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INSTRUCTION DE L'AFFAIRE VIDELO DIT TANCREDE

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L'INSTRUCTION. — DÉMARCHE DE LA MUNICIPALITÉ DE PERSQUEN.

Dès le lendemain, mercredi 17 juin, le substitut du commissaire du gouvernement invitait le directeur du jury à s'occuper sans retard de l'affaire Videlo-Tancrède et complices. « Mais avant de procéder à leurs interrogatoires, ajoutait-il (Arch. dép., 37 U 3, Lettre du substitut au directeur du jury, 28 prairial, 17 juin), il faut préalablement dépouiller l'immense quantité de papiers saisis au château de Penvern, et je crois que, pour que cette opération soit régulière, il est bon qu'elle se fasse en présence de la demoiselle Bonne Penvern et du nommé Tancrède, par la raison que c'est devant eux que nous les avons trouvés et déposés dans la malle qui les contient aujourd'hui. Pour épargner à ces dames le désagrément d'être promenées dans la ville au milieu d'une procession, je vous propose de procéder au dépouillement des papiers dans un de mes appartements ; par ce moyen la demoiselle Penvern n'aura qu'un pas à faire pour y venir et un pas pour s'en retourner. Videlo sera le seul exposé à la promenade désagréable que je crois qu'il est dans le vœu du général qu'on évite aux demoiselles Penvern. Pour que votre opération aille plus vite, je Vous proposo encore d'appeler à concourir à notre travail le citoyen Boblaye » (Puillon-Boblaye, Commissaire du Gouvernement près l'administration municipale de Pontivy).

Le travail préliminaire dont il est question dans cette lettre eut lieu le jour même. Mais il ne sembla pas que Ruinet ait tenu compte du vœu de Bernadotte ni des désirs de Guépin. Du greffe où elle avait été déposée la veille, il fit transporter dans la salle du jury la malle qui contenait les papiers saisis à Penvern ; et il procéda lui-même à l'opération du dépouillement en présence de Tancrède et de Bonne du Pérenno. Il invita seulement à y assister le substitut, afin qu'il put prendre telles réquisitions qu'il jugerait utiles, et le greffier du tribunal, pour en rapporter procès-verbal [Note : Arch. dép., 37 U 3, Evangélisation et vérification des papier relatifs à la procédure de Videlo et autres personnes arrêtées, 28 prairial an IX (17 juin 1801)].

Mlle Bonne dut donc, tout comme Tancrède faire « la promenade désagréable ». Il est probable d'ailleurs que la maison du Petit-Martroy ne lui servit pas longtemps de prison, non plus qu'à ses compagnes. Le parquet sans doute songeait dès lors à les traduire devant le tribunal spécial, et il dut s'apercevoir que la loi qui établissait cette juridiction nouvelle portait, art. 22 : « Les officiers de gendarmerie et de police ne pourront tenir l'accusé en charte privée dans leurs maisons ou ailleurs ». Au bout de fort peu de temps, tous les inculpés durent donc se trouver réunis à la maison d'arrêt.

Les pièces que renfermait la malle furent examinées, triées et inventoriées. Au fond elle ne présentaient pas grand intérêt.

Ruinet retint : 1° les trois billets que Tancrède avaient écrits dans sa cachette et où il parlait de sa situation et de ses projets d'évasion ; 2° une note indicative des personnes à qui il avait distribué les grains restant dans les greniers des chouans après la pacification de Brune ; 3° une chanson royaliste vieille de deux ou trois ans et connue de tout le monde, qu'il déclara n'être pas de son écriture ; 4° trente et une pièces écrites de sa main et concernant « divers objets de littérature, d'histoire, de politique, de philosophie et de géographie ; Ruinet les regardait comme insignifiantes, mais Videlo mit une sorte de coquetterie à demander qu'elles fussent jointes au dossier.

Le directeur du jury retint encore un reçu par lequel Guillemot, chef de la légion de Bignan, reconnaissait avoir pris au château de Cadoudal, qui appartenait à Bonne du Pérenno, quarante-trois demés et demi de seigle, le 21 janvier 1800 ; le passe accordé par le général Debelie à l'abbé Le Borgne l'année précédente, et les passeports de Mlle de Derval, de Louis de Normanville et de Joseph Nicolo, etc.. Toutes ces pièces chiffrées et paraphées furent déposées au greffe du tribunal. Le dépouillement avait duré toute la journée du mercredi.

Le lendemain, pendant que le directeur du jury procédait aux premiers interrogatoires, une démarche touchante était tentée auprès du substitut en faveur des dames du Penvern. La municipalité de Persquen, le maire, l'adjoint et huit membres du conseil municipal [Note : Arch. dép., 34 U 14, Pétition de la municipalité de Persquen signée de Louis-Vincent Alanic, maire ; Joseph-Louis Le Fur, adjoint ; Pierre Fouillen, Jean Le Penprat, Louis Seglai, Michel Le Cunff, Louis Croisier, Joseph Pichodo, Joseph Rivalain, François Caudan et Joachim Bellec, conseillers municipaux], vinrent présenter au magistrat une pétition par laquelle les pauvres du pays imploraient la mise en liberté de leurs bienfaitrices. Nous laissons la parole aux édiles de Persquen :

« Nous, maire, adjoint et membres du conseil municipal, déclarons que les pauvres de Persquen au nombre de plus de deux cents et ceux de Lignol, commune voisine, au nombre du plus de cent, sont venus nous trouver, et ont mis en œuvres sollicitations, prières et larmes pour nous supplier de venir à leurs têtes solliciter la mise en liberté des citoyennes Penvern, nous exposant que cette malheureuse année, ils sont condamnés à périr de misère et de faim s'ils sont privés de leurs secours ; qu'ils trouvaient en elles et remèdes dans toutes leurs maladies et des consolations dans leurs maux, enfin qu'elles étaient les véritables mères des pauvres et des malheureux ; ajoutent même qu'ils s'en retourneront sur leurs genoux, si l’on veut, leur accorder la grâce qu'ils implorent, plusieurs d'entre eux allant jusqu'au point d'offrir leur vie pour racheter la leur, enfin nous observant que nous n'avions pas à craindre de nous compromettre, puisqu'ils n'avaient d'autres armes que leurs larmes et leurs prières et que nous ne faisions qu'exprimer les vœux des malheureux.

Attendris par leurs pleurs et leurs gémissements, nous n'avons pu nous refuser à leurs désirs ; nous nous sommes en conséquence rendus dans la ville de Pontivy, accompagnés d'environ cent vingt de ces malheureux qui nous ont fait de si vives instances pour venir avec nous qu'il nous a été impossible de les refuser ; et nous autres ci-dessus dénommés, nous sommes séparés lors d'eux pour aller porter au commissaire du gouvernement la présente comme une faible expression du vœu des pauvres et des malheureux de notre canton.

Moi, Alanic, certifie de plus que j'étais moi-même le distributeur des secours charitables que donnaient les citoyennes Penvern à la maison de Penvern et que ces secours consistaient en une distribution qui se faisait tous les dimanches et qui s'élevait par chaque fois à plus de quatre minots de seigle ou farine et à vingt livres de beurre ; de tout quoi nous autres certificateurs attestons que nous avons pareillement connaissance.

Attestons tous également que les charités qu'elles faisaient par ailleurs chez elles pendant le cours de la semaine étaient au moins aussi considérables ; enfin qu'à trois quarts de lieues à la ronde, elles fournissaient aux malades des secours, des remèdes et des bouillons ; qu'elles allaient le plus souvent les leur porter elles-mêmes avec des paroles de consolation, et que leur détention plonge tout le canton dans la douleur la plus profonde ».

La pétition ne fut pas prise en considération et les pauvres de Persquen durent attendre longtemps encore la mise en liberté de leurs bienfaitrices.

 

INTERROGATOIRE ET MISE EN LIBERTÉ DES « COMPLICES ».

Ce même jour le directeur du jury assisté de Jean-François Le Botmel, commis-greffier, interrogea Louis de Normanville, François Le Port, Pierre Fily et l'abbé Le Borgne ; le lendemain comparurent à leur tour François Le Verger, Bonne Coupé, Bonne Cavil? Angélique de Derval, M. et Mme de Martillat, Flore de Kerouallan. Tous les inculpés, sauf M. et Mme de Martillat qui étaient en liberté provisoire, lui furent amenés par la force armée.

Normanville et François Le Port ignoraient tout, ainsi que M. et Mme de Martillat, Angélique de Derval et Bonne Cavil avaient vu Videlo et savaient qu'il était chouan, mais c'était tout (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de Normanville, Françoise Le Port, M. et Mme de Martillat, Angélique de Derval et Bonne Cavil).

Pierre Fily, Bonne Coupé, l'abbé Le Borgne et Flore de Kerouallan étaient mieux renseignés et ne firent pas difficulté pour le reconnaître.

Les deux premiers (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de Pierre-Julien Fily et Bonne Coupé) avouèrent sans peine qu'ils avaient vu plusieurs fois Videlo au château et qu'ils connaissaient sa cachette ; Bonne Coupé ajouta même qu'elle avait servi à manger au courrier La Bretagne, sur l'ordre de ses maîtresses. Mais quand le directeur du jury reprocha à Fily de n'avoir indiqué la cachette de Videlo ni à la troupe ni au parquet, celui-ci répondit qu'il était au service des dames de Penvern depuis trente ans et qu'il aurait cru manquer à la fidélité qu'un domestique doit à ses maîtres en révélant ce qu'elles ne lui avaient confié que sous le sceau du secret (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de Pierre-Julien Fily).

« J'avais parfaite connaissance de cette cache, répondit à son tour le recteur de Persquen : mais il ne m'appartenait ni d'en interdire l'entrée ni d'en divulguer le secret. — Toujours ne convenait-il pas aussi, reprit Ruinet, de mentir à la justice lorsqu'elle vous interrogea. — J'ai toujours considéré, répliqua-il, l'action d'un délateur comme quelque chose d'infâme, surtout dans un ecclésiastique, et il me semble que j'eusse encouru cette infamie si j'avais divulgué un fait qui m'avait été donné sous le secret  » (Arch. dép., 37 U 3, Interr, de Julien Le Borgne).

Flore de Kerogallan fit une réponse analogue : elle connaissait la cachette de Videlo ; mais elle s'était pas cru en droit de violer un secret qui aurait pu devenir nuisible aux dames de Penvern à qui elle devait tout (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de Flore de Kerouallan).

Dans la première partie de son interrogatoire, Jean-François Le Verger relate deux faits : l'aménagement de la cachette de Penvern au mois de mai, et sa propre coopération aux perquisitions du 15 juin. Nous citons à peu près textuellement la suite :

— Comment vous, qui aviez connaissance de tous ces ouvrages, pûtes-vous accepter la commission d'aller faire la fouille à Penvern ?
— Je ne crus pas pouvoir m'en dispenser, attendu l'ordre du maire qui me parut pressant et auquel je craignis de désobéir.
— Quand vous fûtes arrivé au château..., Vous fûtes alors pleinement instruit de l'objet de votre mission qui était de découvrir toutes les caches qui étaient dans la maison. Or, ayant parfaite connaissance de celle dont vous venez de parler, comment pûtes-vous ne pas la déclarer à la justice et aux chefs militaires au nom desquels vous fûtes convoqué ?
— Je me regardais dans toutes ces opérations comme purement passif en sorte que j'attendais que l'on fût parvenu à l'endroit de la cache... pour découvrir ce que j'en savais.
— Au moins fallait-il, quand vous fûtes arrivé à cet endroit, empêcher que l'on ne dégradât la maison pour y pénétrer puisque vous en connaissiez l'issue ?
— Je conviens que je manquai en cela, mais je croyais que dans la circonstance je ne devais rien faire ni dire de mon Chef et que tout consistait à mon égard à obéir aux ordres que l'on me donnait ; et ce fut aussi ce que je fist en me portant un des premiers à enlever les barrasseaux du milieu du petit grenier, au moyen d'une barre de fer qu'on m'avait mise en main (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de Jean-François Le Verger).

Réticences, demi-aveux, explications embarrassées, suggérées, dirait-on, par le magistrat instructeur lui-même — il fallait compter avec la défense —, tout cela n'est pas fait pour dissiper le relent de trahison dont le prompt succès des recherches faites en présence de Le Verger et le rappel de la tradition locale vous ont déjà donné la sensation.

Après son interrogatoire, Le Verger fut reconduit à la maison d'arrêt. Mais à Guémené, le maire et l'adjoint, le commandant, les officiers et les soldats de la garde nationale, où il avait le grade de caporal, pétitionnaient en sa faveur : il avait toujours joui d'une bonne réputation ; sa conduite était irréprochable ; on ne pouvait que louer sa probité, son zèle, son exactitude dans le service ; il avait marché plusieurs fois contre les brigands (La première pétition est signée Le Cloirec, maire, Le Corre-Pouldu, adjoint, et contresignée Le Liboux, secrétaire).

Après huit jours de détention, ce bon citoyen fut jugé suffisamment puni « de n'avoir pas indiqué la cache ; d'ailleurs il en ignorait la destination, et, jusqu'à un certain point, était lié par le secret ». Il fut mis en liberté le 23 juin, par ordonnance du directeur du jury (Arch. dép., 37 U 3, Conclusions du substitut et ordonnance du directeur du jury concernant Le Verger).

M. et Mme de Martillat, qui étaient déjà en liberté provisoire, avaient été mis hors cause définitivement le 19 juin. Mlle de Derval avait été relâchée en même temps. L'abbé Le Borgne, Flore de Kerouallan, Louis Normanville, tous les domestiques furent à leur tour déclarés libres entre le 20 et le 26 juin : les uns, comme Normanville, Françoise Le Port, Bonne Cavil parce qu'ils ne savaient rien ; d'autres, comme Fily et Bonne Coupé pour cette raison que, leur faute — si faute il y avait — était le « résultat de leur fidélité à leurs maîtres », et que les punir eût été « inviter les domestiques à trahir la confiance de leurs maîtres  » (Arch. dép., 37 U 3, Conclusions du substitut et ordonnance du directeur du jury, concernant M. et Mme de Martillat, Angélique de Derval, Louis Normanville, Françoise Le Port, Bonne Cavil, Pierre Fily et Bonne Coupé.).

L'abbé Le Borgne sortit de prison le 23 juin et Mlle Flore le 26. Les conclusions du substitut et l'ordonnance du directeur du jury étaient tout à leur honneur.

« Cet ecelésiastique (Arch. dép., 37 U 3, Conclusion et Ordonnance relatives à l'abbé Julien Le Borgne), ne peut être sensé avoir connivé avec les ennemis intérieurs de la République pour cela qu'il n'a pas voulu révéler la cache de Videlo dit Tanqueret (sic), cache dont on ne lui avait donné la connaissance que sous le secret ; le rerefus de s'expliquer sur cette cache ne peut être attribué au désir de soustraire à la vengeance de la Loy un homme en rebelion contre elle, et n'a [d'autre] motif que la crainte de compromettre les dames de Penvern ses bienfaitrices ; cette crainte jointe à l'obligation de ne point trahir un secret dont il devait être le fidèle dépositaire, puisqu'il ne lui appartenait pas, sont suffisantes (sic) pour justifier sa conduite... ; d'ailleurs il a souscrit l'engagement de dire la messe dans les chapelles comme ci-devant et de n'annoncer que la parole de Dieu, la paix et l'union ». Cet engagement avait en effet été contracté la veille par l'abbé Le Borgne (Arch. dép , 37 U 3).

« L'unique charge qu'il y ait contre ladite demoiselle Kerouallan, lisons-nous d'autre part, c'est d'avoir eu connaissance de la retraite de Videlo...., ainsi que du lieu où il était caché et de ne l'avoir pas révélé. Or révéler le secret de son ami, c'est disposer d'un bien dont on n'est pas le maître, c'est violer un dépôt qui doit toujours estre sacré et une pareille violation est en bonne morale un crime d'autant plus irrémissible qu'il est irrémédiable... Cependant on ne peut reprocher à Flore Kerouallan que de n'avoir pas pu prendre sur elle de divulguer un secret qui lui était confié par les dames Penvern ses bienfaitrices, secret dont la connaissance compromettait évidemment celles-ci ». La punir pour cette action serait transformer en crime ce que les hommes sages, les autorités les plus accréditées, même de nos jours, ont regardé à juste titre comme une vertu » (Arch. dép., 37 U 3, Conclusions et Ordonnance relatives à Flore de Kerouallan).

Ces interrogatoires n'avaient rien appris au magistrat instructeur qu'il ne connût déjà. Mais le terrain était déblayé et désormais tout l'effort de l'instruction pouvait se concentrer sur les principaux inculpés, Videlo et les deux sœurs.

 

INTERROGATOIRE DE VlDELO ET DES DEUX SOEURS.

Bonne et Rose du Pérenno comparurent séparément devant Ruinet le 1er juin.

Les deux sœurs se défendirent adroitement et noblement, sans laisser échapper un mot qui put aggraver les charges qui pesaient sur Julien Videlo.

Elles avouèrent qu'elles avaient connu celui-ci lors de leur internement à Pontivy en 1793, qu'elles l'avaient revu depuis et même reçu à plusieurs reprises à Penvern depuis son entrée dans la chouannerie.

Si d'ailleurs elles lui avaient donné asile, c'est qu'elles connaissaient son intention de faire sa soumission et les démarches, apparemment infructueuses, qu'il avait tentées dans ce but.

Mais elles nièrent qu'il eût sa chambre au château ; il logeait simplement dans une chambre d'étranger et uniquement en qualité d'étranger. Ce qu'il y faisait, s'il y recevait des courriers ou payait la solde, elles l'ignoraient.

Le petit cheval isabelle trouvé à Penvern était bien à elles. Rose affirma qu'elle l'avait acheté 165 francs au recteur de Bubry, au mois de germinal précédent ; que depuis ce temps, il avait toujours été nourri dans ses écuries, ferré par le maréchal qui ferrait ses autres chevaux ; qu'elle l'avait prêté à plusieurs dames et demoiselles en visite à Penvern, et monté elle-même dans ses courses aux environs, « ce qui m'a donné pour lui, ajoutait-elle, une affection que je ne saurais dissimuler ».

On aurait voulu leur faire avouer que Videlo avait un surnom et que c'était Tancrède ; elles répondirent qu'elles l'appelaient d'ordinaire Videlo, et devant les étrangers, Julien.

Interrogées sur les raisons qui les avaient déterminées à aménager la cachette où avait été pris Julien Videlo, elles donnèrent des explications identiques : la crainte des voleurs qui avaient déjà opéré dans un village voisin et le désir de mettre en sûreté ce qu'elles avaient de plus précieux.

Mlle Bonne déoiara en outre que c'était elle et elle seule qui avait instruit Videlo de l'existence de cette cachette et des moyens de s'en servir, que ce fut elle et elle seule qui lui passa, soit au moment où il s'y réfugia, soit pendant les cinq jours qui suivirent, les aliments dont il pouvait avoir besoin.

Quand le directeur du jury lui demanda pourquoi elle avait refusé d'indiquer sa retraite au général Villatte et au parquet de Pontivy, Mlle Rose fit la réponse suivante : « J'ai toujours tenu pour maxime qu'on doit, quand on le peut, prêter une main secourable aux malheureux, et je ne sçaurais m'accoutumer à l'idée que, lui ayant fourni l'hospitalité, je puisse violer ce devoir en le livrant ensuite aux mains de ceux qui le poursuivent... ».

« Il m'a toujours semblé, répondit à la même question l'aînée des deux sœurs, que l'humanité ne permet pas de sacrifier quelqu'un à qui on s'est porté à accorder un azile ; d'ailleurs, ce qui m'a déterminée à ne pas violer le secret que j'avais promis à Videlo, c'est que je connaissais par expérience sa probité, sa droiture, ses bons principes, d'avoir vu (sic) que depuis qu'il s'était entremêlé dans les affaires des chouans, tout vol, tout brigandage, tout assassinat avait entièrement cessé dans notre commune de Persquen et dans celles, environnantes. Toutes ces raisons concoururent à me confirmer dans la résolution que j'avais prise de ne pas déceler sa retraite, ne croyant pas surtout qu'en cela je pouvais être soupçonnée d'être complice des rebelles ».

Le lendemain 22 juin était un dimanche. « Amené par la force armée », « libre et sans fers », Julien Videlo fut interrogé à son tour. Relevons dans son interrogatoire les passages qui offrent le plus d'intérêt.
« Depuis l'amnistie n'avez-vous pas continué à suivre le même parti [des chouans] ?
— « Depuis l'amnistie je n'eus d'autre objet en vue que de rester tranquille et de vivre tellement retiré que je me fusses trouvé à l'abri de toute recherche. J'avais si bien en vue ce projet, que personne n'aura à se plaindre que je l'aye le moindrement inquiété ; je défié même mon dénonciateur de prouver le contraire.
— « Pourquoi, au lieu de rester aussi tranquille, ne vous présentates-vous pas aux autorités civiles et militaires qui pouvaient vous faire jouir du bénéfice de l'amnistie ?
— « Je savais trop bien combien était grand le pouvoir des hommes qui, par leur persécution, me forcèrent à quitter le lieu de ma naissance et qui, longtemps avant mon départ, avaient juré ma perte, pour me livrer à eux.
— « C'est donc que par une fausse honte ou par une terreur panique vous préférâtes de continuera suivre le parti chouan ?
— « Quelle qu'interprétation qu'on donne à ma conduite, je n'en ai pas moins déclaré mes vrais motifs.
— « Quelle était votre emploi parmi les chouans lors de la pacification ?
— « J'y ai resté si peu de temps que je n'avais aucun poste fixe. Et depuis on m'a donné huit hommes à conduire et à payer de l'argent que l'on m'envoyait pour en faire la distribution ; mais bien loin de laisser ces huit hommes commettre aucun excès, je les [en] ai toujours empêchés, et c'est pourquoi je puis invoquer le témoignage des communes de Malguenac, Guern, Melrand, Bieuzy, Bubry, Inguiniel, Persquen, Plouai, Inzinzac, Lesbin, Guidel, Plœmeur, Caudan, Arzano, qui étaient censées sous ma direction » (A l'appui de cette affirmation, il devait invoquer en outre, avant de se retirer, le témoignage du citoyen Le Guével (probablement Le Guérel, avocat à Lorient), du château de Kerrousseau, en Lesbin, près de Pontscorff).
— « Pourquoi vous obstinâtes-vous à rester dans cette cache lorsque vous fûtes averti qu'on faisait toutes les dispositions nécessaires pour vous y découvrir et pour vous en arracher ?
— « C'est que je ne m'étais pas caché pour me faire prendre.
— « Quel nom vous donnait-on au château lorsqu'il s'y trouvait des étrangers ?
— « Je n'y ai point vu d'étranger à l'ordinaire. On m'appelait Julien..
— « Vous ne connaissez pas de dépôts d'armes, ni de munitions appartenant aux chouans ?
— « Non... et s'il y en avait de caché, on ne saurait mieux faire que d'interroger à cet égard mon dénonciateur qui depuis quatre ans n'a cessé de suivre les chouans.
— « Connaissiez-vous Achille ? Quel était son véritable nom et ses fonctions ?
— « Cet Achille se nommait Achille Biget, je le crois natif d'Angoulème, il avait le grade de chef de légion pour le pays situé sur la rive droite du Blavet.
— « N'avez-vous pas connaissance qu'il déposa quelques effets au château de Penvern.
— « Je me rappelle qu'à la reddition des armes, je passai à ce château avec Achille, mais j'ignore s'il y déposa quelques effets et en quoi ils consistent.
— « Il doit être prouvé que le trésor existait au bourg de Bubry dans une maison appartenant aux bonnes Sœurs établies dans ce lieu-là ?
— « Je n'ai connaissance d'aucun trésor ni à Bubry, ni ailleurs et tout l'argent que je connaissais m'a été pris.
— « Quels étaient les courriers qu'on vous dépêchait pour vous porter soit des paquets, soit l'argent dont vous aviez besoin ?
— « Je vous réponds que je vivais tellement isolé que ma correspondance était nulle. Quant à l'argent, je conviens en avoir reçu deux fois de M. Debare
[Note : De son vrai nom Jean-François Le Peige, né à Concarneau, ancien avocat à Quimper, chef d la légion de Gourin] qui se trouva à passer dans mon canton. Je conviens de plus avoir reçu quelques lettres des hommes que j'entretenais, mais qui étaient de si peu de conséquence que je ne les ai pas conservées.
— « Quels sont les noms des huit hommes que vous commandiez ?
— « Les voici : Philippe, Richard, Sans-Quartier, Le Crom, Auguste, Colas, Dagorne et La Bretagne »
.

Il affirma qu'il ignorait l'existence de la cachette dissimulée derrière l'armoire à fond mobile de Penvern, que les armes et effets qu'elle renfermait n'étaient pas à lui. Il reconnut au contraire formellement les vêtements, papiers et objets divers qui avaient été trouvés dans sa cachette. Il convint que le cheval isabelle lui avait appartenu, mais ajouta qu'au moment de son arrestation il appartenait, non plus à lui, mais aux demoiselles du Pérenno qui l'avaient acheté à ses frères à qui il l'avait lui-même précédemment cédé.

Pour un homme de loi, Julien Videlo avait été bien mal inspiré. En avouant qu'il avait sous sa direction quatorze paroisses situées entre Le Blavet et l'Ellé, qu'il avait des hommes sous ses ordres, qu'il correspondait avec eux, leur payait régulièrement leur solde et veillait à leur entretion, qu'il avait reçu, à cet effet, de l'argent de Debar, il donnait à ses ennemis des armes redoutables contre lui.

 

ARRÊT DANS LA PROCÉDURE. — ODIEUSES MANOEUVRES.

Les interrogatoires étaient terminés ; les résultats en furent aussitôt communiqués au substitut du Commissaire du gouvernement.

Victor-Marie-Bonaventure Guépin se demandait qu'elle procédure suivre à l'égard de Julien Videlo et des deux sœurs. L'ordre d'arrêter le chef chouan était parti du ministère de la Police générale au commencement du mois de janvier et il avait avec l'attentat de la Machine infernale une connexité certaine. Cette circonstance n'exigeait-elle pas que Videlo fût jugé par le même tribunal et dans les mêmes conditions que les auteurs de l'effroyable complot ? Guépin s'était posé cette question et, dès le 17 juin, il avait écrit au ministre Fouché « pour lui faire savoir que la procédure ordinaire serait suivie contre l'accusé, s'il n'exigeait pas sa translation à Paris pour cause de complicité dans le complot du 3 nivôse » (Arch. dép., 37 U 3, Conclusion du Substitut du Commissaire du gouvernement). Et il attendit la réponse jusqu'au 1er juillet.

Cet arrêt dans ia procédure n'était pas sans alarmer Bernadotte, son état-major, la plupart des officiers et tous les parti, sans de la répression à outrance. Ils doutaient du zèle de Guépin et Ruinet dans une affaire qui mettait peut-être en jeu la tête d'un de leurs compatriotes. Ils craignaient qu'on ne fit traîner les choses en longueur pour soustraire le coupable aux rigueurs de la justice. Ce qu'ils voulaient, c'était faire traduire Videlo devant une commission militaire.

Sans doute ce n'était point facile. Les commissions militaires établies par le commandant de l'armée de l'ouest à la suite des colonnes d'éclaireurs chargées de parcourir les départements du Morbihan, du Finistère et des Côtes-du-Nord, avaient pour mission de juger sur-le-champ les rebelles pris les armes à la main (Décret des Consuls du 18 floréal, 8 mai 1801, art. 2). Or d'après le procès-verbal de capture, qui seul faisait foi, on ne pouvait prétendre que Videlo eut été pris les armes à la main ; d'autre part, en ne le faisant pas juger sur-lechamp, le général Villatte avait lui-même reconnu implicitement qu'il n'était pas justiciable de la commission militaire. Ses ennemis n'en faisaient pas moins des efforts désespérés pour arriver à leurs fins. Ils s'ingéniaient à accumuler des charges contre lui. On répandait le bruit qu'il était plus coupable qu'on ne voulait le faire croire ; qu'il n'était pas seulement un chouan amateur, malgré son entrée tardive dans les rangs des rebelles ; que le 27 janvier 1800, il commandait une partie des bandes insurrectionnelles dans l'affaire de Quistinic « où des républicains furent dangereusement blessés et où des habitants des campagnes entraînés et séduits, furent victimes des scélérats qui les forcèrent à s'armer contre leur patrie », que c'étaient là « des assassinats véritables », dont il était évidemment responsable [Note : Arch. dép., 37 U 3, Conclusion du Substitut du Commissaire du gouvernement. Sur ce combat peu connu nous donnons ici un document probablement inédit emprunté à un fonds d'archives particulières. C'est une lettre de l'Administration municipale de Pontivy à l'Administration centrale du département ; elle est datée du 11 pluviôse an VIII, 31 janvier 1800. « Melrand, Guern, Bieuzy toujours rebelles méritaient d'être châtiés. Le commandant [de la place de Pontivy], d'accord avec celui de Baud, a fait porter sur Bubry le 7 (27 janvier) une colonne commandée par l'intrépide Dugage, capitaine de grenadiers. En partant de Baud, la colonne s'est divisée en deux. Celle de tête, de laquelle était Dugage, a trouvé les Chouans près le château de la Villeneuve-Quistinic. Ceux-ci étaient au nombre de 2500, nos braves n'étaient que deux cents et quelques hommes. L'affaire a été terrible. Les Chouans, après quelques évolutions militaires assez bien exécuté, ont été enfoncé de toute part grâce à la vertu de la bayonnette républicaine. Bubry où était leur quartier-général a été occupé par nos troupes ; il a été impossible de préserver ce bourg du pillage. Nous avons perdu un homme. Cinq ont été blessés : un seul l'est grièvement. Les Chouans ont perdu beaucoup de monde. Les paysans voisins de Pontivy, qui avaient été enlevés de force, ont profité de la déroute pour retourner dans leurs foyers. Le capitaine de grenadiers et ses grenadiers vous ont fait les plus grands éloges de notre compagnie franche dont cinquante hommes se trouvaient avec eux à Bubry. Ces petits b. (?), disent-ils, méritent tout de porter la grenade. Ils se battent comme des lions..... »].

Notons, avant d'aller plus loin, que vraisemblablement Julien Videlo n'avait pas assisté au combat de la Villeneuve-Quistinic. D'après ses déclarations acceptées par les divers magistrats qui l'interrogèrent, sans rectifications ni réserves, il s'était fait chouan huit jours seulement avant la pacification de Brune. Or la convention dé Beauregard fut signée par Georges Cadoudal et Brune le 12 février, seize jours après le combat de la Villeneuve.

Mais il y avait autre chose. Des papiers compromettants avaient été saisis sur Augustin, Roger et Joson. Le général Roulland les avait transmis le 28 janvier au général Beyssac en le priant de les passer au préfet après en avoir lui-même pris connaissance (Arch. dép., M. 1, Lettre du général Roulland au général Beyssac, 5 pluviôse an IX). Ruinet avait en sa possession une copie authentique des lettres trouvées sur Augustin (Arch. dép. 37 U 3. Dans ses conclusions le substitut du Commissaire du Gouvernement près le Tribunal criminel écrit Muscady). Une d'entre elles surtout, dont nous avons parlé plus haut, paraissait constituer contre Videlo une charge sérieuse. Son signataire, Muscadin invitait Augustin de prévenir Tancrède d'avoir, en qualité de chef de légion à pourvoir au remplacement de Duval, tué quelques jours auparavant auprès de Locminé. Or Tancrède, disait-on, c'était le surnom de Julien Videlo ; peut-être même soupçonnait-on que Muscadin n'était autre que Georges Cadoudal.

Enfin, malgré le silence du procès-verbal de capture, on affirmait maintenant que Videlo avait été pris les armes à la main. Le 29 juin le général Villatte fit porter chez le substitut Guépin, dans un sac de toile cacheté, deux pistolets de poche de fabrication anglaise. Ces pistolets avaient été découverts, assurait-on, dans la cachette même de Videlo. Cette circonstance ne rendait-elle pas l'accusé justiciable de la commission militaire ?

Le substitut était très perplexe. « Où ces pistolets ont-ils été trouvés écrivait-il le jour même au directeur du jury ? Videlo en était-il armé ? Il me semblerait nécessaire, citoyen directeur, d'interpeller à cet égard Videlo et les dames de Penvern en leur représentant ces armes pour voir s'ils les reconnaissent et pour obtenir sur la découverte de ces pistolets des données certaines ». Ruinet se fit amener immédiatement les trois accusés et procéda sur-le-champ à des suppléments d'interrogatoire.

Il commença par Julien Videlo, rompit devant lui les cachets apposés sur le sachet de toile, et lui présentant les deux pistolets : « Reconnaissez-vous, lui demanda-t-il les deux pistolets pour vous avoir appartenu ou être renfermés dans la cache où vous avez été saisi ? »« Non, répondit l'accusé, je ne reconnais nullement ces armes pour m'avoir appartenus. J'ignore de même s'ils étaient dans quelques coins de l'endroit où j'ai été saisi, et je n'ai pas plus connaisance s'ils ont été trouvés dans cette cache ou ailleurs ». — « Fûtes-vous instruit au château de Penvern, avant votre départ et depuis la conclusion du procès-verbal de votre arrestation, que ces pistolets avaient échappé aux premières recherches faites dans le lieu de votre retraite et y avaient été trouvés ensuite par des recherches plus exactes ? »« Je ne me rappelle rien de tout cela. Et je ne saurais croire à cette découverte tardive, ignorant moi-même que ces pistolets fussent dans la cache »  (Arch. dép., 37 U 3, Supplément d'interrogatoire de Julien Videlo).

Les dames de Penvern ne furent pas moins catégoriques. Elles ne reconnaissaient certes pas ces pistolets qui n'étaient ni à elles ni à personne de leur maison ; elles n'avaient jamais vu de pareilles armes, elles n'avaient même jamais vu aucune arme dans les mains de Videlo. Elles n'avaient entendu parler de rien de semblable au château lors de leur arrestation ; c'était Ruinet lui-même qui leur apprenait la chose. Bonne enfin conclut en disant qu'elle avait tout lieu d'être étonnée « de cette prétendue découverte dont on lui parlait pour la première fois » (Arch. dép., 37 U 14, Supplément d'interrogatoire de Bonne et de Rose du Pérenno).

Avant de congédier chacun des trois accusés Ruinet leur demanda s'ils maintenaient les réponses qu'ils lui avaient faites le 21 ou le 22 juin.

Bonne du Pérenno s'en tint purement et simplement à son premier interrogatoire (Arch. dép., 34 U 14, Supplément d'interrogatoire de Bonne du Pérenno).

Sa sœur et Julien Videlo s'efforcèrent de faire valoir des circonstances atténuantes.

Celui-ci rappela les démarches qu'il avait faites « auprès du Préfet pour rentrer, lesquelles démarches » étaient « demeurées sans succès faute de réponse » (Arch. dép., 37 U 3, Supplément d'interrogatoire de Julien Videlo). Celle-là fit remarquer qu'elle n'était « pas chez elle au château de Penvern, mais bien chez sa soeur, et qu'ayant sçu qu'elle (sa sœur) avait donné retraite à Videlo dans le lieu où il avait été saisi, elle n'avait pas cru devoir révéler le secret qui lui en avait été donné par les motifs développés dans son promier interrogatoire, parce qu'elle savait que Videlo avait fait des démarches pour être autorisé à rentrer et qu'il en attendait la réponse  » (Arch. dép., 34 U 14, Supplément d'Interrogatoire de Rose du Pérenno).

(Pierre Nicol).

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