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VIDELO et PERENNO DEVANT LE TRIBUNAL SPECIAL

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RENVOI DEVANT LE TRIBUNAL SPÉCIAL.

La question des pistolets était posée. Les ennemis de Videlo entendaient bien ne pas la laisser tomber. Cependant on arrivait au 30 juin ; il y avait quinze jours que les prisonniers étaient sous les verrous; Paris ne réclamait pas Videlo. On ne pouvait suspendre le cours de la justice. Dès le lendemain le substitut, qui pendant ce temps avait consulté son chef hiérarchique (Arch. dép. 34 U 14, Extrait du jugement du Tribunal spécial), se décida à prendre ses conclusions.

Il ne crut pas pouvoir réclamer la comparution des accusés devant une commission militaire. « Nous ne pensons pas, disait-il que la découverte qui a dû se faire d'une paire de pitolets dans la cache de Videlo postérieurement à son arrestation, découverte qui n'a pas été constatée et qui n'a pas pu l'être, puisqu'elle s'est faite hors notre présence, puisque les pistolets ne nous ont été remis que le 10 du présent mois (29 juin), puisse ajouter quelque chose d'aggravant au crime dont il s'est souillé et motiver son renvoi devant la commission militaire. Celle-ci établie par l'arrêté des consuls du 18 floréal dernier (8 mai 1801), ne peut juger que les hommes armés ; elle forme un tribunal d'exception et dès lors ne peut dépasser la compétence qui lui a été clairement attribuée par l'arrêté qui la constitue. Or, en supposant la découverte des pistolets réelle, et elle n'est pas constatée, il est toujours vrai qu'avoir des armes cachées, ce n'est pas avoir les armes à la main, ce n'est même pas avoir l'intention manifeste et prochaine de vouloir s'en servir ».

Après avoir ainsi écarté la juridiction de la commision militaire, invoquant des considérants, multiples, Guépin requérait le renvoi de trois accusés devant le Tribunal spécial séant à Vannes (Arch. dép., 37 U 3, Conclusions du Substitut du commissaire du Gouvernement).

La surlendemain, dimanche 2 juillet, une ordonnance du directeur du jury faisait droit aux conclusions du substitut et prononçait la renvoi demandé. Nous la reproduisons en grande partie : elle a le mérite de mettre en lumière les charges qui, à ce moment de la procédure pèsent sur les trois inculpés (Arch. dép., 37 U 3).

« Vu, etc..
Le tout mûrement examiné.
Considérant que Videlo, ayant négligé d'user de la faculté que lui donnait de rentrer dans le sein de sa patrie, l'amnistie accordée le 15 thermidor an VIII (3 août 1800) aux rebelles de l'intérieur parmi lesquels il s'était de son propre mouvement enrôlé, environ une huitaine de jours avant leur reddition, — il n'est point admis à réclamer la faveur de cette amnistie dont l'essentiel est de n'être applicable qu'à ceux qui en ont profité en se rendant volontairement, — considérant de plus que des bruits populaires ont inculpé Videlo de s'être trouvé en personne sous les drapeaux des chouans à l'affaire de Quistinic où des républicains furent blessés ;

Considérant que s'il est prouvé dans la suite que Videlo ait réellement porté parmi les rebelles le nom de Tancrède, il se trouverait désigné sous ce nom comme chef de légion dans une lettre de Muscadi (sic) à Dancourt, pièce à la vérité du fait d'autrui, mais qui, si elle ne fait pas preuve entière, établit du moins contre Videlo le soupçon d'avoir occupé chez les rebelles un poste supérieur à l'emploi subalterne qu'il s'est attribué parmi eux dans ses interrogatoires ;

Considérant que, de l'aveu de Videlo lui-même, il résulte que sur les fonds dont il a été trouvé saisi, il était par ses chefs chargé de faire et faisait en effet le prêt à huit chouans qu'il a désignés ;

Considérant cependant que Videlo était sans armes lorsqu'il fut saisi et qu'il n'en a été trouvé aucune sur lui ni dans sa cachette lors de l'inventaire qui fut rapporté incontinent de tous les effets trouvés dans ses poches et dans cette cache par nous en présence et concurremment avec les officiers de la force armée.

Considérant, par rapport aux demoiselles Bonne-Françoise-Marguerite et Thérèse-Joseph du Pérenno Penvern, que le refuge accordé par elles à Videlo saisi dans leur maison avec sa garde-robe, la découverte faite dans la même maison de plusieurs caches propres à receler des hommes ou des effets et celle de l'équipement entier d'un rebelle qu’elles ont dit se nommer Achille, sont des moiens plus que sufisants pour établir contre elles l'inculpation d'intelligence avec les rebelles et de complicité avec le dit Videlo ;

Par toutes ces considérations et en vertu de l'article 3 de la loi du 30 prairial an 3, des articles 612, 613 et 614 du Codes de délits et des peines, et des articles 11 et 30 de la loi du 18 pluviôse an 9 (10 février 1801), tous les dits articles ainsi conçus :

Art, 3 de la loi du 3 prairial an 3. — Les chefs, commandans et capitaines, les embaucheurs et instigateurs de rassemblemens armés sans l'autorisation des autorités constituées, soit sous le nom de chouans ou sous telle autre dénomination seront punis de la peine de mort.

Art. 612 du Code des délits et des peines. — Toutes conspirations et complots tendant à troubler la République par une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres ou contre l'exercice de l'autorité légitime seront punis de mort tant que cette peine subsistera, et de 24 années de fers quand elle sera abolie.

Article 613 d'idem. — Seront punis de même tout enrôlepment de soldats, levée de troupes, amas d'armes et de munitions pour exécuter les complots et machinations mentionnés à l’article précédent.

Art. 614 d'idem. — Toutes pratiques et intelligences avec les révoltés de la nature de celles mentionnées dans les deux articles précédents seront punis conformément à l'art. 612.

Art. 11 de la loi du 18 pluviôse an 9. — Il connaîtra également (le Tribunal spécial) contre toutes personnes, mais exclusivement à tous autres juges, du crime... d'embauchage et de machinations pratiquées hors l'armée et par des individus non militaires, pour corrompre ou suborner des gens de guerre, les réquisitionnaires et conscrits.

Art. 30 d'idem. — A compter du jour de la publication de la présente loi, tous les détenus pour crimes de la nature de ceux mentionnés dans le titre 2, seront jugés par le Tribunal spécial. En conséquence il est enjoint à tous juges de les y renvoïer avec les pièces, actes et procédures déjà commencées, et néanmoins en cas de condamnation, on n'appliquera aux crimes antérieurs à la présente loi que les peines portées contre ces délits par le Code pénal ».

« Nous, directeur du juré susdit, faisant droit sur les conclusions par écrit du substitut du Commissaire du Gouvernement près le tribunal criminel du département du Morbihan pour l'arrondissement de Pontivy, du 11 de ce mois (30 juin), y ayant égard et attendu ce qui résulte des lois ci-devant transcrittes.

Ordonnons qu'en exécution des dittes lois, Julien-Marie-Cyrille Videlo, Bonne-Françoise-Marguerite et Thérèse-Joseph du Pérenno-Penvern soient incessamment traduits au tribunal spécial séant à Vannes et qu'ils y seront transférés avec toutes pièces mentionnées au vu de la présente et même la paire de pistolets de poche remise le 10 messidor présent mois ; ensemble tous les vêtements et effets dont mention en notre procès-verbal du 26 prairial dernier, et que toutes les dittes pièces armes et effets soient déposés de suite au greffe du même tribunal pour faire partie du procès des dits prévenus ».

Le lendemain 3 juillet, à la requête du substitut, le renvoi devant le tribunal spécial fut signifié à chacun des intéressés par le gendarme Labbé qui leur délivra copie de l'ordonnance du directeur du jury (Arch. dép., 37 U 3, attestation du gendarme Labbé au bas de l'Ordonnance de renvoi).

Guépin et Ruinet n'étaient point dupes, notons-le en passant, des basses intrigues du parti militaire. Pour eux il était clair que Videlo n'avait pas été arrêté les armes à la main, et leurs considérants prouvent qu'ils n'entendaient nullement se faire les complices des manœuvres honteuses par lesquelles ses ennemis s'efforçaient d'assurer sa perte.

Il est vrai que les articles de loi dont on requérait l'application ne parlaient guère que de la peine de mort ; mais il n'était nullement prouvé que Julien Videlo et surtout les dames de Penvern se fussent rendus coupables des délits dont ils devaient assurer la répression. C'était déjà un gain pour les accusés d'éviter la commission militaire en dépit des manœuvres employées par leurs pires ennemis. A tort ou à raison, le tribunal spécial passait pour indulgent et pour aimer mieux acquitter que condamner.

Le 4 juillet les prisonniers furent transférés à Vannes ; le détachement qui les escortait était commandé par le lieutenant de gendarmerie Dhennin que nous avons déjà rencontré au château de Penvern. Ils furent écroués à la Porte-Prison dont les deux tours servaient depuis près de six ans de maison de justice du tribunal criminel. En même temps Dhennin déposait au greffe du tribunal spécial le dossier de l'affaire et les pièces à conviction détaillées dans l'inventaire (Arch. dép., 39 U 2).

 

LE TRIBUNAL SPECIAL.

Les tribunaux spéciaux étaient de formation récente. La loi qui les avait créés, proposée par le gouvernement le 7 janvier 1801, communiquée au Tribunal le lendemain, avait été votée par le Corps législatif le 7 février et promulguée immédiatement par le Premier Consul.

Leur compétence, fixée par le Titre III, s'étendait à un certain nombre de crimes ou délits qui, en temps ordinaire, rossortissaient au tribunal criminel ou même au tribunal correctionnel : méfaits des vagabonds, gens sans aveu et prisonniers évadés, vols sur les grandes routes, vols avec effraction commis dans les campagnes, assassinats prémédités, etc. Ils devaient connaître également, « contre toute personne, mais exclusivement à tous autres juges, du crime d'incendie et de fausse monnaie, des assassinats préparés par des attroupements armés, des menaces, excès et voies de fait contre les acquéreurs de biens nationaux à raison de leur acquisition, du crime d'embauchage et de machination pratiquées hors l'armée et par des individus non militaires, pour corrompre et suborner les gens de guerre, les réquisitionnaires et conscrits ; enfin « des rassemblements séditieux contre les personnes, surprises en flagrant délit dans lesdits rassemblements ».

Le 23 du même mois, un arrêté de Bonaparte désignait les départements qui en seraient pourvus ; il y en avait vingt-sept : c'étaient les plus troublés, et le Morbihan en était comme la plupart des départements de l'Ouest, Ils devaient entrer en fonctions le 23 mars.

En réalité le tribunal spécial du Morbihan ne commença à fonctionner que le 8 mai 1801. La nomination des juges qui le composaient eut lieu seulement le 19 avril. De plus, faute de local, il dut emprunter les bâtiments même du tribunal criminel (Arch. dép., 39 U 1, procès-verbal d'installation). Depuis le milieu de février 1796, celui-ci siégeait à l'ancienne Retraite des femmes, qui était située tout près de l'église Saint-Salomon, et séparée du Petit-Couvent par le chemin de Trussac. « La ci-devant chapelle, écrivait l'ingénieur en chef Pichot aux administrateurs du département, a été choisie pour les séances publiques ; les petits parloirs àgauohe, pour chambres des jurés,. .; la chambre ci-devant de la communauté, pour chambre du conseil des juges ; et, pour greffe, trois chambres au premier étage » (Cité par le P. Léon BRETAUDEAU, Pierre-Renè Rogue, p. 125).


Le président et les deux juges du tribunal criminel étaient de droit président et juges du tribunal spécial ; maison leur adjoignait cinq autres juges : trois officiers, ayant au moins le grade de capitaine, et deux civils. Enfin le commissaire du gouvernement et le greffier près le tribunal criminel remplissaient les mêmes fonctions près le tribunal spécial (Loi du 8 pluviôse an IX, t. I, art. 2 et 3).

En conséquence, le tribunal spécial du Morbihan était composé comme suit : président, François-Marie Perret, président du tribunal criminel ; juges : Jean-Baptiste Nayl-Villeaubry et Le Menez-Kerdelleau, juges au tribunal criminel, Le Blanc, adjudant-commandant, Coroller, chef d'escadron de gendarmerie, Pourot, capitaine de vétérans, Claret et Busson, ex-juges ; commissaire du gouvernement : Lucas-Bourgerel fils [Note : Ancien avocat et chef de la milice bourgeoise, homme politique passant tour à tour de l'administration au prétoire, député au Conseil des Cinq Cents jusqu'au 18 brumaire (SAGERET)] ; greffier, Taslé (Arch. dép., 39 U 1, procès-verbal d'installation).

Et il ne faut pas oublier que cinq juges sur huit sont nommés par le pouvoir pour accomplir une œuvre bien déterminée : assurer la répression prompte et sévère de certains crimes ou délits pour lesquels le jury se montre indulgent et qu'il n'est pas possible de porter devant une commission militaire ; que sur le nombre et il y a trois officiers, surveillés, stimulés par leurs généraux, par tout le parti militaire, par le sinistre Bemadotte, aujourd'hui jacobin attardé, roi demain et fondateur de dynastie, las eux-mêmes de la guerre chouanne et disposés à se montrer impitoyables pour les chouans.

Voyons-les à l'œuvre.

Le 5 juillet, le président Perret commit Busson à l'instruction de l'affaire.

Dès le lendemain, les dames de Penvern furent conduites par la force armée de la Porte-Prison en la chambre du conseil du tribunal criminel. Elles avaient à traverser presque toute la ville en cet équipage ; mais ce n'était pas à elles qu'on en voulait et il est à croire qu'on les exposa le moins possible à la curiosité publique.

Les deux sœurs comparurent l'une après l'autre devant le magistrat instructeur qui, assisté du commis-greffier Brenugat, leur fit subir un interrogatoire.

Elles maintinrent énergiquement les déclarations qu'elles avaient faites devant le directeur du jury de Pontivy.

Videlo ne couchait pas dans la cachette où il avait été découvert, mais dans une chambre d'étranger ; que si ses effets s'y trouvèrent rassemblés dès le 10 juin, malgré l'arrivée inopinée de la troupe, c'est que, à chacune de ses visites, il en laissait une partie au château et que Bonne du Pérenno avait elle-même pris soin de les mettre dans la cachette dès que celle-ci eut été terminée.

Elles n'avaient d'ailleurs donné asile à Videlo que parce qu'elles le savaient disposé à faire sa soumission et qu'elles le croyaient incapable de tout acte de violence ; elles ne l'avaient jamais vu venir chez elles à cheval ou un armes ; le cheval isabelle était bien à elles ; les armes et les effets trouvés derrière l'armoire à fond mobile appartenaient à Achille Biget, qui passa à Penvern, avec Videlo lui-même, quelques jours avant ou après la pacification du 12 février 1800. Elles n'avaient jamais vu La Bretagne avant le 15 juin.

Si Videlo avait porté un surnom, elles n'en avaient jamais rien su ; elles avaient bien entendu parler d'un chef de chouans connu sous le nom de Tancrède, mais il commandait dans la région de Gourin, Le Faouët et Rostrenen.

Les dames de Penvern s'étaient rendu compte, par la lecture de l'ordonnance de renvoi, du danger que courrait Julien Videlo le jour où il serait identifié avec le Tancrède dont il était question dans la lettre du Muscadin à Dancourt. Et elles s'efforçaient de le conjurer.

En somme; les deux soeurs continuaient à défendre leur cause et celle de Julien Videlo lui-même avec autant d'habileté que de courage.

Rose craignit pourtant d'avoir commis une imprudence en déclarant, au commencement de son interrogatoire, qu'elle avait vu Julien Videlo passer dans l'avenue de Penvern avec une bande d'environ 400 chouans, quelques jours avant la pacification de Brune. Avant de se retirer, elle revint sur ses paroles et dit qu'elle s'était probablement trompée et que Julien Videlo ne faisait pas partie de la bande.

Le mardi 9 juillet, ce fut le tour de Julien Videlo. L'interrogatoire fut très long ; commencé dans la matinée, vers dix heures, il fut interrompu à midi, repris à trois heures et ne se termina que vers six heures du soir.

L'accusé expliqua comme il put la provenance des doubles louis et des guinées anglaises trouvées dans sa cachette et distribués à la troupe par ordre du général Bernadotte. Les guinées anglaises abondaient dans le pays, surtout dans les villes commerçantes ; de plus, avant de quitter Pontivy, il avait fait un règlement de compte avec sa sœur pour fait de commerce.

Il fut peut-être plus heureux encore quand il donna les raisons de sa conduite durant les dix-huit derniers mois, Ce qui l'avait déterminé à se faire chouan, c'étaient les insultes qu'on lui lançait à la face, jusque dans la rue, et les mauvais traitements dont il avait été victime ; à deux, reprises il avait été incarcéré pour des motifs des plus futiles : la première fois, pour s'être fait remplacer dans le service de la garde nationale, la seconde, pour avoir fait remarquer que, d'après un arrêté du directoire, la colonne mobile rentrée dans ses foyers devait faire partie intégrante de la garde nationale. S'il n'avait pas remis ses armes en même temps que les autres chouans, c'était pour la bonne raison qu'il n'avait pas d'armes. Il n'avait jamais rien su de la cachette dissimuléc derrière l'armoire à fond mobile, ni du fusil à deux coups, ni du pistolet d'arçon qu'elle contenait. Il reconnut comme siens la plupart des objets trouvés dans sa cachette, même la poire à poudre et le sac à balles, mais non la fameuse paire de pistolets de poche jointe aux pièces à conviction treize jours après son arrestation.

S'il avait renoncé à rentrer à Pontivy, c'est qu'il redoutait les persécutions de ceux dont les vexations l'avalent déjà forcé à en sortir pour entrer dans le parti des chouans. Il déclara qu'il ne connaissait auoun dépôt d'armes : il n'y avait qu'à interroger La Bretagne.

Il affirma qu'il n'avait jamais commandé aucune expédition à ses hommes ; qu'il ne les avait même jamais vus réunis : qu'il ne s'était jamais servi des domestiques de Penvern pour faire ses commissions ; il avait, il est vrai Un domestique à lui : c'était Philippe.

Il reconnut sans difficulté comme étant de lui les papiers trouvés dans sa cachette, sauf toutefois une note dont nous ignorons la teneur, mais qui paraît sans importance et la chanson royaliste : « 0 vous, généreuses victimes l... » : Ces deux pièces n'étaient ni de son écriture ni de sa composition.

Malheureusement, presque début de son interrogatoire, Videlo avait fait un aveu des plus compromettants.

Busson lui ayant demandé s'il n'était pas désigné parmi les chouans sous un autre nom que celui de Videlo, il répondit « qu'avant la remise des armes, il portait le nom de Tancrède, mais que depuis il était plus particulièrement connu sous le nom de Julien ». C'était s'identifier lui-même avec Tancrède. Or le dossier de l'accusé venait de s'enrichir des papiers saisis sur Dancourt, sur Pierre Roger, sur Joson ; et il était aisé d'y trouver la preuve que Tancrède était un important chef de chouans.

La première de ces pièces, datée du 14 décembre 1800, n'était autre que la lettre adressée par le Muscadin à Dancourt et dont nous avons parlé plus d'une fois. Tancrède y était désigné deux fois comme chef de légion. Dancourt devait l'inviter à s'occuper de la question du mariage des jeunes gens et à pourvoir au remplacement de Duval. Elle se terminait par un post-scrtptum dont il était facile de tirer un argument contre Julien Videlo : « Mes respects aux deux sœurs. Rappelez-moi au souvenir de M. Tancrède  » [Note : Arch. dép., 37 U 3. Voici le texte de cette lettre : « 14 décembre 1800. — Mon cher Augustin, — Je n'ai pas pu lire le nom de l'officler que vous avez demandé pour remplacer le malheureux Duval. En attendant que vous puissiez en recevoir un, ne négligea rien pour mettre un bon second dans cet intéressant canton. Prévenez M. Tancrède de mettre tout en œuvre pour cet efiet. Vous trouverez ci-incluse une circulaire pour la deffense des mariages ; après que M. Tancrède en aura pris copie pour la faire circuler dans sa légion, vous ferez passer l'original à M. Renaud. Surveillez bien le canton de la Lorient ; faites votre possible pour tirer parti des ecclésiastiques qui y sont, où du moins empêchez-les de nuire. Salut et amitié. LE MUSCADIN. Mes respects aux deux sœurs. Rappelez-moi au souvenir de M. Tancrède »].

Une autre était adressée par Dancourt à Joson, son lieutenant dans 10 pays de Lorient. Après avoir reproché vivement à son subordonné de n'avoir pas mis à exécution, malgré ses ordres formels, un projet d'enlèvement de diligence transportant des fonds du Trésor, il lui disait, entre autres choses, de presser l'organisation de son canton et il ajoutait : « M. Tancrède vous donnera des éclaircissements selon un état qu'il vous montrera » (Arch. dép., 37 U 3. Cette pièce se trouve dans le dossier de Videlo).

Trois autres étalent signées Tancrède ; elles étalent adressées à Joson ; deux d'entre elles étaient du mois de décembre 1800 (Arch. dép., 37 U 3. Interrogatoire de Videlo n° 2) ; la troisième n'est pas datée, mais elle paraît avoir été écrite à la même époque, et c'est la seule dont nous connaissions le texte [Note : Arch. dép., 37 U 3. « Mon cher Joson, — je vous envoie 25 guinées, vous les changerez à Lorient, vous garderez 150 # et vous me ferez passer de suite le restant. Je n'ai pas eu de nouvelles de votre expédition. Je compte vous voir dans quinze jours, vous compterez la solde pour le mois pour ceux de ce pays-ci. — Préparons-nous, nommez de suite les capitaines de paroisses. — Tout à vous de cœur et d'affection. — Tancrède »]. Mais dans toutes Tancrède se révélait à n'en pas douter comme un chef considérable, comme le premier après Augustin dans la légion de Melrand.

Julien Videlo eut beau ne pas reconnaître ces pièces, non plus que quelques autres de même provenance mais de moindre importance ; il eut beau prétendre qu'elles ne le concernaient pas ou qu'elles n'étaient pas de son écriture — ce qui était difficile à soutenir —, qu'il ne portait plus le nom de Tancrède à l'époque où elles avaient été écrites. Ces documents, joints à ses aveux du 22 juin [Note : voir par ailleurs], qu'il renouvela d'ailleurs devant Busson, et aux déclarations de La Bretagne, ne devaient guère laisser de place au doute dans l'esprit des juges.

 

LES ENNEMIS ET LES AMIS.

Les trois accusés prirent pour avocat René Jolivet, l'homme de loi le plus en vue de Vannes à cette époque. En ce qui concernait concernait Videlo, sa tâche s'annonçait singulièrement difficile. Il faut en chercher la raison moins dans la culpabilité réelle de l'accusé que dans la haine implacable de ses ennemis Ils s'agitaient plus que jamais pour faire croire qu'il avait été pris les armes à la main. Ils voulaient à tout prix arracher au tribunal spécial un jugement d'incompétence et faire renvoyer l'affaire devant une commission militaire.

Entre le 16 et le 19 juillet, le citoyen Motte, huissier près le tribunal spécial, citait à comparaître devant le magistrat instructeur (Arch. dép., 37 U 3) les témoins dont les noms suivent : Alexis-Joseph Dhennin, lieutenant de gendarmerie à Pontivy ; Pinel, sous-lieutenant à la 82ème demi-brigade, en garnison à Saint-Servan ; François Liautey, caporal des carabiniers à la 30ème légère, en garnison à Pontivy et Jean Vergniol, carabinier à la même demi-brigade, en détachement à Locminé. Pinel fut longtemps introuvable.. Le commissaire du gouvernement près le tribunal spécial demanda des renseignements au citoyen Philaut, juge de paix à Saint-Servan. Celui-ci répondit qu'il n'y avait pas de Pinel dans le corps des grenadiers en garnison dans cette ville ; il y avait bien un Juhel, mais, à cette date, il était délaché à Fougères (Arch. dép., 37 U 3). Enfin, le 27 juillet, après un avoir conféré avec Dhennin, le substitut Guépin écrivait de Pontivy à son chef hiérarchique qu'il s'agissait non d'un Pinel, mais d'un Jumel, sous-lieutenant à la deuxième compagnie de la 82ème demi-brigade, à Saint-Servan (Arch. dép., 37 U 3). Il faut convenir que l’intrigue était par trop grossière ; les fils blancs paraissent de toutes parts : on ignore jusqu'au jusqu'au nom du principal témoin.

Bref, Jumel ne put faire sa déposition en temps utile devant le magistrat instructeur du tribunal spécial. Nous le retrouverons plus tard.

Dhennin fut entendu le 20 juillet. Le 16 juin au matin, il se trouvait, déclara-t-il, « dans la chambre du général Villatte, au château de Penvern, lorsque le citoyen Pinel (sic), sous-lieutenant de la 82ème demi-brigade, vint apporter les deux pistolets avec bayonettes anglaises appartenants au dit Videlot ; que le citoyen Pinel déclara au général qu'il venait, en présence et sur l'indication de Videlot de les saisir dans sa cache ; que le citoyen Guespin, substitut du commissaire du gouvernement, se trouvant en ce moment dans l'appartement du général Villat, dit qu'il était inutile de parler de ces pistolets, qu'il y avait assez d'autres faits contre Videlo et que d'ailleurs le procès-verbal était clos ; ajoute le dit citoyen Dhennin qu'il a sçu depuis que deux carabiniers de la 30ème légère avaient accompagné le citoyen Pinel et Videlot dans la cache pour la saisie de ces pistolets et que les deux carabiniers se nomment savoir : l'un Verniol, de la 1ère compagnie actuellement en garnison à Locminé, et l'autre Lioté, caporal de la même compagnie » [Note : Arch. dép., 37 U 3. Dhennin ajoutait que Liautey était à ce moment à l'hôpital de Rennes ; en tout cas, au moment de sa déposition, le 18 juillet, il était en garnison à Pontivy].

Le surlendemain 22 juillet le carabinier Jean Vergniol racontait de son côté que, le 16 juillet au château de Penvern, « il fut commandé par le citoyen Pinel (sic), officier de la 82ème demi-brigade, d'escorter, luy et un autre de ses camarades, Videlo, dans la cache où il avait été pris la veille et que là, en présence du dit Videlo, et sur sa désignation, il tira d'un trou pratiqué dans cette cache les deux pistolets de Videlo, garni chacun d'une petite bayonette, lesquels pistolets lui interrogé remit à l'instant au citoyen Pinel et que ceux que nous lui avons représentés — c'est Busson qui parle — sont les mêmes que ceux tirés par luy de la cache de Videlo  » (Arch. dép., 37 U 3).

Le caporal François Liautey comparut seulement le 27 juillet. Il déclara « avoir entendu un officier de la 82ème, dans la route en retournant du château de Penvern à Pontivy, dire qu'il avait saisi, dans la cache de Videlo, deux pistolets ayant chacun une bayonnette au bout, déclare également l'avoir entendu dire avant le départ de la troupe du Château de Penvern » (Arch. dép., 37 U 3).

Enfin, le 20 juillet, Busson avait interrogé très longuement La Bretagne détenu lui-même en ce moment à la maison de justice de Vannes avec le maire de Gestol, François Duliscouët, dit Kernabat, et Maurice Rio, de Keroch en Quéven, accusés, comme on sait, de complicité ; et au cours de l'interrogatoire, il lui avait mis sous les yeux le fusil saisi derrière l'armoire à fond mobile et la paire de pistolets de poche. Ces armes, déclara La Bretagne, appartiennent à Videlo ; il les portait toutes les fois qu'il sortait ; les pistolets sont venus de Lorient ; c’est moi-même qui suis allé les prendre chez Maurice Rio et qui les lui ai remis, ches ses frères, à Bubry, il y aura un an vers le mois de septembre (Arch. dép., 39 U, Procédures du tribunal spécial, 48-68).

Avoir des armes cachées dans l'endroit où l'on est pris, ce n'est pas être pris les armes à la main. Guépin, dans ses conclusions et Ruinet, dans son ordonnance de renvoi, l'avaient loyalement reconnu, et il ne pouvait faire autrement sans jongler avec les mots. De plus les dépositions que nous venons de rapporter étaient suspectes à bon droit. Julien Videlo ne pouvait donc être justiciable d'une commission militaire instituée uniquement — nous le répétons — pour juger sur-le-champ les rebelles pris les armes à la main. Mais pour ses ennemis, il devait l'être, il fallait à tout prix qu'il le fût. Le 24 juillet se passait à Pontivy une scène pénible qui jette un triste jour sur cette ténébreuse affaire.

Le recteur et le vicaire de Bubry passaient — nous l'avons dit plus haut — pour les plus fermes adversaires de la soumission à la Républlque consulaire ; on rendait surtout le « grand vicaire » responsable de la résistance obstinée du clergé dans toute une partie du département. La Bretagne avait plusieurs fois prononcé leurs noms dans ses divers interrogatoires, et s'il n'avait apporté aucune charge sérieuse contre Louis, en revanche, il accusait nettement Benjamin d'avoir été et d'être encore le caissier des chouans.

Un mandat d'arrêt avait été lancé contre eux par le commissaire du gouvernement près le tribunal criminel. On n'avait pu mettre la main sur le recteur, mais le vicaire avait été arrêté, dans le jardin du presbytère de Bubry le 20 juillet, et conduit le même jour à la maison d'arrêt de Pontivy (V. Les Prêtres de Bubry, p. 192 et suivantes).

Or, le 24, deux généraux, Villatte et Bernadotte, croyons-nous [Note : Au dire de la femme du concierge de la prison, l'un des deux généraux devait être le commandant de l'arrondissement et donc Villatte. D'autre part, Bernadotte, à cette époque, est signalé à plusieurs reprises comme résidant à Pontivy], se firent conduire par la femme du concierge de la prison dans la chambre qu'il occupait. Que se passa-t-il alors ? Nous ne le savons pas au juste. Il est certain toutefois que les deux officiers parlèrent sur un ton d'insolente menace, et déclarèrent au prisonnier que son affaire serait réglée dans les vingt-quatre haures ; qu'il n'avait pas à compter sur le tribunal spécial, dont « tous les jugements d'absolution avaient été cassés, qu’enfin il comparaîtrait avec son frère, le chouan, devant la commission militaire siègeant à Vannes » [Note : V. Les Prêtres de Bubry, p. 211 et suivantes. A la suite de cette entrevue, Louis Videlo essaya, sans succès, de s'évader de sa prison].

Pendant que, au dehors, se menait cette campagne contre Jullien Videlo, les prisonniers attendaient, dans la maison de justice, que le tribunal spécial statuât sur leur sort. Les deux tours de la Porte-Prison étalent à ce moment fort délabrées ; les pièces affectées au logement des prisonniers étaient incommodes et insalubres ; Julien Videlo, à qui on ne manqua sans doute pas d'interdire toute communication avec ses complices, était l'objet d'une rigoureuse surveillance, Les dames de Penvern étaient mieux traitées à ce qu'il semble. Elles recevaient assez librement dans leur prison. Sans doute leur demoiselle de compagnie, Flore de Kerouallan, était retenue à Penvern où elle devait les remplacer dans la direction de la maison ; mais une autre au moins de leurs amies, Marie-Anne de Forsanz [Note : Parmi les objets découverts à Penvern derrière l'armoire à fond mobile se trouvait « une boête de carton peinte, contenant un portefeuille et des papiers recouverts d'une bande portant l'adresse qui suit : A Marie-Anne. Je charge la conscience de quiconque l'ouvrira » (Arch. dép., 37 U 3). Procès-verbal de transport à Penvern). Marie-Anne n'était autre que Mlle Marie-Anne de Forsanz (Arch. dép., 37 U 3, interrogatoire de Bonne Coupé)], vint se fixer à Vannes pendant le temps de leur détention. Elle habitait chez les demoiselles Bonamy, rue Saint-Salomon. C'est par son intermédiaire que les fidèles restés au loin communiquaient avec les deux prisonnières et que leur directeur de conscience, qui n'était autre que le vicaire même de Bubry, Louis Videlo, pour continuait de loin le secours de son ministère. Justement, au moment de son arrestation, le 20 juillet, il fut trouvé porteur d'un paquet adressé à Mlle de Forsanz. L'enveloppe contenait un billet et deux lettres. Le billet portait la signature de Louis Videlo ; celui-ci invitait Mlle de Forsanz à remettre à leurs destinataires deux lettres adressées l'une, « à Bonne », l'autre « à Rose ».

Ces lettres ne parvinrent jamais à leur adrosse. Nous les avons publiées ailleurs. Nous croyons cependant utile de les reproduire ici pour permettre au lecteur de mieux connaître et de mieux juger les deux nobles femmes qui tiennent une si grande place dans notre récit.

Le vicaire de Bubry s'efforçait avant tout de répondre aux besoins immédiats des deux âmes dont il avait la direction : leur prêcher le courage, la patience dans l'épreuve, la soumission complète à la volonté divine, et leur rappeler les motifs puissants de consolation qu'elles devaient puiser dans leur foi.

Voici la lettre qu'il adressait à l'aînée des deux sœurs :

« J. M. J.
J'espérais, ma chère fille, que le temps de vos épreuves ne devaît plus être long et que vos nouveaux juges vous eussent de suite mise en liberté ; mais il paraît que Dieu n'est pas encore satisfait, car, souvenez-vous en bien, lui seul permet tout ce qui vous arrive. Tenez donc toujours bon et ne perdez pas courage, C'est le cas ici de dire : plus de peines, plus de mérites. Je sens que votre nouvelle arrestation vous offre bien de nouveaux moyens d'exercer votre soumission, mais quels qu'ils soient, puisqu'ils sont dans la volonté de Dieu, vous devez être contente. Il sait mieux que nous ce qui nous convient, et ce serait bien mal entendre vos intérêts que de ne pas vous soumettre aussi pleinement qu'il a le droit de l'attendre de vous. Il n'y a point de non, ma chère fille, pour une âme qui veut aller à lui. A l'exemple de Jésus-Christ, elle peut, par suite du sentiment de sa faiblesse, le prier d'éloigner d'elle le calice qu'il lui présente, mais, toujours pleine de confiance dans ses miséricordes, elle lui dit dans toute la sincérité de son cœur : O mon Dieu, que votre volonté se fasse et non pas la mienne ? Puissiez-vous jamais n'avoir d'autres sentiments ! Qu'une âme fidèle au milieu des croix est un spectacle digne des anges et de Dieu même ! Qu'elle mérite de grâces et quels ne sont pas les progrès qu'elle fait dans le chemin de la perfection ! Jamais, non jamais, n'oubliez cette vérité que Dieu n'éprouve que ceux qu'il aime. Le temps des tribulations passera d'ailleurs bien vite, soyez-en sûre, et vous serez forcée d'avouer que toutes celles que vous aurez éprouvées ne sont rien en comparaison de la gloire qui doit en être le prix. La nature sans doute se révolte à l'idée seule de ce qui peut la contrarier ; mais vous savez qu'elle est aveugle et qu'il s'en faut beaucoup qu'elle sache ce qui lui convient. Sachez que vous devez la faire mourir, et conséquemment vous devez recevoir avec soumission, amour et reconnaissance tout ce qui peut vous en fournir les moyens. Heureuse mort, ma chère fille, puisqu'elle doit vous procurer la vie !

Ou je me trompe bien ou les desseins de Dieu sur vous se développent de plus en plus, Vous savez ce que vous avez éprouvé plus d'une fois, et ce que j'ai été dans le cas de vous dire à ce sujet. Que la position où vous vous trouvez dans le moment est bien faite pour vous décider à vous détacher des choses de la terre, pour ne vous attacher qu'à Celui seul qui peut faire votre bonheur l Puissiez-vous, ma chère fille, voir tout ce qui vous environne avec les yeux d'une parfaite indifférence, et vous établir dans une disposition à pouvoir dire avec le grand saint Augustin : Vanité des vanités, tout n'est que vanité, à l'exception d’aimer Dieu et de ne servir que Lui seul.

Plus que jamais méritez que Dieu se communique à vous et à celui qui doit vous annoncer ses volontés. Ainsi en tout puissiez-vous dire : Dieu seul et Dieu tout seul ! Priez-le pour moi, et me croyez.

Tout à vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ ».

Dans sa lettre à Rose, le vicaire de Bubry écrivait :

« J. M. J.
La première lettre que ma sœur m'avait écrite, m'avait fait espérer que l'on vous eut permis d'habiter votre propre maison, mais d'après ce qu'elle me marque cette semaine, je vois que vous êtes toujours à la maison d'arrêt. Je ne doute pas de toute la gêne que vous en éprouvez, et que la nature ne se révolte quelquefois. Mais, ma chère fille, Dieu le veut, et conséquemment vous devez aussi le vouloir, et, en le voulant, vous devez vous estimer heureuse. Il faut pour cela sans doute que vous soyez généreuse, soumise et résignée ; mais pourriez-vous ne pas l'être, en vous rappelant les promesses que vous avez faites si souvent à Dieu et le choix que vous avez eu le bonheur de faire ? Vous appartenez à Jésus-Christ ; votre vie doit donc être une vie d'humiliations, de mépris et d'opprobres. Ne perdez jamais de vue l'avis que nous donne à tous le grand saint Bernard : vous conviendrait-il d'être des membres délicats sous un chef couronné d'épines ? Si c'est là ce qu'il exige de tous les chrétiens en général, que n'exige-t-il pas d'une épouse de Jésus-Christ ? Dans les mariages terrestres, il doit y avoir, entre les deux époux, union de volonté, de goûts et de sentiments ; combien plus doit-il y en avoir dans les mariages spirituels ! Félicitez-vous donc, ma chère fille, de tous les moyens que votre nouvelle position vous offre de vous rapprocher de l'époux de votre cœur et de lui ressembler ; et puissiez-vous vous écrier avec le grand apôtre : A Dieu ne plaise que je me glorifie jamais en autre chose que dans la Croix de mon Sauveur Jésus-Christ ! Dans le sacrifice qu'il exige de vous, il n'ira pas jusqu'à vouloir que vous répandiez votre sang pour lui, mais il va jusqu'à vouloir que vous mourriez à toutes les révoltes de la nature, à toutes les affections de votre cœur, en un mot, à tout vous-même, pour ne voir que lui, ne chercher que lui et ne vivre que pour lui. Que vous serez heureuse, ma chère fille, si, en sortant d'arrestation, vous pouvez dire avec vérité : Dieu m'a éprouvée et je me suis humiliée sous sa main paternelle ; il m'a fait entrer dans une voie semée d'épines ; mais, pleine de confiance en lui, j'y suis entrée avec générosité et avec courage ; j'y ai consulté les lumières de la foi, et en ai suivi les principes, Quelle assurance alors pour vous de pouvoir prétendre à cette récompense qu'il promet à ceux qui auront marché dans la voie de ses commandements. Réjouissez-vous donc, ma chère fille, je vous le répète, réjouissez-vous donc dans le Seigneur. Je sais comme vous que vous avez tout à craindre de votre faiblesse, mais croyez que celui qui a commencé son ouvrage en vous, voudra bien vous aider à le perfectionner, et ne permettra pas, soyez en sûre, que vous soyez tentée au-dessus de vos forces ; et il saura bien, au moment de la tentation, vous donner les moyens de vous y comporter en vraie chrétienne et d'y être victorieuse, Le temps des tribulations passera bien vite et vous serez obligée d'avouer qu'elles n'auront été rien en comparaison de la gloire qui en sera le prix. Ne m'oubliez pas devant Dieu et croyez-moi tout à vous en Notre-Seigneur-Jésus-christ.

Ne vous inquiétez pas pour les permissions que vous croiriez devoir me demander : je vous laisse toute liberté ; mais Dieu seul et toujours Dieu seul ».

Tout commentaire serait superflu, On conviendra que ces deux lettres, d'une inspiration si hautement chrétienne, font le plus grand honneur à celles qui peuvent recevoir comme à celui qui sait donner des consolations si austères et de si fortes directions.

Les dames de Penvern avaient d'autant plus besoin d'être fortifiées et consolées que les épreuves, dont elles espéraient voir bientôt le terme, n'étaient pas près de finir : le jugement du tribunal spécial les replongeait brusquement dans un incertain plus menaçant que jamais.

 

LE JUGEMENT DU TRIBUNAL SPÉCIAL.

Le mercredi 31 juillet, le tribunal spécial se réunit dans la ci-devant chambre de la communauté de la Retraite des femmes devenue chambre du conseil du tribunal criminel. Nayl-Villeaubry venait de mourir [Note : Le 29 prairial, 18 juin 1801, à l’âge de quarante-deux ans. (Arch. comm. de Vannes, état-civil) ] ; Le Menez-Kerdelleau [Note : Il allait mourir lui-même, dans sa maison de la rue de l'Unité, le 25 vendémiaire an X, 17 octobre 1801, à cinquante-huit ans. Il était né à Carhaix. (Arch. comm. de Vannes, état-civil)] et Coroller étalent malades. Pour les suppléer, il fallut avoir recours au citoyen Serres, juge suppléant au tribunal criminel. Le tribunal spécial ne pouvait juger qu'en nombre pair, à huit ou à six au moins (Loi du 18 pluviôse an IX, Titre premier, article V). Etaient donc présents : Perret, président, Le Blanc, Pourot, Busson, Claret et Serres, juges, Lucas-Bourgerel, commissaire du gouvernement et Taslé, greffier [Note : Arch. dép., 37 U 3. Extrait des registres du greffe du tribunal spécial du départ. du Morbihan, du 12 thermidor an IX de la République française].

Le commissaire du gouvernement avait d'abord songé à demander au tribunal de se déclarer incompétent et de renvoyer Videlo devant La commission militaire et les dames Penvern devant le tribunal criminel. Il avait même écrit en ce sens au ministre de la Justice. Finalement, par respect pour le principe de l'unité de la procédure, il requit un jugement d'incompétence avec renvoi des trois acousés devant la commission militaire, Comme il fallait s'y attendre, le tribunal se rangea à sa manière de voir. Voici la partie essentielle du jugement du 31 juillet (Arch. dép., 37 U 3, extrait des registres du greffe du tribunal spécial, etc) :

« Considérant que la procédure ne présente pas contre Videlo la prévention qui, comprise dans le titre II de la loi du 18 pluviôse an neuf, puisse le placer sous la compétence du tribunal spécial ;
Que le crime de rébellion, de chouanage, de brigandage, sans faits particuliers imputables à des individus, ne les place point sous cette compétence ;
Que le bruit public invoqué par le second considérant qui précède l'ordonnance de renvoi, n'était appuyé d'aucun rapport de témoins et d'aucun autre commencement de preuve qui puisse établir une prévention, et ne peut motiver une attribution de compétence ;
Que le gouvernement, d'après le silence de la loi du 18 pluviôse an neuf sur le crime de rébellion, de chouanage et brigandage, a rendu l'arrêtê du 18 floréal dernier qui rend justiciables des commissions militaires ceux que les colonnes républicaines saisiraient les armes à la main, mais qui, par ce seul fait, ne seraient point encore de la compétence du tribunal spécial ;
Qu'il est appris par la lettre du substitut du commissaire du gouvernement près le tribunal oriminel pour l'arrondissement de Pontivy, écrite au commissaire du gouvernement près le tribunal criminel le six messidor, que le procès-verbal de capture et saisie de Videlo et de ses effets était clos quand on du (sic) trouver dans sa cache et sur son indication les pistolets qui font partie des pièces de conviction et que ce fait n'a point été constaté dans ce premier procès-verbal ;
Que les rapports des témoins Dhennin, Vergniol et Lioté entendus sur ce fait ont commencé la preuve que le procès-verbal ou un procès-verbal supplémentaire eût dû présenter ;
Que la découverte dans la maison que fréquentait Videlo et qui le recelait lors de sa capture, d'un fusil à deux coups et d'un pistolet d'arçon anglais, prétendus appartenir à Achille, peut corroborer la présomption que Videlo en rébellion n'était pas sans armes ;
Que la qualité de chef et de commandant de huit hommes au moins, à qui il distribuait la solde, avouée par Videlo, peut le ranger dans la classe des hommes continuellement armés, lors même que personnellement il n'aurait pas tenu l'arme à la main, parce qu'un chef peut-être considéré comme tenant et dirigeant les bras de tous ceux qui lui obéissent, et armé de toutes les armes qui sont portées par ses ordres ;
Qu'après les vérifications légales des écritures et correspondances présumées de la main de Videlo, la preuve de l'emploi et de la direction des armes par ses ordres, pourra acquérir un plus haut degré d'évidence, mais qu'il n'incombe point au tribunal spécial de suivre plus avant l'instruction, puisqu'il ne peut point placer les prévenus sous sa compétence ;
Qu'il ne lui incombe pas d'avantage de fixer le sens de l'acception des termes de l'arrêté du gouvernement du 18 floréal dernier, dont l'exécution et l'application est confiée à la commission militaire ;
Que les deux sœurs Dupérenno, prévenues de complicité dans les actes de rébellion et brigandage imputés à Videlo, pour lui avoir donné retraite, sachant qu'il était dans le parti des chouans, et ainsi facilité de plusieurs manières les moyens d'exécution de ces délits, ne peuvent être distraites de l'instruction à laquelle elles sont partie nécessaire et indispensable, sauf le renvoi par la commisston devant qui de droit, après sa compétence fixée respectivement à tous les prévenus ;
Sur ce qui résulte de l'art. 24 de la loi du 18 pluviôse an 9 et de l'arrêté du gouvernement du 18 floréal dernier portant :
Art. 24 de la loi du 18 pluviôse an 9 :
Sur le vu de la plainte, des pièces y jointes, des interrogatoires et réponses, des informations, et le commissaire du gouvernement entendu, le tribunal jugera sa compétence sans appel ; s'il déclare ne pouvoir connaître du délit, il renverra sans retard l’accusation et tous les actes du procès par devant qui de droit ; dans le cas contraire, il procédera égallement sans délai à l'instruotion et au jugement du fonds »
.

« Arrêté des consuls du 18 floréal an 9 :

Art, 1er. — Le général commandant l'armée de l'ouest formera trois colonnes d'éclaireurs pour poursuivre les brigands qui désolent la 13ème division militaire.
Art. 2. — Il y aura à la suite de chaque colonne d'éolaireurs une commission militaire composée de cinq officiers et d'un rapporteur, pour juger sur le champ les brigands pris les armes à la main.
Art. 3. — Le Ministre de la Guerre et le Ministre de la Police générale seront chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécutlon du présent arrêté.

Et faisant droit sur la conclusion du Commissaire du Gouvernement,

Le tribunal déclare qu'il est incompétent et qu'il ne peut connaître des délits imputés à Julien-Marie-Cyrille Videlo, Bonne-Françoise-Marguerite Dupérenno et Thérèse-Joseph Dupérenno, et renvoie les dits prévenus et la procédure qui les concerne devant la commission militaire établie dans le département du Morbihan par l'arrêté du gouvernement du 18 floréal dernier.
Ordonne que le présent jugement sera mis à exécution à la diligence du commissaire du Gouvernement...
Fait en la chambre du conseil du tribunal criminel du département du Morbihan, par emprunt de local, etc.. »
.

La décision du tribunal spécial était on parfait accord avec l'opinion du ministre de la Justice, Le 30 juillet en effet, Abrial répondait à la consultation du commissaire du gouvernement, et sa lettre dut arriver à Vannes vers le 5 août. « Je partage absolument l'opinion d'après laquelle vous avez décidé que Videlo, dit Tancrède, devait être traduit devant une des commissions militaires nouvellement créées par le Gouvernement. L'état de rébellion dans lequel il a été trouvé n'est pas douteux. Mais je pense que les prévenues de Penvern auraient pu être également traduites devant la commission militaire Elles ne paraissent pas en effet seulement complices de Videlo et des autres chefs de chouans armés contre la République ; leur maison ayant servi à receler des ennemis intérieurs avec armes et munitions, tous les faits imputé à Videlo semblent donc pouvoir l'être aussi aux prévenues Penvern  » (Arch. dép., 37 U 3).

Aprèc ce que nous avons dit au chapitre précédent, l'opinion du ministre ne nous empêchera pas de trouver ce Jugement aussi précipité que mal fondé en droit. Pour livrer Videlo à la commission militaire, le tribunal spécial se contente d'une vague présomption. Pourquoi ne pas attendre l'arrivée de Pinel même métamorphosé en Jumel ? Pourquoi ne pas se renseigner auprès du parquet de Pontivy présent à Penvern lors de l'arrestation de Videlo ? Enfin le sixième considérant du jugement, le plus important, ne constitue-t-il pas à lui seul une pure monstruosité juridique ? Videlo aurait été arrêté dans des conditions qui le rendaient justiciable de la commission militaire, c'est-à-dire les armes à la main, parce qu'il commandait et soldait huit chouans dispersés dans toute l'étendue d'un arrondissement ! Si le tribunal spécial ne pouvait ni se déclarer compétent, ni établir la compétence de la commission militaire, il devait attendre un supplément d'information ou renvoyer les accusés devant le tribunal criminel, Mais ceux qui le menaient se défiaient du jury. Quant à attendre… à quoi bon ?.

(Pierre Nicol).

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