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Un drame à Plaudren en 1672 entre les familles Lescouble et Trévégat

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« Dans une même paroisse, dit un proverbe du pays gallo, un château, c'est beau ; deux châteaux, c'est prise de maucs [Note : Mauc signifie en patois gallo : museau, bouche] ; trois châteaux, c'est coups de couteaux ». L'auteur de ce vieux dicton avait peut-être entendu parler de la querelle qui mit aux prises, en la seconde moitié du XVIIème siècle deux gentilshommes du Vannetais, et se termina de la façon la plus tragique au milieu des landes de Plaudren. Les péripéties de ce drame nous ont été révélées par un manuscrit respectable égaré dans les archives du château de Trégouët, en Béganne, où il fut découvert par M. le marquis de Sécillon.

En 1630, trois des anciens manoirs de la paroisse de Plaudren étaient habités par trois familles qu'unissaient entre elles les liens d'une étroite amitié. Le premier, connu sous le nom de Kerscouble, avait emprunté son nom à la maison de l'Escouble (ou Lescouble) dont le chef était alors Jean de l'Escouble ou Lescouble [Note : Jean de l'Escouble (ou Lescouble), chevalier, sgr de Kerscouble, Pérennez, Renoyal, etc. était fils aîné de Julien de l'Escouble et d'Amaurie de Quihiac. Il se maria trois fois : 1° à dlle Marguerite du Tressay ; 2° à dlle Anne Colombel ; 3° à dlle Françoise de Guémadeuc dont il n'eut postérité. Du premier mariage vinrent trois enfants : Pierre, aîné ; Anne, femme de François de Bouexière, sans enfants ; Yvonne, mariée à Pierre Raoul, dont une fille, Jeanne, morte sans alliance. — De son second mariage il eut deux fils : Jean, sr de Larmor, marié à Guénaëlle Le Net, mort sans postérité le 2 septembre 1685, et Gilles, époux de Renée Le Digabel, dont des filles. — Jean mourut en 1653 et fut inhumé le 3 mai à Plaudren. Pierre de l'Escouble, son fils aîné, épousa dlle Guillemette Caro. Il en eut trois fils : 1° Jean, aîné, sgr de Kerscouble, qui mourut victime du drame de Plaudren le 16 décembre 1672 sans laisser d'enfants de ses deux femmes, savoir : dame Julienne du Bot, fille aînée de messire Pierre du Bot et de dame Bertranne Gouyon des Hilliers, sr et dame du Grego, et qui était veuve de Gilles du Maz, écuyer, sr du Verger-Brossay, qu'il avait épousée le 21 septembre 1660, — et dlle Marie Lesné, dame des Rabines, fille d'écuyer Michel, qu'il épousa le 12 septembre 1663. — 2° Jacques, capitaine au régiment d'Artois, mort sans hoirs en 1673 ; — 3° Julien, marié en 1666 à dlle Samsonne-Thérèse Le Bècre, dont seize enfants, et qui continua la descendance. (Archives départementales du Morbihan. Fonds l'Escouble)] ; le second, appelé le Mortier (appartenant fin XIXème siècle à M. Louis Guyot de Salins), ancien apanage des Botderu, était la résidence de Claude de Trévégat [Note : Paul de Trévégat, sr de Kerberuet et du Mortier, était fils cadet de Claude de Trévégat et de dlle Jeanne de Botderu, sr et dame de Locmaria, Kerberuet, le Mortier, etc. et avait pour frère haut et puissant François de Trévégat, sr de Locmaria, Limoges, etc., conseiller au Parlement de Bretagne, marié à dlle Françoise de Quélen] ; le troisième, la Guittonnière, appartenait à Mathieu de Lantivy [Note : Mathieu de Lantivy, sr de la Guittonnière, eut de sa femme dlle Jacquette Le Crossec, entre autres, deux enfants : Anne, mariée le 16 septembre 1663 à Paul de Trévégat, ci-dessus, — et René, sr de la Guittonnière, qui épousa le 14 juin 1678 dlle Louise-Marie de la Chesnaye, fille d'Olivier, Sgr d'Estimbrieuc, et de dame Charlotte de Galy].

Ville de Plaudren (Bretagne).

Les sieurs de l'Escouble, de Trévégat et de Lantivy se voyaient journellement. Pierre de l'Escouble, fils aîné de Jean, venait de se marier, et ce mariage avait fourni l'occasion de fêtes répétées dans les châteaux du voisinage : celles du Mortier et de la Guittonnière avaient été particulièrement réussies.

Malheureusement les plus belles journées, les plus ensoleillées même, sont parfois assombries par des nuages qui, bien que légers, n'en sont pas moins précurseurs de la tempête. Une vieille femme inconnue des paroissiens de Plaudren et que l'on ne revit jamais, traversa la lande de la Croix-Peinte le jour du baptême du fils aîné de Pierre de l'Escouble ; arrêtant les pastours occupés à garder les troupeaux des métairies de Kerscouble elle leur déclara que ce jour devait être fatal pour leur seigneur, et que l'enfant, dont la venue au monde se célébrait au moment même dans les trois principaux manoirs de la paroisse, était destiné à y porter le deuil et les plus grands malheurs. L'un des petits paysans s'étant moqué de la sorcière et ayant même osé lancer son chien sur elle, on la vit lever la main et prédire qu'un crime épouvantable serait commis en cet endroit, dans la lande de la Croix-Peinte.

Naturellement l'incident fut commenté dans le pays. Les uns affirmèrent que les enfants avaient rêvé ; d'autres, qu'ils avaient été les jouets d'une mystification. Seul, le sieur de Kerscouble fut fort ému et ordonna qu'on ne parlât plus jamais devant lui de la sorcière. De fait, quelques années plus tard, son passage dans la paroisse avait été complètement oublié.

L'enfant, objet de cette prédiction terrible, avait reçu à son baptême le nom de Jean, celui de son grand-père. Vers la même époque la dame de Trévégat mettait au monde un fils à qui on donna celui de Paul. Du même âge, Jean et Paul devaient être et furent inséparables. Partageant les mêmes jeux, les mêmes joies, se consolant mutuellement dans les mêmes chagrins, ils s'aimèrent comme des frères. Rien ne venait troubler la paix des manoirs de Kerscouble et du Mortier, et le sieur de l'Escouble pouvait commencer à se dire que la femme de la Croix-Peinte avait abominablement menti, quand naquit à la Guittonnière celle qui devait être la cause des malheurs prédits  : j'ai nommé Anne de Lantivy.

Anne n'avait que quelques années quand Paul de Trévégat, comme tout cadet de bonne maison devait le faire alors, se décida à servir dans les armées du Roi. A peine âgé de 18 ans il alla rejoindre son frère aîné qui commandait en qualité de capitaine l'une des compagnies du régiment de la Meilleraye.

On était en 1648. La guerre de Trente ans venait de se terminer brillamment par la victoire de Lens et le traité de Westphalie : mais faisant suite à la guerre étrangère, la Fronde avait éclaté, et Paul allait pouvoir montrer, dans sa modeste sphère, de véritables talents militaires, talents que Turenne devait apprécier sept ans plus tard et si bien récompenser dans la suite. Après être resté trois ans au régiment de la Meilleraye, il vit le feu pour la première fois au siège de Bordeaux où sa brillante conduite lui valut d'être promu au grade de lieutenant. C'est alors qu'il fit, toujours sous les ordres de son frère, cette admirable campagne du Nord où tour à tour Turenne et Condé déployèrent leur génie, l'un au service de la France et l'autre sous les drapeaux de l'Espagne. Paul de Trévégat s'y fit souvent remarquer. Aussi fut-il nommé capitaine sous les murs de Valenciennes et le Roi, voulut-il lui donner lui-même le commandement de la compagnie de son frère : il conserva ce commandement jusqu'en 1660.

Cependant Mazarin mourait et Louis XIV prenait en main les rênes de l'Etat. On sait que le gouvernement personnel du grand Roi débuta par un incident qui faillit brouiller la France et le Saint-Siège. Le duc de Créqui, ambassadeur à Rome, avait laissé imprudemment les gens de sa suite injurier quelques soldats de la Garde-Corse. Ceux-ci furieux tirèrent un coup de pistolet sur l'ambassadeur, arrêtèrent la voiture de la duchesse et tuèrent l'un de ses pages. Bien que le Pape eût fait pendre les coupables et offert des excuses, le Roi saisit Avignon et envoya des troupes en Italie. Paul de Trévégat fut désigné pour faire la campagne : mais elle devait marquer le terme de ses exploits militaires. En traversant les marais du Milanais, notre héros fut atteint par les fièvres et pris de rhumatismes tellement violents qu'il fut obligé de s'arrêter dans une bourgade italienne. Abandonné des chirurgiens qui déclarèrent alors son état des plus graves, il se vit dans la nécessité de quitter l'armée. Au prix de fatigues excessives, miné par la fièvre, mourant pour ainsi dire, il fut ramené en France par petites journées. Pourtant à son arrivée à Paris il se sentit mieux portant, regagna la Bretagne et parvint, méconnaissable, au château de Limoges près de Vannes, dont ses parents venaient d'hériter, et où ils avaient fixé leur résidence ordinaire.

Parmi les personnes qui portèrent le plus d'intérêt au malade, nous devons citer naturellement Jean de l'Escouble et les parents d'Anne de Lantivy. Celle-ci, que Paul avait laissée tout enfant, était alors dans tout l'éclat de sa beauté.

Le jeune capitaine ne l'eut pas plus tôt revue qu'il en devint follement amoureux et demanda sa main. Mais il comptait sans un rival et un rival dangereux : ce rival n'était autre que Jean de l'Escouble, alors chef de nom et d'armes de la maison de l'Escouble, et dont la bonne mine et la belle fortune était en train de tourner les têtes de toutes les héritières de Vannes. Le hasard voulut que Jean fit aussi une demande qu'Anne repoussa formellement, en même temps qu'elle acceptait celle de Trévégat. Dés lors, entre ces deux amis la veille encore si unis, ce fut la guerre, la guerre acharnée, implacable.

Le mariage de messire Paul de Trévégat, écuyer, sgr de Kerberuet et du Mortier, avec Anne de Lantivy, dame de la Guittonnière, fut célébré à Saint-Patern de Vannes, paroisse du château de Limoges, le 1er septembre 1664, dès que la santé du jeune capitaine se fut un peu rétablie. Sur ces entrefaites, Jean de l'Escouble, voulant de dépit être marié avant eux, avait épousé, le 12 septembre 1663, Marie-Servanne Lesné, dame des Rabines.

Mais le caractère de l'Escouble, de doux et facile, était devenu irritable, impatient. Sa femme mourut au bout de peu de temps sans lui laisser d'enfant. Alors le sgr de Kerscouble se retira complètement dans son manoir de Plaudren, ne voulant plus voir ni ses amis, ni ses parents.

Le moment arrivait où la sinistre prophétie de la sorcière de la Croix-Peinte allait se réaliser.

Les tenanciers des manoirs du Mortier et de Kerscouble ainsi qu'il arrivait souvent dans nos campagnes bretonnes où les propriétaires terriens vivaient un peu de la vie de leurs vassaux, avaient embrassé la querelle de leurs deux seigneurs. Chaque jour amenait quelques disputes entre les fermiers des jeunes rivaux, et ces disputes ne se terminaient jamais pacifiquement. Un jour, un gars du Mortier se prit violemment de querelle avec un serviteur de l'Escouble : celui-ci malheureusement n'était pas loin. Il accourut hors de lui, prit fait et cause avec une violence extrême pour son vassal, et finit par en venir aux mains avec son adversaire : en un instant son épée était tirée et passée au travers du corps du paysan qui expira au bout de quelques minutes.

Ce crime fit grand bruit dans la paroisse de Plaudren ; à Vannes, on s'en émut et les juges de la juridiction de Largouët descendirent sur les lieux pour faire la levée du corps de la victime. Les magistrats se rendirent ensuite au Mortier pour procéder à une enquête qui ne dura pas moins de deux jours. Trévégat, comme la politesse le lui ordonnait, les invita à souper et à coucher à son château. Ce fait augmenta la fureur de l'Escouble : il prétendit que son ancien ami avait voulu suborner la justice et fait tous ses efforts pour obtenir une condamnation sévère contre lui. Il jura de se venger et chercha dès lors l'occasion d'une rencontre avec le mari d'Anne de Lantivy.

Le 16 décembre 1672, vers dix heures du soir, Paul revenait à cheval, en compagnie de deux de ses neveux, du château de Cadoudal où son cousin, le marquis de Guémadeuc, avait donné un grand souper à toute la noblesse des environs. La nuit était noire, glaciale. A peine le cri d'une chouette venait-il de temps en temps rompre le silence impressionnant des immenses landes de Lanvaux. Nos trois cavaliers, enveloppés dans leurs manteaux, avaient pris le pas et suivaient le grand chemin de la Croix-Peinte. Ils n'étaient plus qu'à une petite lieue du Mortier quand, tout à coup, un coup de sifflet sinistre retentit dans la nuit à trois pas d'eux. Le cheval de Trévégat se cabra violemment, si violemment que l'une des étrivières se rompit et que l'on fut obligé de mettre pied à terre. Pendant que leur oncle tentait vainement dans l'obscurité de réparer son étrivière, tout en calmant sa monture, les deux jeunes gens fort intrigués, craignant quelque mauvaise rencontre, s'étaient mis en devoir de sortir leurs pistolets de leurs fontes. Soudain, rapides comme l'éclair, apparurent cinq cavaliers que suivaient deux hommes à pied. Celui qui paraissait diriger la petite troupe, s'avança sans hésiter vers Trévégat : « C'est toi, lui dit-il d'une voix rauque, c'est toi Paul de Trévégat. Il y a trop longtemps que j'attends ce moment tant désiré ! Nous voici enfin face à face ! Dégaine si tu n'es pas un lâche ! »« Vous me prenez à votre avantage l'Escouble, reprit Trévégat en tirant l'épée, mais n'importe ».

En un instant les deux adversaires furent aux prises. Poussant le premier, Jean de l'Escouble se fendit avec tant de violence et d'emportement qu'il s'enterra et que l'épée de Trévégat lui traversa la poitrine. Le coup était mortel. Tout le monde s'élança autour du mourant qui prononça seulement ces mots : « Pérennez, mon neveu, vous pouvez dire à tous que je suis mort en combat déloyal, et par ma faute. Je quitte ce monde en pardonnant à Trévégat et à sa femme tout le mal qu'ils ont pu me causer, et en les suppliant de me pardonner celui que je leur ai fait. Je conjure le Divin Sauveur de me remettre mes péchés ! ... ».

La rentrée au Mortier fut lugubre. Paul de Trévégat déplorait sincèrement la mort de son ancien ami ; de plus, il n'ignorait pas qu'il allait tomber sous le coup d'une instance criminelle devant le Parlement. On était encore à cette époque sous l'empire des édits prononcés par Richelieu contre les duels, édits terribles auxquels on ne pouvait échapper que par la fuite et l'exil.

En effet, quelque temps après, un arrêt de la Cour, en date du 13 mars 1673, ordonnait l'incarcération de Trévégat. Le sr. de Pérennez, neveu de Jean de l'Escouble, déclara sur son honneur de gentilhomme, aux magistrats chargés de l'enquête, « que son oncle avait attaqué son adversaire ; que cette attaque n'avait eu aucun prétexte sérieux ; que lui, Pérennez, avait essayé de le dissuader par tous les moyens en son pouvoir, sachant qu'un duel avec Trévégat devait nécessairement tourner à l'avantage de son adversaire, le sieur du Mortier se mouvant difficilement par cause des gouttes dont il était atteint depuis son voyage dans le Milanais ». Cette déposition fit beaucoup d'impression sur l'esprit des conseillers du Parlement, mais il était évident que malgré tout Trévégat allait être condamné.

Le jeune gentilhomme était d'autant plus affligé qu'il était sur le point de reprendre du service et d'aller rejoindre l'armée en Hollande. Il écrivit alors à Turenne, sous le commandement duquel il avait fait ses premières armes pendant la campagne de 1655, et le supplia d'intervenir en sa faveur auprès du Roi. Le maréchal qui avait gardé très bon souvenir de Trévégat et avait été à même, comme nous l'avons dit, d'apprécier son sang-froid et son intelligence en plus d'une affaire, profita de la première occasion pour rappeler à Louis XIV les services du capitaine, et fut assez habile pour obtenir en sa faveur des lettres de grâce qui furent signées à Reims en juin 1673 et enregistrées au Parlement le 27 du même mois. « Nous désirons, disaient ces lettres, arrêter l'effet des poursuites ordonnées contre le suppliant, celui-ci ayant été attaqué sans sujet par le sieur de Kerscouble, et ayant été obligé de mettre l'épée à la main pour la défense de sa personne ; de plus ledit sr de Kerberuet n'ayant jamais commis aucune action digne de blâme ni indigne de sa naissance, s'étant plutôt dévoué pour notre service et ayant mis très souvent sa vie au hasard dans toutes les occasions d'honneur qui se sont rencontrées ».

Le drame de la lande de la Croix-Peinte n'eut donc pas de suites fâcheuses pour la maison de Trévégat, mais il resta longtemps dans la mémoire des paroissiens de Plaudren ; et peut-être trouverait-on aujourd'hui encore aux environs du Mortier quelques souvenirs de ce guet-apens qui coûta la vie à l'un des plus brillants cavaliers vannetais du XVIIème siècle.

(Par M. le Cte R. DE LAIGUE).

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