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PLOUVIEN PENDANT LA RÉVOLUTION

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L'Assemblée constituante, plus empressée de désorganiser que d'organiser, songea d'abord à remplir les caisses vides du trésor public. C'est pourquoi le 2 Novembre elle affecta à la nation tous les biens du clergé ; et le 17 Décembre il fut statué que quatre cents millions de ces biens seraient immédiatement vendus.

Ville de Plouvien (Bretagne).

Entré dans la voie de désorganisation, l'Assemblée y marcha de pas rapides. Une loi du 15 Janvier 1790 donnait à la France une nouvelle division territoriale et une nouvelle forme d'administration. Les provinces se divisèrent en départements, districts ou arrondissements, et cantons. Plouvien fut attaché au canton de Lannilis.

Les anciennes administrations étant abolies, les corps politiques avaient aussi reçu leur coup de grâce. A la tête de l'administration nouvelle des paroisses était le maire ou agent municipal ; un procureur-syndic lui était adjoint. Son conseil se formait d'un nombre déterminé d'officiers municipaux et de notables, suivant le chiffre de la population, et tous choisis par les électeurs de la paroisse.

Ils restaient seulement deux ans en fonction, et ne devaient être réélus qu'une fois. Ceux qui obtenaient la faveur d'une réélection, sortaient au terme de leur second mandat, sans pouvoir rentrer en charge avant d'avoir passé un an dans la vie privée.

Le 4 Mars fut le jour fixé pour les élections. M. Iliou, recteur de la paroisse, fut choisi pour présider à l'opération ; M. l'abbé Pellan fit l'office de secrétaire. Voici quel fut le résultat du scrutin :

Maire :
François Madec, de la Ville-neuve-rossunan.
Procureur-syndic :
Pierre Maolic, du Scotz
Officiers iciers municipaux :
Claude Foricher, de Kerourgon. François Le Mailloux, de Mespéler. Joseph Floc'h, de Prat-Eugan. Jacques Le Roy, du Forestic-vian. Guillaume Ulvois, du Forestic-vrac.
Notables :
François Le Guen, de Kerriou. Yves Cueff, de Kerouné. Guillaume Guéguen, de Mespont. François Guidamour, de Keroullédic. Jaoua Quéméneur, de Kerdudal. Claude Conq, de Kerhat. Charles C'huiton, de Keralliou-vian. Goulven Riou, du Bas-Plouvien. François Perrin, de Lésagon. Alain Le Bris, de Kerguelven. Jean Trébaol, de Kerbuillat. Goulven Le Duff, du Mésou.

Aussitôt que la proclamation des élus fut faite, maître Tanguy Bescont fut nommé secrétaire, et tous prétèrent le serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi.

Le 19 Juin, l'Assemblée Nationale ayant décrété la suppression des privilèges et des titres de noblesse, et proclamé l'égalité des citoyens français, la municipalité de Plouvien se crut en droit, dès le 29 du même mois, de donner ordre au Clergé d'employer aux baptêmes et aux enterrements les mêmes ornements pour les pauvres et les riches ; et le 24 Octobre elle prenait l'arrêté suivant :

« 1° Au premier jour, seront effacés, à la diligence du Procureur de la commune, les armoiries, écussons et titres des ci-devant seigneurs et gentilshommes, partout où ils paraissent dans l'étendue de la municipalité, dans l'intérieur et à l'extérieur de l'église et des chapelles de notre ressort ; 2° Les bancs des ci-devant seigneurs seront mis hors de l'église et des chapelles ; 3° Tous les caveaux funéraires seront incessamment comblés ; 4° Les armoiries apposées sur les cloches de la paroisse, ainsi que les fausses qualités de comtes et de marquis, données aux parrains, seront enlevées ».

Ont signé : François Madec, Pierre Moalic, Claude Foricher, François Le Mailloux, Jacques Le Roy, Joseph Floc'h, François Guidamour, Guillaume Guéguen, François Perrin, François Le Guen, Charles C'huiton, Goulven Le Duff, Guillaume Ulvois, Jaoua Quéméneur, Yves Cueff, Alain Le Bris, Goulven Riou.

Cette oeuvre de vandalisme qui effaçait du même coup le souvenir et des bienfaits et des bienfaiteurs, et ce trouble sacrilège du repos des morts, reviennent donc à la charge de toute la municipalité, et non de tels particuliers, comme la malveillance se plait encore à le répéter.

Nous ne saurions taire ici notre vif regret de ne plus. voir à Balasnant les onze écussons qui ornaient l'extérieur de la chapelle.

Ces pierres nous en auraient fait connaître les fondateurs, et maintenant ils nous resteront inconnus. Les coins et les marteaux de maçons ont déchiré d'avance la plus belle page de notre petite histoire.

Le 15 Novembre, le Conseil municipal fuf renouvelé partiellement, selon les prescriptions de la loi.

Il se trouva formé ainsi qu'il suit.

Maire :
François Madec.
Procureur :
Pierre Moalic.
Officiers municipaux :
Guillaume Ulvois.
Français Mailloux.
Claude Foricher.
Yves Jolie, de Lesmaédic.
Guillaume Abjean, de Guieguien.
Notables :
François Le Guen.
Yves Cueff.
Charles C'huiton.
Goulven Riou.
Jean Trébaol.
François Guidamour.
Hervé Chapalain, de Kerbréden.
Yves Le Névez, de Toull-ar-C'hévélec.
Jean Saléun, de Kergaraoc.
Guillaume Guéguen.
Jean Abivin, de Keratrédean.
Hervé Le Guen, de Kergaraoc.

Tous prêtèrent le serment prescrit.

Le 27 de ce même mois, un décret, qui allait jeter le trouble dans la France entière et présager aux catholiques des persécutions prochaines, émanait de l'Assemblée Nationale. Ce décret avait pour objet d'exiger des recteurs et des curés, et de tout fonctionnaire public du corps clérical, le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé, votée par la Constituante le 12 Juillet, et sanctionnée le 24 Août par le trop faible Louis XVI. De toutes parts des protestations s'élevèrent contre cette usurpation inouie de l'autorité civile, et contre les doctrines perverses qu'elle tendait à introduire ; mais les novateurs ne s'étaient pas tant avancés pour reculer ensuite.

Dès le mois de Janvier 1791, les procureurs des départements avaient reçu ordre d'exiger le serment de tous les recteurs et curés. Au jour fixé, c'était un dimanche, M. Iliou monta en chaire à la fin de la grand'messe. Ses traits étaient animés, son coeur était sensiblement agité d'émotions vives ; tout son extérieur cependant annonçait une assurance qui ne lui était pas ordinaire. Le vénérable recteur exposa d'abord à ses paroissiens la grande épreuve que traversait l'Eglise de France, l'épreuve à laquelle serait soumise bientôt la fidélité de chaque chrétien. Il les exhorta ensuite à demeurer fermes au milieu de la tempête, et à conserver intacte leur foi catholique, dut-il leur en coûter la vie. Mais, ajouta-t-il, si c'est là une obligation pour tout chrétien catholique, à plus forte raison est-ce une obligation rigoureuse pour le prêtre, pour le pasteur surtout. « Aussi, je déclare devant Dieu et devant les fidèles ici présents que je n'accepterai jamais la constitution que l'on veut nous imposer ; je me vouerai à la mort plutôt que de devenir infidèle à Dieu et à son Eglise, plutôt que de vous laisser l'exemple d'une lâcheté ». Telles furent substantiellement ses paroles que nous tenons de trois témoins dignes de foi.

M. Gouriou et M. Le Roux, curé et sous-curé de la paroisse, quoiqu'ils eussent déjà souscrit, le 22 octobre 1790, la protestation générale du clergé de Léon, se firent un devoir de renouveler publiquement leur protestation pour l'édification des paroissiens. L'abbé Pellan, en sa qualité de chapelain, ne devait être requis à prêter le serment qu'en vertu du décret du 14 Avril suivant ; mais il se hâta de prévenir toute sommation, en se présentant spontanément à la municipalité pour prêter le serment exigé par la loir révolutionnaire ; et, en récompense de sa félonie, il eut l'insigne honneur de devenir curé-intrus de Guilers. Cette apostasie ne produisit pas grand effet sur les paroissiens, car ils n'ignoraient pas qu'un prêtre, qui a renoncé aux vertus sacerdotales, est disposé d'avance à renier sa foi et son Dieu. Plus tard il rétracta ses erreurs, réforma-t-il en même temps sa vie ? Dieu l'a jugé. [Note : Guillaume Pellan, né à Plouvien le 15 Juillet prêta le serment le 3 mars 1791 et fut nommé une dizaine de jours plus tard curé constitutionnel de Guilers (Peyron, Documents pour servir... I, p. 130)].

Les prêtres cependant purent continuer à remplir paisiblement leurs fonctions, parce qu'il n'y avait pas de prêtres assermentés à mettre à leur place.

En prévision des événements futurs, les administrateurs de la paroisse avaient commencé, dès l'année 1789, à employer les deniers publics à exécuter de grosses réparations, à l'église paroissiale et aux chapelles. Ils firent encore construire pour mairie la maison affectée aujourd'hui à cet usage. On présumait que l'argent de la caisse aurait tenté la cupidité du District, tandis que l'on avait tout espoir de conserver l'église, les chapelles et les édifices publics.

Nous leur devons également des éloges pour les démarches réitérées qu'ils eurent le courage de faire en vue de conserver les fondations, en particulier les fondations de Tariec et celles qui avaient été faites par M. Le Gac pour l'entretien d'une école primaire. Mais le droit devait céder devant la révolution triomphante.

Un décret de 1789, ainsi que nous l'avons vu, affectait à la nation tous les biens du clergé. En conséquence de ce décret, le procureur-syndic de Plouvien avait reçu, le 23 Janvier, un arrêté du District de Brest fixant au 31 du mois la vente d'une partie des biens nationaux situés dans la paroisse. La municipalité avait ordre de présenter deux commissaires pour assister à la première enchère. Jaoua Floe'h, de Keribed, et Jean Léost, du Bourg, furent les commissaires nommés par le Conseil.

L'orage grondait d'une manière effrayante, et les plus intrépides n'étaient pas sans ressentir de secrètes alarmes. Le 20 Février, le maire et le procureur-syndic convoquent les officiers municipaux et les notables à se réunir, le dimanche suivant, pour recevoir leur démission et délivrer leur décharge. Mais les conseillers jugèrent les circonstances trop graves pour qu'il leur fut permis de se priver du concours de deux hommes aussi intelligents ; c'est pourquoi ils refusèrent, à l'unanimité, d'accepter la démission offerte par Franços Madec et Pierre Moalic, les déclarant responsables sur leurs personnes et leurs biens des conséquences de leur retraite.

François Madec était en effet, par dessus tous ses collègues, l'homme des grandes circonstances. A une intelligence supérieure, à un coup d'oeil prompt, pénétrant et sûr, à un caractère ferme et souple à la fois, il joignait une facilité et une justesse admirables d'élocution. Formé de bonne heure aux affaires administratives à l'école de Jaoua Madec, son père, et de Pierre Le Bec, son beau-père, il ne fut pas d'abord insensible « à l'honneur » de figurer sur le petit théâtre de la paroisse ; mais bientôt, il n'y eut que la gloire d'être utile à ses concitoyens qui peut le retenir dans ces fonctions ambitionnées en tout autre temps, et alors redoutées, à cause des périls qui les escortaient. Nous savons que la popularité de François Madec ne l'a pas toujours mis à l'abri du blâme ; mais, dans toutes ces appréciations, on a trop souvent écouté les préjugés et les rivalités de famille, sans écouter assez la vérité et la justice, et surtout la gravité des circonstances. Nous exposerons du reste ses actes publics avec impartialité.

Pierre Moalic était de ces hommes bons et droits que la mort vient ravir trop tôt à la famille et aux concitoyens.

Cependant un décret du 7 Mai vint donner un peu de répit aux prêtres fidèles, en leur permettant de remplir librement leurs fonctions. Mais ce calme fut court, car, dans le temps même ou l'Assemblée nationale semblait revenir à des sentiments d'ordre et de liberté, l'administration des départements ne cessait d'entretenir l'agitation et les vexations partout. Aussi, lorsqu'arriva la fête, soi-disant patriotique, du 14 Juillet, ordonné dans toutes les communes de la France, le maire se dispensa-t-il d'escalader le clocher pour y arborer le drapeau national ; il n'eut même garde d'annoncer cette fête, qui n'était qu'une vive insulte à la douleur publique.

Enfin l'Assemblée nationale, après avoir tout bouleversé dans l'Eglise et dans l'Etat, donnait à la France cette Constitution, si péniblement élaborée depuis 1789. A cette occasion elle décréta, le 14 septembre, une amnistie générale pour tous les faits relatifs à la révolution. Les prisons des départements s'ouvrirent donc pour laisser sortir les ecclésiastiques détenus.

Les élections municipales du 13 Novembre introduisirent des hommes nouveaux dans la direction des affaires.

Nous allons en donner le tableau :

Maire :
Joseph Floc'h.
Procureur-syndic :
Jean L'Abat, de Pellan.
Officiers municipaux :
Jacques Le Roy.
Yves Jollé.
Guillaume Abjean.
Jean Le Bris, de Kerdu-vian.
Guillaume Branellec, du Chastel.
Notables :
Jaoua Quéméneur.
Jean Léost.
Yves Cueff.
Hervé Chapalain.
Jean Saléun.
Hervé Le Guen.
Jean Abivin.
Yves Le Névez.
Jean Le Dréo, de Kerliézoc.
Pierre Floc'h, de Kerbréden-vian.
Jean Marzin, de Kerillien.
Alain Penfeunteun, de Kerarrédean.

Dans ce Conseil les idées nouvelles comptaient plusieurs partisans assez chauds. Le maire et le procureur n'y étaient pas non plus antipathiques. Mais ils étaient trop bons pour vouloir le mal, et malheureusement trop faibles de caractère pour s'y opposer. Les temps cependant étaient tels que jamais les besoins de la paroisse n'avaient réclamé davantage des hommes intelligents et fermes à la tête de l'administration.

Le 29 Novembre, l'Assemblée législative qui, le 31 Septembre, avait succédé à la constituante et avait hérité de ses haines contre la religion catholique, portait cette fameuse loi, qui privait les prêtres insermentés de leur traitement et ordonnait de poursuivre les prêtres turbulents, c'est-à-dire les prêtres qui ne cédaient pas leurs paroisses aux intrus. Heureusement que le Roi eut assez de fermeté cette fois pour refuser sa sanction, et la loi ne fut pas exécutée.

L'administration du Finistère, dont Gomaire, prêtre renégat et vicaire général de l'intrus Expilly, était devenu membre, s'indignait die la tolérance du gouvernement. Plusieurs fois elle réclama des mesures de rigueur contre les prêtres insermentés ; enfin lasse d'attendre, elle lança de son propre chef des mandats d'arrêt contre un grand nombre de prêtres fidèles.

Le district de Brest ne se montrait pas inférieur en zèle révolutionaire. Exécuteur empressé des ordres venus de Quimper, il remplissait les prisons du Château de prêtres tombés sous la main de ses sbires, et pour enlever tout moyen d'existence à ceux qui réussissaient à leur échapper, au commencement de Janvier 1792, il exigeait des paroisses les titres des fondations et les états des rentes, renfermés dans les archives.

Nos municipaux s'empressèrent tous d'obtempérer à l'arrêté du district. Jean L'Abat et Jean Léost furent chargés de l'expédition de ces titres. Que n'eurent-ils la pensée et le courage de soustraire les titres de fondation de Balasnant et de Tariec, scrupuleusement conservés jusqu'à ce jour !!!

Bientôt s'ouvrit la chasse aux prêtres ; et, pour comble d'odieux dans cette persécution barbare, les tyrans voulaient la couvrir du manteau de la modération. A la fin de juillet, cent soixante prêtres de Léon étaient détenus au chateau de Brest ; et ce n'était que le prélude de ce qui allait arriver après la déchéance du Roi et sa réclusion dans la tour du temple, le 10 août.

Nos prêtres, qui avaient pu jusque là exercer assez librement leurs saintes fonctions, tandis que beaucoup d'églises étaient depuis longtemps veuves de leurs pasteurs, se virent obligés de chercher leur salut dans des retraites cachées. M. Gouriou se réfugia d'abord chez ses frères, à Mesméleugan, où deux retraites l'attendaient dans des bois isolés. M. Le Roux trouva un généreux asile à Mesbuézou, à Kerdû, et dans d'autres maisons du bas de la paroisse. Quant à M. Iliou, il ne crut pas devoir sauver par la fuite le peu d'années que son grand âge pouvait lui réserver. Il se laissa prendre près d'un malade à Kerliézoc, et fut subir au château du Taureau la détention que lui méritait sa fidélité à Dieu et à son Eglise. Là, il vit arriver bientôt le terme de ses souffrances en ce monde, et le jour de sa glorieuse récompense au ciel [Note : Du château de Brest M. Iliou fut transféré à Quimper le 6 Janvier 1793. Interné à Kerlot, il y mourut le 27 octobre suivant. (Peyron, Documents pour servir... (II, p. 122, 130)].

La Convention nationale remplaçait, le 21 septembre, l'assemblée législative, et s'ouvrait sous les auspices les plus effrayants, surtout par rapport à la religion et aux personnes consacrées à Dieu. Prêtres, religieux et religieuses, tous furent enveloppés dans la proscription.

Notre municipalité néanmoins n'en semblait que plus à son aise pour prêter le serment réclamé de fidélité à la république une et indivisible, et pour arrêter qu'à l'avenir les lois seraient lues au peuple dans l'église par le secrétaire-greffier. Nous avons eu à constater plusieurs faits déplorables de la part des officiers municipaux, mais au moins ils ne cédaient qu'à la violence, et le plus souvent ils demeuraient dans une attitude passive. Cette fois c'est la municipalité qui vient, de sa propre initiative, et contrairement même à la loi, livrer le temple sacré à la profanation, et transformer la chaire évangélique en une tribune de démagogue. Maître Jean-Marie Gouachet sera heureux de pouvoir déployer son éloquence républicaine dans cette église, où retentissaient naguère les louanges de Dieu. Ajoutant la dérision au sacrilège, nos administrateurs n'eurent garde d'oublier l'exercice de l'une de leurs honorables attribution, je veux parler de la nomination des marguilliers pour distribuer le pain bénit pendant l'année 1793. Et ce pain, qui donc le bénira, et à qui sera-t-il distribué ; quand vos prêtres sont cachés dans les bois, et que votre église est laissée déserte ?

Mais de nouvelles élections municipales se préparent. La Convention avait prescrit le renouvellement complet de toutes les administrations ; sans doute parce que une ère nouvelle commençait pour la France.

Les élections étaient fixées au 9 décembre. En voici le résultat :

Maire :
Charles Chuiton, de Keralliou-Vian.
Procureur :
François Le Guen, de Kerriou.
Officiers municipaux :
Jean Bossard, du Bourg.
Jaoua Floc'h, de Keriber.
Yves Landuré, de Prat-al-Lann.
Jaoua Gouanec, de Croas-Eugan.
Goulven Laot, de Kerdu.
Notables :
Guillaume Jollé, de Kerc'hleuz.
Jaoua Saléun, de Kergaraoc.
Jean Gouriou, de Mesméleugan.
Corentin Le Bris, de Kermabon.
François Le Bec, de Kerguloc.
Jean Gouez, de Gouézen-Simon.
Guillaume Cornec, de Gorréquéar.
François Charréteur, de Croas-Eugan.
Julien Richard, du Scotz-Vian.
Jaoua Floc'h, du Penher.
Jacques Le Bris, de Kerdû-Vian.
Jean Corre, de Lann-an-Eien.

Dans cette administration, il était entré encore quelques membres hétérogènes, mais beaucoup moins que dans la précédente, quoique l'on fut en pleine révolution. Quant au maire et à son procureur, ils n'avaient d'autres qualités, qui les recommandassent au choix des électeurs, que leur probité, leur fermeté, et leur dévouement bien connu.

Le 23 décembre fut le jour fixé pour l'installation des nouveaux officiers. Voici la proclamation que Maître Gouachet met dans la bouche des officiers sortants de fonction aux officiers entrants en charge.

« Citoyens,
Une majorité absolue de suffrages vient de vous élire magistrats du peuple de cette paroisse ; mais avant d'entrer en fonction, vous êtes tenus de prêter devant nous le serment d'être fidèles à la nation et à la loi, de maintenir de tout votre pouvoir la liberté et l'égalité ou de mourir en les défendant, et de bien remplir vos devoirs »
.

Suit le procès-verbal de l'installation ainsi conçu : « Devant nous, Joseph Floc'h, maire, Yves Jollé, Guillaume Abjean et Jean Le Bris, officiers municipaux, se sont présentés Charles Chuiton, maire ; François Le Guen, procureur de la commune, Jean Bossard et Jaoua Floc'h, officiers municipaux, à l'effet de prendre la charge du bureau municipal, et ont refusé de prêter le serment, exigé par les lois, avant d'entrer en fonction, croyant qu'ils ne sont pas tenus de le faire ». Ont signé : tous les personnages mentionnés ci-dessus.

L'année 1793 commença par le plus sinistre augure. Le Roi, Louis XVI, expiait sur l'échafaud, le 21 janvier, les fautes de ses ancêtres et les égarements de la France.

A Plouvien, la nouvelle administration était à peine installée qu'elle recevait ordre du district de verser dans la caisse générale tout l'argent renfermé dans le coffre-fort de la fabrique. Le Maire se chargea de faire en personne le versement. Mais, en se résignant à ce sacrifice nécessaire, sous peine de mort pour lui-même, d'arrestation pour le corps municipal, et de garnisaires pour la paroisse, il ne laissa pas d'user d'un hardi tour de force. La caisse renfermait 1289 livres 16 sols 60 deniers en monnaie métallique : or 24 livres 16 sols 60 deniers furent déposés en espèces, et le reste de la valeur en assignats.

La spoliation des églises se poursuivait avec une ardeur incroyable, non en vertu d'une loi, mais à l'instigation des représentants du peuple, tyrans farouches, dont les invitations équivalaient à des ordres rigoureux. A la fin de février, le procureur recevait avis du district qu'une commission, dont François Moyot était le directeur, était chargée de procéder à la descente des cloches dans tout le canton de Lannilis : il était aussi enjoint au procureur de faire dresser un inventaire du mobilier de l'église paroissiale et des chapelles, et de le rendre à Brest : enfin de désigner deux personnes pour assister à la vente des biens des émigrés. Le 28 du mois, le corps municipal se réunit, non point pour délibérer, car toute résistance était impossible, mais pour procéder à l'exécution des ordres du district. Les mandataires désignés furent : 1°) pour assister à la descente des cloches, Jaoua Gouanec et Goulven Laot ; 2°) Pour dresser l'inventaire du mobilier de l'église et des chapelles, François Le Bec et Jaoua Floc'h, du Penher ; 3°) Pour assister à la vente des biens des émigrés, Yves Landuré et Jean Bossard.

Tout en se soumettant à des spoliations inévitables, les administrateurs de la paroisse tentaient divers moyens pour appliquer les deniers publics à l'entretien de l'église. François Le Guen eut mission de présenter au district un plan de réparation et de l'appuyer au besoin. Mais quel succès pouvait-on espérer d'une pareille démarche auprès de républicains qui prohibaient tout culte extérieur et travaillaient avec une rage infernale à étouffer la foi dans les âmes ?

Dans la séance du 3 mars, François Le Bec et Jaoua Floc'h présentèrent au corps municipal l'inventaire du mobilier de l'église et des chapelles. Cet inventaire porte :

« 1°) Une croix d'argent pesant onze livres moins un quart.
2°) Un encensoir avec navette et sa cuillère pesant deux livres, neuf onces et demie »
.

« Tout le reste, les vases sacrés exceptés, est en cuivre ».

C'est dans le cours de ce mois qu'eut lieu la fameuse échauffourrée de Lannilis, organisée en vue de s'opposer à l'exécution de la loi du recrutement. La paroisse pour la part active qu'y avaient pris quelques soldats improvisés, armés de fourches et de fusils rouillés, eut à subir une amende de 3.520 francs.

xxxxxx

Aussitôt que l'Assemblée nationale eut établi un comité de salut public et un tribunal révolutionnaire dans la capitale, les départements et les districts eurent également et leur comité de salut public et leur tribunal révolutionnaire. Alors commença le règle lugubre de la terreur, non seulement sur les villes, mais encore sur les plus petites bourgades, parce que les clubs avaient des affidés partout.

Le citoyen Mézou, cet enfant perdu d'une ancienne famille de Kermerrien, devenu le zélé mouchard des clubs de Brest, jugea le moment arrivé de satisfaire sa haine contre les chefs de l'administration locale. Il se plaignit devant le district et l'autorité cantonnale d'un attentat commis sur sa personne : attentat inventé pour le besoin de sa cause. Le procureur ne tarda pas à recevoir avis du district des plaintes portées par le républicain de la veille ; et, comme il était de son devoir de rendre justice à tout le monde, il se hâta de convoquer le corps municipal et de citer le plaignant à venir exposer ses griefs devant cette assemblée. Mais le prétendu outragé n'eut garde de se présenter. Je me trompe : pendant que la séance se tenait il envoya son limier, Vincent Guilcher, écouter à la porte de la salle de réunion ce qu'il y aurait de conclu à son sujet. Malheureusement, ce serviteur avait le pas lourd, quoiqu'il fut petit de taille. Il n'était pas encore arrivé à la porte de la salle, que le procureur, qui tenait la parole pour exposer les faits, s'interrompit brusquement. « Mes amis, dit-il à ses collègues, on nous écoute pour nous trahir plus facilement ensuite ». Aussitôt il ouvre la porte et trouve en effet l'auditeur indiscret. Saisir son homme et lui faire dégringoler les escaliers fut l'affaire d'un instant pour le procureur ; puis, rentré dans la salle de séance, il continua son exposé sans avoir rien perdu de son calme. En finissant, il conclut par ces paroles dignes d'être conservées : « Les méchants, au jour où nous vivons, marchent la tête haute et essaient de tous les moyens pour intimider et perdre les honnêtes gens. Ne soyons pas assez lâches pour nous constituer leurs esclaves. Mais défendons les intérêts de la paroisse par tous les moyens légaux, tout en évitant de rien compromettre par des imprudences  ».

Le procureur, quand il parlait de la sorte, n'ignorait pas que ses sentiments n'étaient pas goûtés de tous ses collègues ; mais le maire et lui avaient pris à tâche de comprimer si bien l'ardeur républicaine des affiliés des clubs, que ceux-ci fussent réduits à l'impuissance de faire le mal. Aussi, tandis que cette administration gouverna la paroisse, Le Bec, Mézou et Guilcher se gardèrent-ils de manifester trop ouvertement leurs opinions. Les intrigues secrètes auxquelles ils se plaisaient à avoir recours, restèrent même impuissantes. Plusieurs fois ils provoquèrent par leurs délations des visites domiciliaires à Kerriou, Kerbréden, Keralliou-Vian, Kerdû, et ailleurs ; tantôt pour rechercher M. Gouriou et M. Le Roux, tantôt pour rechercher des déserteurs ou quelqu'un de ces hommes honorables mis hors la loi ; et les patriotes y étaient toujours pour leurs peines.

Révélons ici un fait demeuré inconnu du public jusqu'à présent : il explique comment les perquisitions faites dans les maisons suspectes de la paroisse demeurèrent toujours sans résultat. Le maire et son procureur avaient un ami dévoué dans le brigadier de la gendarmerie de Lannilis, nommé Monérou : par l'entremise de cet homme bienveillant, ils étaient tenus au courant de tous les rapports qui se faisaient contre eux, et ils recevaient toujours avis, au moins deux heures à l'avance, des visites commandées dans la paroisse. Ainsi échouaient toutes les intrigues malveillantes de nos clubistes.

Mais lorsque la loi sanguinaire du 7 septembre 1793, appelée la loi des suspects, eut été proclamée, et que le comité de salut public eut, le 10 octobre, usurpé la dictature, nos républicains s'enhardirent, et jugèrent que l'heure était venue pour eux de sortir de leur rôle jusque là si obscur. Certes ils ne se trompaient pas. Alors que la loi des suspects et le comité révolutionnaire de Brest ne laissait d'autre liberté aux citoyens honnêtes que celle d'aller droit à l'échafaud sans procès, sans droit de défense ; et cela sur la dénonciation du premier homme sans aveu, à qui mieux qu'à eux convenait-il de s'emparer du pouvoir ? Se débarrasser de ceux qui le tenaient légalement était chose facile, puisqu'il suffisait de les déclarer suspects d'incivisme ; et la fonction convoitée était la récompense de la dénonciation. C'est sous cette inculpation banale que Charles Chuiton et François Le Guen furent décrétés d'arrestation dans les premiers jours de novembre. Nous n'essaierons pas de rapporter tout ce qu'ils eurent à supporter d'avanies et de misères pendant leur séjour de six mois dans un cachot obscur et malsain. En surcroit de peine, ils eurent encore la douleur de voir, sous la même inculpation, deux de leurs plus honorables compatriotes venir partager leur infortune ; c'étaient Hervé Chapalain, de Kerbréden, et Goulven Laot, de Kerdû.

Nous ne salirions exprimer l'état d'angoisse cruelle des habitants de Plouvien, du mois de novembre 1793 au mois de juin 1794, en voyant les hommes les plus recommandables de la paroisse assimilés aux criminels ; un François Le Bec nommé maire provisoire par le comité de salut public ; le culte catholique aboli ; les deux prêtres, qui se dévouaient à leur service, traqués comme des bêtes fauves ; les croix et les images saintes brisées ; le calendrier républicain, oeuvre ignoble du plus ignoble matérialisme, substitué au calendrier catholique, si propre à rappeler à l'homme son origine, sa fin, ses consolantes espérances ; la cocarde tricolore imposée à tous, hommes, femmes et enfants, même à ceux qui étaient encore au berceau.

Pendant que les adeptes de la révolution rivalisaient de zèle pour détruire les monuments religieux, empêcher toute pratique extérieure de christianisme et propager l'impiété, M. Gouriou et son digne confrère redoublaient d'ardeur dans leur mission de Charité. Ils baptisaient les enfants, bénissaient les mariages, assistaient les mourants, célébraient les saints mystères dans des granges ou d'autres réduits isolés, écoutaient les confessions, et confirmaient les fidèles dans la foi par la communion eucharistique. Mais il fallait profiter des ténèbres de la nuit pour exercer le ministère sacré. Les fidèles eux-mêmes ne se rendaient aux assemblées qu'en prenant des chemins détournés, dans la crainte de faire la rencontre des mouchards et de compromettre la vie du prêtre et celle de ses généreux hôtes.

Les enfants n'étaient pas négligés ; surtout ceux qui étaient en âge de faire la première communion. Le prêtre avait soin de les préparer à cette action sainte, et au jour propice, il réunissait les enfants d'un village pour leur distribuer le pain des forts. Nous ne saurions assez louer ces deux hommes apostoliques qui, au prix de toutes sortes de privations et de fatigues, au péril continuel de leur vie, se prodiguaient au salut de leurs frères. Gloire à eux ! car c'est à leur dévouement que la paroisse doit la conservation de sa foi [Note : Le 23 février 1794, Jean Mézou, du Comité de Surveillance de Plouvien, signale au district de Brest qu'un prêtre réfractaire vient de dire la messe à Saint-Jean Balanant. « L'eau bénite qui se trouve dans la chapelle écrit-il, est encore une preuve que cette chapelle est fréquentée par des prêtres réfractaires... ». Venant de la messe à Lannilis le jour de Saint-Corentin (12 décembre), il a rencontré trois individus qu'il soupçonne être des réfractaires. « Ayant reconnu parmi eux Guillaume Gouriou ci-devant vicaire de Plouvien, il n'a pu les arrêter, vu qu'ils étaient trois contre lui seul ; mais la pâleur et la décontenance de ces trois individus à la vue d'un patriote fit bien voir qu'ils étaient ». Retenons ce témoignage rendu aux paroissiens : « Les habitants de Plouvien sont en grande partie " calotinocrates ", de manière que Jean Mézou, lorsqu'il entra dans quelque maison, reçoit des reproches au sujet de son patriotisme ». Le 14 mars suivant la gendarmerie de Saint-Renan perquisitionne à Plouvien, chez Guillaume Le Roux, et y trouve deux cierges et une bougie bénite, puis une cocarde quadricolore, le vert faisant la quatrième couleur. (Peyron, Documents pour servir... II, p. 311-312).

1794. — Vers la fin d'avril, Charles Chuiton et François Le Guen obtiennent leur élargissement du château de Brest, c'est-à-dire la consolation d'aller mourir au sein de leur famille. Leur santé était tellement viciée par l'atmosphère fétide des cachots, par les privations et le manque des soins les plus indispensables, qu'ils ne survécurent que de quelques jours. Charles Chuiton mourut le 6 mai, à l'âge de 34 ans. François Le Guen, mort le 13 du même mois, avait 46 ans. Ils eurent tous les deux le bonheur d'être assistés de l'abbé Gouriou jusqu'à leurs derniers moments.

Dès que le Maire et le procureur titulaires eurent cessé de vivre, les notables de la paroisse demandèrent au district la nomination de François Madec et de Yves Jollé pour ces deux charges. La demande fut agréée, et le trois juin, les nouveaux administrateurs entrèrent en fonction, après avoir prêté le serment prescrit par la loi.

Enfin les habitants de Plouvien commencérent à revenir de leur angoisse poignante sous cette administration. Ses actes cependant ne furent pas tous dignes d'éloge ; et nous devons, malgré tout le compte à tenir de la difficulté des temps, jeter un blâme sévère sur les arrêtés du 18 et du 2,3 juillet. Dans la première de ces deux séances, le procureur fait aux conseillers réunis l'exposé suivant : « 1°) Considérant le besoin que nous avons d'un citoyen pour l'ouverture et la fermeture du temple de la Raison ; 2°) Considérant le besoin urgent que nous avons d'un particulier pour sonner la cloche pour les décades, ainsi que pour les conseils généraux ; ... Je requière qu'il soit nommé sur le champ un citoyen pour les opérations ci-dessus désignées, et ai signé ».

L'auteur de cette requête, qu'elle provint de l'initiative du procureur, ou de l'initiative du secrétaire, maître Thomas, ce qui est plus probable, était mal avisé d'en demeurer encore au culte dégradant de la Raison, après que Paris avait célébré le 8 juin la fête de l'Etre suprême, et semblait disposé à oublier le décadi. Quoiqu'il en soit, la requête fut accordée et le procès-verbal fut signé par les conseillers, à l'exception de cinq. Les abstenants furent : Jean Bossard, Guillaume Jollé, Jean Gouriou, Jaoua Floc'h du Penhel et François Le Bec. Ce dernier avait commis bien des crimes pendant quelques mois de vertige, mais il n'eut pas la faiblesse, cette fois, de renier son Dieu.

Dans la séance du 23 juillet, il fut arrêté que les journaliers, les manœuvres, et tous ceux qui généralement s'occupent des travaux de la récolte, ne pourraient prendre des engagements en dehors de la paroisse, « sous peine d'être traduits devant le tribunal révolutionnaire, conformément à l'arrêté du comité de salut public ». Cette mesure, proposée par le procureur, fut adoptée par le conseil à l'unanimité.

Sans doute que l'ouvrier devait, après cela, se dilater les poumons à crier : vive la République ! la liberté ! l'égalité ! la fraternité ! Quand on lui laissait l'alternative de travailler à un prix fixé d'avance ou de paraître devant un tribunal révolutionnaire, qui ne savait guère prononcer que des sentences de mort.

Cependant la persécution s'était déjà ralentie dans le département, depuis l'exécution d'Expilly et des membres du directoire du Finistère le 22 mai 1794, à Brest : et à la chute de Robespierre et de son parti, le 28 juillet, on put croire un instant que le Dieu des chrétiens, condamné à se loger dans des granges, et à se cacher dans des bois isolés, pourrait bientôt reprendre possession de ses temples. De fait, à partir de l'abolition de la loi qui décrétait la peine de mort contre les prêtres insermentés et ceux qui leur donnaient asile, le sang des prêtres ne coula plus dans notre district.

Le 26 mars 1795, les députés de Brest, Guezno et Guermeur, chargés par la convention d'une mission spéciale dans le Finistère, publièrent un arrêté, ordonnant que nul ne fut plus longtemps troublé dans le libre et paisible exercice de son culte. Cet événement soulagea les coeurs catholiques de toutes les douleurs du passé. Nos d'eux prêtres néanmoins n'osèrent pas trop se hâter de profiter des dispositions de cet arrêté. Ils avaient vu tant de réactions subites qu'ils avaient appris à être défiants. Ce ne fut que le 22 mai qu'ils se présentèrent au district pour demander à vivre paisiblement dans la paroisse de Plouvien. Sur cette simple demande et la déclaration du domicile qu'ils se choisissaient, le substitut Cholet leur délivra par écrit l'autorisation de vivre dans cette paroisse et d'y exercer leur ministère.

Munis de cette autorisation M. Gouriou et M. Le Roux auraient pu se faire ouvrir les portes de l'église paroissiale et y célébrer solennellement la sainte messe. La crainte de réveiller la haine mal assoupie des patriotes les arrêta. Ils se résignèrent donc à célébrer le saint sacrifice et à exercer leur ministère sacré dans cette maison du bourg, où est exactement la mairie, en attendant des jours d'un calme plus assuré.

Si les bons habitants des campagnes étaient consolés dans leur foi catholique, ils n'en demeuraient pas moins par ailleurs les victimes des plus odieuses vexations, telles que la loi du maximum, les réquisitions fréquentes de chevaux, de boeufs et de vaches, les fournitures de lits aux gardes-côtes. Le discrédit des assignats paralysait le commerce, les recrutements nombreux privaient l'agriculture des bras nécessaires.

La Convention nationale, arrivée au terme de son mandat, résolut, avant de se séparer, de rendre une loi touchant l'exercice et la police extérieure des cultes. Cette loi statuait que les prêtres, avant d'entrer en exercice de leurs fonctions, auraient à faire la déclaration suivante :
« Je reconnais que l'universalité des citoyens français est le Souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la République ». Un décret du 14 octobre vint ordonner, dans les vingt-quatre heures, l'exécution des lois contre les prêtres réfractaires ; et le Directoire, entré en fonction le 26 octobre, s'empressa de faire exécuter tous ces décrets. Ce fut le signal d'une persécution nouvelle.

Les prêtres fidèles n'avaient pas attendu la publication du dernier décret pour pourvoir à leur sûreté. Aussitôt qu'ils eurent connaissance de la loi du 28 septembre et de la déclaration qu'elle prescrivait, ils cessèrent de paraître en public. Quelques-uns reprirent le chemin de l'exil, d'autres cherchèrent leur salut dans des retraites ignorées. M. Gouriou et M. Le. Roux n'hésitèrent pas à rester au milieu du peuple auquel ils s'étaient dévoués dans les crises précédentes.

Dès son avènement au pouvoir, le Directoire avait ordonné de nouvelles élections de maires et de procureurs dans les paroisses. Les électeurs de Plouvien, réunis le 22 novembre, choisirent de nouveau François Madec pour maire. Mais l'élu déclina l'honneur qui lui était offert. Alors les voix se portèrent sur Goulven Miquéal et Gabriel Cueff, tous les deux de Kerouné. Hommes modérés, et, par-dessus tout, habiles, ils eurent le rare talent de gérer les affaires publiques à la satisfaction de l'autorité civile, de leurs administrés, et de leur intérêt personnel. Mais gardons-nous de soulever le voile qui couvrait leur égoïsme.

L'année 1795 finit ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure, et l'année 1796 s'annonça encore sous de plus sinistre augures. La guerre civile s'était rallumée dans la haute Bretagne, et la crainte d'un soulèvement général dans la province fournit le prétexte d'exercer sur la basse Bretagne une pression tyrannique. Des colonnes mobiles, détachées des garnisons des villes, parcouraient le pays, fouillaient les maisons suspectes de recéler des prêtres et des conscrits réfractaires, tuaient souvent, sans forme de procès, les prêtres qu'elles réussissaient à découvrir, pillaient autant qu'elles pouvaient, et ne rentraient jamais sans butin. Nous avons souvent entendu nos vieillards raconter combien la visite de ces soldats barbares était redoutée. Les garnisaires n'étaient pas moins redoutés. Aux maisons suspectes de recéler des prêtres, aux familles dont quelque membre était réfractaire à la conscription, était imposé arbitrairement un corps de trente ou quarante garnisaires, qui ne quittaient généralement leur étage que lorsque toutes les subsistances étaient épuisées. Ainsi fut entièrement ruinée une veuve de Mesbuézou, dont un fils était déserteur.

Nos deux prêtres eurent le bonheur d'échapper aux recherches de ces inquisiteurs forcenés, grâce au généreux asile que continuèrent à leur donner des familles dévouées, et grâce à la discrétion des habitants de la paroisse : car tous, à l'exception de neuf ou dix familles, ils connaissaient les retraites habituelles des proscrits.

Avant la fin de cette année, les efforts courageux de quelques représentants avaient procuré un peu d'adoucissement au sort du prêtre réfractaire et ramené un peu de calme dans les esprits, de sorte que l'année 1797 semblait annoncer des jours moins orageux. Il en fut ainsi en effet jusqu'au 4 septembre. Mais, dès que les trois conjurés du Directoire, d'accord avec un grand nombre de députés révolutionnaires, virent le plein succès de leur coup d'état, ils se hâtèrent de faire revivre toutes les lois persécutrices contre le clergé. On ne condamnait plus le prêtre à mort ; on se contentait de le déporter comme un citoyen indigne de vivre sur le sol de la France. C'est pour la troisième fois que la persécution se rallumait avec fureur ; et si de ce coup elle fut moins sanglante, elle ne fut nullement moins terrible. Les colonnes mobiles reprirent leurs premiers exploits dans les campagnes. Elles avaient ordre de se saisir non seulement des prêtres réfractaires, mais encore des citoyens signalés comme favorables au catholicisme. Le. Directoire, dans sa haine contre la religion chrétienne, s'était proposé cette fois d'en faire disparaître jusqu'à la dernière trace dans le beau pays de France. C'est au milieu d'angoisses de tout genre que les hommes, alors au pouvoir, étaient si habiles à créer et à entretenir, que vécurent nos pères pendant l'année 1798, et l'année 1799 jusqu'au nouveau coup d'état du neuf novembre.

Le gouvernement, sorti de ce coup d'état se composait de trois consuls, dont le général Bonaparte était le premier. Il s'empressa de marcher dans d'autres voies que celles du Directoire. Après avoir doté la France de la constitution, dite de l'an VIII, son premier soin fut de satisfaire au désir le plus ardent du pays, en proclamant la liberté des cultes. Un arrêté du 28 décembre remplaça pour !es fonctionnaires de l'état et les ministres du culte tous les serments, exigés jusqu'alors, par cette formule très simple : « Je promets fidélité à la Constitution ». Un grand nombre de prêtres n'hésitèrent pas à faire la promesse. Il y en eut plusieurs autres, et de ce nombre furent M. Gouriou et M. Le Roux, à la conscience desquels il répugnait de produire cet acte, d'autant plus que certains évêques y étaient opposés.

Les administrations ne tardèrent pas à être réorganisées. Au mois d'octobre, Goulven Miquéal et Alain-Marie Kerboul sont nommés maire et adjoint. Ils s'installent eux-mêmes, sans être assistés des conseillers. Nous savons néanmoins qu'il y avait un specimen de conseil municipal, d'après une séance du 5 mai précédent ; mais nul procès-verbal n'indique ni quand, ni comment ses membres avaient été élus ; et c'est peut être parce que son existence était irrégulière, que les officiers municipaux crurent pouvoir s'installer sans sa participation.

Depuis le commencement du Consulat, nos deux prêtres se montraient en public et exerçaient librement leur ministère, mais seulement dans cette maison du bourg que nous avons déjà indiquée. L'opposition à la promesse avait bien diminué cependant parmi le clergé fidèle de la province ; et, dès le mois d'avril 1801, les vicaires généraux de Léon, au nom de Mgr de la Marche, autorisèrent les prêtres du diocèse à la faire, en se servant de la formule suivante : « S'est présenté N. N., ministre du culte catholique, lequel a dit qu'étranger à toute discussion politique, il vient donner à la puissance temporelle une garantie de sa soumission, sauf néanmoins la religion catholique, dont la loi garantit le libre exercice. A cette condition je promets fidélité à la constitution de l'an VIII ». Aussitôt que cet avis fut connu des prêtres résidant dans le pays, ils firent presque tous la promesse de soumission. L'abbé Gouriou et l'abbé Le Roux crurent devoir attendre que le Concordat, dont il était question depuis longtemps, eut été signé. Ce qui eut lieu le 15 juillet. Alors ils se rendirent à la mairie ; et, en présence du maire et de son adjoint, ils firent la promesse de soumission selon la formule prescrite par les vicaires généraux, en y ajoutant toutefois aux paroles « sauf la religion catholique » les deux mots « apostolique et romaine », afin que nul fidèle ne fut tenté de confondre leur promesse avec le serment des prêtres constitutionnels.

Neuf longues années s'étaient écoulées depuis que le chant religieux n'avait pas retenti sous la voûte de notre église et que la victime sainte n'y avait pas été offerte. Dans les rares intervalles de calme, quelques pieux fidèles s'y réunissaient le dimanche pour assister aux prières que récitait l'ancien chantre, Pierre Le Rich. Mais plus souvent la maison de Dieu avait servi de théâtre aux déclamations démagogiques et impies des citoyens Gouachet, Thomas, etc. Aussi nos vieux pères ne se possédaient-ils pas de joie et de bonheur le jour où il leur fut donné, après une tourmente aussi longue, de voir célébrer solennellement le sacrifice des chrétiens. Maintes fois nous les avons entendus répéter que jamais, jusqu'à cette époque, l'Église n'avait dû traverser de pareils jours. Ils disaient vrai. En aucun temps les persécutions, essuyées par l'Eglise, n'avaient été aussi barbares, ou du moins ne portèrent le caractère odieux de nos persécutions révolutionnaires. Là c'étaient des païens fanatiques qui martyrisaient les chrétiens. Ici c'était des apostats qui, le plus souvent pour assouvir des haines particulières, se faisaient les dénonciateurs de leurs frères et se donnaient le plaisir infernal de s'enivrer de leur sang...

Nous voici au terme de la tâche que nous avait imposée un Recteur vénéré, trop tôt ravi à l'affection de ses enfants. Fidèle à notre devise, nous avons recherché scrupuleusement la vérité, et nous l'avons exposée en toute simplicité. Dans les faits qui sont de son domaine, l'histoire ne connaît pas les déguisements. Nous nous sommes tenus cependant sur une plus grande réserve dans l'appréciation des faits et des personnages mentionnés aux chapitres VI et VII, afin que nul lecteur ne put nous accuser d'avoir écrit sous l'influence d'une coupable partialité.

Nous déclarons formellement qu'il ne nous reste au fond de l'âme aucun ressentiment de tout le mal fait aux nôtres par les républicains, trop zélés, et nous souhaitons que Dieu les ait reçus dans sa miséricorde. L'un des plus ardents patriotes de la paroisse, François Le Bec, de Kerguloc, a du moins noblement réparé ses écarts de quelques mois. Aussitôt qu'il se sentit frappé du coup de la grâce, il se voua entièrement à des oeuvres de bienfaisance pour réparer, autant qu'il dépendait de lui, tout le mal qu'il avait pu faire. Nous l'avons vu encore lorsque, sous la Restauration, l'ordre vint du ministère des cultes de rétablir les calvaires démolis, se présenter le premier avec ses trois fils, pour cette oeuvre réparatrice. Nous l'avons vu enfin en novembre 1825, sous les étreintes de la mort, plein des sentiments du chrétien pénitent.

(Chan. Pérennès).

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