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L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DANS LE DISTRICT DE PONT-CROIX (FINISTÈRE).

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En l'an II et en l'an III.

En 1792, le Directoire du département du Finistère fournissait sur les institutions d'enseignement dans son ressort les renseignements suivants :

« Il n'y a dans ce département aucune université et il n'y existe que deux collèges, l'un placé à Quimper et l'autre à Saint-Pol-de-Léon. Dans ces deux établissements l'instruction a toujours été gratuite, et avant la Révolution, elle étoit confiée à des professeurs ecclésiastiques...

Les bâtiments occupés par ces établissemens leur appartiennent en propriété ; celui de Quimper est des plus vastes et l'un des beaux édifices de ce département ; celui de Léon est infiniment moins étendu, mais récemment construit et très bien distribué...

Il existoit encore quelques autres écoles peu importantes, mais néanmoins utiles et même nécessaires pour se préparer à l'entrée des collèges. Trois ecclésiastiques donnoient des leçons à Pleyben et à Pont-Croix. Le clergé faisoit à chacun d'eux un secours de 200 livres sur le produit des décîmes. Ces écoles sont supprimées depuis 1791. A Carhaix, les religieuses augustines avoient de petites écoles, recevoient des pensionnaires et en faisoient leur bénéfice. La suppression de cette communauté a privé ce district de ce bénéfice. A Morlaix, des particuliers étoient les seuls instituteurs et le sont encore aujourd'hui. A Brest, des frères dits ignorantins, salariés par la commune, servoient à élever les enfans et à leur apprendre à lire et écrire... » (Arch. du Finistère, 7 L 3, f° 57).

A ce rapport trop succint, nous pouvons ajouter quelques détails complémentaires, en ce qui concerne le ressort du district de Pont-Croix qui comprenait toute l'extrémité ouest de la Cornouaille, sauf une partie du canton actuel de Pont-l'Abbé.

Au milieu du XVIIIème siècle, la ville de Douarnenez possédait un maître d'école qui était en même temps maître de danse. A Audierne, en 1767, on trouve deux maîtres d'école, Hervé Joly et Jean Urvois (Arch. d'I.-et-Vil., C 1450). En 1790, ce dernier seul existait. A Pont-Croix, en 1789, l'abbé Quillivic tenait une petite école dans le local des archives de l'hôpital Saint-Yves fréquentée par 60 à 80 élèves, suivant la saison, moyennant une rétribution de 200 livres par an, fournie par le bureau ecclésiastique de Quimper. Depuis le 1er janvier 1790, le paiement de cette rétribution avait été discontinué ; « mais ce digne instituteur, écoutant plutôt son zèle désintéressé que ses facultés pécuniaires, a continué ses leçons, sans même exiger, pour le premier trimestre, aucune rétribution de la part de ses disciples, dont sept sont dans ce moment, par le succès de ses soins, en état d'être reçus aux classes du collège de Quimper. Le Directoire du district demande que le département veuille bien prendre en considération l'importance de cet établissement et que l'administration supérieure prenne les mesures utiles pour assurer le paiement de la somme de 200 francs pour honoraires à l'instituteur » [Note : Pilven, La vie municipale d Pont-Croix. Luc Quillivic né à Esquibien, le 17 octobre 1762. Prêtre en 1787. Instituteur à Pont-Croix jusqu'en mars 1791. Vicaire constitutionnel à Plozevet en 1792. Desservant de Cast au Concordat. il y mourut le 6 décembre 1805].

A Pont-Croix encore, les Dames ursulines « ont le soin de l'éducation de la jeunesse, dont elles ne tirent aucune rétribution, quoique cela fasse beaucoup de bien dans la ville et aux environs » (Arch. d'I.-et-Vil., C 1195).

Dans les communes rurales il existait certainement des Petites écoles, mais nous ne possédons aucun renseignement sur leur nombre ni sur leur emplacement. Ces institutions disparurent par suite de l'application de la loi du 10 décembre 1790 qui ordonnait la mise en vente des biens des séminaires, collèges et autres établissements d'enseignement public.

Un historien breton très averti a écrit « qu'en moyenne, sur cent notables paysans, pendant les cinquante années qui précèdent la Révolution, trente au moins écrivent d'une main ferme et expérimentée; un peu plus de trente, sans avoir une écriture ferme, savent cependant signer ; on n'en trouve guère plus de trente qui soient complètement illettrés » [Note : A. Dupuy, L'agriculture et les classes agricoles en Bretagne au XVIIIème siècle (Annales de Bretagne, 1890, p. 3). Sur l'enseignement public dans le Léon à la veille de la Révolution, voir Abbé Kerbiriou, Mgr de la Marche..., p. 204 et s.].

Nous avons pu constater la justesse de ces chiffres en examinant les registres d'état civil et les délibérations des conseils municipaux.

Les administrateurs du Finistère écrivaient cependant, au début de leur rapport de 1792 « Notre département est l'un de ceux où l'instruction soit la plus négligée. Les habitants des campagnes y vivent dans la plus affligeante ignorance. Il n'y a dans nos municipalités rurales que peu de citoyens qui parlent la langue française et un plus petit nombre encore qui puisse lire et écrire le français ; de là l'impossibilité où ils sont de saisir l'esprit des nouvelles lois et d'en sentir les bienfaits... ».

Nous verrons plus loin, d'après les déclarations de certains instituteurs, que ces considérations sont trop pessimistes, du moins en ce qui concerne la région qui nous occupe [Note : La question que nous traitons ici a déjà fait l'objet d'un article très succinct de l'abbé Favé dans les Comptes rendus du VIème Congrès scientifique international de Fribourg, 1897, p. 368, sous le titre : Notes d'enquête sur l'instruction primaire sous la loi du 27 brumaire an III, mais dans un esprit de dénigrement systématique ; cet article contient, d'autre part, de singulières fautes d'impression].

Les deux premières assemblées révolutionnaires n'ont pris aucune résolution en faveur de l'enseignement public. On a pu dire à ce propos, peut-être avec un peu d'exagération : « Le rôle d'instituteur de la jeunesse avait le caractère d'une fonction cléricale et c'est là ce qui lui attira l'animosité de nos constituants. Les rénovateurs voulaient fonder un Etat laïque pourvoyant à tous nos besoins... On dispersa le personnel enseignant sans se préoccuper des moyens à prendre pour assurer le recrutement de nouveaux maîtres. Sous ce rapport, nos législateurs et nos ministres se sont montrés d'une imprévoyance incroyable... » (Léon Maitre, Annales de Bretagne, t. XXVII, 1911-12, p. 367). Un historien fort suspect de tendresse envers la Révolution a donc pu écrire, avec juste raison, que « la Constituante et la Législative ont détruit, la Convention seule a créé » (Eugène Despois, Le vandalisme révolutionnaire, p. 3).

La loi du 5 nivôse an II (25 décembre 1793) rendit l'école primaire obligatoire et gratuite en salariant. les instituteurs publics aux frais de l'Etat. Un décret du 7 brumaire an II (27 novembre 1793) avait déjà laïcisé l'enseignement en écartant les ecclésiastiques des fonctions d'instituteurs.

Des écoles sont ouvertes un peu partout. D'anciens élèves au séminaire de Quimper licenciés en 1791, Henri Le Bras et Guillaume Goardon, se font maîtres d'écoles à Beuzec-Cap-Sizun et à Plogoff. A Cléden-Cap-Sizun, un cultivateur, Michel Arhan, fils du juge de paix, enseigne à son domicile, au village de Kergaradec. Un ancien sergent à Crozon, Jacques Keruzoret, conseiller municipal à Pont-Croix, est nommé instituteur à Beuzec en floréal an II, y meurt et est remplacé par Jean-Marie Violant, ancien commis au greffe de la juridiction du marquisat de Pont-Croix. Ayant éprouvé des difficultés avec Ansquer, curé constitutionnel qui lui refuse un local au presbytère pour tenir les classes, il abandonne Beuzec et se rend à Primelin, où il paraît avoir obtenu quelques succès ; le 12 pluviôse an II (21 janvier 1794), il déclare : « je te dirai que j'ai 40 élèves, qu'ils fréquentent mes écoles avec la plus grande assiduité... La municipalité a fait et fait tout ce qui est en elle pour me seconder en cette partie ». A Audierne, un ancien notaire, Jean Lannou, avait commencé les écoles le 1er messidor an II (19 juin 1794), mais les avaient cessé le 24 nivôse an III (13 janvier 1795), « de l'avis du conseil municipal, en raison du temps et de la localité [il veut dire sans doute le local] où se tenaient les écoles ». Son successeur, Michel Kerloch, ancien écolier au collège de Quimper, se montre plein de bonne volonté, quoique « le local où se tient l'école est un vrai grenier, sans fenêtres, sans tables, sans bancs, et cependant il a jusqu'à 113 élèves, qu'il est obligé de faire rester debout. De plus, il n'avait pas de logement » |Note : Les documents que nous utilisons dans cette étude proviennent des Archives du Finistère, série L, Dossiers Instruction publique].

A Pont-Croix, Alain Guézennec, ancien sergent à Pont-Croix, essaye de reprendre la succession de l'abbé Quillivic dans la chapelle de la communauté des Ursulines mise à sa disposition par le district, le 18 germinal an II (7 avril 1794), à défaut d'autre local disponible ; mais c'est un homme de 67 ans qui deviendra bientôt incapable de remplir sa fonction. L'instituteur de Peumerit, Cosquéric, est également plus que sexagénaire ; la municipalité, au lieu d'engager les enfants à se rendre aux écoles, demande, au contraire, le 10 thermidor an II (28 juillet 1794), qu'ils en soient dispensés pendant les travaux de la récolte, étant indispensables à leurs parents, surtout pour garder les bestiaux. Cosquéric ne continuera pas longtemps d'ailleurs sa mission, car le 25 pluviôse an III (13 février 1795), il déclara ne pas être en état de faire le voyage de Pont-Croix pour se présenter devant le jury d'instruction.

L'organisation des écoles dans le district avait donc été malaisée, faute de sujets ; elle fut rendue encore plus difficile lorsque la Convention ordonna, par son décret des 8-10 pluviôse an II (27-29 janvier 1794), « l'établissement d'instituteurs de langue française dans les campagnes de plusieurs départements, dont les habitants parlent plusieurs idiômes ».

Certaines dispositions de ce décret doivent être citées :

« I. — Il sera établi, dans les dix jours à compter de la publication du présent décret, un instituteur de langue française dans chaque commune de campagne des départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord, et dans la partie de la Loire-Inférieure, dont les habitants parlent l'idiôme appelé bas-breton.
III. — lls seront nommés par les représentants du peuple sur l'indication faite par les Sociétés populaires.
IV. — Ils seront tenus d'enseigner tous les jours la langue française et la déclaration des droits de l'homme à tous les jeunes citoyens des deux sexes, que les pères, mères et tuteurs sont obligés d'envoyer dans les écoles publiques.
V. — Les instituteurs recevront du Trésor public un traitement de 1.500 livres... »
.

Ces nouveaux pédagogues « n'enseigneront pas seulement la langue de la liberté, mais ils seront en même temps des prédicateurs de civisme » (Mathiez).

Par cette mesure, prise sous l'influence de Barère et de Grégoire, la Convention prétendait détruire les patois qu'elle considérait comme contraires à l'égalité des citoyens et à l'indivisibilité de la République.

Il nous est impossible de dire quelles préoccupations guidèrent les Sociétés populaires dans le choix des instituteurs, en l'absence de tout procès-verbal émanant des Sociétés.

Nous voyons la municipalité de Cléden enregistrer, le 9 messidor an II (27 juin 1794), la nomination faite le 29 prairial (17 juin) par Prieur de la Marne, de Michel Kerloch comme instituteur de la langue française à Cléden, sur la présentation de la Société populaire. Nous avons déjà rencontré Michel Kerloch en qualité d'instituteur des écoles primaires à Audierne. Désigné à Prieur comme « réunissant les connaissances et le patriotisme requis », il a sans doute préféré revenir dans sa commune natale et laisser la place d'Audierne à Jacques-Félix Calloch-Kerillis, ancien notaire, ancien procureur fiscal de la commanderie de Saint-Jean, à Quimper, toutes charges lucratives abolies par la Révolution.

« Calloch-Kerillis instruisait les enfants trois heures par jour dans l'église Saint Raymond, et les jours de décadi, à 9 heures du matin, dans une séance publique annoncée par la grande cloche, il lisait et expliquait les lois nouvelles » [Note : J. Savina, Le conventionnel Guezno, p. 97. Jacques-Félix Calloch-Kerillis était né à Tréguennec en 1744. Pourvu de l'office de procureur au siège présidial le 5 décembre 1770 ; de provisions de notaire le 27 Janvier 1773 (B 439) et de mandat de procureur fiscal de la commanderie de Saint-Jean, le 30 mars 1771 (B 2662)].

Le 11 thermidor an II (29 juin 1794), la municipalité avise « qu'il s'est élevé une difficulté entre l'instituteur de la langue française et l'instituteur des écoles primaires au sujet de la continuation simultanée des deux écoles ». L'instituteur des écoles primaires cesse ses classes et Calloch offre sa démission « en raison de son impossibilité physique à remplir les deux fonctions ». Il continue cependant, mais le 25 brumaire an III (15 novembre 1794), il exprime son désir d'opter pour la place de notaire public. Malgré le district « qui le requiert de demeurer à son poste et le menace de soumettre la question au Représentant du peuple », Calloch abandonne bientôt la pédagogie et revient à Quimper.

Pour la commune d'Esquibien, la Société populaire de Pont-Croix proposa aux Représentants la candidature de Louis Le Corre, ancien huissier, maire de Pont-Croix. Le district observe « que Louis Le Corre est âgé de plus de 60 ans, qu'il est sujet à de fréquents cas d'épilepsie, qu'il est trop peu instruit, quoique dans les bons principes de la Révolution » (Reg. 7, f° 115). C'était, en effet, un personnage peu intéressant ; il semble d'ailleurs qu'il n'a jamais rejoint Esquibien.

Pour Meilars et pour Plonéis, ce sont deux anciens notaires qui sont nommés : Jean-Baptiste Trividic et Pierre-Marie Ollivier. Il en fut de même pour Plouhinec. Mais, si nous manquons de renseignements sur la tenue des écoles de langue française dans la plupart des communes, par contre, l'instituteur de Plouhinec, le citoyen Jacques Le Blouch, nous a laissé un rapport fort intéressant [Note : Jacques Le Blouch naquit à Primelin en 1750. Avant 1789, il était notaire à Pont-Croix. Il mourut à Pont-Croix, en qualité de notaire, le 9 février 1802].

Le 4 pluviôse an III (23 janvier 1795), Le Blouch écrit au procureur syndic du district de Pont-Croix : « Depuis le 14 floréal (3 mai 1794), jour de ma nomination en qualité d'instituteur de la langue française dans cette commune, d'après un mandat émané à cet effet du citoyen Jean Bon Saint-André, alors représentant du peuple à Brest, sur l'indication de moi à lui faite par la Société populaire de Pont-Croix, en exécution du décret de la Convention du 8 pluviôse an II, je me suis constamment appliqué à y propager l'esprit public et à y enseigner la langue française et la morale républicaine à tous les citoyens et citoyennes de tous les âges qui se sont rendus à mes écoles. Je leur ai aussi tous les décadis exactement expliqué en idiôme bas-breton les décrets de la Convention en préférant toujours ceux analogues à l'agriculture et aux droits de l'homme, les droits de l'homme eux-mêmes et l'acte de la constitution. Voyant que le décret de mon établissement ne m'assignoit pas une tache à remplir assez étendue, pour employer tous les moments que je croyois devoir à l'instruction publique, je me suis bientôt empressé de m'attacher aux écoles primaires, que j'ai exactement faites, concurremment avec le citoyen J.-C. Donnars, instituteur des écoles primaires, qui avoit dans ce temps un si grand nombre d'élèves, qu'il pouvoit à peine les instruire à demi ; j'y ai eu, suivant que les circonstances, les saisons et les travaux de la campagne l'ont permis, de quarante à soixante élèves, sans y comprendre ceux inscrits à la municipalité pour être de l'école du citoyen Donnars. Je leur enseigne à lire, à écrire et les quatre premières règles simples de l'arithmétique, sans oublier le nouveau calendrier. A une heure fixe chaque jour, je leur donne à tous, tant à mes élèves qu'à ceux du citoyen Donnars, tantôt des petites phrases bretonnes pour traduire en françois, et tantôt des françoises pour rendre en breton. Je fais tout mon possible pour les picquer d'émulation. Je fais chaque jour interroger l'un par l'autre sur ce qui s'est passé la veille et j'applaudis à ceux qui répondent bien pour les encourager. Cette méthode m'a paru la meilleure pour exciter leur émulation et accélérer leur avancement. Je m'aperçois que je ne me suis pas trompé en en faisant usage. Déjà plusieurs commencent à lire, à entendre et même à parler le françois, quoiqu'ils ne scussent, il y a six mois, pas un seul mot. A ces derniers je fais apprendre par cœur un article par jour des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que de l'acte constitutionnel, et déjà ils les possèdent passablement. Je leur explique encore par jour un article du recueil des actions héroïques ».

Malheureusement ce beau zèle et ces succès mérités ne durèrent pas. Six mois ne s'étaient pas écoulés, que Le Blouch se vit contraint d'écrire au district : « Considérant que l'intention du gouvernement n'est de salarier que le travail, et la place d'instituteur que j'occupe à Plouhinec ne m'en fournit plus depuis quelque tems, n'ayant, il y a environ trois mois, qu'un seul élève, et encore a-t-il cessé de se rendre à l'école depuis quinze jours, je me fais un devoir indispensable de vous en faire part et de vous inviter, par un motif de bien public et d'économie pour la République, à accepter en l'état ma démission de cette place où je ne puis être en ce moment utile, sauf néanmoins à reprendre au cas que le jugiez à propos et de quelque utilité dans la suite... ».

Il se peut d'ailleurs que Le Blouch n'eut pas envisagé cette situation avec trop de regret et de défaveur, car par la même lettre il priait le district de recevoir sa déclaration de reprende ses fonctions de notaire, une charge nouvellement rétablie et beaucoup plus lucrative que celle d'instituteur.

Christophe-Augustin-Charles Piriou [Note : Christophe-Augustin-Charles Piriou, né à Plouhinec en 1749, était notaire et procureur à Pont-Croix avant la Révolution], installé en qualité d'instituteur de la langue française à Guilers, le 11 brumaire an III (1er novembre 1794), n'a même pas pu commencer ses classes, faute d'élèves : « Nous avons fait de vains efforts, la municipalité et moi, pour remplir les vœux de la Convention... On avait désigné le lieu de l'instruction, cependant personne ne s'est encore présenté pour recevoir des instructions. En attendant les livres élémentaires, je devois apprendre à mes élèves les Droits de l'homme et du citoyen ; je devois leur expliquer les décrets, surtout ceux relatifs à l'agriculture ; je devois leur apprendre en français les noms des instruments de labourage, les expressions propres à leur genre de commerce, etc., etc.

Je m'étois proposé de leur faire connoitre en huit jours les lettres de l'alphabet, à épeler en huit autres jours, enfin à assembler les sillabes qui composent les mots. Je leur aurai donné en même tems des leçons d'écriture. Je leur aurai appris à faire des chiffres, et dans la suite je leur eus enseigné les règles simples de l'aritniétique et celles de l'arpentage. Tous ces projets ont été jusqu'ici inutiles... ».

Quant à Ronan Hascoët, nommé instituteur de la langue française à Pouldreuzic par Prieur de la Marne, le 2 thermidor an II (20 juillet 1794), « il se mit aussitôt à l'œuvre, engageant les parents à envoyer leurs enfants aux écoles, leur donnant lecture des lois relatives à ces écoles, leur en montrant les avantages.

Les écoles duraient de deux heures à deux heures et demie. Pour les encourager [les enfants], je leur promettois des petites récompenses, comme des cocardes. Pendant les quatre premiers mois, le nombre de mes élèves etoit de 16, 18, 20, 30, jusqu'à 36. Les plus assidus commençaient à distinguer le substantif de l'adjectif et à accorder l'un avec l'autre, à parler un peu le français. Depuis quelque temps, le nombre diminue et se réduit à 8, 10, 7, et quelquefois à 4, 5 ».

Mais la municipalité ne secondait pas l'instituteur. Les enfants lui disaient que la dureté du temps les obligeait à rester chez eux ; d'autres lui confiait qu'on se moquait d'eux et que, quand on leur aurait appris le français, on les aurait envoyé dans un autre pays.

A la date du 29 nivôse an III (18 janvier 1795), Tréhot, procureur syndic du district de Pont-Croix, adressa une lettre-circulaire à tous les instituteurs pour leur demander des renseignements sur leurs écoles.

Ollivier [Note : Jean-Louis Ollivier, originaire du Faou, était ambulant des devoirs à Douarnenez avant 1789. Avant de devenir instituteur, il était secrétaire du district de Pont-Croix. Jean Donnars était, avant 1789, notaire et procureur à la juridiction de Pont-Croix, en résidence au Juch], instituteur à Poullan, répondit le 4 pluviôse (23 janvier) : « Malgré les différentes lectures du décret du 29 frimaire et les exhortations du maire et de l'agent national de cette commune de s'y conformer, je n'ai eu que dix-huit élèves à mes écoles, dont il ne me reste actuellement que douze qui sont assidus à mes leçons. Depuis les glaces et la neige, six ont discontinué de s'y rendre ; tous les cultivateurs disent qu'ils ont un besoin urgent de leurs enfants pour la garde de leur bétail, ayant beaucoup de loups dans ce païs qui ont même dévoré depuis peu plusieurs bestiaux au métayer de Kervenargant... ».

Le même jour, Donnars, instituteur à Plouhinec, écrivait à Tréhot : « Depuis le 15 floréal dernier (4 mai 1794) que je fais ces écoles dans la commune de Plouhinec, j'ai eu, lorsque j'ai eu le plus, 97 élèves, et lorsque j'ai eu le moins, 46, non compris plusieurs autres qui s'adressoient à l'instituteur de la langue française. Ils ont assez assidûment fréquenté mes écoles, si ce n'est pendant la récolte et dans le temps de l'ensemencement où plusieurs d'un certain âge étoient indispensables à leur famille pour les travaux champêtres. Je vois avec plaisir et satisfaction que mes élèves ont, en général, profité de mes leçons ; ceux qui, à leur entrée à l'école, ne connaissaient pas leur alphabet, épellent assez bien ; ceux qui avaient quelques notions de leurs lettres, commencent à lire ; ceux qui commençaient à lire se sont beaucoup perfectionné et commencent à écrire et à faire quelque petit calcul... ».

Le Blouch [Note : Noël-Thomas Le Blouch, originaire de Primelin, était clerc praticien avant 1789] cadet, instituteur à Plozévet, répondait le 9 pluviôse (28 janvier 1793) : « J'ai eu, suivant les saisons, tantôt cinquante élèves et tantôt vingt et environ... Quelques-uns commencent à lire et à entendre le français ; à ces derniers je fais apprendre par mémoire les Droits de l'homme et du citoyen, les actions héroïques, les travaux de l'agriculture... ».

Le 14 pluviôse (2 février 1795), Le Lay, instituteur à Plogastel, disait : « Depuis l'ouverture de mes écoles, de 200 enfants en âge d'y venir, il n'y en eu que 36 qui les ont fréquentées ; sur ces 36, 12 y viennent régulièrement... Quoiqu'en petit nombre, mes élèves font des progrès, malgré ce qu'en disent les aristocrates, et si la jeunesse était exacte à venir aux écoles, les idiomes étrangers disparaîtraient bientôt de la surface de la France.. ».

Le Priol, instituteur à Pouldergat, déclare, le 15 pluviôse (3 février 1795) : « Le nombre de mes élèves est très modique, en comparaison de la population, car 80 ou 100 que la commune pourrait envoyer à mes leçons, je n'ai que 8... Je ne doute pas du progrès que l'instruction pourrait faire dans cette commune, si les individus qui ont des enfants sous l'âge les envoyaient à mes leçons ; mais ils trouvent tous des prétextes : en hiver les chemins et le mauvais temps, en été ils en ont besoin pour garder les bestiaux... Beaucoup de citoyens de la commune demandent que l'école primaire se fasse à Pouldavid. L'endroit fournit beaucoup d'enfants qui ne sont utiles à leurs parents qu'à 15 ou 16 ans ; les personnes éloignées pourraient mettre leurs enfants en chambre, qui recevraient plus assidûment mes leçons. C'est le meilleur parti à prendre... ».

Par la suite, Le Priol « considérant que depuis onze mois qu'il est établi à Pouldergat, il n'y avait qu'un seul élève qui fut exact à suivre ses leçons », déclarait, le 3 messidor an III (21 juin 1793), abdiquer ses fonctions.

L'instituteur de Ploaré, B. Démizit [Note : Bernard Démizit, originaire de Douarnenez, était avocat et ancien substitut du procureur du roi au siège de l'Amirauté de Quimper], avoue, le 3 ventôse (21 février 1795), « que l'instruction dans la commune n'a pas tout le succès dont je m'étais flatté dès le commencement de son établissement. En fonction depuis le 1er fructidor dernier (18 août 1794), j'ai vu dans les deux premières décades les élèves accourir pour se faire inscrire sur le registre d'instruction. Le bourg cependant et ses environants les plus rapprochés ont seuls donné des sujets à cet établisseineut si précieux. La tiédeur, pour ne pas dire l'insouciance, ont bientôt succédé à cette première ardeur ; les enfants ont bientôt oublié l'exactitude que je leur recommandais, et de quatorze qui s'étaient fait inscrire, à peine depuis deux mois en ai-je pu réunir cinq et six à la même école. En vain ai-je fait sentir aux parents l'utilité de cette institution, en vain ai-je annoncé au conseil général de la commune que le temps était enfin venu de retirer notre commune de l'ignorance profonde dans laquelle elle a croupi jusqu'à ce jour. Une cause que j'ignore met toute ma bonne volonté en défaut... Le cultivateur, satisfait du savoir faire de celui qui l'a précédé qui se bornait à la culture de ses terres et au soin de son bétail, croirait perdu pour lui le temps qu'il donnerait à l'instruction. Telle est la façon de raisonner des habitants des campagnes, et si l'on ne parvient pas à détruire ce préjugé, j'entrevois bien des difficultés à élever cette classe si intéressante de citoyens au vrai niveau de la Révolution... ».

Le 22 pluviôse (10 février 1795), Largenton, instituteur à Landudec, « observe d'abord qu'il se trouve au milieu d'un peuple pour la plus grande partie aristocrate et revêche ; ces malveillants feignent de croire et persuadent à ceux qui sont de bonne foi que l'on veut apprendre à leurs enfants une loi pernicieuse. Juge de là si le nombre de mes élèves peut être grand.

En vain dans les assemblées décadaires et souvent les jours de dimanche, lorsque je remarque le peuple un peut nombreux, j'ai déclaré que je ne me mêlais en aucune manière de religion, de spirituel, que ma destination, ainsi que mon devoir, étaient et se bornaient uniquement à enseigner à leurs enfants à lire, écrire, chiffrer, etc., etc.

En vain leur ai-je fait valoir l'avantage qu'ils trouveraient eux-mêmes et que trouveront ensuite leurs enfants dans l'instruction que la bienfaisance de la convention nationale veut bien procurer à la République entière.

En vain j'ai invité, j'ai sollicité la municipalité de me seconder et de me procurer la liste des enfants assujettis par la loi à l'école primaire. La municipalité, par une insouciance impardonnable, a été aussi sourde à mes interpellations pie le peuple l'a été à mes pressantes invitations.

La récolte ayant suivi de très près mon entrée en la commune et rendu leurs enfants nécessaires aux cultivateurs, la maladie survenue ensuite à quelques-uns, la rigueur de la présente saison, m'ont réduit aujourd'hui à deux élèves qui n'ont cessé de me venir depuis le commencement.

Je t'observe aussi, citoyen, que je me persuade qu'outre les malveillants qui peuvent, dissuader ce peuple d'envoyer ses enfants à l'instruction publique, il se trouve encore par ici quelques lecteurs champêtres qui se mêlent d'enseigner en secret, ce qui porte un grand préjudice à l'école primaire... ».

Guillaume Goardon, instituteur à Plogoff, signale « que les pères et mères négligent l'éducation de leurs enfants, soit qu'ils n'en connaissent pas le prix, soit qu'un esprit, faible et fanatique les détourne de les envoyer aux instructions. Je ne parle pas de tous en général (car je vois avec satisfaction plusieurs pères de famille s'empresser d'y envoyer leurs enfants), mais la majeure partie s'y refuse, malgré les instances les plus fortes et les avertissements les plus réitérés. Aux instructions décadaires, il ne vient plus personne, administrateurs et administrés, tous les ont abandonnées. Les premiers devraient cependant donner le bon exemple aux derniers, unique moyen de faire goûter au peuple les instructions ».

Enfin, Alain Lastennet, instituteur à Goulien, apporte une note plus optimiste et plus réconfortante : « Le patriotisme reigne tant dans cette commune, qu'il n'est point nécessaire de forcer ni d'engager les enfans de fréquenter les écoles. Leur patriotisme seul suffit, à cela. Il y a environ 68 ou 70 qui assistent presque continuellement à mes leçons. La disette de bras pour l'agriculture les fait cependant quelquefois s'absenter. Je leur enseigne 1° à épeller, lire, écrire, les quatre premières règles de l'arithmétique. Avant la Révolution, l'éducation étoit négligée dans cette commune, n'ayant point de maître d'écoles. J'ai actuellement quatre ou cinq qui commencent à bien lire. Je les fais lire, écrire et expliquer leurs droits avec la constitution. Je leur donne de plus lecture des morales républicaines, des traits héroïques. La municipalité a fait, tout ce qui a dépandu d'elle pour me seconder... ».

Il nous reste à dire quelques mots sur les méthodes pédagogiques employées.

L'instituteur de Poullazn écrit : « pour propager les principes de la Révolution, je me suis conformé au décret du 29 frimaire qui déclare que les livres élémentaires sont les droits de l'homme et du citoyen, la Constitution et le tableau des actions héroïques ou vertueuses. Je leur enseigne aussi les principes de la grammaire mis à la portée de la jeunesse par le citoyen Chemin fils… je leur explique le nouveau calendrier... ».

L'instituteur de Plouhinec emploie à peu près la même méthode, mais de plus il tâche « d'inspirer à ses élèves, autant qu'il a été en moi, de l'amour et du dévouement pour la patrie, de la haine et de l'exécration aux tyrans, aux aristocrates, aux conspirateurs, et en un mot à tous les ennemis de la chose publique... ».

L'instituteur de Plozévet donne quelquefois à ses élèves « quelques petites phrases bretonnes à rendre en français et quelquefois des françaises à rendre en breton, Je les fais interroger l'un par l'autre sur ce qui s'est passé la veille et j'applaudis ceux qui répondent le mieux... ».

L'instituteur de Plogastel expose ainsi sa méthode : « J'ai commencé par apprendre à mes élèves le nom des objets, tant célestes que terrestres, surtout le nom de leur auteur, à demander tout ce qui est nécessaire aux usages de l'homme, le nom des mois de l'année républicaine, les noms des jours de la décade, à compter en notre langue, quelques propositions de la grammaire, tels que les adverbes de quantité, de temps et de lieux, à conjuguer quelques verbes tels qu'avoir et être, à lire dans les livres anciens jusqu'à ce que j'en ai de nouveaux... ».

A Ploaré, « l'instruction se fait en français, cependant tous ne parlant que le breton, et ne connaissant que cette langue je suis obligé de m'aider de leur idiôme pour que nous puissions nous bien entendre. A défaut de livres élémentaires, je me sers pour leur apprendre à lire, classe dans laquelle ils se trouvent tous, des rapports les plus intéressants faits à la convention et les plus marquants dans la Révolution ».

Quant à l'instituteur de Landudec, « comme je 'n'ai affaire ici, dit-il, qu'à des enfans qui n'ont jamais vu ni connu jusqu'à présent la première lettre de l'alphabet, je me borne en l'état à leur enseigner cet alphabet, ensuitte à épeler et à lire. Je tâche en même temps de leur apprendre par cœur l'acte constitutionnel réduit en forme de catéchisme, au moins en ce qui regarde les droits et les devoirs de l'homme et du citoyen... ».

La plupart des instituteurs se plaignent de l'insouciance des municipalités à l'égard de l'enseignement, de l'indifférence, parfois du fanatisme des parents. Celui de Plozévet dénonce l'hostilité du maire « qui faisoit son possible pour empêcher les jeunes citoyens de fréquenter les écoles publiques. Ce citoyen maire est venu dans l'endroit où je faisois les écoles et en entrant a dit aux enfants qui y étoient, en ma présence, qu'ils feroient mieux de rester à la maison travailler que de venir ici perdre leur temps. De tels propos, surtout d'un maire, loin d'encourager les enfants, tendent à les éloigner les principes républicains que j'ai fait vœu d'enseigner ».

Le maire de Plozévet, Henri Quentric, sur la demande du district, fut destitué par les représentants du peuple. La mesure prise à son égard reçut toute la publicité possible « afin que l'exemple funeste qu'il a pu donner par rapport l'instruction publique me se propage pas dans nos campagnes ».

Les instituteurs reconnaissent aussi que les besoins de l'agriculture empêchent les enfants de fréquenter les écoles. A Plouhinec, l'instituteur attribue la non-assiduité des enfants « à la grande carence de bras où se trouve cette commune qui compte parmi les défenseurs de la patrie au delà de deux cents citoyens ».

Certains districts, Brest, et Quimperlé en particulier, accusent les prêtres réfractaires rentrés dans leurs paroisses après le 9 thermidor, d'avoir exercé quelque propagande dans le but d'éloigner les enfants des écoles publiques. Le 9 floréal an III (28 avril 1795), le procureur syndic du district de Quimperlé exposait que « dans les communes où il existoit des instituteurs publics, et où sont rentrés des prêtres insermentés, l'instruction nationale n'a aucun espoir de succès, les instituteurs nous déclarent qu'ils ne peuvent plus faire aucun bien, et qu'ils désespèrent de pouvoir remplir leurs obligations, parce que désormais ils ne peuvent plus compter sur aucun élève » (Police générale. District de Quimperlé).

Dans le district de Pont-Croix, de nombreux prêtres insermentés avaient repris leurs fonctions dans les paroisses : quelques-uns d'entr'eux étaient fort remuants, cependant nous n'avons pas trouvé trace de récriminations de la part des administrateurs au sujet de pression dirigée par ces prêtres contre les écoles.

Le district de Pont-Croix lui-même considérait les instituteurs de la langue française comme étant virtuellement supprimés, puisque à la date du 5 pluviôse an III (24 janvier 1795), il avait arrêté « que les instituteurs de langue française de Plogoff, Cléden, Plouhinec, Audierne [les seuls probablement qui existaient] cesseront d'être payés à compter du premier de ce mois », « vu qu'il résulte de la loi du 27 brumaire an III (17 novembre 1794) que les écoles primaires sont confondues avec celles de langue française et qu'on ne peut laisser subsister plus longtemps un double aussi inutile à l'instruction ».

Le district invitait cependant les instituteurs ainsi licenciés « se présenter devant le jury d'instruction publique chargé de nommer aux places vacantes dans les diverses communes du ressort » (District de Pont-Croix, reg. 7, f° 170).

Les deux mesures législatives ne donnèrent donc, comme nous venons de le voir, que des résultats médiocres. Le choix des maîtres, laissé par la première loi aux soins des municipalités, offrait peu de garantie ; l'intervention des Sociétés populaires, imposée par la seconde, en donnait encore moins.

Les imperfections, les lacunes et les vices des deux premiers essais, révélés par la pratique et l'expérience, vont pouvoir être corrigés. Du labeur du Comité d'instruction publique de la Convention et de quelques membres de l'Assemblée sortira la loi du 27 brumaire an III, qui restera la Charte fondamentale de l'enseignement primaire en France.

Il nous paraît utile de reproduire, une fois de plus, toutes les dispositions de cette loi :

« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité d'instruction publique, décrète :

CHAPITRE Ier

Institution des écoles primaires.

Article premier. — Les écoles primaires ont pour objet de donner aux enfants de l'un et de l'autre sexe l'instruction nécessaire à des hommes libres.
Art. 2. — Les écoles primaires seront distribuées sur le territoire de la République à raison de la population ; en conséquence, il sera établi une école primaire par mille habitants.
Art. 3. — Dans les lieux où la population est trop dispersée, il pourra être établi une seconde école primaire, sur la demande motivée de l'administration du district, et d'après un décret de l'Assemblée nationale.
Art. 4. — Dans les lieux où la population est pressée, une seconde école ne pourra être établie que lorsque la population s'élèvera à deux mille individus ; la troisième, à trois mille habitants complets, et ainsi de suite,
Art. 5. — Dans toutes les communes de la République, les ci-devant. presbytères non vendus au profit de la République sont mis à la disposition des municipalités, pour servir tant au logement de l'instituteur qu'à recevoir les élèves pendant la durée des leçons. En conséquence, tous les baux existants sont résiliés.
Art. 6. — Dans les communes où il n'existe plus de ci-devant presbytère à la disposition de la nation, il sera accordé, sur la demande des administrations de district, un local convenable pour la tenue des écoles primaires.
Art. 7. — Chaque école primaire sera divisée en deux sections, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles ; en conséquence, il y aura un instituteur et une institutrice »
.

CHAPITRE II

Jury d'instruction.

« Article premier. — Les instituteurs et les institutrices sont nommés par le peuple ; néanmoins pendant la durée du gouvernement révolutionnaire, ils seront examinés, élus et surveillés par un jury d'instruction composé de trois membres désignés par l'administration du district et pris, hors de son sein, parmi les pères de famille.
Art. 2. — Le jury d'instruction sen renouvelé par tiers tous les six mois.
Le commissaire sortant pourra être réélu »
.

CHAPITRE III

Des instituteurs.

« Article premier. — Les nominations des instituteurs et les institutrices, élus par le jury d'instruction, seront soumises à l'administration du district.
Art. 2. — Le jury d'instruction sera renouvelé par tiers. Si l'administration refuse de confirmer la nomination faite par le jury, le jury pourra faire un autre choix.
Art. 3 — Lorsque le jury persistera dans sa nomination, et l'administration dans son refus, elle désignera pour la place vacante la personne qu'elle croira mériter la préférence ; les deux choix seront envoyés au Comité d'instruction publique, qui prononcera définitivement entre l'administration et le jury.
Art. 4. — Les plaintes contre les instituteurs et les institutrices seront portées directement au jury d'instruction.
Art. 5. — Lorsque la plainte sera en matière grave, et après que l'accusé aura été entendu, si le jury juge qu'il y a lieu à destitution, sa décision sera portée au Conseil général de l'administration du district pour être confirmée.
Art. 6. — Si l'arrêté du Conseil général n'est pas conforme à l'avis du jury, l'affaire sera portée au Comité d'instruction publique, qui prononcera définitivement.
Art. 7. — Les instituteurs les institutrices des écoles primaires seront tenus d'enseigner à leurs élèves les livres élémentaires composés et publiés par ordre de la Convention nationale.
Art. 8. — Ils ne pourront recevoir chez eux, comnme pensionnaires, ni donner de leçon particulière à aucun de leurs élèves : l'instituteur se doit, tout à tous.
Art. 9. — La nation accordera aux citoyens qui auront rendu de longs services à leur pays dans la carrière de l'enseignement une retraite qui mettra leur vieillesse à l'abri dit besoin.
Art. 10. — Le salaire des instituteurs sera uniforme sur toute la surface de la République ; il est fixé à douze cents livres pour les instituteurs, et mille livres pour les institutrices. Néanmoins, dans les communes dont la population s'élève au-dessus de vingt mille habitants, le traitement de l'instituteur sera de quinze cents livres, et celui de l'institutrice de douze cents livres »
.

CHAPITRE IV

Instruction et régime des écoles primaires.

« Article premier. — Les élèves ne seront pas admis aux écoles primaires avant l'âge de six ans accomplis.
Art. 2. — Dans l'une et l'autre section de chaque école, on enseignera aux élèves : 1° à lire et. à écrire et les exemples de lecture rappelleront leurs droits et leurs devoirs ; 2° la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la constitution de la Répubique française ; 3° on donnera des instructions élémentaires sur la morale républicaine ; 4° les éléments de la langue française, soit parlée, soit écrite ; 5° les règles du calcul simple et de l'arpentage ; 6° les éléments de la géographie et de l'histoire des peuples libres ; 7° des instructions sur les principaux phénomènes et les productions les plus usuelles de la nature. On fera apprendre le Recueil des actions héroïques et les chants de triomphe.
Art. 3. — L'enseignement sera fait en langue française. L'idiôme du pays ne pourra être employé que comme un moyen auxiliaire.
Art. 4. — Les élèves seront instruits dans les exercices les plus propres à entretenir la santé et à développer la force et l'agilité du corps. En conséquence, les garçons seront élevés aux exercices militaires, auxquels présidera un officier de la garde nationale désigné par le jury d'instruction.
Art. 5. — On les formera, si la localité le comporte, à la natation ; cet exercice sera dirigé et surveillé par des citoyens nommés par le jury d'instruction sur la présentation des municipalités respectives.
Art. 6. — Il sera publié des instructions pour déterminer la nature et la distribution des autres exercices gymnastiques propres à donner au corps de la force et de la souplesse, tels que la course, la lutte, etc.
Art. 7. — Les élèves des écoles primaires visiteront plusieurs fois l'année avec leurs instituteurs, et sous la conduite d'un magistrat du peuple, les hôpitaux les plus voisins.
Art. 8. — Les mêmes jours, ils aideront dans leurs travaux domestiques et champêtres les vieillards et les parents des défenseurs de la patrie.
Art. 9. — On les conduira quelquefois dans les manufactures et les ateliers où l'on prépare des marchandises d'une consommation commune, afin que cette vue leur donne quelque idée des avantages de l'industrie humaine, et éveille en eux le goût des arts utiles.
Art. 10. — Une partie du temps destiné aux écoles sera employé à des ouvrages manuels de différentes espèces utiles et communes.
Art. 11. — Il sera publié une instruction pour faciliter l'exécution des deux articles précédents, en rendant la fréquentation des ateliers et le travail des mains vraiment utiles aux élèves.
Art. 12. — Des prix d'encouragement seront distribués tous les ans aux élèves, en présence du peuple, dans la fête de la Jeunesse.
Art. 13. — Le Comité d'instruction publique est chargé de publier, sans délai, des règlements sur le régime et la discipline interne des écoles primaires.
Art. 14. — Les jeunes citoyens qui n'auront pas fréquenté ces écoles seront examinés, en présence du peuple, à la fête de la Jeunesse ; et s'il est reconnu qu'ils n'ont pas les connaissances nécessaires à des citoyens français, ils seront écartés, jusqu'à ce qu'ils les aient acquises, de toutes les fonctions publiques.
Art. 15. — La loi ne peut porter aucune atteinte au droit qu'ont les citoyens d'ouvrir des écoles particulières et libres, sous la surveillance des autoriés constituées.
Art. 16. — La Convention nationale rapporte toute disposition contraire à la présente loi »
.

Par son arrêté du 18 pluviôse an III (6 février 1795), le district de Pont-Croix désignait les communes qui devaient être pourvues d'une école : Audierne, Beuzec, Cléden, Douarnenez, Goulien, Ile de Sein, Landudec, Le Juch, Mahalon, Plogastel, Plonéour, Plouhinec, Plozévet, Pont-Croix, Pouldergat, Pouldreuzic, Poullan, Primelin, Saint-Honoré et Tréogat. Soit dans 20 communes sur 28 que comprenait le district. Les administrateurs ne nous ont pas fait connaître les considérations qui déterminèrent ce choix ; du moins nous n'en avons pas retrouvé trace. Il paraît étonnant cependant que des communes telles que Plonéis, Peumerit, Plovan, Plogoff et Esquibien, qui contenaient plus de mille habitants, n'aient pas été comprises sur la liste, tandis que Goulien, Plogastel, Tréogat, Pouldreuzic, Landudec, l'Ile de Sein et Saint-Honoré, dont la population n'atteignait pas mille âmes, y figuraient.

Par le même arrêté le district spécifiait en outre « qu'aucun instituteur ne sera reconnu ni salarié comme tel, qu'il n'ait passé à l'examen du jury d'instruction publique et qu'il n'ait été admis par lui à exercer les fonctions » (District de Pont-Croix, reg. 7, f° 180).

Les membres de ce jury avaient été désignés par un arrêté du 16 nivôse an III (5 janvier 1795) qui dispose : « pour se conformer à l'article premier, chap. 2, de la loi du 27 brumaire, ordonnant la nomination d'un jury d'instruction composé de trois membres pris parmi les pères de famille, sont nommés pour juris d'instruction dans le district les citoyens Laurent Le Breton, officier de santé, Jean-Baptiste Delécluze, juge de paix et François-Louis Tréhot » [Note : Laurent Le Breton, né à Brest en 1750, fut reçu docteur en médecine à Montpellier le 1er février 1777. Avant 1789, il exerçait à Quimper. Il mourut à Quimper le 30 décembre 1830. — Jean-Baptiste Delécluse, né à Audierne en 1751, était, avant la Révolution, avocat et sénéchal de la juridiction du Quéménet. Président du tribunal du district de Pont-Croix. puis juge de paix. Commissaire près le tribunal criminel, puis président du tribunal civil de Quimper. Décédé à Quimper le 17 avril 1818. — Louis-François Tréhot de Clermont, originaire de Paris, était procureur général et spécial du marquisat de Pont-Croix depuis 1754. Maire de Pont-Croix en 1790, puis receveur du district. Décédé à Pont-Croix le 30 août 1804].

Les membres des jurys d'instruction firent afficher dans toutes les communes la proclamation suivante :

« Aux patriotes français des deux sexes, La loi du 27 brumaire, relative aux écoles primaires, vient d'ouvrir à la France une source féconde de prospérité et de bonheur.

Qu'il est vaste et sublime cet établissement qui doit porter les lumières jusque sous le chaume ! Quelle est sainte cette institution qui doit régénérer les mœurs d'un grand peuple !

Vous tous patriotes des deux sexes, qui joignez à un sincère attachement pour la République, des talens, des lumières et des mœurs pures, pressez-vous d'en porter le tribut dans ces écoles précieuses qui doivent former les générations actuelles et futures ; la voix de la patrie vous y appelle ; la considération, la gloire et les récompenses nationales vous y attendent pour prix de vos travaux ; et croyez surtout qu'il n'est pas de talens au dessus de fonctions aussi importantes.

Le jury d'instruction du district invite tous ceux et celles qui voudront remplir dans l'étendue de son territoire, les fonctions d'instituteurs et d'institutrices pour les écoles primaires, de se présenter au plus tôt, munis d'un certificat de civisme, et d'un autre certificat de bonne vie et mœurs, délivré par le conseil général de la commune de leur domicile, lequel attestera spécialement que le candidat n'est point enclin à l'ivresse ; sans ces préalables on ne sera point admis l'examen.

Le jury invite aussi tous les bons citoyens à lui désigner les sujets qui leur paroitront propres à remplir ces places » (Arch. finistère, 16 L 1).

Les examens commoncèrent le 18 pluviôse an III (6 février 1795) ; en dix séances, dont la dernière eut lieu le 5 ventôse (23 février), le jury admit 20 candidats et 13 candidates. Les tableaux ci-après indiqueront la répartition et les dates de réception.

Noms des instituteurs du district de Pont-Croix en l'an II et l'an III (Bretagne)

Noms des instituteurs du district de Pont-Croix en l'an II et l'an III (Bretagne)

(*) Alan Guézennec mourut ou se démit peu de temps après son admission. Il fut remplacé par Jean-Francois Marteville.

Remarquons que toutes les communes prévues par l'arrêté du 18 pluviôse sont pourvues d'instituteurs, sauf Goulien ; par contre, un titulaire est désigné pour Plonéis, qui ne figure pas sur la liste. Quant aux institutrices, treize communes sur vingt en seront dotées ; et du moins, si Goulien n'a pas d'instituteur, elle aura une institutrice.

Nous n'avons malheureusement pas de rapports sur le fonctionnement des écoles après la loi du 27 brumaire, émanant des instituteurs. Nous retrouvons parmi les candidats reçus par le jury d'instruction publique du district, la plupart des anciens maîtres d'école de l'an II. Nous n'en reparlerons donc pas.

Parmi les nouveaux, Yves Le Moan, instituteur à Beuzec, originaire de Goulien, était clerc praticien à Locronan avant 1789 ; Pierre-Marie Ollivrin, à Cléden, était un jeune homme de 18 ans, originaire de Rostrenen, ancien étudiant au séminaire de Plouguernevel, neveu du recteur de Cléden, Jean-Joseph Gloaguen ; Jacques-Raphaël Morvan, à Douarnenez, originaire de Pont-Croix, était clerc de procureur à Quimper avant la Révolution. L'instituteur de Mahalon, Corentin Le Faucheur, était ancien greffier de la juridiction du marquisat de Pont-Croix ; celui de Pont-Croix, Jean-François Marteville, était, avant 1789, sous-brigadier des douanes à Pont-Croix, puis secrétaire du district. Enfin, Goulven Monot, instituteur à Saint-Honoré, avait été, pendant huit ans, commis dans un magasin du port de Brest. En l'an II, il sollicitait la place d'instituteur de la langue française dans la même commune auprès des représentants à Brest, en ces termes : « Je suis bon républicain, mon patriotisme est à toute épreuve, je connoit l'arritmétique, je soit parfaitement l'idiome bretonne et pour ce qui regarde le patriotisme et mon sivisme, je vous fourniroit l'épreuve la plus autantique ». On peut douter des capacités pédagogiques de Goulven Monot et on demeure surpris que le jury l'ait accepté. Sans doute à défaut d'autre candidat. En l'an X, Monot était greffier de la justice de paix de Plogastel et il était noté « sans talents, sans moralité, ivrogne ».

Nous avons quelques rapports d'institutrices. Marie-Anne Pennarnen, veuve Keruzoret, institutrice à Beuzec, écrit au district : « Je ne puis gerre vous donner de lanseignement concernant les écoles dont je suis cargée, je nais que six éleuve qui apprenant à lire et qui viennent deux fois par jour à l'école... Je vous dirai seulement qu'il se présente beaucoup de difficulté dont on apprand dans la manière d'apprendre à lire aux enfans, surtout lorsqu'ils sont en grand nombre, c'est qu'on est obligé de leur faire école à l'un après l'autre... ». C'est pitoyable ! Néanmoins, la brave dame ose conclure en disant : « si l'on veut maintennir ces écoles, il faut augmenter notre traitement qui n'est plus suffisant pour vivre ».

Marie-Jeanne Kersauson [Note : Marie-Jeanne de Kersauson était veuve de Louis-Guillaume Guillier-Dumarnay, ancien procureur fiscal de la jurdiction du prieuré de l'île Tristan], veuve Guillier, institutrice à Cléden, n'est guère mieux douée que la précédente ; elle rend compte le 29 prairial an III (17 juin 1795) : « Je vous en vois une liste des anfan qui me vienne reguillairement tous les jour, elle sant longue à prandre, jannè quis ont été 3 moy a aprandre à conaitre leure laitre. Jay eus un plus grand nombre danfan pandan le tan du catéchisme, mais elle ne viene plus étant a preusan ocupé a serclé les blé et panné et ne pouron reuvenir qua prais la reucolte ». Rien d'étonnant, en effet, si les enfants « sont longs à apprendre quelque chose » avec une telle maîtresse !

A Douarnenez, Marie-Catherine Fraboulet, veuve Guillier, expose : « Depuis quatre mois que j'exerce l'état d'institutrice, les enfans viennent exactement à l'école et ne font des progrès qu'à proportion de leur âge, étant tous très jeunes et absolument dans les premiers principes de lecture, que je leur fais en françois ; ils paraissent tous très satisfaits et se rendent exactement deux fois par jour » [Note : Marie-Catherine Fraboulet était la veuve de Vincent-Marie-Urbain Guillier, juge au tribunal du district de Pont-Croix, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire de Brest, le 1er messidor an II].

Perrine Mermet, institutrice à Plonéour, déclare, le 28 prairial an III (16 juin 1795), que quinze élèves fréquentaient son école, sur lesquels 5 ou 7 suivaient régulièrement les classes. « La moitié commençait à épeler, à lire, les autres ne savaient rien ». Elle leur apprenait aussi à tricoter [Note : L'abbé Favé a trouvé plaisant de railler « la demoiselle à tricoter ». Il nous semble, au contraire, que l'initiative n'était nullement hors de propos. Ces travaux étaient même prescrits par la loi. Cf. article 10, chapitre IV].

L'institutrice de Plouhinec, Marie-Françoise Le Dem, épouse de Jean-François Monter, ancien notaire et procureur, eut d'abord 28 élèves, 20 du bourg de Kerydreux et 8 de différents villages. Quelques temps après le nombre se réduisit à 24. « J'ai commencé cette éducation, dit-elle, à deux écoles par jour, par l'alphabet suivant l'ancien usage, et ensuite à faire éppeler le latin à ces filles dès qu'il y a quelques-unes très disposées à lire cette langue, leur apprenant les noms des choses en français et leur parlant en français. Après leur avoir appris à lire le latin, je leur apprendrai à lire en français et l'écriture de main et à écrire, avec les 4 règles de l'arithmétique, fractions et autres. Je leur parle des événements glorieux de notre heureuse Révolution et du mépris pour les tirans ».

Marie-Thomase-Esprit Le Berre, fille d'Alour Le Berre, avocat et juge au tribunal du district de Pont-Croix, emploie la même méthode, sauf le latin. Elle avoue : « je n'ai pas expliqué à mes élèves les Droits de l'homme et du citoyen, parce qu'elles ne comprennent pas... j'ai crû par le même motif qu'il seroit inutile de leur lire les loix qui m'ont été envoyées ».

Marie-Anne Du Laurens, femme 0llivier, institutrice à Poullan, annonce, le 26 prairial an III (14 juin 1795) : « je m'empresse de vous répondre en vous annonçant que je n'ai qu'une élève, sans comprendre mes filles [Note : L'abbé Favé a cru faire preuve d'esprit en lisant « uns filles », au lieu de « mes filles », quoique l'écriture ne soit nullement douteuse. Et cela tout simplement pour avoir un prétexte de faire un jeu de mots : « Voilà un pluriel bien singulier! »]. J'ai été engager les pères et mères à m'envoyer leurs enfans, ils n'ont fait que me promettre... Je vous prie d'observer que je suis dans la plus grande détresse, notre salaire ne pouvant suffire pour nourrir notre famille... ».

A Primelin, Marie-Guillemette Le Page, épouse de l'instituteur Noël-Thomas Le Blouch, déclare, le 26 prairial an III (14 juin 1795) : « Depuis mon installation, j'ai toujours eu quelques élèves à mon école et proportionnellement aux saisons et aux besoins des travaux de la terre. L'esprit public dans cette commune est beaucoup porté pour l'instruction de la jeunesse, comme il l'a été de tout temps, car presque tous les citoyens et citoyennes orginaires de cette commune savent lire, écrire et parler françois ». Voilà au moins une déclaration intéressante et toute à l'honneur des habitants de Primelin [Note : En 1773, on trouve un instituteur, Guillaume Maubras, à Kerloch, en Primelin. Un autre, Jean Louarn, tenait école à Saint-Tugen].

L'institutrice de Saint-Honoré, Aimable-Marguerite Amblard, femme Chemendy, écrit, le 22 prairial an III (10 juin 1795) : « Je commence à enseigner à mes élèves à lire dans l'alphabet républicain, suivi des droits de l'homme et du citoyen, de l'acte constitutionnel, des instructions élémentaires sur la morale républicaine et les éléments de la langue française. Mes élèves ne sont pas assez avancées pour écrire. Le nombre est de quatorze régulièrement. Mais depuis que le curé fait le catéchisme pour la Pâques, il les tient depuis 7 heures du matin jusqu'à une heure de l'après-midi et il ne vient plus que trois petites filles qui lisent très bien les droits de l'homme et parlent passablement le français » [Note : Aimable-Marguerite Amblard, fille d'un marchand orfèvre de Quimper, vivait séparée de son mari, François Chemendy, commis de la régie des devoirs à Pont-l'Abbé. L'agent national du district de Pont-Croix écrivait à son sujet, le 23 prairial an III (11 juin 1795) : « La citoyenne Chemendy, célèbre par la dissolution de ses mœurs et ses liaisons avec le terroriste Queneudec, qui vivoit avec elle depuis longtemps ». (Reg. 12, f° 51)].

Dans sa séance du 16 ventôse an III (6 mars 1795), le Comité d'Instruction publique arrêta un projet de décret à soumettre à la Convention proposant l'envoi dans les départements de cinq représentants du peuple pour assurer la prompte exécution des lois relatives à l'instruction publique.

Ce décret fut voté par la Convention le 18 germinal an III (7 avril 1795) ; parmi les cinq représentants désignés, Bailleul eut les départements bretons dans son arrondissement d'inspection [Note : Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique publiés par J. Guillaume, t. V, p. 576 ; t. VI, p. 53].

Par un arrêté daté de Sées, le 25 prairial an III (13 juin 1795), Bailleul, « considérant que le défaut de sujets a été un des principaux obstacles à l'établissement des écoles primaires ; que parmi les instituteurs nommés, il s'en trouve qui sont loin de réunir les qualités les plus indispensables exigées par la loi ; que plusieurs de ces choix ont été faits dans un temps où l'opinion n'était pas encore entièrement ralliée aux principes de justice et d'humanité, que la tirannie semblait avoir bannis du territoire français », arrêta que les jurys d'instruction seraient renouvelés et procéderaient à un nouvel examen des instituteurs et des institutrices en fonction.

Les administrateurs de Pont-Croix n'avaient pas attendu cette décision pour inviter les membres du jury à « faire un nouvel examen des talents et surtout de la moralité des instituteurs », par un arrêté du 14 prairial an III (2 juin 1795). Ils avisaient le jury « qu'il s'élève de toutes parts des plaintes contre les instituteurs que vous avez choisis ; il en est plusieurs qui savent à peine lire et écrire, qui, avant de s'immiscer dans l'art d'enseigner, devraient eux-mêmes suivre pendant quelques délais les écoles » (District de Pont-Croix, reg. 12, f° 52).

Au reçu de l'arrêté de Bailleul, le district prescrivit au jury, le 10 thermidor (28 juillet), de faire subir sur le champ le nouvel examen imposé, aux instituteurs et institutrices qui « cesseront leurs fonctions à compter du 1er du mois prochain et ne pourront les reprendre que d'après une nouvelle commission visée et approuvée par le Directoire ».

De plus, par un arrêté du 6 fructidor an III (23 août 1795), le même district décida « que provisoirement et jusqu'à ce que la constitution républicaine ne soit en activité, toutes les institutrices et tous les instituteurs sont suspendus et qu'il ne sera délivré par le Directoire des commissions que pour les communes où il est notoirement connu que les écoles sont fréquentées ». Cet arrêté était précédé de considérations assez curieuses : « Considérant que les écoles primaires ne sont nullement suivies dans presque toutes les communes du ressort, que les vues bienfaisantes de la Convention nationale, loin d'être utiles dans nos communes, portent un préjudice considérable au trésor national ; considérant que presque toutes les institutrices et les instituteurs, nommés dans un temps où l'esprit public n'était pas formé, ne peuvent répandre des principes constitutionnels parmi le peuple et que l'on est à la veille de jouir d'une constitution... ». Les conséquences du 9 thermidor commençaient déjà à se faire sentir, même au fond de la Basse-Bretagne.

Le jury d'instruction publique du district, composé des mêmes membres, reprit l'examen des candidats. Voici le tableau des admissions :

Noms des instituteurs du district de Pont-Croix en l'an II et l'an III (Bretagne)

Donc, sur 28 communes, 8 seulement fournirent une attestation assurant la fréquentation régulière d'un minimum d'élèves. Ce n'était pas brillant.

On est étonné de voir admettre de nouveau pour le poste de Saint-Honoré, le sieur Goulven Monot, dont nous avons déjà constaté l'insuffisance. Par contre, nous retrouvons à Plozévet, en qualité d'instituteur, l'ancien vicaire constitutionnel de cette paroisse, l'abbé Quillivic, qui avait été maître d'école à Pont-Croix, avant 1789.

Remarquons également qu'il n'a été pourvu à aucun poste d'institutrice. Les écoles de filles sont donc virtuellement supprimées, du moins les écoles officielles.

Les huit écoles de garçons vont-elles se maintenir ? Hélas ! en l'an VI, celle de Pont-Croix seule subsiste. Le 6 vendémiaire an IV (28 septembre 1795), la municipalité de Beuzec signale : « notre commune est sains instituteur depuis que le c..en (Yves) Le Moan a épousé le notariat (sic). Les habitans sont jaloux de donner l'instruction à leurs enfans et sur les réclamations multipliées, nous trouvons aussi juste qu'avantageux qu'il y ait un instituteur dans cette commune... ».

Le 13 messidor an VI (1er juillet 1798), la municipalité cantonale d'Audierne écrit : « il n'existe dans notre canton aucune école primaire et nous en avons fait connaître la cause qui ne peut être attribuée qu'au défaut d'aisance de la plupart de nos administrés, ce qui nous a tenus jusqu'ici dans l'impossibilité d'assurer à un instituteur vertueux et éclairé un traitement honnête... Nous vous garantissons que si le système d'instruction publique n'est promptement complété, à peine trouvera-t-on dans une vingtaine d'années un citoyen dans notre arrondissement qui sache écrire son nom ».

En l'an VII, « le canton de Plozévet, ainsi que plusieurs autres, est privé d'instituteurs par la pénurie des sujets. Les enfants sont instruits dans leur famille, ce qui est une faible ressource, puisque la plupart des parents ne peuvent presque rien par eux-mêmes ».

A Pont-Croix, Jean-François Marteville a été reconnu par le jury établi à Quimper, le 5 fructidor an IV (22 août 1796). Son école fonctionne dans l'ancien couvent des ursulines évacué par la municipalité. Cette dernière lui assure une indemnité de logement de 200 francs. En ventôse an VI, les élèves sont au nombre de 24, dont 8 viennent des communes environnantes : 3 de Plogoff et de Plouhinec et 1 de Cléden et de Primelin. De plus, 6 militaires de la garnison suivent les leçons. La municipalité octroie des récompenses aux élèves les plus méritants; c'est ainsi que le 11 germinal an VI (3 mars 1798), François Cléach reçoit la somme de 1 fr. 20 « pour récompense de ses progrès dans l'écriture ».

Le commissaire du directoire exécutif du canton reconnaît, en l'an VII, que « l'instituteur de ce canton est très capable et me paraît ami du gouvernement républicain. Ses instructions sont beaucoup plus soignées depuis que j'ai obtenu un règlement dans les écoles publiques et que j'ai pris le parti de les visiter moi-même le plus souvent qu'il me sera possible.

Les élèves sont au nombre de 18. Ce nombre s'augmenterait très considérablement si cet instituteur n'avait pas la faculté de faire des écoles particulières, qui lui font perdre du temps qu'il devrait donner à ses écoles publiques... ».

Les tentatives faites par la Convention pour organiser l'enseignement primaire et propager l'instruction avaient presque complètement échoué en Basse-Bretagne, comme ailleurs. Les instituteurs et les administrateurs nous ont fait connaître les causes ; cependant, si on s'étonne de la disproportion entre les desseins de la Convention et les résultats de ses décisions, en matière d'éducation nationale, c'est qu'on oublie les circonstances. « Quand on se représente ces circonstances, dit M. Liard [Note : L'Enseignement Supérieur en France de 1789 à 1889. Paris, Colin, 1888], quelques-unes tragiques et terribles, toutes difficiles, le renouvellement simultané de toutes les institutions, puis la guerre au dehors, la guerre au dedans, les passions déchaînées, la nécessité presque quotidienne de sauver la patrie et la Révolution également menacées, on s'étonne et on admire, non pas que l'œuvre soit restée au dessous du dessein, mais qu'elle ait pu être conçue, entreprise, et qu'un fragment, même imparfait, en ait été réalisé. Et d'ailleurs les idées importent ici plus que ce qui a pu en être exécuté... ».

Le régime impérial laissera sombrer définitivement les quelques institutions qui avaient pu survivre.

(Daniel Bernard).

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