pays de Lamballe, M. Hingant, ci-devant recteur de la paroisse d'Andel et député du bas-clergé à l'Assemblée nationale. On le fouilla, suivant l'usage, avant de l'écrouer. L'imprudent avait oublié dans l'une de ses poches une lettre reçue depuis peu d'un M. Williams Van Hoppen, négociant à Coblentz. Et quelle lettre !... Elle contenait, dit un rapport du temps, « des expressions tendant à perpétuer l'esprit de révolte » et prouvait que le signataire et l'abbé entretenaient une correspondance suivie par l'intermédiaire d'un capitaine d'infanterie, M. de la Vieuville, qui habitait à Paris, rue Vaugirard. Il n'était pas possible, désormais, de laisser la ville sans garnison !

Le District et la municipalité s'entendirent donc pour demander au département l'envoi de « quelques compagnies » du 2ème bataillon du 36ème régiment d'infanterie qui venait d'arriver à Saint-Brieuc ; à défaut, ils insistaient pour qu'on les débarrassât au plus vite des prêtres internés au château, en les dirigeant « sous bonne escorte », sur une autre prison. Le département qui se souciait peu de les avoir au chef-lieu, fit la sourde oreille et laissa crier.

L'abbé Hingant, relâché plus tard, s'embarqua pour l'Angleterre, où il demeura pendant la Terreur ; la tourmente passée, il revint à Andel, reprit ses anciennes fonctions et y mourut, vénéré, le 3 septembre 1822.

Il va sans dire que tout costume ecclésiastique et religieux était absolument interdit ; c'eût été du reste se désigner sans profit à la haine des révolutionnaires et à la prison. Cependant deux moines retirés à Dinan, le P. Feuillet, prieur des Dominicains, et le P. Herman, Claude, bénédictin, avaient continué de porter le costume religieux. La municipalité reçut l'ordre de le leur interdire, ainsi qu'aux Soeurs de la Sagesse et de Sainte-Claire qui n'avaient pas quitté leurs couvents. « Mesdames, écrivit le maire à celles-ci, en ne paraissant plus en public avec l'habit particulier à votre ordre, vous pourrez vaquer en toute sûreté à vos affaires et occupations ordinaires ». Les Clarisses obéirent sans délai ; quant aux Soeurs de la Sagesse, elles demandèrent et obtinrent sans peine qu'on leur laissât au moins le temps de se faire confectionner de nouveaux vêtements (23 juillet 1792). Le P. Herman prêta le serment constitutionnel le 14 septembre 1792 ; malgré cela, il fut arrêté et emprisonné le 7 avril 1794, par ordre du comité de surveillance, ainsi que le P. Feuillet qui avait dû continuer de résider en cachette à Dinan.

Nous arrivons au décret lamentable du 26 août 1792, qui ordonnait la déportation de tout ecclésiastique non assermenté. Tous les prêtres réfractaires arrêtés dans le district de Dinan, furent, après une détention plus ou moins longue, déportés ou simplement proscrits, soit à la suite de ce décret, soit plus tard, en exécution des « jugements » rendus par les tribunaux révolutionnaires. On regarda comme insermentés et on traita comme tels, les prêtres émigrés et ceux qui se tenaient cachés dans le pays. Ceux-ci, grâce à la pieuse et courageuse complicité de quelques fidèles, continuèrent d'exercer une partie de leur ministère en cachette, même au plus fort de la tourmente révolutionnaire. Le dernier prieur des Trinitaires ou Mathurins de l'aumônerie de Saint-Jacques, le P. Bouézo, pour ne citer que celui-là, ne voulut pas s'éloigner du couvent où il avait passé quarante ans de sa vie, et pendant la Terreur, il célébrait la messe chaque dimanche dans une maison de la rue de la Vieille-Poissonnerie, où des amis, d'autant moins soupçonnés qu'ils étaient, comme on dirait aujourd'hui « dans le mouvement », lui offrirent un asile aussi sûr que charitable.

Un seul des prêtres de Dinan dont j'ai donné la liste plus haut, se soumit à la Constitution ; ce fut l'abbé Le Renard, premier vicaire constitutionnel de Saint-Malo. Il prêta le serment, le 1er juillet 1792, et mérita de ce fait, du district révolutionnaire, la mention honorable suivante : « ... Certifions en outre que ce vénérable prêtre est le seul des prêtres habitués aux paroisses de cette ville qui soit resté à son poste depuis l'installation des curés constitutionnels ». Le 17 septembre, Tobie et Tudeau, curés constitutionnels des deux paroisses de Dinan, prêtèrent le serment demandé, ainsi que Jean Paytra [Note : J. Paytra se maria à Saint-Malo de l'Isle, le 24 juillet l794 avec Jeanne Duval, tailleuse. Il devint curé constitutionnel de Ploubalay, son pays natal], vicaire de Saint-Malo, Briand, chapelain de l'hôpital, Poitevin, Guézou et Carillet, prêtres, et quatre professeurs du collège dont il convient probablement d'ajouter les noms à la liste du clergé Dinannais au moment de la Révolution : MM. Dubos aîné, principal, Dubos jeune, Robigot et Queiller.

Plusieurs religieux déclarèrent en 1790 vouloir sortir du cloître : deux dominicains, les Pères Moncoq et Tardif, et deux cordeliers, les Pères Hercouët et Dubois. Le dominicain Paris qui devait si tristement illustrer la paroisse de Pleudihen, venait d'être nommé prieur à Guérande ; il dut évidemment opter pour qu'on lui lâchât la bride monastique sur le cou. Les autres déclarèrent vouloir continuer la vie commune ; mais ils ne persévérèrent pas tous : Hercouët devint curé constitutionnel de Plouër, Dubois, Gaudicheau, Barraud, des cordeliers, Chrétien, des capucins, ne sont pas inscrits sur la liste des déportés de 1792. Quelques autres, marqués sur cette liste : Thouault, Berthelot, Gallais, Gouédard, de la Goublaye, Jouan et Hamon, des capucins, avaient reçu des pensions en 1791, mais avaient dû se rétracter plus tard. Le F. Lesturgeon, des capucins, est le seul qui ne soit pas inscrit sur la liste des déportés.

Les religieuses femmes déclarèrent toutes, en 1790, vouloir continuer la vie commune, sauf la mère Buchon, de l'ordre de Saint-Dominique, qui demanda du temps pour faire ses réflexions, et deux religieuses, l'une de Sainte Ursule, Thérèse Robert, et l'autre de Sainte Claire, Yvonne de Langourla, qui ne répondirent rien, parce qu'elles avaient, dit le rapport, l'esprit totalement dérangé. On sait que les premières bonnes dispositions à l'égard des religieuses ne se maintinrent pas, et qu'elles se virent contraintes elles aussi de quitter leurs monastères et de ne plus porter le vêtement de leur ordre.

Donnons en passant les noms des autres ecclésiastiques du District de Dinan qui furent condamnés à la déportation : MM. Pihan, Antoine-Pierre, recteur de Saint-Solain ; Aubry, Julien, recteur de Lehon ; Guérin, Julien, curé de Plouër ; Lemoine, François, vicaire de Plouër ; Fouché, prêtre habitué à Plouër ; Rouault, prêtre habitué à Plouër ; Journeaux, prêtre habitué à Plouër ; Cathenos, René, recteur de Taden ; Legaignoux, Jean, recteur de Pleudihen ; Marie, Jean, vicaire à Pleudihen ; Souquet, Julien, prêtre habitué à Pleudihen ; Le Mée, François, recteur de Saint-Helen ; Lorre, Julien, carme décloîtré, qui s'était retiré dans sa famille, à Saint-Hélen ; Moncoq, Toussaint, vicaire de Lehon ; de Gennes, Jean, prêtre habitué à Lehon ; Macé, Ignace, de Bourseul, recteur de la Trinité-Porhoët.

Il y eut aussi des déportés, mais en petit nombre, dans le district de Broons, notamment MM. Veilhon, recteur de Mégrit ; Lemarchand, son vicaire ; Pergault, ex-génovéfain de l'abbaye de Beaulieu ; Mégret, vicaire de Caulnes, et Juhel, vicaire de Lanrelas.

En résumé, le clergé resta fidèle. Des 58 paroisses qui composaient le district, 54 dépendaient ci-devant des évêchés de Dol et de Saint-Malo et 4 de celui de Saint-Brieuc. Au 18 octobre 1791, il n'y avait que 17 curés assermentés et 5 vicaires, et plusieurs encore se rétractèrent-ils plus tard. A cette époque, le traitement du clergé paroissial montait à la somme de 97.900 fr., à savoir : 6 curés à 2.400 fr., 1 à 2.000 fr., 2 à 1.800 fr., 14 à 1.500 fr., 31 à 1.200 fr. et 31 vicaires à 700 fr.

Il est aisé de comprendre qu'avec ces emprisonnements et ces menaces, le recrutement du clergé paroissial devenait de plus en plus difficile. A Dinan, par exemple, les recteurs constitutionnels n'avaient réussi à se procurer qu'un seul vicaire qui, bien que spécialement attaché à Saint-Malo, disait alternativement la messe dans les deux églises. Dans beaucoup d'endroits, les curés réfractaires étaient restés à leur poste, en face du danger. D'autres qui avaient prêté le serment se rétractaient. C'est alors que ne pouvant trouver assez de prêtres assermentés pour les desservir, on imagina de réduire le nombre des paroisses.

Consulté à cet égard, le conseil général de la commune de Dinan formula son avis ainsi qu'il suit dans sa séance du 21 mai 1792 : « L'Assemblée, considérant que la suppression d'une des paroisses produira une économie frappante, arrête qu'elle acquiesce, autant qu'il est en son pouvoir, à l'arrêté du Conseil du département des Côtes-du-Nord ; elle est d'avis que l'église Saint-Sauveur soit conservée, étant celle qui par sa position, tant intérieure qu'extérieure, est la plus convenable pour cet établissement ». Cet acquiescement fut d'autant plus mal accueilli que Dinan, par le chiffre de sa population, échappait à l'application de la loi du 24 août 1790, d'après laquelle il ne devait exister qu'une seule paroisse « dans les villes et les bourgs n'ayant pas plus de 6.000 âmes ». Et le lendemain, troisième jour des Rogations, le mécontentement public se manifesta par toutes sortes de scènes. Les « dames de la halle » entre autres, refusèrent de se déranger pour laisser passage à la procession, ce qui leur attira, de la part du curé Tobie, une algarade à laquelle, comme on le pense bien, elles ne négligèrent pas de répliquer. Quelques semaines plus tard, le conseil revint sur sa délibération du 21 mai et réclama le maintien des deux paroisses, dont les circonscriptions étaient sensiblement différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui.

Du reste, depuis la destitution des anciens recteurs, la population, en garde contre les mercenaires constitutionnels, ne fréquentait plus guère les églises que par curiosité, les jours de parade officielle. On faisait la plupart du temps baptiser les enfants en cachette par des prêtres réfractaires, et les familles riches faisaient enterrer leurs morts sans apparat ni dépenses ; les fabriques paroissiales en arrivèrent bientôt à constater que, le casuel manquant, leur caisse était vide. Pour les mettre à même de pourvoir tant bien que mal aux dépenses du culte, la municipalité leur octroie le privilège qui avait appartenu jusqu'alors au « crieur juré » de fournir « les tentures pour les enterrements et autres pompes funèbres » ; en même temps elle invite les marguilliers à vendre aux enchères, sans délai, les « bancs » des paroissiens qui refuseraient d'en payer la location.

Peu après, le 18 septembre 1792, l'évêque intrus du département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), Jacob, ancien recteur de Lannebert, vint à Dinan faire sa visite pastorale. Ce fut sa première et sa dernière. La municipalité et le District de Dinan tinrent à lui faire honneur. On avait envoyé au-devant de lui, sur la route de Jugon, jusqu'aux limites de la commune, les compagnies de grenadiers et de canonniers de la garde nationale. Ces troupes firent escorte à sa voiture ; on tira le canon à son arrivée, et le corps municipal alla au-devant de lui jusqu'à la porte de l'Hôtellerie, pour le recevoir et le complimenter. Le maire lui adressa un discours bien senti, et le cortège l'accompagna jusqu'à l'église Saint-Sauveur où eut lieu la cérémonie religieuse. Les troupes et la municipalité y assistèrent et reconduisirent ensuite leur intrus jusqu'à son « logement ».

Quelques jours auparavant avait eu lieu l'élection des députés à la Convention nationale. Les électeurs se réunirent dans l'ancienne église des Cordeliers ; ils représentaient les neuf districts du département des Côtes-du-Nord d'alors (Saint-Brieuc, Lamballe, Dinan, Broons, Loudéac, Guingamp, Rostrenen, Pontrieux et Lannion). Les opérations commencées le 2 septembre 1792, ne se terminèrent que le 13. L'assemblée commença par procéder à la vérification des pouvoirs ; quatre commissaires furent chargés, pour chaque district, de vérifier, d'après les procès-verbaux, la régularité des élections primaires. Elle choisit pour président M. Palasne de Champeaux. Après avoir consacré plusieurs séances à entendre les candidats, qui étaient nombreux, et à discuter les candidatures, on passa au vote. Chaque électeur, avant de déposer dans l'urne son bulletin manuscrit prononçait debout, et la main levée, ce serment « Je jure de choisir en mon âme et conscience les personnes les plus dignes de la confiance publique, sans y être déterminé par dons, promesses, sollicitations ou menaces ».

Les députés furent élus dans l'ordre suivant : MM. Couppé, Gabriel, avocat, 37 ans ; Palasne de Champeaux, Julien, avocat, 55 ans ; Gautier, René, profession inconnue, 42 ans ; Guyomar, Pierre, négociant, 34 ans ; Fleury Honoré, avocat, 40 ans ; Girault, Claude, commissaire de la marine en retraite, 58 ans ; Loncle, René, avocat ; Goudelin, Guillaume, avocat, 29 ans. Suppléants : MM. Coupart, Toudic et Le Dissez, qui ne furent pas appelés à siéger.

Nous ignorons ce que devinrent la plupart des conventionnels des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor). De M. Palasne de Champeaux, par exemple, on ne sait pas grand'chose, sinon qu'il était père de onze enfants, lors de son élection ; il fit probablement partie des Cinq-Cents avec son collègue Gautier. M. Loncle est mort en l'an XI. M. Guyomar, qui était de Guingamp, rentra dans la vie privée après le 18 brumaire. M. Goudelin fut retraité comme juge au tribunal civil de Dinan. M. Couppé, élu par cinq départements au Conseil des Cinq-Cents, était conseiller à la cour d'appel de Rennes en 1815 ; le Gouvernement de Louis XVIII le destitua.

M. Fleury remplissait encore sous la Restauration les fonctions de juge de paix. Quant à M. Girault, ancien maire de Dinan, je crois qu'avant de revenir au pays natal il occupa pendant quelque temps un poste consulaire à Rotterdam ; sa fille unique est morte à Dinan, vers le milieu du XIXème siècle, laissant une mémoire bénie des pauvres et vénérée de tous.

Nous avons parlé précédemment des circonstances diverses qui accompagnèrent le départ des religieux de Dinan et de ce qui advint tout d'abord de leurs monastères. Disons à présent comment s'effectua la clôture des monastères de femmes. On avait provisoirement maintenu les communautés de femmes ; mais un arrêté du département, en date du 27 septembre 1792, ordonna brutalement l'évacuation des trois communautés des religieuses de Dinan, sous le délai de trois jours. Les trois communautés de Dinan s'étaient conformées au décret du 8 octobre 1790, sanctionné par le roi le 14 du même mois, qui prescrivait à toutes les religieuses, sous peine de renoncer à la vie commune, de se réunir sous la présidence d'un officier municipal pour élire, au scrutin secret et à la pluralité des suffrages, une supérieure et une économe, dont le mandat, fixé à deux ans, pouvait être renouvelé.

Les Catherinettes (Dominicaines), au nombre de 31, se retirèrent dans leurs familles respectives ; leur doyenne, Madame Jeanne Pichot, veuve Navet, était âgée de 82 ans.

Les Ursulines, qui étaient au nombre de 34, et avaient pour prieure élue Madame Claire Rogon, se partagèrent en trois groupes et louèrent, avec l'espoir d'y rester jusqu'à la fin de la tourmente, trois maisons particulières. L'une d'elles, plus qu'octogénaire, Madame Laurence Robert, n'avait pas franchi le seuil du cloître depuis sa profession, qui remontait à 1729.

Quant aux Clarisses, — « qui, dit un document officiel du temps, avaient su, par leur austérité, imposer au public plus d'intérêt que les autres congrégations », — elles avaient refusé de recevoir aucune indemnité ni traitement, s'obstinant, comme elles en avaient fait le voeu, « à ne vivre que de charités ». Peu nombreuses, elles se réfugièrent dans une maison voisine de leur couvent, où les suivit, comme chapelain, un ancien cordelier, le P. Mathieu Gaudicheau, que sa pauvreté, l'âge et les infirmités enchaînaient, pour ainsi dire, à son poste. Mais, malgré les protestations de la municipalité qui prit leur défense contre de vils dénonciateurs, elles durent se séparer.

L'avant-dernière professe, Madame Massé, vivait encore en 1822, époque à laquelle elle était en instance pour obtenir une pension du Gouvernement.

Plusieurs de ces religieuses furent plus tard emprisonnées — 6 et 7 avril 1794 — par l'ordre du Directoire, d'après l'avis du Comité de surveillance. Citons les noms de : Madeleine Desnoë, Elisabeth Desnoë, Marie Gagon, Marie Lachoue, Michelle Gouyon, Anne Bolloré, Marie-Madeleine Macé, Jeanne Lamour, Etienne de Gennes, Rose de Gennes, Rose Le Chapelier, Marie Devoise, Jeanne Salmon, « toutes ci-devant nones qui se sont refusées à la prestation du serment ». On y ajouta peu après les « ex-religieuses » Anne Jeannot, Catherine Jeannot et Hélène Conen.

Le couvent des Jacobins où se tenaient déjà, comme je l'ai dit, les séances municipales, fut de plus affecté, le 3 août 1794, à l'office de Bureau de paix, de conciliation et de jurisprudence ; en 1796, la chapelle sert de magasin de grains provenant du pillage des maisons d'émigrés. Dans la même année, le couvent des Cordeliers est devenu une caserne ; le couvent des Capucins est la prison des suspects ; le couvent des Clarisses sert de magasin pour la manutention des vivres ; la chapelle de Saint-Charles est transformée en écurie ; le monastère des Dominicains est une caserne remplie de soldats, une maison de détention pour les détenus politiques, pendant que leur chapelle est changée en hôpital pour y recevoir les soldats galeux. Voilà les embellissements et les bienfaits de la Révolution !

Quelques jours avant cet arrêté d'expulsion des religieuses, on avait, conformément à l'arrêté du 15 août, fêté à Dinan, le 17 septembre 1792, le renouvellement du serment civique, ordonné aux fonctionnaires de tout ordre, « d'être fidèles à la Nation, et de maintenir de tout leur pouvoir la liberté et l'égalité ou de mourir à leur poste, en les défendant ». Ce serment fut prêté, avec le cérémonial accoutumé, par les membres du Conseil général du District, le président et les juges du tribunal du District, le commissaire (procureur) du roi, le greffier et les huissiers, les deux curés, leur unique vicaire, les marguilliers des deux paroisses, le chapelain de l'hôpital et trois prêtres habitués, le principal et quelques régents du collège, le commandant de la Garde nationale, le commissaire des classes (marine) et le lieutenant de gendarmerie, le juge de paix, les membres et le greffier du bureau de conciliation, le trésorier du District, le receveur des droits d'enregistrement et le directeur des Messageries. La prestation du serment n'eut lieu que le dimanche 23 pour la Garde nationale, assemblée sous les armes, à cet effet, sur la place du Champ.

La marée révolutionnaire montait toujours. L'Assemblée législative avait, dans l'une de ses dernières séances, ordonné la destruction de tous les signes qui rappelaient l'ancien régime. Le Conseil général de la commune de Dinan s'empressa d'obéir : le 15 septembre 1792, il charge quatre commissaires de faire enlever sans délai les écussons armoiriés qui marquaient encore, à la façade de diverses maisons, le siège des anciennes juridictions seigneuriales supprimées depuis 1790. La Convention qui succède à l'Assemblée, redouble de violence.

Que devenaient cependant les deux curés constitutionnels de Dinan ?. Ils n'étaient certes, ni l'un ni l'autre, en odeur de sainteté ; mais Tobie était cordialement détesté, on pourrait dire : exécré. Il passait, non sans motif, aux yeux de la population, pour être le dénonciateur des prêtres du pays et l'instigateur de toutes les mesures prises par le District contre le clergé réfractaire.

La municipalité elle-même se méfiait de lui ; le District, témoin des dénonciations continuelles du citoyen curé de Saint-Sauveur qu'il appelait « un système sanguinaire et de diffamation », craignit une trahison et le fit arrêter.

On lui adjoignit son frère Tudeau, pour ne pas séparer les deux curés de Dinan ; l'un et l'autre furent conduits sous bonne escorte à Saint-Brieuc et écroués à la prison départementale. Dès qu'ils eurent quitté Dinan, le comité de surveillance donna un réquisitoire au juge de paix, pour faire « patficher les portes et les fenêtres du presbytère Saint-Sauveur », le 20 novembre 1793.

Tobie était bien noté dans le clan révolutionnaire ; y avait des amis et de puissants protecteurs. Il fit instruire Carrier, le tout puissant proconsul de Nantes, l'homme des noyades, de son malheureux sort, et se recommanda à sa protection. Carrier l'écouta favorablement, et le 7 décembre 1793, il ordonna par la lettre suivante, adressée au Directoire du Département, l'élargissement immédiat des deux prisonniers :

« Liberté. Egalité. Au nom de la République une et indivisible. Nantes, le 17 frimaire, l'an 2 de la République française. Carrier, Représentant du peuple, près l'armée de l'Ouest. Met en liberté les citoyens Tobie frères exerçant naguères les fonctions de curé à Dinan et arbitrairement et injustement détenus dans les prisons à Port Brieuc, ordonne à toutes les autorités constituées de Saint-Brieuc et à la force armée de protéger la liberté de ces deux citoyens que le Représentant du peuple met sous la protection de la République française et de la Loi, et déclare criminel de lèzenation quiconque attenterait à leurs personnes ou s'opposerait à leur liberté.

Ordonne à tous les bons citoyens de Dinan de faire respecter les personnes et la liberté des frères Tobie. Déclare traitres à la Patrie tous les individus de Dinan qui oseraient attenter à leur liberté, met les frères Tobie sous la sauvegarde spéciale des autorités constituées de Saint-Brieuc et de Dinan et de la force armée de ces communes, les rend responsables de toutes atteintes qu'on pourrait porter à leur liberté.

Ordonne à l'administration du département des Côtes-du-Nord, séant à Saint-Brieuc, de mettre sur le champ en liberté les frères Tobie, leur enjoint, sous les peines les plus sévères, de leur remettre en propres mains le présent arrêté aussitôt qu'il leur sera parvenu. Le Représentant du peuple, Signé CARRIER.

Pour copie conforme. Signé LE MÉE, HELLO, P. LE MERCIER président. Vu et enregistré au comité de surveillance de Saint-Brieuc, le 20 frimaire dit an. Deux mots rayés nuls. Pour copie conforme. POSTEL, fils, secrétaire greffier ».

L'ordre de Carrier fut aussitôt exécuté ; Tudeau et Tobie furent mis en liberté. Tudeau s'empressa de revenir à Dinan pour reprendre possession sinon de son poste de curé, du moins de ses effets, ainsi que de ceux de son frère. Il se présenta le 12 décembre 1793 au comité de surveillance de Dinan à 6 heures du soir, porteur de l'ordre de Carrier visé le 10 au comité de surveillance et révolutionnaire de Saint-Brieuc ; il demanda que le dit ordre soit enregistré et réclama « que les scellés apposés sur ses meubles et effets soient levés, et que ses meubles et effets lui soient délivrés ».

Tobie, bien qu'assuré d'une telle protection, n'ose rentrer à Dinan ; il craint, dit-il, les menaces que l'on a faites d'attenter à ses jours. Le comité proteste contre ces allégations et ne voit dans ces frayeurs de la part de Tobie, que la continuation de son système de calomnier les citoyens de Dinan. L'ancien curé de Saint-Sauveur se hasarda cependant à venir à Dinan, pour reprendre possession par lui-même de ses meubles et de ses effets ; ce ne fut que pour s'y disputer et y cueillir une nouvelle condamnation.

Le 3 mars 1794, le Directoire du District, après avoir pris connaissance des différentes requêtes adressées par Tobie, Tudeau et leur soeur, désira s'informer du juge de paix lui-même de ce qui avait été fait après l'arrestation des deux curés et comment on avait appliqué les scellés. Cela se passait à la séance du matin. A la séance de l'après-midi, Alberge, greffier du juge de paix, apporta les différentes minutes concernant Tobie et Tudeau. Les deux curés et leur soeur étaient présents. On donna lecture de plusieurs procès-verbaux, entre autres du procès-verbal de l'apposition des scellés en date du 24 octobre 1793. Tobie alors demanda à Alberge si c'était là le premier procès-verbal rapporté par lui et le juge de paix. — « Oui, répondit Alberge ». — « Tu en as menti, répliqua Tobie, cet acte est faux, il n'a pas été rapporté au jour de sa date, et le juge de paix n'était pas présent ! »« J'ai moi-même écrit cet acte, répond Alberge ». — « Eh bien ! s'écria Tobie furieux, si tu as écrit cet acte, tu as commis un faux, tu n'es d'ailleurs qu'un faussaire et un fédéraliste ! Je te dénoncerai et te ferai mettre en état d'arrestation ! ». Tobie ajouta : « Messieurs les administrateurs, je vous répète que ce mémoire est faux et que vous ne devez pas y ajouter foi ! ». Devant une accusation aussi formelle, faite publiquement contre lui et en écriture publique, Alberge demanda réparation de son honneur outragé et dénonça officiellement Tobie de l'avoir traité de faussaire. Tobie fut assigné pour comparaître le 15 mars (1794) ; il ne se présenta pas. On remit l'affaire pour une seconde audience qui fut fixée au 22. Tobie, dont la demeurance était alors place de la Montagne, ne se présenta pas plus que la première fois. Mais les témoins cités par Alberge furent tous exacts à la citation ; c'étaient les membres eux-mêmes du Directoire : Pierre Le Masson, président, âgé de 50 ans ; Louis Dubos, administrateur, âgé de 26 ans ; Jacques Fontaine, secrétaire, âgé de 39 ans ; René Normand, garçon de bureau, âgé de 43 ans ; Louis Le Criou Villerals, maire de Pleurtuit, âgé de 60 ans ; Pierre Fouquet, boucher, âgé de 45 ans. Ils rapportèrent les propos injurieux de Tobie contre Alberge et constatèrent la violente colère dont il avait fait preuve durant cette scène.

Alberge demandait que le tribunal condamnât Tobie à reconnaître que lui Alberge était un homme de bien et d'honneur, non noté d'infamie, avec défense au dit Tobie de récidiver. Il réclamait en outre des dommages-intérêts se montant à la somme de trois mille livres qu'il déclare abandonner d'avance aux pauvres de la commune ; il exige en plus que le jugement qui va être rendu contre Tobie soit imprimé à cent exemplaires et affiché aux frais de Tobie, où bon lui semblera.

Voici l'arrêté du jugement :

« Le Tribunal après avoir ouï de nouveau le dit Alberge et l'agent national en ses conclusions qu'il a laissées par écrit et y faisant droit, a donné défaut contre ledit Tobie, faute de s'être présenté ni personne pour lui, quoique duement appelé par différentes fois ; a ordonné et ordonne que le précédent jugement par défaut contre ledit Tobie demeurera définitif et par le profit vu ce qui résulte des pièces ci-dessus dattées, ainsi que de l'information et des susdites conclusions.

Considérant qu'il est prouvé par ladite information que le 13 ventôse dernier (3 mars), environ les deux heures de l'après-midy, Philippe Alberge, greffier de la justice de paix de la commune de Dinan, fut mandé de la part des membres du Directoire du District de cette commune d'y apporter les minutes d'apposition de scellés et biefs d'iceux faits aux cy-devants presbytaires de Saint-Sauveur et Saint-Malo de Dinan, à quoi il déféra sur le champ.

Considérant aussi qu'à la lecture du premier acte, qui était l'apposition de sceau faite audit presbytaire de Saint-Sauveur par le juge de paix de cette commune, assisté des commissaires y mentionnés, datté du troisième jour de la première décade du second mois de la présente année, en présence dudit Tobie, de Tudeau, de leur soeur et plusieurs autres personnes, qu'alors ledit Tobie dit hautement : Cet acte est faux, il n'a pas été rapporté le jour de sa datte et le juge de paix n'y était pas ce jour là, que ledit Alberge lui répondit qu'il l'avait écrit lui-même et que c'était sans doute ledit Alberge qu'il accusait d'avoir commis ce prétendu faux ; que Tobie répondit audit Alberge que puisqu'il avait écrit ce procès-verbal, il était le faussaire, et accusa en outre ledit Alberge d'être fédéraliste, qu'il allait le dénoncer et le faire mettre en état d'arrestation, ce qu'il proféra plusieurs fois ému de colère, à quoy ledit Alberge répondit qu'il n'était ni faussaire ni fédéraliste, et qu'il n'appréhendait pas ledit Tobie.

Considérant encore qu'il est aussi prouvé que ledit Alberge demanda avec instance aux membres du Directoire de lui décerner acte des calomnies et invectives proférées contre lui par ledit Tobie, et qu'il en laissa sur le bureau son mémoire par écrit et signé de lui, et qu'il n'a pu avoir cet acte, que ledit Tobie demanda la lecture de ce mémoire qui lui fut faite et qu'il dit que ce que contenait ce mémoire était faux, qu'il n'y avait que lui, Tobie, à dire la vérité, qu'il l'avait dite et qu'il la dirait toujours, sur quoi il y eut de grandes contestations entre eux deux.

Considérant aussi que de pareilles invectives proférées dans un lieu public contre un fonctionnaire public et y appelé pour cause de ses fonctions, sont des insultes très graves et qui méritent répréhension de la justice.

En conséquence, en premier lieu faisant droit sur les conclusions dudit Alberge, le tribunal a ordonné et ordonne audit Tobie, par provision, de reconnaistre ledit Alberge pour homme de bien et d'honneur, non notté des infamies et calomnies dont il l'a accusé, et lui fait défense de tomber à l'avenir en pareille faute sous les peines qui y échoient, et modérant la demande de domages et intérêts prétendus par ledit Alberge, le tribunal a condamné et condamne ledit Tobie, par la susdite voie de provision, en une somme de cinquante livres pour toutes réparations à cet égard, laquelle somme ledit Alberge a déclaré abandonner au profit des pauvres de cette commune, et condamne ledit Tobie aux dépens dudit Alberge, liquidés sur la vue des pièces et du mémoire apostillé par nous dit Egault, laissé au greffe à la somme de quarante-une livres, huit sols, 6 deniers, retrait et signification outre, et attendu que par les injures prononcées contre ledit Alberge par ledit Tobie, ce dernier a contrevenu aux règlements, faisant droit sur le surplus des conclusions de l'agent national, le tribunal a condamné et condamne ledit Tobie par la susdite voye de provision, en l'amande de dix fois sa contribution mobilière et à un emprisonnement et détention de deux ans, en conformité de l'article dix-neuf du Titre deux de la loi du vingt-deux juillet 1791 (vieux style).

Ainsi jugé et prononcé à l'audience dudit tribunal de police correctionnelle, en présence dudit Alberge et par défaut contre ledit Tobie. A Dinan, le deux germinal (22 mars 1794), an second de la République française, une et indivisible. Interligne y appelé, et détention, approuvées. Autre interligne : dix fois sa contribution mobilière, approuvé ; deux mots rayés nuls. CERCLER ; BOULLAND ; EGAULT ; GUÉRIN, secrétaire et greffier nommé d'office ».

Après cette condamnation, il ne restait plus à Tobie qu'à disparaître de Dinan ; c'est ce qu'il fit. On croit qu'il s'en alla se cacher à Pleudihen, et on ne le revit plus.

Il est probable que, pour payer les frais du procès, le tribunal mit arrêt sur les biens des deux curés, car le Représentant du peuple, Prieur de la Marne, ordonna de faire porter à l'hôpital le linge et la batterie de cuisine de Tobie et Tudeau. Les effets de l'ex-curé de Saint-Malo, J.-B. Gautier, furent aussi mis sous séquestre, à la disposition du Comité de surveillance. Les trois curés constitutionnels de Dinan n'eurent vraiment pas de chance.

La sœur de Tobie, qui n'avait pas été l'objet de la clémence de Carrier, était encore en prison le 27 mars 1794.

Qu'étaient devenus les presbytères et les églises paroissiales de Dinan ? A la fin de mars 1794, le presbytère Saint-Sauveur servait d'école primaire. Quatre mois après, le 22 juillet, il était affermé, ainsi que celui de Saint-Malo, par cahiers séparés. Le même sort arriva aussi le 29 de ce mois aux presbytères de Lanvallay, Saint-Hélen et Saint-Solen ; ce ne fut que le lendemain que celui de Pleudihen trouva locataire. Nous avons vu, dans le Prieuré royal, que personne ne voulut affermer le presbytère de Lehon.

L'église Saint-Sauveur servit d'abord de temple à l'Etre suprême et de lieu de réunion à la Société populaire. Mais le 16 août 1794, le Directoire décida que « la ci-devant église Sauveur, qui réunit par sa grandeur et sa situation toutes les commodités nécessaires en pareil cas », servirait désormais à recevoir les fourrages pour l'approvisionnement de l'armée. La Société populaire réclama et demanda qu'on partageât l'église en deux, par un mur, un côté devant servir de magasin à fourrage et l'autre de temple à l'Etre suprême. Dans sa séance du 10 septembre, le Directoire repoussa cette demande et maintint sa première décision.

L'église Saint-Malo servit d'atelier aux armes. Cet atelier avait d'abord été établi dans le cloître des Jacobins, mais il y faisait froid, les ouvriers se plaignirent, et l'on transféra l'atelier avec tous ses accessoires, fourneaux et machines, dans l'église Saint-Malo.

Rien ne fut épargné, dans cette époque véritablement sauvage. Les calices, ciboires, ostensoirs des églises et chapelles de Dinan furent, comme partout ailleurs, saisis et envoyés stupidement à la Monnaie pour y être fondus en lingots. Le 13 janvier 1793, le comité de Dinan écrivit aux comités révolutionnaires de surveillance de Paris, que « le peuple de la commune de Dinan a, par son arrêté du jour d'hier, renoncé au culte extérieur d'une religion dominante, sous le prétexte de laquelle le fanatisme et la superstition ont causé tant de maux à la France » ; le comité fait hommage à la patrie « des ustensiles d'or et d'argent qui sont devenus inutiles dans ce siècle de la justice et de la Raison ». Le comité nomma pour porter son voeu à la Convention les deux représentants Roquelin et Le Bourguignon. Il fallut bien quelque temps pour faire main basse sur les vases sacrés des églises ; mais la récolte avait été fructueuse. Le 11 juillet 1794, le Conseil général du district, présidé par les citoyens Le Breton, président, Forcoueffe, Dereuse, Hédal, Dubos, Bullourde, Poncel et Le Clerc, charge le citoyen Poncel, un de ses membres, en qualité de commissaire-adjoint du citoyen Hédal, de veiller et d'assister « à la pesée de l'argenterie nationale ». Quatre jours après, les mêmes membres du district, « considérant combien il est pressant que les hochets du fanatisme et de la superstition existant en dépôt, soient envoyés à la Monnaie, pour grossir les ressources de la République », arrête que l'argenterie en dépôt à l'administration, « provenant des églises de l'arrondissement », soit promptement expédiée à la Monnaie de Paris. Il fallut deux mois pour dresser l'état des différentes pièces d'orfèvrerie ; enfin, le 16 septembre 1794, l'expédition était prête, et l'on put envoyer à la Monnaie de Nantes, je crois sept caisses pleines d'argenterie « provenant des églises de l'arrondissement et des biens d'émigrés ». Elles pesaient ensemble le poids respectable de 1.691 livres. Que de trésors perdus !

Le mois précédent cela avait été le tour des cloches. Dans la séance du 26 août, un membre zélé du Directoire se plaignit que, d'après le nombre des cloches provenant « des ci-devant églises des communes de l'arrondissement, » précédemment apportées au District, il devait en rester encore dans les églises, par la négligence des municipalités, que l'on n'avait guère apporté que les petites et laissé les grosses en place. Les mêmes membres du District, cités plus haut, prirent l'arrêté suivant : « L'administration considérant que les intérêts de la République exigent que des mesures efficaces soient prises pour que les cloches existantes encore dans l'étendue de ce District, soient enfin descendues... qu'on ne peut attribuer ce retard qu'à la malveillance et négligence des municipalités, arrête de nommer des commissaires à l'effet qu'ils se transportent de suite dans les cantons pour opérer la descente des cloches ».

Après les cloches, les statues ; c'est une véritable rage contre Dieu, contre ses saints et contre tout ce qui peut rappeler la religion catholique. Les statues furent arrachées de leurs niches ; la plupart furent brisées ou mutilées, et fort peu échappèrent au marteau de ce vandalisme impie. Nous copions à ce sujet une typique délibération du Conseil général de la Commune, à la date du 30 août (1794) : « ...Un membre a donné lecture d'une lettre du citoyen Queillé, agent salpétrier de ce district, en date de ce jour, par laquelle il prévient l'administration, que l'atelier du salpêtre, établi dans cette cité, manque de bois. Il demande en conséquence qu'on lui délivre le bois des orgues qui existent dans l'atelier, celui de quelques autels et des statues qui sont dans la partie de la ci-devant église des Jaco­bins, séparée de cet atelier... ». Le bois des orgues fut réservé, mais les statues furent concédées et livrées aux flammes.

On ne se contentait pas de détruire les objets du culte, on s'attaquait aussi aux personnes, et la liberté, non moins que la fraternité, n'était qu'un vain mot. Le 21 avril 1794, le comité de surveillance de Dinan fait condamner à une amende de 5 livres et de 2 livres 10 sols, trente-neuf habitants qui n'avaient pas fermé leurs boutiques le jour de la Décade et qui les avaient tenues fermées le dimanche. La sentence ajoute que les cas de récidive seront punis de l'emprisonnement.

Le 11 mai 1794, l'abbé Coupé « ci-devant prêtre, » était encore détenu à la prison de Dinan. Deux malles lui furent malencontreusement expédiées. Le comité de surveillance en fit faire la vérification par les deux commissaires Le Merle et Bucaille. On y trouva quelques effets à l'usage personnel du prisonnier, un fusil à deux coups, deux soutanes, un surplis, une calotte, deux touffes de faux or, différents papiers, dont un était la lettre de prêtrise de l'abbé. Certainement le fusil était de trop ; on s'en empara et l'on confisqua les soutanes, le surplis, la calotte, les touffes et la lettre de prêtrise. Tout cela sentait évidemment la superstition. On comptait à la fin de ce mois de mai cent onze détenus dans les prisons de Dinan.

Le 6 juillet, la République courut à Dinan un bien grand danger. L'administrateur chargé de la direction du bureau de sûreté générale donna lecture au directoire d'une lettre du comité révolutionnaire de surveillance qui annonçait que l'on venait de saisir chez la citoyenne Huart, libraire, un grand nombre « de catéchismes du catholicisme, » imprimés en 1792. Cet administrateur propose aussitôt « qu'il soit pris des mesures répressives contre la citoyenne Huart, provoquant par la distribution de ces sortes de livres, à la conservation et résurrection du fanatisme ». Le Conseil général tenu par les citoyens Le Breton, président, Forcoueffe, Dereuse, Dubos, Hédal, Lemarié, Cormao, Bullourde, entre dans les vues de l'administrateur et prend l'arrêté que voici : « Le Conseil général... considérant que le fanatisme assoupi tâche de se réveiller surtout dans les campagnes, où l'esprit public est le moins pur et le moins éclairé, il est une mesure de salut public de faire réprimer légalement tout acte qui tendrait directement ou indirectement à une contre-révolution.... Considérant que la distribution du catéchisme déposé sur le bureau y est excitatif, ouï l'agent national, renvoie la connaissance de cette affaire au comité de surveillance de la commune de Dinan, pour être suivie légalement ».

Madame Huart fut mise en prison, et son arrestation approuvée par le représentant du peuple Le Carpentier « pour la distribution d'un catéchisme catholique, dont la réimpression avait été ordonnée par un évêque de l'ancien régime ». Le Conseil général consulté le 4 septembre, par le comité de surveillance, s'il fallait maintenir la détention de la prisonnière, répond par l'envoi au comité, de la lettre assez claire de Le Carpentier et ajoute cette petite perle d'impiété « ...Catéchisme du ci-devant évêque déporté dont le nom doit être en horreur aux républicains ».

Tous ces bons soi-disant incrédules et destructeurs de la religion se faisaient cependant un culte à eux. Le 26 novembre 1793, Danton, de sa voix tonnante, demande à la Convention que les artistes les plus distingués concourent pour l'élévation d'un vaste temple. « Le peuple aura des fêtes, dans lesquelles il offrira de l'encens à l'Éternel, au Maître de la nature ! ». Ainsi, la Révolution veut un culte, dont elle soit elle-même la vestale. Nos Dinannais sont vraiment à la hauteur de la Convention, — si parva licet componere magnis, — et ils entrent dans ses idées à pleines voiles. Nous voyons le 7 juin 1794, les citoyens du district : Le Breton, Forcoueffe, Dereuse, Hédal, Cormao, Bellebon et Bullourde, décréter la fête de l'Etre Suprême. La société populaire, la municipalité et le district s'entendent parfaitement. Mais comme le district est le grand chef, c'est lui qui, « convaincu que toute splendeur doit être rapportée à l'Etre Suprême qui favorise tant la Révolution française, qu'on doit employer tous les moyens possibles pour lui témoigner la vénération, l'amour qu'on lui doit à titre de père, de bienfaiteur, de libérateur du genre humain, » arrête que l'administration assistera tout entière à cette fête et fixe l'heure de la réunion « au lieu des séances de la Société populaire et révolutionnaire ».

Dinan prétend bien ne pas rester en retard du mouvement. Déjà au mois de septembre 1792, le conseil avait fait briser les écussons seigneuriaux.

Les armoiries étaient proscrites, mais ceux qui en portaient les noms illustres étaient persécutés. Les faits le prouvent sans doute surabondamment ; mais citons cependant l'arrêté suivant pris contre les nobles par le Directoire de Dinan, dans sa séance permanente du 4 septembre 1794 on jugera mieux, avec pièces à l'appui : « ...Un membre ayant demandé la parole a dit que la conspiration... a des ramifications infinies ; que tous les ci-devant nobles sont révolutionnairement suspectés de tremper dans l'infernale trame ourdie contre la liberté conquise sur la tyrannie par le peuple français, que pour l'assurer et l'affermir de plus en plus il est nécessaire d'une surveillance active, que rien ne doit être négligé pour découvrir et arrêter les complices d'un pareil attentat. Que depuis le commencement de floréal, il existe dans l'étendue de ce district une très grande quantité d'ex-nobles qui s'y sont retirés au moyen de passes, que nécessairement ils répandent dans les communes les principes de contre-révolution et cherchent à porter les citoyens à l'insurrection ; ce sont eux qui par leurs discours et leurs insinuations perfides paralysent les moyens que l'administration emploie pour la circulation des grains et l'approvisionnement des marchés ; ce sont eux qui entretiennent des correspondances avec les lâches émigrés, et leurs agents... Le Conseil général délibérant, considérant qu'un horrible complot formé par des scélérats émigrés... arrête que tous les ex-nobles de l'un et de l'autre sexe et sans distinction d'âge, les domestiques approchant leurs personnes... seront renfermés dans la cité de Dinan pour y rester en arrestation, qu'ils seront mis sous bonne et sûre garde, avec défense de communiquer avec quiconque ; que les scellés seront apposés à la diligence des municipalités dans les maisons qu'ils habitaient et spécialement sur leurs titres et papiers. Que copie du présent sera adressé à chaque municipalité de l'arrondissement pour qu'elle la mette à exécution dans six heures, à peine d'en demeurer capitalement responsable... ». Cela ne badinait pas ! L'on devenait facilement suspect et digne de la peine de mort. Nous ne croyons pas pourtant que les dinannais furent trop méchants à l'égard des ex-nobles, puisque l'un des membres du District — Bullourde — plus prévoyant que les autres, se plaint dans la séance du 9 octobre 1794, qu'on ait donné la permission à plusieurs nobles détenus, de sortir et d'aller se promener et dîner en ville ; il fit faire au Comité de surveillance une représentation sévère de cet acte d'imprudente faiblesse.

Au mois de décembre — le 14 — eut lieu l'élection et l'installation des nouveaux fonctionnaires du District. Nous donnons cet acte intégralement ; il en vaut la peine. On y verra entre autres la belle formule de serment : « ...Je jure haine aux prêtres et aux rois... » qui dans la bouche de plusieurs de ces gens ne fut pas un vain mot.

Nous faisons suivre cet acte du récit de la fête qui eut lieu à Dinan, le 21 janvier 1797, en commémoration de la mort du dernier roi des Français. Les haines sont toujours vives, les esprits surexcités, et l'on voit que nous ne touchons pas encore à un apaisement complet.

A la fin de cette même année — 13 septembre 1797 — mentionnons la présence à Dinan de plusieurs prêtres constitutionnels qui renouvellent leur serment civique, conformément à l'article 25 de la loi du 4 de ce mois. Ils jurent : « ...haine à la royauté et à l'anarchie, attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l'an 3 ». Ce sont : MM. B. Thivent, curé de Saint-Hélen, réfugié et constitutionnel ; Charles Egault, ex-vicaire ; Lalouette et l'ancien curé de Saint-Malo, Jean-Baptiste Gaultier.

L'année suivante — 1798 — la persécution religieuse ne se ralentit pas encore. Un arrêt du 25 juin défend d'allumer des feux de Saint-Jean et d'exposer aux regards du peuple tout signe extérieur rappelant l'exercice d'un culte quelconque. Le 25 août, l'abbé Louis-Armand Minet, prêtre insermenté, âgé de 69 ans, est encore détenu à la prison de Dinan et ne recouvre sa liberté provisoire que sous la caution d'une somme de 20.000 francs, dont son frère Jean-Baptiste est rendu responsable.

Installation des autorités constituées.

« Du 24 frimaire (14 décembre 1794), l'an 3ème de la République française une et indivisible. - Séance publique et permanente tenue par les citoyens Forcoueffe, vice-président ; Dereuse, Cormao, Bullourde, Pourcel. Président, le citoyen Dubos, faisant fonction d'agent national.

Environ onze heures du matin, le citoyen Berthelot, maire, et Turpin, agent national de la municipalité de Dinan, étant entrés en écharpes, le premier a dit que chargé par le représentant du peuple Boursault, de l'installation des autorités constituées du District de Dinan, il venait pour remplir cette honorable mission, et pour justifier de ses pouvoirs il a donné lecture :

1° D'une commission nationale à lui donnée par le représentant du peuple Boursault, en date du 21 frimaire, pour procéder à l'installation et en requérir l'enregistrement dans les registres du District et de toutes les autorités qui seront installées.

2° Du tableau de la nomination des autorités constituées du District de Dinan faite par le citoyen Boursault, représentant du peuple, le 20 frimaire, pour l'installation des citoyens y dénommés être faite, le 24, par le citoyen Berthelot.

Cette lecture étant achevée, le maire a dit encore : " Avant que les membres de la nouvelle administration puissent entrer en fonctions, la loi leur impose l'obligation expresse de prêter le serment républicain ". Il en a donné lecture, comme suit : " Je jure fidélité à la Constitution républicaine de 1793, de maintenir de tout mon pouvoir la liberté et l'égalité, la République française une et indivisible, haine aux prêtres et aux rois, de donner le branle révolutionnaire nécessaire à présent pour achever notre régénération ; de remplir avec exactitude et impartialité, les fonctions qui me sont confiées et de mourir à mon poste, s'il le faut ".

Les citoyens Delaunay, Vaugrena fils, Roquelin, Forcoueffe, Bullourde, Néel, Blondeau, Charles Beslay et Fontaine suppléant le secrétaire, présents, ont répété individuellement, la main levée : Je le jure ».

Ce serment si révolutionnaire et de lui-même si tristement explicite, est encore expliqué par le commentaire que fait le citoyen Boursault, des qualités requises des hommes dont il fait choix pour remplir les fonctions de district à Dinan. Car c'est lui-même qui nomme, comme on le verra, les membres du District, laissant aux citoyens la nomination des municipaux, du comité et du tribunal. Voici la teneur de cette Commission :

« Egalité, liberté, unité. Gouvernement révolutionnaire. Au nom du peuple français.

Nous, Représentant du peuple, près les armées des côtes de Brest et de Cherbourg, et départements contigüs ; chargé par la Convention Nationale de mettre à exécution ses décrets du 7 fructidor et 7 vendémiaire, concernant l'épurement et organisation au complet des autorités constituées.

Considérant que le gouvernement révolutionnaire peut seul nous conduire à l'affermissement de la liberté et de l'égalité.

Considérant que les citoyens destinés à remplir les fonctions publiques, doivent être distingués par leurs vertus morales et civiques et jouir de l'estime et de la confiance justement méritées comme bons citoyens et énergiques patriotes.

Considérant que pour ne pas nous tromper dans le choix, le moyen le plus certain était de recevoir de toutes les autorités constituées et sociétés populaires, des renseignements ; nous leur avons demandé à chacune séparément des listes des citoyens les plus propres à occuper les places ; nous nous sommes ensuite entouré des lumières de plusieurs patriotes reconnus, pris dans toutes les professions, et d'après les instructions qu'ils nous ont fournies, convaincu des principes et des vertus civiques d'une quantité de citoyens, nous avons fait choix de ceux dénommés au tableau annexé au présent, pour remplir les fonctions publiques qui s'exercent dans la commune de Dinan... ». Signé : BOURSAULT.

Administration du District de Dinan :

Benjamin Delaunay, de Dinan ; Vaugréna fils, de Dinan ; Le Golias, de Plancoët ; Roquelin, de Méloir ; Charles Beslay, agent national, de Dinan ; Jean-François-Marie Denoual, secrétaire, de Dinan ; Fontaine, suppléant le secrétaire, et chef du bureau des expéditions ; Bigot des Vaux, chef du bureau de la guerre et des travaux publics.

Conseil général du District :

Marheu, de Dinan ; Joseph Bullourde, de Lehon ; Charles Néel, de Dinan ; Forcouëffe, de Corseul ; Grandchamp-Viel, de Lehon ; Launay-Blondeau, de Pleudihen ; Robinot, de Plancoët ; Lemarié, de Solain.

Célébration de la fête, en commémoration de la mort du dernier roi des Français et prestation du serment de haine à la royauté et à l'anarchie, d'attachement et de fidélité à la République et à la Constitution de l'an 3. (Dinan).

« 2 pluviôse, an 5 (21 janv. 1797). Par suite à la délibération du 28 nivôse concernant l'exécution de la loi du 21 nivôse, an 3, de l'arrêté du Directoire exécutif du 22 nivôse an 4 et de la loi du 22 nivôse dernier, la dite délibération fixant à ce jour la célébration de la fête et commémoration de la mort du dernier roi, tyran des Français, les membres de l'administration municipale se sont rassemblés au lieu ordinaire de leurs séances où se sont réunis les divers fonctionnaires publics, employés et salariés du gouvernement résidant dans la commune, ainsi que les chefs de la force armée composant la garnison. A dix heures du matin, le cortège a sorti précédé de la musique de la garde nationale et escorté par la compagnie des carabiniers du 2ème bataillon de la 6ème demi-brigade, pour se rendre à cause du mauvais temps, par les rues de l'Horloge, l'Apport à Dinan et de la Larderie, dans la ci-devant église Saint-Sauveur, où étant arrivé, le président de la municipalité a monté à la tribune, après avoir donné lecture de l'arrêté du Directoire exécutif précité, et à la suite d'un discours qu'il a prononcé où respirait un ardent amour de la liberté, l'attachement le plus fort au gouvernement républicain et la plus grande horreur pour toute espèce de tyrannie, en conformité de la loi du 22 nivôse ci-dessus référée comme encore que par les papiers nouvelles, a juré haine à la royauté et à l'anarchie, attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l'an 3. Ensuite tous les fonctionnaires publics, employés et salariés du gouvernement et la foule du peuple assemblé, ont spontanément et avec enthousiasme répété le même serment aux cris redoublés de " Vive la République ", le directeur du jury près le tribunal de la police correctionnelle a aussi prononcé un discours. Pendant la marche du cortège et dans les intervalles de la cérémonie, la musique a successivement fait entendre les airs consacrés à la Révolution, et des hymnes à la Liberté ont été chantés en choeur. Le cortège a reparti de la ci-devant église Saint-Sauveur dans le même ordre qu'il s'y était rendu. Arrivé à la maison commune, des cris de " Vive la République " se sont de nouveau fait entendre, et il s'est séparé. Fait et arrêté, les dits jour et an. Ch. NÉEL ; Victorin URVOY ; BOULLAUD ; MARHEU ; LARERE ; FONTAINE, secrétaire ».

Nous terminerons enfin ce travail par une pièce officielle qui montrera qu'au milieu de l'année (2 juillet 1799), on poursuivait encore, dans le District de Dinan, les prêtres réfractaires et les nobles. C'est une lettre adressée par l'administration de Dinan à un commissaire de Lehon, pour lui rappeler l'obligation de faire main-basse sur les prêtres — brigands — et les nobles qui seraient surpris dans la commune, et qui rend personnellement responsables, même au prix de leur tête, les commissaires qui négligeraient l'exécution de cet ordre. C'est la résurrection de la loi des suspects.

« Au citoyen Pierre Ruquay, commissaire du quartier de la Grande-Haye de Lehon.

Citoyens habitants de la commune de Lehon. L'administration municipale du canton de Dinan, extra muros, a fait publier et afficher deux arrestés de l'administration centrale du département des Côtes-du-Nord, en date des 1er et 2 messidor, présent mois. Quoique vous ayez été à lieu de vous pénétrer de leur contenu, cependant ils sont d'une si grande importance que l'administration a cru devoir charger les commissaires du quartier dans chaque commune, d'instruire individuellement tous les chefs de maison, des principales dispositions de ces arrestés et de la loi du 10 vendemiaire, an 4.

Savoir :

1° Tous citoyens habitants de la même commune sont garants civilement des attentats commis sur le territoire de la commune, soit envers les personnes, soit contre les propriétés.

2° Dans les communes où il arriverait quelques événements fâcheux, outre les peines pécuniaires et autres, les ex-nobles seront tout aussitôt tenus de se retirer dans l'une des villes de Port-Brieuc, Lannion, Lamballe, Dinan ou Guingamp.

L'administration invite tous les citoyens à se réunir et à se communiquer leurs idées et leurs moyens pour prévoir et repousser les tentatives des brigands et malveillans.

L'administration saura distinguer ceux dont la bonne volonté et les soins efficaces auraient contribué au maintien du bon ordre. Dinan, le 14 messidor, an sept, de la République française. Signé : BARRÉ, agent ; LE TURQUIS, agent ; ROUXEL, agent ; LE FEUBRE, agent ; BULLOURDE, agent ».

 

SAINT-HÉLEN.

Liste des recteurs de Saint-Hélen.

1599-1619, Jacques Gravot ; 1619-1659, Jean Prioul, enterré dans le chœur ; 1660-1663, Jean Cocquelin ; 1663-1664, Georges Huguet ; 1664-1699, Servan Rivière, enterré devant l'autel ; 1699-1719, Guy Lemée ; 1719-1763, Malo Philippe Adam ; 1763-1788, Beslay ; 1788-1792, François Lemée ; 1803-1823, Henri Le Bourgeois ; 1823-1836, Henry ; 1836-1844, Pierre Merven ; 1844-1859, Pierre Crespel ; 1859-1861, Marc Rouault ; 1861-1863, Eugène Cabaret ; 1863-1865, François-Louis Morel ; 1865-1869, Henri Allaire ; 1869-1874, Jean-Marie Gallais ; 1874-1880, Paul Bonnier ; 1880-1890, Henri Ménager ; 1890-… , Pierre Hamon.

Mentionnons sur la liste des prêtres déportés, en 1792, le nom de Julien-Jacques Lorre, ancien carme, qui s'était retiré à Saint-Hélen, dans sa famille.

On voit par cette liste, qu'au moment de la Révolution, la paroisse de Saint-Hélen avait pour recteur M. François Lemée. Il refusa de prêter serment et fut compris dans la liste des déportés dressée par le département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), après la loi du 26 août 1792.

Le vicaire était M. Henri Le Bourgeois, depuis 1788. Il est probable qu'il refusa lui aussi de prêter le serment constitutionnel. Avant la loi de déportation, il fait, le 13 mars 1792, une réclamation au département, au sujet de l'arriéré de ses paiements. On lit au bas de la pièce originale, cette recommandation de la municipalité de Saint-Hélen : «... Attendu le bon comport actuel de Henri Le Bourgeois, nous, maire et officiers municipaux, supplient MM. les administrateurs faire droit à la présente. Le 13 mars 1792. Signé : Lemeur de Kerneven, maire, François Fermine, Pierre Coudray, officiers municipaux ». Après la tourmente, M. Le Bourgeois fut nommé recteur de Saint-Hélen, en 1803 ; il occupa ce poste pendant vingt ans.

L'intrus Benoît Thivent vint prendre la place de ces deux prêtres. Après avoir été vicaire constitutionnel à Pleudihen, en 1791, il fut nommé par Jacob curé constitutionnel de Saint-Hélen ; il reçut ses lettres le 2 juin 1792 et renouvela alors son serment. Il cumula à Saint-Hélen les fonctions de curé constitutionnel et d'officier de l'état civil.

La paroisse de Saint-Hélen doit-elle s'honorer de l'histoire miraculeuse de l'abbé Quinot ? Je ne le crois pas. Bien que consigné dans le registre officiel de la paroisse, ce fait extrait de l'un des romans de Raoul de Navery, ne renferme aucun caractère sérieux d'authenticité. D'autre part comment expliquer l'origine du calvaire vénéré de la Croix Quinot ? En tout cas, voici l'histoire. On raconte que, pendant la Révolution, on vint chercher, à défaut du recteur, l'abbé Quinot, chapelain du château, pour administrer un malade en danger de mort. Le bon prêtre accepte volontiers de rendre le service qui lui est demandé ; il prend le saint viatique et se met en route vers la demeure du malade. A peine a-t-il fait quelques pas, il rencontre une femme de Lehon qui l'arrête et lui dit : « Rentrez vite et cachez-vous, une bande révolutionnaire vous cherche pour vous tuer ; vous n'avez que le temps de fuir ». Le chapelain remercie la femme de son avis charitable, et continue néanmoins sa route. A peine a-t-il fait quelques pas, les bandits arrivent, s'emparent de sa personne et veulent le contraindre à leur livrer la sainte hostie qu'il portait sur sa poitrine. Nouveau Tharcisius, il refuse de livrer son Maître. Les brigands furieux ramassent du bois, en font un tas et dressent auprès un poteau au haut duquel ils attachent l'abbé la tête en bas ; ils mettent le feu au bûcher, les flammes pétillent et enveloppent leur victime. Se croyant sûrs que l'abbé n'en réchappera pas et qu'il va être bel et bien rôti avec « son bon Dieu », les bandits s'éloignent emmenant avec eux l'enfant de choeur qui accompagnait le chapelain et que, dit-on, ils massacrèrent aussi. Cependant le martyr priait, et l'Eucharistie fit en sa faveur un signalé miracle : tout à coup les flammes s'éteignent, les liens qui attachaient l'abbé se brisent, et il se trouve ainsi subitement délivré sans ressentir aucun mal. Il se hâta d'aller administrer son malade et de lui porter l'Hostie si miraculeusement conservée. Après la Révolution, l'ancien chapelain de Coëtquen fit ériger en souvenir de reconnaissance, une croix, à l'endroit même où il avait été sur le point de trouver une si horrible mort.

Cette croix de bois, surmontée d'une fleur de lis, se voit encore à la fin du XIXème siècle, et elle continue alors d'être l'objet de la vénération des pieux fidèles. Elle s'appelle la Croix Quinot, du nom même du chapelain. Les braves gens y vont en pèlerinage, et les fleurs déposées à ses pieds, ainsi que les bougies qui souvent y brûlent, attestent la confiance inébranlable dans la protection de l'abbé Quinot, à l'intercession duquel on attribue des faveurs et des grâces du ciel.

Dès le commencement de la Révolution, l'antique château de Coëtquen, célèbre dans l'histoire, reçut la visite d'une horde sauvage dont on nous permettra de raconter les hauts faits. Le 7 janvier 1791, une bande de paysans des cantons de Plouër et de Ploubalay, ayant à leur tête des officiers municipaux de Pleslin, se présentèrent à Dinan, devant le Directoire du District, et déclarèrent que les paroisses dont ils étaient les délégués avaient résolu, quoiqu'on fît pour les y contraindre, de ne plus payer les rentes féodales. En vain leur remontra-t-on que leur refus, illégal d'ailleurs et contraire aux volontés de l'Assemblée nationale, n'aboutirait qu'à aggraver une situation déjà difficile ; qu'au lieu de recourir à la violence et de s'exposer à des poursuites, il serait plus sage, s'ils avaient à se plaindre de quelque injustice, de s'adresser aux tribunaux. Ces représentations, faites avec toutes sortes de précautions oratoires, n'aboutirent qu'à les irriter davantage.

Un des administrateurs du District, à bout de patience, ayant répondu qu'on finirait par avoir raison de leur entêtement : « Eh ! bien, répliqua le meneur de la bande, il y aura plus d'une tête à tomber ! ».

Après cette scène et ces menaces, on aurait pu s'attendre à de nouveaux troubles aux environs de Pleslin ; ce fut du côté d'Evran qu'ils éclatèrent. Des habitants de cette paroisse, de Saint-Judoce, de Saint-Juvat et de Saint-Maden se réunirent, et après avoir stupidement mutilé quelques arbres de l'avenue du château de Beaumanoir, ils descendirent le long de la Rance, jusqu'au Chesne-Ferron, où ils s'emparèrent de divers papiers. Mais, pris d'un singulier scrupule, et comme pour donner à leurs perquisitions un semblant de légalité, ils rebroussèrent chemin et se rendirent, tambour en tête, chez le maire d'Evran, qui, effrayé, eut la faiblesse de leur octroyer par écrit la permission d'honorer de pareilles visites tous les ci-devant privilégiés du canton.

De château en château, ils arrivèrent le 22 janvier à Saint-Hélen, où ils apprirent que le régisseur avait emporté, la veille, les archives de la seigneurie de Coëtquen. Désappointés et d'accord avec les gens de Saint-Pierre, qui les avaient rejoints, ils résolurent de pousser jusqu'à Châteauneuf. Mais, comme ils étaient sans chef, ils députèrent 30 hommes vers M. Le Meur de Kerneven, pour lui offrir le commandement de l'expédition. Celui-ci, n'osant pas refuser peut-être, accepta. Au Tertre, lieu fixé pour le rendez-vous général, il trouva plus de 500 hommes, qui l'acclamèrent, et la colonne se mit en marche, jetant l'effroi dans les villages qu'elle traversait, mais faisant, en somme, beaucoup moins de mal que de bruit.

Il était environ midi lorsqu'elle entra, tambour battant, à Châteauneuf. Elle se dirigea tout droit vers le château, dont les propriétaires s'étaient enfuis, mais où elle pénétra par une porte dérobée. Ce fut un domestique, nommé Jeannot, qui la reçut. Tremblant de tous ses membres, le pauvre homme, non sans faire quelques façons toutefois, remit au chef de la troupe un énorme trousseau de clefs. Le Meur refusa de les prendre et défendit d'ouvrir une seule porte avant l'arrivée du maire ou du procureur-syndic de la commune. On fit, en présence de ces derniers, une minutieuse perquisition dans tous les appartements, mais sans y rien dérober ; les paysans n'en voulaient qu'aux titres de rente.

Les papiers de Coëtquen étaient encore enfermés dans les sacs où le régisseur les avait empilés pour les transporter plus aisément : on les en tira. D'autres liasses, que les gens de la maison n'avaient pas eu le temps de cacher, étaient éparses sur les tables ou rangées dans des armoires. On en remplit un tonneau et le tout fut chargé sur une charrette qui devait être expédiée sous bonne garde à Evran. Mais, par une fatalité malheureuse, il ne fut pas possible de retrouver les clefs de la grille. Les « insurgés » à qui le maire avait obligeamment annoncé la prochaine arrivée d'un détachement militaire de Saint-Malo, demandé par la municipalité de Dinan, traînèrent la voiture au bas du jardin, entassèrent en toute hâte les papiers sur les bords du vivier, et les... fusillèrent. En quelques minutes, les flammes eurent dévoré cet amas de titres, autour duquel les paysans dansèrent une ronde en poussant des cris de joie.

Après cet autodafé, ils se dispersèrent dans les auberges ; et, quoiqu'il eût fait battre le rappel à plusieurs reprises, Le Meur de Kerneven ne put ramener, le soir, à Saint-Men, qu'une cinquantaine de ses soldats improvisés.

Ce fut le 5 octobre 1794 que le District de Dinan vota la démolition du château de Coëtquen.

Je termine ces notes très restreintes sur Saint-Hélen, faute de documents à consulter, par une singulière histoire, assez grotesque sans doute, que je trouve racontée tout au long dans les registres du Comité de surveillance de Dinan. C'est ce document historique à sa façon, qu'en narrateur fidèle et scrupuleux, je n'ai pas osé négliger.

7 nivôse, an 2 (27 décembre 1793). Pierre Lorre, habitant la commune de Saint-Hélen, dit : « Mercredi dernier, sur les sept à huit heures du soir, le nommé Boyer, joueur de violon, Balochère, chirurgien, Fouquet, se transportèrent en sa maison, lui disant qu'ils venaient lui demander du bois et du cidre à acheter ; lui dirent de mettre à la broche canard, poule et autre viande pour faire fricot et qu'ils paieraient ». Le dit Lorre ayant fait mettre un canard qu'il se trouvait avoir et un morceau de lard, ils dirent que ce n'était pas assez, qu'il fallait des poules, qu'ils paieraient bien. En conséquence, il fut chercher une poule chez un voisin, laquelle fut également cuite pour faire le fricot. Ils demandèrent bon feu et qu'ils voulaient passer la nuit. Il leur fournit du cidre tant qu'ils voulurent en boire ; ils demandèrent à coucher ; Lorre leur céda son lit ; après avoir bien bu, ils urinèrent dans le pichet, et Lorre, le matin, croyant que c'était du cidre, il en but et en fut malade par la répugnance que cela lui causa, et en s'en allant, l'un d'eux dit : nous n'achèterons pas de cidre ; les autres répondirent : il n'est pas cuit, et voilà le fricot payé ! En outre, ils maltraitèrent le dit Lorre de paroles et s'en furent sans rien vouloir payer, et furent ensuite chez Pierre Chesnel et chez Pierre Chorcanière, où ils firent lever les femmes en chemise et firent tapage. Le dit Lorre dit qu'ils lui brûlèrent pour plus de cent sols de bois et pour plus de huit à dix francs de comestibles et boissons dont il demanda paiement, et a signé : Pierre LORRE. Visé, vérifié et approuvé... (Extrait du registre du comité de surveillance de Dinan).

 

LANVALLAY.

Liste des Recteurs.

1635-… , Ville-Coeur ; …-1659, Samson ; 1659-1705, Jean Gigot ; 1705-1715, V. Roüaux ; 1715-1735, F. Prioul, 1735-1745 ; J. Hiard ; 1745-1779, Alex. Gallais ; 1779-1786, Mancel ; 1786-1791, Delépine ; 1801-1819, René Escalot ; 1819-1832, Yves Allo ; Pommeret ; Regnier ; Henry ; Jacques Fairier ; Joseph Dubois ; Houdu ; Malo Ménard ; François Gicquel.

Au moment de la Révolution, la paroisse de Lanvallay avait pour recteur M. Delépine, et pour vicaire M. G. Josseaume. Le recteur fit le serment constitutionnel et fut nommé curé constitutionnel de sa propre paroisse. Au mois d'octobre 1791, il fut élu curé d'Evran ; cependant je trouve encore sa signature comme curé sur le registre de Lanvallay, le 10 avril 1792. Y venait-il comme curé d'Evran ? On croit qu'il se retira à Rennes.

Le 27 septembre 1791, les officiers municipaux de Lanvallay envoient au District de Dinan le certificat suivant, au sujet de leur curé : « Delépine, curé constitutionnel, recevait tous les ans par quartier, des cy-devant religieux de Marmoutiers, en qualité de simple desservant et non comme titulaire, une somme de 180 livres, pour la célébration des trois messes par semaine, en acquit d'une fondation attachée à la chapelle du Prieuré de la Madeleine du Pont à Dinan, qu'il a desservi ces messes jusqu'à l'an 1791 ». Il s'agissait d'établir son traitement. Il possédait de plus dans la paroisse de la Boussac un patrimoine valant annuellement 60 livres.

L'abbé G. Josseaume fut plus énergique que son recteur : il refusa de trahir la cause de Dieu. Il était vicaire depuis 1782 ; sa dernière signature sur les registres paroissiaux est du 13 mai 1791. Il fut obligé de se cacher ; mais son zèle ne se ralentit pas pour cela. Il eut même l'honneur d'être spécialement désigné à la colère du District de Dinan qui ordonna son arrestation, le 18 juillet 1791, et le fit conduire sous bonne escorte à la prison de Saint-Brieuc. Le conseil général du District voulait, disait-il, « purger le pays d'un pareil fanatique ».

Après le départ de M. Delépine à Evran, et l'arrestation de M. Josseaume, les sacrements furent administrés à Lanvallay par un prêtre jureur, nommé Le Poitevin. Comme Gouinguené à Pleudihen, il ajouta en 1793 à ses fonction sacerdotales, le titre d'officier public.

Quand la tourmente fut passée, un ancien religieux dominicain des couvents de Dinan, de Nazareth, et en dernier lieu d'Argentan, vint s'offrir à Lanvallay pour y remplir les fonctions pastorales. Il se nommait Frère René-Servan Escalot ; c'était un homme énergique qui avait refusé le serment et s'était tenu caché pendant les années mauvaises. L'admission de l'ex-Jacobin ne se fit pas sans difficulté ; il refusait absolument de faire promesse de fidélité à la Constitution de l'an VIII, et prétendait qu'étant muni d'une permission du général Brune d'exercer son culte partout, il n'avait point besoin de l'autorisation ni du maire, ni du préfet, pour remplir le ministère paroissial à Lanvallay. Trois semaines se passèrent ainsi en pourparlers. Enfin, le 5 février 1801 « le citoyen René Escalot, ministre du culte catholique » fut admis comme recteur de Lanvallay, après avoir signé la déclaration suivante : « Je déclare ne prêcher par ma conduite et mes discours que l'amour de l'ordre et de la paix, et être dans l'intention de remplir les fonctions de mon ministère dans la commune de Lanvallay, où je déclare établir dès ce jour mon domicile. Fr. Escalot, prêtre ». Dès le 10 mars suivant, il fut accusé de vouloir susciter des troubles dans la commune. Il s'était plaint qu'un prêtre schismatique de l'hôpital avait administré un de ses paroissiens nommé Texier, et le jour de la mort de cet homme, il en avait fait des reproches à sa femme. On se permettait aussi de l'accuser de donner, au tribunal de la pénitence, des avis contraires à ceux qu'il donnait publiquement en chaire. Le père protesta qu'il ne prêchait que la paix et l'union, et pour faire plaisir au maire qui le lui demandait en signe de paix, il chanta un Te Deum, le dimanche suivant. Mais le maire voulut en demander trop, il prétendit défendre au recteur de laisser aucun prêtre faire aucune fonction dans la paroisse sans s'être préalablement muni de son autorisation, et surtout il s'avisa de lui dicter des règles à suivre au confessionnal. Cette fois, le recteur se fâcha. Alors le maire continuant ses mesquines taquineries interdit les processions autour de l'église et défendit de sonner la cloche sans sa permission. Ce maire autoritaire et digne des temps actuels, s'appelait Le Roux. Le recteur fit sonner la cloche quand même ; le maire s'empressa de faire descendre le battant de la cloche, et à son tour le recteur, pour avoir le dernier mot, fit sonner les offices en frappant en carillon sur la cloche elle-même. M. Escalot mourut à Lanvallay le 2 janvier 1819, à l'âge de 81 ans.

Le prieuré de la Madeleine et la chapelle Saint-Nicolas, situés en Lanvallay, furent l'un et l'autre vendus nationalement. Il y avait une autre chapelle sur le territoire de Lanvallay ; elle relevait de la seigneurie de Saint-Piat. Cette dernière, qui avait droit de haute, basse et moyenne justice, appartenait au duc de Duros au moment de la Révolution. Elle avait droit de saut de poissonniers, alternativement avec le roi, et d'enfeu prohibitif dans le couvent de Saint-François de Dinan. Les Hubert de la Massue, seigneurs de Saint-Piat, jouissaient, entre autres, du privilège de tenir la bride du cheval que montait le roi, lorsqu'il venait à Dinan, et de le conduire à leur château. Le cheval leur appartenait en retour. Ils tenaient tous ces droits et privilèges des ducs de Bretagne, et Henri IV leur en avait confirmé la jouissance.

 

SAINT-SOLEN.

Liste des Recteurs [Note : Plusieurs de ces recteurs, surtout au milieu du XVIIIème siècle, signent : recteur de Saint-Solemne].

1675-1699, Jacques Prioul ; 1699, M. Raclet, curé d'office ; 1700-1707, Eustache Ferron ; 1707-1710, B. Jambon ; 1710-1739, Etienne Manuée ; 1739-1749, Joseph Mazure ; 1749, J. Hervé, curé d'office ; 1749-1754, F. M. Vitel ; 1754-1758, Guitton ; 1758, Y. Lorot, curé d'office ; 1758-1776, Jean-Baptiste Thouët ; 1776-1805, Pihan ; 1805-1807, Laurent ; 1807-1815, Margely ; 1815-1816, Carmouët ; 1816-1818, Nicolas ; 1818-1859, Ravaudet ; 1859-1868, Briand ; 1868-1872, Beziel ; 1872-1876, Joseph Salmon ; 1876-1891, François Reland ; Joseph Delourme.

M. Pihan, ancien vicaire de Lehon, était recteur de Saint-Solen depuis 1776, lorsque la Révolution survint. C'était un prêtre zélé, plein de foi ; il avait une piété tendre, affectueuse, qui le tenait constamment en la présence de Dieu. L'en-tête de ses registres paroissiaux est émaillé d'oraisons jaculatoires ardentes, dans le genre de celles-ci :

« 0 mon Dieu, que vous êtes bon, adorable, aimable, adorande, colende, venerande ! ». — « 0 mon Dieu, je vous ai aimé trop tard ! ». « Tu nostra, tu Jésus, Salus ! ». — « Mon Dieu, je vous aime de tout mon coeur et de toute mon âme ! 0 mon bon Jésus, ô Mon cher amour ! ». Ce saint prêtre ne pouvait prévariquer. Se cacha-t-il ? Emigra-t-il ? Il refusa certainement de prêter le serment constitutionnel, car il est inscrit sur la liste des prêtres condamnés à déportation après la loi du 26 août 1792 ; c'est donc un autre Pihan que je trouve dans la liste des curés constitutionnels, au mois de septembre 1791, comme curé de Trégon.

Le R. P. Tournois exerça souvent son ministère à Saint-Solen, pendant la Terreur ; c'est même là, comme je l'ai raconté, qu'il faillit être pris une première fois, au moment où il entendait des confessions. Les registres de Saint-Solen portent plusieurs fois sa signature, depuis le 21 décembre 1791, au 1er septembre 1792. Il signe, le plus souvent : « Frère Romain, capucin, prêtre ». C'est la signature d'un martyr !

Après le départ de M. Pihan, l'assemblée des électeurs du District nomma à la cure de Saint-Solen un certain M. Brouste, ci-devant bénédictin de Vannes, qui eut le bon esprit de refuser cet honneur sacrilège. Mais un autre prêtre, nommé Nicolas Bertrand Cardon, fut moins scrupuleux ; après avoir prêté serment, il accepta la cure de Saint-Solen. Je donne ci-après l'acte officiel de son installation, en date du 30 décembre 1792. Il paraît que ce malheureux intrus n'était pas assez complètement converti aux idées de la Révolution, car le 30 juillet 1794, sur la dénonciation de la société des Sans-culottes de Saint-Hélen, et malgré son certificat de civisme, il fut arrêté et conduit à la prison de Dinan, « pour avoir par ses opinions politiques embrassé un système anti-révolutionnaire ».

La paroisse de Saint-Solen subit aussi à cette triste époque, la honte du mariage d'un prêtre apostat : Laurent Nouazé, vicaire de Plesder. Il épousa, le 3 août 1794 Jeanne Faitou, de Saint-Solen, fille de feu François Faitou et de Madeleine Poilvé. Il était lui-même natif d'Evran. L'infortuné ne jouit pas longtemps des douceurs de l'hyménée ; peu de jours après son mariage, il fut arrêté par une troupe de chouans et pendu dans la cheminée de sa propre maison. De ce mariage sacrilège naquit une fille qui devint plus tard mère d'un garçon auquel Dieu fit la grâce de devenir prêtre, comme pour laver la tache de son malheureux grand'père.

La paroisse de Saint-Solen eut aussi le malheur d'avoir un curé constitutionnel, Nicolas-Bertrand Cardon. Voici la pièce authentique de son installation et de sa prestation de serment :

« Liberté, égalité, fraternité ou la mort.

Extrait du registre des délibérations du conseil général de la commune de Saint-Solain, au District de Dinan, département des Côtes-du-Nord.

Du trente décembre mil sept cent quatre-vingt-douze, l'an premier de la République française.

Le conseil général de la commune, dûment convoqué et assemblé à l'église paroissiale de Saint-Solain, le citoyen Nicolas Bertrand Cardon, prêtre, ayant représenté le procès-verbal de nomination de sa personne à la cure de la dite paroisse en date du 29 novembre dernier, dûment délivrée par expédition du secrétaire du District de Dinan jointe à l'installation en conséquence délivrée par le citoyen Jean-Marie Jacob, évêque du département des Côtes-du-Nord, du 27 du mois de décembre présent mois, dûment scellée de son sceau, le citoyen Cardon ayant donné lecture de cette pièce et fait un discours relatif à son installation, les fidèles assemblés, et avant la grand'messe a prêté le serment suivant : " Je jure d'être fidèle à la nation, à la loi, et de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir à mon poste en les défendant, et de veiller avec soin sur les fidèles qui me sont confiés ". Acte ayant été demandé de ce serment, nous l'avons consigné par le présent pour être délivré par extrait au cas le requérant. En conséquence de ce que dessus, le conseil général de la commune l'a installé curé de la dite paroisse de Saint-Solain. Fait au conseil général de la commune, après les cérémonies religieuses, les dits jour et an que dessus, séans tous les membres, l'an premier de la République Française. Signé : Jean HOUITTE, maire ; Guillaume DU BOIS ; Joseph DUVAL ; 0llivier MANCEL ; GAULTIER, secrétaire.

Certifié conforme au registre, par moi secrétaire-greffier soussigné, le vingt-six août mil sept cent quatre-vingt-treize. LE CLERC GERVERAIS ».

 

TRESSAINT.

Liste des Recteurs.

1670-1692, Bonnet ; 1621, Robert Souquet ; 1652, Borinet, maître ès-arts, recteur ; 1692, Pampillon ; 1692-1729, Fauchet (Julien) ; 1729-1730, Gabillard, curé d'office ; 1730-1762, Pinot, curé (Guillaume) ; 1762-1763, Le Roux, curé ; 1763-1764, Viel, curé d'office ; 1764-1773, Guignard, prieur ; 1773-1774, Mercier, prieur ; 1774-1776, Delalande, curé d'office ; 1776-1779, Thébaud, prieur ; 1779-1783, Moncoq, curé d'office ; 1783-1792, Ambroise, prieur-recteur.

MM. Le Roy, Moncoq, Picput, puis les recteurs de Lehon et de Lanvallay, jusqu'en :

1828-1835, Joseph-Pierre Jannin, recteur ; 1835-1837, Rouvrais ; 1837-1845, Gaudin ; 1845-1852, Jouquan ; 1852-1859, Briand ; 1859-1861, Hilarion Brisorgueil ; 1861-1868, Ange-Marie Le Forestier ; 1868-1871, François-Marie Gicquel ; 1871-1881, Joseph Hallouet ; 1881-1890, Emile Dinard ; Mathurin Méheut.

M. Ambroise qui signe tantôt recteur, tantôt prieur, d'autres fois prieur-recteur de Tressaint, administrait la paroisse au moment de la Révolution. Ses dernières signatures sur les registres paroissiaux portent la date du 5 et du 9 septembre 1792.

Il émigra en Angleterre d'où il se disposait à rentrer en France après la paix religieuse, lorsque la mort le surprit à Jersey. Il dut se tenir caché quelque temps dans le pays, car il administra en 1791-1793 le saint baptême à des enfants de Lanvallay.

Après le départ de M. Ambroise, Lepoitevin, vicaire constitutionnel de Lanvallay, administra pendant quelques mois la paroisse de Tressaint.

Tressaint relevait autrefois de l'évêché de Dol.

A l'époque de la Révolution, la Grand'Cour, principal manoir de Tressaint, appartenant à la famille de la Blénaye, fut vendu comme bien national d'émigrés.

Voir   Dinan " La paroisse de Pleudihen sous la Révolution ". 

 

(le diocèse de Saint-Brieuc durant la période révolutionnaire).

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