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LA VAGUE SAINTE AVEC EFFLAM AU Vème SIECLE

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Le débarquement sur nos côtes de ces nombreux insulaires qui quittaient l'Angleterre pour échapper aux Saxons a été appelé la vague sainte. Comment se fit cette émigration ?

Croit-on réellement que ces émigrés soient venus isolément ? S'imagine-t-on qu'ils se soient lancés à travers la Manche, dans l'inconnu, sans précaution aucune, tout seuls, sans le nombre qui donne la confiance, qui fortifie l'espoir et qui assure la force ?

Penser ainsi serait commettre une erreur certaine, une faute contre le bon sens. La tradition donne toujours des disciples au principal chef d'expédition ; car c'est bien une expédition que cette opération d'émigrer vers un pays inconnu. On n'entreprend pas de traverser les 300 kilométres qui séparent l'Irlande des Caps Land's End et Lézard et les 250 Kms qui séparent ceux-ci de la côte bretonne sans avoir auparavant recruté tout le personnel nécessaire pour la navigation, sans avoir réalisé tout le matériel indispensable pour la traversée, pour le débarquement même, bateaux, provisions, etc. On ne part pas à toute heure ni à tout moment ; il faut avoir temps et vents favorables. Il faut avoir sérieusement étudié et préparé le rassemblement et l'embarquement, il faut avoir prévu les conditions de la marche ainsi que celles du débarquement.

Les bateaux ? mais c'est toute une flottille qu'il fallait à l'époque considérée. On ne saurait, en effet, se contenter des outres de cuir de la légende du Moyen-Age. Cela s'invente après coup ; mais cela ne se fait jamais pendant l’évènement. Il suffit de voir les sept grands navires de l'expédition de Sainte Nennok [Note : Vers l’an 403 régnait en Bretagne le roi Grallon Ier, surnommé le Grand et en Grande-Bretagne, il y avait un prince, nommé Brokhan descendant du grand Guthiern. Ce prince se maria avec Menedux. De ce mariage naquit quatorze enfants dont une fille qu’ils nommèrent Nennok (ou Ninnok). Elle accosta en Bretagne à un endroit appelé Poul-Ilfin et s’installa en la paroisse de Plœmeur où elle bâtit un petit oratoire nommé « Lent-Nennok » (appelé de nos jours Lann-Ninnoc ou Lannenec)]

Les provisions mais il en faut pour deux, trois ou même quatre jours pour tout l'effectif de l'expédition.

Le moment propice ? Il n'existe pas toujours. Le temps favorable pour venir d'Angleterre en Bretagne est aux abords de la Pentecôte, courant de mai-mi-juin. Il existe un vieux dicton, parmi les pêcheurs de Locquémeau, qui accorde à la fête de Saint Quémeau, émigré irlandais et compagnon d'Efflam, à sa fête anniversaire d'après la tradition, un rapport immédiat et effectif avec l'existence de vents favorables pour aborder en baie de Lannion ou y naviguer :

Et eo an avel de gerc'had Sant Quémo
E man an avel o kass ar Sant.

Le premier dicton marque l'apparition des vents favorables de la Pentecôte ; le second dicton au contraire situe leur disparition.

Toutes ces conditions furent en toute certitude étudiées par les émigrés insulaires avant de se lancer vers l'Armorique ; mais elles sont aussi à considérer et étudier si l'on veut aujourd'hui juger cette expédition avec les règles du bon sens.

Mais s'il convient d'étudier ces questions préliminaires à l'embarquement, il n'en importe pas moins davantage d'envisager ce qui a pu et dû se passer au débarquement.

A tous les points de débarquement où ont atterri les insulaires, la situation n'était pas identique et il se trouvait sur beaucoup d'entre eux des éléments de garde et de surveillance, peut-être pas romains à proprement parler, mais héritiers et successeurs des derniers soldats romains installés dans les camps de nos contrées autour desquels ils avaient reçu des terres à cultiver en toute propriété.

Si grand que fut le degré de désorganisation de l'armée romaine, ces groupements n'en continuaient pas moins à opérer leur service pour surveiller l'intégrité de leurs propriétés et en assurer leur défense contre tout étranger. Raison de plus même, parce qu'ils n'avaient plus rien à attendre d'un pouvoir tombé en décrépitude, pour qu'ils l'exercent avec plus de zèle et de ponctualité et pour que soient respectés par tout envahisseur leurs droits de propriété, leurs terres et leurs biens.

Ils tenaient à ces biens que les barbares sillonnant les côtes, menaçaient de venir ravager, piller, extorquer ou brûler. Dans ce but le vieil esprit de corps draconaire se ranimait ; l'esprit de discipline se retrouvait entier et la volonté arrêtée de défendre leur sol était solidement ancrée dans leurs âmes.

Mais que feraient-ils devant des émigrés se présentant en implorant abri et refuge au nom d'un Dieu que plusieurs vénéraient ? Beaucoup de draconaires, chrétiens eux-aussi, auraient certainement une tendance à montrer de la générosité et à prendre pitié de ces insulaires ; mais tous ne l'étaient pas et il y avait parmi eux, beaucoup de paganed, peu disposés à prendre cette détermination.

Pour ces derniers, un émigré demandant asile au nom du Christ, était-il bien intéressant ? Ne pouvait-il pas rester chez lui et défendre son bien contre le Saxon ? Pour quelle raison partager avec lui ? Et sur ce dernier point, peut-être étaient-ils tous d'accord, draconaires ou tud-aer païens et chrétiens ? Lorsqu'il s'agit de soutenir son intérêt et son bien personnel, toutes les raisons sentimentales humanitaires, internationales, religieuses même, sont peu de chose.

Ne sont-ce pas ces draconaires décidés à défendre leurs terres contre toute spoliation ou contre tout partage, que les émigrés de la vague sainte allaient sur certains points trouver devant eux en débarquant ? N'est-ce point là l'origine des luttes avec des dragons que relatent les légendes de Saint-Efflam, de Saint-Pol-Aurelien et de tant d'autres émigrés de cette vague sainte ? Ne sont-ce pas ces luttes avec les draconaires que la fable de la légende transformera plus tard en combats avec le dragon ?

Cela est vraisemblable et cela se fit. Aucun document n'est là pour le prouver ; mais aucun n'est là non plus pour en démontrer le contraire.

En ce qui concerne Saint Efflam, il n'existe d'autres documents que ceux de la légende et de la tradition recueillis ou écrits au Moyen Age.

Mais toute légende a son fonds de vérité, plus vrai souvent que le document lui-même ; or lorsque l’on étudie la légende avec les règles du bon sens, on parvient toujours à y retrouver la vérité.

Or parmi les documents écrits sur Saint-Efflam, il en est un aujourd'hui introuvable, qui fut écrit par le clergé de Plestin, le mieux placé à cet effet, en plein centre de la tradition... Mais si on ne le retrouve plus, il y a une vie écrite par Albert Le Grand, dominicain de Morlaix au XVIIème siècle, qui en a été extraite.

Mous allons l'étudier, en considérant les faits avec les règles du bon sens, et ne faisant état des indices restés sur notre sol et de la connaissance intime du pays que l'on ne connaissait pas ou que l'on a omis d'exploiter.

 

I. La personne d'EFFLAM. La cause de son départ.

Toutes les traditions sont unanimes sur ce point. Efflam était le fils d'un seigneur d'Hibernic (Irlande).

Le pays d'Hibernic était à l'époque partagée en 5 provinces occupées par des peuplades celtes dont les plus importantes étaient les Domnonéens et les Ivernes.

Si l'on fait attention à ce qu'Efflam n'accuse aucun lien de parenté avec les insulaires domnonéens qui vinrent quelques années plus tard émigrer à leur tour en Armorique, il paraît vraisemblable d'admettre qu'il était un iverne de la pointe Sud-Ouest de l'Irlande (le Munster actuel, en latin Momonia) et de prendre à la lettre, et non dans un sens général, le mot Iverni que le cantique du XIIème siècle donnera plus tard comme attribution au pays du père d'Efflam.

Efflam, fils et petit-fils de roi iverne naquit en 448. Son aïeul avait été en lutte continuelle avec un autre prince, son voisin, pour un de ces innombrables motifs d'intérêt particulier qui étaient à la source des conflits permanents et des luttes intestines du régime féodal depuis longtemps instauré en Irlande et en Grande Bretagne, en présence de la décadence de la puissance romaine.

Depuis le fin du Ième siècle, les Iles britanniques s'étaient données à la religion chrétienne, malgré l'influence du druidisme et malgré l'appui officiel donné au paganisme par le pouvoir romain.

Vers le milieu du IIIème siècle, les Saxons, païens de religion, commencèrent leurs attaques contre les Iles, s'emparèrent de la partie orientale de la Grande-Bretagne, et menacèront bientôt la partie occidentale et l'Irlande même.

Les derniers efforts des empereurs romains furent inutiles et, en 407, le dernier romain quittait les Iles, désormais ouvertes à la ruée saxonne.

Le grand-père d'Efflam mourut pendant cette période, laissant à son fils une situation difficile.

Pour celui-ci, il importait de faire trêve des dissentiments intérieurs entre princes afin d'opposer un front commun aux menaces et aux attaques brutales des Saxons contre l'Irlande et de former un rempart solide contre l'envahisseur païen.

Les deux princes voisins s'entendirent donc et décidèrent de se reconcilier, et pour cimenter leur amitié, d'unir indissolublement les deux familles en mariant le fils de l’un, le jeune Efflam, avec la fille de l'autre, la belle Hénora.

Mais dans cette union, le père d'Efflam avait vu un autre intérêt : celui de maintenir au pays irlandais son fils qui montrait des goûts très marqués pour la vie monastique, très développée à cette époque en Grande-Bretegne, et qu'il savait fréquenter assidument des réunions où il n'était question que de projets de départ pour la Petite Bretagne et d'abandon du sol national à l'invasion anglo-saxonne qui progressait trop forte et trop brutale.

Si le père avait dans ce dessein décidé le mariage de son fils, celui-ci avait en apparence accepté de grand cœur la volonté paternelle afin d'éviter d'une part la reprise de la rivalité entre les deux princes voisins et d'endormir, d'autre part, la méfiance de son père sur tout ce qui se tramait et sur le départ de l'expédition projetée sur l'Armorique, expédition, dont il était l'âme et le chef….

Le mariage d'Efflam et d'Hénora, accepté par les parents et les enfants, fut décidé aux environs de la Pentecôte de l'année 470.

Efflam, toutefois, n'avait pas abandonné son projet.

C'etait un esprit énergique, actif, aventurier, préférant aller au devant de l'inconnu plein de mystères et de difficultés que de rester dans son manoir mener une vie régulière, paisible, tranquille, mais monotone de seigneur ; il aimait l'action et la lutte, caractère semblable à ceux que l'Angleterre continue toujours à fournir en grand nombre.

Efflam avait secrètement préparé pour se lancer dans la vie monastique, non pas dans une vie de jeûnes, de prières et de macération, comme on serait tenté de l'imaginer, mais dans une vie analogue, que l'on menait dans les anciens collèges de druides si développés en Grande-Bretagne, vie où règnaient surtout l'amour de la solitude, la prédilection pour les bois et les sites sauvages, le plaisir du travail manuel en commun, de la prière et des chants ininterrompus nuit et jour, dans cette vie semblable et dérivée que les premiers chrétiens insulaires aimaient tant, en adaptant leur ancien esprit à la nouvelle croyance du Christ et à l'intérêt de son extension, dans une vie toute de dévouement, de travail en coopération, d'union de tous les instants pour l'effort, dans la voie de colonisation et de christianisation, vie d'apôtre et vie de colonial qui sied tant à l'esprit breton.

Un seul moyen existait pour Efflam, pour réaliser son rève : s'exiler, aller demander à un pays accueillant comme était l'Armorique, ce qui pouvait lui manquer chez lui : un terrain neuf où il pourrait déployer toute son activité débordante et croire en sûreté au Dieu de ses ancêtres.

Tel était donc le motif du départ qu'Efflam avait en secret préparé depuis de longs mois.

Secrètement aussi, il avait constitué tout un groupe de seigneurs amis, de fidèles et de serviteurs, prêts à s'expatrier avec lui au premier signal : tous avaient accepté avec empressement.

Le mariage décidé avec Hénora, il le concluerait donc ; mais dès qu'il serait célébré, il s'en irait.

Au mieux de son dessein, la date convenue pour l'union correspondait avec celle fixée pour l'embarquement et le départ.

 

2. Les préparatifs du départ.

Le premier soin d'Efflam avait été de recruter avec soin ses compagnons et tout le personnel qui devaient l'accompagner dans son expédition.

Il est impossible d'être documenté sur l'importance de cet effectif ; mais si l'on se base sur celui réalisé par les expéditions similaires, on peut estimer à 150 hommes environ l'effectif recruté, amis, serviteurs, marins, agriculteurs, prêtres moines, tous dévoués à la personne d'Efflam et tous décidés à tenter l'aventure et à réussir dans leur entreprise.

Parmi eux, se distinguaient particulièrement sept hommes dévoués et actifs auxquels Efflam accordait toute sa confiance : Harant, Eversin, Kirio, Nérin, Carré, Quémeau et Mellec.

Pour embarquer cet effectif, une quinzaine de navires de tonnage moyen pour l'époque, susceptibles de recevoir une dizaine d'hommes, étaient nécessaires. Dans ce pays d'insulaires et de marins, le choix des navires fut facilement et rapidement fait.

La répartition du personnel par navire, l'attribution des rôles tant pour la préparation de l'opération que pour la route, furent minutieusement étudiées.

On dut former trois groupes.

Puisqu'il devait donner son nom au port où l'on débarqua, c'est qu'il y débarqua le premier ; car le reste de sa vie devait de passer à Lanvellec.

Mellec devait donc commander le premier groupe, d'avant-garde ou de reconnaissance, composé de deux ou trois navires.

Le gros, une dizaine de navires, étaient aux ordres d'Efflam. Le reste formait l'arrière-garde aux ordres de Quémeau (on verra plus tard les raisons de cette hypothèse).

Des vivres furent chargées pour une semaine de traversée, non pas que l'on comptât sur une durée aussi longue de voyage, mais par précaution ; on ne comptait guerre mettre plus de cinq jours, trois pour atteindre la pointe cornouaillaise du Land's End et deux pour arriver en Armorique.

Mais... si les vents étaient favorables, comme on l'escomptait en deux jours à peine on serait rendu.

Il n'y avait plus qu'à fixer la date du départ de façon à mettre de son côté toute chance de réussite.

Les coutumes locales du pays plestinais ont fixé les fêtes de Saint Carré, de Saint Harant, de Saint Quémeau et de Saint Nérin aux jours qui précédent ou qui suivent la Pentecôte et une vieille tradition locale dit que Saint Efflam et ses compagnons décidèrent de se réunir par la suite le jour de la fête de la Sainte Trinité pour commémorer ensemble l'anniversaire de leur débarquement sur la terre plestinaise.

Ce fut donc vraisemblablement aux jours de la fête de la Pentecôte que le départ fut fixé. A cette époque en effet, les vents sont favorables ; la brise de Noroît pousse vers le Sud-Est ; les courants sont très bons et les jours sont longs.

L'heure du départ fut fixée à la tombée de la nuit de façon à n'attirer que le moins possible l'attention générale.

Efflam qui voulait avant tout, ne pas éveiller, celle de son père, avait eu soin de faire coincider ce départ nocturne avec la date fixée pour son mariage avec Hénora.

 

3. Le départ, la route et le débarquement.

Le mariage d'Efflam et d'Hénora a été célébré à la grande joie des parents, maintenant réconciliés.

Le soir, lorsque les deux époux se trouvent seuls, Efflam, en toute franchise, expose sa ligne de conduite et sa ferme décision prise de quitter l'Irlande pour aller coloniser en Armorique, en ce pays où le barbare saxon ne s'est point encore installé, où il n'a pu commettre de méfaits ni importer son athéisme à la faveur du fer et du glaive. Il proposa à Hénora de le suivre, mais sous la réseve qu’ils resteront tous deux séparés de corps, unis seulement dans la pensée du Seigneur.

Hénora reste stupéfaite ; elle pleure elle hésite.

Mais l'heure n'est pas aux tergiversations : Efflam disparaît, laissant son épouse éplorée et gagne le port où les voiles des bateaux commencent à se tirer.

Mellec, le hardi marin d'Irlande, part le premier avec son groupe. Lorsque ses feux ont disparu, Efflam à son tour, fait hisser les voiles et donne le signal du départ du gros. Puis Quémeau enfin, quitte le port et les rivages de la verte Erin que l'on abandonne sans espoir de retour.

Le voyage se fait sans incident.

Après un dernier salut, au pays natal dont les hauteurs se profilent dans l'ombre de la nuit, la flotte a pris le large.

Le surlendemain, on arriva à hauteur du cap Lezard et on entre dans la Manche. Où va-t'on ? On n'en sait rien ; on se laisse aller aux vents propices et à la grâce de Dieu.

Au matin du troisième jour, Mellec aperçoit la terre : une côte se profile au dessus de l'horizon marin, ligne sombre et estompée tout d'abord, se confondant avec la brume marine, plus nette ensuite à mesure que l'on avance ; puis enfin, des croupes couvertes de bois et d'ajoncs, merveilleux mélange de vert et d'or, se découpent d'une façon nette.

Droit dans l'axe de la direction de marche, on aperçoit des îles rocheuses, aux contours mamelonnés et, à tribord, un estuaire aux flancs raides, un bas-fond couvert de taillis, de landes et d'arbres que vient baigner le flot et au dessus duquel émerge à une certaine distance, un immense rocher aux reflets grisâtres et bleuâtres, piton énorme qui apparaît comme une vigie, au dessus de toute la dépression boisée.

On arrive près d'une presqu'île aux contours pittoresques. Dès qu'on l'a doublée, une vallée apparaît s'enfonçant dans les terres en courbes sinueuses d'une exquise beauté de paysage.

On approche de la terre. Le rocher, grand géant bleu qui domine la dépression, apparaît plus grand et plus imposant ; on l'appelle l'Hirglas. Tout près sur la droite, une pointe de terre semble commander l'entrée ouest de la dépression boisée ; elle n'est qu'une suite de criques et de baies dont l'une, placée entre deux pointes paraît offrir une position favorable pour atterrir.

Mellec se dirige sur cette crique, sur cette anse qui lui paraît si favorable à un débarquement et où il espère atterrir avec toute sécurité.

Il dirige alors un bateau pour prévenir Efflam du lieu choisi pour le débarquement et, avec les autres, pique droit sur la crique qui constitue un hâvre naturel bien abrité et qu'il dénommera par le suite le port de Mellec : Porzmellec.

Pourquoi en effet ce souvenir de Mellec attaché à ce point de la côte, avec la dénomination de port, alors que l'on sait que ce compagnon d'Efflam devait aller plus tard défricher la lande qui s'étale vers le Sud, en lisière de le grande forêt et qui s'appellera lande Meloci, Lanvellec ?

C'est en toute vreisemblance, qu'il y débarqua le premier et qu'il y attacha son nom.

Voiles baissées, rames en action mues par de solides poignets de marins irlandais, la flottille d'avant-garde est entrée dans le port : on atterrit ; on amarre les bateux et on fait la reconnaissance des lieux : tout paraît tranquille.

On laisse des hommes à la garde des navires et le reste grimpe sur le croupe pour couvrir le débarquement du gros qui est signalé.

Efflam approche. D'un coup, d'oeil, il a jugé la situation du terrain. Débarquer en groupe compact et entassé dans une crique aussi resserrée paraît peu prudent.

Les bateaux du gros se sont rapprochés à portée de voix. Efflam fait dire à Harant de se détacher avec son navire et d'entrer dans l'estuaire de le rivière qui limite à l'ouest la presqu'île armoricaine avec mission de reconnaître cette vallée et de chercher ensuite à se relier par terre avec lui.

Enfin il fait prévenir Quémeau qui approche à son tour avec sa flottille d'arrière-garde de se diriger sur le grand estuaire qui s'ouvre à l'est du bas-fond boisé de l'Hirglas, de s'installer sur le promontoire de cet estuaire et de chercher ensuite la liaison avec lui.

Toutes mesures de prudence et de sûreté prises, Efflam, tranquille, gagne alors le port de Mellec.

Les bateaux sort amarrés et les émigrés débarquent, un peu anxieux. Où est-on ? Comment va-t-on être accueilli ? Ce sont les questions que chacun se pose, lorsque un cri retentit, poussé par les hommes de Mellec : " Halte, crie-t-on, des troupes armées d'indigènes s'avancent ; ce sont des draconnaires romains ".

Efflam ne veut pas en venir aux mains ; une explication loyale suffira.

Néammoins, il fait prendre les armes que l'on a apportées et, prescrivant à Mellec de faire face aux éléments qui avancent par la vallée longeant la pointe de terre, il se dirige avec le gros des siens sur l'éminence couverte de taillis qui s'élève au milieu de le dépression de terrain et par laquelle paraît s'avancer la plus grande partie des forces draconnaires.

 

4. Le combat avec le dragon.

Dès la pointe du jour, la vigie du Grand Rocher a signalé de nombreuses voiles à l'horizon, se dirigeant vers la pointe de terre pendant que quelques autres filent vers l'entrée du Léguer. Aucun doute possible : ce sont des barbares, des Saxons.

Le camp de Tréduder est prévenu ; le groupement du Launay, du Beuzit et du Grand Rocher l'est également.

Tous les hommes valides, capables de se battre, courent à leurs haches, à leurs piques, à leurs épées et se groupent autour des chefs, Pas d'instant à perdre ; il faut s'opposer au débarquement.

Le temps d’être prévenu, de s’apprêter, de se réunir et de prendre toutes dispositions utiles exige quelques heures.

Deux groupes se sont formés.

Les draconaires de Tréduder ont descendu rapidement la route de Carhaix et gagné le carrefour de la Croix de Grève pour marcher ensuite sur le mamelon du Rocher Rouge, couvert de petits taillis qui masquent et facilitent la progression. Leur but est de manoeuvrer en menaçant le flanc gauche de l'adversaire.

Ceux de Tréardin ont pris de leur côté la vallée du Launay et se sont engagés ensuite dans le thalweg qui descend de la croupe de la Haye pour y arrêter de front l'adversaire.

Efflam, le premier, s'est heurté aux draconaires entre le pied du Grand-Rocher et la Croix de grève, non loin de la chaussée romaine qui traverse de part en part la dépression boisée, à cet endroit même où une vieille tradition, peu répandue, situe encore actuellement le combat de Saint-Efflam contre le dragon.

" Qui êtes-vous ? dit Efflam aux draconaires qui marchent contre lui. “ - " Draconaires romains, lui répond-on ".

Il veut alors s'expliquer et montrer qu'il vient leur demander asile et hospitalité, parce que l'impie saxon les a chassés de leur pays d'Irlande.

" Peu nous importe, lui clament les Tud-Aer ; reprenez vos bateaux et le chemin de votre Irlande. Ici vous ne passerez pas ".

Efflam certifie qu'il passera et enlève son groupe en obliquant légèrement à droite pour prendre la direction de la vallée du Launay ; mais il est attaqué et la lutte s'engage vive, l'épée frappant la pique pointant. Des blessés tombent.

Mais les Irlandais ont le nombre ; ils font reculer pied à pied les draconaires jusqu'à la grande voie romaine. Là, Efflam prescrit de s'arrêter ; car il n'est pas prudent de s'aventurer trop loin dans le vallée du Launey, dominée par les hauteurs de l'Hirglas et de Kerviziou, sans avoir au préalable été rejoint par Mellec.

Celui-ci ne tarde pas à être en vue à l'endroit même où la grande route romaine descend dans la dépression boisée.

De ce côté, il n'y a eu aucun combat : le mot de Christ a été prononcé et on a eu pitié des émigrés qui se présentaient sous d’excellentes dispositions et que l'on a reçus en frères.

Tout étonné et surpris, Efflam voit accourir vers lui hommes de Mellec et gens de Tréardin mélangés. Sa première parole à Mellec a été un cri de joie, celui-là même qui se transmettra dans la tradition et que la légende exploitera : “ J'ai vaincu le dragon qui voulait s'opposer à nous. Dieu soit loué ".

Comme après tout combat, une soif inextinguible saisit ceux qui y ont été engagés, les hommes d'Efflam demandent de l'eau. Sur les renseignements reçus de Mellec et des gens de Cozilis, il leur indique donc une source d'eau fraîche et excellente qui se trouve à l'extrémité ouest de la grande voie romaine, à l'orée de la dépression boisée.

C'est avec une joie délirante que les hommes d’Efflam vont étancher leur soif à la fontaine d'eau pure et limpide dont ils étaient privés depuis quatre jours. On remercie donc Efflam d'avoir indiqué cette source et on la baptisera depuis ce moment le fontaine d'Efflam.

Puis on se regroupe et on s'explique à nouveau.

" Puisque vous venez ici en frères et en disciples du Christ, dit-on à Efflam, soyez les bienvenus ; mais à une condition : c'est que vous respecterez les droits que nous avons acquis sur nos terres. Pour sceller d'ailleurs notre union et notre amitié, montez avec nous jusqu'au sommet de la colline que vous apercevez au fond de la vallée du Launay, jusqu'à Pen-an-Nec'h. Là, vous pourrez vous entendre avec notre saint pasteur qui habite dans un petit monastère qui y est élevé et lequel est le chef de notre petite église chrétienne de Cozilis ".

Efflam accepte de grand cœur et, prenant avec lui, ses principaux compagnons : Nérin, Kirio, Eversin et Mellec, il suit les hommes du Cozilis et s'engage avec eux dans la délicieuse vallée où scintille une eau limpide, sonnant joyeusement (dira la légende) avec un bruit argentin contre les pierres qui fourmillent dans son lit.

Mais il prescrit auparavant à Carré de rester avec tout le groupe d'émigrés pendant son absence, sur la lande qui borde la grande route romaine, aux abords de la vallée menant vers Cozilis.

Pour quelle raison en effet le non de Carré est-il resté attaché à cette lande et à ce ruisseau, alors que l'on sait que ce compagnon d'Efflam s'installa par la suite dans le pays contigu à celui de Mellec, dans le haut pays de landes de le vallée supérieure de Kervégant qui devait prendre le nom de Saint-Carré ?

Si un souvenir vivace rappelant Carré et sa lande a persisté à travers les siècles, au sujet de ce lieu, c'est qu'il y a joué le rôle indiqué dans le débarquement d’Efflam.

Ce point de la dépression boisée sert plus tard, dans quelques années, recouvert par la mer et transformé, plus tard encore, en dune après le recul de la mer. On y élèvera une chapelle en l'honneur de la Vierge ; mais ce point se dénommera toujours la lande de Carré, et les documents du XIème Siècle sont là pour le prouver.

 

5. Au Donguel.

Efflam et ses compagnons arrivent sur la hauteur de Pen-an-Nec'h et sont introduits dans l'oratoire ; puis dans la demeure du pasteur.

L'édifice est un édifice rectangulaire en briques romaines très anciennes qui font reconnaître l'art de Rome par la matière et la qualité de l'ouvrage.

Le chœur est dans la partie ouest, séparé de la pièce qui sert de logement à ce pasteur par une voûte que supportent des piliers. Le dispositif, sous des proportions plus restreintes rappelle celui des petites basiliques chrétiennes des premiers siècles que l'on retrouve en Tunisie, en Palestine et en Syrie.

Toute cette organisation respire la simplicité des mœurs et des goûts qui y habitent. Mais, dans la cellule du pasteur, il n'y a personne.

Gestin, le pasteur, le père et le chef spirituel, n'est pas un désœuvré ni un inactif ; c'est un apôtre dans toute l'acception du terme. Malgré son grand âge, il court le pays dès la première heure semant la bonne parole, visitant les travailleurs qui peinent pour défricher les bois, la lande ou le sol, les soutenant et les conseillant, allant voir les malades pour calmer leurs souffrances et souvent aussi pour les aider à bien mourir ; il ne rentre à sa logette que le soir pour réparer ses forces et se reposer des fatigues de la journée.

S'il a quelque attache avec Rome, il ne songe certainement pas à aller à la Ville éternelle faire un pélérinage ; on n'y pensait pas au IVème siècle et il y avait au pays qu'il occupait suffisamment de besogne spirituelle et matérielle pour remplir toute une vie d'activité.

Le matin de l'arrivée d'Efflam, Gestin s'en était allé ainsi profitant de sa tournée pour reconnaître la région boisée qui s'étendait des deux côtés de la vallée du Douron et sur laquelle se dessinait un mouvement d'extension et de colorisation.

Il ne devait rentrer qu'au coucher du soleil et ignorait tout des évènements qui venaient de se dérouler. Des messagers avaient été envoyés vers lui dans la direction probable qu'il avait prise, afin de le renseigner sur les incidents de la journée et de presser son retour à Cozilis.

Mais en attendant son retour, un serviteur de Jestin, une femme sans doute, dont le voix est douce, comme celle d'un ange du Seigneur et que le légendaire moyen-âge transformera en ange, leur apportera à boire et à manger à la manière hospitalière des Bretons, pour refaire leurs forces et leur permettre de se remettre de leurs émotions.

Efflam et ses compagnons mangèrent donc, remercièrent Dieu des grâces qu'Il leur avait accordées et s'en allèrent inspecter les environs du lieu.

Ils en admirèrent la beauté du site ; ils reconnurent la Pointe de Terre derrière laquelle s'abritaient leurs navires, seuls liens qui les rattachaient désormais à l'Irlande ainsi que la ligne bleue de le mer qui bordait la lisière boisée de la dépression ; ils distinguèrent le mamelon rouge où eut lieu leur lutte avec les Dragons et la vallée encaissée par laquelle Mellec s'était avancé ; ils virent la grande route romaine qui traversait de part en part la dépression boisée et le camp Carré s'était installé avec le gros des émigrés et avait fait commencer les feux pour la préparation du repas de ses hommes impatients de se restaurer ; ils admirèrent l'amas de rocs énormes du Grand Hirglas, qui, tout à côté d'eux surplombait, et semblait surveiller comme une vigie la lieue d'auge boisée qui s'étendait à leurs pieds.

De quelque côté que leur vue se tournât, c'était un paysage riant, s'étendant à perte de vue, coupé de vallées serpentantes, dont les taches sombres tranchaient si élégamment au milieu d'un tapis de verdure et d'or.

Et à leurs pieds, tout près d'eux, coulait le ruisseau près duquel était installé Carré et dont les eaux faisaient entendre, en heurtant les pierres éparses dans son lit, un doux murmure et un son argentin, que la légende ne manquera pas de noter.

" Quel merveilleux panorama dit Efflam. Que l'on voit loin et profondément : c'est un Don-Guel ".

Et le nom fut d'un commun accord attribué à ce lieu d'où l'on jouissait d'un si beau panorama et d’où la prière devait monter si aisément vers Dieu.

" Qu'il fait bon vivre ici ! “. Telle était la réflexion d'Efflam et de ses compagnons lorsque le pasteur Gestin arriva.

 

6. L'entente avec Gestin.

Sur son chemin, Gestin avait appris ce qui s'était passé ; il rentra donc à Cozilis.

En arrivant devant Efflam, il lui demanda qui il était et pour quelles raisons il avait abordé en Armorique.

" Je suis fils d'un grand seigneur de l'Hibernie, dit Efflam j'ai quitté mon pays parce que l'impie saxon nous en chasse et nous interdit de croire au Dieu qui est le vôtre. En débarquant des gens dragons nous ont attaqués et nous sommes restés maîtres du terrain près du mamelon rouge. Vous autres, au contraire, chrétiens de Cozilis vous nous avez recus avec la plus grande et plus affable hospitalité. Soyez bénis. Nos bras, nos cœurs et nos âmes sont désormais à vous. Utilisez-nous ".

" Dragon ? riposta Gestin ; mais je le suis aussi. Mes attaches sont romaines et l'Italie que j'ai quittée sans espoir de retour, est quelque peu encore ma patrie. Je suis aujourd'hui le pasteur de ce peuple du Launay et de Cozilis, par pouvoir de mon prélat qui est dans la vallée du Leguer, au Yaudet, que nous dénommons Vetus-Civitas. Ici, nous sommes tous enfants du Christ ; et, puisque vous venez sous le signe du poisson et de la croix, vous êtes les bienvenus. Le terre de cette région, est vaste ; il y a de la place pour toutes les bonnes volontés et pour vous donc qui en apportez. Si vous voulez nous aider à en augmenter les parties cultivées, à gagner de nouvelles zones à la production, à conquérir de nouvelles âmes à Dieu, nous vous acceptons de tout cœur ".

Alors Gestin réfléchit. Il a lu dans les yeux d'Efflam et de ses compagnons le vif désir de l'aider ; et, comme si une voix céleste parlait en lui, Gestin ajouta :

" Efflam, mon frère, Dieu me suggère une idée. Envoie tes compagnons dans tous les pays aux environs, vers la forêt et vers les terres incultes du haut pays ; ils y laboureront la terre et les âmes pour le Christ. Toi, reste ici ; prends ma cellule et mon oratoire ; je te les offre ; tu peux t'y installer. Moi je m'en irai dès demain, pour m’installer sur ces croupes du Lanscolva que tu aperçois d'ici et j'y établirai les assises d'une nouvelle agglomération que je nommerai de mon nom, Plebs Gestini ou Plestin. Sois mon aide en cette œuvre de colonisation que je vais entreprendre ; maintiens et étends sur ces lieux celle dont je te confie la suite et dont je resterai toujours l'âme et le pasteur ".

Efflam après quelques refus, accepta le traité.

Le lendemoin, Gestin reprenait son bâton de voyageur et, par la croupe de Saint-Roch, gagnait les hauteurs de Lanscolva.

C'était le début de la fondation de Plestin.

 

7. Les Compagnons d'Efflam.

Efflam et ses compagnons restèrent au Cozilis pendant quelques jours pour y prendre un repos bien gagné. Ces jours furent employés à compléter la connaissance des lieux et à préparer la détermination à prendre avant la séparation convenue.

On apprit alors que Harant, aprés avoir remonté le Douron, avait atterri non loin de son embouchure, dans un coin abrité des vents qu'il n'était pas possible de dépasser par manque d'eau à marée basse. De là, il avait gagné plus avant dans la vallée au point extrême où la marée se faisait sentir, au Moalc'hik. Il y avait trouvé un vieil oppidum gaulois au pied duquel il s'était installé avec ses compagnons. Il avait appelé ce point Tréharant et y avait jeté les amorces de colonisation et d'exploitation méthodique du terrain.

On apprit aussi que Quémeau avait débarqué à la pointe du Dourvin (Dourven), à l'extrémité Sud de l'embouchure du Guer, non loin du Yaudet, tout était tranquille de ce côté et les pêcheurs du hameau situé à la pointe l'avaient reçu à bras ouverts, lui et ses condisciples.

Il ne restait donc plus qu'à tracer aux autres compagnons leur voie et à leur donner une mission.

Eversin reçut la mission de se diriger avec un groupe d'insulaires sur le camp de Tréduder et de pousser plus avant sur les croupes qui s'élèvent à l'est de la rivière de Kerdu.

Mellec, avec un autre groupe, fut chargé de partir vers le Sud, à la lisière des bois, à trois lieues environ de Cozilis.

Nérin devait prendre la même direction, mais par la vallée du Yar.

Carré empruntant, lui aussi la même direction, les dépasserait pour s'établir en plein pays granitique au seuil de la montagne.

Quant à Kirio, il s'en irait par le Sud-ouest, dans la direction des bois et des landes de le rive gauche du Douron.

Efflam, avec le gros des émigrés, se décida suivant le conseil de Gestin, à rester au Donguel, au centre même de toute la zone à explorer et à coloniser par ses compagnons.

La dislocation des émigrés eut lieu sans retard. Mais avant de se séparer, il fut, d'un commun accord, convenu que, pour se retrouver ensemble et commémorer le souvenir de leur débarquement, tous se réuniraient, tous les ans, à pareille époque, que le jour de leur séparation, c'est-à-dire le jour de la Sainte Trinité, sur la route qui traverse la région boisée, près de la fontaine où l'on fut si heureux de trouver une eau pure après la lutte contre les Tud-Aer.

Chacun des compagnons, emmenant son groupe, se dirigea alors vers la zone qui lui était affectée, sur Ploumilliau, sur Saint-Carré, sur Plounérin, sur Lanvellec, et sur Plouigneau où leur souvenir s'est quoi qu'on dise et qu'on écrive, perpétué d'une facon vivace et où la tradition populaire les a toujours considérés comme les compagnons d'Efflam.

Tous ont donné leur nom aux pays qu'ils occupèrent et aux peuples qu'ils fondèrent :
- Harant à la frérie de Tréharant en Plestin.
- Quémeau, au petit bourg de pêcheurs de Locquémeau.
- Mellec, à Lanvellec (Landa Meloci)
- Nérin, à Plounérin (Plebs Merini )
- Carré, à Saint-Carré, au-delà de Lanvellec.

Deux seulement, aux deux ailes du dispositif d'Efflam, ne semblent s'être fixés : Saint-Eversin, dont la mémoire est vénérée du côté de Ploumilliau et Saint Kirio, moine voyageur qui est toutefois très connu aux environs de Morlaix, dans la vallée du Dourduff dans le ville de Morlaix même, à Ploujean et surtout à Plouigneau.

 

8. L'arrivée d'Hénora.

Après le départ d'Efflam de la maison paternelle, le soir de son mariage, qu'advint-il d'Hénora ?

Se voyant abandonnée de son ami et de son époux, Hénora, dit la légende pleura toutes les larmes de son corps et se décida à aller retrouver son mari.

Elle court au port où les derniers de Quémeau s'apprêtent à partir ; elle trouve un marin qui, à force de supplications, consent à la conduire, en suivant à portée de vue, les derniers navires.

Elle veut passer inaperçue et recommande à son batelier d'être prudent dans sa marche pour ne pas déceler sa présence.

Elle part ainsi, non pas dans une outre de cuir, mais dans une barque réelle, dans laquelle, le matin du débarquement, elle assiste aux mouvements de la flottille de son mari et suit de près celle de Quémeau qui s'est détachée pour gagner la pointe du Dourven.

Là, elle prescrit à son batelier de pousser plus avant dans la vallée du Leguer. Elle vint dès lors débarquer à la grève éclusée du Yaudet ou de Vetus Civitas.

Un pêcheur du Yaudet a aperçu la barque étrangère qui accoste, qui débarque à terre une jeune fille et qui, ensuite, vire de bord, pour s'en aller dans la direction de Locquémeau.

Intrigué par le fait, il aborde la jeune personne qui fait preuve d'une hésitation toute naturelle à celui qui se trouve là tout seul en pays inconnu ; il lui demande d'où elle vient et ce qu'elle cherche.

Toute confiante, Hénora donne sur elle tous renseignements nécessaires ; elle parle de débarquement d'insulaires dans les environs, débarquement que le pêcheur ignore pour le moment, histoire fantastique qui lui paraît pour le moins étonnante et qu'il veut tirer au clair en amenent la jeune fille devant le penn-tiern de la ville, lequel depuis la chute de l'organisation romaine, tient en ses mains, l’administration civile de la ville et du pays limitrophe.

Celui-ci, pour lui permettre de vérifier les dires d'Hénora ainsi que son identité, la fait enfermer en lieu sûr ; mais dans sa décision, il y a un tout autre motif : c’est que la jeune fille est d’une très grande beauté et que la prise est bonne pour lui.

Mais, vers le soir, Hénora a séduit son gardien, un chrétien peut-être. Pour cette raison sans doute, il s'est intéressé à la prisonnière et, une nuit venue, il lui laisse sa liberté.

A la faveur de la nuit, Hénora, sommairement renseignée, se dirige par la côte, qu'elle sait jusqu'à Trédrez, prend contact avec des hommes de Quémeau qui la documentent d'une façon précise, s'engage sur le grande route romaine vers la dépression boisée de la Haye, passe au pied du Grand Rocher et arrive au Cozilis, quelques temps après le départ des compagnons d'Efflam.

Celui-ci reste tout surpris de retrouver son épouse. Il la reçoit près de lui, mais en lui faisant connaître sa volonté expresse de ne pas faire vie commune, de se vouer au célibat, à la vie cénobitique et à Dieu et en lui conseillant de suivre elle-même son exemple.

Pendant quelques jours, Hénora vécut auprès d'Efflam.

Un matin, arrivent au Cozilis un groupe de cavaliers avec le pentiern de Vetus Civitas qui vient de rendre compte lui-même des mouvements d'insulaires qu'on lui a signalés, mais qui a le secret dessein de retrouver et d'enlever la jeune fille qui s'est enfuie de sa prison.

Descendu de cheval, il va droit à la logette contigüe à l'église de Cozilis ; il ouvre la porte. 0 surprise ! Il y voit Efflam et Hénora, vaquant paisiblement à leurs travaux.

Son premier mouvement est d'aller à la jeune fille pour s'en emparer ; mais Efflam, d'une main ferme, l'a arrêté. " Je suis ici le successeur de Gestin, pasteur désigné par le prélat du Yaudet et cette femme est mon épouse dans le Seigneur. N'y touchez pas " dit Efflam d'une voix mâle et impérative.

Le pentiern reste abasourdi de ce qu'il a entendu et sa main prête à saisir le belle Hénora reste comme glacée.

Mais Efflam a deviné la secrète intention du pentiern et faisant à Hénora un rempart de son corps, il adresse à ce chef ces paroles prononcées d'un ton majestueux et ferme : "  Retournez d'où vous êtes venu. Que Dieu excuse votre faute et vous pardonne comme je vous pardonne en bon chrétien ".

Et, honteux de sa mésaventure, le pentiern remonta à cheval avec son escorte dans le direction du Yaudet.

Peu de temps après, Hénora quitta Efflam pour aller vivre, isolée à Penbouillen, dans la vallée de la Blanche où son souvenir resta attaché et où s'éleva à la place où la tradition plaçait la logette de l'épouse de Saint-Efflam, une chapelle dont nous voyons encore aujourd'hui les restes en ruines.

Son séjour au pays de Plestin fut de courte durée.

Elle apprit bientôt le débarquement en Cornouailles, de Nennok, autre irlandaise émigrée qui commençait à organiser un couvent de femmes. Elle quitta dès lors le pays de Plestin pour rejoindre Nennok.

Elle fonde même, plus tard, un monastère à Plœmeur, aux portes de Lorient, pays qui la canonisa après sa mort et qui célèbre encore sa fête le 11 octobre de chaque année.

 

9 Le rôle d'Efflam dans le pays plestinais.

Si l'on remarque l'influence toute particulière qu'a eue sa mémoire dans la partie nord de Tréardin et surtout dans les deux frèries de La Haye et de l'Armorique, quelque même en celle de Tréharant, si l'on constate que la majeure partie des terres, qu'on devait signaler plus tard comme lui appartenant, ou du moins comme léguées à son souvenir et à sa dévotion, s'étalait de la Haye au Pont Conan on peut dire que le terrain sur lequel son action s'est fait sentir est marqué sensiblement par une ligne allant de Pont Conan à Pont Ménou, à l'exception de la partie de Tréoustad qui contient le bourg de Plestin.

Saint-Efflam vécut en ermite, comme les moines bretons et irlandais de son siècle, passant ses journées, non pas à prêcher, à prier et à se macérer, mais dans la pratique rigide de la règle et de la discipline monastiques résumées en trois mots par Saint Budoc : l'étude, la prière et le travail des mains.

Il a achevé l'organisation entreprise par Gestin, en y ajoutant les habitudes irlandaises, telles que la tenue convenancière des terres, en répartissant le sol entre les hommes qui faisaient preuve d'intelligence, d'une activité et d'un esprit d'entreprise au-dessus de la moyenne, tout en respectant les droits acquis par les anciens soldats draconaires ou les familles les plus honorées et les plus respectées et en donnant aux autres la mission de servir de colons aux propriétaires désignés, afin d'assurer la mise en état, du plus grand domaine possible et de réaliser une production et une richesse de plus en plus importantes.

Les insulaires qui l'avaient accompagné reçurent le même rôle et la même mission ; les plus actifs reçurent des terres à faire valoir et à défricher, notamment vers la Haye et l'Armorique ; les autres devinrent les colons des premiers.

C'est de cette époque que paraît dater la fondation du manoir de la Haye, au sommet du mamelon qui dominait la dépression de Saint Efflam.

Ce manoir, simple ferme des plus modestes pourtant en ce moment, est certainement la plus ancienne demeure de la région. Position merveilleuse au-dessus de l'auge boisée, surveillant la mer de la Pointe de Terre à l'entrée de la baie de Lannion ? le manoir de la Haye a tous les caractères d'un ouvrage de défense dont la motte se reconnait encore ; il a, en outre, possédé de tous temps des droits spéciaux de juridiction. Il fut donc confié à un homme qui ajoutait à ses qualités de cultivateur expert, celles d'un chef militaire assuré et d'un esprit droit, juste et intelligent.

C'est de cette époque également que doivent dater les manoirs de Krec'h Gouan, de Roscerf et de Kermalc'houézan, en cercle autour de Pont Conan, comme si l'on eut voulu se protéger de ce côté vers Tréduder, le pays des irréductibles Tud-Aer.

Les chevaliers de la Haye et de Conan sont en effet mentionnés dès le Xème siècle (milites de Haya et Conani).

On peut citer encore parmi les familles venues avec Efflam, les Sparan et les Biron, qui ont depuis longtemps disparu, les Derrien qui constituèrent famille noble et les Garions qui existent toujours et sont dans le pays la plus vieille souche de colons.

Toute cette organisation fut-elle à proprement parler celle d'Efflam ? Non. Elle était toute naturelle ; car les peuples enfants cherchent toujours des soutiens et, pour s'organiser, désignent les familles les plus qualifiées pour prendre la direction et le commandement.

Efflam, actif, a été l'âme de tout le mouvement. Les qualités de chef ne pouvaient lui manquer ; il a été écouté.

Sans avoir été prêtre, il a joué le rôle de directeur spirituel du peuple de sa zône qui devait l'aimer et l'estimer à un très haut degré.

Homme serviable, prêt à secourir le malheureux et à donner le bon conseil, il fut surtout l'objet de la vénération du travailleur.

S'il aimait le petit coin de sa fontaine et le tertre voisin où, chaque année, il réunissait ses compagnons pour fêter l'anniversaire de leur débarquement, s'il affectionnait ces abords de la grande route romaine où il trouvait toujours des services à rendre aux passants, c'est surtout au Donguel, à Cozilis qu'il vécut et mourut le 6 Novembre 512.

Fit-il de Cozilis un monastère ? La chose est probable. Réunit-il auprès de lui des religieux et des anachorètes comme lui ? C'est encore probable, sans qu'on puisse cependant en avoir aucune preuve certaire, si ce n'est une tradition antique mentionnant qu'à l'invention de ses restes, on trouva sur son sarcophage l'inscription Saint-Efflam, mort le 6 novembre 512, enterré par ses religieux.

Après sa mort, son souvenir resta vivace parmi le peuple de la contrée plestinaise et fut l'objet d'une telle vénération que l'on en fit un saint, sans bref de Rome.

Son tombeau, sans nul doute, devait se trouver à Cozilis. Il fut considéré comme le premier patron du pays, principalement à cause de l'importance prise par les seigneurs de le région où il avait vécu et qui eurent une tendance naturelle à considérer leur patron comme ayant joué un rôle primordial dans la fondation du pays.

Sa renommée dépassa les limites de Plestin ; il fut l'objet d'une grande vénération à Pédernec, à l'hopital de Morlaix et surtout dans le Morbihan, à Lescouet, à Languelan et à Carnoet.

 

10. Gestin sur la lande de Lanscolva.

Après avoir quitté Cozilis, Gestin s'en vint, par les hauteurs de Saint Roch, sur la croupe aride de Lanscolva, croupe élevée d'où l'on domine tout le pays de Lanmeur, de Plouegat et de Guimaëc, et d'où la vue s'étend sur toute le vallée du Douron, sur l’estuaire de cette rivière, sur Locquirec et sur toute la pointe de l'Armorique.

Là, en contrepente sur le flanc boisé de sapins et de pins vétustes et couvert de landes, et de taillis, à côté de la voie romaine amorcée sur le Porjou où s'attachait pour lui un dernier souvenir de Rome paienne, dans la cour d'un fanum de Jupiter (Porz-Jovis), il s'arrêta, contempla le panorama et se dit : “ Voici l'endroit où je vais m'installer. Je vois d'ici le lieu où Efflam a laissé les barques de ses insulaires et la région où Harant s'est établi avec ses compagnons. Vers le pays haut, la terre est riche, vers le sud et le sud-est, voilà la forêt et le marécage qu'il importe de défricher au plus vite. Plus le mouvement de colonisation s'étendra plus le pays sera riche, plus les familles augmenteront et plus il y aura pour moi un champ vaste pour la moisson des âmes. Les bras des insulaires d'Efflam apporteront dans tous ces travaux une aide indispensable. Ici au centre de ce peuple que je vais grouper et fonder, j'exercerai facilement le rôle de pasteur qui m'est dévolu ”.

Sans tarder, Gestin se mit à la besogne.

Il établit se logette sur un petit tertre à quelques centaines de mêtres au dessus de Pen-ar-Vern, non loin d'une source d'eau abondante.

Recruter, exciter, organiser les bonnes volontés demandèrent de longues étapes.

La plus importante fut d'attirer à lui par la douceur de sa religion toutes les âmes du pays.

Installé dans sa logette, près de le fontaine d'eau fraîche et limpide, il aimait après les travaux et les courses de la journée, à grouper autour de lui, les paysans, les colons, les travailleurs, à causer avec eux et à les recevoir pour leur faire entendre la bonne parole.

Il fut pour tous le meilleur apôtre du progrès, tout en restant l'apôtre du Christ.

Chez tous ces hommes à l'âme naïve, la nouvelle religion fut toute simpliste. Les dieux des druides furent remplacés par un Dieu en trois personnes et l'image de la Trinité, qui, leur plaisait, parce que, mystérieuse sans doute et leur rappelant les croyances druidiques, elle enseignait l'existence dans le même créateur de toutes choses des trois fonctions de puissance, d'action et de pensée, fut celle qui les frappa le plus ; et de là, naquirent dans la région, les nombreuses chapelles dédiées à la Sainte Trinité.

Puis l'histoire de la Passion du Christ mis à mort par les Juifs et ressuscité du tombeau les intéressa vivement. Ils y crurent d'autant plus qu'ils savaient qu'il y avait eu au Yaudet des premiers confesseurs de la foi, disciples de celui-là même qui avait mis le Christ dans le propre tombeau qu'il se réservait pour lui-même à la mode juive.

Mais surtout ce qu'ils aimèrent au premier chef, c'était la notion d'une Vierge enfantant le Sauveur du monde, croyance nouvelle où il y avait un caractère humain qui avait manqué à la religion druidique ; de là, naquit cet amour spécial que les Bretons de la région de Plestin ont eu pour la Vierge sous toutes ses formes, depuis la vierge dans son acte de mère qu'on vénérait au Coz-Yaudet, jusqu'à la Vierge mère de Gestin tenant son petit-enfant-Jésus sur les bras gauche, jusqu'à la Vierge de tendresse, de protection, de pitié, de consolation, de douleur ou de merci, qu'on trouve vénérées en tous coins du pays, à Trémel, à Saint-Jagut et à Saint-Carré.

Attirés par le charme des manières de Gestin, comme d'ailleurs de ceux qui le suivirent, comme premiers pionniers de la foi, ils eurent pour tous le respect et la vénération les plus grands.

S'ils avaient jadis respecté les Druides en raison du mystère dont ils s'aimaient à s'entourer pour masquer le vague de leurs croyances, aujourd'hui, ils avaient devant eux des gens comme eux qui enseignaient une religion toute de bon sens, d'amour, de bonté, de justice et d'égalité, des hommes qu'ils cotoyaient journellement, dont ils pouvaient constater l'austérité de la vie, le zèle et les qualités d'apostolat et qu'ils vinrent à considérer comme des êtres supérieurs, des saints qu'ils canonisèrent d'un commun accord, sans bref préalable d'aucun pape.

Apôtre du progrès et de la civilisation, Gestin le fut donc.

Grâce à son influence bienfaisante, quelques demeures se groupèrent à flanc de coteau, au pied de la grande lande de Lanscolva, à mi-route entre sa logette et l'embouchure du Douron, en pleine bonne terre, sur un palier abrité et bien pourvu d'eau.

Le Cozquer (La vieille ville) se bâtit tout d'abord ; puis ce fut le tour du Penker (tête de ville) et enfin, grâce au travail commun et à l'affluence de toutes les bonnes volontés, un petit édifice religieux se construisit à l'emplacement de l'église paroissiale actuelle.

Le bourg de Plestin se trouvait dès lors amorcé par ses trois extrémités.

Grâce à lui, le pays s'organisa depuis la côte jusqu'aux hauteurs de Trémel et de Saint Maurice et depuis le Douron jusqu'au Yar.

Saint Efflam, vers la Haye, l'Armorique et le pays draconnaire de Tréardin, avec Cozilis comme centre ; Harant, sur la côte entre le Douron et l'Armorique ; les vieux draconaires romains et leurs descendants, sur la zone allant du Grand Rocher jusqu'à Trémel ; au centre Gestin le pasteur, avaient jeté les bases de l'organisation plestinaise et préparé la mise en valeur du pays.

Plestin, le peuple de Gestin, était né ; il n'y avait plus qu'à laisser faire le temps.

Le 19 Avril d'une année dont la tradition n'a pas gardé le souvenir, mais probablement entre 480 et 500, Gestin mourut, humble comme il avait vécu.

Ses restes furent enterrés non loin de la route de Porjou près de sa logette, sur la petite place où il avait tant de fois semé la bonne parole et fait si bonne école, à côté de la hauteur de Lanscolva, dont le nom semblerait encore rappeler par son étymologie l'œuvre qui y fut faite par le fondateur du pays (Land-ar-scol vad).

Humble il était mort ; humble, reste sa mémoire, et on ne lui attribua par la suite que le rang de second patron de la paroisse alors qu'il l'avait effectivement fondée.

On ne retrouva de lui par la suite ni reliques ni tombeau. Les barbares du IXème siècle les trouvèrent-ils et les emportèrent-il ? La chose est possible ; car c'était leur habitude et leur façon de procéder.

Mais son souvenir resta sacré dans les bois de Lanscolva à un point tel, dira la vie latine des Blancs Manteaux de Saint-Efflam, que personne n'aurait touché aux rameaux des arbres qui pourissaient sur le sol, ni osé les ramasser, ni même couper ou briser les troncs.

En 1875, dans le champ situé au-dessus de la chapelle Saint Gestin, non loin de la grande route actuelle et du chemin menant au Porjou, Mr Digaire exhuma en labourant la terre, un tombeau romain où l'on trouva, dit-on, une urne et une épée qui furent adressées au musée de Saint-Brieuc. Si ce dit-on n'est pas exact et cela se pourrait, il y a toutes chances que l'on ait trouvé le tombeau de Gestin s'il est exact, ce serait une coincidence étrange qui, faisait ainsi reposer un soldat romain à coté des restes d'un autre enfant de souche romaine qui, était devenu le fondateur réel du pays armoricain de Plestin.

(M. S. J.).

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