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VIDELO et PERENNO DEVANT LA COMMISSION MILITAIRE

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DEVANT LA COMMISSION MILITAIRE - LA PROCÉDURE.

Le tribunal spécial avait rendu son jugement le 31 juillet. Le lendemain le vicaire de Bubry, dont nous avons mentionné plus haut l’arrestation, était à son tour transféré de Pontivy à Vannes. Son beau-frère, Bon Jan de la Gillardais [Note : Bon Jan de la Gillardais avait épousé Félicité Videlo le 1er septembre 1778. Né à Guer le 28 mai 1745, il était fils de Pierre Jan de Laumaillerie et d’Anne Hochet. Avocat au Parlement, il fut le dernier maire de Pontivy avant 1780. Il joua un rôle important dans cette petite ville pendant la Révolution comme administrateur du district ou comme juge au tribunal. Mais l’arrestation de ses deux beaux-frères avait probablement rendu le séjour de Pontivy pénible pour sa famille. Toujours est-il que, en pleine affaire Tancrède, le 14 août, il vint déclarer à la mairie qu’il comptait quitter la ville le 2 septembre, pour se retirer à Cléguérec, avec sa femme, ses enfants et sa belle-mère. (Arch. mun. de Pontivy)], l’accompagna jusqu’au chef-lieu du département : il espérait sans doute être utile à sa cause et il voulait tenter un dernier effort en faveur de Tancrède dont l’affaire prenait décidément mauvaise tournure.

A en croire d'Haucour, le recteur de Bubry aurait eu l'intention de faire enlever son frère par les chouans en cours de route. La tentative, si elle eut lieu, ne réussit pas, car Louis Videlo fut écroué le soir même à la prison du Petit-Couvent.

Il comparut dès le lendemain devant le préfet du Morbihan, qui, sur son refus de faire la promesse de fidélité à la constitution de l'an VIII, prit immédiatement contre lui un arrêté de déportation. Il attendit pendant un mois, dans sa prison, l'approbation de l'arrêté préfectoral par le ministre de la police et son transfert à l'Ile d'Oléron [Note : Cf. Les Prêtres de Bubry, p. 209 et suivantes. Le premier préfet du Morbihan, Giraud-Duplessis, venait d'être nommé commissaire du gouvernement au Conseil des prises (22 juillet), et remplacé par l'adjudant-commandant Julien (28 juillet) : mais il n'avait pas encore quitté Vannes, et c’est devant lui que comparut le vicaire de Bubry].

Les dames de Penvern et Tancrède furent eux aussi transférés au Petit-Couvent après le jugement du tribunal spécial. Lui fut-il permis de les voir ou au moins de communiquer directement avec eux ? Nous n'en savons rien. Ce qui paraît certain, c'est qu'il put aisément, grâce à ses relations avec l'extérieur, suivre jour par jour la procédure de la commission militaire [Note : Les pièces de la procédure de la commission militaire se trouvent aux Arch. départ., 37 U 3].

Le 5 août le citoyen Jean-Baptiste-Hubert Modiquet, capitaine au 4ème régiment de chasseurs à cheval, rapporteur de la commission militaire, était mis en possession du dossier. Il venait d'en terminer l'étude lorsque arriva à Vannes le lieutenant Jumel qu'on avait enfin retrouvé ; il reçut sa déposition le vendredi 16 août au matin. Le témoin déclara « que le 27 prairial,… étant du détachement qui avait été conduit au château de Penvern, le lendemain de l'arrestation de Videlo, vers les cinq heures du matin, il dit au dit Videlo qu'il était a pris (appris) qu'il avait des armes, et que lui Videlo lui répondit : « puisque l'on [se] doute quej'aye des armes, cela est vrai ; venez avec moi : je vais vous les remettre ». Aussitôt un carabinier qui entendit ce propos s'offrit à venir avec moi accompagner Videlo dans sa cache. Arrivé là, Videlo me demanda à être délié pour chercher les pistolets qui étaient dans un trou. Je ne voulus point y consentir. Alors il me désigna l'endroit ; mais ne pouvant les trouver, il se coucha sur le ventre, pour les tirer de leur cache, La corde qui lui tenait les bras liés, l'ayant empêché de fouiller assez avant, je dis au carabinier de chercher dans le même endroit, et [celui-ci] tira les deux pistolets garnis de leurs bayonnettes, qu'il me remit. Je fus les porter au général Villat qui était encore au lit ». Et la pièce que nous citons se termine par ces mots : « Les pistolets représentés au témoin, il les a reconnu pour être les mêmes qui ont été trouvés dans la cache de Videlo d'après son indication ».

Armé de cette nouvelle déposition, Modiquet se rendit sans retard au Petit-Couvent et fit comparaître devant lui Julien Videlo. L'interrogatoire ne dura pas moins de six heures : commencé le 16, vers dix heures du matin, il ne se termina que le 17, vers midi.

Avant de répondre aux questions du capitaine instructeur, l'inculpé voulut faire une déclaration par laquelle il déclinait la compétence de la commission militaire, L'arrêté du 18 floréal an IX (8 mal 1801), dit-il, n'établissait point d'autres commissions militaires que celles qui devaient accompagner les colonnes d'éclaireurs chargées de poursuivre les brigands armés ; ces commissions elles-mêmes n'avaient point d'autres attributions que de juger sur-le-champ les rebelles pris les armes à la main, et le fait d'avoir été pris les armes à la main nécessitait un jugement immédiat ; en ce qui le concernait, la commission militaire avait reconnu son incompétence au moment même de son arrestation à Penvern, parce que, en réalité, il n'avait pas été pris les armes, à la main. Il avait bel et bien êté arrêté sans armes, ainsi que constatait formellement le procès-verbal de capture, dans une maison où il ne se réfugiait que pour attendre le résultat des démarches entreprises par lui pour faire accepter sa soumission, et où on ne l'avait reçu que pour cette raison. Les délits qu'on lui imputait avaient rendu nécessaire une instruction qui, en fait, avait élé ouverte contre lui ; or il était bien évident que les commissions militaires n'avaient pas été établies pour instruire, mais pour juger sur-le-champ les rebelles pris les armes à la main. La commission militaire ne l'ayant pas jugé sur-le-champ, comme elle aurait dû le faire s'il avait été pris les armes à la main, aucune commission militaire n'avait plus juridiction sur lui. Il n'était désormais justiciable que du tribunal criminel ou, à la rigueur, du conseil de guerre. En conséquence, s'il consentait à répondre aux questions qui lui seraient posées dans la suite, c'était uniquement pour permettre à la commission militaire de se convaincre de plus en plus qu'il n'était pas dans le cas prévu par l'arrêté consulaire du 18 floréal.

Sur son passé, la date et les motifs de son entrée dans la chouannerie, son obstination à ne pas déposer les armes, ses ressources et la provenance des pièces d'or et surtout des guinées anglaises trouvées en sa possession, ses relations avec le château de Penvern, Tancrède fit les réponses que nous connaissons déjà et sur lesquelles il serait fastidieux de revenir.

Il avait avoué précédemment qu'il avait huit hommes sous son commandement et il les avait nommés. Il ne revint pis sur cet aveu, mais il déclara que, à ses yeux, c'étaient plutôt des malheureux sans feu ni lieu que des soldats ; qu'il se proposait seulement de prendre sur eux assez d'influence pour les empêcher de devenir criminels et « les faire rentrer avec lui dans le sein de la république », s'il était assez heureux pour obtenir lui-même cette faveur. Son but avait été partiellement atteint : personne n'avait eu à se plaindre des hommes qu'il commandait.

Le capitaine rapporteur lui mit alors sous les yeux le fusil à deux coups, les pistolets d'arçon, la paire de pistolets de poche et lui demanda s'il les reconnaissait. Videlo répondit que ces armes n'étaient pas à lui, qu'il n'avait jamais eu besoin d'armes. Modiquet refit le récit de la découverte des deux pistolets d'après Jumel. Videlo affirma qu'il n'avait rien vu de tout cela. Le capitaine rapporteur insista : La Bretagne lui-même, au mois de septembre 1800, avait pris ces pistolets chez Maurice Rio, à Keroch, en Quéven, et les avait déposés entre les mains du recteur de Bubry qui avait dû les lui remettre. Videlo soutint jusqu'au bout que tout cela était absolument faux, et qu'aucune de ces armes ne lui appartenait. Quant à ses hommes, il ne croyait pas qu'ils eussent d'armes ; en tout cas, ils ne s'en étaient jamais servis. Que si on voulait connaître les dépôts d'armes appartenant aux chouans, ce n'était pas à lui qu'il fallait s'adresser, mais à La Bretagne qui s'en était spécialement occupé.

Des crimes avaient été commis peu auparavant dans les paroisses de Langoëlan, Silfiac, Langonnet, Le Faouët ; quatre personnes, dont une femme, avaient été tuées et deux gendarmes blessés. Modiquet crut devoir diriger ses investigations de ce côté. L'accusé répondit « que toutes les espèces d'assassinats et de crimes de ce genre lui ont toujours été absolument étrangers et n'ont jamais entré dans ses principes et qu'il a tout fait, jusqu'à se compromettre lui-même, pour les empêcher ».

Enfin Modiquet sortit du dossier les pièces à conviction écrites trouvées à Penvern ou saisies sur Augustin, Roger et Joson. Les unes étaient à peu près ou même tout à fait étrangères au débat ; les autres au contraire désignaient clairement Tancrède comme chouan et même comme chef de légion.

Julien Videlo reconnut sans peine les pemières ; mais il continua à protester que les autres ne le concernaient pas.

Sur une dernière question du capitaine rapporteur, il désigna René Jolivet comme défenseur ; puis, avant de se retirer il exprima le désir de faire entendre deux témoins à décharge, Jean-Baptiste Rondeau, commis à la recette de Pontivy et Laurent Morand, employé de commerce dans la même ville.

Julien Videlo ne fut pas laissé plus longtemps au Petit-Couvent. Il aurait dû être enfermé à la Tour du Connétable qui depuis cinq ou six ans servait de prison militaire [Note : Arch. dép., M, 12. La fameuse tour, qui avant la Révolution servait à enfermer les filles de mauvaise vie et les déments, avait été transformée en prison militaire à la fin de 1793 ; elle garda cette destination jusqu'au 21 décembre 1803. Elle devint à cette date maison de correction et dépôt pour les femmes] ; mais elle était dans un état de délabrement qui rendait les évasions faciles et fréquentes. Ceux qui tenaient Videlo n'entendaient pas le laisser échapper ; on le ramena à la tour nord de la Porte-Prison.

Le capitaine Modiquet interrogea séparément Bonne et Rose du Pérenno dans l'après-midi du même jour. Les deux sœurs se détendirent avec la même prudence, le même courage, la même présence d'esprit que devant Ruinet et Busson. Elles ne laissèrent pas échapper une parole qui pût aggraver le cas de Julien Videlo ou compromettre ses frères ; car les interrogatoires visaient aussi les deux prêtres, surtout Benjamin désigné par La Bretagne comme caissier des chouans.

On les accusait d'avoir livré aux chouans avant la pacification de Beauregard, trois cents minots de seigle et froment. Elles répondirent quelles n'avaient pu livrer de froment : il n’y en avait pas dans le pays qu'elles habitaient. Quant au seigle, elles n'en avaient jamais livré volontairement ; on leur en avait pris une fois de force dans une de leurs fermes. C'était d'ailleurs le seul vol dont elles eussent été victimes. Enfin elles traitèrent de fable ridicule cette histoire de baptême, de dragées, de banquet que nous avons rapportée par ailleurs d’après les dires de La Bretagne.

Elles terminèrent par une déclaration identique : ayant été arrêtées en vertu d'une ordonnance du directeur du jury, elles se croyaient en droit de contester la compétence de la commission militaire. Comme Videlo, elles chargèrent René Jolivet de leur défense ; mais plus heureusses que lui, elle purent attendre au Petit-Couvent le moment de comparaître devant leurs nouveaux juges.

Dès le 20 août, les témoins cités à la requête de la défense, se présentaient devant le capitaine rapporteur. Celui-ci venait de recevoir deux attestations écrites et faveur de Videlo. Elles émanaient de deux anciens chouans, Louis Le Fouler, de Keroch, en Bieuzy, et de Claude Gloux, dit Bignat, de Guern, et témoignaient de la modération et de l'humanité de l'accusé. Le Fouler racontait — et Bignat confirmait sa déposition — que lors de la pacification de Brune, il fit sa soumission et alla déposer ses armes à Pontivy ; qu'il fut surpris quelques jours après par des chouans réfractaires et conduit devant les chefs ; que ceux-ci voulaient le mettre à mort comme traître, « et qu'il ne dut la vie qu'aux instantes prières de Videlo ».

Morand et Rondeau de leur côté venaient dire comment Julien Videlo s'était vu contraint de se jeter dans le parti des chouans.

Morand déposa « que quelque temps avant que le nommé Videlo passa aux rebelles, il entra chez lui un matin très ému et lui dit qu'il venait d'essuyer sur la place publique une scène très désagréable, que le citoyen Beaublé (Puillon-Boblay), commissaire du Gouvernement près l'administration municipale, l'avait invectivé et traité de chouan devant plusieurs témoins. Le citoyen Videlo ajouta qu'il ne trouvait aucune sécurité dans un pays où des magistrats l'insultaient impunément et sans motif. Le citoyen Dumay, médecin à Pontivy, était chez le déclarant lorsque le citoyen Videlo se plaignit de cette insulte.

Quelques temps après le départ du citoyen Videlo, le déclarant faisant des reproches au citoyen J. Violard de l'avoir incarcéré avec ledit Videlo, pour s'être fait remplacer à la garde, le citoyen Violard dit au déclarant qu'il ne lui en voulait pas à lui, mais bien à Videlo ».

Et à propos de cette dernière scène, Rondeau ajouta que « Violard manifesta au sujet du dit Videlo une animosité qui souleva l'indignation de tous les assistants ».

Le neveu de Julien Videlo, Bon Jan de la Gillardais, avait accompogné les deux témoins dans leur voyage à Vannes. Les trois jeunes devaient attendre en cette ville le jugement désormais très prochain de la commission militaire. Ils reçurent l'hospitalité chez Georges Morand, l'oncle de l'un d'entre eux.

On leur permit de voir Julien Videlo dans la matinée du jeudi 22 août. La santé du prisonnier était très ébranlée. Le concierge, apitoyé ou gagné, lui avait donné dans la Tour du nord un logement relativement salubre et commode ; de sa fenêtre tournée vers l'est, il dominait une maison basse dont le toit descendait presque jusqu'au sol. Que se passa-t-il entre ses visiteurs et lui ? Nous ne le savons pus. Il devait comparaître le lendemain devant la commission militaire ; on parla sans doute beaucoup de la terrible journée qui se préparait, des bruits qui se colportaient en ville, des dispositions supposées des juges. Il fut certainement aussi question d'évasion et peut être combina-t-on quelque plan où les trois visiteurs devaient jouer leur rôle. Les facilités d'exécution et la crainte qu'inspirait la commission militaire semblaient conseiller une tentative de ce genre.

Les trois pontivyens déjeunèrent ensuite chez le citoyen Morand ; pendant tout le repas, il ne fut question que des moyens de défense de l'accusé et de ses chances d'acquittement — auxquelles on ne croyait peut-être pas beaucoup.

A quatre heures, ils étaient sur la Garenne. L'un d'eux, Bon Jan, croyons-nous, s'était arrêté sur le pont en bois qui y conduisait ; les deux autres avaient gravi la butte et étaient arrivés auprès de l'hôpital Saint-Yves.

A ce moment même Videlo, trompant la vigilance de ses gardiens, descendait au moyen d'une corde sur le toit très bas de la maison voisine et de là se laissait glisser dans la rue ; puis, prenant à droite, il s'élançait dans la direction de la Garenne. Il trouva son neveu sur le pont ; ils escaladèrent ensemble la rampe abrupte, et rejoignirent sur le haut Morand et Rondeau.

Malheureusement l'alarme avait été donné à la prison. Le concierge Robert, suivi du poste, accourait sur les traces du fugitif en criant de toutes ses forces : « Arrête ! arrête ! ».  Les trois jeunes gens étaient bien loin de songer à arrêter Videlo ; ils aimaient mieux narguer le pauvre concierge qui s'essouflait à courir et à crier. Bon Jan se mit même à courir dans la même direction que le prisonnier, mais en manœuvrant de façon à favoriser l'évasion en gênant la poursuite. Cependant Robert gagnait du terrain ; il réussit à appréhender le fugitif auprès de la Croix Jeanneton [Note : Nous n'avons pu déterminer au juste l'emplacement de la Croix Jeanneton ; nous supposons qu'elle se trouvait sur le terrain occupé vers 1913 par les Fourrages militaires], et avec l'aide du poste, il le ramena à la prison.

Quand on essaie de s'évader il faut la réussir. Si la tentative de Videlo ne changea rien au dénouement arrêté à l'avance, elle ne put manquer d'indisposer davantage encore le tribunal, déjà trop enclin à se montrer impitoyable, qui devait le juger le lendemain.

 

DEVANT LA COMMISSION MILITAIRE. - L'ASSASSINAT.

Le vendredi 23 août, la commission militaire se réunit en la salle d'audience du tribunal criminel. Elle se composait du chef de bataillon Simon, président, des capitaines Vialle et Plazanet, du lieutenant Kimer et du sous-lieutenant Collin, juges... Tous ces officiers appartenaient à la 38ème demi-brigade. Le capitaine Modiquet remplissait les fonctions de rapporteur. Le secrétaire était le maréchal des logis chef Gauthier.

Aux termes du jugement du tribunal spécial, les trois accusés étaient renvoyés devant une commission militaire formée en vertu de l'arrêté consulaire du 18 floréal. Dans les interrogatoires qu'il leur avait fait subir, Modiquet se qualifiait rapporteur, de la commission militaire établie en vertu de l'arrêté du 18 floréal (8 mai). Ces commissions militaires devaient juger sur-le-champ les rebelles pris les armes à la main.

Or il y avait plus de deux mois que Videlo avait été arrêté, On savait bien qu'il n'avait pas été pris les armes à la main, il n'était pas question, dans le procès-verbal de capture, d'armes découvertes sur lui ou dans sa cachette. Pour toutes ces raisons, il avait déclaré avec insistance au début de son interrogatoire, qu'il ne reconnaissait pas la compétence de la commission, militaire qui prétendait le juger. Et, en fait, l'arrêté du 18 floréal ne lui semblait vraiment pas applicable.

Son argumentation embarrassa ses juges ; ils ne voulaient pas lâcher leur proie ; en même temps ils prétendaient donner à leur décision les apparences de la justice. Ils crurent se tirer d'affaire, par une pirouette. Il existait un autre arrêté consulaire organisant des commissions militaires ; il était daté du 21 nivôse (11 janvier) et portait :

« Art. 1er, Les rebelles et brigands pris armes à la main par les colonnes mobiles dans l'étendue de l'armée de l'Ouest, seront traduits devant des conseils militaires formés à cet effet par le général commandant la division militaire dans l'étendue de laquelle ils auront été arrêtés ».

En conséquence, le général Rostoland, commandant le département, avait établi une de ces commissions militaire dans le Morbihan. Elle fonctionna à Lorient et c'est elle qui condamna à mort les compagnons d'Augustin (11 février) et ceux de Joson (5 mars). Il n'y avait qu'à s'appuyer sur l'arrêté du 21 nivôse (11 janvier). On ferait ainsi de la commission militaire chargée de juger Videlo la continuatrice de celle du général Rostoland. Il n'était plus question de jugement sur-le-champ comme dans l'arrêté du 18 floréal ; et quant au reste, on trouverait bien moyen de dire, sinon de prouver, que Videlo avait été pris les armes à la main. Le tribunal spécial n'avait-il pas donné l'exemple ?

La procédure commencée en vertu de l'arrêté du 18 floréal fut donc continuée en vertu de celui du 21 nivôse.

C'était une usurpation de pouvoir et une illégalité monstrueuse ajoutée à tant d'autres. L'arrêté consulaire du 23 février, qui prescrivait l'établissement des tribunaux spéciaux décrétés par la loi du 7 janvier, avait aboli les commissions militaires existantes. L'article III en effet était conçu en ces termes : « Les commissions militaires extraordinaires cesseront leurs fonctions sur la signification de l'installation du tribunal spécial qui sera faite par le préfet au commandant de la division » [Note : Bulletin des Lois, n° 525. Une exception était faite pour les départements des Bouches-du-Rhône et du Var]. C'était clair ; mais selon le mot cynique d'un de nos modernes jacobins, il n'y a pas de justice pour les ennemis politiques. De pareilles vétilles ne pouvaient arrêter les valets de Bernadotte.

Suivons Julien Videlo et les dames de Penvern devant le tribunal irrégulier qui s'apprête à les juger. Le président se fit présenter l'arrêté consulaire du 23 février, la lettre par laquelle le ministre de la Guerre le communiquait au général commandant l'armée de l'Ouest et en requérait l'application, les textes de lois par lesquels la commission pourrait motiver sa sentence. Le rapporteur donna ensuite lecture du procès-verbal d'arrestation de Videlo et des deux sœurs et des autres pièces de la procédure.

Ces préliminaires terminés, le président ordonna à la garde de faire entrer les accusés. Ils étaient « libres et sans fers » ; leur défenseur officieux René Jolivet les accompagnait. Ils allèrent s'asseoir au banc des accusés.

Le président refit l'historique des faits, leur donna connaissance des charges qui pesaient sur eux, puis les fit sortir de la salle pour les rappeler ensuite un à un et leur faire subir séparément un dernier interrogatoire. De tout cela il résultait clairement, paraît-il, ce qui suit :

1° Que te 26 prairial, Julien Videlo avait été pris les armes à la main au château de Penvern avec les sœurs du Pérenno ses complices.

2° Que Julien Videlo n'avait pas rendu ses armes lors de la pacification de février 1800, qu'il était resté constamment en révolte contre les lois et n'avait jamais cessé d'être chef de chouans.

3° Que Bonne et Rose du Pérenno avaient constamment donné asile à Julien Videlo et recelé chez elles des armes, munitions et effets d'habillement appartenant aux chouans.

Le capitaine Modiquet donna lecture de son rapport et de ses conclusions : en vertu des articles 3 et 7 de la toi du 18 juin 1795 (30 prairial an III), il requérait la peine de mort contre Julien Videlo et demandait le renvoi des demoiselles de Penvern devant le tribunal criminel.

Pour cellles-ci c'était le salut. Tout l'intérêt du drame se concentrait de plus en plus autour de Julien Videlo. La parole était maintenant à la défense, La tâche eût été facile devant un tribunal sans parti pris.

La commission militaire est irrégulière : l'arrêté du 11 janvier dont elle se réclame, a été abrogé par l'arrêté du 23 février.

A supposer qu'elle soit régulière elle serait incompétente : Videlo n'a pas été pris, les armes à la main ; et à l'appui de cette affirmation les preuves abondent : le silence absolu du procès-verbal d'arrestation ; la procédure commencée contre le prisonnier, alors qu'il aurait dû être traduit immédiatement devant une commission militaire si vraiment il avait été arrêté les armes à la main ; le dépôt par trop tardif des armes qui, disait-on, avaient été trouvées dans sa cachette ; l'opinion contraire énoncée par Guépin dans ses conclusions et plus formellement encore par Ruinet dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal spécial : or Guépin et Ruinet étaient à Penvern ; les erreurs significatives portant sur les noms des témoins à charge ; la conduite ordinaire de Videlo qui, hors le cas de nécessité, défendait à ses hommes d'avoir des armes sur eux, afin de conserver quelque chance de sauver leur tête s'ils étaient arrêtés. En tout cas avoir des armes cachées dans l'endroit où l'on est arrêté ce n'est pas être arrêté les armes à la main. Le renvoi devant le tribunal criminel, puisque le tribunal spécial déclaré incompétent, s'imposait donc pour Julien Videlo aussi bien que pour les demoiselles du Pérenno.

Si la commission militaire persiste à retenir l'affaire, elle ne doit pas oublier que Videlo n'est pas un brigand ordinaire. Il a adopté avec enthousiasme les idées de la Révolution ; il a combattu dans la garde nationale contre les insurgés de mars 1793 ; il a ensuite pris un engagement dans l'armée régulière, fait deux campagnes et gagné le grade de lieutenant au service de la république. Rentré dans ses foyers, il a été rejeté malgré lui, dans le parti des chouans par ceux qui, à force de vexations, lui ont rendu la vie impossible à Pontivy Dans les rangs des rebelles, il n'a donné que des conseils de modération : on ne peut citer à sa charge aucun assassinat, ni même aucun acte de violence. Il a fait ce qui dépendait de lui pour effectuer sa soumission ; pour atteindre ce but, il a écrit, il a provoqué des interventions auprès du préfet ; il n'a pas reçu de réponse ; mais ses démarches ne dénotent-elles pas des sentiments pacifiques ?

Enfin M. Jolivet ne put manquer de rappeler à la commission militaire que la fameuse loi du 30 prairial an III, sur laquelle le capitaine rapporteur étayait sa demande de condamnation à mort, devait « être regardée comme abrogée dans tous les départements où il avait été établi des tribunaux oriminels spéciaux », et la Morbihan était dans ce cas. Le ministre de la justice lui-même en avait instruit le commissaire du gouvernement près le tribunal criminel, et copie de sa lettre, datée du 24 floréal, avait été versée au dossier. Telle était d'ailleurs la jurisprudence constante du tribunal de cassation.

Les accusés et l'avocat avaient fini.

« Avez-vous quelque chose à ajouter ? » demanda le président. — « Non, » répondirent-ils.

La garde fit sortir Videlo et les deux sœurs, leur défenseur et le public. La délibération devait avoir lieu à huis-clos. Elle ne fut pas longue. Le commandant Simon demanda son avis à chacun des juges en commençant par le sous-lieutenant Collin pour continuer par le lieutenant Kimer et les capitaines Plazanet et Vialle ; puis il donna lui-même le sien. Sur son ordre les accusés furent ramenés dans la salle ; puis, devant la garde assemblée et le public qui avait repris ses places, il donna lecture du jugement de la commission militaire. « Les commissaires... considérant que les accusés dont l'un a été arrêté les armes à la main et les deux autres comme complices (sic), n'ont cessé d'être en rébellion contre le gouvernement. Considérant que le nommé Julien Videlo, dit Tancrède, est convaincu par son propre aveu d'avoir eu huit chouans à sa solde et sous ses ordres pendant l'amnistie et qu'il est constant qu'il a été pris les armes à la main ; Condamne le nommé Julien Marie Cyrille Videlo à la peine de mort conformément à l'article III de la loi du 30 prairial an III ainsi conçue. Les chefs, commandants, capitaines, les embaucheurs et instigateurs de rassemblements armés sans l'autorisation des autorités constituées, soit sous le nom de chouans, ou sous telle autre dénomination, seront punis de la peine de mort ».

« A l'égard des sœurs Dupérenno, convaincues d'avoir donné asile au nommé Julien Videlo, dit Tancrède, et d'avoir recelé des armes, munitions et habillements appartenant aux chouans, la commission s'est déclarée incompétente, ses attributions se bornant à prononcer sur le sort des individus pris les armes à la main. Considérant que les sœurs du Pérenno n'étaient pas dans ce cas, la commission renvoie leur jugement par devant le tribunal criminel, conformément à l'article VII de la loi citée ci-dessus ainsi conçue : « Les prévenus d'avoir pris une part active à des révoltes depuis la pacification, arrêtés hors des rassemblements et sans armes, seront traduits, devant les tribunaux criminels des départements » ; l'accusateur public dressera seul l'acte d'accusation et ils seront jugés par le tribunal. Ordonne que le présent jugement sera mis à exécution dans les 24 heures ; ordonne en outre l'impression et l'affichage dudit jugement au nombre de 800 exemplaires, et qu'il en sera envoyé à la diligence du capitaine rapporteur tant au Ministre de la Guerre qu'au général de division. La commission condamne en outre ledit Videlo, dit Tancrède aux frais de la procédure ».

Julien Videlo était donc condamné à mort par un tribunal incompétent, pour un délit inexistant, en vertu d'une loi abrogée depuis six mois ! C'était un assassinat auquel on négligeait même de donner des formes légales.

Les gendarmes reconduisirent les demoiselles de Penvern au Petit-Couvent et Videlo à la Porte-Prison ; il allait y passer sa dernière nuit. Sa condamnation produisit en ville une pénible impression. L'émotion devait grandir encore lorsque, quelques jours après, on apprit que la même commission militaire n'avait condamné Kobbe, dit La Ronce, qu'à une courte détention. Kobbe était plus coupable que Videlo ; mais « il avait dénoncé tout ce qu'il connaissait » (Journal d'un bourgeois de Vannes, 1799-1801).

Le condamné payait pour lui et pour ses frères, surtout pour le recteur de Bubry, à qui les représentants du pouvoir ne pardonnaient pas son opposition irréductible à la République consulaire, ses relations avec les chouans, la ligne de conduite qu'il traçait au clergé du diocèse, au nom de son évêque, et son obstination à ne pas se laisser prendre.

Louis était toujours détenu au Petit-Couvent ; lui fut-il permis d'avoir une dernière entrevue avec son frère ? Cela n'est pas probable ; mais le condamné eût sans doute toute facilité pour appeler un prêtre, et se préparera à mourir en chrétien [Note : Le 27 août, la commission militaire condamna à mort un petit bossu, âgé d'environ quarante ans, courrier des chouans, agile et déterminé, recherché depuis sept ans. « Il s'est confessé et a prié l'abbé Dano de l'accompagner jusqu'au cimetière, ce qu'il a fait. Les bons prêtres accompagnent au lieu du supplice ceux qui les demandent, et les confessent dans les prisons ». A toutes les questions « il a répondu qu'on ne tirerait rien de lui, que tout était dans sa bosse, qu'il n'aurait pas la lâcheté de La Bretagne de dénoncer ses amis ni personne, et toujours que tout était dans sa bosse. Les jugeurs n'en ont rien pu tirer, et étaient furieux. [Journal d'un bourgeois de Vannes, 1799-1801). M. Dano était originaire de Saint-Patern. Au Concordat il fut nommé recteur de Saint-Jean-Brévelay. Un dernier mot sur La Bretagne, un lui tint grand compte des services rendus. Il n'y eût pas, à vrai dire, de poursuites contre lui. Au moment où il allait comparaître devant le tribunal spécial, sur une intervention du général Rostoland, le ministre de la justice donna l'ordre de surseoir (Arch. dép., trib. spéc., proc. 48-68). Il fut encore détenu en prison pendant environ vingt mois sans que personne s'occupât de lui. Enfin au mois de mai 1803, il fut, sur sa demande, dirigé sur le dépôt colonial de Nantes (Arch. départ., M. 12)].

Il mit à profit ses derniers moments pour faire une démarche en faveur de Morand, Rondeau ot Bon Jan, son neveu, qui s'étaient compromis pour lui. Les deux derniers venaient d'être arrêtés et internés au Petit-Couvent. Morand s'était enfui précipitamment et avait regagné Pontivy ; il devait quelques jours plus tard rentrer à Vannes et se constituer prisonnier. Tous trois étaient accusés de complicité dans sa tentative d'évasion du 22 août. Il fit donc venir un notaire dans sa prison et attesta devant lui qu'ils n'y avaient pris aucune part.

Enfin le samedi 24 août, un peu avant midi, Julien Videlo fut tiré de sa prison. Un prêtre l'assistait sans doute, comme c'était l'usage pour les condamnés qui le demandaient. Par la rue St-Nicolas et la rue de l'Hôpital, il fut conduit sous bonne escorte, rue Boismoreaux à l'entrée du nouveau cimetière. C'était là que la commission militaire faisait exécuter ses condamnés ; elle voulait sans doute faire vite et ménager l'opinion. Le peloton d'exécution attendait. Quelques instants après l'ancien chef de chouans tombait percé de balles [Note : Arch. mun. de Vannes. Etat civil « Au sept (c'est six qu'il faut dire) fructidor, l'an IX de la République française. Acte de décès de Julien-Marie-Cyrille Videlo, décédé ce jour vers midy, rue Boismouraux, en cette commune, originaire de Pontivy, âgé d'environ 30 ans, sans profession, fils de feu Julien Videlo et d'Anne Blouet. Suivant certificat authentique déposé aux archives du secrétariat de cette Mairie. Constaté par moi soussigné, Ambroise Laumailler, maire de Vannes, faisant fonction d'officier public de l'état civil. LAUMAILLER »]. Du Petit Couvent, son frère, son neveu, les dames de Penvern, Rondeau purent entendre, pardessus les bruits de la ville, le feu de salve qui mettait fin à son aventureuse et trop courte existence.

 

LES DEMOISELLES DU PÉRENNO DEVANT LE JURY.

Le tribunal criminel était à son tour saisi de l'affaire des sœurs du Pérenno [Note : La procédure du tribunal criminel se trouve aux arch. départ., 34 U 14, procéd. 633 bis]. Celles-ci durent attendre trois longs mois encore l'issue des poursuites intentées contre elles ; et pour la troisième fois, ce fut une question de compétence qui retarda le dénouement.

Les membres du tribunal criminel faisaient de droit partie du tribunal spécial ; en cette qualité, les citoyens Perret, président, et Serres, juge suppléant, avaient pris part au jugement par lequel le tribunal spécial s'était déclaré incompétent et avait renvoyé les accusés devant la commission militaire. Pouvaient-ils après cela connaître de la même affaire au tribunal criminel ? Ils ne le croyaient pas. Juger les demoiselles du Pérenno comme juges au tribunal criminel, après les avoir renvoyées devant la commission militaire comme juges au tribunal spécial c'était, selon eux, « émettre deux opinions contraires sur le même point de droit ».

Ils avaient d'autres raisons pour mettre en doute la compétence du tribunal criminel. D'abord le tribunal spécial, aux termes même de la loi, était juge de sa compétence sans appel. De plus le Ministre de la justice lui-même, dans une lettre écrite avant et arrivée après la sentence du 31 juillet, avait émis l'avis que les deux sœurs étaient, tout comme Videlo, justiciables de la commission militaire. Enfin la commission militaire avait pu d'autant moins attribuer au tribunal criminel la compétence qui lui manquait, qu'elle avait motivé son renvoi par l'article VII de la loi du 18 juin 1795, et que cette loi était considérée comme abrogée dans tous les départements où il y avait un tribunal spécial.

D'autre part, si le tribunal criminel était incompétent, la commission militaire et le tribunal spécial ne l’étaient pas moins depuis que, par la force des choses, la cause des demoiselles du Pérenno se trouvait séparée de celle de Videlo. Celle-là avait uniquement pour mission de juger les rebelles pris les armes à la main ; celui-ci, les prévenus de participation active aux rassemblements séditieux saisis en flagrant délit dans ces rassemblements mêmes.

En face de ces incertitudes, le président du tribunal criminel et les juges suppléants, Serres et Glais, appelés à siéger à cause de la mort de Nayl-Villeaubry et la maladie de Le Menez-Kerdelleau, prirent le parti de recourir au tribunal de cassation et de provoquer un règlement de juges (5 septembre).

La section des requêtes de la cour suprême, réunie au Palais de justice, rendit son arrêt le 4 octobre, elle renvoyait les deux sœurs « devant le directeur du jury de l'arrondissement de Vannes et, en ce cas d'accusation admise, devant le tribunal criminel du département du Morbihan ». Signalons seulement une phrase du réquisitoire du commissaire du gouvernement, Bigot de Préameneu. « Depuis que la loi du 18 pluviôse an IX sur l'établissement des tribunaux spéciaux est en activité, celle du 30 prairial an III est considérée comme spécialement abrogée, ainsi que l'a déjà plusieurs fois prononcé le trihunal de cassation ». Cette citation permet d'apprécier à sa valeur le jugement de la commission militaire qui motiva par cette même loi du 18 juin 1795 (30 prairial an III) la condamnation à mort de Julien Videlo et le renvoi des demoiselles du Pérenno devant le tribunal criminel.

Le 29 et le 31 octobre seulement, Lucas-Bourgerel, commissaire du gouvernement près le tribunal criminel, mettait les pièces à conviction, le jugement du tribunal de cassation et le dossier lui-même, retenu jusque-là par la commission militaire et le général Rostoland, à la disposition du citoyen Chaignard, son substitut, et de Jean-Marie Le Blanc, directeur du jury.

Celui-ci interrogea les deux sœurs au tribunal, le 6 novembre. A ses questions elles firent les réponses qu'elles avaient déjà faites au directeur du jury de Pontivy, au juge instructeur du tribunal, spécial et au capitaine rapporteur de la commission militaire.

Toutefois Rose fit remarquer pour se défense qu'elle demeurait chez sa sœur et y prenait pension, mais ne se mêlait en rien de ce qui se passait dans la maison.

Bonne déclara cette fois, — il n'y avait plus aucun inconvénient à le faire, — que les armes trouvées à Penvern, derrière l'armoire à double fond, appartenaient, non à Achille, comme elle l'avait soutenu jusque-là, mais à Julien Videlo. Elle ne connaissait pas Achille, elle en avait seulement entendu parler ; et elle se servit de son nom pour ne pas compromettre Videlo.

Sur les entrefaites, le citoyen Bosquet, précédemment juge au tribunal civil, fut nommé directeur du jury en remplacement de Le Blanc en même temps que Jean François Jamet succédait à Taslé dans la charge de greffier : d'où nouveau retard dans la procédure.

Enfin le 20 novembre, conformément au réquisitoire du substitut, Bosquet prenait une ordonnance qui faisait entrer l'affaire dans une phase définitive. Considérant que le délit dont étaient prévenues les deux sœurs, était de nature à mériter peine afflictive et infamante, il ordonnait qu'elles fussent traduites devant le jury ordinaire d'accusation, et lançait contre elles un mandat d'arrêt qui leur fut notifié, par ministère d'huissier, le jour même avant midi, « entre les deux guichets de la maison d'arrêt ».

Le lendemain Bosquet procédait, en présence du substitut, au tirage au sort des jurés [Note : Jean Le Bourdat, cultivateur au bourg d'Elven ; Jean Le Gallic, de Cléguer, en Noyalo ; Janin, rentier, rue d'Auray, à Vannes ; Jean Le Bloch, patron de chaloupe à Kerouët, en Sarzeau ; Pierre Guyhur, aubergiste à Collet, en Grand-Champ ; François La Jallé, rentier au bourg de Berric ; Pierre Jamet, cultivateur au Guern, en Missiriac ; René Madec, aubergiste au bourg de Plescop] et ceux-ci, dans les jours qui suivirent, reçurent assignation à comparaître le 1er décembre, à dix heures du matin.

Le jour dit, ils se trouvaient réunis dans la salle qui leur était réservée, avec le directeur du jury et le substitut.

Le directeur leur fit prêter le serment de fidélité à la Constitution de l'an VIII, et promettre de suivre exactement les prescriptions de la loi et les instructions destinées à diriger leurs travaux ; puis il leur donna connaissance de l'affaire sur laquelle ils étaient appelés à se prononcer et lut devant eux l'acte d'accusation, très modéré, dressé trois jours auparavant par le substitut Chaignart.

Le substitut concluait ainsi : « Il résulte de tous les détails attestés par la procédure, que des pratiques et intelligences avec les révoltés, le recelé de leurs personnes et de leurs armes et effets dans des caches de la maison de Penvern ont été commis, tendant à exécuter quelques complots et machinations contre l'exercice de l'autorité légitime et à ménager des moyens de susciter de nouvelles guerres civiles en armant les citoyens les uns contre le s autres, sur quoi les jurés auront à prononcer s'il y a lieu à accusation contre laditte Bonne Françoise Marguerite du Pérenno et la ditte Thérèse Josèphe du Pérenno sa sœur, à raison du délit mentionné au présent ».

Cette lecture faite, Bosquet remet le dossier aux mains du citoyen Janin, président en qualité de doyen d'âge, et il se retire avec le substitut pour laisser les jurés délibérer entre eux.

Avertis que la délibération est terminée, Bosquet et Chaignart rentrent dans la salle. Le doyen d'âge leur communique la réponse du jury duement souscrite de lui à la suite de l'acte d'accusation : « La déclaration du jury est non, il n'y a pas lieu » [à accusation).

Le soir même Bonne et Rose du Pérenno était libres. En rentrant dans leur hôtel, non loin de la place du Marché au Seigle, elles eurent sans doute un souvenir attristé pour ce pauvre Julien qu'elles avaient généreusement abrité sous leur toit, et courageusement défendu pendant cinq mois. Elles avaient beaucoup souffert pour lui. Elles ne regrettaient rien. Elles avaient confiance que les glorieux ancêtres qui avaient jadis combattu, sur d'autres champs de bataille, pour les grandes causes auxquelles elles venaient sacrifier elles-mêmes, ne désavouaient pas les deux femmes de cœur en qui devaient s'éteindre leur noble race [Note :  Les deux sœurs survécurent de longues années aux événements douloureux que nous venons de raconter : elles continuèrent à édifier la ville de Vannes et les campagnes de Guémené par leurs œuvres de piété et de charité. Elles moururent l'une et l'autre dans leur hôtel de la rue des Douves du Port (aujourd'hui 29, rue Thiers), Rose le 13 mai 1821 à cinquante-trois ans, Bonne le 20 août 1828, à soixante-cinq ans (Arch. mun. de Vannes, état-civil).

(Pierre Nicol).

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