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PLOUGUERNEAU DURANT LA RÉVOLUTION

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Le premier maire de Plouguerneau fut René Abjean. Réélu en novembre 1791, il résigna ses fonctions le 5 février de l'année suivante et sa charge passa à François Lejeune ; il devint juge de paix du canton.

L'attitude et la résistance passive du nouveau maire finit par inquiéter les représentants en mission, et le 2 avril 1794 il fut déposé par leurs délégués, ainsi que toute la municipalité de Plouguerneau. Il fut remplacé par François Le Roux. Le nouveau maire et les nouveaux officiers municipaux reçoivent ordre « de remplir sur le champ les fonctions auxquelles ils sont appelés et de se conformer scrupuleusement à ce qui leur est ordonné par la loi, et ce, sous leur responsabilité personnelle et immédiate ».

On connaît le décret du 27 novembre 1790 par lequel l'Assemblée Nationale exigea des Archevêques, Evêques et autres ecclésiastiques, un serment de fidélité à la Constitution civile du Clergé. Aussitôt que ce décret eut été notifié à l'abbé de Poulpiquet, il se rendit à la tête de son clergé paroissial au sein de l'Assemblée municipale de Plouguerneau, le 20 janvier 1791. Il demanda à présenter quelques observations et la Municipalité lui ayant témoigné le désir de l'entendre, il prononça le discours suivant qui respire une foi et un courage digne des premiers confesseurs :

« MESSIEURS,
La démarche que nous faisons auprès de vous n'est pas l'effet de la détermination du moment, qui dicte souvent des volontés incertaines, des résolutions précipitées, c'est le fruit des plus sérieuses réflexions sur nos devoirs les plus sacrés. Depuis longtemps, nous ne vivons plus que pour la douleur. Chaque jour, chaque heure, nous en apporte une nouvelle, en nous apprenant les périls de l'Eglise de France, les atteintes portées par l'Assemblée nationale à la Religion d'un Dieu dont nous avons l'honneur d'être les ministres. Assez longtemps nous avons dévoré nos larmes, assez longtemps nous avons pleuré dans le secret de nos maisons ; maintenant nous venons pleurer au milieu de vous. Si vos larmes viennent se mêler à celles que nous répandons devant le Seigneur pour désarmer sa colère, nous relèverons de la poussière nos fronts abattus, et notre tristesse se changera en joie à la vue de ces précieuses larmes qui attesteraient le plus tendre attachement à la Religion de nos Pères.

Des décrets de l'Assemblée nationale nous ordonnent de prêter le serment d'être fidèles à la Constitution décrétée par elle et sanctionnée par le Roi, relativement à l'organisation, dite civile, du Clergé ; ils nous prescrivent de prononcer ce serment à la face des Saints Autels, et dans l' Assemblée du peuple sous peine d'être privés de notre traitement et d'être déchus du gouvernement des âmes. Notre serment le voici : c'est de renoncer à un traitement qui ne peut être que le salaire du crime ; nous ne vendrons pas aux nouveaux Césars nos âmes, le prix du sang d'un Dieu, mais nous vous déclarons, pour le salut des vôtres, que nous ne pouvons cesser d'être vos pasteurs et vos conducteurs dans la foi en vertu des décrets d'une Assemblée purement politique. Que serait devenue la primitive Eglise si la désobéissance aux volontés des Empereurs avait suffi pour faire disparaître les pasteurs auxquels Jésus-Christ avait confié les intérêts de la Religion, pour ôter et suspendre la juridiction spirituelle. Nous vous répétons ce que nous avons déjà enseigné dans la chaire de vérité, qu'il n'appartient pas à l'Eglise d'établir les règles de sa discipline et de les modifier suivant les divers intérêts des différents peuples ; que tout pasteur qui ne vous serait pas donné par votre seul et légitime Evêque, l'Evêque de Léon, ne serait qu'un intrus, un loup dans le Bercail ; qu'un pasteur ne peut être privé de la juridiction que Dieu lui a donnée sur les âmes que par sa démission volontaire et acceptée, ou par le jugement de ses Supérieurs ecclésiastiques.

Nous ne parlerons pas de la spoliation du Clergé décrétée par la même Assemblée dite Nationale. N'aurions-nous pas à craindre qu'au moment même où le refus du serment exigé nous fait renoncer à tout intérêt temporel, vous ne vinssiez à soupçonner que nos réclamations sont dictées par les regrets de nos jouissances personnelles ? Nous nous bornerons à vous manifester le désir le plus sincère de faire le sacrifice de toutes nos fortunes à la chose publique. Que les individus actuels du Clergé de France soient privés, s'il le faut, de l'usufruit de leurs bénéfices pour alléger le poids immense d'impôts qui menace le peuple ; mais nous ne pouvons étendre plus loin nos vœux et nos sacrifices sans devenir coupables. Nous demandons que les biens de l'Eglise soient rendus à nos successeurs. Ce ne sont point des propriétés dont nous puissions disposer à notre gré ; ce sont de saintes institutions que nous devons à la piété de nos pères, et dont il ne nous est pas permis d'interrompre ni de détourner le cours.

Nos chers paroissiens, de quel pesant fardeau nos coeurs se trouvent déjà soulagés ! Nous avons fait notre devoir, notre conscience nous en rend le doux et consolant témoignage. Maintenant nous nous croyons dignes de déposer dans vos mains notre profession de foi. Recevez-la pour être la règle de votre conduite et de votre croyance dans ces temps difficiles, et comme un témoignage du dévouement de vrais Pasteurs qui ne craignent pas de donner leur vie pour leurs ouailles ».

Puis il déposa entre les mains du digne Maire de Plouguerneau, René Abjean, la profession de foi qui suit :

« Nous, soussignés, Recteur, Vicaires et Prêtres de la paroisse de Plouguerneau, pleins de confiance dans la bonté et la miséricorde de Jésus-Christ, notre Sauveur, déclarons que la crainte de nous voir privés de notre traitement, que l'aspect même des dangers dont nous environne la force publique, ne nous arrachera jamais un serment que la Religion catholique, apostolique et romaine nous défend de prononcer. Plutôt endurer les tourments de toute espèce que de renoncer à la foi, que de jurer le maintien d'une constitution qui en renverse les premiers fondements.

Il est de foi qu'à l'Eglise seule, c'est-à-dire au Souverain Pontife uni au corps des Evêques, appartient le gouvernement de l'Église.

Il est de foi qu'à l'Église seule a été confiée la puissance des clefs, qu'à elle seule et non à une Assemblée politique, il a été dit: « Ce que vous aurez lié sur la Terre sera lié dans le ciel et ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel ».

Il est de foi que l'Eglise seule peut étendre ou restreindre les bornes de sa juridiction spirituelle.

Il est de foi qu'aucun pasteur ne peut tenir sa mission que de l'Eglise.

Il est de foi que les Evêques seuls sont juges de tout ce qui concerne la foi, les mœurs et la discipline ; que par conséquent les pasteurs du second ordre ne peuvent dicter des décrets sur ces matières et que leurs fonctions se bornent à donner aux peuples qui leur sont confiés l'exemple de la soumission la plus entière à tous les décrets qui émanent des premiers pasteurs.

Tous ces principes sont ou méconnus ou attaqués par les différents décrets qui composent la constitution civile du Clergé. Nous trahirions donc notre conscience, nous deviendrions donc des apostats de la foi en souscrivant au renversement des vérités catholiques. Non, les paroles de notre vertueux Evêque de Léon, dans sa circulaire du 28 juillet 1790, de ce Prélat digne des plus beaux jours de l'Eglise et que nous regardons toujours comme notre seul et légitime Evêque, ne cesseront de retentir à nos oreilles et au fond de nos cœurs : nous espérons de la grâce de Dieu de demeurer fidèles jusqu'à la mort et de sceller s'il le faut de notre sang le refus du serment exigé.

Signé : de Poulpiquet, recteur de Plouguerneau, chanoine du Léon, licencié en théologie de la Faculté de Paris et de la Maison de Sorbonne, vicaire général du Diocèse ; J. Botorel, G. Roudaut, F. Balcon, F. Bleunven, vicaires de Plouguerneau ; G. Appamon, Le Goff, prêtres de Plouguerneau ».

La Municipalité, après avoir entendu les considérations de M. l'abbé de Poulpiquet, reçut sa profession de foi signée par lui et par ses prêtres adjoints, et déclara que s'en tenant aux décrets précédents de l'Assemblée nationale, qui proclamaient la liberté de toutes les opinions religieuses dans toute l'étendue de l'Empire français, elle n'exigerait pas du Clergé de la paroisse le serment demandé par le décret du 27 novembre 1790 ; en outre, qu'elle-même inviolablernent attachée aux principes de la Religion catholique, apostolique et romaine, qu'elle avait toujours professés et qu'on venait de lui rappeler, elle refusait d'adhérer à la constitution dite civile du Clergé, à moins que toute l'Eglise de France n'y adhérât et qu'elle ne fût approuvée par le Saint-Siège.

Le discours de M. l'abbé de Poulpiquet et la profession de foi du Clergé de Plouguerneau furent lus au prône de la grand' messe, le mercredi suivant, 2 février, fête de la Purification. Cette lecture fut souvent interrompue par les applaudissements, les larmes et les sanglots des fidèles.

Le 10 avril suivant, le District s'occupa du remplacement des Recteurs non assermentés de son ressort. Il donna pour curé à la paroisse de Plouguerneau un nommé Le Gall, vicaire de Plounévez. Ce curé constitutionnel s'y rendit le dimanche 15 mai, accompagné de plusieurs membres du District et du Club de Lesneven. Le procès-verbal de sa prise de possession est conservé aux Archives départementales. En voici un sommaire avec des extraits :

« Relation exacte et fidèle de ce qui s'est passé à Plouguerneau relativement à la prise de possession de cette paroisse par le sieur Le Gall élu curé de la dite paroisse, du dimanche 15 mai 1791 ».

Le sieur Le Gall écrivit à la municipalité de Plouguerneau pour l'aviser qu'il se rendrait au bourg le dimanche 15 mai 1791, afin de prêter le serment civique et de prendre possession de sa paroisse. La municipalité refusa de le recevoir. Le Gall se rendit alors à Lesneven et communiqua au district la lettre venue de Plouguerneau. Sur l'invitation de la Société des amis de la Constitution, il leur fit visite.

Le 14 mai le directoire du district donna les ordres les plus sévères à la municipalité de Plouguerneau, pour qu'elle eût à recevoir le sieur Le Gall, sous peine d'être poursuivie comme réfractaire.

Celui-ci, craignant quelque chose de funeste pour lui, engagea plusieurs de ses « frères » de Lesneven à l'accompagner à Plouguerneau. En conséquence, MM. Le Feuvre, Castaignet, Testard, Cabon, Signioboul, Feillet, Cabet, amis de la Constitution, et les sieurs Brichet et Toussaint Perrot du directoire du district l'accompagnèrent et pour ne point faire d'éclat dans le bourg, il fut décidé qu'on se rendrait sans uniforme et sans armes par différents chemins et qu'on n'arriverait qu'un petit nombre à la fois. Le sieur François Le Roux, marchand de vin « bon citoyen et bon patriote » offrit sa maison aux voyageurs. Ceux-ci s'y rendirent, et les premiers arrivés furent surpris de constater que contre l'usage on chantait la grand'messe à huit heures et demie du matin.

Le juge de paix, Cabon, qui semblait craindre quelque émeute, vint au-devant du nouveau pasteur, ainsi que les sieurs Lerrou et François Le Roux.

La municipalité qui avait pris séance dès le matin s’étant ensuite dispersée, les hommes venus de Lesneven se virent obligés de se transporter chez le sieur Abjean, maire.

« On remarqua avec peine, dit le procès-verbal que le peuple rassemblé en foule ne voyait qu'à regret leur nouveau pasteur ; effectivement de la maison du sieur Le Roux jusque chez le sieur Abjean, on entendit beaucoup de propos aussi indécents qu'injurieux et qui ne tendaient qu'à animer le peuple et à l'exciter contre le sieur Le Gall et ses amis ; jusque aux sœurs du tiers ordre de saint Dominique, conduites par des prêtres réfractaires excitaient les enfants.

On ne fit aucune attention à ces propos, mais on remarqua avec horreur une demoiselle Donnon et sa sœur la demoiselle Draoullec cracher avec mépris sur le sieur Le Gall qui passait sous leurs fenêtres et tenir les propos les plus indécents.

On remarqua aussi que le clergé de Plouguerneau qui avait à sa teste un ci-devant noble parent dit-on de J : F : De la marche parcourait le bourg pour animer le peuple et pour l'engager à empêcher tout acte qui pût mettre le sieur Le Gall en possession de sa cure.

Rendus enfin à travers une foule d'hommes et de femmes dont les yeux semblaient annoncer la consternation et la menace, jusque chez le sieur Abjean maire ». Le sieur Le Gall lui déclara qu'il venait prêter le serment civique devant la municipalité et le pria de l'assembler ; il offrit de chanter la grand'messe. Le maire refusa, alléguant que la municipalité avait déjà pris une décision contraire aux vues du nouveau curé. Le Gall lui demanda une copie de la délibération de la municipalité et une attestation de sa propre proposition. Abjean répondit qu'il allait faire délivrer le tout par son greffier. Le Gall et ses amis déclarèrent alors se retirer chez Le Roux, où ils attendraient la copie promise, et par crainte d'émeute, ils prièrent le maire de les accompagner.

« Lors de cette prière, un sieur Abjean ecclésiastique frère du maire et qui paraissait, note le procès-verbal aussi ignorant que mauvais citoyen, entrant en fureur et palissant dit qu'il était étonnant que le sieur Le Gall et ses associés vinssent pendant la grand'messe pour prêter un serment contraire aux décrets, puisque dès le commencement de la Révolution on avait décrété la liberté d'opinion et notamment des opinions religieuses, qu'on ne pouvait donc regarder le sieur Le Gall que comme un perturbateur public et que jamais on ne le reconnaîtrait pour curé, que quand même il aurait 600 hommes pour l'installer on s'en f... ; le sieur Le Gall lui répondit tranquillement : eh bien, on en verra davantage.

Sorti de chez M. le maire et en sa compagnie le sieur Le Gall reçut de la demoiselle Donnon et de sa soeur les mêmes affronts qu'en allant, et parvenu au cimetière où il se trouvait grande affluence de peuple, le sieur Le Gall et ses amis en furent environnés dans un instant ».

Alors se présenta un notable, Yves Laot de Kergadaven, qui désavoua la signature qu'il avait donnée le matin à la délibération de la municipalité, n'ayant eu aucune connaissance, déclarait-il, de la lettre du directiore du district, ni de la délibération prise.

Le Gall demanda à célébrer une messe basse, mais devant le refus constant du maire et de la municipalité à recevoir son serment, Lefeuvre et Testard, hommes de loi, lui conseillèrent de n'en rien faire. « En conséquence il déclara se retirer chez Le Roux, et comme on était environné de deux mille hommes, que le bedeau cherchait à écarter, le sieur Abjean maire leur cria en breton, pour peut-être leur en donner l'idée (voulez-vous donc les assassiner), le sieur Le Gall et ses amis ayant pu se débarrasser de la foule, se rendirent chez le sieur Le Roux « où un instant après le maire, accompagné du procureur de la commune et du greffier remirent à Le Gall copie de leur délibération du matin ».

Au dire du procès-verbal « plus de 200 bons citoyens attendirent que Le Gall eut chanté la messe ».

Cabon juge de paix et Lerrou firent remarquer que depuis la Révolution on n'avait lu ni affiché les décrets de l'Assemblée nationale et qu'on avait affecté ce jour d'en garnir les portes de l'église et les murailles du cimetière.

Comme on était en danger dans le bourg de Plouguerneau et que les esprits s'échauffaient, on se borna à manger un morceau à la hâte et l'on monta à cheval ; dans ce moment plusieurs bons citoyens prièrent le sieur Le Gall de chanter les vêpres, ce qu'il dit ne pouvoir faire en représentant que le refus de la municipalité de recevoir son serment lui interdisait toute fonction curiale, qu'il en était ainsi désolé qu'eux.

En sortant du bourg le sieur Le Gall et ses amis virent qu'il était prudent de se retirer puisque plusieurs personnes (ici on a rayé Testard et Castaignet) et leur domestique furent hués jusqu'à la sortie du bourg (Arch. départ. Police générale du district de Lesneven, L 102-103).

Furieux d'avoir été ainsi joué, le district déclara, le 17 mai, que ces hommes « qui sous le voile de la piété cachent la torche de la Révolution méritent d'être déférés au Conseil des recherches de l'Assemblée nationale ». Il ordonne une assemblée générale des habitants et notables de Plouguerneau pour l'élection d'un pasteur. Elle est fixée au 19 mai, dans la chapelle de N.-D. du Val (Traon). Deux commissaires du district, s'y rendent, ils intriguent, ils menacent, mais rien n'ébranle les habitants de Plouguerneau; ils demeurent fidèles à leur Dieu, attachés à leur pasteur légitime. L'intrus Le Gall est rejeté de nouveau, et M. de Poulpiquet est élu à l'unanimité moins une voix.

Instruit des évènements qui s'étaient passés à Plouguerneau, le district de Lesneven en avisa le Département qui donna des ordres en conséquence. Le rapport rédigé par le district le 9 juin 1791 est fort instructif à cet égard. En voici un sommaire.

Les officiers municipaux de Plouguerneau, oublieux de leurs devoirs, se sont rendus réfractaires à la loi. Leur attitude est un pernicieux exemple, ainsi que celle de la population dont ils sont les représentants, exemple dangereux capable d'allumer le flambeau de la discorde dans les paroisses voisines. Les habitants de Plouguerneau dont la bonne foi ne fait aucun doute, ont été dupés « sous le voile spécieux de la religion ».

Ayant reçu le 21 mai, les ordres du Département, le district de Lesneven dépêcha un commis à Brest pour requérir les commandants des troupes de mer et des gardes nationales de cette ville de se concerter pour envoyer à Plouguerneau 600 hommes avec deux pièces de canon. Ces troupes arrivèrent à Lesneven le dimanche suivant 22 mai ; elles étaient commandées par Deschabort, capitaine du 30ème régiment d'infanterie, ci-devant Perche.

Ce même jour vinrent de Landerneau cinquante-trois hommes de la Garde nationale qui s'unirent à l'armée ; cinquante militaires de Lesneven firent de même, ainsi que cinquante soldats cultivateurs de Lambézellec, commandés par 5 officiers.

Des dragons de Brest, chargés de porter les ordres, des artilleurs, des chirurgiens, des apothicaires étaient à la suite de l'armée : « tout offrait un spectacle imposant propre à imposer aux habitants de Plouguerneau une soumission à la loi ». L'armée réunie à Lesneven formait un corps de plus de 900 hommes.

Le district s'occupa du logement des troupes, de leur ravitaillement, de leur fournir chevaux et voitures. Il transmit au commandant l'ordre formel de maintenir la plus exacte discipline.

Conformément à l'arrêté du Département, il nomma pour commissaires, MM. Le Jannic et Cren à l'effet de suspendre de leurs fonctions tous les habitants de Plouguerneau qui avaient concouru aux délibérations des 12, 15 et 19 mars 1'791 et de les faire remplacer par six commissaires connus par leur civisme.

Le dimanche 20 le procureur-syndic avait dénoncé à l'accusateur public près le tribunal de Lesneven les maire, procureur de la commune, les officiers municipaux et notables de Plouguerneau et déposé au greffe du tribunal toutes les pièces relatives à cette affaire.

Dès le lendemain, lundi 23 mai à neuf heures du matin, accompagnée des deux commissaires, l'armée se met en branle pour Plouguerneau. La population la reçut dans le plus grand calme, si bien que les commissaires décidèrent qu'elle reprendrait le lendemain le chemin de Lesneven. Cependant, comme le nouveau curé de Plouguerneau n'était pas encore installé, et pour prévenir des troubles éventuels un détachement de 110 hommes fut laissé dans la bourgade.

Pour éviter aux habitants de Lesneven un surcroît de dépenses, le district d'accord avec le commandant décida que les troupes repartiraient le mercredi ; ce qui eut lieu à la réserve de 100 hommes que les commissaires jugèrent bon de garder à Lesneven pour prêter main forte, en cas de besoin au détachement resté à Plouguerneau.

Dès le mardi 24 mars, le tribunal de Lesneven avait décrété de prise de corps le maire, le procureur de la commune, les 8 membres de la municipalité, et les 18 notables de Plouguerneau. Instruites de ce jugement, ces personnes s'étaient rendues à Lesneven le jour suivant pour se constituer prisonniers. Après un interrogatoire, les Poulpiquet père et fils furent provisoirement élargis sous leur cautionnement juratoire [Note : Vers la fin de mai, M. de Poulpiquet se retira à Saint-Pol-de-Léon et le 6 juillet il s'embarquera à Roscoff, pour l'Angleterre].

Et le rapport du district s'achève ainsi : « Le nouveau curé exerce à Plouguerneau ses fonctions, mais il est seul, et les autres prêtres de cette paroisse ne l'assistent pas en aucune cérémonie ; les habitants sont dans la plus grande tranquillité et attendent avec patience le jugement définitif. Ce que craignent le plus les accusés est d'être obligé de faire le voyage d'Orléans et de supporter seuls les dépenses » (Arch. départ. 10 L 103).

La municipalité ayant été dissoute, il fallait procéder à de nouvelles élections ; elles eurent lieu le 18 novembre 1791, et voici comment le sieur Le Gall en annonce le résultat aux administrateurs du district :

Plouguerneau, le 15 novembre 1791.
« Tout est allé au plus mal ici pour notre assemblée. Nous nous assemblâmes dimanche, dernier 13, à une heure après-midi. Tout alla bien jusqu'à cinq heures du soir ; la nomination des présidents et scrutateurs d'âge et tout ce qui s'en est suivi jusqu'à la levée de la séance, occasionnée par le trouble qu'ont causé les chicanes de Poulpiquet et des prêtres, a été le lendemain déclaré nul par le vœu même de l'assemblée. Ils ont consenti à se démettre des charges qui leur avaient été conférées la veille, croyant que dans la nouvelle élection, qu'on préparait de faire, on eût observé les formes, de manière à ne mécontenter personne. Il n'en a pas été ainsi ; on a commencé une nouvelle assemblée qui est nulle de plein droit.

1. Sans parler de l'obsession continuelle des prêtres non assermentés, dont l'effet était si sensible qu'un d'entre nous a osé m'interdire la parole lorsque j'étais en chaire pour expliquer le sujet et la forme du scrutin ;

2. Le président était René Le Jeune, de Coatguénan, le secrétaire Poulpiquet, dont aucun n'a prêté, d'une manière au moins sensible, le serment requis ;

3. Les sieurs Roudaut, Bleunven et Le Goff, prêtres depuis longtemps réfractaires et par conséquent privés de la qualité de citoyen actif, ont été nommés scrutateurs et ont pris place, en cette qualité, à la grande exultation de l'assemblée. Le bureau était plein de gens sans charge. On n'avait point de place pour écrire son billet sur ce bureau, et ceux même qui savaient écrire faisaient faire, ne pouvant mieux, leur billet en riant, par les prêtres, qui au lieu du serment requis par les décrets, n'ont donné à voix basse qu'une simple promesse ainsi conçue : « Je promets de bien remplir la charge qu'on m'a donnée », sans lever la main ni dire un mot de plus.

Jean-René Abjean a été réélu maire. Interpellé par moi de prêter serment, il m'a répondu qu'il ne le prêterait jamais dans les termes énoncés dans le décret, mais simplement celui qu'il avait déjà prêté lors de sa première entrée à la mairie. Il n'y a rien de plus clair, que la constitution est f... à Plouguerneau, si la constitution ne change pas de face ».

Les mois s'écoulaient et l'état des choses ne s'améliorait pas à Plouguerneau pour l'intrus ; il s'en plaignit dans une lettre fort longue adressée, le 1er mars 1792, aux Amis de la Constitution de Brest. Nous croyons devoir la donner malgré sa longueur, car elle fournil des détails intéressants sur l'attitude des habitants vis-à-vis du faux pasteur. La lettre porte cette suscription :

« Le Gall, curé de Plouguerneau, membre de la Société des Amis de la Constitution de Lesneven, aux Amis de la Constitution de Brest.

Il y a dix mois que je suis à Plouguerneau. Vous savez combien il m'a fallu surmonter d'obstacles pour m'y rendre et pour m'y établir, où plutôt vous n'en connaissez qu'une petite partie. J'ai trouvé, en y arrivant, un peuple presque cannibale, absolument révolté contre la Constitution plus encore que contre moi. J'y ai trouvé seize ecclésiastiques non assermentés, presque tous originaires du lieu, dominant absolument l'esprit du peuple. J'y ai trouvé des commissaires provisoirement exerçant les fonctions de la municipalité destituée, mais ne jouissant pas de l'esprit du public, tant à cause de leur peu de fortune qu'à cause de leurs défauts personnels. Je ne puis, cependant, nier qu'ils n'ont poussé leur autorité en faveur de la Constitution au delà même des bornes que leur peu de crédit dans la paroisse semblait leur marquer. J'y ai trouvé un juge de paix patriote, incomparable par la fermeté et le conseil, mais dont le crédit dans les affaires du temps est réduit à presque rien par l'ascendant des ecclésiastiques sur l'esprit public, quoiqu'il soit généralement estimé.

Réduit à si peu de force, je n'ai osé d'abord attaquer de front toute une paroisse si bien soutenue. J'ai pris le parti de me tenir sur ma défensive pour un temps, n'osant prévoir que les administrations de mon ressort me seconderaient dans un moment critique, aussi vivement que je le souhaiterais. J'ai mis ce temps à profit, j'ai tâché de me faire aimer et estimer par une douceur et une tranquillité à toute épreuve, quelquefois outrée aux yeux de gens accoutumées à la tyrannie des anciens Recteurs, mais cependant démentie par des moments de fermeté que des attaques trop vives me forçaient de faire paraître.

J'ai donc souffert jusqu'aujourd'hui avec patience toutes les injures dont on m'a chargé moi et mes parents, en public et en particulier, pour ne point m'attirer d'ennemis personnels ; mon père, âgé de 75 ans, et ma sœur ont reçu des coups, mes domestiques ont été attaqués, on a jeté des pierres jusqu'à l'autel pendant le service, quelques-uns de mes assistants ont été frappés, on m'a interrompu dans mes fonctions de la manière la plus indigne, j'ai tout souffert sans me plaindre aux administrations. A force de patience et d'insensibilité, je suis venu à bout de détruire dans l'esprit du peuple le principal motif de leur insolence à mon égard, l'intention d'exciter ma vivacité naturelle, au point de me faire commettre quelque faute grossière capable de me faire mépriser et de me perdre.

Cependant, cette mollesse, comme il a plu à quelques-uns de mes fameux administrateurs de l'appeler, a eu des inconvénients presque inévitables. Les prêtres, entreprenants par caractère et par esprit de corps, en ont profité pour exercer les fonctions publiques sans ma permission, et plusieurs fois contre ma défense consignée sur les registres de mariage de la paroisse. Voyant qu'on leur laissait le champ libre, ils n'ont cessé de prêcher la Contre-Révolution, tant au tribunal de la confession que dans les sociétés particulières, et même quelquefois en chaire. Ils ne s'en sont pas tenus là ; ils ont invité tous les fugitifs de votre District à chercher ici un refuge. On a vu ici pendant longtemps, une procession continuelle de prêtres de votre arrondissement, qui n'ont pas peu contribué, sans doute à endurcir le peuple dans ses idées d'insubordination. Actuellement, il y en a encore qui y disent la messe tous les jours sans mon aveu.

J'aurais bien désiré, Messieurs, pouvoir arrêter dès le principe des abus si préjudiciables au bon ordre ; mais que faire sans municipalité, sans garde, sans district, un seul homme ! Il y a bien une espèce de municipalité forgée contre toutes les règles par la cabale de messire Brescanvel de Poulpiquet, père de mon prédécesseur, et des prêtres réfractaires de cette paroisse qui ont figuré à l'assemblée primaire en qualité de secrétaire et scrutateurs, sans avoir prêté le moindre serment, composée pour la plupart des mêmes qui ont occasionné la descente des troupes à Plouguerneau lors de ma prise de possession. Nous nous étions réunis quelques patriotes et moi, pour rédiger un procès-verbal contradictoire au leur, le tout envoyé à Lesneven et de la au département. Ordre à la commune de Plouguerneau de choisir de nouveaux officiers. L'arrêté publié au prône, jour fixé et arrivé, arrive contre ordre de Lesneven, et nous en sommes encore là. Nous sommes si peu de hardis patriotes ici, que nous voyant abandonnés si cruellement par ceux de qui nous attendions justice, nous ne savons où donner de la tête.

J'ai donc enfin résolu, Messieurs, de m'adresser à vous.

J'ai eu le temps d'étudier le caractère du peuple avec lequel je vis. Voilà donc la position actuelle des choses.

Je viens de me déclarer publiquement, comme vous le le verrez par l'écrit cy-inclus [Note : Cette pièce devait être la déclaration publiée au prône de la grand'messe da 19 février 1792. Elle était conçue en ces termes et inscrite sur les registres : « Je soussigné Curé constitutionnel de Plouguerneau, déclare me réserver à moi seul la célébration des fiançailles, mariages, l'administration du presbytère, à l'avenir, jusqu'à ce que j'aie un vicaire assermenté, déclare au sieur Roudaut et à ses confrères non-assermentés que je suis décidé à poursuivre en toute rigueur celui d'entre eux qui s'avisera, contre ma défense, de faire aucune des susdites fonctions, soit en public soit en cachette »], tous les prêtres ont été absolument déconcertés dès ce moment. Les deux tiers de la paroisse même blâment hautement leur conduite à mon égard. Le jour de la publication de ce papier, je fis sans difficulté deux baptêmes de suite à la vue de tout le peuple assemblé. Deux des parties intéressées pour les noces qui n'avaient pas été faites le mardi précédent, jour fixé ad hoc, vinrent chez moi me dirent qu'ils se rendraient à l'église le lendemain pour être mariés. Tout allait bien ; voilà les prêtres à la traverse et tout est arrêté. Depuis ce, je n'ai fait ni noces, ni baptêmes, il y a eu deux enfants de ma paroisse baptisés à Guissény ; les femmes se font transporter à Tréménech, au risque de leur vie et de celle de leur fruit, pour avoir un prétexte d'y faire baptiser leurs enfants. Cette petite paroisse, où il n'y a que le Recteur, est réunie à la mienne par la nouvelle circonscription. Le District publie, le mois d'octobre dernier, cette suppression, ferme les yeux et s'endort. Quel désordre ! Quel confusion !

Plouguerneau a de tout temps donné le branle à tout le quartier et le donne encore, ses fautes accumulées, surtout le pillage affreux du vaisseau anglais Le Neptune, commencent à l'inquiéter beaucoup, Joignez-vous à moi pour obtenir de M. l'Evêque un ou deux vicaires à Plouguerneau avant Pâques et me délivrez enfin de ces seize enragés qui ne manqueront de tout perdre si on les tolère jusqu'alors ; réunion effective de Tréménech ; une loi rendant obligatoire le baptême des enfants dans le domicile réel des parents.

C'est la première fois que je me plains, et probablement la dernière ; il m'en coûte trop d'être forcé de dénoncer mes anciens camarades.

On m'accusera peut-être de vouloir grever de frais ces mêmes paroissiens que je devrais excuser et défendre ; mais la plupart désirent être libres, ils n'osent l'être, il faut les y forcer aux dépens de leur bourse, c'est la moindre chose ; moins riches, ils seraient plus soumis et ils écouteront peut-être avec plus d'intérêt l'offre que je leur ferai tous les jours des biens éternels pour remplacer ceux que leur obstination leur aurait fait perdre en ce monde.

Je suppose que la Constitution française est dans toute sa force ; mais si on ne nous rend pas justice à mes confrères constitutionnels et à moi, j'aurai lieu d'en douter, et alors, voyant que je ne pourrai plus la soutenir dans la place que j'occupe, il me sera permis de suivre l'exemple du métropolitain de la Seine-Inférieure, et de chercher une autre place en un autre état où je puisse mieux observer mon serment... ».

La lettre suivante écrite le 19 juin par le sieur Le Gall au département, montre sa situation difficile à Plouguerneau.

« M. Belval de Brest, me fait passer un décret de votre Directoire du 7 mai dernier, qui rend un témoignage des plus flatteurs à la conduite du Maire de Plouguerneau lors du dernier soulèvement des habitants égarés à l'occasion de l'arrestation de deux prêtres perturbateurs [Note : MM. Roudaut et Bleunven incarcérés au château de Brest] en me priant d'être auprès de lui l'interprète de vos sentiments et de lui présenter le tribut d'éloges de l'Administration supérieure. Comme je ne désire que la paix, j'ai saisi l'occasion qui se présentait de gagner l'amitié d'un homme qui jusqu'alors m'avait paru absolument contraire aux intérêts de la Constitution et aux miens. Quoique je fusse intimement persuadé que cet homme ne méritait pas un témoignage d'estime si glorieux pour lui, et que son patriotisme loin d'être désormais incontestable, selon les termes de l'arrêté, pouvait au contraire, être fort contesté, je l'ai prié de venir chez moi, l'ai invité à dîner, j'ai enchéri sur les éloges que vous lui donniez, j'ai fini par lui demander cordialement son amitié et proposer la mienne. Je vous avoue que je n'attendais pas beaucoup de succès de cette démarche qui, d'ailleurs, était dure et humiliante pour moi.

Je n'entre pas ici dans les détails des griefs que j'avais contre lui, sa famille et toute la municipalité. Je passe sous silence l'entêtement de cette famille, la plus considérable de la paroisse, et de toute la municipalité, à refuser de me reconnaître comme légitime curé, leur obstination à me procurer toutes sortes de mortifications et à me témoigner du mépris, ainsi qu'à mes parents ; leur orgueil, leur prépondérance dans la paroisse, leur liaison d'amitié et de parenté avec des prêtres réfractaires, toutes ces choses ne me laissaient que peu d'espérance de réussir.

En effet, ce que je prévoyais est arrivé : cet homme hautain est insensible à ma démarche. La municipalité se contente pour éviter les troubles, de défendre d'en exciter. Ce n'est pas la première fois qu'elle a fait de pareilles défenses, toutes jusqu'ici infructueuses ; elle s'avise de faire des lois qui existent depuis longtemps de la part d'une puissance supérieure à la sienne, elle me les donne à publier au prône devant trente ou quarante patriotes au plus qui y assistent, et desquels je n'ai rien à craindre ; pas un officier municipal ni notable n'est présent à ces publications ; ils vont tous en bande, en sortant de leur chambre, à la grand'messe à Tréménech, ou bien ceux qui n'y vont pas restent dans le cimetière ou à l'auberge pendant celle de leur paroisse. Quel effet, quel poids peuvent avoir des arrêtés semblables, d'après une telle conduite ?

Sans me plaindre nommément d'aucun particulier, je me borne à vous mettre sous les yeux la conduite des officiers publics pendant l'octave de la Fête-Dieu dernière.

D'après le refus du maire et de la municipalité d'assister à la procession solennelle le jour de la fête, je déclarai au prône, à mes assistants, que je ne sortirais désormais de mon église pour aucune cérémonie solennelle, jusqu'à ce que nous la puissions faire en sûreté... L'événement a démontré que j'avais raison.

Aux Rogations, on m'avait jeté des pierres, on avait lâché des chiens sur nous.

Le jour de la Fête-Dieu, nous nous hasardâmes à faire la procession autour du cimetière. Tout le monde sortit des maisons pour nous regarder, les uns sans daigner s'agenouiller, les autres riant, causant et commettant beaucoup d'autres indécences, de sorte qu'il a été aisé de voir qu'ils ne paraissaient là que pour tourner en dérision le Dieu que je portais, notre cérémonie et le petit nombre de citoyens qui aidaient à la faire. Tandis qu'à Tréménech, petite paroisse enclavée dans la mienne et non encore fermée, malgré vos ordres réitérés, le peuple était alors réuni au nombre de cinq mille âmes, qu'on y avait affecté de construire des reposoirs superbes et de planter des pavillons, ce qui ne s'était jamais vu jusqu'alors, enfin de donner à la cérémonie le plus de splendeur possible, ce qui faisait un contraste frappant avec la triste procession que nous osâmes faire autour de notre église autrefois si brillante, mais actuellement remplie de décombres, étant en réparations depuis deux ans. Figurez-vous que cette municipalité presqu'entière ne manque pas d'aller adorer le Dieu de Tréménec'h, après avoir tourné le dos à celui de Plouguerneau.

Pendant toute l'octave, nous avons vu les mêmen indécences, les mêmes atrocités. Le sieur de Poulpiquet-Brescanvel, seul ci-devant noble de la paroisse et père de mon prédécesseur, quand M. Cariou, vicaire, lui a reproché son indécence, le dimanche 10 courant il a répondu par des injures et des menaces, disant : « Ne faites pas tant de bruit, vous n'êtes pas pour longtemps ici ». Enfin, nous avons été réduits à désirer ardemment la fin de l'octave, outrés des insultes que recevait entre nos mains, tous les jours, le Créateur de l'univers.

« Vous devez entrevoir qu'à peine sommes-nous en sûreté de la vie ; on nous insulte, on nous attaque tous les jours ; dans notre cour, dans notre jardin, et pour peu que nous sortions, les pierres, sans savoir d'où elles nous viennent. Plus de baptêmes, plus de sacrements, plus de respect pour les lois divines et humaines, tout est dans le désordre et l'anarchie. Les coupables ne sont pas punis, on devrait agir comme à Plabennec, Plouguin, Plouvorn, et faire payer les frais de l'envoi des troupes ».

Le sieur Le Gall ne devait pas tarder à se lasser d'une telle résistance ; nous le voyons, l'année suivante, 12 août 1793, curé de Plonéour-Trez, écrivant au district de Lesneven pour lui demander l'impression d'une traduction, en breton, de la Constitution, qu'il venait de faire pour l'instruction de ses paroissiens qui n'assistaient pas sans doute, plus nombreux à ses prônes à Plonéour qu'à Plouguerneau (Peyron, Documents pour servir, I, p. 256-267).

***

Le 1er mars 1792, M. Le Gall adresse une longue lettre à ses confrères, les membres de la Société des Amis de la Constitution de Lesneven. En voici un sommaire :

Arrivé à Plouguerneau en mai 1792, il y trouva un peuple presque cannibale, absolument révolté contre la Constitution : on lui cracha dessus et on frappa ceux qui l'accompagnaient. Seize ecclésiastiques non assermentés, presque tous originaires de la paroisse, dominaient le peuple. Il se tint sur la défensive, essayant de désarmer les opposants par son inaltérable patience. Mais il n'a guère réussi ; les femmes vont accoucher à Tremenech pour y faire baptiser leurs enfants. Il faut que l'Evêque lui envoie un vicaire ou deux pour les Pâques, ordonne de baptiser les enfants dans leur paroisse, etc. etc. ou bien il lui faudra changer de paroisse ou même d'état « où je puisse mieux observer mon serment ».

Le 18 mars 1792, François-Marie Cariou, envoyé à Plouguermeau pour y remplir le poste de vicaire se présenta à la municipalité qui reçut son serment civique. Quant à M. Le Gall, il continue d'être aux prises avec la municipalité.

Le 25 mars 1792 le procureur syndic déclare au conseil municipal « qu'il est venu à sa connaissance que le sieur Le Gall, curé de cette paroisse, s'est emparé des ornements et calices de la fabrique, de son autorité privée, sans donner aucune décharge au général de la paroisse, requérant en conséquence qu'il soit enjoint au trésorier en charge de faire les perquisitions nécessaires ». Le 3 avril, Le Gall doit se présenter devant la municipalité avec les vases sacrés, dont on dresse un inventaire, ainsi que des ornements. Il en est donné un reçu « le tout sous la sauvegarde et la surveillance de Vincent Abguillerme, trésorier en charge de la paroisse de Plouguerneau », auquel la municipalité enjoint de délivrer les effets nécessaires pour dire la messe à tout prêtre qui aura droit de célébrer dans l'église paroissiale.

Menacé d'outrages pendant la procession de la Fête-Dieu, M. Le Gall se voit contraint, pour les prévenir, de faire appel à la municipalité. Les paysans ne se contentent pas de le huer aux processions, de troubler toutes les cérémonies qu'il préside, ils le taquinent de la façon la plus ingénieuse et la plus désagréable. Après avoir fait baptiser leurs enfants par les prêtres insermentés de la paroisse, ils vont ensuite les présenter au curé pour qu'il les enregistre. M. Le Gall prétend d'abord les baptiser, les paysans répondent que la loi les laisse libres de suivre n'importe quel culte et même de n'en suivre aucun, qu'ils adoptent ce dernier parti et ne veulent plus de baptême pour leurs enfants. Le curé refuse d'enregistrer les enfants qu'il n'a pas baptisés [Note : Ces refus sont constatés en août, les 3, 6, 10, 28, 31 octobre, les 1 et 27 novembre], les parents portent plainte à la municipalité qui trouve leur réclamation très bien fondée et adresse aux administrateurs du département une protestation contre les exigences illégales de M. le curé.

Le malheureux Le Gall subit tant de tracasseries de la part des paysans et de la municipalité qu'il finit par abandonner la partie. Libéré de Plouguerneau, il accepte le 9 janvier 1793 la cure de Plounévez-Lochrist. Deux jours plus tard le district demande à la municipalité d'aller prendre à Lesneven son successeur, le citoyen Guillaume Moreau. L'installation du nouveau curé eut lieu le dimanche 13 janvier. Accompagné de M. Le Gall, il prête serment dans la maison commune, puis après avoir chanté la messe, il adresse une exhortation aux assistants ; un salut du Saint-Sacrement clôt la cérémonie. Au procès-verbal d'installation signent les deux ecclésiastiques puis du Couédic, procureur syndic du district.

Guillaume Moreau essaie d'abord de s'entendre avec la municipalité. Pour lui être agréable il renonce à l'enseignement du catéchisme qui est confié par les municipaux, à Jean-Marie Queinec, du bourg ; celui-ci, en présence de l'assemblée fait le serment d'enseigner le catéchisme aux enfants dans l'église à la place du citoyen Moreau et de les instruire dans la religion catholique, apostolique et romaine [Note : Archives de Plouguerneau — Le 11 mars la municipalité décide de payer à Guillaume Charles, chantre, la somme de 200 livres pour un an de traitement]. Puis voici que le nouveau curé prend l'offensive. Le 30 avril il adresse « au citoyen Expilly, évêque du département du Finistère », la lettre suivante :

« CITOYEN,
Le fanatisme existant continuellement dans ma paroisse, je me vois forcé de vous dénoncer la municipalité, et vous prie de la faire supprimer et de faire nommer une autre d'office. Vous n'ignorez pas que dans les campagnes surtout de Léon cy devant, il n'y a que la religion qui les gêne ; la preuve est que vous n'avez qu'à interroger un habitant de campagne, demandez-lui s'il est bon patriote, la réponse qu'il vous donnera est celle-cy : « Oui Monsieur, je vais toutes les fêtes et dimanches à la messe de mon curé ou vicaire constitutionnel ». Ce n'est donc que la religion qui les gêne et vous ne les entendez presque pas parler des autres affaires. En conséquence, citoyen, j'espère que vous ne manquerez pas d'en faire mention au département et de faire remplacer la municipalité de Plouguerneau le plus tôt possible.

1° Elle n'est pas du côté de la Révolution ;
2° C'est qu'elle est toute d'une même famille et ils sont tous proches parents ;
3° C'est qu'elle n'est pas suivant la loi puisqu'il n'y a aucun officier public, c'est-à-dire le greffier fait bien ses fonctions, mais c'est contre la loi ;
4° Il y a eu deux officiers municipaux dans les villages engager des jeunes gens à aller porter du secours aux autres révoltés de Lannilis et de Plabennec ; de même pour le juge de paix qui est l'ami de la famille. De plus, citoyen, je vous dirai qu'il existe au moins 24 prêtres réfractaires dans ma paroisse sans que je puisse en connaître aucun et presque tous parents de la municipalité et du juge de paix, et tous déguisés en paysan. Donnez-en connaissance au citoyen Daniel administrateur et il vous donnera les éclaircissements possibles au sujet de ce que j'avance.

J'espère, citoyen, que vous ferez tous vos efforts pour tâcher de faire naître le patriotis (sic) dans cette paroisse si citée par son fanatisme, en faisant remplacer la municipalité et le juge de paix.

Je vous prierai de plus, vouloir bien me faire avoir une cloche à ma paroisse pour le service du culte, puisqu'il n'y a pas eu de tocsin sonné en cette paroisse, et suis en attendant une définition et une réponse de votre part, Votre très humble et compatriote Curé de Plouguerneau » (Archives départementales).

Le 26 mai Guillaume Moreau, alors commissaire, Archives départementales considérant les insultes qu'endura le citoyen Le Gall, ex-curé, l'an dernier, pour la procession d'aujourd'hui qui est dans l'habitude d'aller au Grouanec comme chapelle oratoire, requiert deux officiers municipaux vêtus de leur costume pour le maintien du bon ordre ». Il s'agit de la grande procession des reliques. Le 30 mai il dénonce les jeunes gens « coupables d'avoir insulté la divinité pendant la procession de la Fête-Dieu » [Note : Le 8 juin, à l'occasion d'une réquisition des armes, il déclare « qu'il a un fusil de chasse avec un pistolet non propre à gendarmes ni à dragon »].

De juin au début de septembre quelques incidents se produisent.

Le 14 juin procès-verbal est dressé par la municipalité contre Jean-Marie Provost qui a donné la croix à un homme en l'absence du curé. Cet homme, un bâton en main, fait un boucan terrible au bureau municipal, il menace René Pellé, bedeau de la commune, le couvrant de mille injures, disant « qu'il est peu en peine avec la municipalité et qu'il en est le maître ».

Le 17 juillet un ivrogne brise un ciboire que le maire dépose le lendemain dans la chambre aux archives, avec quatre calices, trois patènes, cinq boîtes à extrême-onction, les reliques des saints Pierre et Paul, des chapelles Saint-Quénan, Saint-Antoine et N.-D. du Grouanec, et de la croix sacrée.

Le 1er septembre des vols ont lieu à la chapelle Saint-Michel. D'autre part des chiens enragés circulent dans le pays. Ce qui amène la municipalité à demander au district de lui restituer les armes qu'elle y avait déposées.

Le 30 septembre arrive à Plouguerneau un détachement de Brest comprenant un sous-lieutenant, un sergent, deux caporaux, un tambour et vingt-six volontaires. Le 8 octobre ces soldats, accompagnés du procureur et d'un notable se transportent à Tréménec'h, y arrêtent au presbytère les deux servantes du « ci-devant curé », pénètrent dans l'église, y prennent deux nouvelles bannières et quelques fanaux, qu'ils rapportent à la municipalité. Ils mettent également en arrestation des femmes Le Goff, Marie Kervella, deux femmes Cabon, puis Jeanne Le Roux.

Le 1er décembre la municipalité prie les administrateurs du district d'avoir égard aux ci-devant sœurs et domestiques des prêtres, émigrés, et déportés qui sont internés à Lesneven, déclarant qu'il est de la plus grande utilité que ces femmes de Tréménec'h et Plouguerneau reviennent dans leurs ménages. Elle se charge de veiller sur leur conduite.

Le 29 brumaire an II (19 novembre). Guillaume Moreau reçut du commissaire administrateur du département la lettre suivante : « Je vous dépêche un dragon pour vous prier de me donner des renseignements sur votre canton, les noms des personnes qui vous paraissent suspectes, surtout les nobles et parents d'émigrés qui sont dans votre arrondissement, avec les noms de leurs demeures et la paroisse. S'il y avait des prêtres réfractaires, je vous prie de donner leurs noms et ceux des personnes qui les recellent. Vous obligerez un partisan de la chose publique ».

Accompagné de soldats, Moreau fit une perquisition de nuit au hameau de Perros. Des paysans arrivent, bousculent les soldats, et désarment quelques-uns, les autres fuient.

Lassée des procédés autoritaires de son turbulent curé, la municipalité, par l'entremise du juge de paix, finit par porter plainte au district. Au début de décembre 1793, le directoire députe à Plouguerneau un commissaire enquêteur. Et voici que le 14 frimaire an II (4 décembre) le tyranneau en soutane décide de se retirer à Pleyben. Voici sa déclaration : « Je soussigné Guillaume Moreau, curé de la paroisse et commissaire de Plouguerneau, après la connaissance de la loi de la Convention nationale qui déclare que tous les prêtres inquiétés par les habitants de la commune pourra (sic) se retirer où bon lui semblera, en conséquence me voyant journellement au péril de mes jours dans ma paroisse, je déclare me retirer en la paroisse et canton de Pleyben Saint-Germain, district de Châteaulin, département du Finistère, pour y exercer mes fonctions, m'obligeant à me rendre à mon poste aussitôt que la paroisse sera revenue de son erreur fanatique et lorsque je serai requis par une députation de ladite paroisse. Fait le 14 frimaire an II de la République ».

Six jours après son départ, le 20 frimaire, la municipalité trouve cette phrase qui ne manque pas de saveur : « L'assemblée, considérant que le curé et vicaire, loin de faire du bien dans la commune, ne font et ne feraient que mettre la discorde et la désunion, est unanimement d'accord et même d'avis de faire cadeau à la Nation de leur traitement et ne veut aucun curé ni vicaire ».

Là-dessus se clôt le drame que fut l'histoire religieuse de la paroisse du début de la Révolution à la fin de 1793. Après l'affirmation sereine des principes catholiques par M. de Poulpiquet et ses vicaires ce fut le conflit entre une municipalité très avisée et les deux constitutionnels Le Gall et Moreau, terminé par la défaite de ces derniers. La commune de Plouguerneau, débarrassée de son clergé schismatique, n'eut plus de culte officiel. L'église fut convertie en magasin pour le blé confisqué sur les accapareurs (Archives de Plouguerneau).

***

Que devinrent dans la tourmente les vicaires et prêtres habitués de Plouguerneau ?

Le 29 avril 1791 le commissaire du département enjoignit de faire partir de Brest pour Plouguerneau, à l'entrée de la nuit, deux gendarmes qui se tiendraient cachés dans cette bourgade pour essayer de saisir le sieur Le Goff et d'autres prêtres réfractaires. S'ils réussissent à s'en emparer, ils les conduiront à Lesneven. Le commissaire se fiant au zèle et à l'intelligence des gendarmes les invitent à procéder dans le plus grand mystère.

Goulven Appamon fut détenu aux Carmes de Brest du 12 juillet au 27 septembre 1791. Au cours de son séjour dans cette maison, il adressa une réclamation au district de Lesneven, faisant remarquer que n'étant pas fonctionnaire public, il n'était pas compris dans l'arrêté du département (2 juillet 1791). Il ajoutait que c'est à tort qu'on l'accusait d'avoir refusé de se découvrir devant le Saint-Sacrement porté par le curé constitutionnel de Plouguerneau.

Poursuivi de nouveau, il écrit au Roi le 12 janvier 1792 que le département, par un arrêté sanguinaire, vient encore de le traquer : « Il y a longtemps, Sire, note-t-il, que le suppliant couche avec les lapins et les bêtes fauves, tantôt dans un bois, tantôt dans une garenne. Daignez donc, Sire, vous faire rendre compte de cet arrêté inhumain qui a jeté tant de victimes au château de Brest et en fait poursuivre tant d'autres... ».

La paroisse de Plouguerneau comptait trop d'amis des prêtres pour qu'il fût facile de saisir ces derniers ; aussi, les commissaires du département, Belval et Daniel essayèrent-ils d'un autre moyen pour s'emparer des prêtres fidèles de cette paroisse. Le 30 avril 1792, ils écrivaient à la municipalité :

« Nous requérons le Maire et les Officiers municipaux de Plouguerneau de remettre à la Croix-Rouge, près du Folgoët, les sieurs Roudaut et Bleunven. Si la municipalité ne remplit pas cet engagement, nous la prévenons que demain la garnison se rendra en la paroisse de Plouguerneau et y restera jusqu'à ce que les hommes ci-dessus désignés soient rendus en la ville de Brest ; défendons en outre à tout prêtre non-conformiste de remplir aucune fonction ecclésiastique dans l'étendue de la dite paroisse, sauf à la dite municipalité de répondre des infractions aux ordres qui lui seront adressés » (Peyron, Documents pour servir, I, p. 262).

Le lendemain, 1er mai, MM. Bleunven et Roudaut se laissèrent arrêter et ils furent conduits au château de Brest. Le 12 août suivant ils étaient déportés en Espagne.

Rentré d'exil, Bleunven sera vicaire à Plouguerneau où il mourra en 1808. Quant à Roudaut d'après une note de M. le chanoine Peyron, il serait mort en 1793 à Santander.

Le 22 juillet 1792 la municipalité de Plouguerneau assure au district qu'il n'y a sur le terrain de la commune aucun prêtre non assermenté, que les sieurs Le Gall et Cariou vicaire sont les seuls prêtres qui forment son clergé.

Le 9 août Louis Guillier et Augustin Poulain, commissaires extraordinaires du département, présents à Plouguerneau enjoignent aux municipaux qu'ils aient à faire saisir et faire conduire au château de Brest tous les insermentés qui se cachent dans leur arrondissement, excepté les septuagénaires et infirmes qui ne causent point de troubles, sous peine de payer eux-mêmes les frais qu'occasionnerait leur capture, et de répondre solidairement de tous les événements qui pourront résulter de la permanence de ces réfractaires dans le dit arrondissement.

Le 27 août Pruné, commissaire-délégué, demande à la municipalité de faire annoncer au prône par le greffier les 72 livres promises le 18 août précédent par le département pour la capture d'un prêtre non assermenté, et il lui rappelle qu'une loi la rend responsable de la résidence des prêtres dans l’arrondissement et des messes qui s'y disent.

Le 23 mars 1793 le district écrit aux municipaux : « Assurez l'exécution de la loi... sinon nous vous poursuivrons... L'exemple de Plabennec et de Lannilis est frappant, évitez-vous de pareils malheurs, écartez de vous les suggestions perfides de vos prêtres réfractaires et des émigrés qui vous fanatisent... ».

Au mois de décembre les officiers municipaux de Plouguerneau saisissent, chez la veuve Potin, au Vieux-Grouanec, des souliers, des bas, un bréviaire, six cahiers de sermons bretons appartenant à M. Le Goff, vicaire.

A la faveur de la période moins troublée qui suivit la chute de Robespierre et de la proclamation de Guesno et Guermeur, les prêtres fidèles sortirent de leurs cachettes.

Voici une pièce intéressante où MM. Botorel, Balcon, Le Goff et Appamon, de Plouguerneau, et Caill, recteur de Tréménec'h, expliquent leur attitude.

« Le 14 messidor, 3ème année républicaine (2 juillet 1795). Séance publique de la municipalité de Plouguerneau présidée par le citoyen François Le Roux maire, assisté des citoyens officiers municipaux et notables présents. Le citoyen Yves Cahon, procureur de la commune.

Se sont présentés : Les ministres catholiques romains résidants dans cette commune faisant la déclaration suivante : « Les ennemis des ministres du culte catholique romain, ci-devant détenus ou cachés à raison du refus du serment, ne cessent de leur imputer d'être réfractaires à la loi et d'insinuer qu'ils sont en révolte contre le gouvernement.

Les dits ministres ne sont point et n'ont point été réfractaires à la loi. Une loi a prescrit aux fonctionnaires publics de jurer la ci-devant constitution civile du clergé ou d'abandonner leurs bénéfices ; ils n'ont point fait le serment, mais ils ont abandonné leurs bénéfices, ils ont donc obéi et ils ne sont point réfractaires. Ils ne sont point, ils n'ont point été et jamais ils ne seront en révolte contre le gouvernement.

Disciples d'un maître qui leur a dit que son royaume n'est pas de ce monde, ils sont par principe et par état soumis au gouvernement civil de tous les pays qu'ils habitent. Lorsque Jésus-Christ a envoyé ses apôtres prêcher l'Evangile dans tout l'univers, il les envoya dans les républiques comme dans les monarchies. Et telle est l'excellence du culte catholique toute divine, qu'elle s'adapte à toutes les formes de gouvernement. Dire que le culte catholique romain ne peut s'exercer dans les républiques comme dans les monarchies, c'est calomnier ce culte et ses ministres.

Tels sont, tels ont toujours été nos sentiments.

A Plouguerneau, ce jour second juillet 1795 (v : s :) 14 messidor, an III de la République française, une et indivisible et ont signé requérant acte et copie de leur déclaration. Signé : Jean Botorel, prêtre catholique romain, ancien curé de Plouguerneau ; Le Caill, prêtre catholique apostolique romain, ancien recteur de Tréménec'h ; Balcon, prêtre catholique, apostolique et romain ; Le Goff, prêtre catholique romain ; G. Appamon, prêtre catholique romain de Plouguerneau.

De tout quoi, la municipalité a donné acte pour l'exercice du culte dans les édifices accordés par le district. Maison commune de Plouguerneau. Le jour, mois et an ci-dessus ».

Suit une quinzaine de signatures d'officiers municipaux ou notables (Archives de Plouguerneau).

Caill demanda à fixer sa résidence à Kernilis, les autres ecclésiastiques à Plouguerneau.

Le 3 décembre 1795, pour répondre au citoyen Hergouarch, commissaire provisoire du pouvoir exécutif près la municipalité du canton, la municipalité déclare qu'elle a fait toutes les recherches possibles pour s'assurer des personnes des prêtres réfractaires ci-devant domiciliés dans le canton, qu'elle ne les a pas trouvés dans les maisons qu'ils habitaient avant la promulgation de la loi du 4 brumaire dernier (26 août 1795), qu'elle n'a pu découvrir l'asile où ils se sont retirés dans le cas où ils seraient restés dans le canton, qu'enfin elle a rempli et remplira toujours ses obligations à ce sujet.

Il est bien clair que la municipalité de Plouguerneau, ne voulant pas trahir les prêtres cachés, ferma les yeux et manœuvra de façon à rendre infructueuses ses perquisitions.

Le 29 messidor an VI (30 juin 1798), Jean-Marie Loaec, commissaire du directoire exécutif près la municipalité de Plouguerneau, requiert de « prendre sans désemparer les mesures nécessaires, de faire des visites domiciliaires qui auront pour but l'arrestation de tous les agents de l'Angleterre, les émigrés rentrés, les prêtres déportés rentrés ou sujets à la déportation, les brigands et chauffeurs, les chefs de chouans qui n'ont pas déposé les armes ou les auront reprises après l'amnistie, et toutes les personnes étrangères ou autres trouvées sans passeport ».

Le 19 germinal an VIII (9 avril 1800) se présente devant la municipalité Yves Laot ancien recteur d'Ouessant, né à Plouguerneau le 13 septembre 1746, pour y faire cette déclaration pleine d'intérêt : « En 1792 je n'étais absent ni de la France que je n'ai jamais quittée, ni même du département du Finistère. D'Ouessant je me rendis à la prison des Carmes le 16 juillet 1791 ; sorti de cette maison le 27 septembre de la même année je me rendis à Plouguerneau où j'ai habité librement et publiquement jusqu'au début de juillet 1792. Je me cachais alors à Plouguerneau tantôt ici tantôt là, et toujours sur la section, qui, par l'effet de la circonscription des paroisses a fait partie de Kernilis, jusqu'en vendémiaire an IV (Septembre-octobre 1795).

Mon mobilier fut réquisitionné en septembre 1792 et vendu publiquement en juillet 1793.

Dans les premiers temps où je n'ai pu sans risque me montrer j'ai demandé et obtenu des passeports pour suivre mes affaires dans l'intérieur du département, et je n'en suis jamais sorti. J'ai été compris dans l'état de la population de Plouguerneau eu exécution de la loi du 10 vendémiaire an IV.

Une preuve entre autres que j'ai résidé à la connaissance des ennemis du culte et de la liberté, c'est qu'ils ont sans relâche fait des recherches de ma personne sur cette commune pendant l'époque de la Terreur. Au surplus, j'espère et dois espérer que les membres de l'administration, tous dévoués à la scrupuleuse justice et à la vérité, ne refuseront pas d'attester ma résidence.

J'ai demandé acte de mes réclamations et du dépôt que j'ai fait d'un certificat de comparution délivré par l'agent national du district de Lesneven le 29 germinal an III (18 avril 1795), d'un acte de ma soumission aux lois délivré par l'administrateur le 14 messidor an III (2 juillet 1195), et de deux passeports du 15 du même mois et du 19 thermidor an V (6 août 1797), d'un certificat de résidence dans la commune de Plouguerneau du 2 avril 1792 approuve et vérifié par l'administration du district de Lesneven, le 25 mai de la même année.

Y. Laot, prêtre catholique romain ».

Le 14 floréal an VIII (4 mai 1800), Jean Bothorel déclare fixer sa résidence à Plouguerneau. Jean Balcon reparaissait dans la société, « après être resté sans se montrer pendant que les lois dont on a reconnu l'injustice l'exposaient à la déportation, si on avait eu connaissance de son asile, vient déclarer devant la municipalité qu'il entend fixer son domicile dans cette commune, le tout, afin que l'administration puis se exercer à son égard la surveillance, persuadé qu'il n'aura pas à craindre ». Signé J. Balcon, prêtre catholique romain.

François Le Goff, Goulven Appamon et Yves Laot firent le même jour la même déclaration (Archives de Plouguerneau).

***

Voyons maintenant ce qu'il en advint des édifices religieux et de leur mobilier.

Le 9 août 1792 Louis Gallien et Augustin Poulain, commissaires extraordinaires du département se présentèrent à Plouguerneau et posèrent un questionnaire à la municipalité.

Relevons les réponses suivantes, remises le jour suivant.

Les trésoriers des églises et chapelles n'ont pas encore rendu leurs comptes. — Il ne se dit plus de messe dans aucune chapelle. — Les chapelles sont demandées comme oratoires et on attend là décision du département sur cet objet, pour faire descendre les cloches. — On ne connaît plus d'agitateurs, M. le curé est environné de l'assistance municipale. — Il n'existe aucune confrérie, ni association.

Avant le 19 août, la municipalité transportera à Lesneven tous les ornements des paroisses supprimées et des chapelles de l'arrondissement, ainsi que l'argenterie et les autres effets appartenant au culte, elle mettra les scellés sur les chapelles du Christ, Grouanec, Saint-Garan ou Cava, conservées comme oratoires, lesquels scellés seront levés à la première réquisition du curé. — Les églises et chapelles supprimées sont : Tréménec'h, Le Val, Saint-Michel, Kerodern, Sainte-Anne, Saint-Quénan, Coatquénan, Locquevenoc, Pratpaul, Lesmel. — On descendra les cloches pour les mettre en dépôt au chef-lieu de canton, et on les fera partir au premier ordre [Note : On demande également une liste des émigrés ou ci-devant nobles. — Le 30 octobre 1792 le district déclara avoir laissé une vierge d'argent doré et la croix d'argent doré aux habitants, qui ont donné en échange des couverts, tasses, bagues pour le même poids].

Dans une séance du 16 août, la municipalité déclare qu'il y a trois chapelles succursales, Le Grouanec, Saint-Garan et Le Christ, que six chapelles appartiennent à la Nation : Locquevenoc, Sainte-Anne, Saint-Quénan, Pratpaul, Le Val et Saint-Antoine, que d'autres sont enclavées dans les terres de particuliers : Kerodern, Coatquénan, Kerantres (?), Kerily, Saint-Yvi, Lesmel et Kergasquen.

Le 27 août, Pruné, commissaire-délégué, arrête de faire fermer toutes les églises et chapelles supprimées, après l'inventaire de leur mobilier. Le jour suivant la municipalité se déclare hors d'état d'exécuter les ordres du district de crainte d'être assommée par les habitants de leur commune, dont ils sont continuellement menacés. Le directoire de Lesneven envoie à Plouguerneau une garnison de 150 hommes et un canon. Les municipaux se décident alors, bien à contre-cœur, à saisir le mobilier des chapelles, mais en se faisant escorter d'un détachement de dix hommes et d'un sergent. Ils finissent par livrer au district un capital de 6.450 livres. Le 12 février 1793 ils envoient 3.086 livres provenant des caisses des confréries et des chapelles supprimées. C'est en vain qu'ils demandent cette somme pour réparer leur église et agrandir leur cimetière.

Le 19 mai l'assemblée municipale prend en considération le patriotisme de ses concitoyens parce que différents citoyens se sont empressés de vouloir porter en procession les reliques des saints de la paroisse. Considérant que les reliques qui se trouvent à N.-D. du Grouanec sont sous les scellés apposés le 1er septembre 1792 par Breton, administrateur et commissaire du district, les municipaux invitent le citoyen Breton, actuellement dans le bourg, de prendre le jour suivant, d'accord avec le maire et Jean Roudot, officier municipal, les reliques, et d'y rétablir les scellés.

Le 26 juin eut lieu le transfert à Lesneven des cloches des églises et chapelles [Note : Elles avaient été descendues au moment de la révolte des paysans à Lannilis, pour empêcher qu'elles ne sonnent le tocsin] Les charrettes furent accompagnées du maire Le Jeune et d'Etienne Roudaut, officier municipal.

Le 19 août la municipalité se transporte à la chapelle Saint-Cava, où des malfaiteurs ont pénétré six jours plus tôt et qui depuis est demeurée ouverte du fait de l'effraction de la serrure.

Le 26 juin 1794 eut lieu l'inventaire de l'église paroissiale ; le jour suivant ce fut au tour de la chapelle des sépulcres ou Saint-Conan. Le 21 juillet la même opération se fit aux chapelles Saint-Garan, Saint-Antoine, Saint-Quénan, Saint-Claude de Kerodern, et de Lesmel.

Le 14 juillet furent inventoriés certains objets venus des chapelles du Grouanec et de Kerodern, déposés dans la chapelle Saint-Conan (Archives de Plouguerneau).

***

Plouguerneau, à la fin de l'année 1791 la perception des contributions faite par Goulven Abjean s'opéra facilement et sans résistance. Quant à l'emprunt forcé sur les riches, prescrit par la loi du 3 septembre 1793, la municipalité déclare « qu'il n'existe, en cette commune, à sa connaissance, aucun individu dont les revenus et bénéfices commerciaux soient assez considérables pour le soumettre à l'emprunt forcé ».

Le 11 mars 1794 des chars et des mulets furent réquisitionnés ; des charrettes l'avaient été le mois précédent.

Parfois, ces réquisitions sont accablantes. En août 1794, Plouguerneau reçoit l'ordre de fournir dans un délai : 3 récoltes, 850 quintaux de froment, 680 quintaux de seigle, 20 quintaux d'avoine et 200 quintaux de paille.

L'année suivante le contingent imposé à la commune s'élève à la formidable quantité de 8.440 quintaux de grains.

Cette fois les paysans résistent ; on leur envoie 300 garnissaires et ce n'est qu'au bout d'un mois environ qu'ils se soumettent.

Un arrêté du département prescrit d'organiser partout les gardes nationales ; la municipalité de Plouguerneau ne put recruter qu'un seul volontaire, le sieur Pierre Sérot. Le 3 mars 1793, Plouguerneau fournira une garde nationale de 53 hommes.

Le 25 février, la Convention ordonna une levée de 300.000 hommes. Le district de Lesneven, fixe le contingent de Plouguerneau à 27 hommes. Le 18 mars, jour désigné pour le tirage au sort, les jeunes gens de Plouguerneau s'y refusèrent. Le châtiment infligé par le général Carclaux aux communes de Plabennec et de Lannilis les effraya et le 25 mars, ils se résignèrent au tirage.

Plouguerneau, fut comme d'autres communes, frappé d'une importante contribution de guerre :
Plouguerneau et Tréménec'h : 11.000 francs.
Plounéventer : 9.600 francs.
Ploudaniel : 7.000 francs.
Guissény : 7.000 francs.
Kerlouan : 5.000 francs.
Kernilis et Lanarvily : 500 francs.
Saint-Ségal : 250 francs.
Saint-Servais : 250 francs.

 

Fêtes civiques.
Le 30 mars 1793 eut lieu à Plouguerneau la fête de l'arbre de la liberté. En présence de la municipalité il fut planté en plein bourg par les jeunes gens qu'avait désignés le tirage au sort pour servir la Patrie. Tous les membres de la municipalité jurèrent « de soutenir l'arbre jusqu'au péril de leur vie et même exercer toute la justice possible contre les malfaiteurs de leur paroisse qui pourraient endommager cet arbre sacré ».

Toutes les communes envoyèrent des délégués à Paris pour les représenter, le 10 août 1793, à la fête de la fédération. A Plouguerneau, le délégué Dauphin revient le 30 août et rend compte de son voyage : « L'arrivée de notre délégué, disent les officiers municipaux, nous a fait jeter de hauts cris de Vive la République ! une et indivisible ! Nous l'avons fait conduire à la maison commune par deux officiers municipaux en écharpe, en présence du citoyen Breton, administrateur du district de Lesneven. Nous avons fait sonner les deux cloches dont nous sommes possesseurs, encore de hauts cris : Vive la République une et indivisible ! De quoi acte a été rapporté au dit notre citoyen député, le félicitant de nous avoir représenté dignement ».

La Convention ayant établi une fête nationale pour la prise « de l'infâme ville de Toulon », à Plouguerneau, le 3 janvier 1794, on alluma des feux de joie « au milieu des cris et des acclamations : Vive la République ! Vive la Montagne ! Vive la Nation ! ». Tous les habitants reçurent l'ordre de faire des illuminations sur les fenêtres de chaque maison [Note : Archives de Plouguerneau — Toulon s'était donné à une flotte anglo-espagnole de 15000 hommes. Pour le réduire il avait fallu un siège pénible qui dura plus de trois mois. La ville tomba le 18 décembre 1793. La population massacrée fut réduite à 7.500 habitants].

Le 7 juin 1794 fut célébrée à Plouguerneau la fête de l’Etre suprême. En voici le compte rendu extrait du registre de délibérations de la commune :

« Ce jour, 19 prairial (7 juin 1794), deuxième année républicaine, Nous, maire, officiers municipaux et notables de la commune de Plouguerneau sommes assemblés pour devoir célébrer la fête de l'Etre suprême. Le 20 prairial présent mois en conséquence avons requis un bateau pour prendre de l'île vierge des gazons nécessaires à construire la montagne et deux voitures pour les rendre à notre chef-lieu. Ensuite avons construit la dite montagne à l'aide de nos braves volontaires, avons invité aussi tous nos habitants de se trouver avec nous pour célébrer la dite fête et avons fait toutes les démarches possibles pour procurer au détachement cantonné en notre chef-lieu les subsistances propres pour un repas suivant leur réquisition verbale consistant en vin et petits cochons de lets, qui leur a été fourni de différents particuliers de notre dite commune.

Et avenu ce jour, 20 prairial nous dits maire sommes assemblés environ les onze heures du matin au lieu ordinaire de nos séances d'où nous sommes partis chacun décoré de son écharpe de compagnie avec le citoyen juge de paix et son greffier, portant les dits maire, municipaux et juge de paix chacun un bouquet composé des épis de seigle, branche de resin et de pôme avec une branche de chêne au-dessus entrelacé d'un ruban tricolore. Les notables et plusieurs autres citoyens de notre commune, avons rejoints près de la dite maison commune le détachement sortant en ordre de son quartier, avons fait le tour de notre chef-lieu dont les maisons étaient ornées de branches de chêne au milieu du bataillon quarré que le dit détachement avait formé, marchant ainsi en ordre, précédé d'une voiture chargée de différents outils laborieux et de différents métiers, après quoi sommes arrivés environ l'heure de midy près de la montagne que nous avons dressé dans le lieu le plus apparent où le maire et le citoyen Breton greffier du juge de paix ont fait l'un après l'autre, après avoir jeté des cris de vive la montagne, vive la république française, chacun un discours pour faire sentir au peuple que nous célébrons aujourd'hui la fête de l'Etre suprême. Les dits maire et Breton ont expliqué en langue bretonne que le peuple français reconnaît l'existence de l'Etre suprême et l'immortalité de l’âme etc ; ensuite les volontaires ainsi que les autres ont chanté des chansons civiques ; après quoi, nous nous sommes assis et avons fait à côté de la montagne notre repas d'égalité chacun partageant avec ses concitoyens ce qu'il avait apporté. Le repas fini chacun s'est retiré et le conseil s'est rendu en corps à la maison commune où il a rédigé le présent environ les trois heures de relevée en présence du juge de paix et de son greffier ainsi que celle des citoyens capitaine commandant et lieutenant.

Les dits jours et an cy dessus. (Plusieurs signatures) entre autres : f. L. Roux, maire, Jean Abjean, juge de paix et une vingtaine d'autres ».

Le 16 mars 1799 le commissaire de Plouguerneau requiert que l'on célèbre la fête de la souveraineté du peuple avec toute la splendeur possible (Archives de Plouguerneau).

(H. Pérennès).

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