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LA VIE MUNICIPALE A PONT-CROIX EN 1790-1791.

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L'Assemblée Nationale avait décrété le 12 novembre 1789, « qu'il y aurait une municipalité dans chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne » et le régime nouveau fut organisé par les décrets du 14 et du 22 décembre suivant. Les lettres-patentes du Roi pour la constitution des municipalités arrivèrent à Pont-Croix le 18 janvier, et le « comité de district » se mit à l'œuvre pour étudier l'organisation et préparer le fonctionnement de la nouvelle machine administrative.

Il commença par dresser la liste des « citoyens actifs ». Cette qualification était réservée à ceux qui payaient une contribution équivalente à « trois journées de travail », mais l'Assemblée laissait aux autorités locales le soin de fixer le prix de ces journées. A l'unanimité le comité de Pont-Croix taxa la journée de travail à quinze sols ; pour être électeur il fallait donc payer quarante-cinq sols. La liste électorale fut affichée à la porte de l'église et sur les murs de la halle, et les électeurs furent convoqués pour le mercredi 3 février, a midi, en la chapelle des Ursulines, gracieusement mise à leur disposition par Madame la Supérieure. On avait parlé de se réunir à la chapelle de la Magdelaine, sise au chevet de l'église paroissiale ; ce local avait été reconnu trop étroit, ou plutôt trop modeste pour servir de sanctuaire au peuple souverain.

Au jour fixé, dès 8 heures du matin, les membres du corps politique et du comité de district, sont convoqués, par billet, pour prendre les dernières dispositions et pour se rendre en corps, à la messe du Saint-Esprit, dite par Monsieur le Recteur.

Après avoir imploré les secours du Ciel, les citoyens actifs se réunissent au son de la caisse et de la campane. Ils sont au nombre de 86, dont 58 éligibles, parmi lesquels l'abbé Quillivic, instituteur, déclaré éligible par acclamation « d'assi et élevé ». M. Le Bris Durest explique en français et en breton l'objet de la réunion : il s'agit d'élire un Maire, un Procureur de la Commune, cinq officiers municipaux et douze notables.

On distribue aux électeurs des billets timbrés, à l'effet d'y inscrire les noms des personnes qu'ils jugent en leur âme et conscience devoir être élues. Ceux qui ne savent pas écrire, choisissent pour secrétaire M. Quillivic qui prête serment de se bien et fidèlement comporter en cette fonction et les scrutins commencent. Le premier a pour objet de constituer le bureau de l'Assemblée. M. Billette est élu président, M. Ladan secrétaire. Ils font le serment de « maintenir de tout leur pouvoir la constitution du royaume, d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, de choisir, en leur âme et conscience, les plus dignes de la confiance publique, et de remplir avec zèle et courage les fonctions civiles et politiques qui pourront leur être confiées ». L'Assemblée tout entière répète le même serment, et, après avoir nommé trois scrutateurs, on procède à l'élection du Maire. M. de Clermont, père, obtient 72 voix. Ce chiffre élevé témoigne sans doute de la considération dont jouissait l'agent de Mme de Forcalquier ; on peut y voir également un hommage de reconnaissance à son fils, député à l'Assemblée Nationale, pour la peine qu'il s'était donnée, afin d'établir à Pont-Croix le chef-lieu du District.

Par 52 voix, M. Le Bris Durest est élu procureur de la Commune. Il devait exposer son avis sur toutes les questions soumises au Conseil et ses conclusions fournissaient la matière des arrêtés. La formule : « ouï le procureur, l'Assemblée arrête », se retrouve dans toutes les délibérations importantes.

Les cinq membres de la municipalité devaient être élus en bloc, sur une liste double c'est-à-dire qu'on inscrivait dix noms sur chaque billet. Les électeurs profitèrent de cette disposition pour éparpiller les voix : chacun dut avoir la sienne au moins. De sorte qu'au premier tour, Jean Ausquer obtint seul la majorité absolue. Et comme il était onze heures du soir, et que la grande majorité de l'Assemblée se composait d'ouvriers et de journaliers qui avaient besoin d'un peu de repos, pour travailler le lendemain, le second tour fut renvoyé au dimanche suivant, 7 février, à 1 heure. En conséquence, M. le Recteur fut prié de dire les vêpres après la grand'messe, il y consentit très volontiers.

Ce n'était donc pas un scrupule religieux qui retint les huit citoyens actifs dont l'absence fut constatée à la seconde réunion. Deux incidents assez vifs se produisirent au début. Le président commence par donner lecture d'une lettre du sieur Pouppon, avocat, qui réclame son inscription parmi les éligibles ; l'assemblée s'y refuse malgré l'offre verbale faite par le dit sieur de payer les neuf livres d'imposition pour l'année courante. Puis, les scrutateurs distribuent des billets ; mais quelques-uns réclament violemment, parce que le secrétaire les aide dans cette opération ; cependant la majorité l'approuve : il faut en finir aujourd'hui. Malgré cette bonne volonté, le second tour de scrutin ne donne aucun résultat. On décide qu'au troisième tour la majorité relative suffira.

Sont élus, officiers municipaux : MM. François Cudennec, Henry Le Gall, Yves Pichon, Joseph Pendu ; notables : Billon, François Pichavant, Guéguen, Le Goff, Gargadennec dit La Jeunesse, Daniélou, Ladan, Guézennec, Quillivic, Carvat, Jacques Cudennec. MM. Herpen, Kersaudy et Pennamen, avaient également obtenu la majorité relative, mais ils n'ont pu être proclamés, parce que beaux frères des sus-nommés. Les élus prêtent le serment de bien remplir leurs fonctions, et le procès-verbal est signé par ceux qui savent le faire. Un d'entre eux écrit « Je déclare ne vouloir signer, sans désapprouver ce qui est fait » mais, pris de remords civique, il ajoute « Je déclare avoir raturé les deux lignes cy-dessus indiscrètement par moi écrites », et la séance est levée, environ minuit.

Ainsi se trouva organisée l'administration de la Commune. Le maire, le procureur et les officiers municipaux composaient le Corps municipal auquel venaient s'adjoindre les notables pour former le Conseil général. Un bureau municipal comprenant : le maire, le procureur et un officier municipal, se réunissait pour expédier les affaires courantes.

***

Deux jours après, le 9 février 1790, eut lieu la première Assemblée générale du corps municipal et des notables de la ville de Pont-Croix. A l'unanimité, M. Billette de l'Isle Adan est nommé secrétaire greffier. Il accepte pour « donner de plus en plus des preuves de son attachement inviolable aux citoyens de cette ville, et de son zèle pour le bien commun » et, désirant se consacrer entièrement à ses nouvelles fonctions, il abdique son grade d'officier de la garde nationale.

On choisit également un héraut, Guillaume Dieucho, « sauf par la suite à lui donner des gages si les circontances le permettaient ». Il reçut, en effet, pour son année six livres et un costume d'apparat : habit bleu à parements rouges et doublure verte, culotte blanche, une bandouillère aux trois couleurs et deux paires de souliers.

Les Municipaux jugèrent aussi que pour remplir leurs fonctions « avec décence » il leur fallait un insigne quelconque. On écrivit à Rennes, le 16 mai, pour avoir des écharpes tricolores. Elles n'étaient pas encore arrivées le 1er juin et le Maire fut obligé d'en emprunter à Douarnenez pour permettre au conseil d'assister, en corps, à l'enterrement de Joseph Pendu, sixième officier municipal.

« Conformément au décret de l'Assemblée Nationale ». Lorsqu’un membre municipal viendra à mourir il sera remplacé de droit par celui des notables qui aura réuni le plus de suffrages ». M. Billon, recteur fut prié de prendre place au conseil, et, le 22 juin, à dix heures, il célébra, pour le repos de l'âme de son prédécesseur, un service solennel auquel les municipaux assistèrent en corps et en écharpes !

Malgré les instances réitérées de ses collègues, M. Billon démissionna le 10 octobre, à cause de sa santé ; il fut remplacé par Daniel Kerivel. Déjà, le 3 juillet, François Pichavant avait remplacé Cudennec, élu membre du District. Vers le même temps, l'abbé Quillivic donna sa démission de notable, « rapport à ses occupations ». Il tenait une petite école fréquentée par soixante à quatre-vingts élèves, suivant la saison, moyennant, une pension de deux cents livres par an, fournie par le bureau ecclésiastique de Quimper. Et bien qu'il n'ait pas été payé depuis le 1er janvier « écoutant plutôt son zèle, désintéressé que ses facultés pécunaires, ce digne instituteur a continué ses leçons, sans, même exiger pour le premier trimestre de cette année aucune rétribution de la part de ses disciples, dont sept sont dans ce moment, par les succès de ses soins, en état d'être reçus aux classes du collège de Quimper ». Et c'est pourquoi, le District supplie le Département de conserver ces petites écoles qui ont pour effet de répandre dans les campagnes du canton les lumières et les connaissances qui conviennent à un peuple libre et de regarder le payement de ces deux cents livres comme une des obligations les plus respectables, dont la Nation se trouve chargée comme ayant pris possession des biens ecclésiastiques, en attendant que l'Assemblée Nationale ait statué sur l'enseignement public.

Le Conseil général de la Commune était renouvelable par moitié tous les ans, et bien que le présent conseil ne fut en exercice que depuis neuf mois, la première élection partielle eut lieu en novembre 1791, anniversaire du décret de l'Assemblée Nationale. D'après l'article 42 de ce décret, le corps municipal étant compossé de cinq membres, non compris le Maire, élu pour deux ans, il devait en sortir deux à la fin de la première année. Quant au nombre des notables, il se trouvait réduit à six. Fallait-il faire sortir trois et rentrer neuf, ou choisir simplement six ? La question fut réservée pour être soumise à l'Assemblée des citoyens actifs.

La liste en fut affichée et publiée à son de caisse, et le 21 novembre, vers neuf heures, officiers municipaux et notables se rendent à la chapelle des Ursulines. On commence par tirer au sort les deux officiers municipaux qui doivent sortir. Cinq billets sont déposés dans un chapeau : trois portent écrit « conseiller municipal » ; les deux autres restent en blanc. Il est entendu que ces billets blancs indiquent la sortie : ils sont tirés par Jean Ansquer et Daniel Kerivel Et comme il ne s'est pas présenté dans la salle, assez de citoyens actifs pour procéder à la nomination de deux officiers municipaux, la séance est renvoyée à cieux heures de l'après-midi.

Cette fois, cinquante-sept citoyens actifs répondent à l'appel, mais il n'y a plus que quarante-huit votants, lorsqu'au troisième tour de scrutin, Jean Bonaventure Pennamen et Marc Le Goff sont élus à une majorité toute relative. Pour les notables, l'Assemblée décide qu'on en prendra six. Sont élus Jean Saouzanet, Joseph Guézennec, Pierre Salou, Jacques Le Blouc’h, Jacques Le Bot, Antoine Testevuide, ce dernier, parce que Henry Le Bihan, son ancien qui avait eu le même nombre de voix, a, vu son grand âge et ses infirmités, prié l'Assemblée d'agréer « ses remerciements ». Electeurs et étus prêtent serment et la séance est levée vers sept heures du soir.

***

L'auditoire avait servi de maison commune jusqu'en octobre 1790. Mais les juges du District ayant choisi ce local pour y tenir leur juridiction, l'assemblée municipale décida de se réunir dans la chambre qui servait de bureau de délibération aux administrateurs de l'hôpital Saint-Yves. A côté, dans la chambre des archives se tenait une petite école. Ces deux pièces n'étaient séparées que par « un solier formé de simples planches » de la salle où gisaient les infirmes, où agonisaient les moribonds. Or les réunions du Conseil général sont souvent tumultueuses, et « le bruit de vingt voix véhémentes, joint au tapage continu de personnes en sabots et autres chaussures grossières, produit un vacarme qui peut porter préjudice à l'état des malades et hâter leurs derniers moments ». En conséquence, « au nom des droits sacrés de l'humanité, » le Maire crut devoir prendre l'arrêté suivant : 1° l'école sera transférée dans la chambre qui est au-dessus de la cuisine et qui n'a aucune communication avec l'hôpital. 2° Les assemblées du Conseil général se tiendront à l'auditoire, les jours de dimanche et de fête qui leur seront consacrés. 3° Le bureau de paix municipal se tiendra dans le même auditoire, aux heures où les juges du District n'y siégeront pas, car les parties à concilier ne sont pas toujours calmes. 4° Les séances du Conseil et du Bureau municipal pourront se tenir dans la chambre des Archives. Et, le Maire profite de l'occasion pour inviter les honorables membres à être plus assidus aux réunions, à porter la plus grande attention aux affaires qui leur sont soumises et à donner leur avis, chacun de sa place et, à son rang, avec tranquillité, décence et modération.

A l'unanimité, le Conseil demande que cet arrêté soit communiqué au procureur absent en ce moment, et quinze jours après, M. Le Bris Durest fit son rapport. « Je dois surtout la vérité, dit-il, et M. le Maire qui la chérit autant que nous, ne trouvera pas mauvais que j'observe : 1° que le projet ne devait pas être écrit sur le registre avant d'avoir été soumis à vos délibérations, puisqu'alors seulement il est vôtre. 2° Qu'il ne devait pas être écrit de la main du Maire puisqu'il y a un secrétaire. 3° Que la formule « en conséquence M. le Maire a arrêté » ne doit pas être employée ; car ce n'est pas le Maire en son nom personnel, c'est le Conseil tout entier qui prend un arrêté. Mais il est probable que le Maire n'a pas eu l'intention de porter atteinte à l'autorité du conseil, c'est une faute de rédaction. Voilà pour la forme ». — Quant au fond : les malades, interrogés, ne se plaignent d'être incommodés ni par l'école ni par l'assemblée. Les enfants n'entrent pas avant que le maître n'arrive ; ils portent leurs sabots à la main, en entrant et en sortant, et, même pendant la classe, s'ils doivent quitter leur place. Les réunions du Conseil ne sont pas aussi mouvementées que le prétend le Maire et d'autre part, l'auditoire a été loué par la Municipalité au District qui peut en avoir besoin à toute heure car il y a en ce moment beaucoup de procédures criminelles.

Le Maire n'était pas là pour entendre ces observations ; il avait refusé de se rendre à la réunion, bien qu'on l'eut fait chercher deux fois par le héraut. Aussi le Conseil se range à l'avis du procureur. Il est décidé que rien ne sera écrit sur le registre des délibérations que par le secrétaire, en présence de l'Assemblée et que les réunions continueront à se tenir dans le même local.

L'entente cordiale, un moment troublée, se rétablit vite : La séance suivante fut de nouveau présidée par M. de Clermont et le Conseil s'empressa de lui renouveler l'assurance de son estime et de sa sympathie.

Ces sentiments semblent avoir été partagés par la population tout entière. Cependant, le lundi 21 février 1792, vers trois heures de l'après-midi, Madame de Clermont voit, entrer chez elle un inconnu qui lui demande, d'un ton rogue, où était son fils, ancien député à l'Assemblée Nationale. Au bruit, le Maire arrive et voyant que cet homme était pris de boisson, il l'entraîne sous les halles. « Voici une gavotte qui commence dit-il, allez danser, soyez sage ; mon fils et moi nous vous parlerons demain, si vous le souhaitez ». Fureur de l'autre « ce n'est point à danser que je cherche mais c'est votre fils à qui j'ai affaire. Il a volé à la Nation trente-six livres par jour, pendant la première législature, c'est un j... f..., et vous aussi » et prenant le Maire au collet il lui arrache les boutons et la jabotière de sa chemise. M de Clermont riposte par un coup de poing « dans la poitrine ou dans l'estomac »
— il ne saurait préciser — et s'écrie « force à la loi ». Son agresseur est saisi mais il réussit à s'échapper au cours d'une nouvelle bagarre suscitée par François S... marchand de grosse poterie à Pont-Croix. Un officier municipal s'élance à sa poursuite et finit par l'atteindre dans un grenier de Kérideuff ; il le prend par les cheveux et le fait conduire à la prison « malgré la déchirure totale du gilet de basin blanc d'un des conducteurs ». Le lendemain, après-midi, les municipaux « de leurs écharpes décorés » se rendent à l'auditoire et le geôlier fait monter l'inculpé. C'est un nommé Jean-Pierre K... ving-deux ans, garçon boucher né à Pont-Croix, domicilié à Quimper, paroisse de la cathédrale du Finistère, venu dimanche soir, simplement pour s'amuser ; il ne reconnaît personne et ne se rappelle de rien. On le renvoie aux juges du District. Quant à François S... qui l'a fait évader, il était également ivre. Au reste, il ne connaît K... que depuis qu'il est en prison avec lui : c'est une circonstance atténuante. Il paie quarante sols pour le gilet déchiré, plus les frais de geôlage et se retire en promettant de ne pas recommencer.

***

On sait que la famine était une des grandes terreurs de l'Ancien Régime et que, depuis 1780, l'état de disette était presque permanent. Pour défendre le pain de ses administrés contre les entreprises des exportateurs et des accapareurs, le Maire de Pont-Croix crut devoir proposer au Conseil général, le 2 mai 1790, une série de mesures violentes qui contrastent étrangement avec les réformes et projets des économistes de l'époque. « Les fonctions honorables que vous m'avez confiées, dit-il, autant que le titre de citoyen, me font un devoir de veiller à l'état des subsistances de la ville. Or, je vois avec douleur que le seigle — genre de blé le plus précieux à nos habitants — est sur le point de manquer. Trois marchés de suite ont été dégarnis de cette denrée, et, au dernier, il n'y en avait pas plus de dix à douze boisseaux, alors qu'il faut par jour environ douze cent livres de pain de seigle pour la consommation de la ville ». Et recherchant les causes de cette crise, M. de Clermont signale d'abord la libre circulation des blés par terre qui a dégénéré en abus. « Qu'importe aux accapareurs que ce soit par terre ou par mer pourvu qu'ils soulèvent le peuple par la famine ! ». Puis le mauvais temps qui a empêché de battre « mais on peut regarder cette circonstance comme une faveur du Ciel, car les accapareurs se seraient abattus sur la campagne ». Il est urgent de remédier au mal, mais par quel moyen ? Peut-on obliger les propriétaires à battre leurs gerbes ? Non, car ils dépendent d'autres municipalités sur lesquelles nous n'avons aucune autorité Seuls, le District et le Département peuvent prendre une mesure de ce genre et ces administrations ne sont pas encore définitivement constituées.

En attendant, on prend l'arrêté suivant : 1° Les jours de foire et de marchés, jusqu'à deux heures, il ne sera vendu de blé qu'aux habitants de la ville et des faubourgs. (Keridreux). 2° Chaque chef de ménage ne pourra en acheter plus d'un boisseau. 3° Les boulangers de Pont-Croix seront libres d'acheter quand ils voudront la quantité de blé nécessaire à leur commerce mais ils ne pourront aller vendre le pain de seigle hors de ville. 4° Aucun meunier ne pourra approcher des marchés avant deux heures. 5° Les meuniers et boulanger de la campagne n'achèteront du blé que pour le convertir en pain et non pour le revendre en grains. 6° Les propriétaires et marchands ne pourront vendre de blé en gros sans l'autorisation du Conseil et ils n'en distribueront au détail qu'à ceux qu'ils savent incapables d'en abuser ou qui seront munis d'un certificat de leur recteur ou curé. Ce système protecteur à outrance fut promulgué à peine pour les contrevenants de douze livres d'amende ou d'un mois de prison.

Quelques jours après, le procureur de la Commune de Quimper où venait d'arriver le second bataillon de Rouergue, écrivit à la municipalité de Pont-Croix pour demander la quantité de froment et de seigle qu'on pourrait lui fournir et le prix du tonneau. Inspection faite des greniers, on lui répondit qu'il pourrait trouver à Pont-Croix vingt et quelques tonneaux de froment seulement à treize livres le tonneau, mesure du marquisat ou mesure de grève. Le 2 juillet, l'autorisation fut donnée à M. Noël de Quimper de charger quinze tonneaux de froment sur le navire la « Sainte-Anne » ; et vers la fin de l'année, le garde-magasin des vivres de la Marine fit, dans le pays, des achats de froment pour le port de Brest. Mais la ville de Nantes, qui, dès le mois de février, avait fait une demande de grains, dut se contenter de l'espoir d'être secourue, à la belle saison.

Après avoir assuré du pain noir aux habitants de Pont-Coix, la Municipalité s'occupa de leur donner de l'eau claire. La fontaine de la Croix fournissait une eau saine et abondante, mais elle n'était pas suffisamment à l'abri des blanchisseuses et des bestiaux. Pour la modique somme de dix sols Gaudec élabora tout un plan de travaux : grillage, canal en pierre, réservoir, abreuvoir, « douet » qui furent mis en adjudication le 29 avril 1792. Il y eut plusieurs soumissions : Guillaume Arhan demanda mille livres ; Clet Kerninon descendit jusqu'à cent-quatre-vingt ; il fui déclaré adjudicataire. On lui permit de démolir la vieille fontaine de la Vierge « située aux issues de cette ville au bout du Levant d'un pré » pour se servir des matériaux, quitte à combler « d'attraits » la dite fontaine. Cette fontaine n'est autre que celle de Notre-Dame de Roscudon !

Garantir la propriété n'est pas chose commode à l'époque où beaucoup s'imaginent que l'égalité des droits emporte la communauté des biens. Les bois et taillis — surtout ceux qui appartiennent aux ci-devant — sont journellement dévastés. Certains individus ont des bestiaux, sans posséder un pouce de terre où les faire paître ; alors ils mènent les chevaux la nuit dans les enclos voisins et laissent errer tout le jour, les vaches et les pourceaux « animaux très destructeurs lorsque, comme à Pont-Croix, ils ne sont, ni muselés, ni tribarrés ». On brise les amarres des canots à l'ancre dans la rivière, on jette les avirons à la mer. Le Conseil municipal déclare que ces propriétés sont « non moins respectables que toutes autres ». Il rend les parents et les maîtres responsables des légats commis par les enfants ; il défend de laisser errer les bestiaux ; il ordonne de museler les cochons et de leur mettre des tribarts de la longueur d'un pied de chaque côté ; il enjoint à chacun de balayer la rue devant sa maison et le fumier municipal fut adjugé au fermier du citoyen Trèhot pour quatre livres dix sols.

A ces ordonnances de police et de voirie un peut ajouter quelques condamnations prononcées par le Bureau Municipal pour ivresse ou tapage. La femme Kervarec, de Tréboul, se rendant chez elle avec « une potée de lait et une écuellée de beurre » avait achetées dans un village de Poullan fut attaquée sur la route par un tailleur et un cordonnier qui voulurent lui enlever ses denrées, les deux inculpés s'excusent en disant qu'ils étaient pris de boisson : ils n'en sont pas moins condamnés à trois jours de prison et la plaignante se déclare satisfaite — Jacques M... se trouvait ivre devant l'Eglise, au moment des Vèpres, attaquant et injuriant les passants. Il restera vingt-quatre heures à la maison d'arrêt, attendu que la prison est occupée par une personne du sexe. — Daniel F... armé d'un gros bâton d'épine était en train d'assommer Yves Priol, sur la route d'Audierne, lorsque survinrent MM. Maubras et Lécluse. Des jeunes gens ont brisé une « caffière » et deux plats chez Jeanne Cavarlé dont le mari est au service au fort de Quélern : amende et prison.

A côté des pochards, les vagabonds, Il n'y avait à Pont-Croix qu'une vingtaine de mendiants, mais chaque semaine la ville était envahie par une centaine de pauvres venus des paroisses voisines. Il faudrait obliger chaque paroisse à nourrir ses pauvres, ordonner à ceux-ci d'y rester, leur faire porter une médaille ou une plaque en fer-blanc, où serait marqué le nom de leur paroisse afin qu'on pût les y renvoyer.

Plus intéressante est la catégorie des pauvres malades, douze ou quinze, année commune, et des pauvres honteux, pour lesquels une quête était faite à l'église par Mlle Pouppon, puis à sa mort, en janvier 1791, par Mlle Chappuis, sœur cadette de la directrice des postes.

***

Cette question de l'assistance publique était plutôt de la compétence du District. C'est lui qui a la satisfaction de désigner à la générosité de ses concitoyens « l'aimable Caro qui n'est pas malheureux puisqu'il a des talents et des vertus ». C'est le District qui est particulièrement chargé par l'Assemblée Nationale de surveiller et d'améliorer le régime des hôpitaux.

A ce titre il se fit remettre par la Municipalité de Pont-Croix un état très détaillé de l'hôpital Saint-Yves. Il y avait deux corps de logis, le premier comprenait simplement cuisine, chambre et grenier, dans le second se trouvaient la chapelle, le bureau, les archives et plusieurs chambres dont une à feu réservée au prédicateur de carême. Un grand grenier recevait les renies en grains ; 86 Boisseaux de froment, 74 B. de seigle, 27 B. d'avoine 1 B. d'orge. Neuf chapons et 445 l. 2 s. 4 d. complétaient les ressources assurées de l'hôpital. On ne peut y faire rentrer les 30 l. dues pour une maison de Kerdreux, dont le locataire était insolvable, ni les huits boisseaux de blé dus par un village de Meillard, car cette rente était contestée et le procès pendait au présidial de Quimper depuis 1788. Quand aux petits bénéfices, « les casuels » ils consistent en si peu de chose qu'on ne peut y avoir égard. Au total, les revenus de l'hôpital s'élèvent à 1800 livres. Plus de la moitié de cette somme est employée aux dépenses ordinaires : viande, laitage, bois à feu, pain blanc, beurre, graisse, miel, chandelles, savon, etc., une domestique de soixante ans est gagée à 36 l. par an. L'hôpital pouvait recevoir vingt personnes. Au mois de septembre 1790, il y en avait simplement quinze : douze vieillards, une folle, un enfant abandonné et un infirme de 19 ans qui apprenait le métier de cordonnier.

La Municipalité propose si l'Etat donne des fonds — de vendre cet hôpital qui ne peut s'étendre — car le jardin muré contenant au plus trois cordes de terre est borné par un chemin public — et d'acheter le terrain du sieur L'haridon à la grève. Il y aurait alors de la place pour recevoir les gens de Pont-Croix et de Beuzec, même de Meillars et Plouhinec et en cas d'épidémie, l'hôpital ne se trouverait plus au centre de la ville.

N'attendant rien de l'Etat, le District se contente d'inviter le département à élever de dix sols par pot le prix des eaux-de-vie pour le soulagement des pauvres et la création d'ateliers de charité.

C'était l'idée chère au duc de la Rochefoucauld-Liancourt président du « comité de mendicité » établi par l'Assemblée Nationale ; pour chercher « le moyen de porter rapidement les nations à la plus immuable prospérité ». — C'est le titre d'une brochure publiée par cet utopiste — et « pour tenter la suppression de la mendicité cette gangrène de tout les états et l'opprobre éternelle du gouvernement » — ce sont les expressions d'un rapport adressé par le District de Pont-Croix à ces Messieurs du Département.

Une enquête avait été faite près de toutes les municipalités. Malgré tous les efforts du District, elle n'avait abouti qu'à de vagues renseignements sur l'origine et le remède de la mendicité. Les communes qui n'ont que peu ou point de mendiants veulent que chacune nourrisse ses pauvres ; d'autres, au contraire, pleines de nécessiteux demandent des hôpitaux pour leur servir d'asile ; d'autres enfin exigent qu'on renvoie les pauvres à l'ouvrage sans indiquer aucun moyen de les occuper. Aussi n'écoutant que son zèle pour la chose publique et sa sensibilité envers les malheureux, après avoir examiné les ressources qu'offre notre territoire « soit dans la nature de son sol et de ses productions, soit dans le civisme de ses habitants », le District propose les réformes suivantes 1° Fonder un hôpital unique et général doté de tous les fonds affectés aux différentes maisons et alimentés de plus par l'octroi de dix sols par pot sur les eaux-de-vie. 2° Développer la culture du lin et du chanvre. On en ferait des filets de pêche, des cordages, des toiles à voile de toute espèce dont Brest a toujours le plus pressant besoin et qu'il ne serait plus obligé de faire venir à grand frais de Rennes et d'autres villes aussi éloignées. On pourrait fabriquer également des « berlinges » espèce d'étoffe tissue de laine et de chanvre, très en usage dans nos campagnes. 3° Construire dans nos ports les petites barques royales et les canots au lieu d'accumuler à Brest toutes les contructions qui n'y réussissent pas également, les canots en particulier sont mal faits. 4° Etablir une tannerie. 5° Accorder une prime ou quelques légères avances à ceux qui prendraient le parti de la mer « qui a tant d'empire sur tous les hommes qui s'y familiarisent, que par une sorte de charme ils ne peuvent plus s'y soustraire. ». 6° Encourager l'agriculture par exemple, en exemptant de toute imposition pendant cinq ans, les terres nouvellement mises en culture soit sous chanvre, soit sous blé, — « On éteindrait pour ainsi parler la postérité même de la mendicité en retirant par une heureuse adoption du sein de la fainéantise et de la dépravation les enfants qui se livreraient avec reconnaissance à l'amour du travail qui en ferait des citoyens à mesure que la nature en aurait fait des hommes ». Il en fut de ces projets comme de beaucoup d'autres qui n'ont existé que sur papier et Cambry constate avec regret qu'il n'y a dans le District aucune manufacture ; point de tannerie malgré la grande quantité de cuirs verts qu'on y trouve ; point de papeterie et beaucoup de chiffons.

***

La subordination des communes aux Districts amena en beaucoup d'endroits des contestations et des luttes mais à Pont-Croix les relations furent des meilleures, peut-être à cause des liens d'étroite parenté qui existaient entre les chefs des deux administrations. D'ailleurs l'intérêt national domine les rivalités locales et les grands événements qui se passent à Paris ont leur répercussion jusqu'à l'extrémité de notre péninsule.

L'Assemblée Nationale avait décidé qu'il y aurait une fédération patriotique à Paris le 14 juillet 1790 anniversaire de la prise de la Bastille. Chague « ressort » de garde nationale élut 6 hommes sur 100, qui réunis au chef-lieu du District députèrent à Paris, 1 homme sur 200, si le District se trouvait à moins de cent lieues de Paris, et 1 homme sur 400 si le District était plus éloigné.

Au reçu de l'adresse des citoyens de Paris, Chappuis père, ancien capitaine de la milice nationale de Pont-Croix, fut chargé de convoquer tous les hommes — ils étaient 209 — pour choisir deux électeurs qui réunis à ceux de Douarnenez, Audierne et Pouldavid nommèrent deux délégués à la confédération nationale. Corentin Madezo, sous-lieutenant porte-drapeau de la milice de Douarnenez qui comptait 280 hommes — et Michel Legendre, lieutenant de la milice d'Audierne — qui en comptait 224 — furent choisis, le premier par quinze, le second par douze voix. Marc Le Goff, capitaine de la milice de Pont-Croix n'en obtint que sept. Le Gendre et Madezo partirent donc pour la capitale. En principe, on leur alloua trois cents livres pour frais de voyage, sauf à voir ce que donnerait à ses délégués le District de Quimper.

Ce n'est pas seulement par une délégation que la province prit part à la grande manifestation du Champ-de-Mars où Talleyrand, évêque d'Autun, dit la messe sur l'autel de la patrie. Dans toute l'étendue du royaume le serment fédératif devait être prêté par toutes les communes, ce même jour, à l'heure de midi. Pour donner plus d'éclat à cette cérémonie, le Conseil général de la commune de Pont-Croix commença par faire nettoyer soixante-dix fusils à distribuer à la garde nationale, puis il arrêta le programme de la journée : messe solennelle à onze heures, à l'issue de la messe, procession "la Croix levée" jusqu'à la Place où l'on prêtera serment en allumant un feu de joie, puis retour à l'église pour le chant du Te Deum, et le soir, illumination générale.

A la fin du compte rendu de la séance du 13 juillet, on lit, cette note : « Vu qu'il reste peu de papier, on prendra un autre registre pour le procès-verbal de la cérémonie ». Le cahier n° 2 s'ouvre donc par le récit de la fête du 14 juillet. Tout se passe dans l'ordre : messe, procession sur la place. Avant de mettre le feu au bûcher, le Maire fit un discours « Messieurs, mes frères et mes amis. Nous nous assemblons ce jour, en ce lieu et à cette heure précise pour célébrer, dans un même instant, avec la France entière, l'anniversaire de la victoire que notre Liberté remporta le 14 juillet l'an dernier, sur l'aristocratie qui nous tenait enchaînés, en l'écrasant sous les ruines de son infernale retraite. Ce fut le jour et le moment où la Bastille fut remportée d'assaut par les braves citoyens de Paris et qu'elle fut rasée de fond en comble. Ce lieu construit dans le XIIIème siècle, était un fort terrible par sa construction, par sa force et plus encore par le barbare usage qu'on en a fait depuis. Destiné dans l'origine à la défense de la capitale contre les attaques de ses ennemis, ce lieu était devenu le dépôt des vengeances ministérielles et des aristocrates. Les époux étaient arrachés du lit nuptial, les pères des bras de leurs enfants et les enfants du sein de leurs familles, pour y être plongés presque toujours sans retour et y souffrir des traitements inhumains et horribles, souvent pour expier de légères fautes et plus souvent encore sur de légers soupçons et uniquement pour avoir déplu à des ministres ou à des favoris ! Qu'il vous en souvienne, chers frères, pour ne l'oublier jamais ! et vous verrez combien il est important d'être unis fraternellement avec tous les habitants de la France entière et qu'ils le soient avec nous. Je vous y invite, jetons-nous dans leurs bras, afin qu'unis de cœur et d'affection nous ne fassions plus qu'une seule âme et un seul corps, qui formidable, soit capable de fouler à ses pieds les aristocrates s'il est possible qu'il en reste encore, après cette mémorable journée... ». Le Maire invite l'Assemblée à jurer parfait amour pour Louis XVI, reconnaissance à l'Assemblée Nationale, attachement à la divine Constitution. « Et lorsque nous aurons proféré ces vœux saints, sacrés et solennels, revenons au Temple pour prier l'Eternel de les combler de ses bénédictions, rendons-Lui grâce des événements heureux qui réunissent les Français en une seule famille et qu'il ramène parmi eux la paix, la tranquillité, l'union et l'amour qui doivent à jamais faire leur bonheur et leur félicité ! ». De nombreux cris s'élèvent : Vive la Nation ! La Loi et le Roi ! Le Maire, le Recteur, le Procureur fiscal et le commandant de la milice nationale mettent le feu au bûcher, et lorsque les dernières flammes achèvent de s'élever on revient à l'église pour y chanter le Domine salvum et le Te Deum avec accompagnement d'orgues. Ainsi fut célébré, pour la première fois, le 14 juillet à Pont-Croix.

Quant aux délégués à Paris, ils annoncèrent leur retour à Quimper pour le 11 août ; ils arrivaient porteurs d'une bannière dont la ville de Paris gratifiait le département du Finistère. Le Maire pensa qu'il était convenable de députer deux officiers de la milice nationale pour assister à la réception de ladite bannière et le Conseil applaudissant aux vues prévoyantes de M. le Maire désigna MM. Billette et Davon. Le 12 août, Le Gendre arrivait à Pont-Croix escorté d'un détachement de miliciens d'Audierne et de Douarnenez. On n'avait pas été prévenu, mais le capitaine Le Goff rassemble à la hâte quelques gardes et conduit Le Gendre sur la route d'Audierne.

A la mort de Mirabeau (avril 1791) le District « affligé de n'avoir que des larmes à répandre sur le tombeau ce grand homme qui fut le plus ferme soutien de notre heureuse Constitution », arrêta de prendre le deuil pour huit jours et de faire célébrer un service solennel de huitaine pour le repos de l'âme de cet ami de l'humanité.

Le 24 juin 1791 , vers le soir, à l'arrivée du courrier, la petite ville est mise en émoi par des rumeurs étranges. Municipaux et notables accourent en toute hâte à l'auditoire où se trouvent déjà réunis les membres du District et du Tribunal. Un décret de l'Assemblée Nationale, en date du 21 de ce mois, annonçant l'enlèvement du Roi et de la famille royale, ordonne de prendre des mesures en conséquence. Lecture en est donnée, par la fenêtre, à la foule réunie devant la maison commune et l'on décide qu'une garde de quinze hommes ce tiendra cette nuit sous les halles et fera des patrouilles d'heure en heure arrêtant toutes les personnes suspectes ainsi que les voitures, chevaux, bagages. Le lendemain, on lit dans tous les carrefours le décret de l'Assemblée et l'adresse du District aux citoyens. La. Municipalité fait inspecter les armes, et ordonne à l'armurier Jean Ansquer de les mettre en état en y travaillant même le dimanche au besoin. Il y a vingt livres de poudre, deux cents pierres à fusil, on fondra des balles, on fabriquera des cartouches. Tous les citoyens de vingt à soixante ans sont tenus de monter la garde et s'ils ne le peuvent au jour indiqué, ils paieront douze sols à leur remplaçant. Défense aux cabaretiers de donner à boire après neuf heures du soir ; ordre à ceux qui logent des étrangers d'en faire la déclaration au Maire sous peine de dix livres d'amende au profit du corps de garde. La Municipalité déclare en permanence et décide de s'assembler provisoirement deux fois par jour pour prendre les mesures nécessaires.

Presqu'aussitôt parvint la nouvelle du retour du Roi. La France respira, se crut sauvée. Et c'est avec le plus grand enthousiasme que le 16 juillet suivant on reçut à Pont-Croix le guidon du District. Il arrivait escorté des fédérés de Douarnenez. On va à leur rencontre aux accents du Ça ira ! chanté par les deux sexes.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Le peuple en ce jour sans cesse répète
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Malgré, les mutins tout réussira
.......................

O alla jusqu'à la chapelle de Sainte-Croix (Lochrist). A ce moment les dragons apparaissent au haut de la côte, puis les fédérés, enfin le guidon. Alors c'est un délire. On se précipite, on s'embrasse. Et tout le monde reprend la route de Pont-Croix. Présentation du guidon sur la place, discours de MM. Grivart, procureur syndic et Béléguic, vice-président du Directoire. Te Deum à l'église avec accompagnement d'orgues, et l'organiste, une dame Vincent put se livrer tout à l'aise a son inspiration, car le marguillier Jacques Cudennec venait de faire placer un rideau rouge avec gaule et cordon sur le grand vitrail du bas de l'église par où le soleil la gênait....

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La ville de Pont-Croix s'était vivement félicitée de posséder le chef-lieu de District ; elle le devait sans doute aux avantages de sa situation ; à l'entrée de la presqu'île, à égale distance des deux baies d'Audierne et de Douarnenez. Aussi fit-on fête aux électeurs réunis le 2 juillet 1790 pour choisir les membres du District. On leur donna des billets de logement, une garde d'honneur de treize hommes, y compris l'officier, et deux fonctionnaires furent placés à la porte de l'Hôtel de Ville gracieusement mis à leur disposition, par la Municipalité. A deux heures, les officiers municipaux réunis chez M. le Maire, envoient le secrétaire et le héraut demander aux Electeurs quand ils pourront les recevoir. « Dans un quart d'heure » leur répond-t-on. Le temps d'improviser une réception. En attendant, le Maire lit à son conseil, le compliment qu'il doit adresser aux Electeurs. L'assemblée se déclare satisfaite de cette prose et le moment venu, on se rend en corps à l'Hôtel de Ville.

Quatre délégués viennent recevoir le conseil municipal à la porte et l'introduisent dans la salle aux vives acclamations de tous les Electeurs. « Messieurs, dit le Maire, nous venons vous témoigner la satisfaction que nous ressentons des moyens infaillibles que vous venez d'employer pour élever solidement l'une des colonnes sur lesquelles doit être posé le superbe édifice de l'État. Votre collège, Messieurs, possédait incontestablement la pleine confiance de ses commettants. Il ne pouvait donc mieux déposer la garde de leurs intérêts que dans les mains des personnes qui en faisaient partie, aussi Messieurs vos opérations sont-elles couronnées du plus heureux succès. Tous les membres que vous avez élus sont respectables, éclairés et animés du zèle le plus pur et le plus patriotique. De quel espoir ne devons-nous pas nous flatter d'un choix aussi judicieux et aussi heureux ! Daignez Messieurs en recevoir les remerciements de vos concitoyens et les nôtres en particulier. Nos espérances seront parfaitement accomplies. Messieurs, si pour réussir aussi utilement dans ce qui vous reste à faire de cette partie de l'édifice, vous continuez de suivre le plan que votre collège a si sagement adopté ; nous serons au comble de nos désirs et ce sera un motif de plus à la reconnaissance dont nous sommes vivement pénétrés ». Le discours est très applaudi.

Le président des Electeurs y répond par un compliment où respire l'esprit d'union, de paix et de concorde qui anime tout bon patriote ; il invite les officiers municipaux à assister à la séance : mais le conseil ne veut pas distraire ces messieurs de leurs importants travaux, il se retire et les acclamations le suivent jusque sur la rue. Le lendemain, pour clore les opérations électorales, Te Deum à l'église et feu de joie sur la place.

L'installation des juges, le 16 décembre 1790, fut l'occasion d'une joute oratoire, où l'on voit apparaitre cette manie des échasses que raille si finement Taine.

C'est M. Le Bris-Durest qui commence. « Si je n'avais consulté que mes faibles lumières, je n'aurais pas encore joui de l'honneur d'être aujourd'hui l'organe de la commune de cette ville qui a daigné me choisir pour porter ici la parole en son nom... Les lois dont vous êtes les dépositaires viennent se mettre aujourd'hui sous votre protection ; quelque justes qu'elles soient par elles-mêmes, elles ont quelquefois quelque chose d'austère et de rigide qui entraîne plutôt les sujets qu'il ne les conduit à l'obéissance, mais-prononcées de votre bouche elles seront écoutées avec attention, reçues et suivies sans crainte, et, de dures obligations qu'elles étaient, elles deviendront de douces et insinuantes persuasions. Déjà à l'ombre de l'égide sacrée des représentants de la Nation, le meilleur et le plus grand des rois, ce Père du peuple nous laisse entrevoir les premiers rayons de notre liberté si longtemps éclipsée, et bientôt nous allons jouir en entier de tout son éclat. En vous voyant, Messieurs, siéger au tribunal de la Nation, nous regardons ce jour comme l'un des plus beaux qui puisse honorer ce temple de la justice... ».

M. de Clermont continue « Chers concitoyens ! Chaque jour voit naître de nouveaux motifs à notre reconnaissance pour l'auguste assemblée de nos représentants... Nos vies, notre honneur et nos biens étaient cy-devant confiés à un petit nombre de magistrats dont nous ne devons jamais oublier le zélé infatigable qu'ils apportèrent à la conservation de ces précieux trésors. Mais voulant affermir l'édifice du bonheur de l'homme, nos sages législateurs ont jugé nécessaire d'en augmenter les colonnes, ce sont-elles qu'ils nous présentent aujourd'hui dans la personne de ces Messieurs... ».

Au nom de ces Messieurs, de l'Écluse déclare que les nouveaux juges apportent des vues droites, des cœurs purs et un amour inaltérable du bien public. Il félicite le Maire et regrette l'absence de M. de Clermont fils, qui « partage les travaux précieux de l'Assemblée Nationale et va participer à la gloire d'avoir donné une Constitution à la France ». Il félicite le conseil et termine en exprimant la satisfaction qu'il éprouve de retourner dans sa patrie, au sein de sa famille.

Le commissaire du Roi, M. du Laurent, parle du « calme de la Nature qui anime dans tous les cœurs pratriotiques le charme de l'existence et le sentiment du bonheur. L'âge d'or est revenu. C'est le règne de la vertu, de la simplicité, de la naïveté, comme au temps d'Achille, de la reine mère de Naziadé, fille du roi des Phéniciens,qui file au coin de son feu, de Saül et de David qui gardaient les troupeaux, de Turpéus qui retourne à la charrue. Courage donc, chers concitoyens ! — qu'il m'est doux de prononcer en ce lieu pour la première fois ces heureuses paroles ! ».

Puis, c'est le tour du District. Le procureur M. Grivard, voit « s'élancer du néant de la servitude, dans le sein de la liberté — cette source féconde de toutes les vertus — un peuple que la corruption, la tyrannie et tous les crimes de plusieurs siècles, semblaient avoir condamné à ignorer pour toujours le secret de sa puissance et de ses destinées... ».

La cérémonie avait commencé vers dix heures ; il était près de midi lorsque fut chanté le " Te Deum " à l'église.

***

Ce simple exposé suffit à montrer que la petite ville de Pont-Croix a été le théâtre d'une vie municipale très active. Et c'est dans les modestes délibérations de ces administrations locales, autant que dans les solennelles assises de l'Assemblée Nationale, qu'il faut voir ce que la Révolution apportait avec elle d'idées neuves et de sentiments généreux.

(J.-M. Pilven).

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