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LA DANSE MACABRE EN PLOUHA

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La danse macabre de la chapelle de Kermaria-Nisquit (Bretagne).

A mi-parcours et sur le côté droit du grand chemin qui va de Plouha à Pléhédel, au milieu d’un placître ombragé de chênes, se dresse la jolie chapelle de Kermaria, dite aussi de Kermaria-Nisquit ou Kermaria-an-Isquit (de Marie qui rend !a santé).

Plouha : la chapelle de Kermaria-Nisquit

A quelques cents mètres d’un dernier détour, on aperçoit soudain son élégant clocher octogonal formé de deux étages qui se rétrécissent à mesure qu’ils s’élèvent et couronné d’un cône, pointu comme un éteignoir. Des ardoises noires à reflets bleus le cuirassent de toutes parts, et sa silhouette sombre se détache en lignes très nettes sur le double écran des arbres de l’infini du ciel.

Bientôt, l’édifice apparaît tout entier, orienté, comme la plupart des chapelles bretonnes, de l’est à l’ouest. Son chevet à trois pans prolongés de deux lignes droites est percé de hautes fenêtres en plein cintre, mais qui n’ont rien de roman, puisqu’elles datent de 1720, ainsi qu’en témoigne une inscription que les pluies ont en partie effacée.

La toiture du chevet se compose d’une sorte de grand chapeau pyramidal. Elle rejoint la couverture de la nef principale et celle d’un transept aux proportions peu en rapport avec le reste de l’édifice, qui se détache vers la gauche dans la direction du sud.

Le plan d’ensemble donne l’impression d’une croix latine dont on aurait coupé, peu après sa naissance, la majeure partie du bras droit, qui, de ce fait, n’est plus qu’un moignon.

Le grand transept, à son extrémité, s’épaule de contreforts. Son fronton triangulaire, qui porte à sa base des gargouilles sculptées, est surmonté d’un fleuron sans intérêt. La partie centrale est occupée par une haute et large fenêtre de style gothique, dont les vitraux ont été remplacés par du verre. Elle est divisée en quatre vitrines, séparées et encadrées par des meneaux que réunissent, à la hauteur de la base de l’ogive, un linteau transversal au-dessus duquel des entrelacs forment une décorative arabesque. Une petite porte ogivale, aux archivoltes délicates, s’ouvre sur le flanc ouest.

Moins allongé que le transept, plus important comme travail architectural et artistique, le porche couvert s’avance en perpendiculaire avec la nef. Le mur extérieur de celle-ci a été refait au XVIIIème siècle. Dans le toit, raccordé en ligne droite à des parties plus anciennes, s’encastrent des fenêtres qui ressemblent bien plus à des fenêtres de manoir qu’à des fenêtres de chapelle. L’une se couronne d’un fronton triangulaire, l’autre d’un fronton en arc de cercle brisé surmonté d’une croix. Ce dernier porte le millésime de 1720, que l’on retrouve en plusieurs endroits, pour rappeler l’époque de la réfection et de la transformation de l’édifice.

Le porche est l’un des plus jolis de Bretagne. Les archivoltes de son voussoir reposent sur des piliers aux chapiteaux sculptés. L’ensemble est épaulé par les murs eux-mêmes, que décorent les statues de bois vermoulu de Saint Pierre et Saint Paul. De chaque côté, à l’intérieur du porche, et au dessus du banc de pierre où s’asseyaient jadis les pèlerins, se dessinent des arcatures qui servent de niches aux douze apôtres. Mais ceux-ci ne sont plus que onze. L’un d’eux a été volé, voici quelques années, par les amateurs peu scrupuleux. La voûte du porche est décorée de nervures avec des écussons aux croisements. Au sommet de la porte, qu’encadre une ogive, elle aussi surhaussée par des piliers d’où partent des archivoltes, dans une niche renaissance, !a statue de Notre-Dame de Bon-Secours accueille le visiteur.

Le toit du porche, extérieurement, forme une sorte de terrasse entourée d’une balustrade aux rosaces de granit. Sur cette plateforme s’élève une petite construction carrée à fronton triangulaire.

Le sol de cette dernière est en terre meuble ; l'empoutrellement et les charpentes sont de petites dimensions. Il faut un peu baisser la tête pour passer par la porte étroite et basse qui, de l’intérieur de la pièce communique avec terrasse. On accède dans la salle, dépourvue de tout luxe, par un escalier de pierre, c’est là qu’au temps jadis, le dimanche après les offices, autour du sénéchal de la juridiction, se groupaient le Procureur et les Syndics chargés de rendre haute justice. Les coupables et les plaideurs se tenaient au pied de la croix qui dresse encore son fût sur le parvis de la chapelle. Le jugement était ensuite lu, au peuple assemblé, du haut de la terrasse.

Plouha : l'intérieur de la chapelle de Kermaria-Nisquit

L’intérieur de la chapelle de Kermaria cède en rien à l’extérieur. Il offre le plus vif intérêt au point de vue archéologique et architectural. La nef compte sept travées aux arches rayonnantes appuyées d’arc-boutants, que flanquent deux bas côtés et que termine, à l’est, le chevet polygonal. On se rend immédiatement compte que certaines parties de cet édifice datent d’époques différentes. Il y a eu, d’une part, des compléments et des agrandissements et, de l’autre, des restaurations et des transformations. Les quatre premières travées paraissent être du XIIIème siècle. Les trois autres, le transept et le porche méridional sont probablement de la fin du XIVème siècle. Les voûtes en charpente, les frises qui courent à leur base, donnent l’impression de ne pas être antérieures au début du XVIème siècle.

Une boiserie forme le fond de l’abside. Elle monte du sol, jusqu’au sommet de la nef dont elle épouse la voussure. Une petite porte, à gauche, joint la sacristie. Les colonnes aux chapiteaux composites datent du XVIIIème siècle, mais il semble que des parties de boiseries, beaucoup plus anciennes, ont été réemployées, notamment pour l’autel et le tabernacle. Cette immense cloison est creusée de niches et garnie de socles saillants. Dans les unes et sur les autres sont des statues anciennes. Notre-Dame de Kermaria est au centre : c’est une madone couronnée du XVème siècle. L’enfant-Dieu, couronné également, est assis sur ses genoux. Un grand tableau d'aspect moderne représentant le Sacré-Coeur détonne avec les vieilles statues qui l’encadrent en pendant : Notre-Dame du Bon-Secours à droite et Sainte Anne à gauche. Anne est représentée en train d’apprendre à lire à l’Enfant-Jésus, debout sur les genoux de son aïeule et que soutient la Vierge. A gauche, également, sont les statues de Sainte Catherine et de Sainte Barbe. Celle-ci n’a pas auprès d’elle la tour qui, d’ordinaire, rappelle sa captivité. A droite, c’est Saint Joseph. Il est vêtu d’un manteau vert brodé d’or, dont les plis retombent sur une robe mauve étoilée. Deux peintures complètent cet ensemble.

Sur l’autel de gauche se trouve une jolie statuette de la Vierge en bois doré. La Mère tient son enfant dans son bras gauche et, de sa main droite, relève légèrement sa jupe. Saint Maudez, qui est honoré dans la région de Paimpol, Saint Fiacre en jardinier et Saint Dominique dans la tenue de l’ordre qu’il a fondé, semblent monter une garde vigilante autour de la Vierge.

L’autel de droite est du XVème siècle. Sa table est recouverte d’une nappe de guipure qui est très belle. La statue qui domine est du XVème siècle. C’est celle de Notre-Dame-Nisquit. En réalité, c’est la Vierge des Sept Douleurs. Dans sa main droite, elle tient un sceptre et l’Enfant-Jésus est debout sur ses genoux.

Plouha : l'autel de la chapelle de Kermaria-Nisquit

On le voit, la chapelle de Kermaria est la demeure des deux madones. Notre-Dame de Kermaria est la principale. Sa fête est célébrée tous les ans, le troisième dimanche de septembre. Notre-Dame-Nisquit n’a de pardon que tous les trois ans, également le troisième dimanche de septembre.

Les murs du transept sont ornés de diverses statues : Saint Claude, évêque, s’avance mitré et crossé ; Saint Nicodème porte la couronne d’épines et les clous ; Saint Eloy présente son marteau et un fer à cheval ; Sainte Berte (sic), est liée à une colonne. En face, Saint Michel terrasse le dragon et, contre les piliers qui précédent le choeur et que réunit la vieille balustrade de la table de communion, Saint Jean et Saint Barthélemy vont de compagnie.

Auprès de cet autel se voit un très beau retable en albâtre. Il est d’origine anglaise et date probablement du XVème siècle. Il est composé de cinq bas-reliefs évoquant l'Annonciation, la Nativité, l'Adoration de la Vierge, le Couronnement et l'Assomption. Au dessus est placée une mise au tombeau, groupe de cire, d’apparence moderne. Nous compléterons cet inventaire artistique en indiquant le grand christ du XIVème siècle, cloué sur le pilier central, juste en face de la chaire.

Dans le transept sud, à droite de l’autel, on a fixé au mur par des crampons de fer un petit cercueil, surmonté d’une croix noire, qui laisse entrevoir, au travers d’une vitre, de poudreux ossements. Sur le bois du cercueil on lit : LE CEFF (sic) DE LEZOBRE !

Nous entrons ici dans ce domaine particulier à la Bretagne, où l’histoire se mélange à la tradition populaire qui, peu à peu, l’embrume et la revêt des atours poétiques de la légende.

Quel est exactement ce LEZOBRE, dont le chef repose dans son urne funéraire depuis plus d’un siècle, puisque Benjamin Jollivet, dans son ouvrage les Côtes-du-Nord, écrivait en 1854 : « Cette chapelle de Kermaria renferme la tombe du célèbre baron de Lisandre, contemporain de Henri  IV. Il appartenait à la famille puissante de Lannion. La pierre qui recouvre les ossements blanchis du courageux baron, n’est pas parfaitement scellée. Si donc vous désirez palper cette forte tête bretonne, aux os épais et encore solides glissez votre main sous la pierre disjointe. Mais prenez garde, vous touchez peut-être à celle de sa fille, beaucoup moins épaisse, beaucoup moins forte, qui repose dans le même tombeau !...

On raconte dans le pays une foule de légendes relatives à ce seigneur. C’était un ligueur terrible et il se trouvait au nombre de ceux qui défendaient Paris lorsqu'Henri IV en fit le siège et força cette capitale à se rendre. Le baron comptait peu sur la clémence du vainqueur, il résolut donc de fuir, et voici, dit-on, comment il s’y prit pour tromper la surveillance qui s’exerçait aux portes : il fit tuer son cheval, en enleva les entrailles, et se mit à leur place dans le ventre de l’animal mort. Personne ne se doutant de la supercherie, on ne s’opposa point à sa sortie de ville, et il échappa au roi de Navarre, qui probablement ne l’eût pas exclu du bénéfice de l’amnistie générale qu’il fit publier aussitôt.

Une autre fois, le baron passait près d’un castel. Tout à coup il s’arrête et prête l’oreille, car il a cru entendre les gémissements d’une femme... Il ne s’était point trompé : une femme, en effet, poussait des cris plaintifs, et cette femme était sa soeur de lait, dont il reconnut la voix. Aussitôt il frappa à la porte du manoir et demanda à voir le châtelain. C’était le sire de Chateaudassis, qui avait enlevé la jeune personne et la retenait captive, en attendant qu’elle se rendit à ses désirs criminels. Le baron provoque le ravisseur en duel, le tue et rend à la liberté sa sœur adoptive, pure encore de toute souillure ».

En lisant ce récit, on a l’impression que le héros de tant d’aventures est le fils de François Ier de Lannion et de Julienne Pinart dame de la Noe-Verte, Lézaudren, etc. Haut et puissant seigneur Claude de Lannion, né le 5 mars 1557, qui, à l’époque de la Ligue, n’hésita pas à lever une armée qu’il entretint de ses propres deniers, car il était très riche, pour combattre les troupes royales. Il avait épousé, dès 1582, Renée de Quélen. Il mourut le 22 août 1622, mais fut inhumé aux Augustins de Carhaix et non à Kermaria.

A qui appartiennent les ossements que M. Charles de Keranflec’h dit avoir vu, lui aussi, dans le caveau délabré de Kermaria-Nisquit ? Le crâne avait été scié et les tibias semblaient de taille gigantesque. Peut-être, dit M. de la Messellière, au fils de Claude et de Renée de Quélen, Jean de Lannion, mort sans postérité ?

Mais l’un des points les plus curieux de l’histoire de Lezobré, c’est la substitution de personnalité qui, à son sujet, s’est produite dans l’esprit des masses populaires. La similitude du nom de Lezobré avec le nom de Morvan-lez-Breiz, rival de Louis le Débonnaire, héros de l’indépendance bretonne, font sans doute que l’on a dans les gwerz, confondu les deux et attribué au premier des exploits du second. Ce fait, d’un épisode emprunté à une source différente et soudé à un autre sujet, est un procédé très courant dans notre poésie populaire. Toujours est-il que le Lezobré de Plouha demeure, pour beaucoup, le vainqueur d’un combat singulier avec un Maure attaché à la personne du roi des Francks et dont il aurait triomphé, grâce à la protection de Sainte Anne, à qui, en reconnaissance, il fit bâtir une maison en pierre, à Lannion « sur la montagne entre le Leguer et l'Indi ».

Il est encore, dans la chapelle de Kermaria, deux autres souvenirs évocateurs des seigneurs de Lezobré : le banc prie-Dieu qui se trouve devant l’autel à gauche du choeur, et qui est aux armes de Pierre de Lannion et de Marie d'Aradon, mariés vers l’an 1600 ; l’entrée d’un soi-disant souterrain, que l’on voit au milieu du sol de la chapelle, et qui faisait communiquer celle-ci avec le château de la Noé-Verte (Gloas Glas) qui dresse encore « son grand porche flanqué de deux tourelles à meurtrières » sur le territoire de la commune voisine de Lanloup.

L’intérêt de la chapelle de Kermaria réside surtout dans sa « Danse Macabre » qui est une oeuvre à peu près unique en France.

Plouha : Bas-côté gauche de la chapelle de Kermaria-Nisquit

Plouha : Bas-côté droit de la chapelle de Kermaria-Nisquit

   

Les « Danses Macabres » étaient d’immenses tableaux de trente à quarante mètres de longueur sur deux ou trois de hauteur, peints sur les murs des églises, dans les cimetières, dans les cloîtres, sur les ponts. La Mort, représentée sous les apparences de squelettes ou de cadavres, y saute et danse, entraînant, dans la ronde, avec une sombre ironie, les vivants de tout sexe, de tout âge, de tout état.

Les personnages de ces danses macabres offrent généralement la série complète des diverses conditions humaines, depuis le Pape et l'Empereur jusqu’au Laboureur et l'Ermite. On trouvait autrefois ces funèbres représentations dans la plupart des grandes villes de l'Europe, surtout en Allemagne et en Suisse.

Dans la seconde moitié du XVème siècle, après la découverte de l’imprimerie et la vulgarisation de la gravure sur bois, ces compositions murales furent ramenées aux proportions de petits dessins sur papier, dont on fit des recueils en tout genre, fréquemment réimprimés.

N’y eût-il que la possibilité, dans ces ensembles allégoriques, de retrouver le costume du temps pour les diverses conditions, l’intérêt serait déjà grand. Mais ils revêtent encore une signification psychologique d’une intensité poignante. Les artistes ont saisi toutes les nuances des sensations que doit éprouver chaque individu devant la mort. Selon le rang social des personnages, la douleur, la crainte, les regrets, l’indifférence s’expriment sur les visages, et, chose curieuse, chaque squelette, bien que sa tête soit dépourvue d’yeux et de bouche, a une physionomie caractéristique, analogue à celle de l’individu qu’il entraîne.

Le but moral et religieux des « Danses de la Mort » apparaît nettement. D’ailleurs les inscriptions, d’un style singulier et souvent caustique, rappellent durement, aux hommes, la fragilité de la vie, l’inéluctable nécessité de la mort, l’incertitude de l’heure fatale, l’inflexibilité du destin.

Le but poursuivi par les anciens, qui, eux aussi, ont cherché à se familiariser avec l’idée du terme fatal de l’existence, était totalement différent. Il ne s’agissait pour eux que d’un simple rappel de la destinée de l’homme après la mort dont la conséquence pratique n’était point, comme chez les chrétiens une conversion ou une pénitence. La mort étant imminente et fatale, abandonnons-nous, sans nul frein, pensaient-ils, à toutes les jouissances possibles, tandis qu’il en est encore temps. Le Carpe diem d'Horace a pour écho le Ergo vivamus dum licet esse bene de Pétrone.

Il semble que la plus ancienne de ces compositions funèbres soit celle du Charnier des Innocents, à Paris, qui doit dater de 1424.

Aussitôt, la « Danse Macabre » a été copiée en France, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne. Mais de toutes les copies connues, aucune ne se rapproche autant de l’original que la « Danse de Kermaria ». Le nombre des personnages est le même et le texte des strophes est également semblable. La seule différence, et elle n’est pas sans importance, c’est l’attitude et le costume des personnages. En outre, l’artiste breton parait peu versé dans la science anatomique.

Plouha : danse macabre de la chapelle de Kermaria Nisquit

La Danse se déroule à six mètres environ au-dessus de l’actuel pavé de la nef, dans une suite de quarante-sept compartiments, dont chacun renferme un personnage. On y remarque vingt-trois vivants, choisis parmi les diverses conditions sociales de l’époque. Ils alternent, la main dans la main, avec un nombre égal de morts à qui incombe la direction de la lugubre ronde.

Chaque figure, d’un mètre trente centimètres de hauteur, a pour cadre une arcature simulée, de couleur jaune, dont la voûte, fort surbaissée, est supportée par de maigres colonnettes à base prismatique, qui paraissent avoir été couronnées d’un sablier.

Le sujet se détache en grisaille sur un fond rouge violacé du côté droit de la nef, ocre-rouge, du côté gauche. Ce fond est semé de fleurons dont il ne subsiste, ça et là, que des traces peu apparentes.

A l’époque malheureuse où le badigeon recouvrit de sa teinte uniforme les murailles de nos sanctuaires, sous prétextes de les soustraire aux conséquences de la vétusté, la chapelle de Kermaria ne put échapper à la loi commune. Mais le temps et l’humidité firent leur œuvre : le badigeon s’écailla peu à peu et, en 1856, on vit reparaître une partie des peintures. La chaux, qui adhérait encore à la muraille, fut enlevée avec de grandes précaution, et l’on retrouva la plupart des personnages de la « Dance ».

Le vieux peintre breton a choisi les types de personnages les plus dignes d’attirer l’attention. Du côté droit de la nef : 1° le Pape, 2° l'Empereur, 3° le Cardinal, 4° le Roi, 5° le Patriarche, 6° le Connétable, 7° l'Archevêque, 8° le Chevalier, 9° l'Evêque.

Dix compartiments manquent, les personnages peints au-dessus de la première arcade, et ceux qui se trouvaient à droite et à gauche de la grande fenêtre du portail, sont masqués par diverses constructions ultérieures. On a cependant pu les identifier : il y avait là : 10° l'Ecuyer, 11° l'Abbé, 12° le Bailli, 13° l'Astrologien, 14° le Bourgeois.

Plouha : danse macabre de la chapelle de Kermaria Nisquit

Du coté gauche de la nef, où sauf quelques rares exceptions, le contour seul des figures est encore apparent, on peut reconnaître : 15° le Chartreux, 16° le Sergent, 17° le Moine, 18° l'Usurier suivi du Pauvre, 19° l'Amoureux, 20° le Ménétrier, 21° le Laboureur, 22° le Cordelier.

Le compartiment final, qui n’offre plus aucune trace de personnages représentés contenait l'Enfant, le peintre a supprimé, faute de place, les autres personnages que l’en voit figurer au charnier des Innocents : le Chanoine, Le Marchand, le Médecin, l'Avocat, le Curé, le Clerc et l'Ermite.

Les personnages qui se tiennent tous par la main, forment une ronde unique au lieu des groupes de quatre figures, peints sous les arcades au charnier parisien. Parmi eux se trouve une femme enveloppée d’une longue robe à larges manches. Elle remplace la Mort entre le Moine et l’Usurier. Le ménétrier, au lieu de la gigue, qui le caractérisait aux Innocents, a pour attribut un biniou breton.

Plouha : danse macabre de la chapelle de Kermaria Nisquit

Le texte, placé sous chacun des personnages, reproduit avec de légères variantes les huitains de la Danse des Innocents. Ces inscriptions, en caractère gothiques de quatre centimètres, sont malheureusement presque toutes effacées. Sur les quarante-sept qui existaient à l’origine, six actuellement se laissent à peine déchiffrer.

Il y a d’abord la réponse du Cardinal. Viennent ensuite les apostrophes du Mort au Roi et au Patriarche, les répliques de ces derniers et, enfin, le discours du Mort au Connétable.

Nous reproduisons plus bas ces vieux textes, avec l’orthographe propre à l’artiste et les fautes évidentes de transcription :

LE CARDINAL. .. J’ay bien cause de m’esbahyr. — Quand je me voy de si près pris ; — La Mort m’est venue envayr. — Plus ne vestiray vert ne gris. — Chapeau rouge ne (sic) chappe de pris. — Me fault laisser à grande destresce ; — Je ne l’avoye pas apris : — Toute poye fine en tristesce.

LE MORT. — Venés noble Roy couronné. — Renommé de force et prouesce ; — Jadis fustes environné. — De grans pomppes, de grant noblesse ; — Mais maintenant toute haultesce. — Laisserés : vous n estes pas seul. — Poy aurés de vostre richesse : — Le plus riche n’a que ung linseul.

LE ROY. — Je n’ay point appris à danser — A dance et note si sauvage ; — Hellas ! on peut voyer et panser — Que vault orgueil, force, lignage. — Mort destruit tout, c’est son usage. — Auxi tost le grant que le mandre ; — Qui mains se prise plus et (sic) sage : — A la fin fault devenir rendre.

LE MORT. — Patriarche (sic), pour basse chère — Vous ne povés estre quitté — Vostre double croix q’avés. Chère — Ugne (sic) aultre aura ; ceste (sic) équitté. — Ne pansés plus dignitté, — Jà ne serés Pappe de Romme ; — Pour rendre compte estes cité : Folle espérance déchoit l’omme.

LE PATRIARCHE. — Bien parchov que mondains honneurs — Moult décheit, pour le voyr ; — Mes joyes tournent en douleurs — Et que vault tant de honneur avoir ? — Trop hault monter n’est pas savoir : — Haulx estas gattent gens sans numbre ; — Mès pou le veulent parcevoir : — A hault monter le faitz encombre.

LE MORT. — C’est de mon de mon (sic) droit que vous mainne — A la dance, gent Connestable ; — Les plus fors, comme Charlemainne. — Mort prant : c’est chose véritable. — Rien n’y vault chère espuentable, — Ne forte armeure, en cest asaut. — D’un coup, j’abus le plus estable — Rien n’est d’armez quand Mort asault.

Il existait primitivement d’autres peintures murales dans la chapelle de Kermaria.

« Le long de la muraille, dit M. Félix Soleil, qui fait face au transept sud, à quelques centimètres du sol, dans un espace de sept mètres de longueur et haut d’un mètre seulement, se développait la Légende des trois morts et des trois vifs, si populaire au moyen âge, que le peintre de Kermaria n’a eu garde d’oublier. En voici le sujet aujourd’hui moins connu :

Trois morts, debout dans un cimetière, devisent philosophiquement sur l’instabilité des choses humaines, lorsque trois gentilshommes à cheval, richement costumés, débouchent de la forêt voisine. Terrifiés par le spectacle insolite qui tout à coup s’offre à leurs yeux, les trois vifs ne songent qu’à prendre la fuite ; les trois morts les retiennent par ce langage peu récréatif : Nous avons ien esté en chance — Autrefoys, comme estes à présent ; — Mais vous viendrez à nostre dance — Comme nous sommes maintenant.

Les trois vifs, de trop bonne compagnie pour oublier la politesse, répondent en ces termes :

Nous sommes en gloire et honneur, — Remplis de tous biens et chevance ; — Au monde mettons nostre cueur, — En y prenant nostre plaisance.

Cela dit, ils décampent au plus vite... et courent encore.

Cette peinture a considérablement souffert. Un seul des trois morts est encore visible, ainsi que la croix tréflée du cimetière ; on distingue à grande peine le profil de deux des trois vifs portant la couronne royale. Les contours de leurs chevaux sont très faiblement accusés.

Au-dessus de cette scène, dans la retombée de la voûte lambrissée, se trouvaient les Duels des Vertus et des Vices dont il ne reste que d’informes vestiges aujourd’hui.

D’autres parties de la chapelle, notamment le transept sud, pouvaient être décorées de sujets analogues ; mais il n’en subsiste absolument aucune trace maintenant ».

Telle est, dans son ensemble architectural et décoratif, la Chapelle de Kermaria-Nisquit. On la visite toujours avec un intérêt ému et l’on garde de cette visite un ineffaçable souvenir (O. L. Aubert).

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