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Autour de la « Vicomté de Rennes »
Rennes féodal

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Le 26 janvier 1789, Rennes, alors en proie à la grande agitation provoquée par l'approche des Etats Généraux, était le théâtre d'une parodie burlesque. Réunie sur le Champ de Mars, une bande de domestiques de laquais sous la conduite du concierge de la commission des Etats de Bretagne, Holaudais, se dirigeait en cortège vers le Palais du Parlement où elle était accueillie en grande pompe par les magistrats qui se voyaient remettre une protestation du peuple en faveur du maintien de l'ancienne constitution bretonne. Au retour hélas, une bagarre éclatait entre les manifestants et un groupe d'étudiants patriotes réuni au café de l'Union [Note : Nunc aucune librairie Lefayer]. Le lendemain, on le sait, c'était la tragédie. Deux membres de la noblesse qui tentaient de se dégager à la sortie de la chapelle des Cordeliers, voisine du Palais succombaient aux assauts de la foule excitée par les patriotes. C'était la noblesse menacée par les revendications électorales du Tiers des villes qui avait pris l'initiative de cette manifestation, de complicité avec les États et le Parlement. Mais qui l'avait organisée ? Un nom courait sur toutes les lèvres, celui d'un riche seigneur, le marquis de Guer, vicomte de Rennes, alors puissamment inféodé dans le quatier de Saint-Hélier. Son titre et sa juridiction, ne les tenait-il pas de la Cour de Parlement elle-même ?

Aux portes de la ville royale, se dressait en effet, on l'oublie trop souvent, un important Rennes féodal, qui devait peser lourdement dans la genèse des premières journées révolutionnaires en Bretagne. Cette « vicomté de Rennes » puisait-elle ses origines dans un passé breton et ducal, aussi vénérable que le voulait la tradition ? En Bretagne, elle avait de quoi surprendre dans une province où les illustrations du pouvoir vicomtal n'avaient jamais revêtu l'ampleur et la précocité signalées en Normandie depuis Guillaume le Conquérant. De fait, ce n'est guère avant le milieu du XVIème siècle que nous voyons les seigneurs de Laval revendiquer ce titre [Note : En particulier dans le testament de Guy XVII (1544) (publié par B. de Broussillon in Cartulaire de Laval n° 2569), l'épitaphe du même seigneur (ibid n° 2611) ainsi que dans plusieurs actes de Guy XVIII, sept. 1547 (n° 2618) et de Guy XIX (n° 2830 et 2834)]. « La Vicomté de Rennes est une chimère que l'ignorance de Le Baud a formée et que l'ambition soutient », écrit le jurisconsulte Pierre Hevin dans le mémoire qui figure en tête de ses célèbres « Questions féodales ».

Comment les seigneurs de Laval pouvaient-ils prétendre à ce titre sur l'église de Toussaints, désormais intra-muros qui dépendait du domaine royal ? Les anciens fiefs de Vitré à Rennes n'étaient-ils point mouvants du roi immédiatement ? Par les terres qu'il possédait au duché de Bretagne en sa qualité de baron de Vitré, le duc de La Trémoille relevait en effet du comte de Rennes, celui-ci du cercle ducal et le duc de la Couronne de France. Seuls les juges du comté de Rennes étaient habilités à faire inventaire en cas de saisie féodale des fiefs de Vitré à Rennes, la réunion du comté et du duché à la Couronne n'ayant en rien perverti l'ordre et le degré des mouvances.

 

La Vicomté de Rennes à la fin de la Monarchie.

A la fin du XVIIème siècle, cette seigneurie s'étendait sur le territoire de trois paroisses : Saint-Germain au N. de la Vilaine, Saint-Hélier et Toussaints au S. C'est assez dire qu'elle n'était pas homogène. Elle comprenait les faubourgs de la Madeleine en Toussaints et de Saint-Hélier autour de l'église du même nom, tous deux « extra-muros », poursuivant plus loin vers le sud en direction des Hautes-Ourmes. Elle incluait aussi la Rue Haute, aujourd'hui de Saint-Malo, au N. de la ville, dont la majeure partie se trouvait alors en Saint-Germain. La déclaration de 1682 mentionne quelques maisons sur la paroisse de Saint-Martin au N.O., sise avant le Pont Saint-Martin, près de la ruelle en pente se dirigeant vers l'Ille, d'autres sur la paroisse de Saint-Grégoire au N., d'autres enfin sur celles de Saint-Jacques de la Lande et de Bruz au S. de la ville. Dans les mémoires de la fin du XVIIème siècle, il n'est plus question de ces dépendances au N. de l'Ille qui avaient été aliénées entre-temps.

A l'instar des barons de Vitré, le « vicomte » revendiquait sur ces terres une pleine juridiction avec institution de greffiers, notaires, huissiers et sergents. Comme ces derniers ne possédaient à Rennes ni château ni hôtel, cette haute justice s'exerçait dans les locaux de la prévôté, réorganisée par le duc Pierre II en 1456. Dans la salle basse, à l'entrée de ce tribunal se voyait alors un banc aux armes des seigneurs de Vitré qui y faisaient tenir leurs plaids généraux pour les appropriances d'héritages quatre fois par an [Note : Soit le lendemain de la fête de la Purification de la Vierge le lundi de la Quasimodo, le lendemain de la fête de la Madeleine le 23 juillet, enfin le lendemain de la Toussaint, le 3 novembre].

L'aveu de 1720 mentionne formellement une « justice carrée à quatre pots », sise aux Hautes Ourmes, bien au-delà de l'église Saint-Hélier, sur la route de Vern : une autre à la porte de Toussaints, à côté de l'ancien cimetière qui se voyait alors sur l'emplacement actuel des Halles. La déclaration de 1682 mentionne seulement la première. Hévin situe par contre la seconde, qu'il conteste, « extra-muros » au faubourg de la Madeleine (ancienne rue de Nantes). Sur l'emplacement des ceps, le jurisconsulte nous renseigne mieux que le procès-verbal de 1720 : il précise que les colliers de Saint-Hélier étaient visibles « au bourg du faubourg qui commence hors des fossés de la Porte Blanche [Note : Kergus, nunc cité Administrative] ; ceux de la Madeleine, il les place par contre, non près de l'ancienne église de Toussaints, mais à l'extrémité du faubourg Saint-Lazare » à environ deux cents pas de la dernière barrière « où ils sont visibles », dit-il, « à tous ceux qui vont de Rennes à Vannes ou à Nantes ». Il vise la bifurcation entre ces deux anciennes routes, qui avaient alors une sortie unique par le faubourg de la Madeleine pour se séparer à la hauteur de l'ancien carrefour du Puits Mauger [Note : Ce carrefour que les anciens Rennais ont connu a disparu, avec la vieille route de Nantes, à la suite des lotissements du Colombier].

La déclaration de 1682 fait allusion au droit de sergentise prélevé par les officiers du baron de Vitré sur les étagers du faubourg de la Madeleine, lesquels portaient sur « une oreille et deux pieds » de chaque porc vendu en détail par ces habitants. S'y adjoignaient des droits de coutumes perçues aux entrées de la ville, qui étaient, par contre, des droits comtaux. Les exposants à l'ancienne foire de la Madeleine qui se tenait sur la prairie de Villeneuve, ancienne dépendance des fiefs de Vitré aliénée depuis lors en étaient exempts, ainsi que de tout billot sur les vins. Comment expliquer la juxtaposition de droits aussi divers ?

L'acte de 1720 [Note : Ce procès-verbal existe en original aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine (E 288). C'est lui qui a été utilisé par P. de La Bigne de Villeneuve, qui l'a publié dans sa notice parue au tome II de ses Mémoires d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne parues en 1868. Ce n'est pas cette pièce mais l'aveu de 1682, antérieur au mémoire d'Hévin qui a été utilisé par le chanoine Guillotin de Corson (Revue de Bret. et Vendée, 1897). L'un et l'autre ont été analysés par J. Trevedy dans une étude publiée en 1905 dans les Mémoires de la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord, t. 43, 1905, p. 30 sq] détaillant les prérogatives du vicomte sur cette antique foire va plus loin : il lui confère des droits de justice sur tous les vassaux du faubourg de la Madeleine, ainsi qu'un droit de bouteillage à quatre pots par pipe de vin et de deux pots par barrique sur tous les étagers. Ces derniers — environ 400 à l'époque — étaient tenus de comparaître à cheval tous équipés au Champ Jacquet, intra-muros à proximité de l'auditoire du prévôt, pour se rendre ensuite sur le Champ de Foire y exercer la police. Obligation féodale assortie d'une amende pour les défaillants, comme l'était, à la sortie du cimetière de Saint-Hélier, le devoir de chanson auquel les nouveaux mariés étaient astreints dans l'année de leur union. Cette « chanson nouvelle », récitée devant les officiers du vicomte, s'accompagnait de la danse de la mariée, imposée à tous les jeunes ménages, à peine d'une amende de 60 sols doublée pour les couples. A ces prérogatives honorifiques, sur les églises paroissiales de Toussaints et de Saint-Hélier, s'en ajoutaient d'autres : le « vicomte » réclamait, en effet, un droit de fondation sur ces églises, ainsi que sur les chapelles de La Madeleine en Toussaints, de Saint-Julien en Saint-Hélier, de Sainte-Marguerite aux Grands Carmes. Parmi les prérogatives mentionnées, il en était de fort singulières comme celle d'exiger des paroissiens de Toussaints, le jour de la Chandeleur, qu'ils présentent à leur seigneur un cierge de deux livres orné d'un écusson à ses armes, celui aussi pour le seigneur de Vitré d'assister à la procession rituelle sans qu'aucun prêtre ne puisse le précéder, non plus qu'à l'obligation effectuée par le vicomte à l'offertoire à l'occasion des fêtes solennelles. Il s'agissait là de simples survivances car à cette époque déjà, le siège de la paroisse de Toussaints avait été transféré pour des raisons d'hygiène plus au nord près du nouveau collège des Jésuites ou achevait de s'édifier le bâtiment classique que nous voyons aujourd'hui.

Tout aussi archaïque était la mention dans les aveux de la vicomté de la cérémonie du chant des lépreux. C'était le cri de détresse poussé par ces malheureux le jour où ils se voyaient rituellement séparés du reste des fidèles. Cette séquestration prescrite alors par les canons et les ordonnances est encore citée dans un procès-verbal du 14 février 1429. En 1720, les lépreux avaient disparu depuis longtemps sans doute, non l'allusion à cette ancienne cérémonie. Ici encore la chanson coutumière s'était perpétuée dans les aveux, métamorphosée en intersigne de supériorité au bénéfice du « vicomte » de Rennes...

Au temps où Hévin rédigeait son mémoire, les hauts justiciers exerçant encore dans la ville de Rennes s'abstenaient déjà d'assurer les poursuites criminelles, jugées alors trop onéreuses. En face de ces prérogatives honorifiques, quels étaient les droits utiles de la vicomté ? Diverses rentes féodales payées le jour de la Saint-Etienne, le lendemain de Noël, qui se réduisaient alors à la somme totale de 75 l. 10 sols tournois, soit 30 à 35.000 de nos francs. S'y adjoignaient quelques amendes acquittées par les étagers défaillants et les nouveaux mariés. Elles étaient bien minces pour suffire à satisfaire aux gages des officiers. La seigneurie possédait encore quelques maisons, mais beaucoup d'entre elles avaient été aliénées au XVIème siècle, comme celles situées au Petit Villeneuve sur les anciennes prairies du même nom. Avaient également disparu d'autres bâtisses, sises entre l'ancienne église et la porte de Toussaints, à la suite des divers travaux d'alignement et de défense intervenus depuis lors. Ceci explique le faible prix (72.000 l.) auquel fut vendu le 12 juin 1715 ce qui subsistait de l'ancienne vicomté déjà englobée, depuis plus d'un siècle, nous le verrons, dans le marquisat d'Epinay à Rennes.

Dans ses Grandes Seigneuries [Note : T. II, p. 339 et sq.], le chanoine Guillotin de Corson fait sienne la thèse puisée dans l'historien Le Baud et contestée par P. Hevin, selon laquelle la vicomté de Rennes aurait été ce grand fief rattaché primitivement à la garde du château de Rennes et qu'il tenait lieu de gages au grand voyer ou vicaire de cette ville. Selon lui cette dotation ancienne serait la récompense d'un service rendu au Comte par Rivallon, en lui conservant la place d'Auray contre un vassal rebelle. Sans remonter jusqu'à la légende de Gwenargant, il convient selon nous, de distinguer entre les années antérieures et postérieures au grand traité de 1237.

 

L'origine historique des fiefs de Vitré.

Tout remonte en effet à la grave rébellion de Robert de Vitré qui conduisit le duc Conan à donner au fils de Juhel de Mayenne son rival, la main de sa propre fille, avec, comme dot, la terre de Vitré, dont il était parvenu à s'emparer. Elle conduisit le duc à traiter finalement avec Guy de Laval, cousin de Robert, chez qui ce dernier avait été contraint de se réfugier. « En 1135 », nous rapporte Le Baud, « le dit Conan manda Guy de Laval à venir parler à luy, et quand il fut venu, il traita avec lui, et pour ce faire, lui concéda tous les droits que le dit Robert avait eus en la cité de Rennes, et le fief de Gomeuse en Dorden [Note : Dourdain] avec le bois des Pruniers, par lequel pacte le d. Robert fut déjeté et expulsé de toute cette terre ». Quels étaient les droits auxquels fait allusion le chroniqueur ? Sans doute certaines prérogatives de voirie qu'il exerçait alors dans plusieurs faubourgs de Rennes tant au S. (route de Nantes) qu'au N.O. (ancienne rue Haute) en direction de Saint-Malo et aussi de la Normandie [Note : Il s'agit du grand chemin de Fougères à Avranches, qui passait alors par Thorigné, Sérigné, Vendel, Saint-Hilaire, avec embranchement vers Livré (ancien chemin Chasles) et Dompierre du Chemin]. Cette guerre féodale se poursuivit longtemps. Il faut attendre 1144, pour voir Robert de Vitré, qui s'était réfugié cette fois chez le seigneur de La Guerche, parvenir à reprendre sa ville avec l'aide de ses bourgeois. Est-ce à cette époque que remonte la destitution de la charge de police dont avaient pu jouir à Rennes, les premiers barons ? C'est probable. En effet nous ne trouvons nulle part dans la suite confirmation par les descendants des comtes de Rennes des prérogatives de sergentise qui avaient pu lui être reconnues à Rennes dans les faubourgs, non plus que des coutumes sur les marchés publics de la ville dont il partageait d'ailleurs la perception avec plusieurs autres seigneurs [Note : A savoir l’évéque de Rennes, l'abbesse de Saint-Georges et le baron de Fougères].

Diverses revendications territoriales sur le comté de Rennes devaient, par contre, susciter dans la première moitié du XIIIème siècle une longue guerre entre André II de Vitré et le nouveau baillistre Pierre Mauclerc, préposé à la garde du duché de Bretagne. André de Vitré qui avait épousé Catherine de Bretagne, sœur d'Alix, héritière du duché, s'était fait octroyer en dot, de Sérigné à Sévailles, un important quartier de la forêt des comtes de Rennes. Mécontent de l'initiative prise par Mauclerc d'élever de ce coup à Saint-Aubin du Cormier une ville, un marché et une puissante forteresse défendue par un étang, ce seigneur était intervenu auprès du roi Louis IX, lequel lui avait donné la permission d'élever à Chevré un donjon et autour de son marché de Ganne une nouvelle châtellenie, destinée à défendre contre le duc les limites occidentales de sa baronnie. André II avançait qu'en contrepartie des services rendus par son père dans sa lutte contre Richard, roi d'Angleterre, la duchesse Constance lui avait fait remise de toutes les prétentions des comtes de Rennes, ses prédécesseurs, sur certaines terres revendiquées par les barons de Vitré. Parmi elles, figuraient plusieurs cantons de la forêt de Rennes dont Sevailles et le Drugeon, ainsi que les anciens fiefs de Rennes. Devant la cour du Roi à Paris, André II n'eut de cesse d'obtenir satisfaction des dommages subis par lui sur les terres de son héritage et la dot de sa femme, mettant en avant les « surprises et querelles » fomentées par le duc, lors de la construction de ses forteresses, tant à Rennes qu'à Saint-Aubin du Cormier. Ce grave litige ne fut résolu qu'aux termes de longues et difficultueuses transactions. Le traité final signé à Crépy en Valois en 1237 disposait qu'en échange de la remise en totalité du ressort de l'ancienne seigneurie d'Aubigné, André renoncerait à ses prétentions sur les quartiers de la forêt de Rennes, voisins de la nouvelle forteresse de Saint-Aubin du Cormier, prétendus par son épouse. Il s'agissait bien là d'une paix obtenue aux termes d'un échange en règle portant sur des terres occupées antérieurement par ses troupes (per forteriatas nostra). Aux termes de ce traité, André de Vitré obtenait que toutes les terres qu'il possédait en Bretagne, en particulier celles de Rennes, soient désormais déchargées à perpétuité de tous droits de bail, rachat et garde [Note : « Pro bono servitio, omnem calumniam quam ego et antecessores mei... de terre Vitriacensis habebamus... habeant quiete et libre in perpétuam possideant »]. Dans cet accord, il est fait expressément allusion à un résidu d'indemnité de 22 livres 2 sols pour des travaux effectués par le comte sur des emplacements militaires (nouveaux fossés de Rennes), en contrepartie de droits anciennement exercés par le baron à proximité des nouvelles fortifications de cette ville [Note : Pro platis de feodo suo sitis apud Rhedonum quam dominus Comes Britanniae occupaverat per fossata sua de Rhedonis et aliis rebus...]. Il est donc clair — et ceci est confirmé par une lettre de Charles de Blois de 1347 au sujet des droits prélevés par son oncle le sieur de Laval sur les foires de la Madeleine, que le duc s'interdisait désormais de porter préjudice aux « noblesses et libertés » de ce seigneur en Bretagne et singulièrement de lever aucun subside sur ses fiefs de Rennes du chef de sa baronnie [Note : « Tam de exercitu, taillis... quam de omnibus aliis »] sans l'exprès consentement de ce dernier. Soucieux de se ménager ce puissant vassal, possessionné hors de Bretagne, les ducs évitaient de lui chercher à nouveau querelle. En 1432, aux termes d'un arrêt du Conseil du duc, les barons de Vitré se faisaient reconnaître le droit d'expédier en appel leurs affaires de justice sur les fiefs de Rennes « devant le sénéchal et mon aultre », au premier jour des plaids en congé de personne et « de menée, comme pour les autres hommes de la baronnie ».

 

Modification de l'assiette des fiefs de Vitré (1455).

L'édification de la troisième enceinte de Rennes, englobant le vieux quartier de Toussaints jusqu'à l'ancien cours de la Vilaine [Note : Nunc Boulevard de la Liberté] entraîna de profondes modifications dans la structure et la physionomie des quartiers sud de la ville. « Au temps où Beatrix de Bretagne tenait la terre de Vitré en douaire, elle faisait encore chevaucher fortement le faubourg de la Madeleine », expliquent les témoins convoqués devant le sénéchal de Rennes en 1455, lors de l'enquête préparatoire à la réformation du terrier ducal. Ce fief, naguère continu et de plain-pied qui s'étendait au sud, sur 10 à 12 000 journaux « sans discontinuation » se trouvait « séparé et divisé » par les nouvelles murailles édifiées de part et d'autre du boulevard Toussaints. Depuis 1422, en effet, Jean V y avait fait exécuter de profonds fossés fortifiés par des bastions continus. Désormais, la nouvelle enceinte incluait tout le territoire compris entre les deux bras de la Vilaine en particulier le parvis de l'église Toussaints et son cimetière avec les quelques maisons environnantes (rues Vasselot, de la Parcheminerie, du Champ Dolent). Le nouveau Boulevard Toussaints fut édifié à charge de récompense, sur les terres du fief de Vitré, tandis que le Pré-Perché et l'ancien manoir du Puits Mauger, qui communiquait avec le boulevard au travers d'une chaussée large de 35 à 40 pieds se trouvaient rejetés de l'autre côté de l'enceinte, ainsi que les terres de Villeneuve et de La Madeleine sur l'ancienne route de Nantes, et par voie de conséquence, le Colombier, les Champs de Beaumont [Note : Nunc Champ de Mars. Place du Général de Gaulle] et plus à l'E., le faubourg de Saint-Hélier, au-delà de la Tour Blanche.

La réformation de 1455 attribua au duc la nouvelle église des Carmes en cours de construction [Note : Questions féodales, op. cit. p. 1 et sq.] et les officiers du baron de Vitré leur ayant cherché querelle, une transaction intervint le 29 novembre 1488, reconnaissant aux religieux la libre possession de leurs jardins à charge de faire figurer un écusson aux armes des Laval à la maîtresse vitre de leur oratoire, au-dessous de celui des ducs. La mouvance et le patronage de l'ancienne église de Toussaints ne paraissent pas alors avoir soulevé discussions, bien que le duc n'en ait pas formellement réclamé la garde. « Il était de tradition », nous rappelle P. Hévin qu'au Moyen Age, « les édifices du culte soient élevés à quelque distance des murs de la ville... » pour parer aux « surprises qu'ont eût pu faire par les assemblées d'externes... ». Pour cette raison, il n'y avoit aucune église paroissiale dans la cité ou vieille ville de Rennes : celles de Saint-Etienne, Saint-Aubin, Saint-Germain et Toussaints, aussi bien que les abbayes [Note : Saint-Melaine, Saint-Georges et Saint-Cyr] étaient toutes hors de l'enceinte, à quelque distance des murs ; « Saint-Germain et Toussaints n'y sont aujourd'hui incluses » rappelle P. Hevin « que par les accroissements faits en 1422 et 1450 ». Dès lors, il n'est pas surprenant que les anciennes fourches patibulaires du baron de Vitré aient pu, sans changer de place, se trouver au dedans de la ville. N'avaient-elles pas été élevées primitivement près du boulevard Toussaints, à côté du Champ Dolent ? Avant 1394, Guy de Laval ne possédait sans doute que des fourches simples comme signe de supériorité sur les fiefs de Rennes. Cette année-là, il les avait converties en fourches carrées [Note : Symbole de haute justice] et rapprochées du boulevard, ce qui avait mécontenté les officiers du duc. A cette époque, ce dernier était en guerre avec Clisson et il voulait éviter que le puissant comte de Laval n'entrât dans le parti de son beau-frère. Pour se le ménager, il consentit, par lettres patentes du 23 septembre 1394, à lui reconnaître une justice à quatre pots, sauf à prescrire à ses officiers d'en fixer désormais l'emplacement. Ce ne fut pas près du cimetière Toussaints, mais beaucoup plus loin, extra-muros, aux Hautes Ourmes, sur la route de Vern [Note : Champ dit de la Justice] que cet emblème de supériorité fut alors apposé.

A l'époque où écrivait Pierre Hévin, le transfert du culte de l'ancienne paroisse Toussaints dans le nouvel édifice qui porte aujourd'hui encore son nom n'avait pas encore été effectué. L'ancienne église médiévale se dressait encore, fort vétuste, entourée de son cimetière, en contrebas des fossés et périodiquement inondée... Le seigneur de Vitré en revendiquait toujours la supériorité, invoquant en ce sens une transaction intervenue entre la fabrique et ses hommes d'affaires. Désireux de faire consolider le pignon N.E. de l'édifice, les marguilliers avaient sollicité le rachat de quelques bâtisses attenantes à la nef qu'ils se proposaient de détruire. Le but poursuivi était de permettre l'élargissement de l'ancien cimetière paroissial qui se trouvait, depuis les fortifications, enclavé dans les possessions du baron de Vitré. Le secrétaire du duc de La Trémoille, qui rédigea alors l'acte de vente, subordonna le consentement seigneurial au paiement d'une indemnité en argent et à un certain nombre de conditions expresses [Note : Soit : 1) Le paiement de 32 sols de rente 2) l'installation d'un écusson aux armes des Laval en un lieu éminent sur le pignon de l'église du côté à reconstruire 3) l'emplacement de ce nouvel écusson aux quatre coins du nouveau cimetière 4) Le droit aux prières nominatives dans le dit cimetière le jour des Rameaux. Arch. Dép. Ille-et-Vilaine, (Proces. 1687-1727), fonds Marnières de Guer, 2 Em 53-54]. Juridiquement, il ne s'agissait pas d'un aveu au sens féodal, mais d'une simple reconnaissance de droits honorifiques, obtenue aux termes d'un acte synallagmatique parfait comportant en contrepartie aliénation de droits réels. La permission de démolition était subordonnée en effet de la part du vendeur à l'acquiescement par les fabriciens de ces impériales exigences. Nulle part la qualité de fondateur de la paroisse n'était évoquée et reconnue dans le contenu de l'acte. C'est tout au plus si le seigneur de Laval s'y faisait reconnaître le droit d'apposer deux écussons à ses armes sur la maîtresse-vitre de l'église, entre les armes de la duchesse reine et celles du seigneur de Villeneuve. Stipulant au nom des paroissiens, B. de Cacé avait tenu à réserver expressément les autres droits seigneuriaux auxquels prétendaient alors Louis des Déserts, acquéreur de cette seigneurie, proche du faubourg de La Madeleine. Dès le début du XVIème siècle, en effet, l'antique fief de Vitré à Rennes était déjà vidé d'une partie de sa substance au S. de la ville à la suite de diverses aliénations. C'est bien plutôt l'inclusion de ce qui subsistait de ces anciens héritages dans le principal du nouveau marquisat d'Epinay, suite à son acquisition et à l'union des deux seigneuries, par les La Trémoille en 1633, qui devait renverser la situation en faveur de la famille de Laval, en lui conférant simultanément la possession de cette ancienne sergentise du comté de Rennes.

 

Les origines féodales de la seigneurie d'Epinay.

Ce n'est pas en effet du château de la Rivière en Champeaux, construction embellie au début de la Renaissance, que la vieille famille d'Epinay tirait son nom et ses titres, mais d'un antique manoir situé sur la paroisse d'Acigné, derrière la forêt de Rennes. A l'époque où écrivait Du Paz, au début du XVIIème siècle [Note : Généalogie des Familles illustres de Bretagne, Epinay] se voyaient encore « les masures et ruines du dit manoir, à deux bonnes lieues de Rennes, non loin du grand chemin conduisant de Rennes à Vitré » [Note : Il s'agit de l'ancienne voie décrite par Banéat, peu visible aujourd'hui mais importante au Moyen Age, qui, par Thorigné, La Croix des Bourgeons, Le Feu, Champfleury, Sérigné, conduisait alors vers le Maine (Chemin Chasles) et la Normandie, via Livré, Vend et Saint-Hilaire-des-Landes]. De ce manoir, qui sera remplacé au XVIIème siècle par celui d'Ecures, dépendaient plusieurs métairies en Acigné et en Thorigné, avec droit d'usage dans la forêt voisine des comtes de Rennes et prééminences dans cette dernière église... A cette antique seigneurie se rattachaient en outre de nombreux petits fiefs, dont certains sis, intra-muros, d'autres au S. de la cité (Cleunay et Sainte-Foix en Toussaints, la Maltière en Saint-Jacques de la Lande, etc...). Cette ancienne famille possédait, de plus, un hôtel sis près de la cathédrale au haut de la ville, rue Saint-Denis [Note : Nunc rue des Dames]. Elle appartenait en effet depuis fort longtemps à la domesticité des comtes de Rennes et exerçait une des sergentises féodées à leur Cour. Cette charge conférait à ses possesseurs le droit de saisir les biens meubles des condamnés à mort exécutés dans cette ville, celui aussi de lever une coutume en nature sur les marchandises exposées et vendues dans la cohue à la Chair le jour de la Pentecôte.

On ignore encore les raisons précises qui conduisirent Simon, fils de Pean II, chambellan du duc Jean V à abandonner la terre de ses ancêtres dans le comté de Rennes, pour s'installer à Champeaux, aux portes de Vitré. Il y fit édifier, on le sait, une magnifique collégiale, qui sera embellie par ses successeurs. Les notables alliances que les d'Epinay contractèrent successivement avec les Chateaugiron et plusieurs familles angevines devaient bientôt les mettre en position fort enviée à la cour de France au moment de l'Union des deux pays et contribuer à leur singulière fortune... Quand Henri II érigea, par lettres patentes d'octobre 1575, cette seigneurie en marquisat en faveur de Jean II, sieur d'Epinay, il unit et joignit aux deux seigneuries primitives d'Epinay et de la Rivière en Champeaux sous Vitré, les débrits de l'antique chatellenie de Sérigné près de Liffré au comté de Rennes. Disloquée depuis l'érection de Chevré en faveur de la baronnie de Vitré, Sérigné étendait son territoire sur plus de cinq paroisses entre Ercé et Gosné sur les lisières de la forêt des anciens comtes de Rennes. En 1604, Henri IV adjoignait au nouveau marquisat la chatellenie de Sauldreccourt en Louvigné de Bais, plus à l'est. En 1611, lorsque la reine régente confirma l'érection de cette seigneurie, elle s'étendait sur 43 paroisses de Châteaugiron à La Guerche et des faubourgs de Rennes aux portes de Vitré. Charles d'Epinay, décédé en 1609 étant le dernier mâle de sa descendance, une dispense fut accordée en chancellerie en faveur de sa sœur, la dame de Sechomberg, épouse du maréchal de France.

On comprend que la famille de La Trémoille, qui s'était opposée antérieurement sans succès à l'érection au cœur de son domaine de ce puissant marquisat [Note : Les Lettres furent enregistrées par le Parlement de Bretagne le 20 septembre 1576], ait cherché par tous moyens à l'acquérir. Elle pensait par là mettre fin aux interminables litiges nés de l'imbrication des deux seigneuries... L'érection royale avait en effet compliqué singulièrement la situation juridique de ces fiefs très divers et très dispersés, désormais regroupés artificiellement sous la dépendance directe de la Couronne. N'étaient-ils pas pour partie fiefs baronnaux et médiats en Bretagne, pour partie fiefs de sergentise, dépendant directement du roi par l'intermédiaire du comté de Rennes ? La hiérarchie féodale s'en trouvait par là profondément disloquée.

En 1633, l'ensemble du nouveau marquisat était mis en vente et adjugé aux Laval pour la somme de 303 000 livres [Note : Environ 600 millions de nos francs actuels]. C'était un prix intéressant pour l'acquéreur qui s'empressa, au cours des années suivantes, sa famille étant déjà criblée de dettes [Note : Henriette de La Tour d'Auvergne cherchait alors à se dessaisir de ses fiefs de Quintin et de Montfort (Gaol.)] d'en détacher plusieurs petites seigneuries (Sérigné, Sauldrecrout, etc...) pour les vendre séparément à des conditions plus avantageuses. Ces ventes comprirent finalement tout Espinay à Vitré, une partie d'Espinay à Champeaux (avec le château de la Rivière), une partie enfin de l'ancienne seigneurie d'Espinay près de Rennes.

Après tous ces démembrements, le corps du marquisat n'existait plus et le titre était éteint. Mais il restait encore au duc de La Trémoille 34 fiefs répartis sur une douzaine de paroisses, les unes aux environs de Champeaux, les autres près de Rennes qui lui permettaient, avec les débris, anciens fiefs de Vitré à Rennes, de relever impunément divers droits honorifiques, attachés à ces anciennes seigneuries du comté de Rennes. L'usage se garda désormais de parler d'« Epinay à Champeaux », d'« Epinay à Rennes » et, par pure complaisance, de la « Vicomté de Rennes », alors qu'il ne s'agissait là pour l'ancien baron de Bretagne que d'un titre royal purement honorifique.

En 1715, lors de la grande vente opérée par les La Trémoille, les organisateurs prirent soin de regrouper en un seul lot tout ce qui restait de terres autour de Champeaux, lesquelles furent adjugées séparément à des marchands de biens, qui s'empressèrent de les revendre, en 1719. La seigneurie d'Epinay à Rennes, pour sa part, laquelle s'exerçait en l'auditoire de cette ville, fut achetée en bloc le 22 juin 1715 par le comte de Lannion, maréchal de camp des armées du roi. Dès lors, par synoecisme, les restes du défunt marquisat d'Epinay se trouvaient réunis d'office avec les anciens fiefs de Vitré, au sein de la pseudo-vicomté de Rennes...

La réformation de l'important terrier de cette seigneurie, rendue nécessaire par ces dévolutions successives, se poursuivit après la mort du comte de Lannion, sous l'égide de son fils Anne. Ce dernier, héritier de sa charge de lieutenant général des armées du roi, périt à Guestalla en 1734.

Son héritier Hyacinthe, nommé gouveneur de Minorque, en 1753, décédait à son tour à Mahon en 1762, à l'âge de 42 ans, laissant deux filles : l'une Françoise, épouse de Fr de La Rochefoucaut-Liancourt, eut en partage la « vicomté » de Rennes. Les biens de cette seigneurie ne tardèrent pas à être mis de nouveau en vente. Ils échouèrent à Jean René de Marnières, marquis de Guer [Note : Le 3 mars 1776, le marquis de Guer, alors président à Mortier au Parlement de Bretagne était reçu solennellement à l'église de Toussaints. Emigré à Jersey en 1791, il mourut à Rennes le 4 septembre 1804] pour la somme de 378.000 livres. Dans l'acte de vente, il n'y est plus question du « marquisat d'Epinay à Rennes ». Comme celui-ci avait, depuis longtemps disparu, on continua à désigner ces biens sous le nom générique de « vicomté de Rennes ».

 

Vicairie ou sergentise ? La querelle entre P. Hévin et l'historien Le Baud.

« On ne s'amusera point », fait observer le jurisconsulte, « à toucher en détail les contradictions ridicules et les faussetés dont est emplie la narration de Le Baud, comme quand il dit que sa Guernagaude n'avoit point seulement les devoirs et coutumes de Rennes appelées vicairies (sic), mais qu'elle avoit aussi le château et les coutumes d'Auray et encore le port et les coutumes de Vannes, et quand il ajoute qu'il avoit encore la garde de tous les châteaux de la province, c'est le comble de l'absurdité... car la vicairie qu'il attribue au père de Guernagaude n'étoit point une vicomté ou seigneurie apanagère en dignité, par éclipse ou partage du comté, mais un office subalterne de gardien de château. Simple office à gages révocable, lequel depuis plus de six cents ans a cessé d'exister ».

Ainsi Hévin ne nie point que le baron de Vitré ait pu posséder des fiefs dans la ville de Rennes... Mais de telles possessions ne sauraient être confondues avec les coutumes « que Le Baud attribue à sa Gernagaude ». L'avantage d'avoir des fiefs à Rennes est-il si original ? Non, répond le jurisconsulte, « il est au contraire commun à trente autres seigneurs, comme le seigneur évêque, le chapitre, l'abbé de Saint-Melaine, l'abbesse de Saint-Georges, le baron de Fougères, le sire de Matignon, les sergentines fieffées de Rennes comme celles de Brécé et Epinay... Tous ces seigneurs ont pu prétendre de toute antiquité au partage des coutumes qui se lèvent à Rennes, sans se dire pour autant vicomtes de cette ville ».

Se référant au commentaire de Bertrand d'Argentré au chapitre des appropriances [Note : Op. cit. Commentaire. Art 265], Hévin rappelle alors que seules y étaient assujetties, les choses séparées du fief principal « comme le sont plusieurs, acquises en divers temps ou venues de successions » [Note : A ces fiefs on a coutume de donner le nom de la principale seigneurie comme « Vitré à Rennes », « Fougères à Rennes », « Malestroit à Dol », « Beaufort à Dinan ». D'Argentré s'explique à ce sujet : « Sunt enim iita per saepe ex concessione a capiti separat, divers jure, causa comparat, ideoque principale domino vendito non cede rint, ista ut per se stantia, nec coherentia a capiti » (ibid)]. Il s'autorise de l'opinion du grand jurisconsulte (Art. 277) [Note : « Ista feudae non sunt enim eorumdem limitatorum : non sunt primario feudo adjecunti ut partes sed ut principalia adnexa » (Art 277) (289 de la Nouvelle Coutume)] pour en tirer les conclusions suivantes :

A Vitré à Rennes, fief séparé de la baronnie, n'est ni de la nature, ni de la condition de la seigneurie de Vitré.

B. Il ne porte ce titre que par l'usage qui s'est introduit en Bretagne de communiquer aux terres acquises ou échues aux grandes seigneuries le nom de la principale d'entre elles.

C. Il n'y a jamais eu d'union effective de ce fief à la seigneurie de Vitré, non plus que pour les chatellenies d'Aubigné, de Mézières, de Chevré, ces choses n'étant point de la première concession, mais bien pièces rapportées, venues d'acquisitions par mariage ou autrement.

En conséquence, le baron de Vitré, maître en sa ville ne saurait l'être à Rennes et n'y percevoir de coutumes que par la concession de son suzerain. Ces cinq deniers qu'il fait prélever sur chaque maison, tant sur le territoire de son maître que sur celui d'autre seigneurs, ne sauraient constituer qu'un simple devoir de guet (sic) lié à une commission de garde, commission révocable ad nutum. Tout autre est la situation d'un véritable vicomte. Il jouit des revenus de la ville « jure domini, non excausa officii ». Aux yeux de P. Hévin, jurisconsulte moderne, profondément imbu des concepts du droit romain, « le droit de l'un n'est pas moins opposé au droit de l'autre que le jour à la nuit ».

D'où vient-il cependant que certains de ces officiers subalternes, préposés à l'origine à des fonctions de simple police, se soient confortés ensuite dans une position vicomtale factice au point de disputer au comte ses droits de haute justice ? A la suite de quelles vicissitudes les titulaires de simples gages féodés sont-ils parvenus à libérer leurs fiefs de toute obligation domestique pour les faire tenir en pleine franchise ? « C'est une admirable fiction » écrit Pierre Hévin « que la métamorphose d'un simple sergent féodé en juge ». Car enfin, quelles étaient les fonctions primitives de ces auxiliaires de la justice ? De leurs propre aveux, elles se réduisaient à faire des exploits d'ajournement, des exécutions de meubles, quand ils en étaient requis, à conduire les gens à l'audience, à garder les personnes retenues dans les prisons du duc, à faire procéder aux exécutions capitales. Le jurisconsulte rappelle les exactions dont s'étaient rendus coupables ces officiers au XVème siècle. N'avait-on pas vu le grand voyer de Cornouaille étendre sa compétence sur le marché de la terre au duc à Quimper ? Parmi ces abus, le plus grave avait consisté pour ces officiers, devenus héréditaires, de commettre en leur lieu et place d'autres personnes pour s'acquitter de leurs charges et surtout « d'intervertir leurs gages par des venditions et échanges qu'ils faisaient de fonds libres soit du tout, soit de la plus grande partie » [Note : Hevin Questions Féodales op. cit., p. 14-16. Voir aussi : Raymond Delaporte. Les sergents et voyers féodés en Bretagne avant la fin du XVème siècle, thèse de droit, Rennes, 1939, passim.].

A relire les judicieux raisonnements du jurisconsulte rennais, on peut s'étonner qu'ils aient été finalement sans influence sur la décision judiciaire qui intervint en Cour de Rennes. Le mémoire de P. Hévin, incorporé ensuite aux Questions Féodales par son fils n'est point daté, mais une allusion dans le cours de ses développements permet d'inférer la date de 1688. C'est donc sur cette consultation que fut rendu l'arrêt du 28 novembre 1689. Or, par cet arrêt qui faisait suite à plusieurs autres [Note : Arrêts du 28 novembre 1686, 10 décembre 1687, 17 juillet 1688], le Parlement de Bretagne reconnaissait bel et bien au duc de La Trémoille certains droits de supériorité sur l'ancienne église de Toussaints, objet principal du litige. Le 2 septembre 1702, les commissaires à la réformation du domaine royal de Rennes rendaient une sentence conforme à la jurisprudence antérieure [Note : Arch. Mun. Rennes, 9G].

 

Conclusions.

Le long procès fait aux seigneurs de Vitré en impunissement de leurs aveux au sujet de leur prétendue supériorité sur certains édifices du comté de Rennes n'aura finalement été pour le jurisconsulte rennais qu'un prétexte pour étaler sa science qui était grande, pour confondre aussi l'orgueil de la puissante famille de La Trémoille et les assertions de leur chroniqueur Le Baud. L'avocat rennais s'en prend aux hommes d'affaires des Laval, lesquels, selon lui, « estoient plus... avares et plus pillards, plus méchants que leurs prédécesseurs Gharrault et Fiacre... » (sic).

P. Hévin, ne l'oublions pas, était un jurisconsulte moderne qui maniait habilement les concepts romanistes et les plaçait bien au-dessus des traditions féodales ou coutumières, issues du lointain Moyen Age. D'où ses jugements hautains et durs à l'égard de ceux qui prétendaient contester sa science. « Que Le Baud soit tombé dans ces bévues, on ne peut s'en étonner, écrit-il » mais qu'un homme savant les défende et en ajoute d'autres, on a sujet d'en être surpris. Empreint de rationalité classique, P. Hévin s'érige en effet en historien critique. Il s'en prend à ce qu'il nomme « la terrible ignorance de Le Baud ». « Il a rempli son histoire des fables du roi Arthur et des prophéties de Merlin » s'écrie-t-il plus loin. Dom Lobineau, son contemporain, est plus indulgent à l'endroit du vieil historiographe breton. A défaut de ses qualités de discernement, il vante volontiers sa vivacité, sa saveur et sa bonne foi naïve... Hélas, quel historien est exempt d'erreur ? Hévin qui paraît avoir ignoré certaines pièces du chartrier des La Trémoille, dont l'inventaire a été dressé plus tard, n'a guère de leçons à nous donner en qualité d'historien. Juriste classique, il combat ce qu'il estime être usurpation de titres couverts alors par la Chancellerie Royale en Bretagne pour des raisons que nous avons expliquées plus haut. Dans son argumentation, il paraît cependant avoir été victime d'une classification, trop systématique dans la hiérarchie [Note : Traité des Seigneuries] seigneuriale, celle-là même introduite par le publiciste Loiseau. C'était oublier les effets pervers qu'érections et démembrements de justices ne devaient pas manquer de perpétuer en marge de la structure traditionnelle du duché. Ne faut-il pas plutôt incriminer ici le rôle néfaste de la Chancellerie, de la Cour de Parlement ? En couvrant de son autorité ces partitions et ces regroupements de justices, elle sera conduite à favoriser des coalitions d'intérêts, purement féodales, dont le retournement ne pouvait que lui être fatal, lorsqu'éclata la Révolution.

(Michel Duval).

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