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HISTOIRE DE QUELQUES MAISONS DE RENNES |
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La rue Saint-Louis.
Une visite de la rue Saint-Louis m'a permis d'apporter quelques lumières sur l'histoire de trois des plus intéressantes maisons qui la bordent. Toutes les trois conservent le souvenir de personnalités historiques de bonne classe et même, pour deux d'entre elles au moins, de saintes gens.
N° 11 - Hôtel Marot de la Garaye. Cette grande habitation a dû être construite vers 1670 par ses propriétaires, les frères Jacques et Laurent Gobert, banquiers à Rennes. Ils y résidèrent, même probablement après leur faillite survenue en 1673. C'est seulement le 6 août 1691 qu'ils durent céder la place à un acquéreur de leur maison mise en adjudication. Le bénéficiaire était un ancien magistrat du Parlement, Guillaume Marot, comte de la Garaye. Il survécut peu à son achat, car il décéda le 23 janvier 1693.
Son fils aîné lui succéda aussitôt, mais ce nouveau comte de la Garaye, Guillaume-François Marot, mourut bientôt et le fils posthume qui héritait de lui disparut à son tour âgé de dix-huit mois.
Alors l'hôtel, vers 1701, revint au fils cadet du précédent acquéreur qui est aussi le plus connu de la famille, celui qu'on a surnommé le gentilhomme apothicaire. Conseiller au Parlement de Rennes, sans vocation juridique, de 1701 à 1712, marié en 1701 à Marguerite Picquet de la Motte, il voyagea pour se former aux disciplines médicales et aux secrets de la pharmacopée. Mais sa résidence de prédilection fut son château de la Garaye en Taden, près de Dinan. Sa maison de Rennes ne dut pas le voir souvent. Il mourut en 1755 et sa femme en 1757.
C'est alors que l'hôtel rennais échut à son neveu, fils de sa sœur Marie-Angélique-Sylvie, veuve de Joseph-Yves du Breil comte de Pontbriant. Cette dame, célèbre par ses œuvres charitables, eut plusieurs fils dont plusieurs eurent aussi leur renommée pour des mérites divers.
Celui qui hérita de l'hôtel de Rennes fut Malo-Joseph du Breil de Pontbriand, connu sous le nom de comte de Nevet, à cause d'une substitution dont un oncle l'avait favorisé en 1719. Il décéda en 1761, c'est dire qu'il ne jouit guère de sa demeure. Elle passa à son fils Jean-Malo-Hyacinthe, comte de Nevet, marié le 26 novembre 1771 à Félicité Mellet de Château-Letard en Saint-Erblon, dont la résidence préférée fut le château du Verger-au-Cocq en Saint-Germain-sur-Ille.
Il joua un rôle actif dans l'émigration à Jersey et dans la chouannerie. En conséquence ses biens furent confisqués.
Sa belle maison de Rennes fut vendue aux enchères le 17 juillet 1796 et adjugée à François Bergette, de Rennes. Ce personnage était sans doute proche de François Bergette, né à Rennes, docteur en médecine à Paris le 10 juillet 1819, établi à Nantes en 1829.
Avant 1837, l'hôtel de la Garaye était devenu la propriété de Joseph-Marie-Romain Méret dont je ne saurais dire s'il doit être identifié avec l'entrepreneur Méret qui a construit, encadrant le théâtre, les « galeries Méret » vers 1836.
En 1837, l'hôtel fut acquis par Anne-Louis Peschard. En 1872, il fut acheté à cette famille par Félix de Plouays de Chanteloup, marié à Claire du Guiny dont les descendants le cédèrent en 1922 au docteur Pirault.
La décoration intérieure, qui est de belle qualité, semble appartenir à l'époque de la Restauration [Note : BANÉAT, II, page 73. KERVILER, II. 436, VI, 221-223, XVI, 225. SAUNIER, II, n°s 866, 867. PARIS-JALLOBERT, Saint-Germain-sur-Ille, REBILLON, n°s 123, 138. Archives départementales E 190, 251 2 A 78, LEVOT, et les archives privées obligeamment communiqées par les enfants du regretté docteur Pirault].
N°s 16 et 18 - Hôtel de Cicé. Cet hôtel a été bâti en 1722 et années suivantes pour Jérôme-Vincent Champion de Cicé. Né en 1680, il n'était qu'un cadet. Son frère aîné possédait la seigneurie de Cicé et une charge de conseiller au Parlement de Bretagne.
Jérôme épousa le 27 janvier 1722 Marie-Rose de Varenne de Condate, d'une famille de financiers originaires de l'Auvergne. Cette dame était de Saint-Etienne de Rennes et le premier-né du ménage y fut baptisé le 5 décembre 1722. Or, le 27 juin 1722 un accord intervint entre M. de Cicé et son nouveau voisin le Grand Séminaire. Le premier de ses enfants qui vint ensuite au monde fut baptisé le 10 février 1725 en Saint-Aubin. Il faut conclure qu'à cette date l'hôtel de la rue Saint-Louis était achevé et que la famille de Cicé y était installée. L'hôtel était vaste, sans excès pour loger les douze enfants de Jérôme de Cicé. Les boiseries étaient fort simples. Au-dessus du portail d'entrée, un double écusson ovale apportait un accent nobiliaire à la demeure.
Jérôme vécut là avec sa digne lignée jusqu'à sa mort le 26 novembre 1750. Le dernier-né de ces enfants fut Adélaïde, baptisée le 5 novembre 1749. Outre cette sainte fille qui fonda en pleine Terreur une congrégation religieuse, la famille de Cicé comptait deux prélats, un évêque d'Auxerre et un archevêque de Bordeaux qui fut garde des Sceaux de Louis XVI.
Comme la maison était vaste et que les enfants avec l'âge prenaient leur essor, on la divisa en deux pour en affecter une partie (n° 16 actuel) au logement de la seule fille mariée de Mme de Cicé : Marie-Anne-Angélique qui avait épousé à vingt ans, en 1747, le vicomte Gilles de la Bintinaye qui devint greffier des Etats de Bretagne. Comme sa mère, elle eut douze enfants.
Cependant, après la mort de Gilles de la Bintinaye en 1766, cette moitié de l'hôtel de Cicé fut aliénée en faveur de François Drouet de Boisglaume.
En 1771, l'architecte Béchet des Ourmeaux préparait pour le Grand Séminaire la construction de la maison voisine (n° 14).
Adélaïde de Cicé ne résida guère dans la maison de la rue Saint-Louis, qui ne lui appartenait pas, mais à son frère aîné. Après la mort de sa mère à laquelle elle avait tenu fidèle compagnie (1784), elle reçut son lot en valeurs mobilières.
Au nombre de celles-ci était une rente viagère de 200 livres constituée à son profit sur les Bénédictins de Saint-Melaine, par sa mère, le 5 mai 1768, pour entrer en vigueur après le décès de cette dame. Le département d'Ille-et-Vilaine en reconnut la légitime propriété à Adélaïde (18 avril 1791).
Il ne semble pas que l'immeuble ait été saisi comme bien d'émigré, et pourtant presque tous les frères d'Adélaïde quittèrent la France lors de la Révolution. Mais ce ne fut pas le cas de son frère aîné mort à Paris le 28 janvier 1792 et dont les fils étaient en France.
Lors de l'établissement du cadastre de Rennes, les propriétaires de l'hôtel de Cicé étaient, au n° 18, Caroline Plouays de Chanteloup, veuve de Charles-Antoine de Guéhéneuc, et Mme Chauvel de Teillay, née Ragot, veuve, laquelle possédait le n° 16 qu'elle habitait [Note : Voir André RAYEZ, S.J., Formes modernes de vie consacrée, Adélaïde de Cicé et le P. de Clorivière, 1966].
N° 22 - Hôtel de la Bigne-Villeneuve. Le terrain sur lequel s'élève cet hôtel était, lors de l'achèvement du cadastre en 1842, la propriété de Jean-Marie de la Bigne-Villeneuve fils, médecin à Rennes, ainsi que la médiocre maison qu'il comportait (parcelles n°s 761-763). Ce propriétaire habitait alors rue de la Monnaie.
Il est facile d'identifier ce personnage grâce aux excellentes notices publiées sur cette famille [Note : KERVILER, III, 213. LA MESSELIÈRE, I, 185]. Il s'agit de Jean-Marie-François de la Bigne-Villeneuve, né à Rennes en 1809, docteur en médecine en 1834, marié en 1838 à Pauline Rolland du Noday. Il était fils d'un autre Jean-Marie, également docteur en médecine, mort à Rennes le 7 février 1857.
Jean-Marie-François eut de son mariage six filles. Au temps de la naissance des quatre premières, il habitait toujours rue de la Monnaie :
Anne-Marie-Victoire, le 8 juin 1839, Marie-Philomène-Anne, le 30 décembre 1840, Philomène-Marie-Jeanne, le 31 octobre 1843, et Caroline-Marie-Josèphe, le 16 mars 1846.
Mais quand naquirent les deux plus jeunes, leurs parents s'étaient transportés rue Saint-Louis : Marguerite-Marie-Félicie, le 6 octobre 1848, et Pauline-Hippolyte-Marie-Anne, le 16 mai 1851.
J'en conclus que le bel hôtel que j'étudie a été achevé entre 1846 et 1848. La décoration en broderie de pierre qui encadre les fenêtres n'est pas sans analogie avec les gravures sur bois qui ornaient en ce temps les journaux illustrés. Les revêtements intérieurs sont du même style. La façade donnant sur le jardin présente une corniche formée de jeux de briques qui ressemble à celle du vieux Saint-Vincent, rue Jean-Macé, et qui pourrait avoir pour auteur le même architecte Charles Langlois. Je lui attribue également, à cause du même genre de corniche, la résidence construite à la Drouetière en Vezin par M. Ambroise Pocquet qui, en évocation d'une autre terre en Noyal-sur-Vilaine, lui donna le nom de Haut-Jussé.
Un souvenir doit être évoqué ici, c'est le mariage, le 16 octobre 1858, de la seconde fille du docteur Jean-Marie de la Bigne-Villeneuve, Marie, avec Arthur Le Moyne de la Borderie, âgé de trente-et-un ans. Sa conjointe n'en avait que dix-sept. L'un des deux témoins du marié fut son cousin issu de germain, Félix Pollet, conservateur des hypothèques, âgé de cinquante ans, demeurant à Mayenne. Ce sont ses descendants qui, en 1901, ont été les héritiers du grand historien de la Bretagne. On n'oubliera pas que c'est dans cet hôtel que La Borderie, pendant plus de quarante ans, passa les studieuses veilles de ses longs séjours à Rennes.
La rue de Redon et la Mabilais.
[Note : Les sources de cette étude sont essentiellement les titres de propriété que les propriétaires et les notaires ont bien voulu me communiquer — ce dont je les remercie vivement — les actes de l'état civil, le cadastre, les annuaires de Rennes, les ouvrages de P. BANÉAT]
RUE DE REDON.
Lorsque nous avons visité la
rue Saint-Sauveur, nous étions au cœur de la cité antique. Ici, c'est tout le
contraire, nous sommes hors les murs, non seulement de la ville romaine, mais
encore de l'enceinte fort agrandie au dernier siècle du moyen âge.
La rue de Redon s'est longtemps appelée faubourg de Redon [Note : Depuis 1895 environ, le faubourg de Redon, aujourd'hui rue Alexandre-Duval, ne commença qu'après les Récollets. Les rues anciennes débouchant dans la rue de Redon sont la rue d'Inkermann, ancienne rue de la Sablonnière, la rue Keralio, ancienne ruelle de Guines, conduisait à la ferme de ce nom, la rue Surcouf, ainsi dénommée en 1888, est aussi ancienne au moins que les Récollets. La rue Pierre-Hévin est peu antérieure à 1905 (la maison du n° 5 porte la date de 1905, celle du n° 15, la date de 1906)]. Elle était le dernier tronçon, avant Rennes, de la route royale de Redon à Caen [Note : Plan de 1870. Route n° 177]. On l'appela aussi, au XVIIème siècle, le grand chemin de Vannes.
Cette route ne pouvait pas remonter aux Romains, puisque la ville de Redon ne s'est formée qu'à partir du IXème siècle autour de l'abbaye Saint-Sauveur.
Le faubourg de Redon diffère à plusieurs égards des autres faubourgs de Rennes, notamment du faubourg ou bourg l'Evêque (de Brest) et du faubourg de Nantes. Ceux-là étaient de véritables quartiers peuplés de nombreuses maisons qui formaient des tentacules de l'agglomération urbaine. Les routes qui leur servaient d'axe étaient à peu près rectilignes et aboutissaient à des portes monumentales : porte Mordelaise, porte de Toussaint (la Poissonnerie actuelle).
Tout autre, la route de Redon n'approchait de Rennes qu'en décrivant plusieurs courbes parfois très prononcées. Pour pénétrer en ville, elle devait incliner encore son tracé, pour emprunter les voies que nous appelons rue de l'Arsenal, rue de Chicogné, aboutir enfin à la porte de Toussaint.
Le quartier qu'elle desservait n'était guère attrayant, il était humide, marécageux par endroits et conséquemment peu habité. Les logis qui ont laissé un nom sur ses bords, la Grisonnière, à droite (côté des numéros pairs), Cohignac, à gauche, étaient de petites fermes ou des maisons de campagne modestes. Il fallait s'éloigner un peu pour trouver des manoirs dignes de ce nom, comme Gaillon (au sud de l'Abattoir) et la Mabilais, légèrement plus à l'ouest.
Il n'est pas étonnant que ces terres délaissées aient été choisies pour y recueillir, dans un hôpital, des malades dont le contact effrayait. Lorsque la peste sévit à Rennes au XVIème et au XVIIème siècle, c'est en bordure de cette voie que fut placé le refuge de ces malheureux. Un seigneur du voisinage, François Tierry de Boisorcant (sa famille possédait le domaine de la Prévalaye), donna le premier terrain en 1546. Les constructions s'élevèrent ensuite.
Lorsqu'en 1607 fut posée la première pierre de la chapelle, cette date devait marquer l'achèvement d'un édifice, qui n'existe plus.
En 1679, suivant un plan qui s'appliqua dans toutes les grandes villes, fut créé à Rennes un Hôpital général. C'est pour lui que furent alors édifiés trois grands corps de logis auxquels vint s'ajouter, en 1767, un vaste pavillon fondé pour la retraite de six « anciens prêtres », c'est-à-dire de vieux prêtres, par la comtesse Le Maistre de la Garlaye et Louis de la Bourdonnaye de Montluc, son frère, président au Parlement de Rennes, seigneur et constructeur de l'immense château de Laillé qu'il habitait.
Plusieurs maisons du voisinage furent occupées par des malades convalescents en vue de les « desairer », les changer d'air.
Une annexe de ce genre s'élevait sur les bords de la Vilaine dans la maison de la Gauretais, achetée par la ville en 1677. Là fut aménagée une maison de la Santé pour recevoir des incurables.
La levée ou rue de la Santé en a conservé le nom. Les Basses-Terres qu'on appelait les Champs-Creux avaient été assainies par le creusement en 1632 d'un canal qui, comblé depuis, est devenu, en 1863, le boulevard Sébastopol. Son nom, comme ceux des rues d'Inkermann et de Malakoff, évoque la guerre de Crimée (1854-1855).
En 1793, l'Hôpital général fut transporté à Saint-Melaine et à sa place fut installé l'Arsenal qui a donné son nom à la rue qui le côtoie et attiré autour de lui un vaste établissement militaire. L'Arsenal n'a pas d'entrée sur la rue de Redon, mais il la borde, au sud, sur une grande longueur.
Le grand plan de Rennes daté de 1769 que possède le Musée ne montre, à l'exception de Cohignac, d'autres constructions sur les bords de la rue de Redon que l'Hôpital général. Au commencement de la rue, du côté opposé à cet Hôpital, se creuse une carrière.
Les maisons urbaines n'ont commencé à s'élever en bordure de la rue de Redon qu'au XIXème siècle et, comme on le verra, sous le règne de Louis-Philippe.
En premier lieu, je dois attirer votre attention sur des créations de nature collective dont la portée dépasse celle des demeures particulières. Je fais allusion à l'apparition de manufactures et à celle d'un couvent.
Ce couvent, pour commencer par lui, est celui des Récollets. Ses origines sont bien connues [Note : GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé…, t. III, page 607]. Les Récollets sont une branche réformée des frères mineurs ou franciscains. Le cardinal Saint-Marc, archevêque de Rennes, édifié, en 1876, par la prédication de ces religieux dans la paroisse de Bourg-des-Comptes où il possédait le château du Boschet, les appela à Rennes et leur destina l'apostolat de ce quartier ouvrier qui se développait de jour en jour. Ils y avaient été précédés, en 1865, par les Oblats de Marie, congrégation française fondée par Charles de Mazenod, avant qu'il devînt évêque de Marseille. Mais ce premier essai n'avait pas eu de suite.
C'est en 1877 que les Récollets commencèrent leurs constructions, non par le monastère car le couvent se logea provisoirement dans une maison préexistante, mais par l'église. Celle-ci fut l'œuvre du chanoine Brune, archéologue et architecte, à qui l'on doit plusieurs pastiches des styles du moyen âge, notamment la chapelle du collège Saint-Martin et celle des Carmes (Cercle des étudiants catholiques). La chapelle des Récollets présente cette bizarrerie qu'une nef romane y supporte une voûte gothique. Mais il n'est pas certain que telle ait été l'intention de Brune, car le travail fut brusquement interrompu avant que la nef ait reçu sa couverture.
Les Récollets, en effet, furent expulsés en 1880, ne s'étant pas soumis au décret du 29 mars qui prononçait la dissolution des congrégations non autorisées par une loi. Dès la nuit du 13 au 14 juillet, le couvent fut victime de l'agression de « soixante à quatre-vingts vauriens » qui saccagèrent l'entrée, puis, le 29 octobre, la police mit à la porte les six religieux. Sur le long itinéraire qui les séparait de la maison de leur avocat conseil, Léon Jénouvrier, qui leur offrit un abri, depuis la rue de Redon jusqu'au boulevard Sévigné [Note : N° 41, actuellement hôtel du docteur Biret], la population les acclama chaleureusement, mais ne put les retenir [Note : Expulsion des Carmes et des Récollets, brochure anonyme publiée à Rennes, chez Castel, en 1880].
Le couvent n'avait pas été confisqué. Il resta la propriété du supérieur qui le possédait légalement. Lorsque le grand séminaire de la place Hoche fut pris par l'Etat, en vertu de la loi de Séparation, les séminaristes vinrent se loger dans le monastère des Récollets, de 1906 à 1910, jusqu'à leur installation dans l'ancien pensionnat du Sacré-Cœur, rue de Brest.
Le couvent des Récollets, achevé depuis longtemps, est aujourd'hui celui des Franciscains.
Si ce quartier avait été choisi par l'archevêque de Rennes pour les Récollets, c'était à cause de sa population ouvrière. La présence de celle-ci était la conséquence de l'implantation de diverses industries, comme par exemple celle des papiers peints de Hermant, à partir de 1852 au moins jusqu'en 1889, à l'ouest de la propriété de La Belleissue [Note : En 1858, M. et Mme Edouard Hermant furent remerciés par le maire de Rennes pour avoir donné au nouvel hôpital une valeur de 2000 francs en papier de tenture. A. DE LÉON, Rapport historique sur les hospices de Revues, 1858]. Mais aucune affaire de ce faubourg n'eut l'importance de la fonderie Guy ou de l'usine à Gaz.
L'installation de l'usine à Gaz remonte à 1840. Elle s'établit sur le terrain que traverse aujourd'hui la rue La Motte-Picquet. Cette innovation fut saluée avec ferveur par la presse rennaise, car jusque-là notre ville devait se contenter des réverbères à huile inaugurés sous la municipalité La Motte-Fablet, avant la Révolution.
Voici comment s'exprime, à ce sujet, l'annuaire de Marteville :
« Depuis le mois d'avril 1840, le gaz éclaire nos rues, nos places, nos magasins et nos cafés. La Société qui est venue fonder cette industrie jouit ici d'un privilège exclusif de dix-huit ans ; les progrès rapides que ce bel éclairage a faits parmi nous assurent à jamais l'avenir de cette entreprise.
Le gazomètre est placé entre l'arsenal et la levée de la Santé.
Le procédé qu'on emploie pour la fabrication du gaz qui nous éclaire est le résultat d'une découverte qui date à peine de deux ou trois ans ; c'est un système si ingénieux et il offre, par la pureté et l'innocuité de sa lumière, des avantages si supérieurs au gaz extrait de la houille que les hommes les plus éminents de la science, MM. Arago, Thénard et Dumas, l'ont présenté à l'Académie comme l'une des plus heureuses conceptions de notre époque [Note : Etonné par cette prétendue invention, j'ai consulté mon éminent collègue de la Faculté des Sciences Salmon-Legagneur qui m'a répondu : « On ne peut pas dire que le gaz qui, en 1840, sortait de l'usine à Gaz de Rennes n'était pas du gaz de houille. Le journaliste qui le prétend n'est pas sérieux, il a sans doute confondu procédé de fabrication nouveau avec amélioration d'un procédé technique »].
Le Gouvernement a doté les inventeurs d'un brevet. La Société de l'Union, propriétaire de ce brevet, a son siège à Lyon et a pour directeur à Rennes M. P.-S. Vert, demeurant actuellement place du Palais, 12 ».
Pierre-Stanislas Vert, né à Lyon, était fils d'un canut. Il est naturel qu'une Société lyonnaise l'ait mis à la tête d'une de ses entreprises. Il la quitta néanmoins dès 1844, pour devenir l'un des plus brillants rédacteurs en chef du Journal de Rennes.
Quant à l'usine à Gaz, vers 1880, elle se transporta plus à l'ouest, au-delà de la voie ferrée, et sur son emplacement fut percée la rue de la Motte-Picquet.
Non moins importante fut la création de la fonderie Guy. J'ai essayé d'en reconstituer l'histoire de pièces et de morceaux, mais j'appelle de mes vœux celui qui pourra l'exposer avec plus de méthode et plus de certitude.
Je n'ai pas trouvé la preuve de son existence avant 1859, si elle est antérieure, ce ne peut être que de peu d'années. Son fondateur, Jean-Joachim Guy, n'était pas un Rennais, mais né dans la Sarthe, à Saint-Jammes-sur-Sarthe, au nord du Mans, le 5 novembre 1822 [Note : Il se maria près du Mans, à Chauffour, le 30 mars 1844. Il est probable que la fondation de son usine à Rennes est postérieure à cette date]. Il avait donc, en 1859, trente-sept ans. Près de lui était un homme dont le labeur fut associé au sien et qui lui était peut-être parent : Casimir Thuau. Celui-ci eut, le 6 mai 1861, alors qu'il n'était âgé que de vingt-deux ans, un fils auquel fut donné le prénom d'Édouard, parce que son parrain, au baptême qui lui fut conféré en l'église de Toussaints, n'était autre qu'Edouard Guy, fils de Jean-Joachim. Un jour viendra où Edouard Thuau sera le successeur de Joachim Guy à la tête de la fonderie.
Joachim Guy décéda le 10 novembre 1893 ; ce maître de forges était alors conseiller d'arrondissement, conseiller municipal et chevalier de la légion d'honneur. La ville de Rennes lui a dédié l'une de ses rues sous le nom de « Jean Guy ».
Edouard Guy, fils de Joachim, étant mort avant son père, la direction de l'entreprise passa à Edouard Thuau. Celui-ci, élu député d'Ille-et-Vilaine en mai 1924 dans la chambre « bleu horizon », resta le chef de la manufacture jusqu'à sa fermeture en 1936 [Note : L'affaire fut acquise par le fondeur Grenier, dont l'usine était avenue du Mail].
Elle avait d'abord été organisée rue des Trente [Note : Ancienne rue de Gaillon, appelée rue des Trente en 1862], dans les premiers numéros impairs. En 1879, elle se transporta un peu plus loin, dans la même rue. Elle occupa un vaste quadrilatère formant l'angle de la rue des Trente et de celle d'Inkermann. Quand elle cessa de fonctionner, la ville ouvrit sur son emplacement la rue de la Fonderie.
L'affaire avait joui d'une grande prospérité. Deux tableaux de son activité, l'un de 1895, l'autre de 1925, en énumèrent les branches variées. Voici le premier de ces textes :
« Fonte de fer pour la mécanique en général, pour machines agricoles. Bronze et tous métaux. Fournisseurs de l'artillerie, de la marine et des compagnies de chemins de fer ».
En 1925 : « Fonderie de fer, bronze et tous métaux, poteries, buanderies, poids à peser, pièces pour charrues, moulins à pommes, broyeurs, manèges, pressoirs ; moteurs, appareils de canalisation et distribution d'eau ; fontes de commerce et de bâtiments, pièces sur modèles et dessins ». Au témoignage de Lucien Decombe, la fonderie Guy « bien connue dans toute la région de l'Ouest a rendu de grands services au pays pendant la guerre de 1870-71 ».
La maison était également le fournisseur de la ville de Rennes et le nom de Guy se lit encore sur certaines plaques de fonte qui coupent nos trottoirs [Note : Sur des gouttières entre autres ; et, chose plus intéressante, sur la base des colonnes des anciennes halles de la place Sainte-Arme transportées sur le terrain de l'Abattoir en bordure de la rue de la Mabilais, avec la date de leur confection « 1888 »].
Nous retrouverons les membres des familles Guy et Thuau parmi les possesseurs de quelques-uns des plus importants hôtels de la rue de Redon.
Il est d'ailleurs tentant de faire un rapprochement entre l'existence de balcons ou d'appuis de fonte aux fenêtres de plusieurs de ces immeubles et la présence d'une Fonderie si près d'eux.
On pourrait citer également à l'extrémité de la rue de Redon, mais sur la rue Malakoff, un autre établissement public : l'Abattoir. Créé dès 1866 et qui, comme les précédents, contribua au peuplement de ce quartier.
Il me reste à interroger les maisons de cette rue qui m'ont paru les plus remarquables, à chercher à quelle date elles ont été construites et quel a été leur architecte.
Cette enquête n'a pas été facile et malgré l'obligeance des propriétaires et des notaires, à qui je veux exprimer ma vive gratitude, il subsiste des points obscurs. Je crois cependant pouvoir produire quelques résultats positifs.
Un admirable document nous fait connaître les édifices de la rue à la date où il a été dressé, c'est le plan cadastral achevé en 1842.
Les maisons les plus anciennes ici affectent le style du Premier Empire, style classique qui, on le sait, s'est prolongé jusqu'au milieu du XIXème siècle.
Les maisons les plus intéressantes sont situées du côté pair, à droite en s'éloignant du centre de la ville. C'est, après l'hôtellerie de la Rotonde (qui est du même âge), la Maison des Jeunes (n° 10) et la grande maison contiguë (n° 12), propriété de la ville l'une et l'autre et vouées à une prochaine démolition.
Les maisons qui portent aujourd'hui les n°s 10, 12 et 18 ont la même origine. Elles reposent sur un sol qui était une portion de la terre de Cohignac. Celle-ci avait ses bâtiments de l'autre côté de la rue, mais sa superficie, sans être très étendue, allongeait ses champs et ses prairies depuis le terroir de la Mabilais jusqu'à celui de la Croix-Rocheran qui jouxtait la Rotonde. Nous connaissons, par Paul Banéat, les possesseurs de ce domaine depuis le début du XVIIème siècle. Sans les énumérer tous, je dirai seulement que depuis le règne de Louis XIV jusqu'à celui de Louis-Philippe, cette ferme se transmit dans la même famille.
Dès avant 1694, un pré de Cohignac avait été acquis par Paul de la Rue, procureur au Présidial. Il acheta ensuite toute la propriété qui passa, après lui, à ses deux enfants. L'un, Pierre-Paul de la Rue, qui était receveur du domaine royal au bureau de Thionville, en Lorraine, céda sa part de Cohignac à sa sœur Anne-Thomasse de la Rue, épouse du docteur François-Maurice Main de la Boujardière, médecin du Parlement, de sorte qu'à cette date, 1751, ce ménage posséda la totalité du lieu et métairie de Cohignac.
Or, au lendemain de la Révolution, Cohignac était toujours à la même famille en la personne de Victoire-Rosalie Main de la Boujardière.
De celle-ci, Cohignac échut en 1804 à sa nièce Anne-Angélique Main de la Boujardière, mariée [Note : Ce mariage est du 6 mai 1793] à Nicolas-Auguste Le Boucher-Villegaudin, négociant (1824), et ensuite (en 1833) à leur fille Elisabeth-Françoise Le Boucher-Villegaudin, épouse de Nicolas Councler, d'une famille de négociants marseillais. Marseille étant loin de Rennes, leur fille Françoise-Elisabeth Councler, mariée à Charles-Frédéric Mayer, qui, le 13 février 1835, demeurait en sa propriété de Cohignac, se décida à en aliéner un morceau de 1 900 mètres carrés, correspondant au sol des numéros 10 et 12 actuels.
Cette vente, qui mettait fin à une possession familiale plus que séculaire, fut consentie au profit d'Eugène O'Neill qui mérite une mention spéciale, quoiqu'il ne soit resté que très peu de temps maître de ce terrain.
Eugène O'Neill, négociant, marchand de bois, demeurait avec sa femme, Anne-Françoise Laroche-Lucas, rue de la Trinité. Ce jeune ménage eut un fils, né à Rennes le 19 septembre 1829, qui fit dans la marine royale une belle carrière couronnée par le grade de contre-amiral et qui, à son tour, fut le père d'un autre contre-amiral, d'un général et de deux filles mariées chacune à un capitaine de vaisseau [Note : Anne-Marie épouse de Prosper Barthes, et Charlotte mariée à Maurice Loyer. Je dois les renseignements les plus détaillés sur cette généalogie à l'obligeance et à la diligence de l'archiviste de la ville de Brest, M. J. Foucher, que je remercie vivement].
Eugène O'Neill vendit le terrain dont nous parlons, dès le 14 octobre 1836, à Pierre-Julien Lignel, entrepreneur en charpente à Rennes. Cet entrepreneur avait de l'ambition et de l'intuition. C'était un précurseur, il prévit que ce quartier était destiné à se peupler et qu'il faudrait loger beaucoup de familles. Il commença donc la construction d'un très grand immeuble dont il fut peut-être l'architecte et dont les lignes imposantes causent d'autant plus d'impression qu'il est fortement en retrait de la rue (n° 12).
Sur un soubassement de granit, les murs sont des pans de bois masqués par un enduit, ce qui confirme l'hypothèse que la construction est due à un maître charpentier. Un portique d'ordre dorique soutenu par des colonnes carrées abrite l'entrée. Deux ailes latérales assez peu saillantes encadrent le corps central. Au sommet de la toiture règne un belvédère.
Ce bâtiment, malgré une certaine recherche décorative, n'était pas destiné à être un hôtel aristocratique. Il attendait de nombreux locataires. En effet, il ne comptait pas moins de quarante pièces, dont vingt-huit à feu, réparties entre le rez-de-chaussée et deux étages. L'immeuble fut achevé en peu d'années, car il est représenté avec une exactitude méticuleuse au plan cadastral de 1842.
Pierre Lignel entreprit en même temps de bâtir le n° 10 dans des dimensions moins extraordinaires et qu'il destinait sans doute à lui servir d'habitation.
Cependant, l'infortuné Lignel, le prophète Lignel eut le sort de beaucoup d'inventeurs. Il avait vu trop grand pour ses moyens. Il fut débordé par les frais et dut abandonner son œuvre encore imparfaite à ses créanciers le 8 juillet 1839.
Le n° 10 fut acquis le 13 avril 1840 par le banquier Pierre Leray. La maison vendue n'était qu'en partie construite.
Les enfants Leray : Mme Plaine-Lépine, Mme Coblence et Charles-Pierre Leray, époux de Charlotte Rapatel, tous noms bien connus à Rennes, vendirent ce bien qu'ils n'habitaient pas, le 2 octobre 1869, à M. Adolphe Gautier, fabricant de brosses qui, dès le 4 janvier 1873, le céda au médecin major de première classe Michel Haicault. Celui-ci s'empressa de terminer la construction de la maison et de venir l’habiter.
Les hoirs Haicault vendirent l'immeuble en 1920 à Georges Carlier, entrepreneur de peinture, qui y habita également.
Cette maison échut ensuite à une fille adoptive de la veuve Carlier, Mme Le Targat, et a été achetée par la ville de Renne, en 1961.
L'adjudicataire du n° 12, en vertu d'un acte du 13 avril 1840, fut Godefroy Jouaust père, imprimeur à Paris. Il mourut à Rennes en 1855. Il avait eu soin de terminer la construction.
Son héritière, Elisabeth Jouaust, fille d'Achille Jouaust, juge au tribunal civil de Nantes, vendit cette énorme maison, le 15 avril 1902, à Marie-Hyacinthe Guitton, entrepreneur de serrurerie. Celui-ci le légua à la ville de Rennes que sa mort, survenue le 4 août 1924, mit en possession de ce vaste édifice.
Nous tenons donc ici, je le souligne, les origines certaines de deux des maisons les plus importantes de la rue. Nous connaissons la date : 1836, le propriétaire qui les a fait bâtir et qui en fut peut-être l'architecte.
La maison qui porte aujourd'hui le n° 18, après avoir été le n° 16, compte parmi les plus notables et les plus anciennes de la rue. Elle se voit au plan cadastral de 1842 comme entièrement construite.
Elle provenait de la même origine que les précédentes, étant un démembrement de la métairie de Cohignac. Son terrain fut vendu le 13 février 1835 par Françoise-Elisabeth Councler [Note : Héritière des Le Boucher-Villegaudin, qui eux-mêmes avaient succédé aux Main de la Boujardière] à Eugène O'Neill, de même que la maison voisine.
Eugène O'Neill bâtit l'hôtel que nous voyons aujourd'hui. Fait de pierre et de pans de bois comme celui du n° 12, il était d'apparence plus simple. Cependant, O'Neill ne fit pas des affaires plus merveilleuses que celles de son voisin Lignel. Mis en faillite, il fut contraint de vendre et par adjudication son œuvre inachevée échut, le 4 octobre 1839, à un personnage hors série, le chanoine de la Belleissue.
Aimé-Marie-Pierre Nicol de la Belleissue était né à Rennes le 20 avril 1799. Fils unique, il perdit son père dès 1804. Il épousa en 1823 Marie-Rachel de la Roue qu'il perdit dès le 3 septembre 1836 après en avoir eu quatre enfants. C'est alors que ce père de famille prit trois grands partis : acheter un terrain, bâtir une maison et néanmoins entrer dans les ordres. Il reçut la tonsure, les ordres mineurs et le sous-diaconat le 23 octobre 1837, et fut ordonné prêtre le 9 juin 1838 par Mgr de Lesquen en la cathédrale de Rennes, alors en l'abbatiale Saint-Melaine. Il devint chanoine honoraire dès 1840. Il n'exerça jamais de ministère, mais habita sa maison avec ses enfants non mariés, jusqu'a sa mort, le 29 août 1880.
Le 24 janvier 1881, cette propriété fut achetée par Joachim Guy, créateur de la fonderie que nous connaissons.
Edouard Guy, son fils, y habita jusqu'à sa mort en 1891, puis sa veuve Marie Potier de La Ferrière et leur fils Fernand.
C'est sur ce Fernand que l'immeuble du 18 en même temps que celui du 28 fut saisi le 11 août 1908 à la requête d'un banquier de Paris, et acheté par un négociant du nom de François-Antoine Monier.
Celui-ci ne les garda que peu d'années. En 1913, l'immeuble n° 18 fut racheté par Edouard Thuau, directeur de la fonderie Guy, et Gustave Thuau, son frère. Gustave Thuau y habita et y mourut le 28 avril 1917, puis sa veuve le 3 décembre 1918. Aussitôt Edouard Thuau, dès le 12 décembre 1918, se rendit acquéreur de la totalité de la maison.
C'est lui qui l'a revendue, en 1934 (2 janvier), au comte et à la comtesse de Châteaubourg qui l'habitent depuis ce temps.
Au-delà du n° 18 et jusqu'à la rue d'Inkermann, le cadastre de 1842 ne connaît plus une seule construction. Mais quelques-unes ne tarderont pas à s'élever et le style de certaines d'entre elles est assez proche de celui que nous venons de voir pour estimer que les dates se touchent. Les documents en fourniront la preuve.
Depuis plus de trente ans avant le cadastre et sans doute depuis un temps immémorial, ces terrains appartenaient à la famille Gascher des Burons, dont la seigneurie des Burons où elle résidait se situait en Thourie.
C'est dans ces terrains que se trouvait le lieu de la Grisonnière dont on retrouve aussi le nom de l'autre côté de la rue, de même que celui des Grisons appliqué à certaines parcelles de terre et qui se réfère sans doute à un propriétaire très ancien.
Le cadastre attribue la propriété de ce grand terrain à M. Alexis-Anne Mérot des Granges, lequel était veuf de Marguerite-Sainte Gascher du Val, décédée en 1807. La terre en question était le bien propre de celle-ci et elle le possédait indivisément avec deux sœurs non mariées, toutes deux décédées à Rennes, l'une Louise en octobre 1838, l'autre Agathe le 9 janvier 1842. Les enfants d'Alexis-Anne Mérot des Granges se trouvèrent seuls héritiers de l'ensemble.
Tous deux, Armand-Toussaint Mérot des Granges et sa sœur Louise-Marguerite, mariée à Hippolyte Vaucouleurs de Lanjamet, vendirent ce terrain en deux parties, à des dates légèrement différentes, mais au même acquéreur.
La partie contiguë à l'habitation du chanoine de la Belleissue fut vendue le 28 décembre 1843 à Joseph-Antoine Léofanti, qui demeurait alors 9, rue de Gaillon (rue des Trente actuelle).
Or, ce Léofanti était architecte et entrepreneur. C'est lui qui édifia la maison actuellement sous nos yeux au n° 22. Il obtint, dès 1843, un procès-verbal d'alignement du préfet Henry, ce qui indique qu'il se proposait de bâtir en bordure d'une route.
Léofanti était à Rennes depuis plusieurs années. Il s'y était marié le 15 novembre 1834 avec une jeune fille de vingt ans, lui-même étant âgé de quarante ans, car il était né à Saint-Hippolyte et Cassiane de Gello au duché de Lucques en Toscane le 19 mars 1794. Son acte de mariage le désigne comme « plâtrier entrepreneur ».
Léofanti n'habita pas cette maison où il mit des locataires. Il décéda le 22 janvier 1865 en Italie. Dans la suite, le 16 mai 1878, sa veuve et son fils, le sculpteur et peintre Adolphe Léofanti [Note : Né à Rennes le 10 juin 1838, il y est décédé le 11 mars 1890 au 15, boulevard de la Liberté. Le décès a été déclaré par son fils. Gaston-Pierre-Joseph Léofanti, journaliste, âgé de vingt-six ans, demeurant à Paris, boulevard de la Tour-Maubourg, n° 19. Les prénoms de l'artiste étaient Pierre-Joseph-Adolphe], vendirent cet immeuble. Il comprenait, outre l'habitation sur la rue, un grand bâtiment en arrière servant de fabrique de papiers de tenture à Mme Hermant. L'acquéreur, en 1878, fut Jean-Joachim Guy, le maître de forges. Ses héritiers vendirent l'immeuble, le 11 juillet 1902, à M. Jean-Baptiste Gruel, père du propriétaire actuel (vers 1976), le docteur Léon Gruel. Ce nom de Léofanti doit être particulièrement retenu, car il fut l'architecte des maisons qui portent aujourd'hui le n° 22 et le n° 28. On peut considérer comme très probable que la maison du n° 32 de la rue de Redon est également son œuvre, ainsi que le n° 27 de la rue des Trente dont le style est le même.
L'hôtel situé au n° 28 (ancien 24) a subi le même sort que son voisin du n° 22. Comme lui, il provient des Gascher des Burons et Mérot des Granges desquels il fut acquis, les 20 et 30 décembre 1843, par l'architecte Léofanti qui construisit la maison que l'on voit aujourd'hui (en 1976). Celle-ci fut vendue au banquier Malraison qui vint l'habiter en 1859. Après la faillite de cette banque en 1884, Joachim Guy acheta cette importante demeure. Il y habita et y mourut le 10 novembre 1893.
L'immeuble suivit alors les mêmes vicissitudes que le n° 18. Advenu en 1913 aux deux frères Thuau, puis en 1918 au seul Edouard Thuau, il fut vendu par celui-ci en janvier 1934 à M. Arsène Louazon, entrepreneur, qui l'habite aujourd'hui (1976).
Du côté des numéros impairs, deux maisons ont attiré mon attention. Aucune n'existait lors du cadastre de 1842.
D'abord le n° 15 (ancien n° 11) : il n'est pas nécessaire de faire connaître tous les possesseurs de ce lieu, quoique nous ayons leurs noms depuis le début du XIXème siècle. Ce fut longtemps un terrain rural. Mis en adjudication, il fut acquis, le 31 octobre 1851, par deux associés dont l'un, Henri-Jean Delage, entrepreneur, époux de Marie-François-Bathilde Colinet, le reçut dans le partage fait le 3 mars 1854. C'est alors qu'il se mit à construire l'important hôtel actuel avec ses dépendances de style classique, tandis que la maison principale s'inspire de la Renaissance. Delage mourut le 5 mai 1875 et sa femme le 27 février 1885. Ils avaient une fille unique, Gabrielle Delage, mariée au sculpteur Adolphe Léofanti [Note : Il paraît que la belle-mère d'Adolphe Léofanti n'avait pas une confiance aveugle dans les aptitudes financières de son gendre : dans son testament olographe du 10 décembre 1883. elle écrivit : « Je veux que ma fille reste maîtresse absolue de sa fortune sans que son mari puisse en disposer ». Le mariage de Gabrielle avec Adolphe Léofanti se fit a la mairie le 18 novembre 1861. A cet te date, les Delage habitaien « faubourg de Redon », donc dans leur maison récemment bâtie]. Après la mort de celui-ci, sa veuve, qui habitait alors à Paris, revendit cette grande maison à Louis Bonifier le 6 septembre 1890, qui à son tour la céda à Charles Lefeuvre (17 février 1896) qui l'habita ainsi que son héritière Louise Bois qui y décéda le 20 décembre 1903. Ses héritiers vendirent l'immeuble, le 7 novembre 1904, à M. Le Bonner. C'est donc bien une construction du Second Empire.
Quant au n° 27, ses propriétaires savent qu'il a été, en 1889, l'œuvre de l'architecte Martenot qui a doté notre ville de tant d'édifices remarquables, publics et privés. L'élégance de sa porte d'entrée est digne de ce maître.
En allant à la Mabilais, l'on passe devant l'hôtel qui fait l'angle de la rue Malakoff et du boulevard Voltaire. Il a été édifié en 1900 pour l'entrepreneur Joseph Poivrel, par Emmanuel Le Ray, architecte de la ville.
LA MABILAIS.
Je serai bref sur l'histoire de ce logis bien conservé, car ce n'est pas la nomenclature de ses propriétaires qui attire sur lui la curiosité des amateurs d'histoire.
Cette série que fournit Paul Banéat, notre irremplaçable trésor, remonte très haut. Le premier possesseur cité est d'un extrême intérêt, car ce personnage, dont on ne connaît guère que le nom, Thébaut Mabile, qui vivait en 1304, a donné son parrainage à ce lieu. Voilà donc l'origine du nom élucidée avec une évidence que l'on rencontre rarement.
Aux Mabile de la Mabilais succédèrent les Choan, nom qui paraîtra prédestiné.
Puis viennent les Pigeart de Pommeslin en 1667, les Rouxeau de la Fosse en 1676.
La Mabilais était alors une maison modeste bâtie en pans de bois et ne comptant à son étage qu'une grande et une petite chambre. La demeure s'encadrait agréablement entre un jardin à fleurs qui était exigu et un autre jardin de grande étendue au bout duquel s'allongeait une allée de charmiers qu'ornait une tonnelle sous laquelle s'abritait une table d'ardoise.
Le seigneur de ce menu fief était le chapitre de Rennes.
Au XVIIIème siècle, le manoir passa des Labbé du Hino à Michel Barre. Son fils le vendit en 1756 à une famille qui en prit le nom. Jacques-Jean Vatar de la Mabilais [Note : SAULNIER, n° 1183], écuyer, appartenait à la célèbre dynastie des imprimeurs rennais. Quelques années libraire, il s'orienta ensuite vers le droit comme l'y autorisaient son grade de docteur et son serment d'avocat. En 1764, il acheta la charge anoblissante de greffier en chef des enquêtes du Parlement et survécut à cette institution, car il mourut seulement le 3 novembre 1794.
Ses enfants bien casés jalonnent l'état civil de Rennes. Leur mère était Pélagie-Jeanne de la Ville, une Vannetaise. Son fils épousa Marie-Victoire Vissault des Ferrières. Ses filles : Thérèse-Pélagie épousa François Le Noir de Québriac, juge de la sénéchaussée de Saint-Brieuc ; Perrine-Jeanne-Pélagie épousa Jean-Baptiste Legué, directeur des Fermes de Bretagne ; une autre Pélagie fut supérieure des Dames Budes ; et sa plus jeune sœur, Suzanne-Bonne-Pélagie, mourut supérieure de la Visitation de Rennes.
Au moment où ce logis va voir se dérouler des journées historiques, quelques semaines après la mort de Jacques-Jean Vatar, son aspect s'était renouvelé depuis le siècle précédent. Ses murs étaient faits de pierre, trois fenêtres éclairaient à chaque étage la partie médiane. Des travées supplémentaires, à droite et à gauche, portaient une toiture distincte. A l'intérieur, des deux côtés de l'entrée, s'ouvraient d'assez grandes pièces chaudement boisées. A l'extérieur, vers l'est, une allée de tilleuls allongeait sa perspective parallèlement au chemin d'accès. Du côté de l'ouest s'étendait une prairie d'un demi-hectare dans laquelle, vers le sud, s'élevait une chapelle, tandis que vers le nord une longue avenue appelée Mail étirait ses rangées d'arbres.
C'est dans ce manoir de la Mabilais que fut conclu au lendemain de la Terreur, entre représentants du peuple en mission et une vingtaine de chefs des chouans, ce que l'on appelle le traité de paix de la Mabilais.
Depuis la chute de Robespierre le 9 thermidor, 27 juillet 1794, un esprit nouveau soufflait sur la nation française. Une aspiration qui se fit généralement sentir fut de mettre un terme à la guerre civile. En Bretagne, le général Hoche, commandant en chef des deux armées réunies de Cherbourg et des côtes de Brest, parla de pacification. Le représentant Boursault, qui résidait à Rennes, promit l'oubli du passé aux Chouans qui déposeraient les armes. La Convention décréta un armistice semblable le 2 décembre. Bientôt les mesures de clémence individuelles firent place à des tractations collectives en vue de pacifier l'ensemble des provinces de l'Ouest.
Un subordonné de Hoche, le général Humbert, engagea des pourparlers avec Boishardy, chef des insurgés dans les Côtes-du-Nord. Ils conclurent une trêve le 3 janvier 1795.
Ce mouvement fut continué et amplifié du côté de la Chouannerie par un personnage dont on a beaucoup médit, mais qui passe ici au premier plan de l'histoire, car il fut l'instrument principal de la négociation pacifique qui trouva son couronnement entre les murs de cette maison : le baron de Cormatin.
Cormatin n'était pas un chef de Chouans, mais un officier émigré. Il était en cela semblable à Puisaye qui avait pris le commandement général de l'insurrection de Bretagne et que les anciens compagnons de la Rouërie avaient reconnu pour chef.
Le comte de Puisaye, après l'échec de l'armée girondine qu'il commandait, avait cherché en 1794 à organiser la Chouannerie en Ille-et-Vilaine. Avant de partir pour l'Angleterre au mois de septembre, il avait nommé Cormatin son major général en le chargeant de continuer à organiser la résistance.
Si Cormatin mérite une critique, c'est pour avoir substitué à la politique de guerre préconisée par Puisaye une politique de paix qu'il poursuivit moins comme délégué de Puisaye que comme mandataire des chefs locaux de la Chouannerie.
Il conçut dès ce moment, ce qui n'était pas une chimère, l'éventualité d'un accès au pouvoir par les voies légales en passant par un ralliement au nouveau régime. Ce plan aurait pu réussir sans les coups de force du Directoire.
Cormatin eut dès le début un succès éclatant, lorsqu'aux côtés de Charette il signa près de Nantes, à la Jaunaie, un accord qui devait ramener le calme en Vendée.
Cet acte prévoyait l'ouverture de négociations semblables à Rennes le 30 mars 1795, en vue d'étendre à tout l'Ouest le bénéfice de la paix qui venait d'être conclue.
Le manoir de la Mabilais fut choisi pour siège des entrevues. Non loin de là, le château de la Prévalaye fut aménagé pour servir de quartier général aux chefs de la Chouannerie. Ils vinrent nombreux et comme chacun amenait une petite troupe de gardes du corps, ce sont plusieurs centaines de chouans qui se trouvèrent hébergés soit dans le château, soit dans des tentes sous les arbres des avenues. Cormatin régnait sur cette armée avec quelque gloriole. Il offrait des dîners et des bals. Les Rennais et les Rennaises y accouraient avec empressement, mettant leur cocarde tricolore dans leur poche, ce qui n'était pas sans causer quelque irritation à certains.
Le gouvernement, c'est-à-dire la Convention, était représenté par dix de ses députés :
Deux du Finistère, Guezno et Guermeur, qu'elle avait spécialement chargés de l'application de l'armistice et dont la correspondance avec le Comité de Salut public est notre principale source d'information.
Avec eux Ruelle, député d'Indre-et-Loire, doit être mis en vedette, car il avait été le principal négociateur du traité de la Jaunaie ;
deux députés de la Loire-Inférieure, Chaillon, homme de loi, et Jary, agriculteur, tous les deux anciens constituants et, le second, girondin décrété d'accusation par les Montagnards aux mauvais temps de la Terreur ;
un député du Morbihan, Corbel, ancien sénéchal de Pontivy ;
Delaunay le jeune, député de Maine-et-Loire, qui présida les séances en l'absence de Ruelle ;
Bollet, député du Pas-de-Calais ;
et Grenot, du Jura, avocat, girondin et décrété d'accusation, lui aussi, ce qui l'avait obligé à rester caché pendant dix-huit mois.
Sur ces huit conventionnels, cinq : Ruelle, Delaunay, Bollet, Chaillon et Jary, avaient pris part aux délibérations couronnées de succès de la Jaunaie.
A ces huit s'ajoutaient deux conventionnels marquants, rennais, persécutés comme girondins, mais réintégrés tout récemment dans la Convention : Lanjuinais et Defermon. A la différence de leurs collègues dont les noms précèdent, ils n'étaient pas chargés de mission par l'Assemblée. C'étaient Guezno et Guermeur qui se les étaient adjoints pour aider aux débats.
En face de ces négociateurs se trouvaient des chefs chouans, Cormatin à leur tête. Le plus notable était Boishardy. Parmi les vingt autres, les plus suivis étaient Chantreau, Solilhac, Busnel, de Silz, Jarry, d'Andigné, Geslin. Les autres sont restés assez obscurs : Moulé de la Raitrie, Gourlet, Bellevue, Terrien, Guignard, Lefaure, de Meaulne, L'Hermite, Lamberc, Lantivy, de Nantois, Goubert de la Nourais et Dufour.
D'autres chefs étaient venus, mais avaient refusé de persévérer et ne signèrent rien, dont quelques-uns des plus influents : Boisguy, maître du pays fougerais, Georges Cadoudal, d'Auray, et Frotté, le chef de l'insurrection normande. De même, Stofflet envoya des lieutenants, mais ceux-ci n'étaient pas munis de pouvoirs suffisants.
Les pourparlers furent parfois animés, frisant la rupture. Cependant, une bonne foi réciproque est attestée par divers incidents.
Le premier incident fut l'apparition d'un drapeau blanc, c'est-à-dire d'une serviette, attaché à l'une des ailes du moulin à vent de Beaumont qui dominait le Champ de Mars. Des militaires l'arrachèrent promptement ; déjà, une foule de femmes s'étaient rassemblées autour et disaient que ceux qui avaient noué ce pavillon blanc sauraient bien leur donner du pain. Elles exprimaient le même sentiment que celles qui, lors d'une émeute récente contre la cherté du pain, avaient crié : « Vive Charette, vive le Roi ». En fait, les chefs chouans furent les premiers à protester auprès des représentants qui n'hésitèrent pas à attribuer cette manœuvre inopportune aux Montagnards impénitents qui contrariaient leur politique de paix.
Un autre incident fut l'apparition d'une escadre anglaise sur la côte de Saint-Brieuc. Les chouans présents à Rennes rédigèrent un message pour informer les Anglais qu'ils traitaient de la paix et que les bateaux devaient s'en aller. Leur message fut communiqué aux représentants et le messager fut autorisé par eux.
Les séances se succédèrent à la Mabilais depuis le 30 mars jusqu'au 20 avril. Ce jour-là, Guezno et Guermeur purent écrire au Comité de Salut public :
« Nous vous annonçons l'heureuse issue de nos conférences. La pacification a été signée ce soir, à 6 heures, par les chefs des chouans qui ont souscrit leur déclaration solennelle de se soumettre aux lois de la république et de ne jamais porter les armes contre elle. Nous sommes rentrés de la Mabilais à Rennes avec tous les chefs qui ont arboré la cocarde et le panache tricolores. La garnison était sous les armes. La musique nous précédait. Les décharges d'artillerie annonçaient au loin la réunion de tous les Français de ces départements ».
L'expression de traité de la Mabilais n'est pas littéralement exacte. Il ne fut pas rédigé un texte unique signé par les deux parties. Mais en face de la déclaration des chefs chouans signée par eux seuls, les représentants, le même jour, émettaient cinq arrêtés qui étaient identiques à ceux qui avaient été accordés à la Jaunaie.
Par ces arrêtés, ils reconnaissaient la « liberté du culte et de, ses ministres », « l’exercice libre, paisible et intérieur de la religion ». Tout le passé était effacé. Les propriétés restituées, des indemnités et subventions promises, les bons des chouans remboursés. La première réquisition, c'est-à-dire la mobilisation d'août 1793 suspendue, l'armée ouverte aux chouans sans emploi, une garde territoriale de deux mille d'entre eux, soumise aux autorités constituées, formée aux frais du trésor public.
Cette paix ne fut qu'un rêve éphémère, mais l'on peut saluer pieusement le toit sous lequel a sonné cette heure émouvante de notre histoire [Note : Les principales sources de cette notice sur la Mabilais sont (outre la Correspondance des conventionnels en mission publiée par A. AULARD) les Pacifications de l'Ouest de CHASSIN, I (1896), E. GABORY, La Révolution et la Vendée, t. III, 1928, et H. WELSCHINGER, Aventures du baron de Cormatin, 1894. — Les registres d'écrou des prisons de Rennes me permettent d'ajouter quelques précisions à ce que les historiens ont dit du séjour de Cormatin à Rennes : le 2 floréal — 21 avril 1795 —un « soi-disant François Laurent prévenu de faire partie d'une bande de voleurs fut, par ordre de Cormatin et du général de brigade Denis, conduit à la prison de la Tour Lebat et en fut transféré le même jour en qualité de forçat évadé de Brest, sur réquisition de Lemoine-Desforges, accusateur public près le tribunal criminel d'Ille-et-Vilaine, à la maison de justice dite Porte Marat, ex-porte Saint-Michel. Il en sortit le 8 juin 1796 pour être conduit " aux fers à Rochefort "». L'écrou de Cormatin et de huit compagnons chefs de chouans est du 25 mai — 6 prairial. Outre six des noms cités par Welschinger (page 107), cette liste comportait Nicolas Jarry et Toussaint Kernezne. Ils furent remis le même jour au général Drut par ordre de Hoche. La Tour Lebat reçut ensuite, le 26 mai, Isidore du Guesclin dit Saint-Gilles (qui figure sur la liste Welschinger), le 27 mai Louis Pontavice et le 28 mai René Mounier dit la Terreur (L 1121)].
La Martinière, en Rennes.
Le nom de la Martinière [Note : GUILLOTIN DE CORSON, Montbarot, baronnie, dans les Grandes seigneuries de Haute-Bretagne, 2ème série, page 275, extr. de la Revue de Bretagne, t. XVI, 1896, page 24. Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2 E m 15, 16 et 26. Dans la liasse 2 E m 15 sont les actes les plus importants. Pour les armoiries, voir POTIER DE COURCY, Nobiliaire et armorial de Bretagne ; Beaucé porte : d'argent à l'aigle de sable, becquée et membrée de gueules, au bâton d'or brochant ; Marec de la Martinière porte : d'argent au lion de gueules armé, lampassé et couronné d'or, à la fasce de sable brochante, chargée de trois molettes d'argent] apparaît pour la première fois, en désignant le lieu où nous sommes si gracieusement reçus, en ce siècle béni où le roi saint Louis, prêchant d'exemple, obtenait que les conflits entre ses sujets se terminassent par des accords.
Tel fut le sort d'un différend surgi en la paroisse de Pacé entre le recteur et le prieur relevant de l'abbaye de Saint-Melaine. Celle-ci intervint pour faciliter la paix qui consista à partager clairement les ressources. Un échange fut convenu que sanctionna l'official de Rennes en février 1241 (n. st.) et en vertu duquel le recteur céda un cens de 8 deniers dû par la Martinière et aussi, je l'ajoute à cause de la proximité, la dîme de la Boullaye [Note : Cartulaire de l'abbaye Saint-Melaine de Rennes, Bibl. de la ville de Rennes, ms. 15 820, fol. 124 v°].
Il ne faudrait pas en conclure que la Martinière fût située en Pacé. Elle était et elle fut jusqu'à la Révolution dans la paroisse de Saint-Aubin de Rennes.
A cette occasion se déroula une nouvelle phase de son histoire.
Au XVème siècle, le manoir de la Martinière était habité par des seigneurs qui en portaient le nom. L'un d'eux Robert de la Martinière, mourant en 1442, transmit sa terre à son fils Pierre de la Martinière qu'il avait eu de son épouse Thomine de Beaucé.
Or une branche de cette famille de Beaucé (en Melesse) possédait près de la Martinière le manoir de Montbarot. L'un de ses membres, Robert de Montbarot, héritier de cette terre en 1448, profita sans doute d'une réfection de la grande verrière du chevet de Saint-Aubin pour y placer ses armoiries en signe de sa qualité de seigneur.
Ce droit lui fut disputé par son cousin Pierre de la Martinière qui ne craignit pas de briser le blason du sire de Montbarot pour lui substituer le sien : d'argent à l'aigle de sable, becquée et membrée de gueules, au bâton d'or brochant.
Il s'ensuivit un procès que le duc François II termina en 1480 par un jugement qui reconnaissait le bon droit de Montbarot.
Cette décision fut confirmée par l'autorité ecclésiastique, celle de l'évêque de Rennes, le bienheureux Yves Mahyeuc, qui, en 1513 (le 24 mars 1513, 1514 n. st.), en fit bénéficier le nouveau seigneur de Montbarot, lequel à cette date ne faisait qu'un avec celui de la Martinière.
Les deux seigneuries venaient en effet d'être acquises vers 1503 par Alain Marec, sénéchal de Rennes.
Ces Marec étaient des gentilshommes du Trégorois, mais leur implantation rennaise était solide grâce au mariage d'Alain Marec avec Luce Bourgneuf dont la famille à Rennes dès le XVème siècle, a donné au Parlement plusieurs hauts magistrats connus ensuite sous le nom de marquis de Cucé [Note : Sur les membres du Parlement de Rennes, voir Fr. SAULNIER, Le Parlement de Bretagne].
Alain Marec fut en 1498 conseiller aux grands jours de Bretagne et, l'année suivante, en qualité de maître des requêtes au conseil du roi en Bretagne, eut l'honneur de signer au traité de mariage entre Louis XII et Anne de Bretagne.
C'est à lui qu'on peut attribuer les parties les plus anciennes actuellement existantes du château et dans lesquelles se reconnaît le style fleuri de la dernière phase du gothique. Il souligna l'importance de ses droits féodaux en faisant figurer au-dessus de la porte d'entrée, à côté de ses armoiries sculptées dans une niche à coquille qui est de la Renaissance, un pilastre qui était le signe symbolique de son droit de haute justice [Note : Dessin de FROTIER DE LA MESSELIÉRE, dans son Guide d'Ille-et-Vilaine, page 141. Voir P. BANÉAT, Le Département d'Ille-et-Vilaine, t. III. page 254. La décoration de ce pilier est, comme la coquille qui surmonte les armoiries, de style Renaissance].
Pierre Marec, fils d'Alain, fut lui aussi magistrat, conseiller aux grands jours de Bretagne en 1523, membre du Parlement dès sa création en 1554 et l'un des signataires de l'ancienne coutume de Bretagne réformée en 1539 [Note : B. POCQUET, Histoire de Bretagne, t. V. page 98].
Il arrondit son domaine de la Martinière par l'acquisition de la seigneurie de Chevillé en Vezin (1540).
Le fils de Pierre Marec, René, seigneur de Montbarot à son tour, fut un militaire. Il a joué un rôle notable au temps où les Rennais étaient impliqués dans la guerre civile.
Il n'était pas protestant, mais il avait des attaches intimes avec la nouvelle religion. Sa mère, Béatrice d'Acigné, avait plusieurs parents dans le protestantisme et le nom de René qu'elle donna à son fils, était affectionné de ceux qui y voyaient la profession d'un renouveau. Il n'est pas étonnant que René de Montbarot ait pris pour épouse une protestante convaincue, Esther du Bouays de Beaulac, fille d'un des chefs huguenots de la Bretagne.
René de Montbarot était capitaine gouverneur de Rennes. En cette qualité, les événements de 1589 qui déchaînèrent la guerre en Bretagne, mirent en lumière son énergie et sa fidélité au roi [Note : Montbarot a fait l'objet de notices, par P. LEVOT, Biographie bretonne, t. II, page 490 ; G. DE CARNÉ, Les Chevaliers bretons de Saint-Michel, page 240].
Le gouverneur de la Bretagne, le duc de Mercœur, prince lorrain, irrité non sans raison de l'assassinat des Guises par Henri III, répondit à l'invitation des ligueurs rennais qui l'engageaient à venir de Nantes à Rennes prendre possession de cette ville. Il y entra par surprise le 14 mars 1589.
Aucune résistance ne s'opposa à sa marche sauf celle du gouverneur de la ville retranché dans son fort de la porte Mordelaise. Un chroniqueur plein de vie, le notaire royal Jean Pichart, nous a conservé le tableau de cet épisode :
Le 16 mars, le sieur de Montbarot étant en la tour Mordelaise fut sommé par le capitaine Jean (de par le dit sieur de Mercœur) de sortir de la ville et d'en quitter le gouvernement. Ce que le dit Montbarot refusa, dit qu'il y était mis de par le roi et qu'il n'en sortirait point si le roi ne le lui commandait. Ce fait, Montbarot envoya prier les cinquanteniers, ceux qu'il savait être de ses amis et autres, de le secourir. Mais le sieur de Mercœur était alors le plus fort en ville, tant à cause de ses gens que parce que la plus grande partie des cinquanteniers et habitants tenaient son parti.
Mercœur donna ordre d'assiéger Montbarot. Et y fut le capitaine Jean et sa compagnie remarquer ladite tour pour l'assiéger après y avoir envoyé une trompette les sommer de se rendre. (Des canons furent amenés, on pratiqua des créneaux dans les murs des maisons voisines) [Note : Journal de Jean Pichart, notaire royal et procureur au Parlement. Dom MORICE, Preuves, t. III, col. 1698]. Cependant le sénéchal (Le Meneust) et plusieurs habitants firent par diverses fois parler tant au sieur de Mercœur qu'au sieur du Montbarot, pour essayer à faire quelque composition, ce que Montbarot refusa par plusieurs fois disant : « aimer mieux crever, lui, sa femme, enfants et serviteurs, que de sortir de la place lui baillée par le roi, sans avoir forfait ou que le roi le lui eût commandé ».
A la parfin, environ les 4 h., le sieur de Montbarot fut obligé de quitter la tour, vie et bagues sauves, et aller à la Martinière environ les 5 à 6 h. du soir.
Mercœur quitta Rennes au bout de quelques jours, laissant les royalistes reprendre la ville,
mais son passage inaugura une ère de troubles dont pâtit entre autres le château
de la Martinière. Nous le savons par l'indemnité que le roi Henri IV accorda à
son fidèle serviteur, dans des lettres patentes de mars 1595, où il s'exprime en
ces termes [Note : VAURIGAUD,
Histoire de l'église réformée de Bretagne, t. II, page 17] :
«
Voulant recognoistre les fidèles et signalés services que
nous avons reçus depuis toutes ces guerres de notre amé et féal chevalier de
notre ordre le sieur de Montbarot et lui donner de remettre sur (relever) ses
maisons de Montbarot, la Martinière et Beaulac, la plupart ruinées et démolies
par nos ennemis en haine de la fidélité dudit sieur de Montbarot... lui avons
accordé droit d'usage et chauffage nécessaire pour ses maisons en nos bois de
haute futaie et taillis à ce propres avec pacage et pâturage pour chevaux et
bestiaux des susdites maisons etc. ».
Nous ne relaterons pas plus longuement la carrière militaire de René de Montbarot qui fut fort remplie. Lorsque Henri IV après avoir signé à Nantes l'édit de pacification, vint à Rennes, ce fut Montbarot qui lui présenta les clefs de la ville et reçut du roi la réponse célèbre : « Voilà de belles clefs, mais j'aime encore mieux les clefs des cœurs des habitants de Rennes ».
Lorsque madame de Montbarot mourut en 1597, les obsèques de cette protestante en l'église Saint-Aubin piquèrent vivement la curiosité des contemporains. Notre chroniqueur s'en est fait l'écho et saisit cette occasion de faire l'éloge d'Esther de Beaulac [Note : DOM MORICE, ibid., t. III, col. 1753].
« Le mardi 15 de juillet 1597 au matin la dame de Montbarot, dame de Baulac, décéda en la religion huguenote dont elle avait toujours été un des grands supports. Osté sa religion c'étoit une brave et honneste dame, d'un bon et grand jugement et digne du maniement des grandes affaires. Lors de son décès ledit sieur de Montbarot s'estoit rendu au logis du sieur de Cucé où il fut jusqu'au service [Note : Montbarot possédait l'hôtel hérité des Bourgneuf de Cucé (place de la Mairie) et appelé hôtel de Montbarot puis hôtel de Brissac, vendu à la ville en 1604, démoli en 1757. P. BANÉAT, Le vieux Rennes, page 378].
Le lendemain 16 juillet environ les 8 heures du soir, elle fut enterrée à Saint-Aubin, dans l'église, au tombeau et enfeu dudit sieur de Montbarot, où elle fut portée dans des châsses de plomb par des gentilshommes et capitaines de leur maison et force huguenots, sans qu'il y eût prêtres ni religieux, avec seulement grand nombre de flambeaux, non pas torches, mais flambeaux desquels la noblesse se sert par ses laquais, portés par des pauvres revêtus de pièces de drap ou revesche [Note : Etoffe de laine, espèce de ratine frisée à poil long (Littré)] noire, qui marchaient devant le corps conduits et rangés par le gardien de Saint-Yves, messire Pierre Alleaume, recteur de Saint-Etienne près Rennes. Et y assistèrent la plupart des bourgeois et échevins et marchoient tous en tourbes sans tenir rang ni ordre tant parmi ceux qui portèrent le corps que autres. Il y avoit aussi, parmi, quelques-uns de la justice, mais je crois que tous ceux qui estoient là, quoi que soit la plus grande partie, n'y alloient que pour voir quelle en seroit l'issue et quelle forme on y garderoit ».
Les Marec qui avaient construit et reconstruit la Martinière s'y perpétuèrent encore pendant deux générations.
La fille unique du gouverneur de Rennes, Françoise de Montbarot, épousa Samuel de la Chapelle de la Roche-Giffart [Note : D'une notable famille protestante. Le prénom biblique Samuel, comme celui d'Esther, est caractéristique] qui périt d'un accident de chasse en 1626. Françoise le suivit dans la tombe en 1629. La Martinière passa à son fils Henry de la Motte-Giffart, homme de guerre, dont Richelieu écrivait en 1636 : « La Roche-Giffart est un homme riche et de bonne volonté qui peut faire subsister son régiment ». Il fut tué en 1652 pendant la Fronde, au combat du faubourg Saint-Antoine.
Onze ans après, son fils se défit de la Martinière, vendue le 31 août 1663 par lui à Jean Barrin, fils du marquis du Boisgeffroy en Saint-Gilles, dont la famille a fourni au parlement de Bretagne un grand nombre de magistrats. C'est de lui que Charles Colbert, maître des requêtes, chargé d'une mission en Bretagne (1661) par son illustre frère, disait en son rapport : « Habile homme, bon juge et fort expéditif, bien allié dans la compagnie et considéré dans le monde. Il a un fils, aussi conseiller, qui sera capable et honnête homme ».
Jean Barrin agrandit ses domaines de la seigneurie du Bois-de-Pacé, patrimoine de sa femme, Perronnelle Harel. Puis l'ensemble de ses seigneuries fut groupé en une seule juridiction et une seule entité féodale sous le titre de baronnie de Montbarot, en vertu de lettres patentes de Louis XIV de novembre 1670.
Son fils, Henry Barrin, marquis du Boisgeffroy, fut conseiller au Parlement jusqu'en 1688 seulement. Dès lors il s'attacha à la cour de Versailles où il fut premier maître l'hôtel de Monsieur, duc d'Orléans, frère du roi.
Sa fille et héritière, Perrine Barrin, épousa en 1689, Gaëtan de Mornay, comte de Montchevreuil, lieutenant général des armées du roi et de la province d'Artois, qui fut tué en combattant à Nerwinden en 1693.
Par cette mort prématurée, la Martinière échut à sa fille Gaëtane de Mornay, qui eut le mérite de retourner à la Bretagne, car elle y mourut au château du Boisgeffroy en 1764. Elle avait épousé un Breton, Anne-Bretagne, marquis de Lannion, gouverneur de Vannes, lieutenant général, mort trente ans avant elle en 1734.
Lorsqu'on reconstruisit le mur du chevet de Saint-Aubin en 1761, elle y fit encastrer en deux pierres, l'une à la clef de voûte, l'autre à l'extérieur [Note : P. BANÉAT, Le vieux Rennes, op. cit., t. II, page 17. Lannion porte : d'argent à trois merlettes de sable, au chef de gueules chargé de trois quintefeuilles d'argent. Mornay porte : fascé d'argent et de gueules, de huit pièces au lion morné de sable, couronné d'or, brochant sur le tout], ses armoiries dans des écussons ovales, attestation de ses droits de prééminencière.
Dès 1756, elle avait transmis la Martinière à son fils Hyacinthe-Gaëtan, comte de Lannion, qui, en sa qualité de baron de Malestroit, présida la noblesse aux Etats de Bretagne, lors de la session extraordinaire de 1741, avec une dispense d'âge car il n'avait pas vingt-cinq ans, et lors de la session tumultueuse de 1752. Gouverneur de Minorque, il mourut à Port-Mahon en 1762. De sa femme Marie-Charlotte de Clermont-Tonnere, il laissait deux filles. Celle qui eut la Martinière dans son lot fut Félicité de Lannion, femme de François de La Rochefoucauld, duc de Liancourt [Note : Le duc de Liancourt descendait de l'auteur des Maximes, non par son père qui appartenait à la branche des La Rochefoucauld de Roye, mais par sa mère Marie de La Rochefoucauld de la Roche-Guyon dont l'écrivain était le trisaïeul].
La duchesse de Liancourt ne conserva pas la Martinière. Par acte du 28 avril 1773, elle vendit ce beau domaine à un magistrat du Parlement le président à mortier, René-Jean de Marnières, marquis de Guer.
Lorsque vint la Révolution, il émigra, ce qui entraîna la confiscation de ses biens. Le château de la Martinière avec une partie des métairies qui l'entouraient fut adjugé le 18 août 1795 à François Desgués, laboureur de Cleunay [Note : REBILLON, La Vente des biens nationaux, pages 125, 615. Desgués fut membre du conseil général de la commune de Rennes en qualité de notable nommé par le représentant du peuple Boursault le 14 octobre 1794].
Lors de l'achèvement du cadastre en 1842, le château appartenait à la veuve de Jacques Boutin et à ses enfants.
Il a été acquis en 1855 par la famille Joüon des Longrais qui depuis lors l'a entretenu avec le soin le plus diligent.
A cette époque tout le bâtiment élevé au fond de la cour verte et qui était le logis principal, avait disparu. Aussi est-ce une description plus ancienne qui nous le fera connaître. Je l'emprunte à la déclaration qu'en fit en 1678 Jean Barrin du Boisgeffroy pour la réformation du domaine royal [Note : Arch. dép., 2 E m 15, 1678, 5 septembre, Réformation du Domaine. Déclaration par Jean Barrin, chevalier, seigneur de Boisgefroy, la Martinière, Montbarot, etc.] :
« Le château de ladite baronnie, ci-devant nommé le manoir et maison de la Martinière en Saint-Aubin de Rennes, composé d’un grand corps de logis au midi avec des salles hautes et basses, cuisine, office, escalier en forme de tourelle ; flanqué de deux pavillons derrière et deux devant, au bout duquel corps de logis, vers orient, il y a un portail qui conduit au mail [Note : « Pail-Mail », selon l'aveu du 8 février 1632] ;
La cour close au devant, avec une grande galerie soutenue par des piliers de taille [Note : De pierre de taille] au côté vers soleil couchant, qui conduit dudit principal logis à autre corps de logis et portal dans lequel il y a hautes et basses salles, chambres, greniers, prison, écurie et deux tours au devant, au côté dudit portal avec leurs flanqs, et deux tourelles au derrière ; ledit portal composé de deux grandes portes cochères et une petite, le fronton duquel portal est taillé en rustique [Note : Gothique] et armoyé des armes de Montbarot ; dans lequel logement du Portal est la retenue dudit château habitée ; ledit portal du côté de ladite cour est une arcade de pierre de taille ; et de l'autre côté de ladite cour, vers soleil levant, est autre corps de logis composé d'écurie, boulangerie, granges et étables ;
Et hors le circuit, vers orient est une petite basse-cour dans laquelle est le cellier et pressoir, et autre basse-cour dans laquelle est la métairie de la Porte, anciennement appelée la Haute-Martinière, advisagée à midi, consistant en un grand corps de logis où demeure le métayer avec ses granges, étables et écuries ; dans laquelle cour est située la fuye et au-devant icelle la chapelle ;
Derrière ladite galerie est le principal jardin où au coin d'icelui vers septentrion est le logement de logeurie (sic) ; et au côté d'icelui un bois de haute futaie avec ses allées et promenades avec une pièce de terre plantée de fructiers, où était autrefois le grand bois de haute futaie, borné vers l'orient d'une allée conduisant au mail, et le long de ladite allée il y a une petite pièce de terre close qui faisait partie dudit bois de haute futaie ; Les rabines qui font les advenues de ladite maison, la première qui prend du portal dudit château et conduit au grand chemin de Rennes à Pacé, bornée de fossés. De l'autre côté autre rabine plantée de chesnes, qui conduit au Moulin dudit château par autre rabine plantée de charmiers et fouteaux ; un moulin à eau avec son logement, chaussée, étang, et la queue d'icelui joignant lesdites rabines... le tout... 30 journaux de terre ».
La Haute Chaslais en Saint-Etienne de Rennes.
En présence de la Chaslais notre première question est : quel est le sens de ce nom ? La réponse est ici plus facile qu'à la Motte-au-Chancelier. Ces noms de lieu terminés par -ais sont nombreux autour de nous. La plupart sont tirés soit de noms d'arbre comme la Chesnais, la Châtaigneraie, la Boulais, l'Ormais, soit de noms de personne, telles la Robinais, la Chauvinais, la Mabilais, la Fleuryais [Note : Voir G. SOUILLET, Chronologie des noms de lieux... en —ais, dans les Annales de Bretagne, t. L, 1943, page 90].
La Chaslais trouve naturellement son origine dans Chasles forme adoucie de Charles, qui paraît dans les chemins Chasles dont la légende populaire attribuait la création à Charlemagne. De même le diminutif Chaslot a donné naissance à la Chalotais. Je remarque que la Chaslais est constamment écrit avec un s après le premier a ce qui indique que l'on prononçait cet a long comme nous le ferions s'il était surmonté d'un accent circonflexe.
Il n'est pas besoin d'une longue contemplation pour se convaincre que la Chaslais ressemble à la Motte-au-Chancelier en petit. Le plan est le même : une façade plate complétée par une tourelle d'escalier ronde. Les fenêtres y sont percées sans symétrie. La partie occidentale de la construction est une addition comme la discontinuité de l'appareil le révèle ostensiblement [Note : Cette discontinuité des assises est encore plus visible à la facade postérieure].
Le toit de la tourelle est extraordinairement effilé. Il rivalise avec les flèches de charpente dont les couvreurs dotaient les clochers depuis le XVIIème siècle et je pense que cette aiguille est leur œuvre [Note : Voir L. VAUGEOIS, Les clochers en ardoises de la région Ouest, dans le Bulletin de la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine, tome LXXI, 1958 pages 66-75, illustré].
Le haut perron qui flanquait la tourelle [Note : Il est bien dessiné dans la vue qu'on doit à Roger BLOND, Rennes au temps passé, page 173] et dont il reste des traces faisait double emploi avec l'escalier à vis. Il existe à l'intérieur un troisième escalier de bois. De cette abondance d'escaliers l'histoire du logis nous rendra compte.
La décoration n'est pas riche. A l'extérieur on voit un appui mouluré d'une fenêtre de la façade postérieure. Les petits massifs circulaires pleins qui renforcent les deux angles de l'est comme des contreforts sont un ornement original. Plusieurs portes sont en plein cintre tant à l'intérieur qu'à l'extérieur [Note : L'arc en accolade qui couronne la porte d'entrée est récent]. La base de bois du limon de l'escalier tournant est sculptée d'une mouluration prismatique dans la tradition du moyen âge. La cheminée de pierre dans la salle principale soutient la comparaison avec celles de la Motte-au-Chancelier et parle en faveur d'une construction de la même époque c'est-à-dire de la fin du XVème siècle.
C'est en effet vers le XVème siècle que nous reportera l'histoire de la Chaslais si nous en connaissons les maîtres originaires [Note : Paul BANÉAT, Le département d'Ille-et-Vilaine, t. III, page 240. Nous avons consulté aux archives et à la bibliothèque les documents qu'il cite].
Cette petite seigneurie sans vassaux relevait du seigneur de Bréquigny et de la paroisse de Saint-Etienne. Elle fut le bien d'une famille Bouëdrier, éteinte à la fin du XVIème siècle, aujourd'hui tombée dans l'oubli, mais qui fut du même rang que les Bourgneuf, les célèbres seigneurs d'Orgères et de Cucé. On lit le nom des Bouëdrier en plusieurs pages de l'histoire de Rennes et toujours comme notables considérés et riches [Note : Aux mentions relevées par KERVILER dans sa Bio-bliographie, tome V, page 58, on peut ajouter celles de R. BLANCHARD dans les Lettres et mandements de Jean V, nos 2123 et 2189, et de l'Histoire des Carmes, publiée par L. de VILLERS, pages 7 et 11, et dans ma thèse sur Les Papes et les ducs de Bretagne, t. II, pages 734, 735, 758, 778 et 847. Voir aussi la thèse de LEGUAI sur Rennes au XVème siècle d'après les comptes des miseurs]. A quelques pas de la Chaslais ils possédaient une terre plus importante à laquelle ils donnèrent leur nom et qui le conserva.
La Chaslais sortit des mains de la lignée masculine des Bouëdrier avant que celle-ci s'éteignît. Dès la fin du XVème siècle en effet Raoulette Bouëdrier fut mariée à Jean Pofrais dont le père Eon Parais [Note : Julian Pofrais est cité par dom MORICE comme bourgeois de Rennes en 1485, dans les Preuves de son Histoire de Bretagne, tome III, col. 462] (ou le grand-père) possédait le manoir d'Hillion dans la banlieue de Rennes ainsi que la métairie de la Couardière en Saint-Jacques-de-la-Lande (1427).
Raoulette reçut pour sa part de patrimoine la haute et la basse Chaslais ainsi que la seigneurie de Bouëdrier qui lui était contiguë. Après son décès, ses enfants mineurs en 1513 avaient recueilli ces terres dans sa succession et celle de Jean Pofrais.
Lequel de Jean Bouëdrier, père de Raoulette ou de Jean Pofrais, son époux, fut le créateur du manoir actuel ? Il est difficile d'opter entre les deux, l'un et l'autre en avaient les moyens.
Après ces deux familles qui malgré la nuit où elles ont plongé, ont inscrit leur nom dans l'histoire rennaise, la Chaslais échut au XVIIème siècle à des familles honorables mais obscures.
En 1637 et 1643, la Basse-Chaslais appartient à Marguerite Gourel, veuve de François Guillaume, procureur au Parlement, sieur de Lymel, manoir en Gévezé [Note : La Basse-Chaslais était une ferme sans manoir. Rien ne prouve que Marguerite Gourel possédât la Haute-Chaslais comme la Basse-Chaslais. Archives départementales 4 E. 62. M. Brejon de Lavergnée a relevé dans les archives municipales le nom de Jehan Garnier Chaslaye en juillet 1552. S'il s'agit, comme il est probable, d'un propriétaire de notre Chaslaye, il faut croire qu'à cette date les Pofrais s'en étaient déjá dessaisi. Cependant, l'existence d'une autre Chalais, en Noyal-sur-Vilaine, doit rendre prudent].
Quelques années plus tard la Chaslais devient le lot d'une dynastie qui la tint jusqu'à 1732, les Horville. Jacques Horville, sieur de Launay, procureur au Parlement, maître du lieu noble de la Haute-Chaslais y construisit une chapelle que le recteur de Saint-Etienne vint bénir le 27 mai 1661.
En 1669, la Basse-Chalais fut démembrée et cédée à Simon Guille, sieur de la Grée, et Perronnelle Le Testu, sa femme. Celle-ci, devenue veuve, demeurait à la Chaslais en 1695. Quatre ans auparavant Macée Horville habitait aussi le lieu noble de la Chaslais et en louait les champs à des laboureurs. Finalement en 1698, René Rio sieur de Beaupré, notaire et procureur au présidial, veuf de Macée Horville était en possession, pour le compte de sa fille, Françoise-Yvonne Rio et grâce à l'exercice du retrait lignager par son épouse en son vivant, de l'ensemble de la terre de la Chaslais.
Le bail qu'il en consentit en cette année 1698 contient une clause à retenir. Il afferme le logis à son métayer en s'y réservant une chambre haute. Nous avons là, me semble-t-il, l'explication des multiples escaliers. Le grand perron permit d'arriver directement à la chambre réservée sans passer par le logement des fermiers. L'escalier qui montait vers la chambre située à l'ouest donnait au fermier la liberté de l'utiliser car l'étage ne possédant pas de couloir de dégagement la chambre réservée, fermée à clef, barrait le passage entre l'est et l'ouest. Cette disposition a cet autre avantage de prouver que l'addition occidentale était chose faite auparavant.
Par ailleurs des bâtiments d'exploitation servaient aux besoins agricoles, l'un revenait en équerre à l'ouest et vers le nord, un autre plus au nord était parallèle à la demeure principale. Dans la cour qu'ils encadraient était creusé un puits. Un four se greffait sur la cheminée du pignon est.
Le 1er septembre 1732, Françoise-Yvonne Rio de Beaupré qui alors était veuve de noble homme Claude Tiossay et qui habitait Vannes, vendit son manoir rennais et la métairie attenante à noble homme Guillaume Bigot, marchand boucher à Rennes, demeurant rue du Champ-Dolent.
Par héritage la Chaslais passa de cette famille Bigot à celle des Cabrye.
Lors de la confection du cadastre (1840) la Haute-Chaslais était la propriété de Michel-Prudent Cabrye, docteur en médecine, né à Bain en 1797, et fils de l'officier de santé Pierre Cabrye [Note : On sait que la Révolution avait supprimé les universités et les docteurs. En médecine, il ne subsistait que des officiers de santé et des chirurgiens].
Le Docteur Pierre-Michel Cabrye [Note : Voici le processus exact de cette transmission tel que les anciens propriétaires ont l'obligeance de me le faire connaître. Guillemette Bigot, fille de Guillaume, épousa Hyacinthe Troyhiard, d'une famille rennaise assez marquante. Leur fille Jeanne-Marie-Guillemette Troyhiard fut mariée à Louis Bieuzent et leur fille Jeanne-Marie Bieuzent fut femme, en 1826, du docteur Pierre-Michel Cabrye] s'établit à Rennes où il mourut le 3 janvier 1875.
Sa propriété de la Chaslais passa à son fils Emile-Désiré Cabrye qui termina sa carrière de magistrat comme conseiller à la Cour d'appel de Rennes et mourut à la Chaslais 3 septembre 1907.
La Chaslais devint ainsi la propriété de ses enfants et petits-enfants Gardarein-Freytet qui récemment l'ont vendue à la Société d'économie mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne [Note : Son siège social est à Rennes, 14, rue Thiers].
Celle-ci s'est empressée d'exécuter des travaux de restauration qui assurent la conservation de ce modeste mais pittoresque manoir dont les caractères paraissent assez typiquement rennais en son temps.
La Motte-au-Chancelier, en Rennes.
Le manoir de la Motte-au-Chancelier [Note : Entre la route de Lorient (nationale 24) et la Vilaine, après le stade. Une rue porte son nom. Voir la description de Paul Banéat dans L'Ille-et-Vilaine, t. III, pages 248-250, avec une vue. Dessin dans Roger BLOND. Rennes du temps passé, 1971, page 174] est l'un des plus beaux dont s'orne la banlieue de Rennes.
Son style appartient à la fin du moyen âge. Aucun détail de sa décoration ne décèle l'apparition de la Renaissance à moins de compter comme tels les arcs en plein cintre qui y voisinent avec des arcs brisés, toujours obtus. Les façades avant et arrière sont plates sauf la présence d'une tourelle polygonale abritant l'escalier à vis en forte saillie vers l'orient. Aucune chambre n'avait été ménagée au niveau supérieur de cet escalier.
Le plan de l'édifice est des plus simples, il se divise en quatre grandes pièces alignées sans dégagements et se répétant à l'étage comme au rez-de-chaussée. Un retrait de la façade a pour résultat d'imposer aux salles situées au midi une largeur moindre qu'à celles du Nord.
L'appareil des murs n'est pas strictement régulier : le granite et le calcaire s'y mélangent au schiste dont les couleurs vives et variées forment sous les rayons du soleil une mosaïque. rustique et brillante. Un cordon de schistes noirs et plats règne au-dessous de la corniche [Note : Les cordons de schiste ont été utilisés systématiquement, lors du XVIIème siècle, au Palais (galeries intérieures du rez-de-chaussée), ainsi qu'à la tour de Saint-Melaine] laquelle est faite de pierres calcaires moulurées en creux.
Les fenêtres sont distribuées sans symétrie, à la demande des dispositions intérieures, elles étaient munies de grilles. Leurs linteaux de granit sont le résultat d'une réfection moderne. Ils ont probablement remplacé des linteaux de pierre calcaire qui s'étaient brisés malgré la protection d'arcs de décharge. Certaines fenêtres et la porte d'entrée sont surmontées de deux arcs correspondant aux parements appareillés des murs sur lesquels ils s'appuient.
Deux fenêtres jumelles à la façade postérieure
sont munies de balcons qui paraissent dater de Louis-Philippe. Les embrasures
des baies sont flanquées de bancs de guetteur.
A l'intérieur chacune des
huit pièces possédait une cheminée monumentale. Deux d'entre elles étaient
entièrement de pierre. L'une a été ornée à l'époque moderne d'un écu en bannière
aux armes de la famille de Langle [Note : D'azur au sautoir d'or, accompagné de
quatre billettes de même]. Les autres ont des linteaux de bois mais
les jambages, les consoles et les corniches sont de pierre richement et
élégamment moulurés. Les cheminées se raccordent au
mur par des pans biais sur lesquels se prolongent les cordons sculptés.
Les poutres et les solives sont apparentes et en excellent état de même que la toiture. Celles-ci comme les cloisons font partie sans doute des réfections importantes effectuées par le comte Claude de Langle après 1921.
Un élément de la décoration qui aurait révélé quelle famille avait construit le manoir, est l'écusson qui surmonte la porte principale, dans un panneau couronné d'un arc en accolade. Cet écusson a été buché et dans les faibles reliefs qui subsistent on ne peut reconnaître le blason d'un ancien possesseur.
Les dimensions de ce logis et sa belle apparence annoncent que ceux qui en ont commandé la construction étaient dotés de ressources au-dessus du commun.
Avant le XVIème siècle l'histoire de la Motte-au-Chancelier échappe à nos investigations. Un double mystère plane sur son origine. Pourquoi appeler Motte ce qui aujourd'hui est aussi plat qu'il est possible et quel chancelier commémore le second composant de ce nom ? On est réduit à des conjectures dont je ne cache pas la fragilité.
Les mottes étaient les forteresses de la féodalité primitive, élevées sur des tertres souvent artificiels, accumulés de main d'homme, et formées simplement d'une tour de charpente, habituellement carrée. Difficiles à entretenir, vulnérables au feu, elles ont disparu.
Certaines d'entre elles avaient été construites pour arrêter les invasions normandes. La Motte-au-Chancelier est située peu en aval du confluent de l'Ille avec la Vilaine, en un endroit où le fleuve élargi est accessible aux barques remontant son cours depuis la haute mer. Ces navires pouvaient progresser jusque-là mais non pas plus loin. Notre motte semble donc destinée à barrer la voie aux envahisseurs maritimes. On sait, au surplus, que les Normands ont attaqué Rennes en 875 et 920.
Quant au chancelier évoqué ici je me bornerai à rappeler que deux chanceliers du duché de Bretagne eurent un lien étroit avec la ville de Rennes : l'un, Pierre de Dinan, fut évêque de notre cité en 1201 [Note : GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé, t. I, page 62. COUFFON DE KERDELLECH, Recherches, t. I, pages 372, 384], l'autre, Jacques de la Villéon, sénéchal de Rennes, fut promu chancelier de François II en 1485 [Note : Dom MORICE, Preuves, t. III, page 484].
Il faut descendre jusqu'au milieu du XVIème siècle pour trouver une mention certaine et datée de la Motte-au-Chancelier. Le 27 décembre 1549, cette terre fut vendue par Julien Botherel, seigneur d'Apigné [Note : Commune du Rheu]. Les Botherel étaient devenus maîtres d'Apigné [Note : La seigneurie d'Apigné fut érigée en vicomté en 1574. GUILLOTIN DE CORSON, Grandes seigneuries, t. I, p. 7, et Revue de Bretagne, tome VIII, 1892, p. 269] lorsqu'à Gaudin Botherel, légataire du duc Jean II, mort en 1305, échut ce domaine, parce qu'un Botherel, probablement son père, avait épousé la fille et héritière de Robert II d'Apigné, mort en 1291. L'histoire des sires d'Apigné ne dit pas quand ni comment ils acquirent la Motte-au-Chancelier, terre voisine de leur fief principal. On sait seulement que l'un des bailliages de cette seigneurie d'Apigné était celui de Servigné qui s'étendait dans la proximité immédiate de la Motte-au-Chancelier.
Julien Botherel, qui se dessaisit de la Motte-au-Chancelier, était fils de Jean Botherel d'Apigné et de Mathurine Thierry. Le nom de cette dame l'apparente aux constructeurs de la Prévalaye et du Bois-Orcant, observation qui n'est pas négligeable. Jean Botherel avait lui-même pour père Pierre IV Botherel d'Apigné à qui sa femme, Jeanne Raguenel, avait apporté la seigneurie de Montigné en Vezin [Note : GUILLOTIN DE CORSON, Petites seigneuries du comté de Rennes. Bulletin de la Société archéologique, t. XXIX, 1900, page 227].
En parcourant cette généalogie on trouve d'autres belles alliances ; cette recherche n'aurait d'autre but que de prouver que ces gentilshommes fort distingués avaient, au XVème siècle, les moyens financiers de construire l'élégant logis que nous avions naguère sous les yeux.
L'acquéreur de la Motte-au-Chancelier en 1549 fut Gilles Becdelièvre qui appartenait à une famille de haute et riche bourgeoisie rennaise. Sur Gilles Becdelièvre nous sommes amplement renseignés par l'édition qu'a donnée de son livre de raison Paul Parfouru en 1898 [Note : Anciens livres de raison..., pages 14-49].
Gilles Becdelièvre avait été marié le 2 juin 1534 à Jeanne Dautye, alors âgée de treize ans, ni plus ni moins. De 1539 à 1551 celle-ci lui donna six enfants, six filles.
Après le décès de cette première femme, le 22 août 1552, Gilles épousa, en secondes noces, Jeanne Botherel, sœur de Julien Botherel d'Apigné, le vendeur de la Motte-au-Chancelier. Celle-ci rentrait ainsi dans le patrimoine de ses ancêtres. De cette nouvelle union. Becdelièvre eut un seul enfant qui fut sa septième fille. Quand celle-ci se maria, le 15 avril 1576, à François Freslon, fils du seigneur de la Freslonnière [Note : Paul de FRESLON, Généalogie... de Freslon, t. I, pages 127-129], « fut le festin et fente desdites noces fait au lieu dl la Motte-au-Chancelier » selon le livre de raison cité.
Gilles avait une prédilection pour son manoir de la Motte-au-Chancelier qui n'était pas la seule demeure qu'il possédât. L'agrément du site sur les bords de la rivière, à égale distance de Rennes et d'Apigné, devait lui convenir. Il y consacra de nombreuses dépenses à des travaux de construction et de réparation, tant au logis principal qu'à la métairie de la porte. En 1560 il bâtit le portail à l'entrée des douves avec deux « guichets » en pierre de taille de Fontenay et d'Orgères, sans doute une porte cochère flanquée d'un portillon à l'usage des piétons.
S'il avait été le premier constructeur du château qu'il habitait, nul doute que son livre de raison n'en ait porté le témoignage. Il faut en conclure qu'il l'acheta tel que ses prédécesseurs, les Botherel d'Apigné, l'avaient édifié.
Gilles Becdelièvre était un magistrat dont la carrière s'acheva au parlement de Bretagne après avoir traversé de dures épreuves.
Avocat dès 1536, il milita quinze ans auprès de la sénéchaussée de Rennes. En 1549, il fut appelé à faire partie du conseil du roi en Bretagne et, quand celui-ci fut supprimé en 1552. Gilles entra au présidial comme juge. Il y acquit en 1557, dès son introduction en Bretagne, l'office de juge criminel.
Il avait des ennemis qui l'accusèrent de malversation dans l'exercice de sa charge. Il en résulta un emprisonnement à Nantes pendant quatorze mois à partir de février 1559. En mai 1560, il demanda la faveur d'être élargi ou d'être autorisé à tenir arrêt en sa maison de la Motte-au-Chancelier, car sa femme était très malade.
Un arrêt du 14 septembre 1560 prononça sa suspension pour six mois. De cette sentence relativement bénigne mais qui entachait son honneur, il fit appel. Il fut réinstallé en sa charge le 21 octobre 1566 mais ce ne fut qu'une réparation formelle car cette charge avait été supprimée par un édit de décembre 1560.
Gilles Becdelièvre était protestant. Son adhésion à la nouvelle religion fut, au fond, la cause de l'hostilité suscitée contre lui. Les lettres de provision par lesquelles le roi le nommait conseiller au Parlement, le 23 février 1571, disent positivement que Gilles avait été privé de son office de juge criminel « par le seul fait de la religion ».
Il est d'autres preuves des sentiments de Becdelièvre [Note : Voir la lettre de sa soeur, PARFOURU, o.c., page 48]. Lors de la Pentecôte 1559, la sainte cène fut célébrée à Rennes « en la maison de la Motte-au-Chancelier que tenait le sieur des Roussières [Note : Le sieur des Roussières, dit Le Noir de Crevain, était « d'auprès de Nantes ». Il s'agit de Jean des Roussières qui possédait la seigneurie de ce nom en Maisdon, canton d'Aigrefeuille. Il avait également l'importante châtellenie de Briord en Port-Saint-Père. (E. de CORNULIER, Dictionnaire des terres... comprises dans l'ancien comté nantais, 1857)] car le sieur Becdelièvre était alors à Nantes emprisonné... ».
Gilles s'exprime ouvertement dans son livre de raison, écrivant que le 9 juin, vigile de la Pentecôte 1565 : « ma petite garce Julienne, âgée de huit ans (seule fille de son second mariage, née le 6 mai 1557), alla en pension chez M. du Gravier, ministre de l'église réformée de Rennes » [Note : Julienne ne persévéra pas dans la réforme].
Gilles Becdelièvre démissionna de ses fonctions au Parlement le 14 février 1579 et mourut à la fin de décembre de la même année [Note : SAULNIER, n° 56].
La famille Becdelièvre qui avait acquis la Motte-au-Chancelier en 1549, s'y perpétua jusqu'en 1910, non pas sous le même nom car, à plusieurs reprises, intervinrent des mutations en ligne féminine et cela dès la génération qui suivit Gilles.
L'héritière de la Motte-au-Chancelier fut celle de ses filles qui se trouvait l'aînée de ses enfants vivant lors de son décès : Gillette qui, née en 1542, avait épousé, le 24 janvier 1571, Jean de Quélen, sieur du Closglain.
Quand elle mourut le 11 juin 1608, la Motte-au-Chancelier passa à sa fille Julienne de Quélen, mariée depuis 1604 à Claude de Kerboudel de la Courpéan [Note : En Erbray, diocèse de Nantes], conseiller au Parlement de Bretagne depuis 1607 jusqu'à sa mort survenue en 1615.
Sa femme dont la Motte-au-Chancelier était le bien propre était décédée auparavant, en septembre 1612.
Le 2 juillet 1657 fut célébré le mariage d'une fille de Jean de Kerboudel et d'Anne de Caradeuc de la Chalotais, seigneur et dame de la Courpéan, du Closglain et de la Motteau-Chancelier.
Nous trouvons ensuite la Motte-au-Chancelier entre les mains de René-Joseph de Kerboudel de la Courpéan, époux d'Apolline de Bégasson de la Lardais [Note : Ces époux possédèrent pendant quelques années, de 1762 à 1766, le domaine de Montigné, en Vezin. GUILLOTIN DE CORSON, Petites seigneuries... Bulletin de la Société archéologique, 1900, page 234] dont la fille Bonne-Josèphe de Kerboudel fut mariée en 1763 à Charles Bonaventure comte de Perrien de Crenan qui mourut, le 2 juin 1793, dans les prisons révolutionnaires à Hennebont.
Leur fils Jean-Charles-Auguste, né en Saint-Aubin de Rennes le 27 mars 1763, mourut à Hennebont en 1832. Marié en 1781 à Agathe d'Aux il en eut trois fils dont les deux premiers naquirent en émigration, l'un à Cologne le 6 octobre 1792, le second à Rotterdam le 8 septembre 1798, tandis que le troisième vint au monde à Hennebont le 5 juin 1803 ce qui atteste le retour de ses parents en France.
La Motte-au-Chancelier ne fut pas confisquée et resta la propriété des Perrien comme le prouve le cadastre de 1842 [Note : A moins qu'elle ait été rachetée par la famille de Perrien comme le fut en 1804 la maison qu'elle possédait au Champ-Jacquet, numéro 7 actuellement. REBILLON, page 152, n° 168].
A Jean-Charles-Auguste succéda dans la possession de la Motte-au-Chancelier son troisième fils Léonce-Joseph-Charles de Perrien qui vécut jusqu'en 1874.
Sa fille aînée Mathilde était morte avant son père, en 1862. De son mariage avec Charles-Guillaume de Bruc de Montplaisir, comte de Malestroit [Note : Sur l'addition récente du nom de Malestroit à celui de Bruc en vertu d'un testament. Voir KERVILER, Bio-bibliographie, t. VII, page 32] elle eut une fille, Yvonne de Bruc-Malestroit, qui recueillit la Motte-au-Chancelier dans la succession de son grand-père de Perrien.
Celle-ci, mariée au marquis de Rochechouart, vendit la Motte-au-Chancelier, le 23 mars 1910, à M. François Debroise, habitant à Rennes, 13, rue du Mail [Note : Entrepreneur de vidange]. Ce dernier, dès les 19 et 26 mars 1921 [Note : Il est dit dans ce document que « le cours de la douve n'a pas été changé »], revendit la maison avec sept hectares de terrain à Claude-Marie-Arnault comte de Langle, demeurant au Plessis en La Couyère, qui résida depuis lors à la Motte-au-Chancelier qu'il restaura. Il mourut célibataire à Rennes le 7 décembre 1938.
Par arrangement de famille la Motte-au-Chancelier échut à son neveu Bertrand (conventions de 1940 à 1949) dont le père, le comte Henri de Langle était mort en déportation le 19 décembre 1944 au camp de Rogdau, près de Niederroden [Note : Province de Hesse, Allemagne].
Par un contrat du 31 octobre 1952, le comte Bertrand de Langle vendit la Motte-au-Chancelier à la Chambre de Commerce de Rennes. Enfin celle-ci par un nouvel acte des 3 et 5 avril 1957 en vendit à son tour une grande partie à la ville de Rennes. Celle-ci vient de conclure l'acquisition du manoir lui-même, en vue de le céder au département qui projette de faire passer par son emplacement la rocade du sud. La Motte-au-Chancelier est donc condamnée à mort. Lors de ma visite avec M. Jean-Claude Menou [Note : Secrétaire pour la Bretagne de l'Inventaire général des Monuments et richesses artistiques de la France, dont la collaboration m'a été précieuse], le 14 septembre 1971, les grilles de fer forgé qui défendaient les fenêtres avaient déjà été arrachées. Il est regrettable que les Rennais fassent si peu de cas des trésors que le passé leur a légués.
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