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LE CHATEAU DU TAUREAU A PLOUEZOCH

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A l'entrée de la rade surgit la masse jaunâtre du château du Taureau, comparable, lorsque la marée en immerge le piédestal rocheux, à quelque monstrueux ponton prêt à voguer et tournant déjà vers le large sa proue trouée de menaçantes embrasures. Sur cet écueil qui devait son nom aux mugissements de ses brisants aux jours de tempête, les bourgeois morlaisiens du seizième siècle assirent une lourde construction, ramassée et trapue, cramponnée au roc, épousant ses contours et faisant bloc avec lui. Vers le Nord, elle se termine en hémicycle, de manière à n'offrir aucune arête saillante où puisse s'acharner la tourmente ; l'autre face, tournée vers l'asile calme de la baie, s'achève à angles droits, abritant le pont-levis et sa culée. Elevé contre les Anglais, le Taureau a rarement subi leurs attaques, mais celles qu'il endura des éléments, qui pourrait les dénombrer ? ll faut avoir vu pendant l’un de ces terribles coups de vent de « norouat » qui font rage chaque hiver sur nos côtes, les vagues éclater en tonnant contre les remparts, l'écume bondir sur les plates-formes en longues fusées neigeuses, la mer et la rafale se ruer ensemble à l'assaut du vieux castel, pour se figurer les péripéties parfois émouvantes de cette lutte séculaire. En 1609, la grosse tour ronde de l'ouest, battue en brèche, s'écroula et il fallut la rétablir à grands frais.

Plouézoch (Bretagne) : château du taureau.

Il serait bien inutile de refaire ici une fois de plus l'historique de la fameuse forteresse jadis élevée et gardée par les Morlaisiens ; elle a fourni matière à bien des travaux, et entre autres à une étude parue dans le Bulletin, en juin 1873, sous la signature de M. de Blois. On sait comment le Taureau fut fondé, après la surprise de Morlaix par une flotte anglaise, en 1522, pour arrêter de nouvelles incursions ; comment les maires de la ville y régnaient tour à tour en maîtres, l'épée au côté, et y tranchaient du châtelain ; comment, sous la Ligue, Guillaume du Plessis, sieur de Kerangoff, le transforma en repaire de pirates ; comment Louis XIV s'en empara, en 1660, en arguant des troubles intérieurs de la cité et de la négligence apportée par ses officiers à la répression de la fraude. Nous nous bornerons donc à donner quelques renseignements inédits (extraits des archives de Plouézoch et d'un fort intéressant dossier que M. Alain Raison du Cleuziou a aimablement mis à notre disposition) sur la période moins connue qui s'étend depuis l'époque de la main-mise royale jusqu'à la Révolution.

Le premier gouverneur du Taureau fut Messire François de Gouyon de Beaucorps, chevalier seigneur de Saint-Jean, officier des gardes du Roi, auquel Louis XIV, par commission datée de Toulouse, des 7 et 8 décembre 1659, en accorda le commandement. En 1662, le marquis de Goezbriand, enseigne des gardes, lui succéda dans cette charge, ayant sans doute fait valoir en cour la situation du fort, aux dépendances de la paroisse de Plouézoch, et à proximité de Lanoverte, sa résidence habituelle. Le détachement de la milice morlaisienne qui tenait garnison au Taureau avait cédé la place à une compagnie du régiment de Picardie, sous les ordres de M. de Molleville. Plus tard, celle-ci fut remplacée par une compagnie franche de 50 hommes, entretenue aux frais du marquis de Goezbriand, qui n'exerçait pas lui-même son commandement, mais déléguait ses pouvoirs a deux ou trois anciens officiers. Nous trouvons vers 1700 écuyer Gabriel de Mesnoallet, capitaine de la compagnie franche, mort le 4 novembre 1713 et inhumé le lendemain à Lanmeur, en présence de l'état-major et de la moitié de la garnison du Taureau : puis, vers 1710, MM. François de Cavaléry et Georges de Leigh, qui s’intitulent tous deux commandants au château du Taureau : écuyer Simon de Brisebarre, sieur de Saint-Simon, enseigne ; noble homme Jean Cotton, sieur de la Pontonie, lieutenant de la compagnie franche. M. de Cavaléry décéda au château le 17 juin 1732, âgé de 78 ans et fut enterré dans l'église de Plouézoch en présence d'écuyer Jean Guyot, sieur de Maupinart, commandant au Taureau. Il y avait aussi un aumônier à demeure, pour desservir la chapelle, où Missire Marc Pastol, prêtre et aumônier du Taureau, célébra le 13 février 1094, le mariage d'écuyer Corentin Jourin, sieur de Kerasquer, garde-magasin, et de demoiselle Isabeau de Bruilliac, dame de Kérillis.

Plouézoch (Bretagne) : château du taureau.

On relève, dans les registres paroissiaux, la mention de trois sinistres maritimes dans lesquels périrent plusieurs habitants du Taureau, en traversant, les dangereuses passes de la rade. Le 12 juin 1686, Hervé Tilly dit la Grève, soldat et sa jeune femme Marie Jégaden furent, « au commencement de la tourmente » balayés par une lame de la chaloupe du fort et se noyèrent. Le 4 août 1699, la chaloupe elle-même chavira sous voiles, et tous les passagers périrent ; on recueillit six cadavres sur le rivage. Enfin, le 8 septembre 1743, nouveau naufrage de la barque de service du fort ; il y eut sept victimes, dont cinq seulement purent ètre inhumées à la paroisse.

Quatre ans après, un drame bien plus terrible se déroulait au large du château. Le corsaire de Saint-Malo l'Alcide, armé par M. Bideau de Juttigny et commandé par Etienne Ribard, portant 20 canons, 10 pierriers et 193 hommes d'équipage, avait rencontré le 21 décembre 1747, aux abords des Sorlingues, un vaisseau de la Compagnie des Indes et se disposait à l'amariner, lorsqu'une frégate anglaise, attirée par la canonnade, vint prendre part au combat. Après une lutte acharnée, le vaisseau de la Compagnie sombra, la frégate se retira fort maltraitée, et l'Alcide, très avarié aussi, ayant, perdu la moitié de son équipage, tenta de rallier la côte de France. Dans la nuit du 23, il arriva à l'entrée de la baie ; mais toucha sur une roche et coula en peu d'instants. 47 naufragés purent cependant être recueillis par une gabarre avant la disparition de l’Alcide ; 29 autres atteignirent à la nage le château du Taureau. Le lieutenant. M. de Juttigny fils, atterrit, à Carantec. Vingt-deux cadavres jonchèrent les grèves de cette paroisse. A Plouézoch, on trouva le 26 décembre « deux corps morts, lesquels on croit estre du corsaire de Saint-Malo, qui périt à une lieue du château du Torreau te 23 dudit mois » ; et le 1er janvier 1748, un troisième noyé. L'épave de l’Alcide a été découverte en 1880 par les scaphandriers du Plongeur, qui en retirèrent seize pièces d'artillerie, des armes diverses, des bouteilles, de la vaisselle d'étain, des ancres. Quelques-uns de ces objets, entre autres un canon, sont conservés au musée de Morlaix [Note : Bulletin de la Soc. d’Etudes scientif. du Finistère, 1880, 2ème fascicule, p. 90. M. Bourde de la Rogerie, archiviste départemental, nous a très obligeamment communiqué, d'aprés un registre (B-4193) de l'Amirauté de Morlaix, les détails de la perte de l’Alcide].

Plouézoch (Bretagne) : château du taureau.

Le marquis de Goezbriand s'était démis en 1691 du gouvernement du Taureau, en faveur de son fils aîné Louis-Vincent, qui le transmit lui-mème à son fils, mestre de camp, mort en 1752. Ce dernier obtint du roi la suppression de la compagnie franche, et son remplacement par une compagnie d'invalides soldée par l'Etat, ce qui lui permit de jouir sans aucune charge des 10.000 livres d'appointements annuels que versait la communauté morlaisienne au commandant du fort. Après son décès, Louis XV accorda ce poste au comte de Saulx de Tavannes, à condition qu'il reformât la compagnie franche et assumât les frais de son entretien, mais les sollicitations du nouveau titulaire. soucieux surtout de tirer de son gouvernement le plus gros revenu possible, firent maintenir le statu quo. C'est également la ville qui paya les réparations opérées au fort, en 1695, lorsque, sous la direction de Vauban, on refit les plates-formes, on rasa le couronnement du donjon, et on pratiqua dans le rempart qui domine le Grand Chenal, des casemates voûtées avec embrasures garnies de dix pièces de canon de fort calibre.

Un mémoire manuscrit sur l'état des côtes de Bretagne, composé en 1759 par ordre du duc d'Aiguillon, décrit ainsi le château à cette époque « Sur le rocher du Toreau est un fort dit le Château du Toreau, inattaquable par sa situation ; les vaisseaux sont obligés de passer absolument sous son feu ; pour lui n'a rien à craindre de leur part. Il est à double batterie armée de 21 canons dont 6 de 24?, 6 de 18, 2 de 12, 1 de 8, 5 de 6 et 1 de 4, et sur la plate-forme en haut est un mât de pavillon pour la correspondance des signaux. Ce château a au surplus chapelle, corps de garde, poudrière et du logement pour 120 hommes ; il est actuellement occupé par une compagnie d'invalides. Il y a en outre dans ce château beaucoup de logement où l'on renferme assez ordinairement des prisonniers d'Etat ». De ce nombre furent, en 1765, le procureur général la Chalotais et son fils, que l'on détint, durant un mois « dans ce repaire du Taureau où on ne reléguoit que gens de sac et de corde ». Leurs geôliers ne les traitaient pourtant pas trop durement, puisqu'ils pouvaient, paraît-il, sortir sur parole pour visiter leurs parents, les du Parc, à Keranroux. D'ailleurs, la surveillance exercée autour des captifs semble n'avoir pas été trop rigoureuse, comme l'atteste une note d'un état de 1778, portant que « huit prisonniers se sont évadés et sont prêts à recommencer », et surtout l'anecdote narrée par notre illustre ancien président, M. le vicomte de la Villemarqué, dans la séance de la Société de mai 1873, et qu'il tenait de son aïeul, dernier commandant du fort. Quelques personnes de Morlaix ayant visité le Taureau, voulurent emmener avec elles, sur parole, pour assister aux fêtes du Carnaval, un jeune homme charmant et distingué qui leur avait fait de la meilleure grâce du monde les honneurs de sa prison. M. de la Villemarqué refusa, et pour couper court à leurs instances, finit par exhiber la lettre de cachet concernant le jeune homme ; elles y lurent avec horreur que leur aimable et intéressant protégé avait assassiné son père...

Plouézoch (Bretagne) : château du taureau.

D'après l'état de 1778, la garnison du Taureau se composait de M. Toussaint-Jean Hersart de la Villemarqué, lieutenant de Roy et commandant du château du Thoreau et des Sept Isles, de MM. de Landanet, lieutenant de la compagnie d'invalides, Pic de la Mirandole, capitainé surnuméraire et du Chayla, garde d'artillerie, d'un sergent, deux caporaux, un tambaur, quinze fusiliers, « presque tous infirmes par âge et blessures », et deux détenus par lettres de cachet, les nommés Pinot et la Terreur. Le surplus de la compagnie d'invalides, soit un lieutenant, M. des Naquais, un sergent, deux caporaux et treize fusiliers, était cantonné aux Sept-Isles. Il y avait aussi au fort un aumônier et un « concierge, fournisseur et cantinier », le sr Charles Pidancet, dit St-Charles ; ce brave homme nourrissait et soignait de son mieux les hôtes de passage qui venaient, à leur corps défendant, faire un séjour plus ou moins prolongé sous les voûtes humides de la vieille forteresse ; nous n'en voulons d'autres preuves que les élogieux certificats à lui délivrés par quatre officiers, le chevalier de Patry, MM. du Penquer, de Courson et de Lesgarde de Maisonneuve, capitaine de chevau-légers, détenus au Taureau en 1780 et 1781 par les ordres du comte de Langeron. « Je certifie, écrit le premier, que pendant le temps que j'ai été aux arrêts au château du Taureau, je suis été satisfait de la pension que m'a donnée M. Pidancet, gardien de laditte place, et je lui suis infiniment obligé des bontés qu'il a eues pour moi ».

Un inventaire dressé en 1778 par M. du Chayla nous apprend que le château était armé de six canons en fonte, dix-sept en fer dont deux défectueux et hors d'usage, et quatre couleuvrines : une de celles-ci, qui offrait les armes de Bretagne entourées de la Cordelière, se voyait naguère encore sur le rempart. Les magasins contenaient 15 milliers de poudre, 1200 boulets, 2500 grenadés et 3.000 livres de plomb en balles de 12 à la livre.

Lors de la Révolution, les bons invalides aux pittoresques surnoms, Joli Cœur, l'Eveillé, la Fleur qui achevaient doucement leur carrière en fumant leur pipe, assis au soleil, à l'abri du vent, entre deux créneaux, furent licenciés et remplacés par des soldats d'artillerie et du génie détachés de Brest, et le Taureau commença à mériter l'appellation de « séjour de larmes et de désespoir » que lui infligeait Cambry en 1794.

A défaut des lettres de cachet supprimées, les arrêtés des districts et des comités suffirent amplement à remplir ses prisons, et l'on en sortit pour marcher à l'échafaud ou s'en aller vers l'exil. Les administrateurs du Finistère y firent enfermer, en 1792, Royou-Guermeur, émissaire des Montagnards et ami personnel de Marat, acte d'énergie qui devait leur coûter cher ; il y occupa ses loisirs forcés à versifier des poésies d'une honnête platitude, comme celle que lui inspira sa visite à la chambre jadis occupée par la Chalotais :

« Voici donc le sépulchre où fut jeté cet homme,
Digne des plus beaux jours d'Athènes et de Rome,
Qui, libre ou dans les fers, allia constamment
Le plus grand caractère au plus rare talent...
…. Avec un saint respect je porte ici mes pas ;
Ah ! ce temple est sacré, ne le profanez pas !
Vous, d'un prêtre inhumain malheureux satellites,
De vos affreux pouvoirs observez les limites.
Laissez-moy contempler, d'un œil religieux,
La prison d'Aristide opprimé par les Dieux.
Combien, ô ciel ! combien ces voûtes redoutables,
Ces murs accoutumés à l'aspect du coupable,
Pour la première fois ont frémi de se voir
Le séjour des vertus, l'azile du savoir...
... C'est ici qu'un barbare a longtemps insulté
Aux droits de la nature et de l'humanité ;
Que tout près de son fils, au père le plus tendre,
On ravit la douceur de le voir, de l'entendre ;
Qu'unis dans un tombeau, par des remparts épais,
Ils semblaient cependant séparés pour jamais... »

(Arch. de M. Raison du Cleuziou)

Plouézoch (Bretagne) : château du taureau.

Rayou recouvra bientôt sa liberté ; mais des centaines de détenus, prêtres insermentés, nobles suspects, bourgeois et paysans accusés d'incivisme s'entassèrent jusqu'à thermidor dans les casemates du château ; plusieurs administrateurs du Finistère, proscrits pour cause de fédéralisme, y attendirent la mort. Plus tard, des terroristes fameux, entre autres Le Carpentier, le bourreau des Malouins, qui raccommodait lui-même sa culotte sur la plate-forme, et Donzé-Verteuil, l'exécrable accusateur public de Brest, qui répétait sans cesse son gardien : « Tu me vois bien bas, citoyen, mais sois tranquille, je redeviendrai quelque chose », furent à leur tour incarcérés au Taureau (Histoire de Morlaix, par M. Gouin, 1839). Puis vinrent les mauvais jours du Directoire, la reprise des persécutions et des déportations. Les prisons du fort se peuplèrent de nouveau ; le 14 ventôse An V (4 mars 1797) son commandant réclame à Plouézoch trente lits « pour coucher soixante détenus qu'il attend ». Enfin le Concordat de 1802 et l'avènement de l'Empire en ouvrirent définitivement les portes.

Les rapports qui existaient entre les autorités de Plouézoch et la garnison paraissent avoir été plutôt tendus. Le 29 septembre 1793, le district de Morlaix réquisitionne dans la commune « vingt lits garnis de paillasses, coettes, draps, traversins et couvertures, à livrer le lendemain 30 au Dourdu pour être transportés au château du Taureau ». On ne les rendit que quatre ou cinq mois après, dans un si piteux état que le conseil général crut devoir protester en ces termes, le 29 avril 1794.

« Considérant dans le dégât qu'on fait dans l'accoutrement des lits qu'on fournit, ... considérant aussy que plusieurs paresseux de ceux qu'ils dormé dessus les lits, par méprisance ou par négligence p..... dans leur lit et font pourrir les coettes, paillasses ainsi que les draps, ce qui est préjudiciable aux propriétaires.

Considérant que plusieurs coettes, paillasses, ainsy que les draps ont été rayez et percez par la bayonnette en les mettant dans le point profond de leur lit pour leur servir de chandelliers.

En conséquence, arrête que l'officier commandant le château du Taureau sera désormais responsable du dégât commis aux accoutrements et que les individus convaincus d'avoir usurpé lesdits accoutrements, soit en drap, ballins, traversins, seront déclarés usurpeurs ».

Malgré cet arrêté, il fallut continuer à fournir de la literie aux malpropres hôtes du fort ; entre temps, le citoyen commandant réclame des chaussures, des réparations à la chaloupe, une marmite, ainsi que le remboursement de la paie en assignats qu'il délivre à ses hommes. Plusieurs jeunes paysans de la commune furent réquisitionnés pour renforcer la garnison, et durent laisser leurs familles aux prises avec une noire misère. Un dernier incident déchaina la guerre. Le 1 pluviôse an 5, on vint prévenir le citoyen Guénolé Mérer, président de l'administration cantonale, que l'agent national de Carantec, Yves le Mescam, aidé de 25 autres personnes, enlevait le goëmon qui couvrait les rochers autour du fort. Le citoyen Mérer se rendit aussitôt sur les lieux, escortés de ses deux collègues Thomas et Gourmelon, donna aux ravisseurs lecture de l'arrêté du département du 1er mars 1792 qui accordait aux habitants de Plouézoch la jouissance exclusive de ce goëmon, et les somma de se retirer. Mais le commandant, le citoyen Collin, déclara qu'il était le seul maître au Taureau, qu'il ne connaissait ni municipalité, ni département et avait le droit de disposer du varech en faveur de qui bon lui semblait. Il accabla les agents de Plouézoch d'insultes et de menaces, jurant qu'il les allait faire arrêter et que les gens de la commune seraient mis au cachot s'ils s'avisaient de débarquer sur le rocher. Mérer et ses acolythes protestant avec énergie, on les traîna jusqu'à la chambre de discipline ; toutefois, craignant peut-être d'aller trop loin, le citoyen Collin se contenta de leur en montrer la porte.

Pendant cette scène, les marins de Carantec regagnaient la côte avec leur récolte ; à six heures du soir seulement, les agents cantonaux, auxquels on n'avait, de la journée, donné aucune nourriture, furent relâchés et jetés dans la chaloupe, qui les débarqua à Barnénez, affamés et furieux.

Aussi, le lendemain, portèrent-ils plainte contre Collin au citoyen Jacquinot, chef de bataillon, à l'administration départementale, au général de brigade Arti et en réclamèrent-ils la destitution. Nous ignorons s'ils obtinrent gain de cause, mais en l'an 7, leur ennemi avait été remplacé par le citoyen Rousseau qui comptait 54 hommes sous ses ordres ; un peu plus tard, la garnison est dite se composer « de près de quatre-vingt soldats ». Ces soldats, qui traversaient journellement le bourg pour affaires de service, étaient, ainsi que ceux des forts de Saint-Samson, Sainte-Barbe et Primel, la terreur du canton ; ils s'y comportaient comme en pays conquis, volant ce qui leur tombait sous la main, maltraitant les paysans, insultant les femmes. Plusieurs des scènes scandaleuses qu'ils provoquèrent sont racontées tout au long dans les registres. Malgré les plaintes des autorités, leurs chefs ne sévissaient que peu ou point contre les coupables ; en l'an 11, un soldat ayant dérobé divers objets dans l'église, la femme du maire courut le dénoncer au sergent, mais ce peu galant militaire s'en prit à la pauvre dame. « Le sergent se mit alors en colère, écrit le maire, il traita mon épouse de g... et de carogne, en lui donnant plusieurs bourrades dans l'estomac, et lui serra si fort les bras qu’ils en sont meurtris ».

Plouézoch (Bretagne) : château du taureau.

Le château du Taureau a été déclassé en 1889 ; depuis on y a replacé un gardien et quelques pièces légères d'artillerie. Militairement parlant, sa valeur est devenue nulle cependant, c'est un monument curieux que l'on visite avec intérêt, et à ce titre, il mérite de subsister. On y pénètre par un portail cintré, à pont-levis retombant, sur une culée ou avancé auquel donne accès un escalier taillé dans le roc. Au-dessus du portail se distingue encore l'écusson en bannière que chargeaient avant la Révolution, les hermines de Bretagne. A droite de l'entrée se trouve le corps de garde, aux épaisses murailles voûtées percées de meurtrières ; à gauche, la chambre de l'aumônier et la chapelle, toutes deux désaffectées. Au milieu du château s'allonge une étroite et sombre cour pavée sur laquelle s'ouvrent les portes et les fenêtres des appartements et magasins intérieurs ; on y montre l'ancien dépôt de vivres, la cantine, la chambre du chirurgien, avoisinant un affreux cachot sans jour, la citerne, la prison, retrait obscur creusé dans le robuste éperon arrondi qui termine et protège au nord la forteresse, et onze casemates jadis garnies de canons de 24 et de 18. A l'angle du sud-ouest s'élève le donjon, grosse tour cylindrique également percée d'embrasures. Sur tous ces divers locaux règne une plate-forme bordée d’un parapet crénelé et pavée de grandes dalles. Il y a lieu de déplorer que lors des récents travaux d'aménagement, on ait détruit les élégantes échauguettes accrochées çà et là aux remparts, et qui allégeaient de leurs fines silhouettes la pesante masse du fort. Malgré les siècles, les flots et le vandalisme, le vieux château morlaisien est encore là, endormi sur sa roche, « beau à voir dans les tempêtes d'hiver, sous un ciel orageux, quand la mer se brise et couvre ses remparts comme la proue d'un navire, ou lorsque dans la splendeur des jours d'été, les vagues bleues moutonnant dans la baie lavent en mourant le pied des tours dorées par le soleil, qu'une blanche ceinture d'écume ondule le long des pierres, souvenir de granit perpétuant l'acte glorieux de notre bourgeoisie, son élan héroïque » (Charles Alexandre, Morlaix et ses historiens, 1842).

De Barnénez au Dourdu, on compte cinq kilomètres du plus pittoresque des chemins, un capricieux sentier de douaniers suspendu au rebord de la falaise, frayé sous des haies d'aubépines et de ronces, escaladant des pointes rocheuses, longeant parfois des champs de trèfle, de blé noir, d'immenses landes, mais toujours dominant à droite le golfe resplendissant, pailleté d'étincelles, animé çà et là par un vol de courlis écrêtant les lames ou quelque barque penchée sous sa voile rouge. Les marées sapent peu à peu cette côte à pic, formée de terres argileuses, et chaque année, des éboulements se produisent. Ce travail de destruction remonte à loin ; le cahier paroissial de 1684 contient mention du décès de deux pauvres marins qui « passant pour s'en aller chez eux au long de la rive, furent accablés vis-à-vis de Rochendour par une quantité de terre qui s'écroula sur eux ». On dut travailler deux jours pour retrouver leurs corps (Archives de Plouézoch).

(Louis Le Guennec).

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