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LE CLOCHETON DE SAINT-EFFLAM A KERALLIC, EN PLESTIN.

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Dans la commune de Plestin (Côtes-d'Armor), presque au bord de la mer, à l'endroit où la côte bretonne s'incurve si harmonieusement pour former cette plage immense, encadrée de collines boisées, qu'on appelle la Lieue de grève, tout près du vieux chemin de Morlaix à Lannion, se cache dans la verdure la chapelle de pèlerinage dédiée, à Saint-Efflam. Reconstruite il y a environ quarante ans (vers 1880), elle n'offre aucun intérêt pour l'archéologue ; mais, en revanche, à 300 mètres de là environ, sur la hauteur, au niveau du plateau et dominant la mer de quarante ou quarante-cinq mètres, se dresse un curieux édicule, autrefois situé près du hameau de Kerallic et malheureusement aujourd'hui englobé, ainsi que l'emplacement de ce hameau disparu, dans les limites d'un parc moderne au milieu duquel il semble dépaysé.

C'est une pile carrée, en grand appareil de granit, terminée par une tablette dont la saillie, profilée d'un talon, forme corniche et que surmonte un petit campanile ajouré d'une seule baie carrée amortie par un linteau triangulaire qui s'amortit en pyramide. L'ensemble présente une hauteur de 7 à 8 mètres.

Ce monument n'a été reproduit ni même signalé par aucun archéologue, à notre connaissance [Note : C'est à M. René Largillière que nous devons de pouvoir en parler. C'est aussi lui qui a pris la peine de le photographier et de faire les recherches dans les archives paroissiales et départementales qui ont fourni les éléments nécessaires à la solution de ce petit problème archéologique]. Sa destination paraît d'abord assez mystérieuse. On pourrait se croire en présence d'une lanterne des morts ; mais, outre que la région bretonne, pourtant si riche en accessoires de cimetières, ne semble pas avoir connu l'usage de ces lanternes, dont aucun exemplaire n'y a du moins subsisté jusqu'à nos jours, deux faits d'observation facile viennent nous mettre sur la voie d'une interprétation toute différente.

Sur la face antérieure de la corniche, la pierre a été profondément usée par le frottement d'une chaîne ou d'une corde et, d'autre part, la parcelle dans laquelle se trouve l'édicule porte au cadastre le nom de Goarenn ar clochet, qui, en breton, signifie : garenne du clocher. Donc, nul doute : nous sommes en présence d'un clocheton veuf de sa cloche.

Ceci coupe court à une première légende, mise en circulation au commencement du XXème siècle par un ingénieux éditeur de cartes postales, qui inscrivait au-dessous de la phototypie du clocheton : « On y pendait autrefois les esclaves ». Cette itiverition, bien que fantaisiste, n'était pas tout à fait gratuite, en vue de mieux vendre les cartes. Près de là, un champ porte le nom de Ros ar Criminel c'est-à-dire : le Tertre des Criminels, en souvenir du gibet de la justice des seigneurs de la Haie-Quer, qui s'y trouvait érigé.

D'autres légendes, tenant mieux compte de la vraie nature du monument, sont nées du travail qu'impose à l'imagination populaire son caractère inutile et le besoin d'attribuer un sens à son érection dans ce lieu écarté.

Plestin-les-Grèves : le clocheton de Saint-Efflam à Kerallic (Bretagne).

Clocheton de Kerallic (Côtes-d'Armor).

Il passe le plus souvent, de nos jours, pour avoir supporté la cloche par laquelle sainte Enora se faisait entendre de saint Efflam, qui aurait résidé plus bas, à l’emplacement de la chapelle [Note : Cf. Le Braz, Les saints bretons d’après la tradition populaire, dans les Annales de Bretagne, t. XI, 1896, p. 192. Cf. aussi la version de la légende de saint Efflam et de sainte Enora publiée par M. l'abbé Duine dans la Revue des traditions populaires, t. XV, 1900, p. 618-619]. C'est là une légende récente. Il n'en est question ni dans la vie latine, publiée par Arthur de la Borderie (Annales de Bretagne, t. VII, 1892, p. 279 et suiv.), ni dans Albert Le Grand lui-même, pourtant peu sévère à l'égard des légendes.

On dit encore parfois que ce clocheton aurait servi à prévenir les voyageurs du moment où il devient dangereux de traverser la baie en ligne droite parce que le flot montant rend le sable mouvant à une grande distance. La même erreur romantique est colportée par les touristes au sujet d'une croix dite de la mi-grève,

Des textes découverts récemment vont permettre d'élucider la question.

D'abord, la paroisse de Plestin-les-Grèves conserve un précieux Cahier de paroisse, rédigé par M. l'abbé Le Joncour, recteur, qui mourut en 1902 et qui écrivit, d'après des documents perdus ou ignorés de nous, des notes historiques où une scrupuleuse conscience d'érudit se manifeste. Page 217, on y lit :
« Ce clocher a été construit en 1572 par Yves Moriou... La cloche de ce monument a été transportée au bourg vers 1845. Elle servit longtemps de cloche d'appel ; depuis 1895 elle sert de timbre à l'horloge monumentale de l'église. Cette cloche porte la date de 1634 et l’inscription : D. A. BRAS PTRE... Elle porte encore les monogrammes de Jésus et de Marie : I H S. M A. et le nom EVLAM ».

Ce passage, dont nous n'avons aucune raison de mettre en doute les assertions, montre : 1° que le clocheton date de 1572, ce qui correspond bien à son style ; 2° que la cloche y fut mise ou plus probablement remplacée en 1634 et enlevée seulement au milieu du XIXème siècle ; 3° que le clocheton n'était pas étranger au culte de saint Efflam, dont la chapelle est au bas du coteau, puisque le nom de ce saint y était gravé.

Mais nous ne sommes pas renseignés sur l'utilité spéciale du clocheton. Nous ne le sommes pas davantage par le passage suivant d'un aveu des prêtres de Plestin au seigneur de Lesmaëz, en 1787.

« La chapelle de Saint-Efflam avec son cimetière circonférant et muré au cerne, avec ses barrières, escaliers et fréquentations, à l'entrée de la grève dudit Saint-Efflam à Saint-Michel, le droit de possession immémoriale de l'emplacement et fréquentation d'une colonne de pierre taillée en forme d'obélisque, pour servir de clochet, placée dans une garenne nommée "Parc ar clochet", situé près et au-dessus des maisons du lieu noble de Kerallic, dans la frérie de Kerallic, audit Plestin et à la distance d'environ 200 pas de la dite chapelle... terrain assez considérable... dont il ne reste que la dite chapelle, son cimetière et les deux courtils, cy-après dénommés et descrits, l'emplacement et le droit de fréquentation dudit clochet, le surplus du terrain d'entre la dite colonne de clochet et les dits courtils envahi et prescrit par les anciens propriétaires ou tenanciers dudit Kerallic ... » (Archives paroissiales de Plestin, sans cote).

Toutefois, ce document précise la dépendance absolue du clocheton et de la chapelle Saint-Efflam.

La difficulté consiste dès lors à expliquer pourquoi cette cloche, qui semble donc destinée au service de la chapelle, en est si éloignée et même quelle est sa raison d'être, attendu que la vieille chapelle [Note : Décrite par Gaultier du Mottay, Répertoire archéologique des Côtes-du-Nord, 1884, p. 308], démolie en 1886, tout comme l'actuelle avait clocher et cloche. Les témoignages des anciens sont unanimes sur ce point.

En 1786, d'ailleurs,le cahier des baptêmes, mariages et sépultures de Plestin porte la mention suivante : « Le onzième jour de septembre mil sept cent quatre vingt six, j'ai bénis une cloche à l'usage de Saint-Efflam en Grève, pesante 125 livres et ce en vertu de permission de Mgr le Mintier, évêque de Tréguier, en datte du 8 du même mois et an. G. Rouat, recteur de Plestin » (Archives communales de Plestin).

 Il paraît qu'on accédait à cette cloche, pendue sous un petit campanile au-dessus du pignon de la façade, par un escalier de pierre [Note : En breton : men eskel] en gradins grimpant le long du rampant, comme cela se voit dans un bon nombre de modestes églises ou chapelles bretonnes.

Voici enfin un document qui va nous donner avec une quasi-certitude le mot de l'énigme.

C'est un échange, passé en 1668 entre Toussaint Le Moine, chevalier, comte de Plestin-Lesmaëz, et François-René de Lezormel, dans lequel est comprise la seigneurie de Kerallic, avec la chapelle Saint-Efflam et toutes ses dépendances.

Le 24 août 1668, le seigneur de Lezormel entre en possession et le procès-verbal relate la cérémonie, qui s'opéra avec un formalisme prouvant que l'archaïsme, en Bretagne, n'est pas seulement un caractère de l'architecture et de la décoration, mais que les mœurs et les institutions juridiques, qui s'en inspirent, en sont aussi profondément imprégnées. Le seigneur entrant parcourt minutieusement toutes les parties de la seigneurie le manoir, la fuie, où il prend un pigeon, « et de là, ayant approché de la piramide ou clocher qui est à vis dudict collombier, ledict seigneur acquéreur a sonné la cloche y estant et ayant descendu dans la chapelle nommée Sainct Eufflam et apprès avoir ouy la saincte messe, qui a esté céllébrée sur le grand autel par vénérable messire Eufflam Le Guennec, recteur dudict Plestin, ledict Riou, procureur susdict, a mis pareillement ledict seigneur en pareille possession de la dicte chapelle de Sainct-Eufflam o (avec) son cimetière et de deux courtils en deppendants ».

Le procès-verbal fournit une description détaillée des vitres, mobilier, statues, etc., de ta chapelle. Il est muet sur le clocher et la cloche. Or, la cérémonie de prise de possession d'une église ou chapelle comportait au premier chef le sonner de la cloche. On a vu que le seigneur de Lézormel n'a pas manqué de faire tinter celle de notre clocheton. Il ne semble donc nullement téméraire d'affirmer qu'en 1668 la cloche de la chapelle n'existait pas encore, car autrement le procès-verbal n'aurait eu garde de la passer sous silence.

Ceci nous amène à la conclusion. Le clocheton de Kerallic, bâti en 1572, fut le clocher primitif de la chapelle Saint-Efflam-en-Grève. Il fut placé sur la hauteur pour être entendu des habitants du pays et des pèlerins en marche vers le modeste sanctuaire. D'en bas, le son est arrêté par le coteau et ne porte que dans la direction de la mer.

La même idée se trouve réalisée à Sainte-Barbe du Faouët (Morbihan), autre chapelle de pèlerinage accrocitée au flanc d'un coteau très abrupt surplombant l’Ellé. La cloche, au lieu d'être installée à la chapelle même, se trouve pendue sous un petit toit pointu porté par quatre piliers, placé au tournant où commencent les escaliers à balustres, si pittoresques, qui accèdent au monument.

Les ondes sonores peuvent ainsi s'épandre librement, sous la voûte des hêtres, tout le long du grand chemin dallé par où montent les pèlerins.

Voilà donc l'explication, naturelle et toute simple, de cet édicule de Kerallic dont le profil insolite a eu le privilège d'attirer et de retenir la brume inconsistante des légendes, ou facétieuses ou dramatiques, qui flottent avec une prédilection marquée sur ce pays de la Lieue de grève.

(Roger Grand).

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