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LES PEINTURES MURALES DE KERMARIA-NISQUIT vers 1886.

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Parmi les édifices religieux du département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), la chapelle de Kermaria-Nisquit, en raison de sa situation éloignée du chef-lieu et des grandes voies de communication, reste sinon inconnue, du moins oubliée. A voir, en 1886, ses murs lézardés, son toit croulant et son état d'abandon, pourrait-on penser que cette chapelle renferme une Danse Macabre dont la France ne possède plus que de rares exemples ? Pourtant, l'importance de cette oeuvre et l'urgence de sa conservation ont été maintes fois signalées ; plusieurs archéologues ont consacré à ces peintures des pages pleines d'intérêt et d'érudition, et même le Ministère des beaux-arts en fit faire une copie ; mais tout se borna là.

Chapelle Kermaria-an-Iskuit de Plouha (Bretagne)

En 1856, lorsque le grossier badigeon qui recouvrait la décoration murale de Kermaria commença à s'écailler, et que l'on découvrit, par l'effet de ce hasard, les traces de peintures ignorées, M. de Keranflec'h eut la bonne pensée de publier une Monographie de la chapelle (Une Frairie bretonne. — Kermaria-Nisquit. Nantes, 1857) et d'en consacrer le produit aux réparations les plus urgentes. « Le jour d'une de mes visites à ces ruines prématurées, dit l'auteur, je vis plusieurs fidèles s'agenouiller devant la statue vénérée, sur le pâvé mouillé par la pluie qui y tombait à seaux par les crevasses du lambris » (Une Frairie bretonne. — Kermaria-Nisquit. Nantes, 1857, p. 23). Ce cri d'alarme ne fut pas entendu, et les autorités de l'endroit pensèrent qu'il était beaucoup plus simple de détruire que de réparer. On venait d'abattre, sans raison valable, la vieille église de Plouha, paroisse dont dépend le hameau de Kermaria, et il fallait du moellon pour bâtir l'église neuve. Kermaria offrait de superbes matériaux tout taillés, et l'on n'avait qu'à prendre. C'est ainsi que le porche nord de la chapelle fut détruit et transporté à Plouha sur le chantier de construction. Le passage suivant de la Monographie en est la preuves. « Un autre porche, que M. Alfred Ramé a déjà signalé au dernier congrès de Saint-Brieuc, servait de pendant à celui-ci (le porche sud encore intact) du côté du nord. C'est un monument du XIIIème siècle d'un intérêt véritable, en ce qu'il semble avoir servi de type à une série d'édifices du même genre dans le pays de Goëllo. Il serait à souhaiter qu'on pût l'enlever de l'église de Plouha, où on l'a transporté, pour le rétablir à sa première place ». Heureusement, cet acte de vandalisme n'eut pas d'autres suites ; la population, indignée, protesta [Note : Quand, il y a quelques mois, le bruit se répandit que ces débris étaient condamnés à une démolition prochaine, ce fut un deuil général. De pauvres paysans protestèrent qu'ils mangeraient jusqu'à leur dernier sou, s'il le, fallait, plutôt que de voir disparaître le sanctuaire vénéré de leurs ancêtres], la chapelle resta debout, et même les assises du porche furent restituées. On les voit encore aujourd'hui éparpillées parmi les orties et les ronces. Néanmoins, on ne fit rien pour arrêter les ravages du temps et, loin de conserver ce qui restait des peintures murales, on recouvrit de temps en temps d'un badigeon neuf les parties écaillées. Dans son étude sur la Danse Macabre, publiée en 1882, M. Félix Soleil signale les dégradations toujours croissantes.

Nous ne parlerons ici ni de la peinture architecturale de Kermaria, ni de sa Danse Macabre, sujets qui ont été traités avec soin dans les ouvrages que nous avons cités. Notre but est de compléter, si nous osons le dire, ces études par le résultat de nos recherches personnelles et d'offrir au lecteur les vestiges décoratifs que nous avons recueillis çà et là, sous l'enduit des murailles et sur les planches vermoulues des lambris.

Tout prouve que l'intérieur de la chapelle était entièrement orné de peintures. Outre la Danse Macabre, dit M. de Keranflec'h, Kermaria possède encore d'autres échantillons non moins curieux de l'art au moyen âge. Le lambris en bois du collatéral nord est en partie couvert de peintures assez difficiles à déchiffrer, parce qu'on a rattaché les planches de la manière la plus inintelligente. J'ai pourtant pu reconnaître deux séries de tableaux superposés se détachant sur un fond d'azur semé de fleurs de lys d'or et d'étoiles d'argent.

La plus élevée, qui est aussi la moins bien conservée, m'a semblé représenter plusieurs martyrs, peut-être la Vie de sainte Marguerite.

L'inférieure offre une suite d'animaux accompagnés d'inscriptions qui en font connaître l'espèce et le symbolisme. Ils sont disposés dans l'ordre suivant :

Le Léon — Orgoul (Orgueil).

Le Serpent — (sans doute l'Envie).

[Note : Dans cette nomenclature, l'auteur de la Monographie omet le panneau désigné sous le vocable le Chien, qui, d'après les dessins relevés en 1860, est le troisième et figure entre le Serpent et le Regnart].

Le Regnart — (sans doute la Colère).

Le Loup — (sans doute la Gourmandise).

Le BouchLuqsure (la Luxure).

Le AsneParesce (la Paresse).

Il ne m'a pas été possible de reconnaître le septième, qui devait représenter la Colère ou l'Avarice.

Six femmes à la douce physionomie, richement vêtues et le front ceint de couronnes d'or, sont debout sur les bêtes et les transpercent d'une lance qu'elles tiennent d'une main, tandis que de l'autre elles portent un bouclier. On y rencontre, sans effort d'imagination, « les Vertus domptant les Vices qui leur sont opposés ».

Lors de notre première visite à Kermaria, en 1871, nous n'avons pu reconnaître, des six vertus mentionnées plus haut, que les trois dernières, celles qui domptent le Loup, le Bouc et l'Âne. Nous donnerons ici l'aspect actuel et la description de ces peintures.

Plouha (Bretagne) : chapelle Kermaria-Nisquit.

Le collatéral nord de Kermaria, dans sa partie la plus rapprochée du choeur, est divisé en neuf travées aboutissant à un autel dont nous ignorons le vocable. Chaque travée est encadrée de moulures se prolongeant jusqu'au centre d'une frise courante qui sert d'arrêt et de base au lambris. Au milieu de chaque division de cette frise peinte en rouge, un fleuron en relief, de couleur blanche, comme les moulures, et de formes variées, vient en rompre la monotonie. Ici, c'est une quatre-feuille, là une quintefeuille, puis un trèfle, ou bien encore une feuille de lierre, invariablement accostés d'une double banderolle blanche qui porte le nom de l'animal emblématique figuré sur le tableau correspondant. La première travée à partir de la nef, désignée sous le vocable : le Léon, ne conserve plus qu'un fragment de la Vertu qui terrassait l'animal, maintenant invisible. C'est le bas de la robe, un pied et le fer de la lance. Nous n'avons pu retrouver l'inscription Orgoul. La seconde, le Serpent, est aussi incomplète. Toutefois, au milieu des fragments disparates qui remplacent les morceaux détruits de cette peinture, on distingue encore une partie du visage et du torse de la Vertu, vêtue de blanc, et la tête du monstre. D'après la reproduction de ces peintures, faite en 1860 et conservée à la Direction des monuments historiques, la figure dont nous parlons portait au bras gauche une targe dont le champ de gueules était chargé d'un lion passant et contourné.

La troisième représente le Chien. L'animal est assez bien conservé, mais il ne reste plus de la Vertu qui le terrasse que la couronne d'or, le haut de la targe et quelques vestiges de son habillement. Elle portait une longue jupe blanche recouverte d'une robe lilas et des chaussures noires.

Dans la quatrième travée, désignée par l'inscription le Regnart, on ne retrouve de l'ancienne composition que la tête de la Vertu, ceinte d'une couronne d'or à trois fleurons.

La cinquième figure, qui transperce l'animal fantastique indiqué sous le nom de Loup, est vêtue d'une longue robe rouge dont les manches flottantes sont doublées d'étoffe blanche. Elle tient une lance et une targe qui porte comme emblème un livre ouvert [Note : L'inscription Gloutonnerie, qu'on lisait au-dessus de la tête de l'animal et que reproduisent les dessins de 1860, ne se voit plus aujourd'hui].

La sixième est une vierge couronnée d'or et vêtue d'une longue robe blanche. De sa main droite, elle frappe le Bouc, emblème de la Luxure, comme le prouve l'inscription, encore lisible, qui surmonte la tête de l'animal. La décoration du fond de ce panneau est d'un ton rouge brique, couvert d'enroulements découpés d'une coloration plus claire. Malheureusement, les têtes des deux Vertus terrassant le Loup et le Bouc sont détruites et remplacées par des planches brutes. Toutefois, la seconde de ces deux figures conserve encore sa couronne, et nous croyons pouvoir reconstituer le visage disparu à l'aide de ce fragment et des observations suivantes. On remarque, en étudiant ces peintures, que les Vertus ont des attitudes symétriques et sont disposées de telle sorte que, sur trois panneaux, la figure centrale est vue de face, et les deux latérales se regardent. Ainsi, nous avons constaté, d'après les fragments qui subsistent encore, que la Vertu terrassant le Serpent, dans la deuxième travée, avait une pose identique à celle qui terrasse le Bouc dans la sixième. La similitude ne consiste pas seulement dans la pose, mais aussi dans le costume et dans le fond de ces deux panneaux, qui est de couleur pourpre semé de ramages d'un ton grisâtre. Nous avons donc cru pouvoir, sans commettre d'erreur, compléter le sixième panneau à l'aide des documents que nous fournit le précédent, et nous avons tracé au pointillé, dans notre reproduction, les parties restituées.

La septième travée représente une femme vêtue de rouge. Son visage est identiquement semblable à celui de la Vertu terrassant le Regnart, reproduite par les dessins relevés en 1860, et la seule différence consiste dans la forme des deux couronnes, qui n'ont pas le même nombre de fleurons. Elle foule aux pieds un Ane et le perce d'une lance qu'elle tient de la main gauche. La targe, dont est armé le bras droit, porte sur son champ d'argent une aigle de sable. A l'angle du panneau, une banderole porte l'inscription Diligence, par opposition à la seconde, Paresce, qu'on lisait autrefois au-dessus de la tête de l'animal. L'ensemble de ce groupe, le mieux conservé, se détache sur un fond bleu foncé chargé d'ornements jaunâtres, largement tracés, qui se composent de fleurs de lys et de mâcles reliées par des palmes. Les deux dernières travées sont complètement dégarnies de leurs boiseries et ne laissent plus voir que la charpente du toit.

Immédiatement au-dessous de la frise, sur le plat du mur compris entre le lambris et un long banc de pierre qui servait de siège aux fidèles, était représentée la Légende des trois morts et des trois vifs. D'après ce qui se voit encore de cette décoration, les personnages semblent avoir été peints en grisaille sur un fond d'un rouge clair ; seules, les couronnes des cavaliers portent des traces de dorures. Le dessin relevé en 1860 nous montre trois cavaliers couronnés précédés de leurs chiens et suivant au galop le vol de leurs faucons ; derrière la croix tréflée d'un cimetière, se dresse un squelette qui tient de sa main décharnée une couronne d'or. A la suite de cette composition, dans la partie qui avoisine l'autel, on remarque une série d'arcatures trilobées, surmontées de cercles, dans lesquels est inscrite une croix pattée de gueules, et l'ensemble est encadré d'une bordure à dents noires et jaunes. C'est à grand'peine que l'on peut en suivre maintenant les contours émoussés. « Ces peintures, dit M. Félix Soleil (La Danse Macabre de Kermaria-an-Isquit, page 27), ont considérablement souffert ; un seul des Trois Morts est encore visible, ainsi que la croix tréflée du cimetière ; on distingue à grand'peine le profil de deux des Trois Vifs, portant la couronne royale ».

Nous donnons ici, d'après un croquis que nous avons fait sur place, la partie du collatéral nord où se trouve l'ensemble des peintures que nous venons de décrire.

Plouha (Bretagne) : chapelle Kermaria-Nisquit.

Les deux côtés de la nef, au-dessous de la Danse Macabre, sont décorés, dans l'axe des piliers, de figures de prophètes dont plusieurs sont encore reconnaissables. Ces personnages, au nombre de huit, sont : Daniel, Jérémie, Ézéchias, Amos, Jonas, Zacharie et Isaïe, plus le roi David. Essayons de les décrire successivement, en commençant du côté de l'épître et faisant le tour de la nef jusqu'à sa dernière travée, du côté de l'évangile.

David est vu de face ; il porte en tête une couronne fleuronnée, et sa longue barbe blanche, taillée en pointe, retombe sur sa poitrine ; il est vêtu d'une robe pourpre doublée de blanc qui laisse voir ses chaussures en poulaine. Un manteau d'une teinte claire couvre ses épaules, et à son côté pend une escarcelle ornée de trois glands. Des deux mains, il tient une banderolle, sur laquelle on lit ce verset du livre des Psaumes, inscrit en caractères gothiques : Dominus dicit ad me : Filius hodie genui te (roy David).

Puis vient le prophète Isaïe, coiffé d'un bonnet à l'albanaise de couleur noire. Sa barbe est rousse et taillée court. Sous son manteau blanc, ramagé d'or et doublé de violet, apparaît une tunique lilas qui descend jusqu'à la cheville, dégageant les pieds, dont les chaussures pointues sont d'un gris rougeâtre. L'inscription du phylactère qu'il montre porte ce verset : Ecce Virgo concipiet et pariet filium (Ysaïe).

Le troisième est Zacharie. Sa barbe est blonde et sa chevelure disparaît sous une coiffe blanche. Il porte une tunique verte, un manteau court d'étoffe pourpre doublé de blanc et des chaussures grises. Sa main gauche tient l'extrémité d'une banderole sur laquelle on lit ce verset : Aspicient omnes ad me quem transfixerunt (Zacharie ) [Note : La place que nous donnons, dans notre vue intérieure de Kermaria, aux prophètes Isaïe et Zacharie n'est pas celle qu'ils occupent on réalité. Nous avons cherché, en reproduisant ces personnages, à rendre plus intelligible notre description, et nous ne faisons du reste que les substituer à d'autres figures analogues aujourd'hui disparues].

Le quatrième et dernier du côté de l'épître est moins bien conservé, et sa tête est entièrement effacée. Son vêtement consiste en une tunique pourpre, par-dessus laquelle est drapé un manteau court de couleur blanche, doublé de vert. Il tient de la main droite un phylactère sur lequel on ne distingue plus que ces mots : Omnia... tua ergo in..., puis le nom du personnage, qui semble être Jonas.

Le cinquième et premier du côté de l'évangile est un vieillard à longue barbe blanche, portant sur la tête une coiffe noire et par-dessus un chapeau à bords épais et arrondis. Son manteau blanc brodé d'or laisse voir une robe pourpre, et ses deux mains déroulent une banderole dont l'inscription a complètement disparu.

Le visage du sixième est effacé. Son costume se compose d'une tunique blanche recouverte d'un manteau sombre doublé de blanc. On ne distingue plus rien de l'inscription qui l'accompagnait.

De même que le précédent, le septième. prophète n'a plus de traits. Un manteau blanc doublé de vert recouvre sa tunique violette. On ne voit plus de l'inscription que ces deux mots : Vos... populo...

Le huitième porte une barbe longue et coupée carrément. Sa robe brune est recouverte d'une sorte de houppelande d'étoffe blanche semée de ramages de couleur pourpre, comme la doublure de ses larges manches ; sur la tête, une coiffe brune nouée sous le menton. Des deux mains, il tient une banderole déroulée dont l'inscription est indéchiffrable.

Cette suite de personnages se détache sur un fond jaune clair, semé de quatrefeuilles rouges et de quintefeuilles violettes, qui paraît avoir été adopté pour l'ensemble du monument, car on en trouve partout des traces.

Occupons-nous maintenant des fragments d'une peinture murale qui décorait une autre partie de l'édifice.

Comme la plupart des chapelles bretonnes, Kermaria ne possède qu'un transept. Il est orienté au sud et éclairé par trois baies : la première percée au XVIIIème siècle, au-dessus d'un autel latéral dédié à la Vierge ; la seconde longue, étroite, divisée par un seul meneau, et dont l'ogive en lancette accuse le XVème siècle ; la troisième, qui est la plus importante, est une large ogive pratiquée dans le pignon du transept ; on voit encore à l'intérieur, au-dessous de cette baie, le cintre surbaissé d'une labbe qui était, au XVème siècle, l'enfeu seigneurial [Note : Au XVIIème siècle, l'enfeu seigneurial de Kermaria n'était plus dans le transept, mais dans le choeur, comme le prouve le passage du testament de Jean de Lannion, baron des Aubrays, sieur de Lisandré et de la Noë-Verte, à la date du 21 janvier 1651. « Et pour mon corps... j'ordonne, selon la coutume de la sainte Eglize catholique, qu'il soit mis dans le caveau qui est sous la grande tombe enlevée qui est au milieu du choeur de l'église de Kermaria, en la paroisse de Plouha, dépendant privativement de ma terre et seigneurie de Lisandren ». La tombe élevée a été brisée à l'époque de la Révolution, mais on voit encore les degrés qui conduisent au caveau. On trouve également, dans le pavage du choeur, quatre dalles funéraires portant des écussons en relief de forme triangulaire qui doivent remonter au XVème siècle. Les pièces héraldiques qui les chargeaient sont aujourd'hui indéchiffrables]. Les deux fenêtres ogivales ont conservé dans leurs vitres plusieurs blasons de seigneurs prééminenciers, tels que les Taillart, les Lannion, les Boisgelin, etc.

Sur la partie du mur qui fait face à la grande verrière et au-dessus des travées du choeur, qui donnent accès dans le transept, se trouvent les restes d'une importante composition en partie détruite, et dont il n'a pas été fait mention dans la monographie de la chapelle. C'est un groupe de six personnages représentant deux seigneurs et leurs femmes, en oraison, assistés de deux saints. Originairement, cette peinture devait être beaucoup plus étendue et couvrir la totalité de la paroi.

Plouha (Bretagne) : chapelle Kermaria-Nisquit.

A en juger par les costumes, elle remonte au XVème siècle ou, tout au moins, au commencement du XVIème, si l'on tient compte du retard de la Bretagne, à cette époque, sur les autres provinces de France en fait de modes et d'usages nouveaux.

Les hommes, têtes nues, portent le gorgerin de maille, sur lequel devait déborder le bacinet, et l'armure de plates recouverte de la cotte d'armes. Leurs épées ont des quillons droits et des pommeaux ovoïdes.

Les femmes sont coiffées de hennins d'où pendent de longs voiles, et vêtues de cottes hardies, bordées d'or, dont les jupes devaient être armoriées, car la première conserve encore, sur ses ajustements, des traces de rouge et de bleu foncé.

Malheureusement, les pièces héraldiques qui ornaient les vêtements ont presque entièrement disparu. Néanmoins, nous avons constaté que le premier personnage porte sur sa cotte d'armes un écartelé, dont les deuxième et troisième quartiers devaient être d'azur, car leur coloration est celle d'un bleu assombri par le temps.

Les premier et quatrième quartiers, quoique très effacés , gardent cependant une teinte rougeâtre qui fait supposer que leur champ devait être de gueules.

Dans cette hypothèse, ces armes seraient attribuables à un membre de la famille de Boisgelin, qui porte : Ecartelé : aux premier et quatrième de gueules à la molette à cinq rais d'argent , aux deuxième et troisième d'azur plein. Effectivement, ce blason est deux fois répété sur la vitre de l'une des fenêtres latérales du transept, voisine de cette peinture, et, par leur forme, les écus semblent remonter également au XVème siècle. L'un porte les armes pleines de Boisgelin [Note : On voyait aussi, dans la grande verrière du transept, un écu parti de Pinart et de Boisgelin, armes de Marguerite, fille de Sylvestre de Boisgelin, seigneur de la Noë-Verte, et de son mari, Yves Pinart], l'autre est parti de Boisgelin et du Vieux-Chastel : d'azur au château d'or sommé de trois tourillons de même. Le saint qui assiste le chevalier est vêtu des ornements épiscopaux, avec la mitre et la crosse.

Derrière ce premier groupe, on en voit un second presque analogue par les attitudes et le costume. Le seigneur porte une épée à quillons droits et à pommeau ovoïde ; ses jambières, complètement fermées, sont munies de genouillères articulées et de solerets. De sa bouche, sort un long phylactère sur lequel on lit cette invocation en caractères gothiques : Sancte Johannes Baptista ora pro nobis ; et saint Jean-Baptiste, reconnaissable à sa peau de mouton traditionnelle, se tient debout près de son protégé. La femme de ce chevalier porte un costume identiquement semblable à celui que nous avons déjà décrit.

Il est regrettable que les armoiries de la cotte d'armes et de la robe soient complètement effacées, et qu'aucun vestige héraldique ne nous mette sur la trace de ces personnages. Nous espérons toutefois, en les étudiant, fixer leur identité.

Nous avons pensé que l'évêque qui assiste le seigneur figuré dans le premier groupe pouvait être saint Guillaume. La généalogie de la maison de Boisgelin (Voir Généalogie de la maison de Boisgelin, par le chevalier de Courcelles. Paris, 1823) cite en effet, au XVème siècle, plusieurs Guillaume, entre autres Guillaume, troisième du nom, qui épousa Anne du Vieux-Chastel et servait, en 1481, comme archer de la garde du corps du duc François II. En 1489, il fut chargé par la duchesse Anne d'assembler les troupes qu'elle projetait d'opposer aux Français descendus en Bretagne, et il assista la même année au siège de Guingamp, ainsi qu'au combat de Pontrieux (Histoire de Bretagne, par Dom Taillandier, t. II, p. 197. — Dom Morice, Preuves, t. III, col. 390-391-606-627-641).

Si donc on fait un rapprochement entre les dates, les costumes qui s'y conforment et les armoiries des vitraux, on peut affirmer, ce nous semble, sans crainte d'erreur, que les trois personnages du premier groupe sont : Guillaume III de Boisgelin, Anne du Vieux-Chastel, sa femme, et saint Guillaume, son patron.

Nos renseignements sont moins précis en ce qui concerne le chevalier qui fait partie du second groupe. Cependant, nous savons, d'après la légende du phylactère et le saint qui l'assiste, qu'il se nommait Jean.

Bien que la généalogie des Boisgelin cite un Jean, frère aîné de Guillaume III, époux d'Aliette de la Forest, nous ne pensons pas que ce soit lui qui est ici représenté, et cela pour deux causes : d'abord, comme aîné, sa place ne pouvait être au second rang, puis, sa cotte d'armes devrait, dans ce cas, conserver, comme celle de son juveigneur, quelque trace de l'écartelé des Boisgelin. Nous préférons voir dans ce personnage Jean Taillart, mentionné dans la montre de l'évêché de Saint-Brieuc, en 1469, parmi les nobles de la paroisse de Plouha, dont dépend Kermaria. Les Taillart, comme seigneurs de Lisandré, avaient, aux XVème et XVIème siècles, des prééminences dans cette chapelle, où leurs armes, d'hermines à cinq fusées de gueules mises en bande, se voient encore peintes et sculptées aux vitres et au pignon du transept. Les dessins relevés en 1860 indiquent même, au-dessous de la peinture que nous décrivons, les fragments d'une litre aux armes de cette famille.

Il semblerait, il est vrai, plus logique que cette réunion de donateurs se composât des membres d'une même maison et de leurs alliés. Toutefois, quoiqu'on ne trouve pas, dans les généalogies des familles de Boisgelin et de Taillart , d'alliances entre elles, on sait qu'elles avaient toutes deux des prééminences à Kermaria, et nous pensons qu'on peut accepter l'hypothèse que les différents seigneurs prééminenciers de la chapelle se seraient associés pour faire exécuter, à frais communs, cette importante décoration [Note : Elle était encadrée d'une bordure de feuillages enroulés, d'un ton jaune ombre de bistre, et, dans la partie inférieure, d'une suite de masques grimaçants, réunis par des rinceaux qui sortaient de leurs bouches. L'un de ces mascarons est reproduit ds les dessins relevés en 1860. Aujourd'hui, l'on ne voit plus qu'un fragment de la partie supérieure de l'encadrement].

Dans un article publié sur la Danse Macabre de Kermaria, M. Gaultier du Mottay constate que les strophes qui accompagnent ces peintures murales sont la reproduction textuelle du poème intitulé la Grande Danse Macabre, imprimé à Troyes en 1486. On doit en conclure que la décoration intérieure de la chapelle fut exécutée à la fin du XVème siècle, époque contemporaine des personnages représentés dans la peinture du transept.

Il suffit de ces débris mutilés pour reconstituer par la pensée l'aspect intérieur de Kermaria et pour comprendre toute la richesse de son ancienne ornementation [Note : Au XVème siècle, le chœur de Kermaria était clos par un jubé en bois sculpté et doré qui fut détruit à la Révolution, en même temps que la tombe seigneuriale. On conserve dans le transept un retable d'albâtre du XVIème siècle divisé en cinq parties : 1° l'Annonciation ; 2° le couronnement de la Vierge ; 3° l'Adoration des Mages ; 4° la Vierge entourée d'anges, et devant elle un homme agenouillé qui lui offre une ceinture ; 5° la mise au tombeau, à demi brisée]. Actuellement encore, malgré les remaniements déplorables opérés au XVIIIème siècle et les outrages qu'elle subit sans relâche de nos jours, cette vénérable chapelle attire l'attention des artistes et des gens de goût qui savent apprécier les beautés de notre architecture nationale. A notre époque, où l'art religieux ne sait plus rien créer, le premier devoir serait, ce nous semble, de respecter et de conserver, au point de vue archéologique, des monuments qui font partie de notre gloire et abritent encore sous leurs murs tant de souvenirs historiques ! Selon nous, le moyen le plus efficace pour atteindre ce but serait la création de cours d'archéologie sacrée dans les séminaires de chaque diocèse, car c'est de l'ignorance que vient tout le mal. Aussi voyons-nous constamment ceux-là même qui ont le plus d'intérêt à la conservation et au salut de nos anciennes églises en demander les premiers la démolition, souvent pour attacher leur nom à une édification nouvelle, sans style et sans souvenirs.

C'est ainsi que disparaissent chaque année, dans nos campagnes, un grand nombre d'édifices religieux, pour faire place à des constructions banales qui affectent toutes la même forme. Tel sera peut-être le sort de Kermaria !

Mais nous voulons encore espérer qu'elle sera épargnée et que le voeu du conseil général, qui en a demandé le classement comme monument historique, sera un jour exaucé. (Paul Chardin, 1886).

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