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LA GRANGE OU LE PRIEURÉ DES FONTAINES, EN PLOUAGAT

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Disons quelques mots d'un charmant petit établissement monastique des premières années du XIIIème siècle, et conservant encore, quoiqu'en ruines, la plus grande partie de ses constructions primitives. L'ancien Ogée, le nouveau même, sont muets sur son compte. Il a déjà cependant occupé plus d'une fois les amateurs de nos antiquités provinciales, mais son origine a donné lieu aux conjectures les moins fondées. M. de Fréminville y a vu un ancien prieuré de Templiers, et a longuement disserté sur le symbole trinitaire que présenteraient trois têtes sculptées au-dessus de la porte. La tradition du pays donnerait, dit-on, raison à cette opinion : tant pis pour la tradition, si tant est qu'il y ait tradition semblable ; elle a tort, et ce n'est ni la première ni la dernière fois qu'on la prend en flagrant délit d'erreur. Par une hypothèse tout aussi gratuite, M. de la Monneraye y a placé le siège de la léproserie de Châtelaudren. Or, les Fontaines ne se trouvent même pas sur le territoire de cette paroisse, mais sur celui de Plouagat. Les archives de l'abbaye de Beauport renferment le mot de l'énigme.

Au sortir de l'étang de Châtelaudren, la petite rivière de Leff, le Lem des anciens titres, après avoir coulé pendant quelques centaines de mètres au milieu d'un large bassin de prairies, entre dans un de ces vallons profonds et resserrés, si communs dans les terrains granitiques. Sur ce parcours elle fait tourner plusieurs moulins dont l'origine est fort ancienne, car dès le XIIème siècle Alain de Goello, fils du comte Henri, concédait les dîmes des moulins de Châtelaudren, tant de ceux à fouler les draps que de ceux à moudre le blé, à l'abbaye Saint-Rion de l'Ile, vers 1185 ; puis, en 1202, à l'abbaye Notre-Dame de Beauport, héritière de toutes les possessions du monastère de Saint-Rion, abandonné. En 1209, Geoffroi, évêque de Tréguier, donnait également à Beauport, en pure et perpétuelle aumône, les églises de Châtelaudren avec leurs dépendances. Ces libéralités, d'autres non moins importantes, consistant en fiefs et pièces de terre dans les paroisses de Plouvara et Plouagat, créaient dès les premières années du XIIIème siècle, à une dizaine de lieues du siège de l'abbaye, un groupe d'intérêts considérables dont Châtelaudren était le centre. Il convenait donc de fixer sur ce territoire un de ces établissements monastiques désignés vulgairement sous le nom de prieurés, mais qui, dans la langue spéciale des ordres de Cîteaux et de Prémontré, prenaient le nom de grange, grangiœ. C'était une succursale du monastère principal, établie dans le même but d'exploitation agricole, et servant à la résidence d'un moine au moins, le grangier, grangiarius, parfois de deux, le grangier et le receveur, granatarius, l'un surveillant et dirigeant dans son voisinage les travaux de culture, l'autre préposé à la rentrée des dîmes, percevant les revenus de toute nature, les faisant parvenir à l'abbaye-mère et en comptant avec elle. Régulièrement ces deux fonctions devaient demeurer distinctes. Il existait même à cet égard une disposition spéciale : « Nec sustineatur quod praepositus, sit grangiarius et granatarius simul ». Mais en pratique cette prescription avait été réduite au cas de nécessité motivée par l'importance de l'exploitation agricole, et elle tomba complètement en désuétude quand, avec le cours des siècles, les sujets devinrent plus rares dans les monastères. Alors le moine détaché dans la grange y remplissait les fonctions d'un régisseur administrant pour le compte d'un propriétaire éloigné. Mais comme ce régisseur était revêtu d'un caractère religieux, la grange participait au caractère de celui qui la dirigeait ; l'observance de la règle devait y être respectée, les offices divins célébrés, les heures canoniales récitées, comme dans le monastère principal. Une chapelle était donc l'annexe nécessaire des bâtiments d'exploitation agricole. Si même le nombre des moines résidant dans la grange était assez considérable, l'établissement, quant au plan des bâtiments, reproduisait, dans des proportions plus modestes, l'image d'une abbaye avec son cloître, son église et son réfectoire.

Telle n'était pas l'importance de l'établissement créé par les moines de Beauport, aux environs de Châtelaudren, sur le territoire de Plouagat : c'était une fort modeste résidence habitée par un moine, assise sur le versant du coteau, qui prend à l'orient vers le Leff, et composée de trois bâtiments disposés autour d'une cour centrale. L'intérêt qu'ils présentent tient beaucoup moins à la grandeur ou à la beauté des édifices, qu'a la rareté de constructions rurales remontant à une époque aussi ancienne. Le plus important, placé au nord de la cour et renfermant avec une chapelle régulièrement orientée la demeure du grangier, remonte aux premières années du XIIIème siècle ; le second situé à l'orient, le long du chemin, contient, outre la double porte en ogive qui sert d'entrée à l'établissement, des écuries et des greniers ; il date du même siècle que le précédent, quoiqu'un peu plus récent que lui ; le troisième, au sud, reconstruit à une époque relativement moderne, vers la fin du XVIème siècle, et habité aujourd'hui par le métayer, a dû succéder à de plus anciens bâtiments réservés à l'exploitation agricole. Ces trois constructions suffisaient à enfermer une cour parfaitement close, car la pente du terrain est assez rapide pour qu'il ait fallu tailler dans le coteau une aire plane et assez grande pour asseoir les édifices ; à l'occident, le sol se relève brusquement à une hauteur assez considérable ; de ce côté s'étendaient les jardins et le verger clos de murs : la différence des niveaux est assez grande pour que le logement du grangier, placé au premier étage par rapport à la cour intérieure, communiquât de plain-pied au moyen d'un pont avec ce verger, et que la nef de la chapelle du côté du nord fût enterrée à plus de dix pieds au-dessous des terres voisines.

La dévotion particulière des moines de Prémontré à la Vierge avait fait mettre cet établissement, comme la plupart de leurs abbayes, sous le patronage de Notre-Dame. Ce vocable n'a cependant pas prévalu, et une circonstance toute physique a déterminé la dénomination qui s'est conservée jusqu'à nos jours. Deux sources limpides et abondantes épanchent leurs eaux sur l'aire, que les moines ont nivelée aux dépens du coteau. L'une s'ouvre dans la cour et n'offre rien de particulier ; l'autre est enfermée à l'intérieur du bâtiment septentrional, dans une sorte de cellier établi sous la chambre du grangier ; elle est abritée par une arcade ogivale de forme très-pure, et aérée au moyen d'un évent qui traverse les murailles et s'élève jusqu'au niveau du sol extérieur. C'est assurément une des plus anciennes fontaines couvertes existant en Bretagne, car elle date des premières années du XIIIème siècle. C'est elle, sans doute, qui est désignée dans un acte de 1258, conservé aux archives de Beauport, sous le nom de « Fontaine de la Bienheureuse Vierge Marie ». Aujourd'hui que les moines ont disparu, que les bâtiments élevés par leurs mains tombent en ruines, cette fontaine n'a rien perdu de son renom. On y voit encore accourir des pèlerins dévots à Notre-Dame, qui, après avoir vénéré une grossière statue de la Vierge, conservée dans un coin de la chapelle, vont plonger leur front dans la source : le remède est réputé souverain pour la guérison des maux de tête. Nul doute que l'existence de ces fontaines n'ait déterminé l'emplacement de l'établissement qui a gardé leur nom. La bonne qualité et l'abondance des eaux, conditions essentielles d'une exploitation intelligente, étaient, en effet, tenues en grande considération par les moines agriculteurs du XIIIème siècle. L'ancien Beauport offrait de remarquables travaux exécutés sous l'empire de ces préoccupations. Indépendamment des eaux recueillies dans des étangs supérieurs et distribuées dans les enclos de l'abbaye, des tuyaux en terre cuite amenaient au centre du cloître des sources plus pures provenant des « fontaines couvertes » situées à près d'un quart de lieue, non loin de la chapelle Sainte-Barbe. Voilà ce qu'avaient su faire les moines du XIIIème siècle, malgré les difficultés du terrain, et ce que les moines du XVIIème siècle n'ont même pas su conserver. A Plouagat, ce luxe de travaux était inutile ; il n'y avait ni conduit à établir, ni pentes à franchir, ni chaussée d'étang à traverser. L'eau pouvait être employée à sa sortie du sol ; c'était une condition trop favorable pour être négligée par des hommes qui savaient tirer un aussi admirable parti des ressources naturelles d'un pays, que les premiers habitants de Beauport.

Les constructions de la Grange des Fontaines sont si modestes, que leur examen ne sera pas long, Le bâtiment septentrional, le plus intéressant, le plus ancien de tous, mesure vingt-deux mètres environ de longueur sur huit de largeur ; il est divisé en trois parties à peu près égales, la plus orientale et celle du centre formant, l'une le choeur, l'autre la nef de la chapelle, celle de l'occident réservée à la demeure du moine envoyé de Beauport pour remplir les fonctions de receveur ou de grangier. C'était une petite chambre entièrement rasée aujourd'hui, mais dont les dimensions sont indiquées par le cellier placé au-dessous et qui contient la fontaine de Notre-Dame. On n'a pas oublié non plus que cette chambre, située au premier étage par rapport au niveau de la cour, se trouvait de plain-pied avec le jardin et le verger, et en communication avec eux au moyen de deux portes, l'une au nord, l'autre au midi, ouvrant sur le pont mentionné plus haut. Il y en avait sans doute une troisième vers l'orient, permettant de descendre, au moyen d'un escalier intérieur, dans la nef de la chapelle : mais toute cette partie est tellement ruinée et remplie de décombres, que la constatation des degrés est impossible. La chapelle est en meilleur état, quoique privée de toit, de fenêtres et de portes : les gros murs sont intacts ; la voûte n'est tombée que depuis le début du XIXème siècle. C'est cette partie du monument qui, par l'élégance de quelques détails de construction, a donné un certain renom à la Grange des Fontaines. Deux portes donnant accès au choeur, l'une au nord, l'autre au sud, une arcade mettant en communication le choeur avec la nef, sont pourtant tout ce que cette chapelle offre de remarquable. Je n'ai à parler ni des fenêtres, simples ouvertures allongées inscrites dans un cintre, ni de la porte de la nef, baie à double retraite, sans colonnes, sans voussures, sans détails de sculpture, et que caractérisent seules la courbe pure de son ogive et une archivolte découpée en dents de scie. L'inventaire des parties notables des Fontaines est donc bien court, et cependant quiconque ne mesure pas au mètre le mérite d'un monument y reconnaîtra une oeuvre digne d'attention. Elle exhale un parfum de si bonne architecture, elle décèle dans son constructeur un talent de si bon aloi, elle a tant d'élégance dans sa simplicité et de gentillesse dans sa petite taille, qu'on est tout étonné de trouver en ce lieu retiré un morceau si délicat, que sous l'influence de cette surprise et de ce charme on l'admire beaucoup, plus peut-être qu'elle ne mérite, et qu'après l'avoir vue une fois on s'en souvient toujours. Que cette excellence ne surprenne personne. La modeste chapelle qu'un lierre couvre de son ombre et qu'un enfant mesurerait en quelques pas, reproduit dans ce qu'ils ont de plus exquis les détails d'architecture des premières constructions de Beauport. Tant que les relations qui ont uni les deux établissements monastiques ont été un mystère, ces rapports artistiques demeuraient sans explication. Pourquoi les mêmes chapiteaux se retrouvent-ils aux Fontaines et à Beauport ? Comment les profils des moulures des archivoltes, des bases, des tailloirs sont-ils identiques ? Par quel hasard les mêmes matériaux sont-ils en usage ? Par quelles circonstances la même main, car il faut en arriver là, a-t-elle élevé le chapitre de Beauport, le choeur et les transepts de l'église et l'humble chapelle des Fontaines ? Toutes ces difficultés sont aujourd'hui éclaircies par la question d'origine. On a employé à la chapelle de la Grange, pour l'exécution de quelques détails plus soignés que les autres, les cartons qui avaient servi à la construction de l'église de l'abbaye, ou si l'usage des cartons n'était pas connu au XIIIème siècle, on a certainement employé les mêmes ouvriers, sans doute recrutés eux-mêmes parmi les moines.

La chronologie des bâtiments de l'abbaye de Beauport est très-facile à établir ; c'est avec les constructions élevées entre les années 1200 et 1210 que la chapelle des Fontaines présente le plus de rapports ; les chapiteaux sont bien ceux des premières années du XIIIème siècle, se dégageant avec quelque peine du galbe roman ; l'arc en plein cintre n'est pas encore abandonné pour couronner les ouvertures, mais il est accompagné de profils qui appartiennent au XIIIème siècle ; il est plus employé à la chapelle des Fontaines qu'il ne l'est à l'église de Beauport, où il n'y a plus une seule arcade qui ne soit ogivale. Si aucun document ne fixe avec précision l'âge de cette construction, il est certain au moins que la chapelle existait en 1223. Avant cette époque, la belle prairie placée à la porte de la Grange et qui s'étend jusqu'à la rivière du Leff ne dépendait pas encore des Fontaines ; c'est cette année même qu'un certain Pierre, fils de Rualen Legal, s'en dépouilla gratuitement à Beauport, au profit du monastère, en présence de Guillaume, évêque de Saint-Brieuc : l'acte de donation dans l'abornement de la prairie mentionne la chapelle. La connaissance de cette pièce avait déjà fait présumer à M. de Barthélemy que les Fontaines avaient dû dépendre de Beauport. Cette conclusion était un peu hasardée, car le titre de 1223, s'il contient une donation en faveur de Beauport, est muet sur la question de propriété de l'établissement des Fontaines. Cette propriété n'est réellement établie au XIIIème siècle que par un acte inédit de 1258, conservé aux archives des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor), et aux termes duquel les filles d'un certain Berton donnent en nantissement aux moines de Beauport un pré sis dans la paroisse de Plouagat, entre le moulin de Bodediec et la maison desdits religieux de la Fontaine de la Bienheureuse Vierge Marie.

Le pignon oriental de la chapelle des Fontaines a été entièrement reconstruit à une époque assez moderne. Alors on donna plus de saillie aux contre-forts, et on établit au-dessus de l'autel une grande fenêtre dont les meneaux supportent un quatre-feuille sur une ogive géminée. La date précise de ces travaux nous est apprise par un compte du 15 juillet 1410, rendu à l'abbaye de Beauport par « frère Jouhan Legal recepvor des Fontenes ».

« Item pour vignt et cinq mascons quielx firent fere la masconnerie de la chapelle des Fontenes au pris de vignt deniers chacun valanz XLI s. VIII d. ».

« Item pour vignt et cinq hommes pour les servir au pris de douze deniers chacun valanz XXV s. ».

Ce qui ne veut pas dire qu'on ait employé concurremment vingt-cinq maçons et vingt-cinq manoeuvres, l'importance de la besogne ne le comportait pas, mais que les travaux exigèrent vingt-cinq journées de maçons et autant de journées de manoeuvres.

On remarque encore sur les murs de la chapelle des Fontaines des traces de ces décorations polychromes, aux nuances éclatantes, qui récréaient tant les yeux de nos pères ; le blanc, le jaune et le rouge étaient les trois couleurs employées. Comme toutes les décorations murales du XIIIème siècle, celles-ci sont fort simples : un semis d'étoiles rouges sur lait de chaux du côté de l'Évangile ; un semis de roses du côté de l'Épître en faisaient tous les frais. Sur le mur qui sépare le choeur de la nef, de longues lignes jaunes et rouges simulent les assises de maçonnerie régulière, système de décoration généralement adopté dans les constructions du temps et employé très-fréquemment à Beauport. Comme détail prouvant à quel point l'amour de la polychromie était poussé à une certaine époque, remarquons l'arcade triomphale : bien que construite en matériaux de choix et régulièrement appareillés, elle avait été barbouillée comme les murs en simple moëllon ; la belle couleur verte de la syénite avait disparu sous des couches de peinture alternativement jaune et rouge, la première appliquée aux tores et aux parties saillantes, la seconde aux gorges et aux moulures en retraite. On hésiterait à voir dans ces grossières enluminures une oeuvre du XIIIème siècle, si la date de leur exécution n'était attestée par un large rinceau rouge de forme encore romane, qui se détache sur un fond jaune à l'intrados de l'arcade. La voûte dut pareillement être peinte ; il n'en reste pas de traces ; elle était en bois et portée aux quatre angles de la chapelle par quatre colonnes tronquées un peu au-dessous du chapiteau et supportées en encorbellement sur des consoles ornées de feuillage : c'est encore un détail de construction commun aux Fontaines et à Beauport.

Le bâtiment oriental renferme, comme nous l'avons dit, la porte d'entrée, un hangar et des écuries, surmontés d'une vaste pièce de plus de quinze mètres de long sur sept mètres environ de largeur. On y accède, comme dans la plupart des constructions civiles du XIIIème siècle, par un escalier extérieur en pierre, appliqué le long du pignon méridional. Trois fenêtres carrées, divisées en deux petites baies trilobées, forme simple mais élégante, éclairent cet étage supérieur qui eut sans doute une autre destination que celle de grenier, car la présence d'un meneau central aux fenêtres et le peu de largeur des ouvertures géminées résultant de cette bifurcation ne permettaient guère d'y introduire les gerbes, les fourrages et autres récoltes ; elles n'y sont accumulées aujourd'hui que parce que le métayer a brisé et détruit la légère décoration du tympan pour ouvrir un passage à ses foins. Jadis c'était sans doute la chambre haute, ou, comme on disait à l'époque où le bâtiment fut construit, le solier ou soler, solarium. Là se réunissaient pour deviser pendant les mauvais temps et pour reposer pendant la nuit, les voyageurs, les hôtes, les ouvriers, tous ceux que le besoin des affaires amenait et faisait séjourner à la grange des Fontaines.

Remarquons, avant de quitter ces bâtiments vieux de plusieurs siècles, une nouvelle preuve de l'empire des traditions dans les constructions rurales. Il n'est personne ayant parcouru le Penthièvre et le Goello qui n'ait remarqué la disposition des cours de fermes ; au lieu d'être ouvertes comme elles le sont dans la Haute-Bretagne, elles sont closes d'un mur haut et solide ; elles communiquent avec la voie publique par une vaste porte pouvant livrer passage aux charrettes, accostée d'une autre plus petite réservée aux piétons. En général, ces portes, qui ont quelquefois un aspect quasi monumental, grâce à la beauté des matériaux, ne paraissent pas plus anciennes que le XVIème ou le XVIIème siècle ; bon nombre sont plus modernes ; telle était la disposition constante dans les anciens manoirs. L'exemple des Fontaines prouve qu'elle était usitée dès le milieu du XIIIème siècle, car en examinant la courbe des ogives, le profil des jambages, la forme des fenêtres, on sera promptement convaincu que le bâtiment qui nous occupe a été élevé entre les années 1250 et 1280. La porte charretière est accompagnée de trois têtes de fantaisie sculptées en saillie, l'une au haut, les deux autres aux côtés de son arcade ogivale. Rien de plus commun dans les constructions civiles du XIIIème siècle ; le caprice de l'artiste a coiffé l'une d'un haubert de mailles, tandis que l'autre a les tempes garnies de longs cheveux plats, et la troisième une coiffure plus écourtée. M. de Fréminville, toujours en proie à ses idées templières, y a vu d'abord un symbole trinitaire, puis le portrait au vif d'un chevalier du Temple, d'un frère chapelain et d'un frère servant (Antiquités des Côtes-du-Nord, p. 181). Malgré l'évidence du fait, aux yeux du doyen des archéologues bretons, il est impossible de ne pas reléguer cette opinion dans le domaine des hypothèses gratuites. Les Templiers ont vraiment porté malheur dans ces parages aux antiquaires trop acharnés à reconnaître leur empreinte sur les anciens monuments. On les a placés à Lanleff, et l'histoire mieux étudiée prouve qu'au XIIème siècle Lanleff appartenait aux Bénédictins de Léhon ; on les établit aux Fontaines, et les chartes inflexibles font reconnaître dans le prieuré de Notre-Dame une dépendance des Prémontrés de Beauport. On voit que, même en archéologie, trop d'imagination peut avoir ses dangers, car les archives ne sont pas muettes pour tout le monde.

Peut-être est-il temps que les archéologues qui n'ont pas vu les Fontaines entreprennent ce pèlerinage, et que ceux qui voudraient les revoir hâtent leur visite, s'ils désirent trouver debout les restes de la chapelle ; ils m'ont paru fort réduits en reportant mes souvenirs à dix années en arrière. La vénération populaire pour la statue de la Vierge ne protège plus qu'imparfaitement ces ruines. On m'a même dit sur les lieux que le clergé des paroisses voisines, loin de se prêter à la restauration de ce charmant édicule, mettait des entraves à une dévotion qui détournait quelques modestes offrandes an profit de la chapelle de Notre-Dame. S'il en est ainsi, elle ne tardera pas à disparaître. Il n'y aurait plus qu'à faire le sacrifice des gros murs pour assurer la conservation de l'arcade centrale et des deux portes latérales du choeur, à titre d'excellent spécimen de notre architecture du XIIIème siècle. Quoi qu'il arrive, si quelque jour le tableau de la vie monastique au moyen âge en Bretagne venait à être entrepris, la Grange des Fontaines ne devrait pas être oubliée, malgré ses proportions modestes ; elle est un des rares exemples encore existants de ces établissements secondaires d'agriculture que les moines cultivateurs de Citeaux et de Prémontré avaient multipliés autour de leurs monastères, et dont le souvenir a presque partout disparu avec les derniers débris des édifices. (Alfred Ramé).

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