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Bienvenue chez les Plérinais 

Plérin durant les Guerres de la Ligue (1591-1602)

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La  commune de Plérin (pucenoire.gif (870 octets) Plerin) est chef lieu de canton. Plérin dépend de l'arrondissement de Saint-Brieuc, du département des Côtes d'Armor (Bretagne). 

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On a tenté, à diverses reprises, de faire l'histoire de la Ligue en Bretagne, et ces efforts ont été généralement infructueux, faute de documents ou de données suffisantes pour faire apprécier, non le caractère de cette guerre qui était bien connu, mais pour décrire avec exactitude les divers mouvements stratégiques, — si dans une guerre semblable on peut employer ce mot, — auxquels les Français et les Anglais d'une part ; les Bretons, et les Espagnols de l'autre, se livraient tous, il faut bien le dire, de la manière la plus désordonnée ; on n'a pu, du moins le pensons-nous, suivre jusqu'à ce moment, ces divers mouvements d'une manière très-certaine. Les Bénédictins bretons semblent avoir reculé devant cette tâche considérable, et, de nos jours, plusieurs bons esprits qui s'en sont occupés, se sont aussi trouvés dans la nécessité de la restreindre. C'est qu'on ne pourra arriver au résultat que nous désirons, que lorsque l'on aura réuni assez de renseignements puisés dans les archives locales, pour en faire ensuite un travail d'ensemble.

L'histoire de la Ligue telle qu'elle nous apparaît jusqu'à ce jour, pourrait être comparée à un arbre privé de ses feuilles ; on en aperçoit bien un peu les racines, puis le tronc et les branches principales, mais toutes les petites ramifications qui terminent ces dernières et qui, en s'épanouissant, donnent à l'arbre son caractère et sa vigueur, nous semblent lui manquer encore. C'est en recueillant toutes ces notes éparses dans les papiers de familles et des anciennes paroisses qu'on parviendra à achever cet ensemble trop négligé. Nous savons par avance que les faits à colliger ne diffèrent pas sensiblement les uns des autres, que l'on trouvera partout des châteaux incendiés par les royaux et réciproquement par les ligueurs ; des réquisitions intolérables pour l'entretien des partisans et de leurs chevaux ; des rançons excessives imposées aux paroisses qui, dans l'impossibilité de payer, voyaient leurs trésoriers jetés en prison, leur territoire courru, pour employer le terme consacré, et les bestiaux de leurs principaux habitants confisqués. Ces malheurs engendraient nécessairement d'autres misères, la famine et les maladies contagieuses ; le tableau ne sera donc pas varié, mais s'il peut devenir complet, les historiens futurs sauront en tirer des aperçus généraux qui n'ont pu être exposés jusqu'à ce jour faute de documents suffisants. C'est pour aider ce résultat qu'il importe de recueillir et de faire connaître les pièces inédites qui peuvent y avoir trait, ces pièces n'eussent-elles qu'un intérêt purement local. Car il n'est point de détail à négliger ; c'est souvent par les points qui semblent les plus infimes qu'un historien arrive à déterminer le caractère vrai et les conséquences philosophiques de troubles tels que ceux-ci, troubles qui furent bien plus prolongés en Bretagne qu'ailleurs ; car, commencés en 1549, ils n'étaient pas encore apaisés en 1602, plus de quatre ans après l'acte dit de pacification (25 mars 1598).

1590.

A cette date, les troubles dits de La Ligue, nés de l'année précédente, étaient arrivés à leur plus haut degré de violence. Cette guerre, partie généralement d'un sentiment religieux et entretenue par l'ambition malhabile du duc de Mercœur, qui s'était proclamé le chef de la sainte union dans notre province, attira les plus grands malheurs sur notre contrée, et pendant plus de dix ans, elle fut dévastée par tous ces fléaux que les discordes civiles traînent à leur suite : le meurtre, le viol, l'incendie, les rapines et les débauches les plus effrénées. Nous ne savons au juste, faute de documents, ce qui se passa à Plérin et même aux environs de Saint-Brieuc, antérieurement à 1590 ; mais un grand nombre de titres posterieurs à cette année, qui se trouvent aux archives de notre église, nous mettent un peu au courant des misères qui furent la part de notre paroisse [Note : Ce sont, pour la plupart, des actes pronaux ou délibérations du Général, relatives au paiement des levées extraordinaires exigées par les chefs des partisans ; notamment les commandants de la garnison de Cesson. Vient ensuite un nombre considérable d'exploits de sergents ou huissiers, contenant soit des sommations aux représentants de la paroisse ou à divers particuliers, soit des procès-verbaux de prise de corps contre les trésoriers de l'église que l'on emmenait comme otages, soit des saisies de meubles, principalement de bestiaux que l'on conduisait à Saint-Brieuc pour être vendus au pied de la croix du Martray, et que l'on emmenait à Moncontour, à Paimpol, ou dans d'autres places pour l'alimentation de leurs garnisons. Tous ces papiers témoignent de l'extrême malaise dont souffraient alors les populations rurales, livrées à la merci des hommes de guerre, tous gens sans aveu, sans discipline, et ne vivant que de pillages ou de rapines]. Le découragement y était parvenu à son comble ; son recteur même avait fui et si les malheurs ne furent pas encore plus grands, on le dut à l'énergie du sous-curé ou vicaire, Raoulet Eouzan (Note : Il demeurait, croyons-nous, à la Ville-Crohen), qui, de 1589 à 1602, se dévoua, corps et âme, à la défense des intérêts moraux et matériels de la pauvre population qu'il administrait. Tous les documents contemporains le montrent plein d'ardeur et d'activité dans les circonstances les plus pénibles, n'épargnant aucune démarche, affrontant, même au péril de sa vie, les canteleuses menées des gouverneurs cupides de l'un et de l'autre parti, aussi bien que les passions brutales et licencieuses des soudarts avinés et de lansquenets huguenots et pillarts. Honneur à la mémoire de cet homme courageux et dévoué ! Voici donc, sans commentaires, mais aussi avec l'exactitude de la chronique, le sommaire des principaux faits contenus dans les actes dont je viens de parler.

1591.

La première mention des courses des gens de guerre sur la paroisse est ainsi rapportée sur le compte des trésoriers : « Et pour ce qu'il c'estoit faict grand amast de gens tant de Plérin, Pordic, que de la paroisse de Trémuson, pour empescher les souldars de la compagnie du capitaine Souvadan de surjourner en ceste paroisse, auroyt esté advisé eust esté et qu'il fust baillé et distribué une barique vin que les contables auroint esté contraincts payer, qui leur auroint cousté et pouis du pain, et supplient leur estre alloué treize escuz ».

La politesse faite aux gens du sieur Souvadan n'eût d'autre résultat que de donner l'envie à d'autres coureurs de venir dévaster la paroisse ; aussi les habitants crurent-ils nécessaire de prendre des précautions moins amicales.

« Et pour ce que l'an précédent, disent les trésoriers dans le compte de 1591, les paroissiens advisérent qu'il fut achapté quelque nombre de pouldres à canon pour empescher les voleurs de ravaiger les villaiges de lad. paroisse et suivant led. advis lesd. comptables furent contrainctz en payer jusques la somme de cinquante livres (Note : En comparant le prix moyen des froments vendus pendant la guerre de la Ligue avec la moyenne des prix actuels du blé nous trouvons que la valeur d'une livre en 1590, équivalait à 6 francs 75 cent. de notre monnaie en 1878 ; les paroissiens avaient donc acheté pour 337 fr. 50 c. de poudre au taux actuel de l'argent) que supplient leur estre alloué ».

Ces mesures avaient été surtout provoquées à la suite d'excès commis par les partisans, excès dans lesquels l'Eglise aussi bien que les Chapelles rurales eurent surtout beaucoup à souffrir ; l'un de ces jours néfastes est appelé à plusieurs reprises par les trésoriers, le jour du grand ravaige.

1593.

Nous n'avons pas de renseignements sur ce qui se passa à Plérin pendant l'année 1592 ; mais en 1593, nous trouvons notre paroisse traitée en coupe réglée ; le 13 juin, à la post-communion de la grand'messe, le célébrant remontrait aux paroissiens « que, suivant le contenu du brevet, leur envoyé par le sieur de Septmaisons, gouverneur du chasteau de Cesson, il auroit averti lesd. paroissiens que depuis sept semaines oncza, ils ne se seroint trouvés à travailler aux fortifications dudit chasteau que quelquefois, et n'y auroint méné auchuns harnois, pour lesquelz deffaulz le dit sieur mande aux dits paroissiens que ils aient à lui paier la somme de vingt escuz pour les dites causes plus à plain narrées en le dit brevet, etc. ». On délégua immédiatement deux fabriciens pour aller s'entendre à ce sujet avec le gouverneur, et ils arrêtèrent avec ce dernier à seize écus l'indemnité réclamée. Le dimanche suivant, nouvelle délibération dans l'église, les paroissiens sont d'avis qu'il faut payer ces seize écus « le plus diligemment que faire se pourra, et déclarent ensemblement, donner charge à Jean Botehen, fils Jehan, de faire l'advance d'acquitter icelle somme entre les mains dudit sieur de Septmaisons ». 

Voici main tenant le sieur Courioles, receveur à Lamballe, qui, le 2 septembre, réclame d'Olivier Desbois, procureur des paroissiens, ses douzièmes échus. Il envoie « un billet par lequel il demande le paiesment de deffaultz (arriérés) du terme de septembre et de plusieurs autres deffaultz qu'il prétend lui estre deubs des précédents termes, scellon icelui billet, faulte duquel paiesment il auroit faict constituer led. Desbois prisonnier aux prisons de Saint-Brieuc, lequel auroit faict alors adjourner le général desd. paroissiens pour le tirer hors ». Les paroissiens paient sans marchander cette fois.

Mais l'insatiable gouverneur de la tour de Cesson, apaisé un moment, vient, le 14 novembre, rappeler qu'il lui est encore dû, pour la présente année, plusieurs deffaultz (arriérés), qui montent en total à quatre-vingts écus. On charge Nicolas Gendrot, sieur de la Ville-Huet, de lever cette somme sur la généralité des paroissiens et de la remettre à Septmaisons.

1594.

Le rôle des fouages ordinaires dûs pour cette année et recueillis par Françoys Corbel et Morice Philippe, collecteurs, monte à la somme de 1230 ecus, sol. Cet argent passa presque tout entier entre les mains des commandants de Moncontour et des autres places qui ne s'en contentèrent pas et exigèrent en outre des denrées de toute espèce. Nous extrayons du chapitre des mises en dépense de ce rôle, qui ne contient pas moins de quatre-vingt-cinq feuillets, quelques articles qui donneront une idée des vicissitudes et des embarras de ces pauvres collecteurs, mandataires en même temps des paroissiens et chargés de défendre leurs intérêts.

.... « Par le commandement desd. parouessiens auroint lesd. comptables esté à Saint-Brieuc pour accorder avec le capitaine Labarre (Commandant à Cesson pour les ligueurs), qui demandait du foin, paille, de l'avoine et autres commodités, avec lequel ils accordèrent en présence de Jean Le Ribaud à trois escus par sepmaine, à commencer du dimanche de Pasques .... »

Cet accord reçut son exécution jusqu'à la fin de juin.

 ..... « Et d'aultant que le sieur de la Ville-Aubry, recepveur des fouaiges de l'évêché de Saint-Brieuc, auroit baillé département au capitaine Lermor, estant lors en garnison à Moncontour (Note : A la tête des royaux, qui occupaient le château de cette ville), sur lesd. parouessiens, de la somme de cent cinquante escus, et ce, sur la recepte des trois escus par feu, et ayant led. Lermor mandé faire tenir de l'argent (audit Ville-Aubry), ou qu'il eust envoyé courrir la parouesse, led. Corbel seroit allé aud. Moncontour pour parler aud. Lermor et prendre temps d'avecques luy ... ».

..... « Et pour ce que un appelé La Verdure, soldat dudit Moncontour, aurait eu pareil département sur lad. parouesse, de la somme de dix neuf escuz, lui encore baille par led. sieur de la Ville-Aubry, led. La Verdure fut en lad. parouesse avec La Place, lieutenant du capitaine Lermor, et amenèrent Gilles Bourel et Jean Lescuyer, prisonniers, et afin de tirer lesd. prisonniers, s'adressèrent à Prigent Le Normand, qui leur promit d'aller aud. Moncontour et les retira, et rapporta dud. La Verdure la quittance de dix neuf escus que lui en auroit baillé led. sr de la Ville-Aubry, estant en date du 15e jour de juillet 1593 ». .... Item pour les dépenses desdits Gilles Botrel et Jean Lescuyer aux­dites prisons, ayant été prisonniers l'espace de quarante jours chacun  auroit led. Corbel payé à la raison de dix sous par jour pour chacun d'eux, font douze escus .... « Et d'autant que led. Lermor tenoit prisonniers aud. Moncontour Yves Le Moine, François Sevestre et Pierre Allain, led. Corbel fit tant par la faveur dudit sieur de la Ville-Aubry, qu'il les fit mettre hors .... » .....  « Pour une course que auroient faict lesd. Lermor et La Verdure, en lad. parouesse, fut led. Corbel contrainct payer vingt-deux escus .... »

Les comptes mentionnent encore l'arrestation d'un certain nombre de paroissiens ; Corbel est lui-même incarcéré pendant huit jours dans la tour de Cesson ; et, après toute une série de mésaventures dans lesquelles figure le commandant de la garnison de Guingamp, il ajoute : « Remontre led. Corbel comme le capitaine du Four (Commandant pour le Roi) avoit envoyé un billet par lequel il mandoit auxdits paroissiens qu'il lui auroit été baillé département sur eux de la somme de six vingt neuf écus vingt deux souls pour part de la levée de trois écus par feu, et d'aultant qu'il y avoit desjà plus de huit jours que led. brevet estoit écrit, led. Corbel print incontinent chemin pour aller à Moncontour, craignant que led. du Four n'eust envoyé courir lad. paroisse, ou estant ne trouva led. Dufour ; et le lendemain matin estant avec le capitaine Lermor avec lequel il s'enquerroit où il pourroit trouver led. Dufour, led. Lermor lui monstra des soldatz de la compaignie dud. Dufour, qui montoint à cheval pour venir en lad. parouesse, ce que voyant, led. Corbel pria led. sieur Lermor d'empescher ladite course, s'il estoit possible, ce que fist resta lesd. soldatz par le moyen d'une collation que led. Corbel leur donna ».

« Les six vingt neuf écus et vingt deux sous furent payés quelques jours plus tard, avec d'autres frais accessoires ; mais, dans l'intervalle, le capitaine Lermor étant allé faire une razzia à Binic, où se trouvait un sieur Savary, receveur des fouages pour le Roy, les trésoriers reçurent avis d'avoir à compter à ce denier tout l'argent qui pouvait se trouver entre leurs mains ; Corbel se rendit immédiatement près de Savary qui « voullut envoyer des soldatz en la parouesse, et pour ce empescher, fut led. Corbel contrainct de lui donner un asne, même lui cousta en dépenses trente trois sous ».

Le capitaine Lermor ne fut point oublié dans les politesses de notre trésorier qui, dit–il, « fut contrainct de payer le souper du-dit Lermor et de ses gens, ce qui lui cousta quatre livres quinze sous ». C'était un léger accroît à la somme qu'il lui fallut en fin de compte aller porter de nouveau à Moncontour et qui montait à 450 écus.  

Mais poursuivons encore le piteux compte-rendu de François Corbel et de Morice Philippe : la rapacité du commandant de Moncontour en fait les frais en majeure partie. ..... « Et pour ce que led. Françoys Corbel auroit été mandé par le sieur de Launay Favigo (Receveur pour le Roi) de l'aller trouver aud. Moncontour et lui porter de l'argent ou qu'il ferait contraindre lesd. parouessiens, ledit Corbel alla le trouver pensant lui faire excuse et le prier d'attendre encore quelque temps où estant ledit Corbel arrivé, led. Favigo le fit mettre prisonnier et y fut jusqu'au lendemain, que le sieur de Lemor en estant averti le fist eslargir et fut sa caution ..... 

........ « Et estant led. Corbel de retour, le dimanche dixième jour de juillet audit an quatre vingt quatorze, fist remonstrance aux­dits parouessiens qu'il estoit détenu prisonnier et qu'il lui failloit retourner à sa prison ou bien porter de l'argent aud. Favigo ; quels parouessiens advisèrent d'aultant qu'ils ne pouvoint pour lors fournir deniers pour satisfaire aud. Favigo, et afin d'avoir quelque temps de lui que on lui eust faict offre d'une bonne pipe de vin et en donnérent charge aud. Corbel ....

..... « Et led. Françoys Corbel suivant sa charge, conférant avec led. Favigo de ce que dessus, il lui fist répondre qu'il ne voulloit d'une pipe de vin en essence, ains la voulloit ce qu'il estime à vingt neuf escus, quelle somme Corbel fut contraint payer pour éviter plus grand dommaige .....».  

Cette somme était à peine comptée que les paroissiens recevaient l'ordre d'envoyer cinq hommes travailler aux fortifications de Moncontour, sous peine d'être courrus le dimanche suivant. Corbel reprend encore une fois la route qu'il avait si souvent parcourue pour traiter avec le commandant du château, le sieur Dufour, qui veut bien laisser la paroisse tranquille moyennant une somme de trente-quatre écus à valoir à laquelle Corbel compte immédiatement vingt écus, empruntés d'avec Olivier Ruffelet et Vincent Quémar ; mais on ne le laissa pas longtemps respirer. 

...... « Et pour ce que led. Dufour avoit donné l'ordre de lui payer et parachever son deub, led. Corbel n'avoit pu recouvrer que vingt escus dont led. Dufour ne se voulloit contenter et voulloit envoyer ses soldats en lad. parouesse, ce que led. Corbel trouva le moyen d'empescher par la faveur dudit sieur de Lermor qui s'y employa encore pour led. Corbel, lequel, pour obtenir quelque temps et empescher lad. course, donna la collation qui lui cousta soixante sept souls ..... ».

François Corbel était à peine sorti de cet embarras que son collègue Morice Philippe, mandé par le commandant de la garnison de Paimpol (Le sieur Norris, commandant un détachement d'Anglais venus au secours des royaux) pour lui apporter « quelques deniers », n'ayant pu lui offrir une somme suffisante, fut retenu lui-même en prison avec ceux qui l'avaient accompagné en cette ville. Immédiatement Corbel est obligé de se remettre en marche vers Moncontour, avec Charles Philippe, frère de Morice, pour obtenir du gouverneur dont dépendait le commandant de Paimpol, l'élargissement des prisonniers. Cette faveur ne s'obtint naturellement qu'au moyen d'une somme déterminée et d'une collation payée par notre trésorier, qui fut beaucoup aidé dans ses démarches par un nommé Couvran, que nous supposons être un Tanouarn originaire de cette paroisse de Plérin (Note : Plusieurs chefs de familles appelés Couvran, habitaient encore Plérin pendant le XVIIème siècle, Nous ne faisons aucun doute qu'ils ne soient sortis en bâtardise des anciens sires de ce nom).

On ne concluait, du reste, les affaires à cette époque qu'en se mettant à table. On a vu plus haut qu'un sieur Prégent Le Normand avait bien voulu avancer des fonds aux trésoriers pour satisfaire immédiatement le commandant de Moncontour. Les paroissiens, reconnaissants de ce service, chargèrent les trésoriers d'offrir à Prégent, en le remboursant, trois charretées de gros bois,. mais Corbel « voullant, suivant lad. charge, achapter les boués à Saint-Brieuc, ledit Le Normand averty, l'empescha de ce faire et ne le voulust prendre, et néanmoins ledit Corbel lui donne à déjeuner ».

Nous passons sur un grand nombre de voyages faits à Moucontour où, sous divers prétextes, nos trésoriers furent plusieurs fois incarcérés et élargis, en ne se tirant toutefois des griffes des gens de guerre qu'au moyen de gros paiements accompagnés de collation ; et nous ne nous arrêtons pas à énumérer les courses des soldats de cette garnison qui viennent presque chaque semaine « quérir des prisonniers et du bestiail ». Il faut maintenant nous retourner du côté de Saint-Brieuc, dont le receveur pour la Ligue, le sieur Courriole, digne émule du receveur pour le Roi, Ville-Aubry, avait pris l'habitude de faire courrir la paroisse et qui, éprouvant un jour le besoin de toucher deux cents écus, fit saisir « Jean Bourel et Bertrand Corbel prisonniers, mesme le bestiail de Lacadouaire, que led. trésorir trouva moyen de faire délaisser », sans doute en payant. Un autre jour Courriole ordonna d'aller porter des provisions à la Tour, et particidièrement de la boisson. « Auroit led. Corbel payé à Me Pierre Quiniart, pour une barrique de vin que celuy-ci auroit fourny au magasin du chasteau de Cesson ». Comme il fallait aussi un peu d'argent au sieur Bert qui y commandait en l'absence de Septmaisons, on lui compta une somme de vingt écus. 

De son côté, Morice Philippe ne restait pas inactif. Aussitôt son entrée en charge, il allait tout d'abord trouver le maréchal d'Aumont, commandant en chef de l'armée royale en Bretagne, pour obtenir des adoucissements aux prétentions des officiers placés sous ses ordres. Ensuite il partait pour Guingamp afin de dégager quelques habitants de la paroisse qui y étaient détenus. Quelques jours plus tard, il se rendait à Vannes où le Parlement était alors réuni, pour présenter à cette assemblée une requête en faveur de ses concitoyens. A peine de retour, il expédie à Dinan Guillaume Terlet, du Port-Martin, afin d'obtenir du duc de Mercoeur qui se trouvait alors dans cette ville, un délai pour le paiement de ce qui pouvait lui rester dû des fouages perçus en son nom. Cette requête est gracieusement accueillie par Mercœur qui accorde aux paroissiens un délai d'un an pour se libérer (Note : Nous avons vu, il y a quelque temps, aux archives de la fabrique, le mémoire porté par Terlet, il était revêtu d'une apostille signée Philippe-Emnenua de Lorraine. Cette pièce a disparu depuis). 

Le compte de Morice Philippe mentionne encore son voyage à Paimpol, où il demeura cinq jours en prison. Puis, pressé par les royaux, plus tracassiers encore que les ligueurs, il entreprend une seconde fois celui de Vannes, où il reste huit jours avant de pouvoir présenter au Parlement un mémoire soigneusement rédigé en faveur des Plérinais par un procureur de Saint-Brieuc. Il est probable que ce mémoire eut le sort de bien d'autres pièces de cette nature et qu'il dort encore dans les archives de cette assemblée, si tant est qu'elles aient été conservées. Mais Philippe était à peine revenu qu'il lui fallait naviguer dans d'autres eaux et se rendre promptement à Lamballe pour dégager ses amis Vincent Eouzan et Guillaume Le Puissant qui y étaient détenus, et en même temps compter au sieur Le Bottey, capitaine ligueur, une somme de 204 écus et 45 sous. 

Du reste, il est impossible de compter les démarches de toute nature qu'il dût faire à Saint-Brieuc où se trouvaient des sommités des deux partis. Ses visites à Monsieur et même à Madame Villeaubry (royaux), sont très-fréquentes, et elles se terminent toujours par des paiements, ce qui ne l'empêche pas d'être mis en demeure de pourvoir de vins et autres denrées le château de Cesson (ligueur), denrées dont on préfère avoir la valeur en argent, de même que des prestations requises pour les travaux à faire à cette citadelle. 

Indépendamment de ces embarras, Philippe avait à se débattre contre cinq ou six procès intentés à la paroisse par des particuliers qui lui réclamaient le prix des bestiaux qu'on leur avait enlevés ; mais à peine croyait-il pouvoir prendre un peu de repos qu'il était obligé de partir pour Corlay afin de traiter avec le commandant de cette place (ligueur) qui exigeait aussi des corvées de nos paroissiens ; puis d'aller à Cesson porter 324 écus et deux tiers d'écu à l'insatiable Courriolle ; et ensuite à Lamballe, compter aux sieurs de Toullot et Leguel, commandants de la garnison, qui partageaient le fruit de leurs exactions avec le sieur Le Bottey, une somme de trente-six écus. 

En définitive, il résulte de ce compte-rendu que Corbel et Philippe colligèrent et recueillirent pendant l'année de leur charge, outre des mauvais traitements, une somme de 2,882 écus et onze sous, et qu'ils dépensèrent 2,978 écus cinquante-six sous et six deniers. 

Quelques actes pronaux échappés à la destruction, nous donnent encore les détails suivants : 9 janvier 1594 ........ « Auxquels paroissiens et à chacun a esté par le chappelain, prestre de la tour et chasteau de Cesson, sur ce présent : dict et déclaré que icy davant il auroit employé de son temps à soulager les pionneurs et charretiers qui alloient de lad. paroisse travailler aux fortifications dud. chasteau ; aussi dit qu'il lui avait esté commandé de faire couper et abattre les ourmes d'emprès la chappelle de Couvran, ce qu'il n'a faict ains les a laissé auxd. paroissiens pour en faire le proffit utile à la fabrice comme voiront. Qu'il sera requis plus, au lieu de soixante pionneurs qui sont tenuz au vendredi de chacune sepmaine aller travailler auxd. fortifications, il consent que il n'en soit envoyé pour l'avenir que cinquante, déclarant, en effet, auxd. parouessiens qu'il leur fera en l'advenir le plus de plaisir, faveur et aide que il luy sera possible, de tout quoy lesd. paroissiens le regracient humblement et en reconnaissance loi ont par cestes donné et donnent aud. prêtre chapelain de lad. tour, la somme de sept livres tournois, quelle somme lui sera payée d'avance par 0llivier Urvoy, procureur de lad. paroisse ». Le brave chapelain subissait l'influence de l'épidémie financière, il trouvait le moyen, comme on voit, de se faire payer quelques services (Note : Il se nommait Nynot, il remplissait, paraît-il, les fonctions de secrétaire du commandant du château, car il existe dans le dossier un certain nombre de quittances signées de lui).

1595.

Ce fut au tour de Jean Le Maczon et d'Yvonnet Bouget, choisis à cet effet, le 15 avril, au prône de la grand messe, parmi les plus honorables personnes de l'assemblée, de remplir en cette année la charge de trésoriers de la fabrique et de procureurs des paroissiens. Leurs vicissitudes ne furent pas moins grandes que celles des trésoriers qu'ils remplaçaient. Parmi les faits les plus saillants de leur gestion, nous signalerons la démarche qu'ils firent dans le courant du mois de juin après s'être entendu avec les procureurs des habitants de Saint-Brieuc et du hâvre de Binic, pour adresser simultanément aux deux gouverneurs ennemis, le duc de Mercœur et le maréchal d'Aumont, une requête dans l'intérêt de leurs concitoyens. Cette double adresse fut parfaitement accueillie de chaque côté. « Estant bien informéz, dit Mercœur, des pertes qu'ils (les supplians) ont souffertz durant les présens troubles, en cette considération et autres à ce nous mouvant, nous avons accordé et accordons par ces présentes la continuation de nos lettres d'exemption et sauve garde, ci-devant octroyées, faisant défenses très expresses à tous capitaines, chefs et commandants des gens de guerre, soldatz ou autres de quelque nation qu'ils soient, de loger en lad. ville, fauxbourgs d'icelle, et hâvres du Légué et Binic, ne en iceulx prendre ou fourrages, aucuns vivres ou victuailles, sans le consentement desd. habitans et en paiant, au n'y faire aucuns actes de guerre n'y d'hostilité. D'aultant que nous les avons pris et mis, prenons et mettons avec tout ce qui leur appartient, femmes, famille et biens en notre protection et sauvegarde spéciales par ces dites présentes, et afin que aucun n'en prétende cause d'ignorance, nous leur permettons de faire mettre et apposer les pannonceaux de nos armoiries, aux avenues de lad. ville, desd. hâvres du Légué et Binic, voulant que s'il se troue aucun si osé et téméraire de contrevenir à cestes, notre intention, punition en soit faite sur le champ ........ ». 

De son côté, le maréchal d'Amont disait « D'aultant que nous avons par cy-devant pour certain et accordé aux nobles, bourgeois, citoyens et habitants desdits Saint-Brieuc et Légué, nos lettes d'exemption et sauve garde générale en forme, avec permission de négocier et trafiquer seurement, aller, venir et séjourner pour leurs affaires particulières et générales, tant en cette province que hors d'icelle ce que encore désirons ; à ces causes et autres à ce nous mouvantes, avons iceulx habitans, bourgeois et officiers dud. Saint-Brieuc, hâvres du Légué et Binic, avec leurs biens et familles, mis et prenons, mettons et recevons sous la sauve garde spéciale du Roy, et lesd. pour ce que dessus, payant les devoirs mis et ordonnés (de par Sa Magesté). Deffendons expressément et sur peine de la vie, à tous capitaines, soldatz, chefs et conducteurs des gens de guerre et tous aultres, de quelque nation qu'ils soient (allusion aux Anglais débarqués à Paimpol), de non entreprendre ni attenter aucunement sur les personnes, les familles et biens desdits officiers, bourgeois et habitans ; les prendre prisonniers auxd. lieux de Saint-Brieuc, Binic ni ailleurs, loger, fourrages ny prendre aucune chose en leurs trêves et possessions, lever ni exiger sur eux aucuns deniers, munitions ny aultres choses, sinon en vertu des commissions du Roy, etc. »...  

Ces immunités et franchises si solennellement octroyées de part et d'autre, ne se réalisaient jamais, et si l'on venait à respirer un moment, l'avidité des commandants des garnisons veillait sur la bourse de nos cultivateurs avec une trop grande sollicitude pour qu'ils se missent en peine d'exécuter les arrêtés pris par leurs chefs supérieurs, n'était-ce pas d'ailleurs le seul moyen de s'assurer une paye avantageuse que les budgets des deux partis en présence ne pouvaient guère leur garantir ? Un extrait du lamentable compte de Jean Le Maczon, qui ne marque cependant que ses dépenses personnelles, relate quelques réclamations de ces Messieurs et fait connaître quels genres de pots de vin ils exigeaient. 

« Pour avoir esté avec le prestre de la tour de Cesson, appelé Dom Pierre Nynot, à Lamballe, pour accorder avec Le Botté, recepveur dud. Lamballe (pour la Ligue), qui demandoit les fouaiges des termes de janvier et septembre derniers passés, me cousta avec led. Botté pour prendre du temps davantaige à payer lesd. termes eschus et pour retirer Guillaume Gautier, qui était son prisonnier aud. Lamballe, pour lad. cause, la somme de cinq écus, tant en dépense que argent baillé aud. Botté et prestre, lesquels cinq écus ai payé et avancé pour lad. paroisse.....  Plus ayant esté à la tour de Cesson supplier M. le capitaine Le Bert de rescrire à M. de Toulot (commandant de Lamballe), pour la paroisse de Plérin, lequel Toulot demandoit de l'argent aux dits paroissiens, je lis présent aud. capitaine Bert de six poulets, au prix de dix soulz la pièce ....... Item, cousta aud. Le Maczon avec M. Gerbault, l'un des gardes de Mgr le duc de Mercoeur, se tenant à présent à la tour de Cesson, et que je rencontrai à Saint-Michel, lequel estoit accompagné de cinq soldats de lad. tour, me mena au logeix de la Boutine, et y estant, il me faillut leur payer une collation qui me cousta un escu sol, touchant la demande qu'il me faisoit pour les bleds qui estoient deubs par les paroissiens dudit Plérin ...... Plus led. Gerbault et un autre appelé La Loyauté me ayant prins pour me faire prisonnier, me menèrent jusques aux Lingneries, me cousta avec lesdits sus nommés, en la maison de Vincent Quémar, au hâvre du Légué, la somme du trente deux sous ..... « Item, Le jour que je fus porter une lettre missive à M. Launay-Favigo (receveur pour les royaux) touchant de l'argent que la paroisse lui devait et pour prendre prolongement de temps d'avec lui, me cousta trente sous tournois pour une collation que je lui donnai pour la cause ci-dessus ..... Pour avoir envoyé deux harnoys à la Coste (château, en Saint-Julien, tenu par des ligueurs), mené du cidre et en apporter du bois pour M. des Rogiers, me cousta dix écus et vingt souls, et estoint à conduire les­dits harnoys Yves Le Moine et ses compaignons pour l'un et pour l'autre, Charles de Beaurepar, et ses compaignons ..... 

... De l'onzième jour de mars, an présent, mil cinq cent quatre vingt seize (Note : L'année de charge du trésorier finissait le 1er mai), pour avoir envoyé deux saulmons à M. Courriole, à Lamballe, il lui cousta à raison de un escu et demi pour chaicun saulmon, qu'est la somme de trois escuz que led. Maczon a payé pour lad. paroisse, pour l'empescher d'être courrue pour les termes de janvier, an présent, et septembre dernier, passés ....... Le même jour, pour prendre temps avec M. de la Motte, l'un des gardes (de Cesson), à cause qu'il n'y avoit point d'argent pour lui bailler, me cousta pour ung souper que je lui donnai pour attendre et prolonger le temps jusques à la my-carême, la somme de quarante souls, et estoint présents (ajoute-t-il) Guillaume Saincts et Nicolas Eouzan .... 

...... Item. Le jour ensuyvant, pour avoir prins deux hommes pour aller parler au capitaine Bourdin et au capitaine Tertu (Note : Cantonnés à .... On lit aussi sur d'autres pièces Bourdon et Tertre), pour prendre du temps avec eulx, touchant six vingt quatre escuz et pour nous estendre huit jours, lui envoyé un saulmon ..... Plus, led. Le Maczon à oultre porté auxd. capitaines Bourdin et Tertu, pour les causes mentionnées ci-devant, un aultre saulmon qui cousta un écu, et pour vingt soulz de beurre et deux pots de vin de Saintes, qui coustèrent vingt soulz le pot, que led. Le Maczon a poyé ès-mains, pour empescher lad. parouesse de Plérin d'être courrue .... Plus, le vingt-sixième jour de mars, pour avoir emmené les hommes ci-après nommés, savoir : Allain Quettier, Pierre Auffray, Geffroy Rebours, Olivier Desbois, Jean Lescuyer, cousta aud. Le Maczon, en dépense, cherchant de l'argent, pour ladite prouesse, qu'estoit la somme de deux cents escuz pour porter à Moncontour, à M. de Basseville la somme de soixante et dix souls, que led. L. Le Maczon a poyé ès-mains, pour lad. parouesse ....

.... Item, a cousté aud. Le Maczon pour avoir été chercher des harnois pour conduire et porter le pain d'amunition à l'armée (des Ligueurs, pensons-nous) ..... Plus, pour un saulmon qu'il fist porter au capitaine Bert (à Cesson), à celle fin que led. Bert eust rescript à M. de Laumenart, quel estoit pour lors à la Coste, qui demandoit à la parouesse de Plérin cinq charretées de foin et cinq sommes d'avoine » .....

Toutes les peines et démarches des trésoriers n'avaient en somme pour résultat que de les mettre en dépenses, et s'ils obtenaient quelques délais, ce n'était que pour mieux payer ensuite. Ils étaient à peine en fonctions depuis quatre mois, que dans le courant d'avril ils recevaient la pièce suivante que ni le saumon, ni le vin, ni les autres cadeaux n'avaient pu conjurer : « Estat de ce quo doibvent les parouessiens de Plérin pour leurs fouages. — Ils doibvent à raison de cent seix feux et demy et pour chacun feu, trois escuz trente huit soubz obole qui se montent à la somme de trois cents quatre vingts seix escus trente et un soult seix deniers, et doibvent lesdits fouages du terme de septembre quatre vingt unze, janvier et septembre quatre vingt douze, janvier et septembre quatre vingt treize ; janvier et septembre quatre vingt quatorze, et janvier dernier, lesquelz fouages se montent ensemble pour les termes ci-dessus, à la somme de quinze cents quarante seix escuz et seix soubs, sur laquelle somme il leur sera déduit ce que avoient poyé sur le principal aux fins des quittances, sauf à déduire sur lesdites quittances les frais qui avoint peu entre faicts aux fins des procès verbaux. Vous estes de rechef advertiz que vous ayez a ne faillir de ce me faire tenir en ceste ville dans huitaine prochaine, faulte de ce faire, vous y serez contraincts, et poursuivis par toutes voyes et rigueurs de justice. Faict à Lamballe, le neufviesme jour d'aougst mil cinq cents quatre vingt quinze. (Signé) Courriole ».

Les royaux, du reste, paraissent avoir été moins exigeants pendant cette année, et nous les voyons paraître à peine deux ou trois fois, sans doute parce qu'ils ne se trouvaient pas en force. En effet, Lamballe, Quintin, La Coste, Cesson, la Ville-Durand (en Etables) étaient occupés par les ligueurs, et les royaux, campés à Moncontour et Paimpol, n'étaient guères, malgré les nombreux adhérents qu'ils comptaient dans la ville de Saint-Brieuc, en état de tenir tête à leurs ennemis. La ville de Guingamp était aussi occupée par la troupe de Mercœur, dont les exigeances, nonobstant la distance, se faisaient sentir jusqu'à Plérin. La pièce suivante en fait foi : « Pour la somme de quarante cinq escuz que les paroissiens de Plérin me dévoient par département pour l'entretenement de ma compaignie, estant garnison à Guingamp, en l'année quatre vingts et onze, pour le cartier d'avril, mai et juing, laquelle comme j'ay ce jour reçu par les mains de Jean Le Masson, procureur de d. paroissiens, dont je me contente et les enquicte. En testmoing de quoi j'ay sinez la Présente, ce huistiesme jour de juing 1595. (Signé) La Bussière ».

1596.

Alain Quetier et Jean Hamonet sont, en cette année, chargés des intérêts des paroissiens. Leur compte-rendu qui n'a pas moins de cent trente-deux rôles, constate une dépense de 2,083 écus et cinquante sous. Leur gestion ne fut ni moins pénible ni moins laborieuse que celle de leurs prédécesseurs, et le rapport témoigne des corvées de toute sorte qu'ils eurent à subir, non-seulement de la part des deux partis, mais encore vis-à-vis d'un certain nombre de leurs paroissiens qui les actionnèrent en paiement d'indemnités pour les dommages dont ils avaient eux-mêmes souffert par suite de saisies de bestiaux ou autres causes. Nous relèverons seulement ce qui suit dans les délibérations du général de la paroisse : 

3 mars, dimanche. — A la grand'messe de ce jour, Mathurin Le Moine, célébrant, donne connaissance d'une missive envoyée aux paroissiens par un nouveau commandant de la Tour de Cesson, non moins rapace que ses devanciers. Cette missive est ainsi conçue : « Messieurs les parouessiens, M. de la Motte, vous advertit que Jean Le Maczon, votre procureur (Note : son année de gestion ne finissait que le 1er mai), a accordé touchant les quarante escuz que lui devez, et pour l'intérest de son argent, demande un chappeau à la valleur de troys escuz pour le prorata du temps et terme qui estoit cheu dès le 1er jour de l'an, et demande son argent et les troys escuz ensemble dans d'aujourd'huy en huict jours, et sy vous y faillez ceux qui y sont obligez seront menés prisonniers à Lamballe. Aultre chose ne vous mande sinon qu'en le poyant il sera votre amy (!) et vous aydera une autre foys si affaire en avez ». Pour éviter de nouvelles preuves de cette amitié dont ils ne se souciaient guères, les paroissiens chargèrent leur procureur d'emprunter et de compter, dans le plus bref délai, l'argent et le chapeau demandés. 

7 avril. — Pareil et même plus beau présent avait été donné au sieur Lauménart , commandant la garnison de la Côte ..... « Lequel Lauménart, dit le trésorier, lui auroit envoyé un brevet par lequel il étoit demandé que lesd. parouessiens eussent à lui envoyer des provisions, savoir : cinq charretées de foing, de paille et cinq sommes d'avoine chacune sepmaine et estant led. Le Maczon allé exprès au chasteau et dit lieu de la Coste pour en composer ; dit que led. Lauménart acquitta lesd. paroissiens du tout desd. demandes ci-dessus, lui faisant présent d'ung chappeau de castor garny de son cordon et panasche, ce que ledit procureur dit lui avoir promis sy lesd. paroissiens consentoient, leur en demandant réponse et advis. Lesquels paroissiens, continue l'acte prônal, à commune voix, nul n'y contredisant, et pour éviter de plus grandes pertes, si on n'avoit led. accord agréable, veulent et consentent que leurd. procureur fasse acquit envers le dit sieur de Lanménart dudit chappeau cordon et panasche en espèce ou par argent, etc. .... »

9 juin .... « Pour appaiser Charles Courriole, sieur de la Hautière a (led. procureur), dict et remonstré auxd. parouessiens que par le moien d'une pipe de vin qu'il auroit par cy-devant envoyée à Lamballe de laquelle il aurait faict présent aud. sieur Courriole promit de attendre encore ce que pourra lui être deub et de leur faire d'aultres courtoisies » .....

28 septembre. — Enserrés de tous côtés par des garnisons de Mercœur, les Plérinais auxquels elles deviennent de plus en plus intolérables, profitant de la trève publiée à Saint-Brieuc, le 23 janvier de cette année, trève dont ne jouirent que les soldats des deux armées, mais qui ne laissa aucun répit à nos pauvres paroissiens qu'une mauvaise récolte avait réduits à la plus affreuse misère, et qui n'en furent harcelés que de plue belle par les receveurs et autres hommes d'affaires qui leur avançaient de l'argent à des taux d'intérêt excessif. En conséquence ils se décidèrent à adresser au Roi par l'entremise du Parlement de Rennes, une supplique pour obtenir au moins quelques adoucissements des gens qui guerroyaient pour Sa Majesté. Cette requête fut favorablement accueillie, et nos paroissiens reçurent la réponse suivante qui reproduit les motifs exposés dans leur requête : « Henry, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre, au premier nostre huissier ou sergent de hault justicier et chacun sur ce requis, salut ; De la part de nos pauvres subjects, Alain Burel et Pierre Leudugier et consorts, parouessiens particuliers de la parouesse de Plérin, soubz la juridiction de la Roche-Suhart, nous ont faict exposer que à cause que leur parouesse est sittuée entre la ville de Saint-Brieuc et chasteau de Cesson, occupé par nos ennemiz et rebelles, ils auroient esté contraincts faire lever et imposer sur eulx pour subvenir tant à notre party que pour nosd. ennemys, grand nombre de bled-fourment jusques au nombre de deux mille justes, que dès lors de lad. levée furent contraincts apprécier avec le receveur à certain prix, et pour le paiement vendre et bailler pour la somme d'argent, nombre de blez, chacun boisseau, mesure de la Roche-Suhart, aux cy après nommez qui leur faisoint led. prest et apprécié à dix, douze et quinze souls le boisseau (ce) qui estoit un escu de chaicune juste et rendoit le tout à deux mille escuz, et à présent revient à plus de quatre mille six cents escuz, en principal, pour leur cotisation. Et pour faire led. paiement lesd. receveurs auroint faict emprunter des deniers et faict contraindre les pauvres exposants à s'obliger poier en espèces led. bled qu'ils acheptoint d'eux à dix, douze, huict ou quinze sols le bouesseau au plus, encore que dès lors et à présent il vaut plus de sept réaux (trente-cinq sous) le bouesseau ; de quoy sont redevables rendus (convertis) ) en espères de plus de quatre mille six cents trente escuz ; entre aultres à M. 0llivier Rouxel, sieur du Vaujudain, à Prigent Le Normand, Mathurine Moro, veuve de Jacques Hervé ; Anne Le Bras, veuve de Jean Le Cheny ; Jeanne Rouxel, du hâvre du Légué ; Olivier Ruffelet, Olivier Audouart, dudit hâvre et aultres qui auroint faict prest desdits deniers pour l'année présente. Depuis les huict mois auxquels lesdits exposants auroint esté contrainctz de s'obliger à prix du bled fourny comme dict est, à leur rendre bled pour bled au jour et feste de Saint-Michel prochaine venant, suivant lesquelles obligations les pauvres exposants auroint esté grandement surprins, deçuz et trompez de plus de moytié de justes ; puis voire d'un tiers davantaige, joinct l'usure excessif desdits deniers. Et sy tels actes obligatoires auroient lieu, les pauvres supplians seroint renduz à totale pauvreté ; quels intérêts excessifs sont prohibez par noz ordonnances. Ce qui est tout manifeste, n'ayant achapté le bouesseau de froment que huict, dix, douze ou quinze souls au plus, comme est dit, à présent ils avoint contrainctz bailler ledit bled, qui vaut trente cinq souls le boisseau, ce qui reviendroit, comme dit est, à plus de quatre mille six cents tant d'écuz, (ce) qui seroit doubler de plus de moytié, voire d'ung tiers davantage ; où se remarque une évidente et trop excessive usure qui seroit, oultre la perte et pillage et ravage de tous leurs biens, leur entière ruyne et réduits à abandonner leurs maisons et labourages et aller mandier leurs vies, ne leur étant possible pouvoir satisfaire, à tel nombre de bleds....».

Les pétitionnaires racontent qu'ils se sont pourvus devant les juges de la Roche-Suhart pour demander l'annulation de leurs contrats, mais craignent de n'être pas bien reçus devant lesd. juges, s'ils n'ont pas de Sa Majesté des lettres d'appui : ... « c'est pourquoy, ajoute l'ordonnance, désirant auxd. pauvres, supplions subvenir, mandons et commandons aux juges et officiers de la Roche-Suhart que, partie présente ou deubment appelée, s'il leur est apparu ou appert de l'usure manifeste desdites obligations et que faisant icelles, ils (les paroissiens) aient esté contrainctz, voire forcez et violentez pour les consentir, trompez et déçus de plus de moityé et pris par le dol et fraude ; ils (les juges) aient à casser, retirer et annuler lesdittes prétendues obligations, lesquelles de grâce spéciale par les présentes, cassons, retirons et annulons comme vicieuses, usuraires, illicites et reprouvées de faultes contre nos ordonnances .... Car il nous plaist. Donné à Rennes, le vingt huictiesme jour de septembre, l'an de grâce mil cinq centz quatre vingt saize, et de notre règne le huictiesrne ; ainsi signé : par le Roy, à la relation du conseil Couriolle !!! et scellé » (Note : Ce M. Couriolle était un homme prudent ; après avoir bien excédé les gens au nom de Mercoeur, et flairant probablement la déchéance de ce dernier qu'il servait encore au mois de juin précédent, il avait un beau jour tourné casaque et s'était fait de suite une jolie position dans le camp ennemi). 

Nos prêteurs à huit sous le boisseau et qui voulaient être remboursés à raison de trente-cinq sous la même mesure, furent en conséquence assignés devant les juges de la Roche-Suhart, le cinq octobre suivant ; mais nous ne savons quelle fut la suite de ce procès. Si nos paroissiens le gagnèrent, leur joie ne dut pas être sans quelque mélange, car, dés ce même mois d'octobre, le receveur pour le roi réclamait de nouvelles sommes de ces « pauvres suppliants .... Aux-quels a été donné à entendre par leur dit procureur, que faulte de paiement de la somme de deux cent quatre écus, sol, deubs au sieur de la Basseville (receveur de Moncontour) par lesd. parouessiens, il auroit faict courrir la parouesse par des sergents et records qui auroint emmené avec eux les vaches de Guillaume Drouot et celles de Michel Suestre (Sylvestre) dud. Plérin .... ».

Sur l'observation de Raoulet Eouzan, qui célébrait la grand'messe ce jour-là, les paroissiens décident qu'on payera la somme demandée, outre dix écus, deux tiers d'écu et cinq sols qui avaient été dépensés par leur procureur pour entrer en arrangement et retirer le bétail. 

Plusieurs arrestations de paroissiens et confiscations de bestiaux eurent encore lieu par les royaux, pendant les mois suivants ; nous nous bornerons à relater celle-ci : 10 décembre.... « Advertiz par Olivier Hamonnet, procureur d'iceulx, comme dimanche dernier le capitaine Tertre et ses soldatz auroint couru la parouesse et emmené avecques eulx, en la ville de Paimpol, le bestiail des villages des Alleuz, La Grange et Kerpeult, fors une vache qui fut par eulx laissée à Saint-Lou, en gage de cinq escuz que lesd. soldats y devoint pour leur digné (dîner), quels bestiails furent prins pour faulte de paiement de quatre vingts escus pour une part, et vingt huit escus pour l'autre, pour les fortifications et les magasins dudit Paimpol ... ». Les paroissiens approuvent la dépense que dut faire Hamonnet pour aller dégager le bétail et la vache restée à Lanloup, en même temps que le paiement effectué au capitaine Tertre de la somme qu'il exigeait.

1597.

Pour ne pas, autant que possible, nous exposer à tomber toujours dans les mêmes redites qui pourraient devenir fastidieuses, nous nous bornerons, en ce qui concerne cette année, à reproduire textuellement, d'après les documents contemporains, les quelques faits qui suivent. C'est, croyons-nous, la meilleure voie à suivre pour laisser à une époque sa véritable physionomie ; les monuments écrits portent avec eux, en effet, un inimitable cachet de simplicité que les récits les plus, éloquents ne sauraient souvent remplacer dans l'esprit du lecteur. 

16 février 1597. Nous voyons paraître ce jour pour la première fois, le nom d'un des plus célèbres capitaines pillards. 

....... Il (Hamonnet) leur auroit donné à entendre que aux fins de la charge lui donnée par cy-devant, il auroit accordé avecques les soldatz de M. le comte de la Magnanne, estant à Quintin, pour une taxe par eulx demandée, à la somme de quarante escus, à valoir à laquelle et pour une course, il dit leur avoir payé vingt escus ....... ». 

Mais les vingt écus restant tardant à rentrer entre les mains des soudarts, Hamonnet vient le 23 mars suivant dire à ses paroissiens ......  « Que pour faulte de paiement de la somme de vingt escus restée due par lesdits parouessiens aux soldatz de M. le comte de la Magnanne, pour une taxe, ceulx soldatz coururent lad. parouesse et emmenèrent avec eulx jusques en la ville de Quintin, neuf chevaulx et quevalles des villages de Couvran, la Cadouaire et du Porthorel ; et appartenoit iceulx bestiautx à Pierre Auffray, Jean Le Saulnier, Colin Bourel et Guillaume Quémar, disant ledit Hamonnet, au moyen du paiesment que il fist auxd. soldatz de la somme de dix escus pour lad. course, et qu'il leur fist présent d'une collation à la valeur de deux escuz ; il fut permis auxd. Auffray, Le Saulnier, Bourel et Quémar de ramener leursd. chevaulx .... ».

Jusqu'au 1er mai, époque de la cessation de sa charge, Hamonnet est incarcéré deux fois, à Cesson et à Moncontour ; on le délivre au moyen de paiements plus ou moins onéreux ; Geffroy Le Rebours le remplace dans ces fonctions peu enviées, mais qu'il fallait cependant accepter sous peine de livrer la paroisse à la plus affreuse anarchie. 

Nous ne comptons pas moins de vingt-neuf mentions de courses de soldats et soixante exécutions d'huissiers sur divers paroissiens, dans le courant de cette année, et il est probable qu'il a dû en exister un plus grand nombre. On n'a pas plus tôt fait un paiement qu'il faut en effectuer un autre. Le pauvre Le Rebours, pressé par les usuriers, ne sait plus où donner de la tête, ni à quel saint se vouer ; enfin il se décide un jour à s'adresser aux deux commandants des armées ennemies : d'abord à Mercœur, son seigneur naturel, auquel il expose la triste situation dans laquelle l'un de ses premiers officiers a mis par ses exactions les habitants de Plérin. « A Monseigneur. Supplient humblement les pauvres parouessiens de Plérin, vos subjects, comme ils auroint ci devant emprunté de Jacques Le Normand, bourgeois de Saint-Brieuc, la somme de deux cents escus à payer et rendre au terme de Saint-Jan, auquel terme les voulant led. Normand contraindre à paiement, lesd. supplians furent cuntraincts s'obliger à luy, n'ayant aucuns deniers, à deux cents justes de froment, terme à la Saint-Michel, partie duquel froment ils auroint payé aud. terme. Néanmoins led. Normand auroit subrogé lad. obligation de deux cents escus à M. Guy Courriole de Lamballe, pour quatre vingt neuf justes de reste des deux cents, lequel Courriole les a faict obliger à deux cents escus, pour led. reste (!!) outre une barrique de vin et plusieurs autres présens, tellement que lesd. deux cents escus reviennent à plus de six cents escus, ayant led. Courriole faict emprisonner lesd. parouessiens et les retient prisonniers, et les retient misérablement et veut encore obliger d'eux lesd. deux cents escus, ce qui cause la ruine des pauvres parouessiens ; à ceste cause, Monseigneur, vous plaise ordonner que toutes contrainctes pour cet effect, seront sursises à trois mois et les prisonniers mi hors en liberté, et permettre auxdits supplians de faire procéder à information par les juges et officiers de sur les lieux à l'encontre desd. Normand et Courriole pour ce qu'ils ont prins et exigé desdits parouessiens à cause desd. deux cents escus de prest et faire défense auxd. Courriole et Normand de les poursuivre, et obliger lesd. supplians à prier Dieu pour votre bonne santé et prospérité » (Note : Cette requête n'est pas datée, et ne dit pas malheureusement au juste quand Courriole voulut se faire payer les deux cents écus en question ; il est probable que ce fut quelque temps avant sa défection. On sait que c'était un parti pris chez les prêteurs d'argent de se faire rembourser en froment et autant de jûtes qu'on devait d'écus. Le gain était assez joli).

Cette demande, qui était on ne peut plus raisonnable, reçut un bon accueil du duc de Mercoeur qui écrivit en marge : « Nous faisons défense aud. Courriole mettre à exécution lad. obligaton à l'encontre des supplians qu'il ne l'ait au préalable présentée par devant les juges. de la Roche-Suhart, et sur leur absence ou récusation (Note : Un des actes que nous avons reproduit plus haut à propos de prétentions du même genre, prouvent que ces juges avaient embrassé le parti du roi. — Cependant il existe une assignation du 17 juillet suivant auxdits Courriole et Normand, de comparaître à Binic, devant les juges de la Roche-Subart, mais elle fut sans effet. Courriole n'était plus à Lamballe) par devant autres juges, plus proches des lieux qui soient du party de l'union des catholiques, auxquels juges mandons faire briève et prompte justice et s'il leur apparoist avoir esté exigé par lesd. Normand et Courriole outre le principal et intérêts légitimes, l'imputer sur le principal de lad. obligation, et cependant eslargir lesd. prisonniers, baillant caution du se représenter ou de payer. Faict à Nantes, le dix septième jour de juin mil cinq cent quatre vingt dix sept. (Signé) Philippe-Emmanuel de Lorraine ». 

Nous n'avons pas le texte de la requête adressée au Roi, mais nous supposons qu'elle fut moins bien accueillie que la précédente, car nous voyons le receveur de Moncontour lâcher sur la paroisse une nuée de records, entre autres un huissier d'un grade supérieur aux autres et qui libellait ainsi l'un de ses exploits : « Soubzsigné sergent royal général de Bretagne, à présent résidant à Moncontour, certifie à qu'il appartiendra que à instance et requeste de M. Guillaume Auffray, commis à la recepte des deux escus et trente et un souls neuf deniers tournois, ordonnés être levés par Monseigneur le maréchal de Brissac, lieutenant général pour le Roy en Bretagne, pour le paiesment des gens de guerre pour le service de Sa Majesté en ce dit païs, me suis transporté en vertu du pouvoir dudit Auffray, jusques en la parouesse de Plérin afin de contraindre le général de ladite parouesse au paiement de la somme de cinquante écus en déchéant (à valoir) de la somme de deux cent soixante et un escus quarante six souls, que lesdits parouessiens doibvent pour leur part et portion de vingt mille escuz par mois pour l'entretien desd. gens de guerre et estant en lad. parouesse, ay fait perquisition en divers endroicts d'icelle, esperant appréhender au corps quelques particuliers d'icelle pour les contraindre au paiement de lad. somme. Et après plusieurs perquisitions, n'ay pu appréhender aucuns, quoy voyant, ay prins par exécution en lad. parouesse jusques au nombre de dix neuf pièces de bestial de corne, tant vaches que génisses en divers pelaiges, lesquelles ai faict acheminer jusques en la ville de Saint-Brieuc, et estant avec led. bestiail, en présence de plusieurs personnes qui ont dict partie dud. bestiail leur appartenir, ay exposé en vente au lieu acoutumé à faire tels exploits de justice, où se sont trouvées plusieurs personnes qui les ont mises à prix et entre autres, sire Jan de Connille, habitant dudit Saint-Brieuc, qui a mis le tout dudit bestiail à la somme de vingt écus ; et voyant qu'ils n'estoint mis à prix suffisant, j'ay supercédé la vente et ay été contrainct loger led. bestiail. Et le lendemain ay faict acheminer ledit bestiail jusques en la ville de Moncontour, distante de quatre grandes lieues, assisté de six soldatz, pour surreté de ma personne et dud bestiail, attendu l'injure du temps, et estant aud. Moncontour, ay faict mettre led. bestiail entre les mains de maistre Le Chapellier, sergent de la cour dudit Moncontour, qui a mis et déposé en vente led. bestiail ».

1598.

Nous nous contenterons de mentionner seulement huit ou dix courses exécutées sur la paroisse pendant les trois premiers mois de cette année„ par les partis adverses et par conséquent, autant d'enlèvements de bestiaux. Dans ces expéditions brille surtout le capitaine Toulan ou Toulau, de la garnison de Lamballe, lequel occupe militairement pendant un certain temps, le château des Rosays et envoie de là à ses chefs les « bêtes aumailles » dont ils peuvent avoir besoin, ce qui oblige les propriétaires des bestiaux à aller les racheter à beaux deniers comptant. D'un autre côté, le commandant de la tour de Cesson fait incarcérer à Saint-Brieuc Roland Bourel procureur des paroissiens, pour obtenir paiment d'une somme de cent quatorze écus deux tiers qui, moyennant quelques attermoiements, lui sont payés en grande partie. Puis le capitaine Dufour, resté constamment à Moncontour pendant les troubles, exige un paiement de seize écus pour prix desquels il veut bien s'abstenir de faire courir sur la paroisse ; — Mathurin Chatel est arrêté par un sergent, accompagné de recors, qui l'emmenent vers le capitaine Prail, commandant le château de L'Isle-Couatzguelan, en Pluec (Note : On peut lire également Ploeuc ou Plouec ; dans tous les cas, c'est une erreur. Le capitaine Prail devait être un des lieutenants du féroce La Fontenelle, propriétaire, par sa femme, du château de Coatezlan, en Prat. — Ce manoir était le quartier général des déprédations de ces brigands qui poussaient leurs expéditions jusque sur notre paroisse), où il est détenu « l'espace de seize jours et nuits, la plupart du temps à ses dépens, en grande détresse et captivité » et d'où il ne peut sortir qu'en payant une forte rançon. 

Mais enfin la paix est signée le 25 mars ; cette nouvelle répand dans nos campagnes l'allégresse la plus vive ; on espère pouvoir enfin respirer et éprouver un notable soulagement au sujet des corvées et des charges de toute nature qui avaient réduit la population agricole à la plus grande détresse, on se croit tellement à l'abri des exactions désormais, qu'on refuse de rembourser à Jean Gaubert, qui avait vu, le 15 avril suivant, ses trois vaches enlevées par le capitaine des royaux, Lermor, la somme de cinq écus qu'il avait été obligé de compter pour sauver son bétail. On ne veut plus croire à de pareils faits et si, sur l'insistance de Gaubert les paroissiens se décident à payer les cinq écus, on compte sur les fouages qu'il est chargé de recueillir, ce n'est que lorsqu'il « jure et affirme par certain jour de dimanche à la grand'messe, en l'endroict de l'eslévation du précieulx corps de notre Seigneur Jésus-Christ, l'avoir paié et déboursé .... (Titre de la fabrique) »

Cependant nos paroissiens furent bien obligés, au bout de quelques jours, de se convaincre que la paix, toute signée qu'elle fut, n'était pour le moment qu'un traité purement nominal. Il restait encore de vieux comptes à régler, et, avant de quitter une dernière fois leurs positions, les chefs de partisans firent un suprême effort pour empocher le plus d'argent possible avant de mettre bas les armes. Au mois de mai, donc, Jean Le Bottey, commandant de Lamballe, fit sur les terres d'Etienne Moro, une razzia qui lui rapporta « septante écus » ; le sieur Bourdin, commandant de Paimpol, en faisait une autre dans le mois de juillet, qui lui fut également profitable. 

Pour subvenir à toutes les dépenses occasionnées par ces courses multipliées, les paroissiens aux abois, étaient obligés de faire, à diverses personnes, des emprunts d'argent qu'ils remboursaient le plus souvent en nature, comme nous l'avons vu plus haut, et à des taux plus ou moins usuraires ; cependant ils trouvèrent dans leur détresse quelques gens honnêtes qui se contentèrent de réclamer seulement le remboursement de leurs prêts, avec simples intérêts. Pour y parvenir, on établit, le 14 septembre, un égail sur tous les habitants de la paroisse. Ce rôle, qui fut réglé l'année suivante, contient le nom de ces divers bienveillants que nous relèverons avec le montant des sommes par eux prêtées : 1°- Jacques Compadre, sieur du Haut-Champ, receveur des fouages de l'évêché de Saint-Brieuc, tant ordinaires qu'extraordinaires, 614 écus 46 sous 6 deniers. 2°- Jacques Gicquel, sieur de Lermor, aux droits de Guillaume Auffray, 408 écus, deux tiers [Note : Ces deux premiers personnages (Compadre et Gicquel) avaient probablement fait en leur qualité de receveurs pour le Roi, l'avance des sommes qu'on se disposait à rembourser]. 3°- François James, sieur de la Ville-Car, 305 écus. 4°- Jean Bédel, sieur de la Grange, 100 écus. 5°- Julienne de Bréhant, 12 écus. 6°- Olivier Ruffelet, 187 écus et 3 sous. 7°- Jean Duval, 27 écus. 8°- Jean Le Maczon, procureur des paroissiens, 200 écus. 9°- Raoul Eouzan, 120 écus. 10°- Pierre Chapelain, 156 écus. 11°- Olivier Audouart, 105 écus et un tiers. 12°- Nicolas Gendrot, de la Croix, 76 écus 16 sous. 13°- Olivier Tano, 60 écus. 14°- Julien Favigo, 160 écus. 15°- Françoise Poulain, 45 écus. 16°- Morice Nouel, sieur .de la Perrière, 40 écus. 17°- Jan Tanouarn, sieur de Couvran, 32 écus. 18°- François Toupin, sieur du Grand-Pré, 105 écus. 19°- Louis Le Normand, 120 écus. 20°- Enfin Guillaume Ruffelet, 68 écus (Note : La plus grande partie des prêteurs habitaient la paroisse) : soit en tout la somme de 2,942 écus 5 sous 6 deniers. Ce règlement fut–il le dernier que les troubles de la Ligue obligèrent nos paroissiens à appurer ? Nous n'oserions l'affirmer. 

Mais, autant la pression avait été vive, autant la réaction devait être violente ; aussi les récriminations ne tardèrent-elles point à éclater. La conclusion de la paix avait eu pour première conséquence un ordre de destruction de tous les postes fortifiés qui étaient devenus dans ces derniers temps de véritables repaires de bandits. La Tour de Cesson n'ayant point été exceptée dans cette mesure, malgré son importance et sa position qui pouvaient devenir d'une grande utilité au gouvernement royal [Note : L'ordonnance de démolition est datée du 17 avril 1598. Le sieur Conen du Précréant (en Pordic) fut chargé de surveiller et diriger cette opération « de rendre le tout en tel état que personne ne s'y puisse plus désormais loger » (D. Morice. Pr. Col. 1686)], la garnison qui l'avait occupée fut dissoute immédiatement. Quant à celui qui avait commandé cette forteresse pendant les dernières années de la guerre civile, il ne fut pas plutôt renversé qu'il se vit tout à coup accusé des plus odieux méfaits par les populations qu'il avait opprimées. Nous n'avons pu savoir si le capitaine Lamotte avait été arrêté avant les plaintes portées devant la cour des Regaires par les habitants des paroisses circonvoisines, — ce qui ne nous paraît pas probable, — et s'il reçut comme un autre capitaine pillard — La Fontenelle, — la juste punition de ses crimes ; quoiqu'il en soit voici comment les gens de Plérin formulèrent leur accusation contre l'ex-commandant de la Tour de Cesson ; elle est basée principalement sur ces deux prêts usuraires de 200 écus dont nous avons parlé plus haut, et qui rapportèrent à Lamotte plus de trois cent pour cent chacun en moins de quatre mois. Nos paroissiens, qui semblent passer légèrement sur les faits de pillage et d'incendie, ne pouvaient se consoler d'avoir été victimes de cette manière. 

« Faits probatifs extraits des allégances de Jan Le Maczon et Pierre Auffray, particuliers de la paroisse de Plérin, et le général d'icelle parauesse joinct avec eulx, déposant contre Jan de la Motte, naguères des gardes de M. le duc de Mercœur, défendeur, sur lesquels leurs thémoings seront ouis et interrogés à valloir et servir aux preuves ordonnées faire entre partyes en la court du regaire de Saint-Brieuc, par procès du dixième septembre présent moys et an. 

Que led. de la Motte a esté l'un des gardes de Monseigneur de Mercoeur, portoit sa casaque et a faict les trois à quatre ans derniers sa continuelle résidence en la Tour de Cesson, durant son séjour en laquelle place il a commis de grandes violences, larcins et voleryes. Et se mit à faire la petite guerre, à courrir la picorée, porta le feu aussy et les flâmes pour embraser, brusler et ruyner tout cest estat, et des ruynes d'iceluy bastir sa fortune et en peu de temps profita si bien  et fut si diligent ménager que pour la licence du temps et du nom de garde de mon-dit sieur de Mercoeur il exigea de toutes parts, fist magasin, remplit sa bourse et en effect, a des moyens et facultés pour en accommoder ses amys et ennemys ; le tout de la sueur, sang et substance du pauvre peuple.

Que led. de la Motte est estrangier, Lorain de nation, venu en ceste province fort pauvre et nécessiteux, à présent de ses larcins, voleryes et usures est des plus riches, estimé riche de plus de douze mille escus. 

Que led. de la Motte n'a maison, terres ni sommes en ceste province, et n'a hors ni bled ny moyens de prester à aucun que des voleryes, larcins et usures qu'il commettait. 

Que lors de l'obligation du premier jour de may, an mil cinq cent quatre vingt saize, led.. de la Motte ne prestat aucun bled aux demandeurs ny n'avoit moyen de ce faire, ains leur prestat seulement cent quarante escus, achaptoit jute de froment à moins d'un escus, d'aultant que pour faire le prest il failloit luy accorder et passer obligation de dix escus plus qu'il ne fust déboursé. 

Que au moys de novembre, aud. an mil cinq cent quatre vingt saize, la jûte de froment valloit communément au marché plus de quatre escus. 

Que du depuis au commencement de l'an mil cinq cents quatre vingt dix sept, led.. de la Motte presta de rechef aux demandeurs deux centz escus, et lors fut passé obligation de deux cents justes de froment à payer en mars an suilvant. 

Que le procompte du seizième jour de mars l'an mil cinq cents quatre vingt dix sept, auroit été faict et extorqué par force, violence et impression, à cause des menaces que faisoit le défendeur de brusler toute la parouesse et ruiner les demandeurs et les rendre misérables. 

Lors duquel procompie led. de la Motte fut confessant voir reçu à valoir sur l'obligation des deux cents jûtes de froment ci-devant par les mains de Jean Burel, en acquit desd. parouessiens, le nombre de cinquante sept jûtes froment pour le parsur (solde) qui se montoit à cent quarante trois jûtes ; led. de la Motte les contrainct de les apprécier à la raison de quarante sous le bouesseau, à paier dans la Saint-Michel lors ensuivant. 

Que le deffendeur a tenu le peuple en subjection, estoit si craint et redoubté, avoit telle auctorité et commandement en la Tour de Cesson que aucun n'eust osé lui refuser d'obéir à ce qu'il eust voulu. 

Que au moys de novembre an mil cinq cents quatre vingt et dix sept, la jûte de froment (Note : équivalent à 83 kilogrammes. La jûte se composait de quatre boisseaux, pesant quarante-deux livres chacun) valloit au marché, communément, plus de quatre écus. 

Que ledit de la Motte n'a lamais presté aux requerrans que trois cents quarante escus sans leur avoir presté aucun bled. 

Que led. de la Motte a eu des requerrans en espèces (nature) deux cents vingt sept jûtes de froment, mesure de Saint-Brieuc. 

Que led. de la Motte, par ses usures, a ruiné dix à douze paroissiens et estoit tellement vindicatif que où il estoit refusé de ce qu'il demandoit, il faisoit ruiner tout par courses de gens de guerre, et par telles voyes se seroit rendu si craint et si redoubté que aulcun n'osoit contrevenir à sa volonté, particulièrement les demandeurs qui sont au voisinage de la Tour de Cesson. 

Que ce que dessus est vrai et notoire, faict pour articles, ce vingt deuxième jour de septembre mil cinq cents quatre vingt dix huit. (Signé) V. Quémar, procureur ». 

Pour soutenir leur accusation, les délégués de la paroisse demandèrent l'ouverture d'une enquête dont le résultat certain devait être la preuve de ce qu'ils alléguaient ; cette enquête leur fut accordée et se poursuivit du 23 septembre au 22 décembre. Parmi les témoignages entendus nous reproduirons seulement celui d'un habitant de Pordic, paroisse qui n'avait pas été plus ménagée que la nôtre ; cette déposition, comme les autres qui suivent dans l'instruction de l'affaire, se base sur les mêmes faits que ceux dénoncés par le procureur Quémar. 

« Pierre Bouessart, laboureur de terre, de la parouesse de Pordic et y demeurant au village de la Ville-Madren, âgé d'environ cinquante trois ans, témoin juré par son serment dire vérité, purgé de conseil et enquis, dépose connoistre led. de la Motte depuis les quatre ans derniers qu'il a faict sa plus continuelle résidence en la tour de Cesson, lequel estoit l'un des gardes de monsieur de Mercoeur et en portoit les insignes, pendant lequel séjour audict Cesson, il a faict plusieurs exactions et de grandes violences, larcins et voleryes, et a ouï notoirement dire ce tesmoign qu'il est estranger, Lorain de nation, venu en ceste province et audict Cesson fort pauvre et nécessiteux, au contraire à présent être riche et moyenné de plus de dix mille escus à l'estimation de tous ceux de ce quartier pour les usures, exactions, voleryes et larcins par lui commis, sans lesquels il seroit aussi pauvre qu'il estoit lors de son arrivée, n'ayant en ce quartier ni en toute la province maisons, terres ni hommes et n'a en bleds ni moyens de prêter à aucun que des dites volleryes, usures et larcins ; et dit ce parlant que en l'an mil cinq cents quatre vingt saize led. de la Motte prêta aux paroissiens dudit Pordic une somme d'argent pourquoi ils furent contraincts s'obliger de lui payer juste de froment pour escu ce qui estoit une excessive usure, parce que au mesme an, au mesme mois de novembre le froment se vendoit tout communément au marché plus de quatre escus la juste. Dépose aussi que au mois de mars de l'an mil cinq cents quatre vingt dix sept ..., il fut présent en la maison de Gilles Sort, tenant vin en vente en ceste ville, où led. de la Motte, par force et violences et menaces qu'il faisoit de faire brusler toute la parouesse de Plérin et de ruiner et rendre misérables les demandeurs (Le Maczon et Auffray) extorqua d'eulx et les fit condescendre à certain procompte pour deux cents justes de froment qu'ils lui devoient, comme il disoit, etc. ».

On voit qu'il n'y avait qu"un cri et que dans un instant le haro devint général contre le sieur la Motte. Nous ne savons de quelle nature fut le jugement qui intervint, mais outre que notre homme était coupable bien réellement des méfaits qui lui étaient imputés, il se trouvait encore dans le cas d'un ennemi vaincu, cette double raison dut attirer sur lui une peine sévère [Note : Dans sa détresse, le sieur La Motte s'était adressé à son chef supérieur N... qui occupait encore au mois de janvier 1599 le poste fortifié du Pont-Saint-Vincent. Celui-ci crut devoir adresser à nos gens la missive suivante : « Paroissiens de Plérin, le capitaine La Motte, l'un de nos domestiques, m'a dit vous avoir presté trois cents écus pour vos urgentes affaires et en votre. extrême nécessité ; néanmoins qu'il est contrainct pour son remboursement vous poursuivre par procès, qu'est le traicter indignement et pour recognoistre le plaisir qu'avez reçus de luy ; occasion que je vous ai faict ce mot pour vous prier de lui satisfaire ce que lui debvez, le plus promptement que pourrez, afin d'éviter les frais et son retardement ; par de là vous assurant que vous me ferez un singulier service d'apporter ce que de droit et de raison vous debvez à ce que le capitaine La Motte soit content de vous. — Au Pont-Saint-Vincent, ce XXIIIème janvier 1599. — Un bien bon amy. (Signé) N. (illisible) ». Cette lettre prouve que La Motte s'était échappé à temps et que rendu en lieu de sûreté, il ne craignait pas de faire parvenir ses réclamations reconventionnelles, comme on dit, par l'entremise d'un commandant armé].  

Nos paroissiens ne se contentèrent pas de dénoncer les mauvais traitements dont ils avaient été victimes et d'appeler sur leurs auteurs toutes les rigueurs de la justice ; ils se pourvurent aussi près des juges royaux de Saint-Brieuc pour faire annuler d'autres conventions qu'ils avaient été forcés de consentir pendant leur détresse au profit de prêteurs qui, comme La Motte, leur avaient imposé des conditions par trop usuraires. Le 27 septembre, à la post-communion de la grand'messe, Raoul Eouzan remontre aux notables réunis dans l'église que « suivant le pouvoir, charge et permission par eux baillée à honorables gens Pierre Chapelain, présent leur procureur syndic ; Olivier Ruffelet et Morice Philippe, ces derniers se seraient pourvus en justice contre certains particuliers habitant la ville de Saint-Brieuc et d'ailleurs, lesquels prétendent le général desd. paroissiens leur être redevable de plusieurs grandes sommes de deniers et grains et pour le paiement d'icelles les y faire contraindre par toutes voyes et rigueurs de justice n'ayant égard aux intérêts excessifs qu'ils ont tiré dud. général ; que si cela auroit lieu ce seroit leur totale ruine, d'aultant aussy que lesd. sommes prétendues par iceulx particuliers ou la plus grande partie d'icelles ont été par le général desd. paroissiens paiées et acquittées auxd. particuliers ; davantaige, comptant et les intérêts ; et pour éviter à telle ruine que iceulx paroissiens eussent à adviser s'ils approuvoint et trouvoint bon ce qu'il avoit esté en ce que dessus faict et procuré pour eux par lesd. Chapelain, Ruffelet et Philippe, suivant la charge qu'ils leur auroint baillée pour présenter requeste en la cour pour informer des exactions et usures qui auroint esté exercées contre ledit général et paroissiens, faisant pour iceulx à ce que la justice cognoissant l'excessive usure qu'ils ont esté contrainctz paier et à ce que encore à présent on leur demande, lesd. paroissiens soient jugés acquittés et que leurs dits procureurs ayent pouvoir de poursuivre ceux qu'il appartiendra pour recouvrir ce qu'ils auroint touché de trop desd. procureurs faisant pour ledit général ..... ».

Les paroissiens donnèrent en conséquence la procuration et les pouvoirs demandés ; nous ne connaissons pas quelle suite eurent les démarches de leurs mandataires, il est probable qu'ils obtinrent un jugement favorable. 

Mais de son côté et à partir de ce moment, le général de la paroisse eut à subir une longue série de réclamations de la part des habitants qui avaient souffert des suites de la guerre et qui demandèrent des indemnités tantôt pour une cause, tantôt pour une autre. Le général donna satisfaction à toutes les demandes qui, après examen, lui parurent fondées, notamment à celle de Pierre Moron ou Moro, auquel le capitaine Bourdin, commandant de Paimpol, avait fait endurer un emprisonnement de sept semaines pendant lesquelles il dut l'héberger à ses frais, à raison de « trois sous par jour », ce qui faisait, dit la réclamation, la somme de « huit livres », qui lui fut remboursée sur le rôle des fouages. 

C'est au mois de novembre seulement qu'on commença à démolir la tour de Cesson, bien que ce travail fut décrêté depuis le 17 avril. Les paroissiens de Plérin furent appelés à y participer par un ordre ainsi conçu : « Salomon Rufelet, sieur de la Ville Beau, conseiller du Roy, seneschal de Saint-Brieuc, commissaire en ceste partie, aux parouessiens de Plérin : Nous vous mandons et ce suivant la volonté du Roy et de Mgr le maréchal de Brissac, son lieutenant général en ce pays, vous aiez à envoier jeudy de grand matin, quarante et six hommes, comprins six massons garnis de leurs outils, pics et palles, pour raser la tour de Cesson, et en cas de défaut, ceulx qui seront par vous nommés qui n'y apparoîtront seront condamnés chacun en un escu d'amende et à tout ce que dessus vous et eulx serez contraincts comme pour les propres affaires du Roy, attendu que c'est pour le repos et bien du pays. Mandons aulx sergentz de ceste court et autres de seigneurs haut-justiciers d'en faire les contrainctes requises et à tous subjects d'y obéir sur les peines qui y escheront. Faict de notre ordonnance à Saint-Brieuc, sous notre seing, celui de François Quémar nostre adjoinlt, le septième jour de novembre mil six cent quatre vingt dix huict ; et continueront lesd. parouessiens d'envoyer led. nombre d'hommes au jour ci-dessus, toutes les sepmaines jusqu'à l'entière ruine de lad. tour » (Signé) Salomon Rufelet.

1599.

Cette année est tout entière passée en règlements de comptes pour apurer les dettes de toute nature faites pendant les exercices précédents. Il en résulte nécessairement de grands tiraillements entre le général et ses créanciers, ou, pour employer le nom qu'il leur donne, ses créditeurs, d'une part, et d'autre part, entre le même général et les habitants de la paroisse qui lui revendiquent la valeur des pertes par eux faites par suite des malheurs du temps. Mais toutes ces contestations sont primées par les receveurs des fouages qui viennent maintenant réclamer les reliquats des termes dus au roi pour les années 1597 et 1598, et exercer contre les débiteurs les poursuites les plus rigoureuses. Ces derniers que les exactions des années précédentes avaient épuisé au-delà de toute expression, eurent cependant le courage de réclamer contre les mauvais traitements des receveurs et de faire parvenir, dans l'espoir d'obtenir quelque délai, leurs cris de détresse jusqu'à M. de Maupeou, conseiller du roi et député par lui à l'administration des finances de Bretagne. Ils lui adressèrent donc la supplique suivante qui peint bien la triste position où la guerre les avait réduits ; on se rappelle involontairement en la lisant les récits si pathétiques du chanoine Moreau. « Supplyent humblement le général des paroisses de Plérin, Pordic et autres disant que ayants obéi à votre ordonnance vos pauvres suppliants se sont adressés à la justice des lieux pour condamner les receveurs de leur fournir estat des restats pour lesquels ils les font journellement courrir, ce que ils ont obtenu par sentence et tous exploits qu'il leur a délivrés à chacun desdits paroissiens, les billets et restats cy-attachés faicts sur les registres et papiers des recettes de Guillaume Thébault, précédent recepveur, lequel Thébault a baillé à Me Jacques Compadre, aussi recepveur, les restats de l'année IIIIxx dix sept à esliger et à recepvoir sur lesd. contributifs ; néanlmoins que lesd. Thébault et iceluy Compadre et ung appelé Guillaume Auffray, aussy se disant recepveur, font courrir de jour et autres vos pauvres suppliants, mesme dampuis votre ordonnance à ceste attachée, par sergentz qui concussionnent tellement le peuple qu'ils ne peuvent plus satisfaire pour les courses qu'ils leur font de jour en jour et des recettes qu'ils font, ne baillant rien auxd. recepveurs et retiennent tout pour leurs causes et fraictz, tellement que vos suppliants n'ayant aucun acquict vers lesd. recepveurs et seroint si pauvres et réduictz à si grande nécessité et pauvreté qu'il leur faut quitter et abandonner leurs paroisses pour l'occasion de la guerre et pillaiges qu'ils ont eu durant icelle ; qu'ils ont tout perdu, leurs biens et moyens que à présent ils meurent de faim et sont contrainctz quitter et abandonner leur patrye et n'ont aucun moyen de poyer ny satisfaire aux taxes et deubs qu'ils doivent à Sa Majesté s'ils ne luy plaint de grâce, et leur donner quelque ayde et moyen, attendu que, durant la guerre, ils ont tout payé de (subsides), tant à l'un party que à l'autre, qu'ils ont esté du tout ruynés et sont pour la plupart morts aux prinsons, n'ayant pu satisfaire à ce qu'on leur demandoit, et à présent n'y a que fort peu de peuple auxd. paroisses, lesquels sont réduicts à si grande pauvreté qu'ils meurent de faim. Ce considéré, Monsieur, qu'il vous plaise ordonner et donner à vos ditz suppliants surséance de huit moys des deniers qu'ils doibvent de restats, tant auxd. Compadre, Thébault que Auffray, recepveurs prédicts comme ils le vous ont requis et requerrent par requête cy-attachée, en ayant esgard aux grandes vexations, incursions des gens de guerre et extrême nécessité et pauvreté, de vos pauvres suppliants. Et pour leur subvenir faire défense et commandement auxd. recepveurs et leurs commiz, à tous sergents et autres de quelque qualité qu'elle puisse être, de ne les courir ni faire courir, inquietter ni molester pour raison desd. restatz que passé ne soit dudit temps sous lequel vosd. suppliants désirent se pourvoir vers Sa Majesté et vers vous, lequel (temps passé) ils vous feront apparoir amplement les faictz et intencion de Sa Majesté, car par cette seule surséance, le pauvre peuple se pourra rapatrier, recommencer de labourer et cultiver ce qu'il pourra des terres pour tascher et recepvoir moyens de paier les deniers qui se lèveront par cy-après par commission de Sa Majesté. Et ce faisant ferez bonne justice et obligerez les pauvres suppliants et toutes leurs familles à prier Dieu pour votre heureuse prospérité et santé ».  

M. de Meaupeou se borne à accorder aux réclamants un sursis de quatre mois à partir du 10 mai, passé lequel ils durent payer de gré ou de force. 

Cependant le Roi était revenu à Nantes au mois d'octobre. Les procureurs de la paroisse se mirent en quête des moyens de faire parvenir leurs doléances à Sa Majesté. Sur les entrefaites, ils reçurent du nommé Couvran, dont nous avons parlé plus haut, un billet par lequel il les engageait à faire un petit fonds en faveur d'un personnage qui avait occupé une position importante et suivi le parti du Roi pendant la guerre (le sieur Favigot de Launay). Ce personnage devait se rendre près de Henri IV afin d'obtenir de lui directement pour les habitants de Saint-Brieuc et des paroisses voisines, la remise de tout ce qui pouvait leur être réclamé sur les années antérieures. Nous ne savons quelles furent les suites de cette démarche, aussi nous nous bornerons à reproduire les termes de l'avis du sieur Couvran, qui était ainsi conçu : « 0llivier Burel, Jean Urvoy et Allain Quettyer, il est requis que vous, avec l'ayde de Moricze Philippe, présent porteur, fournirrez demain du matin, en ceste ville, dix escus au sieur de Launay, pour ayder aux frais qu'il lui convyent faire à son voiaige de Nantes pour parvenir à l'assurance (sûreté) et rabeix — que l'on prétend avoir vers Sa Majesté pour votre parouesse de Plérin, autrement vous serez excluz de ceste espérance, par quoy faictes tout debvoir de contraindre ceulx qui vous doibvent, pour ne manquer à ce que dessus ; me recommandant à vos bonnes grâces ; à Saint-Brieuc, ce 20 octobre 1599.  Votre affectionné amy, Couvran ».

1600.

Les effets de la pacification commencent à se faire sentir, mais les arriérés qui restent encore à solder sont la principale préoccupation de nos paroissiens pendant cette année. Le rôle de l'égail pour parvenir à ce solde ainsi que pour pourvoir aux impôts courants, dressé par les soins de Thomas Gaubert, monte à 1863 écus et 18 sous ; mais cette somme ne se trouvant pas suffisante, un rôle supplémentaire, dont nous ne connaissons pas le montant au juste, mais que nous croyons être de 900 écus, est établi dans le courant du mois de septembre et mis à exécution après homologation et autorisation préalablement accordées par le Parlement. 

Nous voyons dans une délibération du général, en date du 30 avril, que maître Jacques Compadre, receveur des fouages, réclame des paroissiens la somme de 589 écus 32 sous 6 deniers « pour ce qu'ils n'ont poié dempuis les quatre à cinq ans derniers ». Cela nous fait supposer que les dix écus donnés au sieur de Launay le 21 octobre précédent, l'avaient été en pure perte et que les démarches de ce dernier près du pouvoir royal n'avaient pas abouti. 

Les revendications vers le général continuent. Celui6ci réclame le prix d'une jument saisie par un sergent « pour certaine somme due par les paroissiens » ; celui-là a vu enlever, pour la même cause, sa vache qui « qui est sous poil rouge » ; un autre a eu le chagrin de perdre de la même manière « sa poêle d'airain » ; un autre a « sa couette de plume, deux linceulx et couvertures et un bassin également saisis et vendus », etc. Le général ordonne une enquête sur chacune de ces réclamations et n'y donne suite qu'après l'estimation loyale, par deux priseurs jurés, de la valeur des pertes dont on se plaint.

1601. 

Nos paroissiens commençaient à peine à respirer, — leurs comptes financiers étaient réglés et leurs arriérés dûs soldés, — lorsque la discorde vint tout à coup éclater au milieu d'eux. Divers soupçons dont nous n'avons pu pénétrer les motifs, mais qui finirent par prendre une grande consistance au sujet de la gestion des divers procureurs ou trésoriers do la paroisse qui avaient été en exercice depuis une douzaine d'années, obligèrent les juges de la cour royale à faire une enquête qui n'aboutit pas, paraît-il, faute de témoignages suffisants. Cependant, comme les accusateurs insistaient dans leurs dires, on eut recours à un monitoire ecclésiastique [Note : On appelait ainsi des lettres qu'on obtenait des juges d'église, notamment de l'official, et qu'on publiait au prône des paroisses pour obliger les fidèles à aller déposer ce qu'ils savaient des faits qui y étaient contenus et ce sous peine d'excommunication. On employait surtout ce moyen pour découvrir des criminels qu'on n'avait pu arrêter. Ces monitoires ne s'obtenaient qu'avec la permission des juges laïques et lorsqu'on ne pouvait se procurer autrement la preuve de faits incriminés. Ils ne devaient contenir que ce que la sentence laïque contenait elle-même, et la mention d'un fait nouveau l'entachait de nullité. Les officiaux ne pouvaient refuser les monitoires que les juges avaient permis d'obtenir, à peine de saisie de leur temporel. Ces monitoires, dit Furetière, étaient très-redoutés en Bretagne, sans doute à cause de l'excommunication dont étaient frappés les témoins inconnus qui ne se faisaient pas connaître. Le curé ou un prêtre de la paroisse dans laquelle le monitoire avait été lu recevait secrètement les déclarations sollicitées par cette pièce et adressait, sous un pli cacheté, à la cour qui devait prononcer sur l'affaire, les noms de ceux qui prétendaient en avoir connaissance. Ces derniers recevaient alors une assignation pour comparaître devant les juges et l'affaire s'instruisait comme si les témoins n'eussent pas été plus difficiles à trouver (Voyez Furetière, Potier de la Germendaye, etc.)] qui ne nous fait connaître, comme c'était l'usage, du reste, aucun des prévenus ou des coupables, mais qui dût, à cette époque, avoir pour effet certain d'éclaircir la situation de ceux sur lesquels planaient ces soupçons. Nous transcrivons cette pièce curieuse à plus d'un titre, quoiqu'elle rappelle plusieurs faits dont nous nous sommes déjà occupés, mais qui nous fait connaître une des formes anciennement usitées dans les procédures : « Officialis Briocensis, sede episcopali vacante, omnibus et singulis presbyteris, capellinis, clericis ac notariis de Plerin, Pordic, Saint-Michel de Saint-Brieuc, coeterisque nobis subditis et vestrum cuilibet in solitum, salutem, in Domino »

Nous vous mandons que de la part de Jacques Quiniou, procureur syndic des paroissiens à fouages contributifs de la parouesse de Plérin, griefve quérimonie et complainte nous auroit esté présentée affin d'obtenir les présentes lettres monitoriales pour parvenir à prouver des faits cy-articulés, scavoir : pour avoir preuve de ceux ou celles qui scavent et peuvent dire et déposer la vérité comme depuis les douze ans derniers quelques particuliers gérant et négociant les affaires du général de lad. parouesse, durant les derniers troubles auroient retiré subtilement et malicieusement plusieurs quittances, tant de capitaines et de soldatz de grande somme de deniers encore qu'ils n'en eussent payé que quelque partie, quelquefois une collocation à compte, et néanlmoins ils auroient passées en leurs comptes pour leurs sommes. 

Item, de ceux ou celles qui scavent comme iceulx malfaicteurs auroient retiré plusieurs consentemens dudit général et avoir faict des accords tant avec le capitaine Bert, commandant pour lors au château de Cesson, pour les deffaultz que auroient commis iceulx paroissiens aux fortifications dudit château et par iceulx consentement estoit accordé qu'il fut paié aud. capitaine Bert cinquante écus, en une part, encore qu'il n'en fut paié quarante que mesmes tous autres capitaines de quelque nature que ce soit tant pour foin, paille et avoyne ».

Item, de ceux ou celles qui auroient ouy ou veu aucuns desd. particuliers faire accord avec plusieurs sergents, tant de Moncontour, que Lamballe ou Saint-Brieuc et ailleurs, et auroient pris des procès-verbaux et acquits de plusieurs et diverses sommes de deniers encore qu'il n'en eussent payé que la moitié, quelquefois, une collocation, et néanlmoins s'en seroient aidés en leurs comptes, entr'autres à un appelé Carlo, de la somme de douze escus, encore qu'il n'en fut paié que huit. 

Aussy de ceux ou celles qui scavent lorsque dom Pierre Ninot (prêtre) estoit à la tour, estant homme libre de bailler des quittances sans recevoir que quelques petites parties d'argent, aucunes fois pour une collocation, entr'autres fois chez Olivier Audouart pour un festin valant un escu, led. Ninot délivra des quittances à un desd. particuliers pour douze escus et comme icelui Ninot s'en alla de ce pais il auroit déclaré que de quelque qu'il auroit baillé, n'en avoir rien reçu. 

Mesmes de ceux ou celles qui scavent que dempuis la paix faite, iceulx particuliers auroient subtilement ou malicieusement retiré des quittances des receveurs Charles Couriolle, Chartron Le Bottey, ou autres capitaines ou receveurs, et de quelques gens qui les auroient empoignées fraudeusement et sans leur faire rien paier, et les délivrant les quittances auxd. particuliers pour de grandes et extrêmes sommes de deniers qu'il ne paièrent jamais, ains seulement quelquefois un chapeau valant quelque escus et d'eux en auroient eu décharge du contenu auxdites quittances. 

Item, de ceux ou celles qui scavent comme iceulx malfaicteurs auroient retiré plusieurs fois nombre de bestiail tant à Lamballe, Moncontour que Saint-Brieuc et auroient pris quelquefois procès-verbaux des exécutions et ventes desd. bestiaux en s'adressant aux acquéreurs d'iceulx bestiaux ; auroient pris des quittances à part du racquit d'iceulx bestiaux et auroient d'empuis retiré des relations par lesquelles les parouessiens consentoient qu'il leur fut paie certaines sommes y mentionnées et après les auroient passés tant lesd. procès-verbaux que quittances ou consentemens en compte, trois fois, en vertu desd. actes. 

Mesme de ceulx ou celles qui auroient veu, sceu, ouy, ou entendu que quelques particuliers auroient retiré plusieurs quittances des geoliers tant de Saint-Brieuc que Moncontour, Lamballe et Paimpol, pour plusieurs sommes de deniers de la moitié plus qu'ils n'en payoient et néanlmoins les auroient employés pour toutes leurs sommes au grand dommage et perte de lad. parouesse de faczon que aujourd'hui ayant ainsy été oppressés, lesd. parouessiens sont réduits à grande pauvreté et ruine. Les voyans, oyans ouy de tout ou partage de ce que dessus en ont veu, sceu, ouy, entendu ou apperçu aucune chose servant à prouver, sont admonestés de le dire et révéler dans dix jours prochains venans, après la lecture ou publication des présentes lettres monitoriales, sur peine d'encourir en sentence d'excommunye, les parties adverses excluses et leur légitime conseil sans fraude et ce en vertu de permission d'auctorité de la cour royale de Saint-Brieuc en date du seizième du présent moys et an, signé Salomon Ruffelet

« Alioquin lapso hujus modi termino et monitione, auctoritate nostrâ quâ in hac parte fungimur, nisi premissis paruerunt et obedierunt ad dicti conquerentis instanciam excommunicamus, itaque ipsos et quemlibet palam et publicè excommunicatos denuncietur et certificetur. Datum Brioci in formâ Juris die decimâ sexta mensis maii, anno Domini millesimo sexcentesimo primo. (Signé) : J. CHARPENTIER, official ».  

Nous n'avons pu, jusqu'à ce moment, découvrir s'il intervint un jugement à la suite de ce monitoire et si les griefs dont on se plaignait furent bien éclaircis. Cette affaire fut sans doute soulevée par quelques contribuables mécontents qui alors, comme cela se voit encore quelquefois de nos jours, ne se faisaient point faute d'accuser de concus­sion et de malversation les préposés à la recette des impôts, agents qui n'avaient d'autre tort que d'accomplir peut-être un peu trop rigoureusement leur devoir. Il est peu présumable d'ailleurs que des gens qui, dans l'espace d'une année, se faisaient emprisonner plusieurs fois pour la défense des intérêts de leur paroisse aient pu obtenir si facilement les quittances dont il est question. Et puis, si les trésoriers ou procureurs avaient commis les délits qu'on leur attribue, comment eussent-ils été admis à poursuivre Couriolle, La Motte et même divers paroissiens qui n'auraient pas manqué de leur renvoyer les accusations dont ils étaient l'objet eux–mêmes ?

1602.

Il se manifeste toujours une certaine résistance de la part de quelques contribuables qui sont conduits en prison pour n'avoir pas payé leur part d'impôt. Les archives de la fabrique contiennent un grand nombre de quittances du geôlier de Saint-Brieuc qui déchargent les récalcitrans des sommes par eux payées après arrestation préalable. 

Les paroissiens sont encore obligés de contracter quelques emprunts, notamment avec Charles du Moulin et Anne Le Brun, sa femme, pour satisfaire, dans les délais, aux réclamations des receveurs des fouages ; ils prennent, en même temps, termes avec les prêteurs pour le remboursement de ce qu'ils doivent. (Délibération des 27 janvier et 7 juillet). ....

Nous arrêtons là nos citations. Notre but, en les publiant, a été, comme nous l'avons dit plus haut, de montrer seulement un coin du tableau qu'offrirent, dans nos contrées, les discordes civiles de la fin du seizième siècle, les malheurs qu'elles engendrèrent, et, parmi ces derniers, la ruine et la dépopulation du pays. Lorsqu'après l'acte de capitulation signé entre le roi de France et Mercoeur, acte qui stipulait, comme toujours, plusieurs indemnités de guerre, Henri IV se rendit de Nantes à Rennes, et fut partout témoin des ravages de la guerre ; ce n'est pas sans raison qu'il s'écria : Où ces pauvres Bretons pourront-ils trouver tout l'argent qu'ils m'ont promis ?

J. Gaultier du Mottay

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