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L'ancienne cathédrale gothique de Rennes (1180-1758) |
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Si la ville de Rennes est pauvre en édifices romans ou gothiques, la faute n'en revient point, comme on l'a prétendu, au fameux incendie de 1720, pas davantage à la crise révolutionnaire qui laissa subsister le beau clocher roman de l'église Saint-Pierre en Saint-Georges, près de l'abbaye du même nom, encore visible en 1820. Par contre, dès la fin du XVIIème siècle deux monuments importants de l'époque romane avaient déjà disparu : La tour de l'ancienne abbatiale Saint-Melaine, démolie en 1672, et la façade primitive de la cathédrale médiévale, abattue dès 1535, pour céder la place aux deux tours néo-classiques du portail occidental qui ne devaient être achevées qu'à la fin du XVIIème siècle. Finalement, le chœur roman ainsi que la nef gothique de la première cathédrale survécurent bel et bien au sinistre pour n'être abattus définitivement qu'à partir de 1758. De quel édifice s'agissait-il ? Pourquoi cette décision fut-elle prise brusquement alors que la réédification de la cathédrale actuelle devait encore trainer pendant près d'un siècle ?
Les sources.
J. de La Bigne de Villeneuve, fut le premier à la fin du Second Empire [Note : Bul. Mém. de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine, tome I, 1862, p. 261 et sq. Voir aussi Mém. de l'Assocition Bretonne, tome II, 1850, 2ème partie: Édifices religieux et civils de Rennes, p. 104 à 109 et p. 158 sq. (Manoir épiscopal)] à s'intéresser à cet ancien édifice, déplorant la disparition presque complète de son riche mobilier dont ne subsistent aujourd'hui que quelques rares vestiges. Si le beau rétable flamand du XVème siècle qui se dressait au fond du chœur a pu être réintégré dans une des chapelles de la nouvelle cathédrale, après bien des vicissitudes, nombre de gisants ont aujourd'hui disparu, à l'exception de celui de J. Guibé, conservé au Musée et rien ne subsiste des rétables, motifs architecturaux, jubé et verrrières, ni des très belles stalles qui l'ornaient. Il est regrettable que le procès-verbal de 1755 ne décrive pas avec soin les sujets qui figuraient sur les anciennes verrières, dont nous ignorons toujours les auteurs. Il a du moins le mérite de nous avoir conservé la nomenclature des écussons et autres intersignes qui figuraient dans les différentes chapelles. Les Archives départementales d'Ille-et-Vilaine renferment [Note : AD. Ille-et-Vilaine et V.C. 1187] avec l'original de cet inventaire, la copie dactylographiée annotée par Palustre que ce dernier publia, il y a un siècle, dans les colonnes du Bulletin monumental (années 1877-1883) ; le plan qui l'accompagnait (1755) n'est pas le seul qui soit resté en notre possession [Note : Publié ci-joint (A. D. Ille-et-Vilaine C 1186)]. Un autre, dressé trente ans auparavant par l'architechte Huguet (1725) est conservé au Musée de Bretagne, et les services de l'Inventaire possèdent également en clichés le plan de l'ancien manoir épiscopal étudié naguère par Parfouru et publié dans la suite par Banéat [Note : Parfouru. Bul. S. A. Ille-et-Vilaine, 1895, p. 221 et Baneat-Rennes, p. 326-327]. L'état des lieux dressé en 1751 par Chocat de Grandmaison, architecte en chef de la province, n'a, par contre, fait l'objet d'aucune publication [Note : A. D. Ille-et-Vilaine C. 1186]. Ces documents ont déçu les universitaires rennais : aucun d'eux ne contenait en effet de données précises sur l'élévation et l'aspect extérieur de l'ancien édifice. Les vues cavalières du XVIIème siècle, en particulier le fameux plan d'Argentré ne nous fournissent à ce sujet que des approximations assez grossières.

Les sources écrites assez disparates dont nous disposons, en particulier les comptes et les archives du chapitre paraissent avoir été jusqu'ici assez mal exploitées, à l'exception de celles ayant trait à la construction des deux tours de la façade néo-classique. Ces travaux ont été axés essentiellement sur la chronologie des dites tours. A vrai dire ce sont surtout les premiers plans ou projets de reconstruction de la cathédrale, ceux d'Abeille, de Soufflot et de Crucy qui se sont succédés sans voir le jour dans les dernières années du règne de Louis XV qui ont retenu en 1916 l'attention d'André Mussat et de Denise Delouche dans l'étude publiée au tome 79 de notre Bulletin [Note : La Cathédrale Saint-Pierre de Rennes (t. LXXIX, p. 69 à 81 pl.h.t.)]. Mme Guilloté, dans un D.E.S, soutenu en 1972 [Note : 220 p. dactyl. Déposé aux Arch. Mun. de Rennes] a consacré une cinquantaine de pages liminaires à l'ancien édifice. Se reférant aux traditions antérieures rapportées par le chanoine Guillotin de Corson, elle s'est bornée par ailleurs à démarquer Palustre, en structurant ses observations, sans s'expliquer sur les lenteurs surprenantes de sa construction, qui sont à l'origine du manque d'unité que les historiens de l'art lui ont reproché dans la suite. Or celles-ci sont inséparables, de la constitution tardive du régaire épiscopal ainsi que du manoir primitif de l'évêché, l'un et l'autre étant antérieurs à l'édification de la cathédrale médiévale.
La démolition de la vieille cathédrale qui sera suivie quelques années après (1785) de celle de l'ancienne résidence épiscopale transportée à l'abbaye Saint-Melaine, était-elle inéluctable ? Quand on sait qu'il faudra encore plus d'un siècle pour voir l'achèvement de la cathédrale actuelle, quand on mesure aussi la distance qui sépare l'édifice néo-classique actuel des normes et des perspectives envisagées par les architectes du XVIIIème siècle — le plan d'Abeille, cruciforme, ne prévoyait-il pas d'envelopper l'ancien chœur roman —, on s'aperçoit que la question avec ses arrières-plans logistiques et surtout financiers mérite d'être soulevée et débattue à nouveau.
Origine et fondations.
La tradition veut qu'en 1071, à l'occasion de son sacre, Geoffroy, comte de Rennes, ait fait don à Sylvestre de La Guerche et à ses successeurs de la paroisse de Bruz au sud de Rennes, du faubourg l'Évêque hors des murs et intra-muros de « tout ce qu'il avoit dans le cloître de Saint-Pierre » avec divers droits de pêche et de coutume. Le nouvel évêque n'était autre que le fils du puissant seigneur de Pouancé en Anjou qui tenait La Guerche sur les marches du comté de Rennes. C'était sur les instances du fils d'Alain III que Sylvestre, alors marié, avait consenti à faire sa paix avec le « dux Britaniae » et à accepter le siège épiscopal de Rennes qu'il devait conserver jusqu'en 1096. Le nouveau régaire n'était-il pas le fruit tardif d'une transaction éminemment diplomatique ?
C'est alors sans doute que disposant désormais de quelques revenus, en vérité assez maigres, les évêques, ses successeurs, consentirent enfin à abandonner l'abbaye Saint-Melaine où ils demeuraient depuis longtemps déjà pour s'installer intra-muros. Ils devaient y disposer d'un logis, d'une chapelle, d'une cour et d'un parc. C'est du moins ce qu'il appert du discours flatteur dont se targue le très humaniste Étienne de Fougères. La Bigne de Villeneuve en a retrouvé la trace dans un manuscrit des Épitres de Saint-Paul conservé à la Bibliothèque de Rennes. Sur l'avant dernier feuillet, l'évêque éprouve le désir de consigner pour mémoire les actes de sa gestion temporelle, les acquisitions et les fondations qu'il a faites dans l'intérêt de son église de Rennes. Il n'y est encore question que d'une chapelle sise « dans son verger, entre la muraille et le puits », alors consacrée à la Vierge (Notre Dame de la Cité (?)... Nous y apprenons que cet édifice qu'il avait fait fenestrer, ainsi que son logis, venaient d'être entièrement dévorés par un incendie, ce qui avait conduit l'évêque à réédifier un palais de pierre « palatum lapideum » long de 100 pieds et clos de murailles. Il n'est fait alors nulle mention d'un nouvel édifice intra-muros appelé à y abriter un chapitre permanent pour le service divin. L'initiative en revient en effet à son successeur l'évêque Philippe, deux ans après sa mort en 1180. Cette année là le Nécrologe de Saint-Pierre, dont nous possédons une copie du XVème siècle mentionne : « Aprilis VI. Obiit Philippus... dedit et concessit beato Petro suisque canonicis... ipsa et primam ecclésiam novam Sancti Petri incipit aedificare » [Note : Guillotin de Corson. Pouillé. t. I, p. 60]. Ce moine cistercien, abbé de Notre-Dame de Fontaine dans le diocèse de Tours venait de fonder dans le Maine près de Laval un nouveau monastère appelé à devenir la puissante abbaye de Clermont. C'était alors l'épanouissement de la réforme Grégorienne et l'accession à l'épiscopat de ce moine rénovateur ne pouvait que symboliser l'affermissement de l'autorité de l'Église bafouée jusque là intra-muros par divers seigneurs féodaux : au rang desquels l'abbaye Saint-Melaine, elle-même, qui y possédait un oratoire (Saint Symphorien) d'ailleurs fort mal desservi par les moines. L'obituaire du XVème siècle aurait-il eu recours au récit miraculeux de la découverte d'un trésor caché sur l'emplacement de la future église, si la nécessité ne s'était pas fait sentir alors de retrouver et de consacrer une tradition plus ancienne conservée dans les fastes épiscopaux mais galvaudée depuis longtemps dans les sentines d'un monastère décrié ? La découverte bien tardive en 1774 de la fameuse patère d'or, à vrai dire inopinée, sera bien venue pour accréditer au siècle suivant le prestige d'un évêché demeuré jusque-là assez obscur, lorsqu'il fut élevé par le Saint-Siège au rang primatial de Bretagne. Au reste, de telles trouvailles « romaines » auraient été de peu de poids à l'époque prétendue, pour procurer à la fabrique les ressources nécessaires à la construction immédiate de l'édifice.
Les moyens financiers.
Nous ne sommes renseignés sur les revenus de la fabrique de la cathédrale qu'à travers le « Livre des Usages », à partir de 1415 seulement. Au début du XVème siècle, l'évêque et le chapitre devaient contribuer, chacun pour moitié à l'entretien de l'église. La fabrique jouissait alors du quart des revenus des autres églises paroissiales du diocèse, l'année qui suivait la vacance de chaque cure. Elle pouvait aussi bénéficier des oblations faites aux reliques déposées « hors du cœur » de l'église dans les troncs disposés à cet effet. Or ces reliques étaient peu nombreuses : celles de Saint-Golven et le crâne de Saint-Hervé, lequel n'avait été transféré à Rennes que le 23 août 1336. Certes un tiers de toutes les quêtes faites dans le diocèse appartenait aussi à la cathédrale [Note : La Bigne de Villeneuve. Op. cit. et note manuscrite (A.D. Ille-et-Vilaine 1F 154 et 162)]. S'y ajoutaient quelques rentes données par divers personnages en vue de la fondation d'obits ou de services particuliers, ainsi que la moitié des honoraires dus par les particuliers pour les sonneries faites à la cathédrale. En fait ces ressources assez modestes, alors gérées par un chanoine ne couvraient guère que les frais courants d'entretien de l'édifice : la couverture, les cloches, « à curer et nettoyer l'église pour les festes et lorsqu'elle en a mestier (besoin), visiter et réparer les vitres et la fournir des clefs et de claveures » (serrures) [Note : Guillotin de Corson. Op. cit. p. 265].
Toutes autres étaient les ressources du chapitre. Ce dernier, qui élisait l'évêque et se composait au XVème siècle de 16 chanoines, était tout puissant dans la cathédrale [Note : Ibid, p. 186 et sq. A.D. Ille-et-Vilaine G 247 (Titre de fondation)]. Il possédait juridiction et rentes seigneuriales sur sept baillages, un four banal, ainsi que le quart des moulins du Bourg l’Evêque. Il jouissait d'un droit de foire aux Pollieux, à la sortie de ce bourg, ainsi que d'une redevance en nature d'un pot de tonne de vin vendu aux issues de la Ville. A ces profits s'ajoutaient des pensions payées par de nombreux recteurs ou prieurs, des dîmes levées à Toussaints ainsi qu'un droit synodal. Les masses capitulaires, dont beaucoup d'origine régulière remontaient au milieu du XIIème siècle étaient desservies anciennement dans les chapelles distinctes éparses dans la ville (Saint-Denis, Saint-André...). Elles existaient encore en 1728, et ne seront réunis que tardivement après l'incendie, au bénéfice de la fabrique par l'évêque Mgr Le Tonnelier de Breteuil. Ces anciennes fondations monastiques n'étaient dotées que de faibles revenus immobiliers. Au XIème et au début du XIIème siècle, les chanoines de Rennes, encore peu nombreux avaient consenti en effet à se dépouiller en faveur de religieux réguliers dont ils attendaient alors une assistance permanente au service divin qu'ils étaient apparemment impuissants à assumer seuls.
Ces ressources bénéficiales dont nous avons pu mesurer dans une précédente étude [Note : M. Duval. Anciens prieurés réguliers. (Mém. Soc. Arch. Ille-et-Vilaine, t. LXXV, pp. 55-63)] la faible consistance étaient-elles suffisantes pour faire face de temps à autre à de grosses réparations ? Il est permis d'en douter… Le problème se posera nous le verrons, d'une manière aiguë aux XVIIème et XVIIIème siècles, alors que jusqu'à cette époque l'argent ne paraît pas avoir manqué pour embellir les chapelles et multiples fondations laïques et ecclésiastiques qui s'y étaient installées au cours des siècles.
Nulle part on ne trouve trace, avant le XVIIème siècle, d'une intervention directe, de la communauté de ville aux dépenses de construction de la cathédrale. Du côté des ducs de Bretagne, aucune avant Charles de Blois. Les fastes épiscopaux se complaisent à décrire le rituel imposant qui aurait accompagné en 1213 le sacre et la prestation de serment du nouveau baillistre Pierre de Dreux devant l'autel de la nouvelle cathédrale Saint-Pierre. Il nous est minutieusement décrit dans le « Missel de Michel Guibé » (vers 1480) conservé aux archives de Chapitre. L'Église de Rennes avait d'autant plus d'intérêt à rappeler les immunités et coutumes de l'évêché [Note : Pouillé. T 1 p. 114 et sq. A.D. Ille-et-Vilaine G 195] que le nouveau duc — un Capétien — paraissait peu disposé à les respecter. On s'en apercevra peu après dans l'apre dispute qui opposa le comte à l'évêque de Rennes lors de l'édification des nouvelles murailles de la ville. C'est à cette époque que disparut l'ancien château de Rennes et sa chapelle priorale fut transférée à la cathédrale (prieuré Saint-Michel). Rennes ne sera plus désormais, en permanence, la véritable résidence ducale. Peut-être faut-il voir là une des raisons de la non intervention des ducs suzerains dans la poursuite des travaux de la cathédrale ?
Un chantier de deux siècles.
La construction de l'édifice ébauchée par l'évêque Philippe fut poursuivie par son successeur Herbert, cistercien comme lui, élu en 1184. Une tradition rapportée par le Livre des Usages veut en effet que ce dernier ait « ressuscité » (sic) un enfant écrasé par un chariot de pierres destiné à ce chantier... L'évêque Herbert sera enterré en 1198 dans le chœur du nouvel édifice dans un caveau où fut retrouvé son sceau le 10 janvier 1756. C'est en effet par le chœur (caput) que débutèrent les travaux : Ainsi, paraît l'indiquer le nécrologe de Saint-Pierre. Sans doute enveloppa-t-on une construction dont le dessin avait déjà été réalisé, en l'aggrandissant et en lui donnant une forme plus complexe : « meliore schemata » soit un cardo avec des chapelles rayonnantes autour du chœur. C'était là le plan poitevin en l'honneur à l'époque (Saint-Savin, Chauvigny, etc...). Il paraît avoir inspiré chez nous d'autres édifices [Note : Roger Grand. Art Roman en Bretagne]. C'est vers le milieu du XIIIème siècle que se situent la construction de plusieurs chapelles latérales, dont la forme sera profondément modifiée dans le courant du XVème siècle. Ainsi, vers 1243, fut édifiée la chapelle Saint-Martin [Note : Sur l'origine du prieuré Saint-Martin, cf. Pouillé 1239] à l'initiative de Geoffroy de Pouancé et des seigneurs de La Guerche.
Cet élan toutefois s'essoufla assez rapidement, et la construction de la nef resta encore en plan pendant plus d'un siècle. Il ne paraît pas que la population y ait alors été admise, le chœur étant pratiquement limité au service des chanoines, et de la psalette. Si on excepte deux autres tombes d'évêques qui purent être alors identifées, aucune preuve ne subsiste de l'ensevelissement dans le chœur des huit prélats qui succédèrent à Herbert tout au long du XIIIème siècle. Parmi ceux qui siégèrent au siècle suivant, notons seulement Alain de Châteaugiron (1328) et Raoul de Tréal (1383). C’est ailleurs aussi qu'il faut rechercher à cette époque les enfeus de nos ducs (Prières, Ploërmel, etc...);
Ce ne fut qu'au milieu du XIVème siècle que les murs de la cathédrale Saint-Pierre furent tapissés d'hermines. Cette initiative ne paraît pas remonter avant le règne du duc français Charles de Blois [Note : Pouillé, t. 1 p. 267]. On peut lire en effet dans l'ancien martyrologe de Rennes, daté du XVème siècle, et annoté au XVIIème que c'est lui qui fit faire, pour plus de 1000 livres « la grande vitre que l'on voyoit du costé de l’evesché » (la grande rose de transept septentrionale) ainsi que les autres vitres du chœur. Il fonda également quelques autels dans le transept ainsi que trois chapelles, deux en l'honneur des anciens rois de Bretagne : saint Salomon et saint judicaël, une troisième placée sous la protection d'Yves de Kermartin qui venait d'être canonisé en 1343 et dont quelques reliques furent distribuées entre trois églises de Rennes, dont la cathédrale. Il faut attendre le 2 novembre 1359 pour voir l'église consacrée officiellement sous l'épiscopat de Pierre le Guéméné. La nef paraît avoir été achevée à cette époque, mais elle n'était encore recouverte que d'une charpente de bois. Quant au clocher-porche occidental, il ne sera exécuté que plus tard, tandis que la tour était achevée hâtivement au début du XVème siècle.
En 1527, un architecte Thomas Pilhourt était désigné par le chapitre pour procéder à la consolidation des murs du chœur du côté sud. Six ans plus tard, en 1533, c'était la récente tour de l'église qui inspirait des inquiétudes et la fabrique ordonnait son arasement à mi-hauteur. En 1537, l'évêque Yves Mahyeuc s'engageait à consacrer à son relèvement ainsi qu'à celui du clocher-porche le produit du don synodal. Ce revenu étant jugé insuffisant, le roi François 1er ordonnait à tous les bénéficiers, le 4 février 1540, de verser le quart de leurs rentes pour la construction d'une nouvelle façade et la restauration du mur latéral du côté du manoir épiscopal [Note : A. D. Ille-et-Vilaine 1F 151. Pouillé, I, 268].
Aspect général de l'édifice.
Telle qu'elle se dressait encore en 1756, avec ses deux tours néoclassiques achevées entre temps, l'ancienne cathédrale de Rennes, à travers son chœur roman, sa nef gothique, ses autels latéraux et rayonnants (XVème-XVIIème siècles) présentait un ensemble assez hybride semi-ogival, semi-néo-classique, très baroque dans sa décoration intérieure.
La Nef.
Orientée est-ouest, Saint-Pierre avait 114 mètres de longueur, en œuvre, 114 hors d'œuvre. La nef, assez étroite, ne mesurait que 22 m. de large, le transept 34 m. Au sud du chœur se voyait une sacristie double, de dimensions rectangulaires, accolée à l'édifice dans le courant du XVème siècle, le plan était grossièrement celui d'une croix latine, avec un transept assez peu saillant. Des bas-côtés entouraient la nef. Le chœur, dont la longueur égalait à peu près celle de la nef, se terminait en hémicycle ouvrant sur six chapelles rayonnantes, remaniées au XIVème et surtout au XVème siècles. D'autres chapelles étaient venues orner le transept et le collatéral sud de la nef au cours des deux siècles suivants. C'est assez dire que cette cathédrale édifiée lentement au coup à coup, ne présentait aucune unité architechturale. C'est ce vice majeur aux yeux des modernes qui lui sera reproché dans la suite.
Extérieur.
Comment était-elle aspectée du dehors ? Un clocher apparaît nettement à la jonction de la nef et du transept dans les vues cavalières de la ville au début du XVIIème siècle [Note : Plan d'Argentré]. Sans doute s'agit-il de celui qui sera détruit en 1747, pour raisons de sécurité, à l'initiative de Chocat de Grandmaison. Nous ignorons à quelle époque il fut édifié. Le plan de 1755 relève au nord-est du transept l'existence d'un escalier qui devait y conduire. Les bas-côtés formaient un étage inférieur de chaque côté de la nef, couverte en bâtière et partiellement en ardoises. Le procès verbal de démolition nous apprend que l'église était construite en pierres des pays de Vilaine. On avait eu recours à des moëllons tirés des carrières de Saint-Cyr, du Tertre Joué, de Fontenay, de Brays (?)...D'autres matériaux, cependant, étaient originaires du Val de Loire. Le rédacteur mentionne en effet expressément la présence de « pierres tendres » [Note : A. D. Ille-et-Vilaine C 1188].
C'et édifice était-il convenablement étayé ? Divers témoignages attestent la présence d'arcs-boutants dont nous ignorons à quelle époque ils furent édifiés. Le terrier de 1646 en signale au Midi, le long de la croisée de la nef dit côté d'une ruelle conduisant à la rue du Chapitre, jouxte l'ancienne trésorerie [Note : A.D. Ille-et-Vilaine F 149]. Dans son procès-verbal antérieur à l’inventaire qui précéda la destruction Chocat de Grandmaison signale ces contreforts qui paraissent, dit-il, avoir été construits au fur et à mesure que leur élévation était nécessaire pour résister aux poussées du côté du vide, sans doute dans le courant du XVème ; peut-être même plus tard...
Les ouvertures ne nous sont pas toutes connues. Seules les verrières du chœur, dont nous avons conservé la description, méritent d'être signalées et peuvent être à peu près datées [Note : P.V. de février 1755. Palustre. op. cit. A.D. Ille-et-Vilaine 1 F 239-240 (Copie La Bigne de Villeneuve)]. Une maîtresse vitre se voyait au haut du chevet. Les bas-côtés étaient sans doute plus mal éclairés. L'existence de bâtiments adventices obscurcissait la nef et le transept, lesquels étaient mal dégagés des ruelles tortueuses et étroites qui l'enserraient.
Longue de soixante mètres et accostée de deux bas-côtés, la nef était, depuis 1686 démolie jusqu'à la naissance des voûtes et une cloison de bois permettait seule l'accès à la partie supérieure de l'édifice seule utilisée alors pour le culte... Apparemment, les deux nouvelles tours, alors en cours d'achèvement sur la façade, ne donnaient point au début du XVIIIème, siècle accès direct au chœur, on pouvait y pénétrer cependant par une porte ouvrant sur le jardin du manoir épiscopal.
Au XVIIIème siècle se déployaient encore quatre travées séparées par des piliers de deux sortes : les trois premiers de chaque côté, de base polygonale, avec fut principal carré, le dernier par contre, formé de quatre colonnes engagées. Il n'est pas sûr que la partie centrale de la nef ait été voûtée en pierres. Par contre, les bas-côtés laissaient voir des « voûtes d'ogives faites en petit appareil ». Les murs et les piliers étaient « chargés d'hermines sans nombre » et les quatre clefs de voûte de chaque côté décorées d'« écussons et figures » [Note : Palustre, p. 89-90]. Ainsi la première clef de voûte du bas côté sud portait les armes des Ferré. Sur la seconde du même côté, étaient représentées les armes de Saint-Pierre, sur la troisième celles des Coëtlogon. Sur la clef de voûte la plus proche du transept, se voyaient également inscrites les armes de Saint-Pierre. Deux chapelles se situaient à proximité ; l'une ouvrant sur le bas côté Sud à droite par rapport au chœur (en I sur le plan), l'autre sise entre la nef et le bas côté nord qui s'appuyait sur un des gros piliers de la croisée d'où son nom (en K).
La première [Note : Baptisée aussi chapelle de la Grille ou de Méjusseaume] d'assez grande dimension bâtie en 1414 par Bertrand de Coëtlogon, chanoine de Rennes était fermée par une grande grille de fer surmontée par une petite cloche. Éclairée par un vitrail aux armes des Coëtlogon et des Brillet, à caractère figuratif, elle renfermait une arcade gothique où se voyait le tombeau du fondateur : une grande dalle tombale où était gravée la figure du chanoine. Cette chapelle avait dû subir des remaniements postérieurs car l'autel était surmonté d'un retable en bois sur lequel se voyait représenté un évêque aux pieds de la Vierge. Il était surmonté d'une croix frappée d'un écusson aux armes de la famille du fondateur.
Fondée en 1306, par un seigneur de Châteauloger, la chapelle des Piliers était entretenue au XVIIème siècle par les Brissacs : le maréchal de Brissac, ancien gouverneur de Bretagne avait épousé vers 1625 l'héritière des Acigné et les armes des deux familles y étaient accolées. D'une longueur de 15 pieds et fermée des deux côtés par des balustrades de bois, elles renfermait, elle aussi, un retable d'autel du XVIIème siècle surmonté d'une statue de la Vierge.
Le transept.
Il était peu saillant, chaque bras de la croix mesurant huit toises de long sur quatre de large [Note : Soit 16m. sur 8]. A la croisée, deux grosses piles rondes alternaient avec deux piliers en losange garnis sur les quatre faces de colonnettes qui devaient correspondre aux principales nervures des voûtes, dont nous ignorons la forme exacte. Aux deux extrémités Nord et Sud de la croix, deux fenêtres importantes éclairaient l'édifice. Les vitraux qui les ornaient, offerts par Charles de Blois au XIVème siècle [Note : Cf. témoignage de Georges de Lesnen au procès de canonisation] étaient comme les murs de la nef chargés d'hermines. Sur le bras Sud s'ouvraient cinq chapelles. De la chapelle de la Trésorerie, débordante à l'extérieur, on accédait au transept par une porte devant laquelle se trouvait une tombe de marbre noir.
La Chapelle de la Trésorerie, sur le mur Ouest [Note : En H sur le plan ci-joint] du collatéral droit, parquettée et plafonnée en menuiserie, était ornée elle aussi d'un retable « en bois peint en vert avec des moulures dorées » avec, au centre un tableau figurant saint François. Fondée par Fr. Huart, chanoine et trésorier de la cathédrale en 1634, elle renfermait l'enfeu en marbre du frère de ce dernier, un magistrat, mort en 1658. Elle comuniquait par une porte avec la trésorerie qui remontait elle au siècle précédent.
La Chapelle Saint-Sébastien, plus ancienne (XVème siècle) [Note : En F sur le plan] s'ouvrait au fond du bras Sud de la croix du transept. Là reposait l'évêque Aymar Hennequin qui occupa le siège de Rennes de 1573 à 1596. Sur mur Sud se dressait un retable « d'ordre corinthien », en pierres tendres, encadré par des colonnes de marbre noir et orné des statues de saint Roch, saint Sébastien, et saint Jacques ainsi que d'un tableau représentant le Christ en Croix. Cette décoration était due à l'évêque Jean-Baptiste de Beaumanoir (1677-1712) dont les armes figuraient sur le retable. Derrière ce dernier se trouvait le tombeau d'un autre évêque, très vénéré à Rennes, le bienheureux Yves Mayeuc, ancien aumônier de la reine Anne de Bretagne, mort en 1535 après avoir posé la première pierre des tours de la future façade. L'arcade qui surmontait l'enfeu, construite en pierres de Taillebourg, était ornée sur ses pieds droits de trophées de la Passion sculptés peints et dorés. C'était une des rares traces de décoration Renaissance qui existait dans la cathédrale. La pierre formant le tombeau était celle d'un chanoine mort cent ans auparavant : témoignage caractéristique de la superposition de décors différents dans une même chapelle s'étageant sur plus de deux siècles. Derrière celle-ci s'élevait une sacristie, éclairée par deux fenêtres. Dans cette salle, furent retrouvées des pierres tombales du XVème siècle, époque présumée de sa fondation.
En avant de la sacristie et accolée à elle du même côté du transept, se voyait l'ancienne Chapelle de l'Ange Gardien [Note : En E sur le plan]. Fermée au XVIIIème siècle par une balustrade de bois, elles renfermait le gisant en marbre de Raoul de Tréal, évêque de Rennes de 1363 à 1383, « tombeau antique » qui s'élevait avec des reliefs environ trois pieds au-dessus du pavé. Son épitaphe était inscrite en lettres gothiques. Depuis le milieu du XVIIème, siècle cette tombe était surmontée d'un retable d'autel en bois, supporté par des colonnes de marbre et portant les statues de l'ange gardien et de saint-Michel.
Au Nord de cette chapelle, à droite de l'avancée du chœur, se voyait la chapelle Saint-Nicolas [Note : En D sur le plan]. Ornée d'un vitrail du XVème siècle, elle avait été fondée par Jean Loysel, président et juge universel de Bretagne au temps du duc François II. Au-dessus des armes de cette famille illustre figurait le cordon de l'ordre de Saint-Michel, fondé par Louis XI en 1469. Entièrement mise au goût du jour au milieu du XVIIème siècle par Jean-François Cahideuc, cette chapelle était ornée de douze balustres sculptées du côté du chœur. On y accédait par une porte encadrée de colonnes corinthiennes, ornée de nombreux écussons aux alliances de cette noble famille. Le retable sculpté en pierre tendre et en marbre, avec la statue du saint, pouvait d'après sa facture provenir de l'école de Pierre Corbineau, lequel travaillait à la construction des tours au moment de son édification.

Accostée d'un escalier et d'une porte communiquant avec la cour de l'évêché la chapelle du Voeu se dressait au fond de l'aile nord du transept.
Dite autrefois de Saint-Sébastien, elle était fermée par une balustrade à colonnes de marbre avec porte à deux battants « en voûte de pierre de tuffe sculptée » aux armes de la famille de Cornulier. En 1637, en effet l'évêque Pierre de Cornulier avait transformé cette chapelle qui remontait au XVème siècle pour répondre au vœu de la communauté de Rennes destiné à abtenir la cessation de la peste qui sévissait depuis plus de dix ans dans la capitale bretonne. Ici encore, le retable en pierres tendres et en marbre jaspé était rehaussé par un fort beau tableau représentant l'Annonciation. Une arcade sculptée protégeait la pierre tombale de ce prélat, également en marbre. C'est lui qui avait donné à Saint-Pierre de nouvelles orgues, mais nous n'en connaissons pas l'aspect exact.
Les chapelles du transept avaient été, on le voit, rénovées et richement décorées dans le courant du XVIIème siècle par des artistes de qualité contemporains de ceux qui travaillaient alors aux tours de la façade. Les chapelles rayonnantes du chœur, de fondation antérieure, paraissent par contre avoir conservé longtemps une décoration plus ancienne.
Le Chœur.
Il n'était pas voûté mais couvert d'un lambris de menuiserie formant un berceau plein ceintre sur lequel étaient peints des effigies de saints et des objets de piété. Le déambulatoire s'organisait autour de dix colonnes rondes. Sept chapelles s'ouvraient sur ce déambulatoire de grandeur inégale et de forme variée. Ce chœur avait été restauré de nombreuses fois, en particulier en 1527. Les murs au pourtour du chœur ainsi que les pied droits entre les fenêtres étaient couverts d'hermines, « les pilliers et les arcades chargés de fleurs de lys », décoration sans doute exécutée en 1532, à l'occasion du couronnement du fils de François 1er (François III) comme duc de Bretagne [Note : Sous le troisième vitrail se voyait un écu écartelé premier et quatrième quartier « parti de France et d'or à un dauphin d'azur », du deuxième et troisième « parti de France et de Bretagne » vers le milieu de ce vitrail, on notait un autre écu (de sinople à trois facses d'argent), aux armes de Pierre Le Baud, conseiller et aumônier de la reine Anne. Le matrième vitrail a été identifié par Palustre aux armes d'A. Hennequin, évêque de Rennes et le cinquième à celles du Cardinal d'Ossat, tous deux évêques de Rennes au XVIème siècle].
Le chœur était éclairé par « onze vitraux peints à l'antique » dont la figuration ne nous est pas connue. Sur le vitrail du milieu se voyaient étroitement mélées les armes de France et de Bretagne, ainsi que celles de familles illustres de notre pays : les Goulaine, les Châteaubriant, les Coëtelez, les Hennequin... Chacun des donateurs avait voulu ainsi marquer au haut de l'église sa générosité et sa présence. Ces vitraux n'étaient pas antérieurs au XVIème, siècle, sauf, peut-être la maitresse-vitre offerte, nous l'avons vu, par Charles de Blois.
Jubé : Le chœur était fermé, on le sait, par un jubé de bois surmonté d'une frise et d'une corniche sur laquelle figuraient les statues en bois des douze apôtres. Ce jubé, comparable à ceux qui subsistent encore dans quelques rares chapelles bretonnes, avait été offert par l'évêque Anselme de Chantemerle, installé à Rennes en 1389. Ce dernier fit non seulement clôturer le chœur mais y installa des stalles. Ce jubé disparut dans le courant du XVIIème, siècle.
Stalles : celle qui en 1756 occupaient encore le chœur remontaient au XVIème siècle. Elles étaient venues en effet remplacer d'autres plus anciennes évoquées par l'acte de 1422 [Note : Nous sommes renseignés sur leur construction par une cédule des archives du chapitre publiée en 1862 dans le premier Bulletin de la Soc. Arch. d'Ille-et-Vilaine par P. de La Bigne de Villeneuve (t. 1, 1862, p. 261)]. En 1520, en effet, les anciennes stalles installées par A. de Chantemerle avaient été jugées d'un « goût ogival arrièré » (sic) par les gens du chapitre. L'année suivante, désireux d'en perfectionner l'élégance [Note : « circumdantibus artificiose et affabre cupientibus »], ils s'étaient mis en devoir d'importer à cet effet du chêne sec débité déjà depuis six ans, en provenance du pays d'Orléans. Pour les sièges et accoudoirs, on avait eu recours à de vieux pieds d'équarissage, en provenance du château d'Ecures près de Rennes, propriété des seigneurs d'Epinay. Sur la troisième stalle, se voyait en effet les armes de cette famille qui se l'était réservée aux termes d'une concession spéciale. Sans doute, étaient elles ornées de riches arabesques, de goût renaissant, analogue à celles que ces seigneurs devaient faire exécuter pour leur abbatiale de Champeaux peu après (vers 1550). Au-dessus d'elles courait une balustrade en bois chargée par une frise ornée aux armes de la famille de Bourgneuf, sans que l'on soit autrement renseigné sur les motifs des sièges et sur les artistes qui les exécutèrent.
Dans ce chœur, reposaient divers personnages : une plaque de cuivre portait l'épitaphe d'Isabelle de Bretagne, sœur de la reine Anne, décédée précocement en 1489. Les tombes renfermaient des corps d'évêques : celui de François Larchiver, mort en 1619, celui de Bertrand de Marillac décédé, lui, en 1573. Le fondateur du chœur, l'évêque Herbert, y avait déjà été enterré nous l'avons vu, au XIIIème, siècle. On y retrouva aussi, dans un coffre, le cœur du duc de Brissac, gouverneur de Bretagne, mort le 13 novembre 1621.
Si la structure du chevet remontait à la fin du XIIème siècle, sa décoration avait été profondément modifiée au XVème et XVIème siècles. L'unité de ce chœur était rehaussée par le maître-autel. Là, en effet, se dressait à l'époque, le superbe retable, aujourd'hui relégué dans une des chapelles du collateral droit de l'actuelle cathédrale.
Le Retable. Il présente, on le sait, de nombreux caractères flamands. En 1756, on y releva le blason de l'évêque Henry de la Mothe Houdancourt, prélat contemporain de Louis XIV. Les écus qui figurent à droite et à gauche de ce dernier (« d'argent à la fasce de sable chargée d'une étoile d’or avec trois têtes de loup de sable dont une pointe lampassée de gueules ») méritent davantage d'attention : ce sont celles de Guillaume Brillet, évêque de Rennes, qui fut enterré dans la cathédrale en 1448, ce qui permet d’anticiper quelque peu la date présumée d'exécution de ce chef d'œuvre [Note : Nous ne reviendrons pas ici sur sa description qui fait l'objet d'une notice en vente aujourd'hui à la cathédrale].
Chapelle du Saint-Sacrement (en A). Les armes de G. Brillet se voyaient également dans cette chapelle qui portait son nom, à l'arrière droit du chevet, où était déposée la réserve eucharistique. D'une profondeur de 8 m, elle avait été élargie et voûtée sous le règne de Jean V et fermait par une grille en bois [Note : Devenu au XVIIIème siècle propriété des Nétumières héritiers des Hay du Chastelet]. Un vitrail éclairait le tombeau du fondateur, une table de marbre surélevée dans le mur Est portant une épitaphe qui ne fut point déchiffrée. La tête du personnage, en plâtre reposait sur un coussin et à ses pieds se tenait un chien. D'autres pierres tombales en marbre se rencontraient dans cette chapelle, qui était également ornée d'un retable depuis le XVIIème siècle. C'étaient celles de Jean de Beaumanoir (1677-1712) évêque de Rennes, du conseiller François Harpin, mort en 1667 et de diverses autres familles bretonnes.
La Chapelle Saint-Armel ou de l'Annonciation (en B) à droite de la précédente, avait été bâtie pour Michel Guibé, évêque de Rennes de 1483 à 1499. Onée de vitraux figuratifs et dotée, elle aussi, d'un retable, elle renfermait derrière une balustrade non seulement le tombeau des deux fréres Charles et Michel Guibé, évêques de Rennes, mais aussi celui de Jacques Guibé, amiral de Bretagne et contemporain d'Anne de Bretagne [Note : Voir ci-joint pl.]. Ce dernier gisant, en marbre blanc et en cottes de mailles, a seul survécu et échoué après bien des pérégrinations au Musée de Rennes. C’est un des plus beaux monuments de l'art religieux breton au XVème siècle. A ses pieds se voit un lion tenant dans ses griffes l'écusson de cette puissante famille qui compte parmi les plus dévoués serviteurs du duché.
La Chapelle Sainte-Marguerite, du côté Sud du chœur, après la porte de la sacristie remontait au XIVème siècle. Au début du XVIIIème siècle la famille de Sarsfield, originaire d'Irlande en avait acquis les droits seigneuriaux des héritiers de la vicomté de la Motte Saint-Armel, incorporée à la seigneurie de Brie d'érigée en marquisat en 1668. Le vitrail qui l'éclairait, était chargé au sommet d'un écusson aux armes de Jean Loisel, président et juge universel de Bretagne au temps du duc François II, son fondateur, et de celui de François de Cahideuc son successeur. On y relevait une table de marbre noir et un retable à colonnes en pierres tendres, décoré de sculptures. Cette chapelle était fermée du côté du chœur par une balustrade à 12 balustres et 2 colonnes en marbre de Laval surmontée au frontispice de multiples écussons. (XVIIème siècle) (en C sur le plan).
Sise en Nord-Est du déambulatoire, immédiatement à gauche de celle du Saint-Sacrement (en Q) la chapelle Saint-André avait été fondée à la fin du XIVème siècle par Henry de Villeblanche, gouverneur de Rennes chambellan de plusieurs ducs de Bretagne, décédé en 1461. Le vitrail portait un écusson écartelé aux armes de cette famille (d'argent à trois heures de brochet) et de ses nombreuses alliances (Guignart, Rosmadec, etc...), le tout sommé d'un écu de France chargé de fleurs en lys d'or. Entre autres pierres tombales s'y voyait celle du fondateur et de sa femme, aujourd'hui disparue mais qui est figurée dans les manuscrits de Robien [Note : Pl. CIIIVI, n°1 (B. M. de Rennes)], les deux gisants reposaient à l'abri d'une arcade chargée de nombreux écussons [Note : Palustre, manuscrit, Dactyl. pp. 49-50]. Le retable d'autel fort ancien, était surchargé de plusieurs figures d'apôtres déjà fortement endommagées au XVIIIème siècle. C'est sans doute cette chapelle qui avait conservé le mobilier le plus ancien, car elle n'avait guère subi de restauration au Grand Siècle comme la plupart des autres.
La Chapelle Saint-Claude qui lui faisait suite plus à gauche (en P) était une fondation de Jean de Bouedrier, chanoine en 1498. On y voyait un vitrail aux armes des familles Le Bouedrier et Le Meneust. Les seuls décors signalés au procès verbal de 1758 sont une arcade gothique et deux statues d'autel, l'une de la Vierge l'autre du saint patron de cette chapelle. Il n'y est point fait mention de retable. Située à gauche au-dessous de la précédente (en O) la chapelle de Rillé plus vaste, était éclairée par deux vitraux aux armes des Thome, répétées sur la voûte et les traverses de la clôture, ainsi que sur la pierre tombale du fondateur Sébastien, trésorier de la cathédrale et abbé commendataire de Rillé près de Fougères. Celle-ci était surmontée, elle aussi, d'un retable de bois du XVIIème siècle. C'est dans cette chapelle que se trouvaient la fondation de la chapellenie, beaucoup plus ancienne, remontant au XIIIème siècle.
La Chapelle de Villebon (en N) elle aussi à l'abandon au XVIIIème siècle n'avait pas subi davantage de restauration au siècle précédent. Cet oratoire abritait la table et le gisant en marbre, grandeur nature, d'un des plus grands évêques de Rennes Anselme de Chantemerle, qui occupa le siège épiscopal de 1390 à 1427. Ce prélat qui vivait à l'époque du Grand Schisme institua dans sa cathédrale le culte de la Vierge et la décora magnifiquement. Sur ce tombeau, hélas disparu, se lisait une inscription en lettres gothiques qui a été conservée, orné de plusieurs écussons dont celui des Chantemerle [Note : « D'azur à deux tours d'or, séparées par un arbre de sinople »].
La Chapelle Saint-Michel (en M) la première à gauche du côté du transept Nord, fermée au XVIIIème siècle était elle aussi, depuis longtemps, ruinée. La plus ancienne de la cathédrale, elle remontait à sa fondation : elle avait remplacé en effet celle desservie par le prieuré du même nom jouxte l'ancienne porte et le château des comtes de Rennes, détruit au début du XIIIème siècle. Son autel, démoli, gisait à l'abandon depuis la supression de cette vieille chapellenie en 1728 [Note : M. Duval, les Anciens prieurés, op. cit. p. 54-55].

A la fin du XVIIème siècle, la cathédrale de Rennes qui voyait s'édifier lentement les deux puissantes tours néo-classiques de sa façade, n'était déjà plus un édifice médiéval. La décoration intérieure de la plupart de ses chapelles s'était profondément métamorphosée, contribuant à lui donner, avec ses multiples retables, de l'école lavalloise, ses balustres et ses stalles un caractère baroque. Les familles bretonnes qui s'étaient employées à l'embellir (officiers de la cour ducale, évêques gouverneurs, parlementaires) avaient tenu à se conformer au goût triomphant de leur époque.
Partout, le marbre y éclatait comme à Versailles, ainsi que les dorures. On peut regretter que le nom des artistes qui contribuèrent à la décoration intérieure de cet édifice n'ait point été relevé dans le procès verbal minutieux de son inventaire dressé en 1756. Nous en savons assez cependant pour affirmer qu'il constituait un ensemble historique et instructif de premier plan.
Carences et tergiversations. (1655-1754).
Cet édifice complexe masquait des déficiences architecturales auxquelles la fabrique et l'évêché, soucieux avant tout d'achever les tours monumentales de la façade en qui ils mettaient alors tout leur orgueil [Note : D. Delouche, op. cit., plan de construction] ne paraissent pas avoir apporté une attention suffisante. Tandis que se multipliaient intérieurement les retables à la gloire du service divin, ils négligeaient, faute de moyens de pourvoir aux grosses réparations indispensables sur l'ancien édifice. Le chapitre ayant tenté d'obtenir du roi en 1655 la levée d'un liard par pot de vin sur les octrois municipaux, la communauté de ville s'opposa à l'enregistrement de ces lettres. C'est tout au plus si elle consentit en janvier 1658 à accorder pour 18 ans une aide de 4000 L. par an à employer uniquement à l'édification des tours et du portail. Cette transaction fut renouvelée sur les mêmes bases, pour une durée identique, le 15 février 1675. Les chanoines s'étant plaint de la lenteur des travaux effectués, un rapport fut établi le 16 juillet 1686 à l'initiative de l'intendant Beaumanoir de Lavardin, signalant les menaces de délabrement intérieur de l'édifice [Note : Les trois architectes appelés alors à l'inspecter conclurent « qu'elle n'estroit de nulle valeur, faite de méchante métérieux, pierres tendres, sans liaison, et qu'il fallait la faire abattre ». Les chanoines se refusèrent à entériner le devis du 1er septembre 1687 prétextant de la surcharge des dépenses (54753L.)]. En 1687, les chanoines rédigeaient une supplique à l'adresse du conseiller Marc Dondel pour obtenir une aide du pouvoir royal. Le devis des travaux à entreprendre portait sur une somme de 170953 L. En 1693, la communauté de ville fortement endettée répliquait avec vivacité aux accusations portées contre elle par le chapitre sur l'emploi et la répartition des fonds votés depuis 1658 (220000 L.) et ne consentait à la fabrique qu'une somme annuelle de 3000 L., qui ne fut pas renouvelée après 1703.
Suite à un nouveau rapport ordonné par l'intendant Béchameil de Nointel, ce dernier se prononçait pour l'arasement de l'édifice, à l'exclusion des deux tours du portail, sans prévoir le financement nécessaire à sa reconstruction. A cette époque, les tours n'étaient pas encore couronnées et de nouveaux frais s'imposaient pour l'achèvement des terrasses (plan Huguet). Aux termes de l'arrêt du 28 mars 1702, il fut ordonné que les frais d'adjudication des travaux nécessaires seraient payés sur les deniers de l'octroi de la ville, jusqu'à concurrence de 96000 L., pendant une durée de 20 ans, à raison de 4000 L. par an pendant les douze premières années, de 6000 pour les huit dernières, le surplus la somme retombant à la charge des bénéficiaires du chapitre. Les frais de l'opération devaient en effet être payés par moitié par ces derniers, par moitié par l'évêque et la fabrique de la cathédrale (124000 L.). C'était compter sans les difficultés financières rencontrées alors par les uns et les autres. Les rapports ne cessaient en effet de s'aigrir entre le chapitre et la communauté de ville, cette dernière accusant les chanoines de détourner à leur profit les crédits votés pour l'achèvement des tours.
Au lendemain de l'incendie de 1720, les États de Bretagne accordérent divers subsides qui devaient être affectés à titre principal à la reconstruction de la ville et de ses monuments principaux (beffroi de l'hôtel de ville) et à raison de 10000 L. à l'entretien de l'ancienne cathédrale. La communauté de ville se montrait toujours aussi réticente à venir en aide à la fabrique et au chapitre ruiné dans ses anciennes fondations, dont la réunion à la manse épiscopale devait être ordonnée en 1728 ; les États, par contre ne lui refusèrent pas leur concours : 20000 L. en 1724, 30000 L en 1732, une somme identique en 1740, 50000 L. en 1750, une aide équivalente en 1754, soit en tout 180000 L. [Note : A. D. Ille-et-Vilaine C 1186]. On prit sur ces sommes, ce qu'il fallait pour prévenir les dangers les plus urgents. C'était compter sans les avis péremptoires des architectes du roi.
Invité à donner son avis sur la conduite des travaux de consolidation engagés par marché conclu en 1724, sous l'égide du chapitre, Gabriel, appelé alors à Rennes pour programmer la reconstruction de la ville, estima l'ancienne cathédrale « difficile à réparer » et jugea à propos le 15 décembre 1725, de dresser le plan d'une nouvelle église « qui s'accorderait mieux » selon lui, « avec les tours de son portail et serait plus à l'avantage (sic) de la province ». Puis, après avoir critiqué vivement les clauses du marché conclu entre l'adjudicataire et la fabrique, et recommandé l'emploi de matériaux plus légers et plus diversifiés pour consolider les recherches du chœur, il quitta Rennes, peu après. L'évêque et le chapitre, mettant en cause l'insuffisance des crédits accordés par la ville et le Roi pour son entretien, rappelaient à l'intendant Feydeau de Brou que « l'église et le chœur ne se soutenaient plus que par le moyen de piliers boutants, édifiés en 1687 ». A entendre l'évêque, la fabrique de la cathédrale était alors si pauvre que le chapitre se voyait dans l'obligation de lui payer le luminaire. Si les oboles des fidèles n'étaient guère généreuses, les revenus des chanoines bénéficiers n'avaient cessé de décroître. A ces derniers, titulaires de quatre prieurés réguliers, il était reproché de ne rendre aucun service à l'église, de n'assister que rarement aux offices, alors qu'ils jouissaient ensemble de 2000 L. de rentes annuelles [Note : M. Duval Prieurés réguliers. op. cit.]. A entendre les intéressés, les sacrifices qu'on leur demandait sur les maigres revenus procurés d'anciens oratoires en ruines, les conduisaient à suspendre leur contribution aux frais d'entretien du bas chœur et de la chorale. Ils avaient relevé appel en Conseil du roi de la décision prise contre eux par Mgr Le Tonnelier de Breteuil pour non observation des formes canoniques en matière bénéficiale.
Dans de telles conditions, le chapitre s'était refusé à prendre en charge les frais supplémentaires de transport par barques le long de la Vilaine des matériaux commandés pour la restauration du chœur. En vérité, l'adjudication opérée en 1724 par la fabrique avait été mal rédigée, et l'entrepreneur retif la menaçait d'un procès. Le 28 novembre 1732, l'architecte Gabriel prescrivait à ce dernier de débiter à la longueur prescrite les volumineux moëllons de tuffeau entreposés au port de Messac. Hélas, faute de moyens suffisants, ces derniers ne purent être transbordés jusqu'au port Saint Yves : 632 pieds cube seront finalement livrés en 1730 sur les 2000 promis au marché initial.
Le 30 octobre 1735, Gabriel, mettant en cause « la corruption générale de l'édifice dans toutes ses parties », concluait à son entière démolition. S'abritant derrière cet avis, Mgr de Vauréal avait beau jeu de menacer de suspendre le service du culte dans sa cathédrale, si une aide importante ne lui était pas accordée par le pouvoir royal. Nous le voyons supplier l'aumonerie royale de consentir à lui accorder un nouveau bénéfice, l'abbaye de Rillé, seul capable, selon lui, de lui permettre d'édifier une église plus vaste capable d'abriter les corps constitués de la capitale de la Bretagne. C'est alors qu'un premier plan fut levé de l'ancienne cathédrale, ainsi que des bâtiments et des jardins de l'évêché qui s'élevaient à proximité. A cette époque déjà, le toit de la nef était entièrement découvert jusqu'à la hauteur des bas côtés, le long des trois dernières travées. Cette nef, désormais impropre à recevoir les fidèles, était séparée du chœur par une clôture en bois, la communication entre le chœur et la cour de l'évêché étant assurée, au Nord du transept par une ouverture appropriée. Le raccordement entre les deux nouvelles tours de la façade et le reste de l'église demeurait toujours en souffrance.
A partir de 1747, les travaux ébauchés en 1730 sur le pourtour du chœur, pour le consolider, reprirent lentement à la hauteur, cette fois, de la première travée derrière les tours, sans que cessat d'être interdite au public cette partie antérieure de la nef. Ce fut sans doute en vue de sauvegarder l'emplacement de l'ancien choeur roman, toujours debout à cette époque, que l'intérieur Abeille proposa en 1750 de donner à la nouvelle église la forme d'une croix grecque. Cette restauration, en équilibrant mieux les proportions du choeur et de la nef, aurait permis au chapitre, aux gens du Parlement et aux bourgeois d'avoir accès simultanément aux cérémonies. Mais comment alors raccorder le nouvel édifice ainsi restauré avec la façade grandiose qui était censée en constituer le portique ?
Loin de provoquer à la destruction complète de l'église, l'ingénieur Chocat de Grandmaison émit à son sujet lors de sa visite en 1751 un avis réservé et prudent [Note : A. D. Ille-et-Vilaine C 1186]. A ses yeux « on avait trop donné jusqu'ici dans le préjugé commun » au sujet de cet édifice. L'architecte du roi pour la province s'était acquitté régulièrement des visites d'usage « tous les deux mois », selon les devoirs de sa charge ; il s'employa à rassurer le chapitre contre la « frayeur résultant de quelques gersures relevées dans le massif des piliers du chœur » : Les fondations de l'édifice, selon lui, n'étaient pas menacées : « Le chœur, rappela-t-il, a été exhaussé à diverses reprises et les changements pour les chapelles ont donné lieu à des tassements dans le corps de la maçonnerie et à des poussées qui ont affaibli les parties voisines... Les contreforts édifiés au fur et à mesure », n'ont pas été construits à la hauteur voulus. Ces accidents ont donné lieu « au surplomb des petits piliers ». Les voûtes des bas côtés, formées de petits moëllons, ont été construites en même temps que le chœur, il n'en a pas été de même pour les murs latéraux, d'édification postérieure. Ils étaient destinés à porter des voûtes d'ogive qui n'ont jamais été exécutées dans la suite. Longtemps on s'était demandé pourquoi le mur du pignon du côté de l'évêché travaillait, alors qu'il n'était pas chargé. Chocat explique ce phénomène par le défaut de raccordement de la charpente de la nef à la hauteur des sablières. Ce travail n'a pas été exécuté en temps voulu avec le soin suffisant, ce qui a accru le poids des charges. « Le reste de l'église observe l'ingénieur, a été commencé sans être fini, ce qui fait que les diverses parties de la construction n'ont pas été d'abord liées les unes aux autres, comme il eut été souhaitable ». Il s'en faut toutefois, dit-il « que ce monument soit prêt de s'écrouler. Il est actuellement bien arc-bouté (sic) et soutenu au-dehors soit par la masse des chapelles des bas côtés du chœur, soit par les piliers. Quand bien même ceux-ci seraient coupés de la maçonnerie, les reins de ces piliers résisteraient encore assez longtemps ; le chœur et les bas-côtés ne pourraient s'écrouler qu'au dedans de l'église et sur eux-mêmes, si leurs fondations étaient altérées ». Rejoignant l'opinion de Gabriel, Chocat jugeait trop lourdes les pierres de Taillebourg à remplacer dans les recherches du chœur. C'était donc bien dans le poids de ces matériaux de remplacement que résidait le danger pour la masse de l'édifice, et non, comme le soutenait le chapitre, dans le surplomb dangereux des murs du chœur. « Ces murs, affirmait Chocat, sont soutenus et contretenus dans leur élévation par un bon corps de charpente lequel, malgré les défauts de couverture est en bon état ».
L'ingénieur préconisait dans l'immédiat la réfection de la couverture et le rétablissement de la charpente des bas-côtés du chœur. Tout danger serait écarté lorsque « les sablières et blochets de la charpente au dessus de la croix du transept seraient arrêtés et garnis par dessous, les crevasses et lézardes dans le remplissage des voûtes bien reprises et le pignon vers l'évêché renforcé ». A ses yeux, « il était très possible de rétablir l’église en entier et de la finir sur son plan actuel, conseil que je ne donnerais sûrement point, ajoutait-il, non parce qu'il y aurait à craindre, mais parce que cette église finie sur son plan actuel fera toujours un monument disgracieux ». Baptiser de la sorte un monument « gothique » en plein XVIIIème siècle, c'était le disqualifier et signer déjà sa condamnation.
Le devis prévisionnel des dépenses prioritaires à engager sur l'édifice s'élevait à 4 400 L. ; soit 1400 L. pour la couverture (140 toises), 2 000 L. pour la charpente, 1 000 L. pour diverses reprises sous la maçonnerie, et 350 L. pour la réparation des vitraux. Cette dépenses n'était nullement prohibitive, compte tenu du reliquat de 20 000 L. sur les fonds votés précédemment par les États. Les travaux prévus ne furent cependant pas exécutés.
La destruction.
C'est un accident survenu en janvier 1754 qui vient accélérer le sort de l'édifice. Une partie supérieure du chœur, mal consolidé en 1724-1730 s'écroula, sans d'ailleurs faire de victimes. Le clergé mit à profit cette chute pour demander l'interdiction de l'édifice. L'ingénieur Duchemin conclut au danger couru par l'exercice du service divin dans l'ancienne cathédrale. Dès le 25 février, il était transféré dans la chapelle voisine de l'Hôtel-Dieu (Saint-Yves). Le 2 juin 1754, le Conseil du roi statuait définitivement. Cette fois, la sauvagerie du vieil édifice était abandonnée et la décision prise de construire une nouvelle cathédrale. Le 2 septembre de la même année, intervenait un nouvel édit, prescrivant la démolition entière de l'église, à la réserve de son nouveau portail. Il serait procédé auparavant à l'inventaire des tombes et intersignes en présence des fondateurs et de deux députés du chapitre. L'architecte Soufflot était désigné pour dresser le plan de sa réédification. Les frais d'honoraires de ce dernier seraient pris sur les 5497 L. restant disponibles pour l'entretien de l'ancienne cathédrale, déduction faite des frais d'aménagement de la chapelle Saint-Yves. Quant au coût de la démolition, il serait couvert sur le reliquat de 11000 L. des sommes accordées par les États en 1732, 1740 et 1750.
Dès le 8 octobre, l'intendant Feydeau de Brou faisait afficher l'adjudication des travaux prévue pour le 26 en son hôtel. La démolition devait débuter par le grand autel, les tableaux être rangés dans un magasin, ainsi que le mobilier à répartir entre ses différents propriétaires. Quant aux cercueils, ils seraient transportés dans un lieu désigné par l'évêque, en distingant entre eux. Entre temps Feydeau de Brou avait été saisis de la réponse des échevins de Rennes à un long mémoire du chapitre. A entendre les municipaux, ses membres cherchaient artificieusement à faire tomber « sur eux une dépense infinie, que la ville n'était pas en état de supporter ». Toujours gémissants, les chanoines n'entendaient pas moins que l'édifice soit refait à neuf, ce qui portait en fait la dépense au décuple de la somme prévue pour réparer la nef (10000 L). Or il ne fallait guère compter alors sur les finances royales pour venir en aide à l'évêque, pas davantage sur celles de la ville, toujours fort obérées par la reconstruction. La municipalité s'élevait contre toute perspective d'augmenter les octrois.
On dut parer au plus pressé. Le 18 février, l'intendant ordonnait l'inventaire définitif du mobilier de toutes les fondations [Note : A. D. Ille-et-Vilaine. C 1188]. Le même pour, l’évêque de Rennes, Mgr de Vauréal sollicitait de l'intendant une ordonnance pour que soient mises à l'abri des pilleurs les chasses de plomb renfermant les restes de ses prédécesseurs. Chocat recommanda alors d'aménager dans une des tours de la façade une emplacement pour recevoir les meubles, les marbres, les débris de retables et les anciennes clôtures d'autels et de clore à cet effet les arcades du rez-de-chaussée et du premier étage. L'escalier de la tour gauche devait suffire, selon lui pour donner accès aux chambres qui seraient pratiquées à cet effet dans l'élévation de cette tour promue ainsi au rang de garde meuble. Où placer les ossements ? Le chapitre avait suggéré d'installer des caveaux dans l'autre tour. Mais la maçonnerie, sous ces tours était jugée trop massive entre les piliers et les arcades pour y pratiquer une excavation. Loger ces ossements en surélévation « dans le vide de la tour », c'était s'exposer aux risques d'exhalations pestilentielles ! Mieux vaudrait voûter à cet effet les fondations de la nouvelle cathédrale et faire excaver dans l'ancienne nef, en attendant sa reconstruction, une ouverture de 40 pieds de long sur 24 de large. Le 13 juillet, l'évêque dans une lettre au comte de Saint-Valentin, revendiquait la propriété des chasses de plomb pour la fabrique et sollicitait du roi un arrêt du Conseil pour parer à l'interdiction édictée récemment par le Parlement d'enterrer désormais dans les églises. Un caveau devait être creusé en priorité pour abriter à l'avenir les restes des supports du chœur. Très frappé par le spectacle de la démolition de l'ancienne église Saint-Sulpice à Paris à laquelle il avait assisté, l'évêque entendait parer à tout vandalisme. Chocat demanda alors un plan à Gabriel et le 2 mars 1758, ce dernier annonçait la construction de trois magasins, deux dans la nef de la cathédrale dont un à deux étages, un troisième derrière l'église Saint-Sauveur. Le mouvement de l'horloge devait être déplacé et remonté à un autre endroit. Le devis de ces travaux s'élevait à 13538 L., dont 1200 pour Soufflot (29 septembre 1762). Il fut exécuté du moins pour les caveaux prévus dans la nef. Les bénéficiers et autres propriétaires seigneuriaux furent invités à récupérer les tombes, retables et autres objets mobiliers de leurs fondations. Une fois ces divers « matériaux » démontés, rangés et enlevés, et les cercueils mis à l'abri, un marché de démolition fut conclu avec une entreprise pour un prix convenu. Elle s'employa d'abord à démanteler chapelles portes et grilles, puis elle s'attaqua aux charpentes de la couverture, enfin, aux murs, arcades, vitraux et arcs-boutants. Rien ne fut épargné. Diverses pièces du mobilier trouvèrent refuge au prieuré Saint-Michel (gisants), dans l'ancienne église Saint-Aubin (retable principal), mais beaucoup d'entre elles disparurent hélas au cours des années qui suivirent dans des circonstances souvent mal connues.

En 1758, Mgr de Vauréal lançait un cri d'alarme à l'Assemblée du Clergé de France. D'après le devis estimatif de Soufflot, la somme des arriérages de l'emprunt à prévoir pour la réédification de la cathédrale s'élevait à 190000 L. Où les trouver ? Compte-tenu des frais nécessités par le nouvel établissement du chapitre à Saint-Yves et la construction de caveaux et de magasins, la somme nécessaire à la seule acquisition des matériaux s'élevait à 127454 L. Or les pierres de l'ancien édifice jugées réutilisables pour l'édification du nouveau, soit 4500 pieds cube, n'avaient guère été estimés qu'à 10260 L. L'abbé de Pontbriant s'employa à solliciter à nouveau l'aide des États où il représentait le clergé. La municipalité, elle, fit sourde oreille. C'est alors qu'il fut question derechef, d'obtenir du roi pour Mgr de Vauréal, la jouissance d'une abbaye en Normandie.
Le prix de la démolition de l'ancienne cathédrale avait été estimé par C’hocat le 7 juin 1754 à 28298 L. Sur cette somme 17000 restaient à la charge de la fabrique. La majorité des bois de l'ancienne charpente et de la couverture, jugés inutilisables, furent finalement abandonnés. Seulement 300 toises de pierres sur 1922 seront jugées réutilisables pour la nouvelle maçonnerie. Il s'agissait de pierres de taille ou de grain, dont les moëllons furent entreposés provisoirement place des Lices, les autres véhiculées pour remplir les fosses du Mail et les petits chemins creux des faubourgs...
Retardé pendant de longs mois par les travaux, de l'inventaire et les mesures de sauvegarde à prendre à l'intérieur de l'ancien édifice, le chantier de destruction proprement dit traîna plus de deux ans (1758-1760). Le mobilier entassé à proximité sans protection suffisante souffrit beaucoup des intempéries (humidité, rouille) sans que les propriétaires concernés manifestent un grand intérêt à leur égard. L'évacuation des matériaux fut lente. Aucune rampe d'accès n'existait alors en direction du Mail, en raison de l'aplomb des murailles qui subsistaient en contre bas du parvis Saint-Pierre et les immeubles du chapitre et de l'ancien évêché faisaient obstacle à toute circulation en direction de la nouvelle rue de Toulouse, (nunc rue de la Monnaie). Il faudra attendre le rasement de l'ancien manoir épiscopal acheté par la Municipalité en 1786 pour que la voie soit élargie de ce côté et une pente aménagée en direction de la Vilaine. Les travaux de dégagement étaient à peine terminés (escaliers) lorsqu'éclata la Révolution. A cette époque, les nouveaux murs de fondation ne s'élevaient guère qu'à hauteur d'hommes. Les travaux interrompus jusqu'en 1804 ne reprirent que lentement sous le second Empire (sacristie). Ils ne devaient être achevés qu'un demi siècle plus tard en 1846.
A entendre l'évêque en 1776, les chanoines en changeant de lieu de culte n'avaient fait que de « changer de péril ». Leur vie se trouvait désormais « sans cesse exposée » par le voisinage jugé alors contagieux du cimetière qui entourait la chapelle Saint-Yves. Dans cet édifice restreint, le clergé de la cathédrale devait cohabiter avec les religieuses de l'Hôpital. Le chœur de la chapelle était déjà trop exigu pour abriter l'ensemble des chanoines, à fortiori les notabilités de la ville et les membres du Parlement. Le reste du clergé, tant séculier que régulier devait chercher refuge ailleurs dans des locaux et des oratoires vétustes souvent peu appropriés au service divin. Cette situation se perpétua jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, par delà le Directoire, jusqu'à la réouverture de l'ancienne église abbatiale de Saint-Melaine à l'Évêché au lendemain du Concordat.
Tout au long du XVIIIème, siècle, l'évêque et le chapitre de Rennes n'avaient cessé d'exagérer les périls encourus par l'ancien édifice et de provoquer le pouvoir royal à une restauration somptueuse dans le goût de l'époque qu'ils voulaient digne de son auguste portail. En 1774, ils avançaient encore en faveur de leur siège épiscopal qu'ils n'étaient pas parvenus à faire reconnaître la métropole de Bretagne, que « fondée et augmentée par les anciens rois et ducs de Bretagne », cette cathédrale était la première et la plus ancienne de la province. Nous avons vu ce qu'il fallait en penser. Jamais nos ducs n'avaient fait de Rennes leur résidence principale et cette légende qu'ils entendirent accréditer à travers la cérémonie de prestation du sacre jusqu'à François III, ne le fut que dans l'espoir toujours déçu que la monarchie française se montrerait généreuse à l'égard de la fabrique. Obnubilé par la construction orgueilleuse des deux nouvelles tours de la façade, le chapitre, tout à l'entretien de ses fondations et du service du chœur, avait négligé l'entretien du gros œuvre.
La destruction de la partie ancienne de l'édifice, programmée à plusieurs reprises n'était pas inévitable. Elle s'explique avant tout par les préjugés défavorables qui entouraient ces vieux monuments depuis la fin du siècle précédent. Préjugés d'ordre essentiellement esthétique, tant il est vrai que le goût que nous portons depuis le milieu du XIVème siècle pour l'art roman ou gothique était totalement étranger aux contemporains de Louis XIV et de Louis XV. Mal défendu par une fabrique nécessiteuse qui avait trouvé le moyen de s'aliéner la municipalité de Rennes, cet édifice préservé à temps aurait sans doute survécu à la Révolution et constituerait aujourd'hui un musée vivant du Rennes médiéval et baroque dont l'incendie de 1720 ne nous a conservé que de rares vestiges. Condamnée par les architectes de la monarchie finissante qui voulaient même la transporter ailleurs dans la perspective de la nouvelle Place Royale méritait-elle de l'être une seconde fois par les historiens de l'art, nos contemporains ?
(Michel Duval).
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