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SOUVENIRS ET ANECDOTES DE QUINTIN.

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La réunion de l'Association Bretonne à Quintin nous a inspiré l'idée d'écrire quelques pages sur cette petite ville ; non pas sans doute un précis chronologique et historique (nous laissons ce travail aux savants érudits qui s'en acquitteront avec leur talent ordinaire) ; nous voudrions seulement réunir quelques souvenirs du vieux temps, épis dédaignés du riche moissonneur, rassemblés ici par le glaneur en une gerbe modeste.

Ville de Quintin (Bretagne).

Moins fragiles et moins éphémères que nos courtes vies humaines, nos cités de pierres conservent longtemps, à travers les âges, leur aspect primitif, et faisant abstraction des changements de détail, l'ensemble reste le même. Si nos ancêtres, dont les ossements sont mêlés à la poussière de notre vieille collégiale, ou reposent autour des ruines de l'église Saint-Thurian, se levaient de leurs tombes et revenaient parmi nous, ils pourraient encore, placés sur les hauteurs qui dominent Quintin, jouir du tableau qui jadis charmait leurs regards, et que le temps a effleuré à peine d'une aile presque inoffensive. C'est toujours, en effet, la vieille tour massive de Notre-Dame, le Calvaire qui s'élève comme un rempart protecteur contre l'envahissement du scepticisme moderne, les clochetons des diverses chapelles, et le château qui donne à l'entrée de la ville un aspect si pittoresque.

Quintin, situé sur le versant nord de la chaîne de montagnes qui traverse la Bretagne de l'est à l'ouest, est dominé par des collines qui l'enserrent de toutes parts. Cette situation, déplorable au point de vue de la stratégie militaire, est son plus grand charme. Abritée de tous côtés par ce rempart naturel, la petite ville s'épanouit fraîche et ombragée. Nul feuillage n'est plus doux à l'œil que celui de ses grands bois ; rien aussi n'est plus salutaire que ses belles eaux vives, qui sortent en abondance du sol, à la fois rocheux et fertile.

Le Gouët, dont le nom en langue celtique signifie rivière de sang, appelé ainsi sans doute en mémoire de quelque terrible combat qui jadis ensanglanta ses eaux, est tout simplement, en dépit de son nom épique, un modeste ruisseau. Il passe en courant dans la partie basse de la ville, en faisant tourner les roues de moulins et d'usines. Il alimente l'étang, dont les eaux paisibles reflètent, comme un miroir, le feuillage des grands arbres qui en ombragent les bords. Cet étang fut creusé, sans aucun doute, pour servir de défense au château-fort, qui s'élevait jadis à la place qu'occupe le pavillon actuel et ses dépendances. Ce premier château, autour duquel se groupa bientôt la ville actuelle, fut construit vers l'an 1226 par le comte Geoffroy. C'est ce preux chevalier qui rapporta de la Terre-Sainte la précieuse relique si chère à notre cité, un fragment de ceinture ayant appartenu à la Vierge Marie et conservé miraculeusement à travers les siècles.

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L'intérieur de la ville de Quintin n'offre rien de remarquable ; les rues en sont accidentées, irrégulières, et bien sauvent silencieuses et désertes. Quelques maisons méritent néanmoins une mention.

Ainsi, la maison qui forme l'angle de la place de 1830 et de la rue de la Belle-Étoile a un caractère original ; elle date du XVIème siècle ; la façade est en bois recouverte d'ardoises, et les différents étages sont soutenus par d'énormes poutres en saillie ; les fenêtres sont petites et jetées comme au hasard sur la vieille façade. Au-dessus de la porte d'entrée est écrit VIVE DIEV ET SA PVISSANCE, et une inscription formant cordon autour de la maison nous apprend que cette construction a été commencée le 18 avril 1564.

A côté, on peut voir, en allant vers la rue au Lait, une jolie fenêtre, surplombée d'un petit pavillon qui, comme la maison voisine, est recouvert d'ardoises. Cette fenêtre, qui semble étonnée de se trouver en si bizarre compagnie, porte écrits sur son fronton, ces mots : Nil nisi consilio. L'imagination aime à évoquer, à la lecture de cette devise : Ne fais rien sans conseil, le souvenir de quelque vieux procureur ou de quelque jeune avocat, qui habitait autrefois cette singulière maison, dont la partie supérieure est dans un état complet de délabrement.

D'autres maisons du même genre existent encore, tant sur la même place que dans la Grande-Rue ; on peut y remarquer de charmants contours de fenêtres ou de portes ; dans cette dernière rue se trouve, sur la façade d'une maison qui date probablement du commencement du siècle dernier, l'inscription suivante :

Si le nom de Marie
En ton coeur est gravé,
En passant ne t'oublie
De lui dire un Ave.

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Quintin possède plusieurs établissements religieux ou charitables. Dans la partie gauche de la ville [Note : Le quartier qui se trouve à gauche de la Grande-Rue, en montant] et sur un plateau assez élevé est une chapelle, sous l'invocation de saint Fiacre, le patron des laboureurs et des jardiniers ; c'est près de cette église, que les Frères des Ecoles chrétiennes distribuent les bienfaits de l'instruction à un grand nombre d'enfants indigents.

Dans la partie opposée de la ville, et sur un terrain également élevé, est bâti le monastère des Ursulines, lieu de repos, de paix et de prières. C'est là que les générations féminines vont à leur tour puiser ces principes de foi, qui soutiennent au milieu des orages de la vie.

Vis-à-vis de ce monastère, existe une bien modeste chapelle, placée sous le vocable de saint Yves, ce vieux saint breton, moult luysant en miracles, lequel advocassoit pour les povres, par grâce et pitié, sans prendre pour ce ni argent ni monnaie.

Nous ne pouvons passer ici sous silence les deux établissements, réunis dans le même local, du bureau de bienfaisance et du bureau de travail. Le premier fut réorganisé en 1818 par les soins de M. Souvestre, curé doyen de Quintin, de sainte et vénérée mémoire, et confié cette même année aux religieuses de la Congrégation des Filles du Saint-Esprit. C'est là que, sous la direction des médecins de la ville et d'une administration spéciale, ces bonnes religieuses distribuent chaque jour aux malheureux des secours en linge, en médicaments, en bouillon ; elles soignent aussi les malades à domicile.

Le bureau de travail a pour mission de donner de l'ouvrage aux ouvriers tisserands qui pourraient en manquer. Cet établissement, que l'on doit à l'initiative de M. l'abbé du Bois Saint-Séverin, curé de Quintin, et de quelques négociants renommés pour leur bienfaisance, a bien des fois sauvé de la misère nos infortunés tisserands, notamment lors de la guerre de 1870 et 1871. L'hiver était terrible, toute commande avait cessé, le commerce n'existait plus. En présence d'un tel péril, l'administration sut être à la hauteur de sa mission et ne craignit pas de s'imposer de lourds sacrifices ; grâce à ses soins, le danger fut conjuré, et le travail ne fut pas interrompu.

Quintin possède aussi un bel hospice. Il a été fondé en 1752 par les legs et dons de personnes charitables. Les salles en sont vastes et bien aérées. Le bâtiment destiné aux orphelins, et qui vient d'être terminé, est fort beau. Ce sont des religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve qui sont chargées des soins à donner au nombreux personnel de l'établissement, et qui s'en acquittent avec un zèle au-dessus de tout éloge.

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La ville de Quintin ne tient pas une grande place dans l'histoire de Bretagne ; elle a cependant subi plusieurs vicissitudes, notamment en 1487, lors de la révolte que certains seigneurs bretons avaient organisée contre le duc François II. Le sire de Quintin, Pierre de Rohan, s'était jeté avec ardeur dans la lutte et tenait le parti des rebelles. Il attira sur sa ville toutes les horreurs de la guerre. Deux fois prise d'assaut, ainsi que le château, elle fut deux fois livrée au pillage. Les troupes victorieuses du duc de Bretagne emportèrent un riche butin et firent un grand nombre de prisonniers.

Un siècle plus tard, en 1589, le duc de Mercœur, gouverneur de notre province, se jeta dans la Ligue après l'assassinat du duc de Guise par Henri III. Il entraîna à sa suite nombre de gentilshommes bretons, et se mit à guerroyer contre les troupes royales. La lutte fut acharnée de part et d'autre, et pendant plusieurs années notre malheureuse Bretagne fut couverte de sang et de ruines.

Quintin, comme les autres places fortes du pays, fut en butte aux attaques des ligueurs, car son seigneur, qui était alors le comte de Laval, tenait pour le roi. Mercœur se rendit facilement maître de la ville, qui n'avait pour défense que de vieux fossés et quelques barricades. Mais le château résista quinze jours ; Liscouët, le brave gentilhomme qui le défendait, ne pouvant plus tenir, fut au bout de ce temps forcé de se rendre, mais vies et bagues sauves, selon les expressions du temps ; Mercœur mit garnison au château.

Nos ancêtres, attachés à leur seigneur le comte de Laval, ne supportèrent pas longtemps le joug du vainqueur. N'étant pas en force, les Quintinais eurent recours à la ruse. Ils pratiquèrent une intelligence avec un gentilhomme nommé La Giffardière, qui avait épousé la dame de Robien et qui s'approcha de la ville, à la faveur des bois, à la tête de 60 chevaux. Le sachant proche, les habitants engagèrent les soldats de la garnison à jouer et à boire ; mais tandis qu'ils s'amusaient, La Giffardière et ses hommes les surprirent, en tuèrent une partie, firent les autres prisonniers et s’emparèrent de la ville et du château.

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Une période d'apaisement succéda aux luttes sanglantes de la Ligue ; cependant la tranquillité ne fut pas complète, car les dissensions religieuses agitaient encore les populations.

Mme de la Moussaye, comtesse de Quintin, était à la tête du parti protestant dans le pays. En 1662, elle commença à élever, sur les ruines de l'ancien château de Quintin, un nouveau château, dont elle comptait faire le quartier général de tous les huguenots du pays.

Denys de la Barde, homme éminent, qui avait été chanoine de Notre-Dame de Paris et prédicateur ordinaire de Louis XIV, était à cette époque évêque de Saint-Brieuc. Il s'effraya des projets de la comtesse, qui voulait ainsi donner un centre et presque une forteresse à l'hérésie dans le diocèse ; il obtint du roi la fermeture du prêche de Quintin ; de plus, Mme de la Moussaye reçut défense de continuer la construction de son château. Ce château devait être composé de quatre beaux pavillons reliés entre eux par de grands corps de logis. Un seul de ces pavillons était construit, et il existe encore aujourd'hui.

Mme de la Moussaye, contrainte de se soumettre, ressentit contre le prélat une violente colère et résolut de se venger. Un jour, se trouvant à Saint-Brieuc, elle rencontra l'évêque auprès de son palais épiscopal ; elle courut à lui, l'accabla d'injures, de reproches, et s'oublia jusqu'à essayer de lui donner un soufflet. Denys de la Barde supporta cet affront en silence, fit à la comtesse de Quintin un profond salut et se retira. Cette scène avait été trop publique, le scandale trop grand, pour que le retentissement n'en fût pas immense. Le bruit en vint jusqu'aux oreilles du roi, qui, dans son indignation, ordonna qu'il fût fait bonne et briève justice. L'évêque de Saint-Brieuc, en chrétien qui sait pratiquer le pardon des injures, s'interposa entre la justice de Louis XIV et la coupable, et, à sa prière, les poursuites furent abandonnées.

Mme de la Moussaye, profondément touchée de ce procédé, sentit sa colère s'éteindre et résolut de réparer sa faute. L'occasion s'en présenta bientôt. Peu de temps après, Denys de la Barde vint à Quintin en tournée pastorale. Mme de la Moussaye choisit ce moment ; elle s'avança au devant de lui jusqu'à l'entrée de la ville, et là, en présence de toute la noblesse du pays et des principaux bourgeois de Quintin, elle demanda en pleurant pardon à l'évêque et le supplia d'oublier son emportement. Le prélat, touché lui-même jusqu'aux larmes du courageux repentir de Mme de la Moussaye, s'empressa de lui assurer que tout était oublié, et pour en donner la preuve, il voulut, avant de quitter Quintin, se rendre au château avec tout son clergé, et faire visite à la comtesse repentante.

***

Peu à peu, les dissensions religieuses cessèrent en Bretagne. Le nombre des protestants diminua, puis le protestantisme lui-même disparut de notre sol pour ne plus revenir. Pendant plus d'un siècle, la petite ville resta paisible. Sauf quelques fondations religieuses, parmi lesquelles nous devons citer la construction de notre bel hospice (1752), rien n'a surgi d'important pendant cette période. Mais on l'a dit bien souvent : heureuses les villes qui n'ont pas d'histoire !

Nous avons en ce moment sous les yeux un petit imprimé sur feuille volante, qui nous semble assez original pour être reproduit ici. Il est du milieu du dernier siècle, et si ce n'est pas une pièce historique, il a du moins le mérite de peindre avec une naïveté charmante les us et coutumes de ce vieux temps.

Au haut de cette feuille est le timbre royal de France, l'écu aux trois fleurs de lys ; au-dessous est écrit : Par permission de Messieurs les magistrats de cette ville. Puis, en gros caractère :

PRODIGE EXTRAORDINAIRE.

« Le sieur Ignace Moltine, venant des pays étrangers, nouvellement arrivé en cette ville, est conducteur d'une demoiselle italieune qui a resté longtemps esclave en Turquie. Elle a eu les deux bras coupés jusqu'aux coudes par les barbares. Ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que cette demoiselle qui n'a ni poignets, ni doigts, fait toutes sortes d'ouvrages ; elle file au fuseau, enfile une aiguille, coud très bien, coupe avec des ciseaux, attache avec des épingles ; elle tricote très finement, joue des verres et d'un instrument ; elle s'habille toute seule ; elle écrit, coupe avec le couteau tout ce qu'elle mange, pèle une pomme et la coupe ; elle fait plusieurs tours surprenants avec des œufs, enfin, quantité de tours qui seroient trop longs à détailler. Ce véritable phénomène a fait l'admiration de plusieurs princes et princesses tant étrangers que français, particulièrement des dames de France.

Si quelques messieurs et dames de cette ville souhaitent d'appeler cette demoiselle chez eux, elle se rendra à leurs ordres, la faisant avertir une demi-heure auparavant. On peut la voir à toute heure. On prend douze sols aux premières places et six sols aux secondes. La noblesse n'est point taxée.

Ils sont logés » (ici cessent les caractères d'imprimerie pour faire place à une grosse et irrégulière écriture, à l'orthographe fantaisiste) « chez Besançon rus o beurre ». Puis plus bas : « Pour les R. P. Capucins gratis ».

Il faut convenir que le sieur Ignace Moltine n'avait pas des prétentions trop exagérées, en ne demandant que quelques sols, pour l'exhibition d'un tel prodige. Nous sommes donc en droit de supposer que la ville de Quintin, tout entière, se transporta « chez Besançon rus o beurre ».

***

Nous arrivons à la grande époque troublée qui s'appelle la Révolution de 1789. Le souffle orageux, qui s'abattit alors sur la France et la secoua d'un bout à l'autre de son territoire, se fit sentir aussi sur notre modeste cité ; mais la secousse fut relativement faible. Le vallon souffre moins de la tourmente que les sommets.

Le sentiment enthousiaste qui salua l'aurore de la Révolution fut d'abord exempt de toute appréhension. La plupart des membres de la noblesse eux-mêmes crurent y voir le triomphe du bien, de la justice, et rêvèrent pour leur patrie un nouvel âge d'or. On sait, hélas ! que le ciel de la France, si radieux dans ces jours d'espoir, se couvrit bientôt de gros nuages ; les illusions se dissipèrent, et l'anxiété remplit les âmes.

Quintin, comme les autres villes de France, tint, à honneur d'entrer avec zèle dans la nouvelle voie. Le 14 juillet 1790, premier anniversaire de la prise de la Bastille, fut prononcé par les officiers municipaux et les officiers de la garde nationale, le serment fédératif requis par la Nation. On se rendit d'abord à l'église paroissiale où une grand'messe fut célébrée, puis le cortège, au retour, se réunit sur la place du Martray, où un autel avait été élevé. On lisait sur le frontispice : La liberté rétablie, puis la devise : Vivre libre ou mourir ! Pendant la cérémonie de la prestation de serment, on tira vingt et un coups de canon, et toutes les cloches de la ville sonnèrent ; puis le soir, chant du Te Deum et feu de joie.

L'année suivante, la ville de Quintin fonda un club sous le titre de Société des Amis de la Constitution. Un président et des secrétaires furent élus, et la Société se réunit à certains jours. Elle s'empressa de s'affilier aux Frères et amis déjà réunis à Saint-Brieuc, à Guingamp, à Moncontour, etc., et même au club des Jacobins de Paris.

« Entièrement dévouée à obéir fidèlement à la Nation, à la Loi et au Roi, disait le procès-verbal de la première séance, la Société usera de tous les moyens que la sagesse, la prudence et le zèle éclairé pourront, lui fournir pour rappeler à cet engagement quiconque s'en écarterait. Amie de l'ordre et de la loi, elle s'appliquera toujours avec vigilance à observer et à faire observer les décrets de l'Assemblée nationale, sanctionnés par le Roi... ».

Le but était beau sans doute ; mais entraînée par la marche rapide des événements, la Société, comme toutes celles de cette époque, glissa rapidement de l'ordre dans le désordre, du respect de la loi dans l'arbitraire et le despotisme.

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La constitution civile du clergé fut le premier sujet de dissension qui mit aux prises la Société des Amis de la Constitution, le Conseil municipal, et la grande majorité de la population.

M. Jacob venait d'être nommé évêque constitutionnel du département des Côtes-du-Nord (mai 1791). A l'occasion de son installation, la Société des Frères et amis de Saint-Brieuc adressa à celle de Quintin une invitation, pour venir, suivant leur expression, partager leur joie et l'ivresse de leur patriotisme. Une députation de six membres fut nommée pour se rendre à Saint-Brieuc assister à l'intallation de l'évêque, puis il fut décidé qu'à leur retour une fête publique aurait lieu à Quintin, pour célébrer ce grand événement. Ce fut alors que les dissentiments éclatèrent. Le recteur de Quintin, M. Souvestre, refusa énergiquement de chanter un Te Deum pour l'installation d'un prélat schismatique, retranché de la communion de l'Église. L'affaire fit du bruit ; M. Souvestre, sans s'émouvoir, resta inébranlable en présence de la colère et des menaces dont il était l'objet. Il fallut se contenter, pour la cérémonie, d'un vieux sous-diacre de bonne composition, qui chanta tout ce qu'on voulut. Il y eut à cette occasion, dans notre ville, un feu de joie, une illumination générale, et, qui le croirait ? des danses publiques ! Manière toute nouvelle de fêter le sacre d'un prélat.

Le mois suivant, M. l'abbé Nau fut nommé curé constitutionnel à Quintin en remplacement de M. Souvestre, resté fidèle à sa foi, et qui dut bientôt après s'acheminer vers l'exil. L'installation du curé jureur, suivant l'expression populaire, n'inspira pas, paraît-il, un grand enthousiasme à la population, car on se plaignit, dans une des séances du club, de ce qu'une partie des membres de la commune eussent refusé d'y assister. A cette occasion, l'assemblée décida qu'une députation prise dans son sein irait complimenter le nouveau curé, sans doute pour le dédommager de la froideur du corps municipal. M. Nau, très flatté des avances que lui faisait la Société des amis de la Constitution, demanda à en devenir membre, ce qui lui fut accordé. Nous lisons à ce sujet, dans le procès-verbal de la séance du 19 juin 1791, le passage suivant :

« M. Charles Nau, curé constitutionnel, s'est présenté à la barre. Sa présence a répandu dans tous les cœurs la joie la plus vive et la mieux sentie. Ce citoyen zélé a demandé à être admis au nombre des Amis de la Constitution. Sa conduite connue a été le garant de son patriotisme. Pour la première fois, et sans tirer conséquence pour l'avenir, l'allégresse a prévalu sur la forme. M. Nau a été reçu par acclamation. Il a de suite prêté, entre les mains du président, le serment prescrit par le règlement, et cet acte de fermeté à mis le comble à ses vertus civiques... ».

Malgré ses vertus civiques, ou peut-être à cause de ces vertus, son ministère, paraît-il, eut peu de succès à Quintin, et les brebis de son troupeau ne montrèrent que de la répugnance à se rallier autour de sa houlette schismatique.

Les plaintes en retentirent de nouveau au club des Amis de la Constitution ; nous lisons en effet à cette occasion, dans le procès-verbal de la séance du 17 juillet de cette même année 1791 :

« L'assemblée a chargé un nouveau commissaire de demander à la municipalité qu'elle fasse conformer les prêtres à l’ardonance du département, ou qu'elle déduise les motifs de ses refus ; en observant que dimanche 17, ce jour, beaucoup de personnes se sont rendues à la messe d'onze heures ; et voyant qu'elle était célébrée par le curé constitutionnel, sont sorties scandaleusement de l'église. Restées à la porte jusqu'au moment où le sieur Gallais commençait à célébrer, elles sont rentrées avec affluence. Le sieur Gallais est monté à l'autel aussitôt que le curé constitutionnel en est descendu, et d'une manière affectée, qui dénote le dessein de discréditer les mystères célébrés par le prêtre constitutionnel.

Il a été encore observé, dit le procès-verbal d'une autre séance, que ce jour, dimanche, pendant les vêpres de la paroisse, il s'était rassemblé au cimetière Saint-Thurian, quantité de personnes, qui, contre l'usage ordinaire, y chantaient les vêpres, dans l'intention, sans doute, de fomenter un schisme dans cette ville ».

Les séances du club de Quintin, tour à tour interrompues et reprises, recommencent enfin, le 22 septembre 1793, pour ne cesser qu'à la fin de l'année 1794, époque où l'association fut dissoute.

Mais les temps sont bien changés ; les événements, en se déroulant, ont amené les mesures violentes et vexatoires et toutes les horreurs de la guerre civile. Quintin, pris, repris, abandonné successivement par les divers partis qui parcouraient le pays en armes, ne savait parfois que répondre au cri des sentinelles. On raconte, à ce sujet, que dans une sombre soirée d'hiver, alors que la ville se croyait encore occupée par les troupes royalistes, une forte colonne républicaine en avait déjà pris possession. Plusieurs citoyens inoffensifs, auxquels les ténèbres dérobaient la vue des uniformes, répondirent au cri Qui vive ? des républicains, par le mot de royalistes. Les sentinelles envoyaient des balles et les hommes tombaient. Ce ne fut que plus tard, presqu'au milieu de la nuit, après plusieurs accidents de cette nature, que Quintin apprit qu'il avait changé de maîtres et devait par suite changer de cocarde et de cri de ralliement.

Le lendemain, les mêmes troupes républicaines tinrent un conseil de guerre ; elles avaient à juger un de leurs jeunes soldats. Ce fut dans la chapelle dédiée à saint Yves, dont nous avons parlé, que se réunit ce tribunal militaire. Personne ne nous apprendra jamais les faits relevés à la charge de l'accusé; tout ce qu'on sait, c'est que la peine de mort fut prononcée contre lui ; puis, avec la rapidité brutale de cette époque, il fut décidé que la sentence serait immédiatement exécutée. En conséquence, le condamné, en sortant de la chapelle Saint-Yves, fut conduit au Grand Jardin, à l'entrée de la ville, placé devant un peloton d'exécution, et passé par les armes.

Nous nous souvenons avoir entendu raconter dans notre enfance, par un témoin oculaire, l'émotion qu'occasionna dans la ville la mort de ce soldat inconnu. Il était dans toute la fleur de la jeunesse : taille haute et svelte, visage imberbe et d'une grande douceur. La pluie qui ruisselait sur sa tête nue, pendant qu'il marchait au supplice, détrempait les longues mèches de ses cheveux blonds. En passant sur la chaussée, son regard mélancolique s'arrêta longtemps sur la surface de l'étang, dont les eaux sombres reflétaient les branches dépouillées des arbres. On crut, dans ses yeux, voir briller quelques larmes. Peut-être ce paysage paisible rappelait-il au jeune condamné un lointain souvenir d'enfance, et envoyait-il par la pensée un suprême adieu à ceux qu'il ne devait plus revoir....

***

Dans cette malheureuse époque, les passions surexcitées rendaient ceux qui avaient l'autorité en main sourds à toute pitié, insensibles aux souffrances et aux angoisses de leurs compatriotes. La communauté des Ursulines, dont les religieuses avaient été expulsées au nom de la liberté, était alors transformée en maison de détention ; elle renfermait tous les suspects. Grâce aux événements du neuf thermidor, le couperet de la guillotine suspendu sur la tête des prisonniers, fut écarté à Quintin comme ailleurs. Nos chers compatriotes, au reste, avec l'inépuisable verve du caractère français, prenaient gaiement la position qui leur était faite, et ils oubliaient, dans de joyeux ébats et de spirituelles causeries, la mort hideuse qui faisait sentinelle aux portes du couvent.

Toutes les églises étaient alors fermées ; le curé constitutionnel avait été, lui aussi, emporté par le torrent ; la France aveuglée, — ou plutôt les bandits qui en avaient fait leur proie — ne voulaient plus d'autre culte que celui de la Raison.

Les motions présentées à cette époque aux séances du club sont le reflet fidèle des passions irréligieuses et subversives du moment ; nous en citerons quelques-unes.

Séance du 9 nivôse an II.« La Société a arrêté que la borne, proche l'église paroissiale, marque de féodalité, sera abattue aux frais de la Société ».

« Sur la motion d'un membre, la Société a nommé deux commissaires à l'effet de faire repiquer et marteler les pierres tombales armoriées dans la ci-devant collégiale et d'autres, s'il s'en trouve, et partout où on en pourrait découvrir.... ».

C'est sans doute à cette décision que nous devons d'avoir retrouvé, en démolissant notre vieille collégiale, deux statues tumulaires de chevaliers brisées et mutilées.

Séance du 13 nivôse an II (3 janvier 1794).« La Société arrête que les croix existantes sur les chapelles et dans tous autres endroits seront descendues, et autorise deux commissaires de traiter du prix pour cet effet et d'en rendre compte à la Société ».

« Autorise les président et secrétaires à demander à la municipalité que la Société puisse se servir des vieux chapeaux de la croix de Saint-Yves pour en former des drapeaux tricolores ».

Séance du 7 pluviôse an II.« Sur différentes motions, on a arrêté que deux commissaires présenteraient une pétition à la municipalité, pour qu'elle autorisât à enlever tous les signes extérieurs du fanatisme qui sont dans la commune, tels que croix, saints, saintes vierges et anges,... et même à changer le nom des rues qui ont des saints pour avant-courriers ».

Séance du 11 pluviôse an II.« Sur la proposition d'un membre, la Société arrête qu'il sera fait mention au procès-verbal d'une flamme en tôle, aux trois couleurs, surmontée du bonnet de la liberté, dont elle fait les frais, qu'elle destine à être placée sui la tour de la ci-devant collégiale. D'un côté de cette flamme seront inscrits ces mots : Raison. Primidi, seconde décade de pluviôse, l'an II de la République une et indivisible. Et de l'autre côté : Liberté, égalité. Donné par la Société des républicains sans culottes de Quintin ».

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Dans la même séance du club jacobin de Quintin (11 pluviôse an II), nous voyons apparaître un certain citoyen Le Buchoux, autrefois frère chez les R. P. Récollets, et qui depuis avait rempli avec talent (nous n'en doutons pas) les fonctions de chantre à l'église constitutionnelle. Nous laissons la parole au procès-verbal, nous reconnaissant humblement incapable d'égaler le beau style de ce temps :

« Le républicain Louis Le Buchoux a rendu un hommage éclatant à la raison, en déposant sur le bureau ses lettres de profession de Récollet, et en demandant que ce vain chiffon, qui depuis tant de temps n'avait servi qu'à tromper, devint la proie des flammes, afin que la lumière qui en rejaillit pût servir à dessiller les yeux des malheureuses victimes de la superstition.... — La Société, en applaudissant à la sincérité de Louis Le Buchoux, a arrêté qu'il en serait fait mention au procès-verbal ».

Les noms des rues de la ville ayant été changés, comme on l'a vu plus haut, nons en transcrivons ici quelques-uns :

Grand'Rue, devenue Rue de la Liberté.
Rue Notre-Dame, devenue Rue de la Raison.
Rue de l'Hôpital, devenue Rue de l'Humanité.
Rue de la Poissonnerie, devenue Rue de la République.
Rue de la Belle-Étoile, devenue Rue de Guillaume-Tell.
Rue à la Cendre, devenue Rue du Bonnet-Rouge.
Rue du Jeu-de-Paume, devenue Rue de Marat.
Rue Rochonen, devenue Rue de la Montagne.
Rue du Vau-de-Gouët, devenue Rue de la Révolution.
Rue Petite-Rue, devenue Rue de la Carmagnole.
Rue des Douves, devenue Rue de l'Égalité.
Rue des Forges, devenue Rue de la Patrie.
Rue Neuve, devenue Rue des Vertus.
Rue des Croix-Jarrot, devenue Rue de l'Opinion.
Rue de la Berliche, devenue Rue des Droits-de-l'Homme,
Rue des Degrés, devenue Rue de la Loi.
Rue des Portes-Boulain, devenue Rue des Sans-Culottes.

Nous bornons là cette nomenclature.

***

Dans la séance du 5 germinal an II, fut présenté un projet de peinture à fresque destiné à décorer le fond de la salle que la Société faisait arranger pour y tenir ses séances. Cette salle était l'ancienne chapelle Notre-Dame de la Porte, qui maintenant sert d'église provisoire à Quintin. Voici le texte de ce projet : « Un rideau ouvert au large, qui dessille les yeux de tout le peuple (sic). Dans le centre du tableau s'élèvera une montagne sur le sommet de laquelle est le génie de la France, qui s'élance pour planer sur la République. Ce génie tiendra d'une main une trompette pour sonner l'éveil ; de l'autre un drapeau tricolore qu'il fera flotter dans les airs. L’œil de la surveillance, peint sur le drapeau, fera voir aux ennemis de la République qu'ils ont à craindre, sous quelque forme qu'ils se déguisent, et l'œil étant ouvert désignera qu'on est infatigable.

A droite de la montagne, un pilastre colossal, surmonté d'une statue de femme, représentera la Liberté tenant d'une main un faisceau d'armes, de l'autre une pique surmontée du bonnet de la Liberté. Sur le pilastre seront représentés les attributs de la force et de la valeur... A gauche sera l'Egalité sur un pilastre pareil, pour former le pendant ; elle sera aussi représentée sous la forme d'une femme tenant d'une main un triangle, emblème de l’égalité, de l'autre le livre de la Constitution et des Droits de l'homme. Pour faisceau, au pilastre, sera le flambeau de la raison. Deux mains étroitement serrées, signe d'union, une branche de chêne représentant la force et l'énergie, une branche d'olivier en signe de la paix que nous faisons avec tous les peuples libres, le tout suspendu à la colonne par un ruban, sur lequel sera encore une devise analogue.

Au bas du tableau sera représenté un marais, dans lequel le noble est plongé avec ses armoiries renversées, tous les emblêmes de la tyrannie et de la royauté, ainsi que le fanatisme, sous la forme du froc et de la guimpe ».

L'auteur de ce projet offrait son travail gratis ; il demandait seulement des adjoints pour l'aider et une somme de soixante à quatre-vingt livres pour payer les couleurs, les frais d'échafaudage, etc.... Nous croyons que malheureusement, ou heureusement (comme on le voudra), ce magnifique projet de peinture murale ne fut pas exécuté ; car, plus tard, nous voyons la Société demander que la peinture en forme de niche, placée derrière le bureau, soit effacée, pour être remplacée par un attribut analogue à la liberté. Ce beau projet était donc tombé dans l'eau, ou mieux, s'était englouti, lui aussi, dans le marécage figuré au bas de la fresque.

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La Convention ayant décrété, le 18 floréal an II, le culte de l'Être suprême et l'institution de fêtes publiques destinées à inaugurer cette religion nouvelle, Quintin s'empressa de se conformer à cet ordre. Nous donnons ici le programme officiel arrêté à l'occasion de cette fête :

« Il faut d'abord, dit ce programme, que la fête soit annoncée de la manière la plus solennelle ; à défaut d'artillerie, nous avons pensé que la grosse cloche de la commune devait être mise en branle dès le point du jour, et qu'elle ne devait cesser qu'après la cérémonie terminée. Vous ne craindrez pas de troubler le sommeil léthargique de l'aristocratie ; ce sera un son de terreur pour les fanatiques, pour les partisans de la royauté, s'il en était encore dans la commune, et qu'ils pussent se croire dispensés d'honorer l'Être suprême.

Il faut qu'à six heures du matin, chaque maison soit décorée d'une branche de chêne et d'une banderole tricolore ;

Que la générale soit battue à six heures dans toutes les sections ; qu'aux huit heures, au plus tard, tous les citoyens armés soient réunis sur la place de l'Égalité [Note : Place du Bourg-Jugné], vêtus le plus qu'il sera possible en uniformes, un panache de chêne au chapeau ; que le drapeau de la garde nationale soit au centre. A neuf heures précises, qu'un roulement se fasse entendre ; qu'un piquet soit détaché pour aller à la maison commune recevoir le magistrat du peuple et les membres des autorités constituées, qui porteront à la main des branches de chêne ; que le piquet les conduise au centre de la troupe, sur la place de l'Égalité. Que l'ordre pour la marche soit donné. Qu'elle soit ouverte par un adolescent le front ceint d'un myrthe, vêtu de blanc, orné de festons de branches de chêne, de fleurs et de rubans tricolores, portant en bannière les Droits de l'homme et la Constitution. Qu'il soit suivi d'un groupe d'enfants des deux sexes, vêtus et parés comme lui, portant à la main des corbeilles remplies de fleurs, qu'ils jetteront vers la voûte du ciel, le plus beau spectacle de la nature, le plus magnifique présent de l'Être suprême. Que le cortège s'avance dans cet ordre au lieu de la réunion ; qu'il soit suivi de la masse des citoyens marchant sur deux colonnes, les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. Que le son des tambours, coupé par le chant des strophes à l'Être suprême, accompagne la marche.

Rendus au lieu de la réunion, que tous les citoyens se rangent avec ordre et respect autour de l'autel de la patrie. Qu'un roulement commande le silence. Que le maire ou un autre citoyen monte sur l'autel et y prononce un discours à l'Être suprême et sur l'immortalité de l'âme. Que la fin de la cérémonie soit annoncée par un dernier roulement. Qu'alors, les cris de Vive la République ! sortis de toutes les bouches, s'élèvent jusqu'aux cieux et se prolongent au milieu des embrassements et de la joie universelle des citoyens ».

Ce programme est adopté par acclamation.

Puis, « sur la proposition d'un membre la Société arrête qu’à l'issue de la cérémonie, au lieu de s'en retourner chacun chez soi prendre tristement un repas symétriquement apprêté, chacun au contraire ferait apporter et apporterait lui-même ce qu'il aurait de préparé, et que le déposant sur le gazon, à la vue de ceux qui l'environneront, il partagera avec quiconque voudra bien l'accepter, le mets que ses facultés lui auront permis d'apporter.

Ces dispositions seront annoncées aux habitants des campagnes par deux bannies qu'on invitera la municipalité à faire faire, et on les préviendra, en outre, de ne point craindre de se mêler parmi les convives, ayant un moyen de frayer eux-mêmes aux besoins de bien des personnes et de coopérer à rendre le repas plus gai, en y apportant des laitages, qui sont le produit de leurs soins domestiques.

Sur une adresse fraternelle des membres de la commune du Fœil qui désirent se joindre à nous pour célébrer l'Être suprême et la nature, le bureau est chargé de témoigner à ces dignes frères les sentiments qu'ont éprouvés les membres de la Société, à la lecture de leur adresse, et la satisfaction qu'ils se proposent en les voyant se mêler parmi eux, décadi prochain ».

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Ce fut sous les rayons d'un beau soleil de juin, que se déroulèrent, au jour marqué, les longues files de cette procession d'un nouveau genre, à laquelle chacun devait assister, sous peine de passer pour suspect ; elle se dirigeait vers le lieu appelé Grand-Jardin, terrain vague et assez étendu, à l'entrée de la ville, sur lequel s'élève aujourd'hui la Promenade publique. Là se dressait l'autel de la Patrie, auquel on arrivait par un grand portique orné de verdure; sur le frontispice on lisait ces mots : L'hommage d'un cœur vertueux et pur est seul agréable à l’Etre suprême.

Les enfants et les jeunes filles, uniformément vécus de blanc et couronnés de feuillage de chêne, étaient placés sous la surveillance de citoyennes respectables, qui, pour ce grand jour, avaient fait revivre le nom de matrones, renouvelé de la république romaine.

L'autel de la Patrie, recouvert de gazon, était surmonté de la statue de la Liberté. La municipalité avait d'abord été embarrassée pour se procurer cette statue symbolique, qui n'existait pas dans le pays; mais une des matrones eut l'idée heureuse de prendre, pour cette circonstance, une des statues de saintes, qu'une violence sacrilège avait arrachées de leurs niches séculaires. Ce fut sur sainte Catherine que tomba le choix de l'intelligente républicaine, et ce fut par ses soins encore que des draperies de mousseline convenablement agencées donnèrent à la pauvre sainte l'aspect requis pour son nouveau rôle. Le bonnet phrygien, posé sur sa tête, dissimulait sa couronne. De nombreuses lumières brillaient parmi les verdures de chêne qui décoraient l'autel.

Le cortège prit place sur l'estrade ; la foule se rangea autour, en silence. Des discours patriotiques furent prononcés ; puis le président du club entonna de sa voix de stentor un hymne républicain de sa composition, dont les deux premiers vers seuls sont venus jusqu'à nous :

Mon âme était comme un cristal,
Sortant de la montagne....

Mais au même instant, la flamme des lumières, on ne sait comment, mit tout à coup le feu aux draperies légères qui travestissaient sainte Catherine, et en un moment, tout fut consumé !... Cela fut si prompt, que le bois de la statue ne fut pas entamé ; mais l'émotion fut grande dans la foule, quand on reconnut la jeune sainte, s'appuyant d'une main sur la roue, instrument de son supplice, de l'autre, tenant la palme du martyre ! Les cris et les rires éclatèrent de toutes parts : Sainte Catherine !... Sainte Catherine !... criaient cent bouches à la fois.

Le scandale était, grand, avouons-le.... Mais aussi c'est surtout dans les grandes catastrophes qu'éclatent les grands dévouements ; on en eut une nouvelle preuve, ... Deux matrones, dont la postérité ingrate n'a pas conservé les noms, surent être à la hauteur de la situation. Dénouant sans hésiter la ceinture de leurs tabliers de mousseline à hautes bavettes, elles en improvisèrent une tunique pour l'incorrigible sainte, trop empressée de montrer à tous, sous son déguisement patriotique, sa toilette réactionnaire de vierge martyre !

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Mais les événements marchèrent ; une nation ne peut rester longtemps sous l'empire d'une surexcitation aussi violente. La fièvre disparut et le calme revint. L'homme de génie, suscité pour relever notre malheureuse patrie et guérir ses blessures, parut enfin. Le Dieu chassé de nos temples en reprit possession et la foule s'empressa de se réunir comme auparavant au pied des autels, à la voix de ses pasteurs revenus de l'exil. Au nombre de ces derniers, fut le digne prêtre dont nous avons déjà parlé, M. l'abbé Souvestre, curé doyen de Quintin, presque uniquement connu dans notre ville sous son titre de M. le Doyen.

On ne peut se faire une idée de l'amour et de la vénération de la ville entière pour ce saint prêtre. Les incrédules eux-mêmes ne pouvaient approcher de lui, sans éprouver une douce émotion ; tout à tous, malgré ses infirmités et ses souffrances, M. le Doyen remplit avec ferveur, jusqu'au dernier jour de sa vie, les devoirs de son ministère. Sa bienfaisance était inépuisable; sa bonté attirait à lui tous les cœurs. Enfin, lorsque l'heure de la récompense sonna pour lui, une douleur immense éclata dans toute la ville. Ses funérailles furent un véritable triomphe. Aujourd'hui encore, quoique plus de cinquante années se soient écoulées depuis sa mort, le souvenir de ce bon pasteur est toujours vivant parmi nous.

Sur son tombeau, placé à l'ombre d'un if quatre ou cinq fois centenaire, on ne manque jamais d'apporter les petits enfants, pour qu'ils y essaient leurs premiers pas ; aussi l'inscription qui y est gravée est-elle à moitié effacée sous ces petits pas incertains d'enfants, que les mères tiennent à mettre, dès leur entrée dans la vie, sous la protection de M. le Doyen.

Le cours des événements nous amène à reparler de l'abbé Nau, qui fut le curé constitutionnel de Quintin, et dont le repentir égala les fautes. Aveuglé par l'ambition et la vanité, il avait, à la voix de ces mesquines passions, quitté le droit sentier. Ses yeux furent promptement dessillés, et lorsqu'ayant rétracté son serment schismatique, il fut rentré dans la communion de l'Église, il ne vécut que pour effacer par sa pénitence le scandale qu'il avait autrefois donné. Rempli d'humilité, se plaçant toujours au dernier rang, il recherchait les occupations les plus basses, les plus pénibles, ne croyant jamais avoir assez fait pour expier ses erreurs.

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Après les déchirements causés par la guerre civile, le repos dont on jouissait sembla plein de charme. L'éclatant triomphe de nos armées, sur tous les champs de bataille, le drapeau de la France flottant victorieux au-dessus des capitales étrangères, faisaient vibrer avec orgueil la fibre patriotique. Les joyeuses fêtes de famille se multipliaient ; car on avait soif de ces plaisirs dont on avait été sevré si longtemps. A cette époque, on le sait, chacun aimait à envelopper ses pensées de la forme poétique ; tout se tournait en vers et en chansons. Pas un banquet, où ne circulât autour de la table le couplet malin ou patriotique. Nous cédons au désir d'en citer ici un trait assez original :

On remarquait alors, dans la société de Quintin, un sire de Botidoux, vieux chevalier de Saint-Louis, imagination vive et esprit distingué. A tort ou à raison, il passait pour être doué d'un insatiable appétit, et on citait de lui maints tours de force gastronomiques. Un jour, pendant un dîner auquel il assistait, après une discussion plaisante avec un de ses amis, il fut convenu que lui et cet ami allaient, séance tenante, remplir quatre bouts-rimés qu'on leur fournirait. Le sujet des deux quatrains devait être M. de Botidoux lui-même. Les quatre rimes choisies furent : Andouille, citrouille, mouton et bouton.

L'adversaire de M. de Botidoux se tira ainsi de la tâche qui lui était imposée :

« Servez à Botidoux pour dîner une andouille,
Ajoutez-y le jus d'une énorme citrouille,
Une côte de bœuf, un gigot de mouton,
De son habit, à peine, aurez-vous un bouton ! »
.

M. de Botidoux, de son côté, écrivit :

« Par la poudre à canon fumé comme une andouille,
Ayant parfois pour lit celui de la citrouille,
Mangeant bien plus souvent du pain que du mouton,
J'ai gagné cette croix qui orne mon bouton ! »
.

Il y a bien un hiatus au dernier vers, mais quand on improvise !... Ce fut vers cette époque aussi, que mourut un vieillard renommé pour sa bienfaisance. Il habitait le château de la Noë-Sèche, situé près de Quintin, et dont il portait le nom.

Il aimait ce château, dont le portail, avec le bâtiment qui le contient, est une curieuse construction du XVème siècle. Il voyait avec plaisir les magnifiques avenues qui l'entouraient alors, servir le dimanche de lieu de promenade aux habitants de la ville. La bienfaisance de M. de la Noë-Sèche était inépuisable ; et lors de l'ouverture de son tombeau, sa main droite, instrument de ses bonnes œuvres, a été trouvée assez intacte pour qu'on y vit la glorification de ses nombreuses aumônes. Elle est exposée, de nos jours encore, dans un reliquaire au cimetière de la commune du Fœil, et vénérée par la population.

***

Nous croyons devoir citer ici les noms de quelques personnes nées à Quintin, et qui, soit par leurs mérites personnels, soit par les fonctions publiques qu'elles ont remplies, méritent une mention spéciale.

Nous nommerons d'abord le Père Rigolleuc, saint missionnaire, né en 1595 ; il a laissé de bons traités de dévotion ; ses études avaient été brillantes ; il était savant latiniste.

Suivant la plupart des biographes (quoique le point ait été contesté), Quintin a aussi donné naissance au Père Toussaint de Saint-Luc, religieux carme (mort en 1694), auteur de plusieurs livres de piété et de divers ouvrages d'histoire, entre autres de Mémoires sur l'état du clergé et de la noblesse de Bretagne, livre utile, estimé, qui a été réimprimé de nos jours.

L'abbé Digaultray, l'un des plus savants docteurs de Sorbonne du XVIIIème siècle, est aussi un enfant de Quintin, ainsi que Daillant de la Touche, collaborateur de Fréron et traducteur de Swendenborg, né en 1744.

Honoré Fleury, avocat, né en 1754, fut nommé, au mois de septembre 1792, représentant du peuple à la Convention ; se rallia d'abord au parti des Girondins, mais ne partagea pas leurs erreurs ; il ne vota pas la mort du roi, et se déclara pour l'appel au peuple et le sursis. Lorsque la Convention, sous la pression de la Montagne, vota le décret de proscription des Girondins, M. Fleury fut un des 72 représentants qui signèrent, chez le célèbre Lanjuinais, une protestation contre ce décret. Cet acte de courage lui valut d'être lui-même mis en arrestation avec les autres signataires. D'abord emprisonné à la Force, en compagnie de malfaiteurs, il fut, avec plusieurs de ses collègues, transféré successivement dans diverses prisons de Paris.

M. Fleury a laissé à sa famille des notices intéressantes et curieuses, où il relate ses opinions personnelles sur le grand drame qui se déroulait sous ses yeux et les souffrances qu'il eut à supporter pendant les quinze mois que dura son emprisonnement. Il peint surtout, d'une manière émouvante, ses angoisses pendant la nuit du 9 thermidor, où lui et ses amis attendaient les égorgeurs, qui devaient commencer à minuit leur horrible besogne. La chute de Robespierre, arrivée cette nuit même, les sauva.

Revenu à Quintin, M. Fleury fut nommé juge de paix (1802). Il en remplit les fonctions jusqu'à sa mort (1827). En 1821, Louis XVIII lui avait donné la croix de la Légion d'honneur.

Un autre de nos compatriotes lui succéda à l'assemblée délibérative qui se réunit après la Convention. M. François Limon, avocat, prit place en effet au conseil des Cinq-Cents.

Quintin a aussi donné le jour à un grand nombre d'officiers des armées de terre et de mer, qui ont bravement versé leur sang pour leur patrie. Plusieurs ont pu revenir parmi nous, mais beaucoup aussi sont tombés, frappés à mort, sur les champs de bataille. Honneur à eux !

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Nous ne pouvons terminer cette nomenclature, sans faire mention d'un de nos compatriotes qui, s'il n'a pas, comme ceux dont nous venons de parler, versé son sang pour la défense du pays, a porté dignement au loin le nom de la France et supporté, avec une admirable constance, les plus douloureux tourments pour le nom de Jésus-Christ.

M. l'abbé Pierre-Marie Le Turdu, missionnaire apostolique, naquit à Quintin en 1823. Il montra, dès ses plus jeunes années, de grandes dispositions pour la piété et des aptitudes spéciales pour l'étude. Il suivit les cours du petit séminaire de Plouguernevel, puis se sentant appelé par un attrait irrésistible à la prédication de l'Evangile chez les infidèles, il entra à Versailles au séminaire des Missions étrangères. Il fut ordonné prêtre à l'âge de vingt-trois ans. Deux ans après, en 1848, il partit pour la Chine, où il commença l'exercice de son ministère. Envoyé un peu plus tard au Japon, il y fut presque aussitôt saisi, emprisonné, et pendant trente mois, il subit une étroite captivité. Mis en liberté, il revint en Chine, où l'attendaient de cruelles souffrances. Dénoncé aux autorités de la province de Canton, il fut arrêté dans la petite maison qu'il habitait, traîné la corde au cou pendant plusieurs lieues, et en arrivant, traduit devant le mandarin. Sur son refus de renoncer à prêcher l'Evangile, le juge ordonna qu'il fût mis à la torture.

Nous avons lu maintes fois la description des supplices infligés aux premiers chrétiens par les persécuteurs de la foi et nous avons frémi devant ces tableaux sanglants. Il s'est néanmoins écoulé près de vingt siècles, depuis que ces tourments ont été subis par les Laurent, les Sébastien, les Blandine, et ces illustres martyrs ne nous sont jamais apparus que le front ceint de la couronne immortelle. Mais ici, l'émotion doit être plus vive, quand ces héros, intrépides devant la souffrance, ont été nos compatriotes, nos contemporains, lorsqu'ils ont vécu dans les mêmes lieux que nous et que nos yeux ont bien des fois rencontré les leurs.

M. l'abbé Le Turdu raconta depuis à Mgr Guillemain, son évêque, les émotions qu'il éprouva, lorsqu'il fut mis en demeure de choisir entre l'apostasie et d'indicibles douleurs. La réponse du courageux missionnaire ne pouvait être douteuse, et le juge le condamna à recevoir trois cents coups de rotin.

Le rotin est un végétal à tige grêle, offrant des entre-deux longs et espacés, armés d'épines ; c'est une espèce de roseau d'une consistance ligneuse, et en même temps flexible ; chaque coup, au bout de quelques instants, fait jaillir le sang.

Les premiers coups, raconta le saint martyr, furent horribles ; il eût voulu, selon ses expressions, être à cent pieds sous terre.... Alors, élevant vers le ciel son cœur noyé de terreur et d'angoisse, il demanda secours à Celui qui est appelé la Force des Martyrs et qui, lui aussi, a voulu subir une flagellation sanglante.... Le secours ne se fit pas attendre ; comme au temps des premiers chrétiens, la douleur physique cessa, pour faire place à une sorte d'extase, où le martyr ne ressentait plus que la joie de souffrir pour le nom de Jésus-Christ !...

La même torture a été infligée à plusieurs reprises à M. Le Turdu, et toujours, quoique le rotin en frappant ravivât des plaies non encore complètement cicatrisées, la grâce divine est venue, comme un baume, calmer les horribles souffrances du missionnaire.

Remis en liberté, M. le Turdu reprit parmi les chrétiens son ministère évangélique ; mais la persécution, quelque temps suspendue, recommença bientôt avec violence. Arrêté de nouveau, le confesseur de la foi est jeté dans une prison souterraine, remplie d'immondices. On l'y laissa plusieurs jours sans aliments. Il y resta debout, appuyé à la muraille, pour ne pas se coucher dans les ordures dont le sol était couvert ; mais au bout de deux jours, la faiblesse l'emporta, et il lui fallut tomber dans cette boue hideuse. Il y fût probablement mort de faim, si des chrétiens n'étaient pas parvenus à lui faire passer du riz.

Ce supplice fit bientôt place à un autre. Retiré de cette ignoble fosse, il se vit river au cou une lourde cangue. La cangue est une espèce de carcan portatif, consistant tantôt en une grande table percée de trois trous, l'un pour passer le cou, les deux autres pour passer les mains ; tantôt en un triangle de bois que l'on fixe au cou du patient, et auquel une de ses mains est attachée. M. l'abbé Le Turdu a traîné cette lourde croix pendant près d'une année.

Délivré enfin par M. de Lagrenée, représentant du gouvernement français, il put reprendre ses fonctions de missionnaire auprès des chrétiens, qui avaient pour lui autant de respect que d'amour. Mais sa santé, gravement ébranlée par les tortures, les privations et les fatigues qu'il avait endurées, ne put jamais se remettre. Miné par une fièvre lente, il perdit successivement ses forces, et enfin expira au mois de juillet 1861, à Canton, à l'âge de 38 ans. Il avait passé treize ans dans les missions de la Chine.

Son frère puîné, qui avait, à son exemple, dit adieu à sa patrie et à sa famille, et qui, comme lui, avait été envoyé aux missions de Chine, fut, au bout de quelques années, nommé vicaire apostolique de la Malaisie, puis un peu plus tard évêque à Singapour. Epuisé par les fatigues et l'influence malsaine du climat, Mgr Michel Le Turdu est revenu mourir à Paris en 1877 ; il avait cinquante ans. C'est le premier évêque auquel Quintin ait donné naissance.

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Notre tache est terminée. Nous avons rapidement parcouru le sillon que nos devanciers ont marqué dans le passé, en laissant çà et là la trace de leurs larmes, de leurs souffrances, de leurs joies. Les générations se sont succédé, nous léguant pour héritage la foi, solidement implantée dans notre sol... La tempête peut agiter sans doute les branches d'un vieux chêne, en briser même quelques-unes, mais le tronc reste immobile et défie la violence du vent.

La prospérité de Quintin a graduellement diminué depuis bien des années. Le tissage de la toile, qui fut jadis pour ses habitants une source de richesse, peut maintenant à peine nourrir une jeune famille ; et lors de la maladie ou du chômage, la misère vient s'asseoir à l'humble foyer. L'envie et la colère ne bouillonnent pas néanmoins dans ces cœurs éprouvés : on sait encore, dans nos chaumières, que les souffrances de la terre sont comptées pour le ciel ! Le malheureux sait aussi que la charité ne manquera pas de tendre vers lui sa main bienfaisante.

Pour notre excellente population, les fêtes religieuses sont encore les plus beaux jours de l'année : soit que le Vendredi-Saint, elle accompagne le soir, à la lueur des flambeaux et aux sons d'une musique funèbre, l'image sanglante du divin Crucifié, soit que, parée de ses plus beaux habits, elle suive, le premier dimanche de mai, la ceinture vénérée de Notre-Dame de Délivrance, tandis que devises pieuses, oriflammes et guirlandes flottent dans nos places et nos rues.

(Alexandre Fabry).

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