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L'INCENDIE DE RENNES EN 1720

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Les étrangers qui visitent Rennes sont généralement frappés de la régularité de ses rues centrales, parallèles et perpendiculaires les unes aux autres, et bordées par des maisons qui présentent entre elles de grandes analogies et datent toutes de la même époque. Il est aisé d'y reconnaître un plan d'ensemble exécuté simultanément, et l'on serait tenté d'attribuer à la ville une origine toute récente, si quelques vieux quartiers, quelques rares monuments ne rappelaient son ancienneté, et si on ne la savait l'antique capitale de la Bretagne.

Cette transformation de nos quartiers centraux s'est opérée, en effet, tout d'une pièce, dans la première moitié du XVIIIème siècle, à la suite d'un incendie terrible dont les Rennais conservent encore le souvenir.

Plan de la ville de Rennes en 1726, par Robelin

Plan de la ville de Rennes de 1726.

Pendant la nuit du 22 au 23 décembre 1720, un menuisier ivre, Henry Boutrouel, dit la Cavée [Note : Archives municipales de Rennes, 526 C. Délibération de la Communauté de Rennes du 30 janvier 1721], mit le feu dans son échoppe : il habitait l'ancienne rue Tristin, exactement sur l'emplacement de la cour du n° 3 de la rue de l'Horloge actuelle (derrière l'Hôtel de Ville) [Note : Plan de Rennes de 1726]. Les flammes, poussées par un vent impétueux, envahirent promptement les maisons voisines, puis des rues et des quartiers entiers. En résumé, la ville brûla pendant sept jours ; le feu détruisit trente-deux rues, sur une superficie d'environ huit hectares, et consuma 850 maisons (Marteville, Histoire de Rennes, t. I, p. 249).

Incendie de la ville de Rennes, en 1720

La place du Palais (par Huguet).

On peut se rendre compte de l'étendue du désastre en se plaçant au bas de la place de la Mairie ; on voit de là, en effet, les quatre points extrêmes de l'incendie : au nord, le haut de la rue Le Bastard, — à l'est, l'église Saint-Germain, — au sud, la rivière, — et à l'ouest, la place du Calvaire.

Il est impossible d'indiquer, même approximativement, le nombre des personnes qui ont trouvé la mort dans ce terrible incendie. Une relation sur laquelle nous reviendrons dans un instant et qui a été écrite par un religieux cordelier de Rennes, estime à six ou sept mille le chiffre des victimes « tant tuées, étouffées, écrasées qu'estropiées » (Ducrest de Villeneuve et Maillet, Histoire de Rennes, p. 347) ; mais cette relation est empreinte depuis le commencement jusqu'à la fin d'une exagération évidente, et ne peut fournir un élément sérieux d'appréciation.

Les pertes pécuniaires furent considérables ; des commissaires reçurent mandat d'en établir le bilan pour les immeubles et pour le mobilier ; leurs rapports, en date des 10 et 27 mars 1721, sont conservés aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, Intendance, C 3328 et 3329, Procès-verbal de l'incendie de 1720] et s'élèvent à un chiffre effrayant.

Après avoir calculé, disent-ils, le revenu de toutes les maisons qui ont été brûlées, il s'est trouvé monter à 293.246 livres 10 sols, sauf erreur de calcul, sans comprendre les maisons dont l'estimation a été réduite à fonds, qui monte à 462.000 livres, outre les églises et édifices publics dont nous n'avons fait aucune estimation. — Quant aux « meubles, marchandises et provisions... la perte s'est trouvée monter à la somme de 2.527.947#, sans comprendre les crédits, rentes foncières et papiers dont l'estimation n'a pu être fixée ni le sommaire arresté ».

Les monuments publics, nous l'avons vu, restaient en dehors de ces évaluations, et ils en auraient encore singulièrement augmenté le montant : le Beffroi municipal dans la rue Châteaurenault, l'Hôtel du commandant en chef de la province sur la place de la Mairie, le Présidial et la Chambre criminelle près de la rue de Toulouse, et en face d'eux un vaste marché couvert appelé la Cohue, surmonté de grandes salles dans lesquelles les Etats de Bretagne s'étaient plusieurs fois réunis (Marteville, Histoire de Rennes, t. II, p. 194), tous ces édifices furent complètement détruits, ainsi qu'une partie de l'église Saint-Sauveur, dont le mobilier fut entièrement consumé [Note : Archives départementales d'Ille-et-Villame, Intendance, G 3328, 3329, Procès-verbal de l'incendie de 1720].

Le plus important de ces monuments était le beffroi, qui s'élevait sur l'une des tours de la première enceinte de la ville, la tour Saint-James. Le beffroi avait été construit en 1469 ; il se composait d'un donjon octogonal en pierre, édifié sur l'ancienne tour et surmonté lui-même d'une charpente en bois revêtue de plomb, d'une lanterne et d'une flèche en ardoises : l'ensemble atteignait 220 pieds de hauteur [Note : Marteville, Histoire de Rennes, t. 1, p. 156. — Gilles de Languedoc, Recueil historique sur la ville de Rennes, p. 303, Bibliothèque de Rennes, manuscrit]. Trois cadrans se voyaient à l'est, au sud et à l'ouest ; le quatrième était remplacé du côté nord par une niche qui abritait depuis le XVIème siècle une statue de saint Michel en plomb doré, de grandeur naturelle, terrassant un dragon enchaîné. Le procès-verbal d'adjudication de cette statue, daté de 1523, en donne la description suivante :

« Et sera ledit imaige de saint Michel, dessus ledit plomb dument étoffé d'or, et ycelui diable pareillement de peinture y convenable ; lequel imaige de saint Michel tournera la teste, haussera le bras, ayant espée en main, à chacune des heures que ladite horloge sonnera ; et aussi à chacune des dites heures, buglera et criera ledit diable, étant sous ledit imaige de saint Michel ».

Enfin la lanterne renfermait une grosse cloche accostée de quatre appeaux plus petits. La grosse cloche était appelée Madame Françoise, du nom du duc François II, père de la duchesse Anne, qui en avait été le premier parrain. La voix de madame Françoise était fort puissante, paraît-il ; Dubuisson-Aubenay, dans son Itinéraire de Bretagne au XVIIème siècle, la dit même terrible :

« Elle est sciée par un costé expressément, afin de lui diminuer la force du son qui pourrait estre trop confus pour distinguer les heures, et ébranleroit le clocher qui est fort délicat. Ils disent que le son faisoit avorter les femmes grosses, tant il étoit épouvantable » (Dubuisson-Aubenay, Itinéraire de Bretagne, Archives de Bretagne, t. IX, p. 20).

La vérité est que la cloche avait été sciée à la suite d'une fêlure qui s'était faite vers 1563, et qui produisait un tintement tel « qu'on avait peine à distinguer et compter les coups de chaque heure » [Note : Archives municipales de Rennes, Registre des délibérations de la communauté de Rennes, 27 mars 1721. C 526].

De ce curieux beffroi les flammes firent table rase, et la grosse cloche s'effondra et se brisa, en ruinant dans sa chute la chapelle Saint-James qui se trouvait au pied de la tour.

La pensée du lecteur est sans doute bien éloignée en ce moment de Nostradamus, et il a lieu d'être surpris de trouver ici son nom ; qu'il nous soit permis cependant d'en évoquer brièvement le souvenir. Un religieux du couvent des Cordeliers-Jacobins, témoin de l'incendie, en envoya à son supérieur une relation dans laquelle on lit la phrase suivante :

« Ces fâcheux jours sont clairement exprimés dans une des ceinturies de Nostradamus par ces mots : En 1720, la grosse Françoise tombera et Senner brûlera » (Ducrest de Villeneuve et Maillet, Histoire de Rennes, p. 344).

La grosse Françoise, c'était la cloche, Senner est l'anagramme de Rennes et c'est ainsi que Nostradamus aurait prédit le fléau dont nous parlons. Ce n'est là qu'une légende, mais elle nous a semblé devoir trouver ici sa place.

Un événement aussi grave devait nécessairement tenter le talent des artistes contemporains, aussi en possédons-nous trois figurations. La première est une gravure de l'architecte Huguet ; elle est prise de la place du Palais et montre le désordre, l'affolement qui régnait parmi les sinistrés et les sauveteurs. — La seconde est une aquarelle du même, faite pour les habitants des quartiers des Lices et de la rue Saint-Michel, qui avaient placé leurs maisons sous la protection de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle : on peut la voir dans l'église Saint-Aubin. — La troisième enfin est un très grand tableau sur toile peint par Leroy, d'après l'aquarelle précédente et conservé dans l'église de Saint-Sauveur.

Il n'y a pas lieu de retenir plus longtemps l'attention sur l'immensité du désastre, sur la situation précaire de milliers de gens sans asile au milieu de l'hiver, sur la misère des pauvres, sur la ruine des riches, et sur l'arrêt complet de la vie sociale qui suivit ce fléau sans précédent. Contentons-nous d'en rechercher d'abord les causes, et ensuite les conséquences pour l'avenir de la ville.

Comme dans toutes les calamités publiques, on parla de malveillance, on dit que l'incendie avait éclaté simultanément en dix endroits différents, et l'on accusa le régiment qui tenait garnison à Rennes ; mais une enquête sérieuse établit que le feu avait eu, au contraire, un foyer unique, et que toute idée de crime devait être écartée. — On parla aussi de prodige, et plusieurs personnes prétendirent avoir vu une pluie de feu s'abattre sur la ville (Ducrest de Villeneuve et Maillet, Histoire de Rennes, p. 343 et 346. — Marteville, Histoire de Rennes, t, I, p. 267).

En réalité, les causes étaient multiples : il faut les chercher dans l'étroitesse des rues, où souvent deux voitures ne pouvaient se croiser (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, Intendance, C 251), où même parfois une charrette de foin avait peine à passer (Gilles de Languedoc, Recueil historique sur la ville de Rennes, p. 368, Bibliothèque de Rennes, manuscrit) ; il faut les chercher dans l'élévation excessive des maisons et dans l'usage constant où l'on était de construire en pans de bois. On lit dans l'Itinéraire de Bretagne de Dubuisson-Aubenay la description suivante de la ville :

« Les rues sont estroites, les maisons s'eslargissent par le haut, en sorte qu'en beaucoup de lieux elles se touchent presque l'une l'autre, et à peine le jour entre-t-il dans les rues ; car les seconds estages s'avancent en dehors sur les premiers et les troisièmes sur les deuxièmes, et ainsy tousjours se vont estrecissant » (Archives de Bretagne, t. IX, p. 20).

Ogée, de son côté, dit dans son Dictionnaire de Bretagne (article Rennes, année 1720) que les rues « étoient fort étroites et les maisons bâties en bois étoient si élevées que, les rayons du soleil ne pouvant pénétrer dans les rues, elles étaient toujours fort humides et très sales ».

Ajoutons que l'eau manquait presque totalement, car les conduites, bien que réparées fréquemment et à grands frais, fonctionnaient très imparfaitement.

A ces différentes causes enfin se joignait l'absence complète de toute prévoyance, de toute organisation et de toute discipline, qui paralysa les bonnes volontés, engendra partout le désordre et favorisa le pillage. Chacun ne pensait qu'à soi, à tel point que certains propriétaires, paraît-il, payaient les ouvriers et les enivraient même pour les empêcher de circonscrire le feu en détruisant leurs maisons (Ducrest de Villeneuve et Maillet, Histoire de Rennes, p. 345). Et au bout de quelques jours, le découragement s'empara d'un grand nombre de malheureux qui renoncèrent à la lutte.

Nous avons parlé du manque d'organisation : la communauté de ville, en effet, ne possédait que deux pompes, pompes d'une faible puissance et servies, nous le verrons dans un instant, par des mains inhabiles. Le reste du matériel, déposé dans la Maison commune, se composait, a-t-on dit, de cinq sacs en cuir et de quatre haches (Ducrest de Villeneuve et Maillet, Histoire de Rennes, p. 345). Aussi ne s'attaquait-on pas au feu à proprement parler ; on s'efforçait plutôt de démolir que d'éteindre, et les instruments le plus usuellement employés étaient les crochets de fer et les câbles pour abattre les pans de bois.

Les Archives départementales d'Ille-et-Vilaine et les Archives municipales de Rennes (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, Intendance, C 350 – Archives municipales de Rennes, 526, C. Registres des délibérations de la Communauté) conservent un règlement pour le service des incendies, arrêté par la Communauté de ville le 21 mai 1721, c'est-à-dire cinq mois après le désastre, et ce règlement, en nous faisant connaître les mesures qui furent prises alors, mesures bien insuffisantes encore, nous apprend que tout faisait défaut auparavant.

On commença par acheter un matériel de fourches, de crochets de fer, de câbles et d'échelles, et l'on commanda en Hollande trois nouvelles pompes. On s'occupa ensuite des obligations à imposer aux habitants : chaque propriétaire de maison dut se munir d'une hache gravée de son nom et d'un seau en cuir ; les charretiers furent astreints à transporter les pompes sur le lieu du sinistre et à mettre à l'abri les meubles des maisons menacées. Les habitants des rues voisines devaient placer à leur porte une barrique remplie d'eau et la tenir constamment pleine pour l'alimentation des pompes pendant toute la durée de l'incendie ; et tout le monde, sans distinction de sexe, devait, c'est le terme employé « servir au transport de l'eau ».

Enfin le règlement tentait de jeter les premières bases d'une organisation régulière, méthodique et disciplinée des secours. Huit hommes devaient être choisis « pour conduire chaque pompe, et deux autres intelligents » — ce n'était pas flatteur pour les huit premiers — « pour en tourner et diriger à propos les tuyaux vers le feu, avec deffences de les abandonner pendant l'incendie sous peine de prison ». Ces hommes devaient « faire jouer et exercer les pompes » au moins tous les trois mois. Trente couvreurs et huit maîtres charpentiers, avec six ouvriers chacun, devaient se rendre au feu avec leurs haches, et des détachements de la milice bourgeoise étaient chargés d'assurer l'ordre. C'étaient là d'excellentes prescriptions, mais elles avaient le grand tort de venir au lendemain du désastre.

Cherchons maintenant quelles ont été pour la ville les conséquences de l'incendie.

La nécessité la plus impérieuse était de nourrir et de loger les gens sans asile, qui campaient sur les places et dans les champs. Pour les nourrir, l'Intendant rendit des ordonnances tendant à approvisionner la ville de pain, viande et autres denrées nécessaires, et il les fit publier dans toutes les paroisses et tous les marchés des environs (Archives municipales de Rennes, 526, B, Délibération du 28 décembre 1720). Pour les loger, le roi concéda tous les terrains de son domaine dans la ville, et l'on y bâtit des baraquements provisoires (rue des Fossés, rue de la Visitation, rue Nantaise, etc.) (Marteville, Histoire de Rennes, t. I, p. 271).

L'autorité locale avait aussi à lutter contre les voleurs qui s'abattaient, comme des oiseaux de proie, sur la malheureuse ville, afin de dérober dans ses décombres l'argent, les bijoux et jusqu'aux matériaux des maisons incendiées. La Communauté de ville fit fermer pendant la nuit les portes de l'enceinte (Archives municipales de Rennes, 526, C, Délibération de la Communauté du 27 mars 1721), et le Parlement rendit un arrêt ordonnant à tous les détenteurs de meubles appartenant aux sinistrés de les apporter à l'Hôtel de Ville sous peine de poursuites extraordinaires (Ducrest de Villeneuve et Maillet, Histoire de Rennes, p. 352).

Comme secours pécuniaires, le roi accorda à la Ville une somme de 667.633 livres (Marteville, Histoire de Rennes, t. I, p. 270), et fit distribuer 40.000 écus aux indigents (Ducrest de Villeneuve et Maillet, Histoire de Rennes, p. 349). Il donna également 1.000 arpents de bois à prendre sur ses forêts de Rennes et du Gavre, il exempta les sinistrés de tous impôts pendant deux ans, et réduisit des deux tiers les droits sur les emprunts d'argent faits en vue de reconstruire les maisons incendiées (Marteville, Histoire de Rennes, t. I, p. 270). Les Etats de Bretagne, de leur côté, votèrent un secours de 300.000 livres, mais ce secours était destiné uniquement à des travaux d'intérêt public, et les habitants n'en touchèrent rien à titre d'indemnité (Marteville, Histoire de Rennes, t. I, p. 253).

Il restait une chose à faire et ce n'était pas la plus aisée : sur les huit hectares de ruines où gisaient les cendres et les décombres de 850 maisons, il fallait établir et constater les droits des propriétaires, et cela souvent en l'absence de titres, car un très grand nombre avait été détruit. Ces droits établis, il fallait attribuer à chacun de nouveaux terrains en lui prescrivant un alignement, et là encore s'élevaient de grosses difficultés. On y réussit cependant ; un plan général de reconstruction fut dressé par l'ingénieur Robelin (Plan de Rennes de 1726), et son exécution a donné à la ville de Rennes l'heureux cachet de régularité qu'elle possède aujourd'hui. On perça des rues rectilignes et suffisamment larges, et l'on imposa aux architectes de sages conditions pour les façades des nouvelles maisons : on exigea qu'elles eussent au moins deux étages sur les rues et trois sur les places, que les toits fussent « à la Mansard » et les rez-de-chaussée à arcades de granit [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, Intendance, Monnaie de Rennes, C 1859. Marteville, Histoire de Rennes, t. I, p. 251] ; et l'on voit encore derrière les boiseries de nos magasins modernisés les arcades prescrites par ces règlements.

C'est ainsi que l'incendie de 1720, après avoir été un désastre pour la ville, contribua grandement à lui donner le bel aspect qu'elle présente aujourd'hui. Les Rennais n'en gardent plus que le souvenir d'un cauchemar lointain, et cependant l'une de ses conséquences persiste toujours : nous devons la signaler en terminant.

Les maisons détruites étaient généralement très élevées et occupaient une faible superficie ; les nouvelles, au contraire, furent construites sur des plans plus vastes, et les propriétaires de terrains durent très souvent se réunir, j'allais dire se syndiquer, pour les bâtir en commun. Or aujourd'hui, après deux siècles environ, cette copropriété gênante existe encore, et il n'est pas rare de trouver dans une même maison un propriétaire différent à chaque étage, parfois même deux ou trois propriétaires distincts par étage (M. Banéat).

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UNE RELATION INÉDITE ET CONTEMP0RAINE DE L’INCENDIE DE RENNES EN 1720.

Le nom de l'auteur de cette relation ne nous est pas connu : il ressort seulement du texte que c'était un marchand de Rennes, victime du grand désastre qu'il raconte en témoin oculaire. Son récit porte l'empreinte des passions et des préjugés du moment ; on sent qu'il a écrit sous l'impression accablante d'un immense malheur ; les bruits sinistres, les exagérations, les accusations calomnieuses sans doute contre les soldats dans lesquels le peuple voulut voir les complices d'un crime imaginaire, se reflètent dans sa narration, curieuse à plusieurs égards.

Quant à la réfutation de cette tradition populaire qui attribuait l'incendie de Rennes à une vengeance du duc de Chaulnes, nous renvoyons aux pages 340 et suivantes de l'Histoire de Rennes par MM. Ducrest de Villeneuve et Maillet, qui ont mis un soin particulier dans l'examen de cette question historique locale, et dont les conclusions nous paraissent suffisamment motivées [Note : C'est aussi l'opinion de M. Marteville dans ses annotations sur Ogée. Voy. son « Histoire de Rennes » ou « Rennes ancien et moderne », tome I, p. 267] :

« A minuit, le 23 décembre 1720, le feu prit à Rennes, rue Tristin, dans la maison d'un menuisier, dont la femme qui voulut aller chercher et emporter son argent fut brulée. Le feu gagna à droite et à gauche de la rue, et par le devant porta ses flammes de l'autre côté de la rue et gagna par les derrières, dans la rue neuve, en sorte qu'il commença à bruler la ville par quatre endroits, en forme de croix, du bout desquels le feu se porta avec tant de vitesse par toute la ville, en tant d'endroits à la fois qu'il fut impossible de l'arrêter ; la ville fut embrasée comme une mer de feu ; à un quart de lieue, les charbons allumés tomboient gros comme le poing. Cette pluye de feu le repandoit partout ; elle eut brulé le palais, si Mr. de Brilhac, 1er Président du Parlement, n'eut fait remplir d'eau des plombs qui entourent cet édifice ; aussi le feu n'y prit-il que légèrement ; il fut promptement éteint par les soins que se donna ce Magistrat pendant une nuit entière ; il ne tint pas à lui que l'on ne coupât les maisons voisines du feu, pour lui faire sa part ; il en donna l'ordre au sieur Chevalier et à un autre entrepreneur qui eussent bien voulu l'exécuter ; mais la Communauté de ville n'avoit ni haches, ni crochets ; elle n'étoit point aussi pourvue de sceaux pour porter l'eau ; Mr Feydeau de Brou, notre intendant, donna l'ordre au regiment d'Auvergne qui étoit à Rennes, d'aider l'habitant ; il fit mettre en garde, des deux côtés des rues, les soldats, ce qui ne contribua pas peu à augmenter la violence de l'incendie ; ces militaires bourroient de leurs fusils les ouvriers et les habitants qui desiroient porter du secours aux incendiés, les traitant de voleurs, pendant qu'ils voloient et pillolent, eux-mêmes, toutes les maisons, qu'ils allumoient le feu dans les caves, afin de tout embraser ; ce qui est cause que le feu a fait un aussi grand progrès ; M. l'intendant qui est un magistrat très humain, craignoit de désobliger l'habitant en faisant travailler ces soldats à abattre les maisons, espérant que le feu pourroit s'éteindre ; ce qui a causé la perte de la ville ; cependant, sur la fin Mr de Brou se donna de grands mouvemens ; mais le mal étoit devenu trop grand pour que l'on put y remedier ; il ne put sauver que sa maison. M. Turpin Crissé de Sanzai, notre Evêque, plein de zèle et de charité, portoit des sceaux remplis d'eau, afin d'encourager les ouvriers, et leur faisoit donner du pain et de la boisson ; par ses soins, le couvent de la Trinité fut sauvé ; enfin tout le monde fatigués du travail se retiroient ; on manquoit d'autant plus d'ouvriers que l'habitant les occupoit à se déloger et à sauver ses meubles et effets, le tout dans une si grande confusion qu'on laissoit bruler la ville, ce qui a duré cinq jours et cinq nuits, et consumé tout le coeur de la ville, trente deux rues, plus de mille maisons, huit mille ménages et familles qui sont en très grande partie ruinés. Ce que le feu épargnoit les voleurs l'emportoient ; de sorte qu'il y en a eu qui n'ont sauvé que leur corps ; les autres ont en leurs meubles brisés ; plus de cent personnes ont péri sous les ruines des maisons qui tomboient à moitié brulées et qui jettoient des flammes si violentes, que l'air en étoit enflammé. Dès le second jour, le feu prit à la grosse horloge élevée sur plus de 100 pieds de mur, et sous charpente ; elle tomba dans la chapelle St. James avec un bruit épouvantable et fut brisée en pièces, quoiqu'elle fut épaisse de 7 pouces. Le vent qui s'eleva dès le second jour du feu, jettoit les flammes avec tant de violence et une telle activité qu'il étoit impossible d'éviter ces flammes qui voltigeoient par tout. Le vent changeoit trois ou quatre fois le jour ; tout notre côté de rue et notre maison furent consumés dans moins d'une heure avec la plus grande partie de nos marchandises ; le peuple consterné portoit ses effets dans une rue où il les croyoit en sureté ; mais peu de temps après, l'incendie ayant gagné ce quartier, on étoit obligé de les transporter ailleurs ; et après qu'il avoient été portés de place en plache cinq à six fois, ils devenoient la proye des flammes ; les autres étoient volés par ceux qui les portoient, en faisant semblant d'aider, de sorte que les habitans ont perdu la plus grande partie de ces meubles, même de ceux qu'ils avoient sauvé du feu : toutes le places publiques, les douves, les remparts en étoient remplis ; et pour les garder, chaque propriétaire étoit obligé d'y coucher. On ne voyoit partout que charrettes, charriots, caresses et même des chaises à porteur, dont on se servoit pour le transport de ses effets, et avec tant de confusion qu'il étoit presque impossible de traverser les rues ; chacun emportoit comme il pouvait ce qui lui appartenoit ; le désordre, la confusion, l'épouvante s'étoient tellement emparés de l'esprit du peuple, que l'on se sauvoit avec des bagatelles pendant qu'on laissoit bruler l'essentiel ; on trouva une dame qui se sauvait en chemise, tenant en main son pot de chambre.

Le quatrième jour de l'incendie tous les couvents d'hommes et de filles furent ouverts. Les habitants s'y refugièrent avec le peu de meubles et effets qu'ils avoient sauvés. Hommes, femmes, enfans, tous couchaient pêle-mêle, dans les cloîtres, dans les dortoirs ; là ils étoient à l'abri des voleurs et des soldats ; mais ces derniers jettèrent des fusées et des grenades pour mettre le feu dans les couvents, afin de pouvoir y exercer leur pillage ; heureusement on parvint à y éteindre le feu ; ces soldats enragés s'attachèrent ensuite à voler partout publiquement ; il enfonçoient les maisons qui n'étoient point encore brulées, emportoient or, argent, meubles, tout ce qu'ils trouvoient, jusqu'aux vases sacrés des eglises ; un militaire qui vola un calice sur l'autel ou on venoit de dire la messe, fut pendu. Mr. l'intendant instruit du pillage de ces soldats et qu'ils mettoient le feu partout où ils pouvoient, les fit retirer de la ville et camper sur les remparts. Il ordonna aux habitans de ne pas les laisser entrer en ville. Ces habitans firent la garde jour et nuit. Bientôt le feu fut éteint et ne gagna pas la basse ville ni les fauxbourgs, ni les couvents que Dieu a conservé, quoique le feu eut entouré le Monastère du Calvaire ; les religieuses de la Trinité virent le feu à leurs murs et à leur porte ; mais leur maison fut conservée par les secours que l'on y porta. Il n'y a eu que notre église de St. Sauveur qui a été brulée avec une grande quantité de meubles et effets qu'on y avoit déposés ; on ne sauva de ce temple que l'image miraculeuse de la sainte Vierge qui en 1400 (1345) avoit préservé la ville des Anglois, désignant avec deux doigts le lieu où ils minoient ; pendant qu'on la transportoit aux Augustins, le peuple se prosternoit devant elle, les larmes aux yeux, criant : miséricorde, sauvez-nous du feu ; mais la colère de Dieu n'étoit pas encore appaisée ; cependant on attribue à cette sainte mère de notre divin Sauveur les ténèbres épaisses qui parurent le sixiéme jour et qui étoufferont le feu.

Le premier jour de l'an, Monseigneur l'Evêque de Rennes fit avec tout le clergé une processien générale. Les habitans qui la suivaient, étoient comme des déterrés, dans une consternation la plus profonde. Toutes les provisions qui étoient dans les caves ont été consumées par le feu qui y est resté pendant plus de deux mois. Le peuple ne trouve pas où se loger ; les uns se retirent à la campagne, les autres dans les villes voisines. Les personnes attachées à des emplois publics se sont releguées dans les fauxbourgs et dans la basse-ville. Si le Parlement n'étoit pas resté à Rennes, cette ville ne seroit plus qu'un desert. Le collège reprit ses exercices quinze jours après la cessation du feu. Le présidial a été brulé ; les conseillers donnent audience à l'hôtel de Brissac. On a trouvé dans les caves des mortiers de bronze et des instruments de cuisine à moitié fondus.

Le Roi a fait faire un nouveau plan de la ville et former de grandes rues en droite ligne qui vont de la Porte aux Foulons sur le Pont-Neuf, une de la cathédrale de St. Pierre au Palais, une de St. Sauveur à la rue St. Georges. Chacun a perdu son terrain. Quant à nous, nous nous sommes retirés en la Poulaillerie, dans la maison de notre tante, où nous avons bien de la peine à vivre ; car les marchandises que nous avions sauvées, ont été volées dans le lieu où nous les avions déposées. Voilà le triste état de notre ville de Rennes, qui fait hérisser les cheveux de tous ceux qui voyent sa désolation ».

La note suivante donnera une idée des pertes qui furent le résultat de la catastrophe ci-dessus décrite : « Suivant le procès-verbal dudit incendie commencé le 27 janvier et fini le 10 mars 1721, aux fins d'ordre de M. le comte de Toulouse, gouverneur de la province, le revenu des maisons qui furent brûlées ou abattues monte à 293.246 livres 10 sous ; sans comprendre les maisons dont l'estimation a été réduite à un fonds qui monte à 462.000 liv., outre les églises et édifices publics dont il n'est fait aucune mention. Résumant ces deux objets, la perte monte, savoir : la valeur des maisons incendiées ou abattues à 6.326.930 liv. — La perte de tous les meubles, marchandises et provisions, à 2.527.947 liv. — Total, 8.854.877 liv. On ne fait pas état des rentes foncières, ni des titres d'une grande partie des familles de la province, qui se trouvaient chez les juges, avocats, procureurs et notaires, qui furent brûlés, presque sans exception » (P. D. V.).

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