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ARRESTATION DU CHOUAN VIDELO (DIT TANCREDE)

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« LA BRETAGNE ».

Nous avons déjà plus d'une fois prononcé le nom de La Bretagne. En réalité il s'appelait Dominique Miller. Il était originaire de la Lorraine allemande. Ancien canonnier volontaire à la compagnie d'artillerie de la 92ème demi-brigade, il était chouan depuis le commencement de l'an V. A cette date il avait obtenu à Nantes un congé de réforme. A l'en croire, il s'en retournait dans son pays avec deux soldats libérés comme lui, quand il rencontra une bande d'insurgés. L'officier qui la commandait leur enjoignit de se joindre à lui. Les compagnons de Miller refusérent et furent fusillés sur place. Miller effrayé accepta. On le conduisit successivement à Bignan, Grand-Champ, Pluvigner, Bubry où se trouvait alors Augustin. Il fut tour à tour tailleur, valet de ferme et distillateur, soldat, bourreau, boucher pour l'armée catholique et royale, et enfin, après la pacification de février 1800, courrier au service d'Augustin et du Tancrède. C'est sans doute alors qu'il prit le surnom de La Bretagne. De la région lorientaise, il portait les dépêches de Joson, de Richard, etc, à Augustin ou Tancrède à Bubry à Melrand, à Penvern d'où il rapportait les réponses ou les ordres des chefs et, environ tous les deux mois, le prêt des officiers et des soldats [Note : Sa solde était de 12 sous par jour ; il recevait en outre 3# par huit lieues quand il faisait le courrier. Arch. dép., Trib. spéc, proc. 48-68, interrog. de La Bretagne : 37 U 3, déclaration de La Bretagne  à Penvern (14 juin 1801)].

Depuis la mort d'Augustin l'action chouanne s'était ralentie ; le courrier, moins occupé par son service, errait dans les environs de Lorient, surtout dans les paroisses de Quéven, Gestel, Guidel et Redené, préoccupé avant tout d'éviter les gendarmes et les colonnes mobiles. Il se faisait héberger dans les fermes, bien reçu partout, chez les uns par sympathie pour la cause qu'il défendait, chez d'autres par intérêt, car il payait bien (Arch. dép., Trib. spéc., Procéd. 48-68, interr. de La Bretagne), chez d'aucuns sans doute par crainte de représailles.

La Bretagne avait 37 ans. C'était un grand gaillard de 1m,75 au moins ; « cheveux, sourcils et barbe noirs, dit un de ses signalements ; yeux roux ; nez moyen et un peu relevé du bout ; bouche grande ; menton rond ; figure plate, maigre et très pâle ; chapeau rond ; une veste bleue longue en façon d'habit ; culotte de toile-longue à demi-blanche ; sans bas ; une bonne paire de souliers ; n'ayant point de mouchoir à son col  » [Note : Arch. dép., Trib. spéc., Proc. 48-68, Procès-verbal de capture de La Bretagne. Deux ans plus tard, un arrêté préfectoral concernant La Bretagne le décrit comme suit : « Profession de tailleur, âgé de 40 ans, taille de 1m,774, cheveux et sourcils noirs, yeux gris, nez petit, bouche moyenne, menton rond, front bas et ridé, figure ovale, marqué légèrement de petite vérole ». (Arch. dép., U 12)].

Au moral c'était une âme vulgaire et basse, et pour sauver sa vie, il était prêt à tout.

Le lundi 8 juin 1801, il se trouvait chez Anne Le Borgne au bourg de Gestel ; il était assis dans le foyer quand parut une brigade de gendarmerie de Lorient. Le gendarme Féron se précipita dans la pièce où il se trouvait, un autre se posta à la porte du jardin ; le reste perquisitionnait ailleurs. La Bretagne voulut s'enfuir ; mais Féron marcha sur lui le sabre haut, le prit au collet, le fit rentrer, et enfin, malgré sa résistance, réussit, avec l'aide de son compagnon, à le maîtriser et à le lier.

Interrogé, il déclara aux gendarmos qu'il s'appelait Dominique Miller; mais ce nom ne les renseignait guère sur l'importance de la capture qu'ils venaient de faire. Quoi qu'il en soit, la brigade rassemblée reprit la route de Lorient avec son prisonnier. Chemin faisant, celui-ci se prit à réfléchir. Au bout de cette mésaventure, il entrevit non seujement la prison, mais la guillotine ou le peloton d'exécution, et il eut peur. Spontanément il avoua qu'il était La Bretagne ; puis il supplia qu'on voulut bien le traiter avec égard, et se déclara prêt à faire connaître les dépôts d'armes, les magasins de munitions, les cachettes des chouans, les retraites de leurs chefs, en particulier celle de Videlo-Tancrède. Dans l'intérêt même des révélations qu'il se proposait de faire, il demanda avec instance aux gendarmes de prendre toutes les précautions possibles pour éviter de le faire connaître en ville et même dans la prison. Il fut écroué le jour même à la maison d'arrêt (Arch. dép., Trib. spécial, 39 U 9, Proc. 48-86, Procès-verbal d'arrestation de La Bretagne).

La Bretagne tint promptement et largement ses promesses. Quelques heures après, le substitut du commissaire du gouvernement, Deschiens, avait une longue liste de maisons suspectes en Gestel, Guidel, Quéven, Querrien, Bubry, Guern,etc ; il savait enfin que les chefs de la division devaient être au château de Penvern. Il requit aussitôt le directeur du jury, Dufeigna, de prendre des ordonnances à fin de perquisitions (Arch. départ., Trib. crim., Proc. 649).

Dans la nuit, le directeur et le substitut, guidés par La Bretagne en personne, se rendirent à Kerlarmet en Gestel, avec une escorte de gendarmes et de grenadiers et firent de fructueuses découvertes dans la maison même du maire, François Duliscouët, dit Kernabat. Ils y saisirent en effet 900 cartouches, des barils, des bouteilles, des cornes, des bambous remplis de poudre, quatre sacs de balles dont l'unne pesait pas moins de 250 livres, cinq fusils, quatorze baïonnettes, etc. (Arch. dép., M, 4)... Ils mirent en état d'arrestation, comme complices, receleurs ou commissionnaires des chouans, Duliscouët et son fils aîné, puis Maurice Rio, de Keroch en Quéven et sa fille Marie [Note : Arch. dép., Trib. crim., Procéd. 649 ; ibid., Trib. spéc. Procéd. 48-68. François Duliscouët fils et Marie Rio furent remis en liberté le 9 août 1801. Après onze mois de détention dans les prisons de Lorient et de Vannes, une longue maladie, trois procédures, le maire de Gestel Duliscouët, dit Kernabat, fut enfin acquitté par Tribunal criminel le 5 mai 1802 (Arch. dép., Trib. crim., Procéd. 649)].

Mais ce n'étaient là que des opérations préliminaires. Les grands coups devaient être frappés ailleurs. Nous avons vu que, à peine entre les mains des gendarmes, La Bretagne avait promis de faire arrêter Tancrède. Il s'était en effet empressé de dénoncer celui-ci comme le successeur d'Augustin à la tête de la légion de Melrand ; il s'était efforcé de mettre en évidence son ascendant sur les chouans, et de donner de lui le signalement le plus propre à le faire reconnaître. Il avait affirmé enfin que, depuis six mois, il habitait ordinairement Penvern, où il y avait certainement des cachettes, en quel endroit ? il l'ignorait ; mais il y avait un moyen bien simple de forcer les chouans qu'elles abritaient à se livrer eux-mêmes. Il fallait pour cela vider le château de tous ses habitants sans exception, y établir une forte garnison, faire bonne garde et attendre. Les chouans, disait La Bretagne, n'avaient pas de vivres dans leurs cachettes, et la faim les en ferait sortir (Arch. dép., Trib. spéc., Procéd. 48-68 ; ibid., M, 4).

Seulement Penvern n'était pas dans l'arrondissement de Lorient ; et il fallait sa hâter si on voulait surprendre. Dès le mardi 9 juin, Dufeigna écrivit à d'Haucour, sous-préfet de Pontivy, pour lui faire connaître le résultat des premières révélations de La Bretagne et le mettre au courant des renseignements fournis par l'ex-courrier des chouans sur Tancrède et le château de Penvern. « Je ne puis aller dans les lieux qui ne sont pas mon arrondissement, ajoutait-il. Il est donc indispensable que vous y pourvoiiez vous-même, en y envoyant (à Penvern) la force armée avec des hommes sûrs qui puissent la diriger ; et vous allez juger de cette nécessité par la lecture des renseignements que je vous transmets ci-joint » (Arch. dép., M, 4).

Le 10, à quatre heures du matin, un officier d'ordonnance, qui avait voyagé toute la nuit, remettait à d'Haucour la lettre de Dufeigna et les renseignements annoncés. D'Haucour s'empressa de les communiquer au général Bernadotte (Arch. dép., M, 4 . le sous-préfet de Pontivy au préfet du Morbihan), commandant en chef de l'armée dé l'Ouest, qui résidait à Pontivy depuit près d'un mois (Arch. dép., M, 4 ; le sous-préfet de Pontivy au Ministre de la Guerre). On pouvait compter sur d'Haucour et Barnadotte.

 

A LA RECHERCHE DE TANCRÈDE.

On était au mercredi. Il y avait deux jours que La Bretagne avait été arrêté, et les mauvaises nouvelles vont vite. Peut-être connaissait-on à Penvern l'arrestation et la trahison de l'ancien courrier de Tancrède ; on savait en tout cas « qu'il y avait des colonne en mouvement » (Arch. dép., 37. U 3, Interr. de Tancrède, n° 1) et l'inquietude augmentait. La situation êtait angoissante en effet. Les deux sœurs, Tancrède, l'abbé Le Borgne, Flore de Kerouallan durent s'en entretenir le soir après souper, avant de se séparer. Ils pouvaient parler d'autant plus librement qu'il n'y avait là que des initiés. M. de Martillat, toujours indisposé, avait soupé dans sa chambre en compagnie de sa femme et de sa belle sœur (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de M. et Mme de Martillat et d'Angélique de Derval). Peut-être prit-on alors certaines précautions commandées par les circonstances : faire disparaître toute trace de la présence du proscrit à Penvern et pourvoir sa cachette de quelques aliments, en prévision d'une occupation prolongée du château par la troupe.

Le lendemain matin à cinq heures et demie, Flore de Kérouallan était à la chapelle, Entendant du bruit, elle sortit pour voir, ce qui se passait. Le château était cerné, toutes les issues gardées et une troupe nombreuse, gendarmes, dragons, hussards, carabiniers, occupaient la cour. Des officiers donnaient des ordres ; un général dirigeait les opérations (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de Flore de Kerouallan) : c'était le général Villate, commandant de l'arrondissement de Pontivy. Il s'avança vers la porte d'entrée et sur ses sommations, Julien Fily vint ouvrir. Après avoir donné l'ordre d'enfermer dans la chapelle l’homme de confiance et les domestiques (Arch. dép., 37 U 3. Inter. de Julien Fily) qui osèrent paraître, il pénétra dans la maison suivi d'officiers et de gendarmes.

Tout le monde se levait en hâte. Redoutant le pillage du château, Bonne Coupé mettait en lieu sûr les objets de valeur dont elle avait la charge (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de Bonne Coupé). Bonne Cavil, surprise en plein sommeil, était tout effrayée de voir sa chambre pleine d'officiers (Arch. dép , 37 U 3, Interr. de Bonne Cavil). Toutes les personnes trouvées dans le château furent immédiatement déclarées prisonnières et gardées à vue (Arch. dép., 34 U 14, Tr.crim., Pr. 633 bis, Interr. de Thérèse-Joseph (Rose) du Pérenno, n° 1). De la cave au grenier, toutes les pièces, tous les recoins furent rapidement et minutieusement visités, y compris la chambre du couchant où Tancrède avait dû passer la nuit. Il n'y était plus : au premier bruit, Bonne du Péronno s'était assuré qu'il avait gagné sa cachette et elle avait le temps de lui passer, si ce n'était déjà fait, des provisions indispensables, un pot de confiture et du pain (Arch. dép., 37 U 3, Interrogatoires de Julien Videlo ; Trib. crim., Pr., 633 bis, Interrogatoires de Bonne-Françoise-Marguerite du Pérenno).

Dans l'écurie, on remarqua un cheval isabelle qui avait appartenu à Julien Videlo d'après les déclarations de La Bretagne (Arch. dép., 39 U. Interr. de La Bretagne). C'était un indice de la présence à Penvern de celui qu'on cherchait, et le général parla aussitôt d'emmener la bête. Les deux soeurs protestèrent que l'animal était bien à elles.

Au bout de quelques heures, le général dut s'avouer à lui-même que le coup de main était manqué.

Il tenta alors d'obtenir par voie d'intimidation le résultat que n'avaient pu donner toutes ses perquisitions. Il fit comparaître les demoiselles du Pérenno, Flore de Kerouallan, l'abbé Le Borgne ; leur assura qu'il savait de science certaine que Videlo était au château, caché sans doute on quelque endroit secret qu'il finirait bien par découvrir et les adjura, dans l'intérêt de Videlo et dans leur propre intérêt, de lui indiquer sa retraite. Il promettait, s'ils y consentaient, de faire tout ce qui dépendrait de lui pour adoucir le sort de leur ami et le leur (Arch. dép., 34 U 14, Proc., 633 bis, Interrogatoires de Bonne et Rose du Pérenno, de Flore de Kerouallan et de l'abbé Le Borgne).  Il est probable qu'il fit les mêmes tentatives auprès de M. et Mme de Martillat, d'Angélique de Derval et des domestiques de la maison ; mais M. et Mme de Martillat, Angélique de Derval, les domestiques, à l'exception de Julien Fily et de Bonne Coupé, ne savaient rien ou presque rien ; et malgré les promesses et les menaces, ceux qui étaient dans le secret demeurèrent impénétrables.

Il ne restait plus qu'à mettre en pratique le conseil suggéré par le directeur du jury de Lorient, sur les indications de La Bretagne : expulser tous les habitants de Penvern, établir au château une forte garnison, veiller de près et attendre que la faim forçât Tancrède à sortir de sa cachette.

Dans Penvern occupé militairement, le service fut organisé plus rigoureusement que dans une place en état de siège. A l'intérieur et à l'extérieur de nombreux factionnaires exercèrent jour et nuit une incessante surveillance. Les habitants, il est vrai, ne furent pas expulsés, mais considérés comme prisonniers, ils furent consignés dans leurs chambre, avec défense d'en sortir et gardés à vue (Arch. dép., 34 U 14, Proc. 633 bis., Interr. de Rose du Pérenno, n° 3). Dès le lendemain, 12, la municipilité de Guémené fut requise de fournir le pain pour la troupea et le fourrage pour les chevaux (Arch. municip. de Guémené, aux Arch. dép.).

Rien toutefois ne permettait de suspecter Mlle de Derval non plus que sa sœur et son beau-frère. Le général Villatte put aisément s'en convaincre en causant avec eux et, au bout de quarante-huit heures, le samedi 13, il leur rendit leur entière liberté (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de M. de Martillat).

D'autre part la surveillance des factionnaires ne fut pas assez étroite pour empêcher toute communication entre Bonne du Pérenno et Julien Videlo. Un jour cette femme de cœur put échapper à la vigilance de ses gardiens, et se glissant furtivement dans une pièce voisine de la cachette du proscrit, elle réussit à lui passer du pain et du vin (Arch. dép., 34 U 14, Proc. 633 bis. Interrog. de Bonne du Pérenno).

Il y eut même entre eux échange de correspondance. Bonne reçut de Tancrède un billet dont nous ignorons d'ailleurs le contenu ; elle lui en remit un autre également perdu par lequel elle l'instruisait de la marche des événements et notait avec soins certains détails particulièrement intéressants, par exemple l'intention du général Villatte d'emmener le cheval isabelle.

Elle savait bien qu'elle aggravait son cas ; mais elle ne croyait pas pouvoir laisser mourir de faim un homme qui s'était confié à son hospitalité.

Le dossier contient deux autres billets écrits de la main de Tancrède, pendant ces jours d'angoisses et postérieurement à ceux dont nous venons de parler. Il les destinait aux deux sœurs, mais ne réussit pas à les leur faire parvenir (Arch. dép., 34 U 14, Interr, de Bonne du Pérenno, n° 4). Ils nous renseignent du moins sur la situation et l'état d'âme de leur auteur ; c'est pour cette raison que nous les transcrivons ici.

« Je crois que mes gardiens sont encore ici pour quelque temps, écrit-il dans celui qui paraît être le premier en date. J'ai sérieusement pensé aux moyens de m'évader. Ce serait de jour ou de nuit. Je crois le premier moyen préférable, car j’imagine que quelque temps après la retraite, toutes les issues doivent être, pour ainsi dire, hermétiquement fermées. Voicy donc quelle serait mon idée. Gardez-vous surtout de rire dans un si grave sujet.

Je me rendrais d'abord dans la chambre de Dominique (Domestique Cavil, domestique au château du Penvern), ou de Mlle Flore. Là je m'habillerais en femme. Mlle Derval est à peu près de ma hauteur et n'est guère moins mince. Lors de l’appel du soir et quelques temps avant la retraite, je sortirais avec les dames. Nous nous rendrions dans le petit jardin. Une fois rendu là, je suis sauvé, s'il n'y a pas de factionnaire près du mur à l'est. Monsieur le Recteur ou M. Martillat, à un signal convenu, engagerait les factionnaires du corridor à entrer pour prendre un verre d'eau-de-vie.

Il y aurait un autre moyen, ce serait d'attendre la nuit dans la chambre de Dominique de descendre dans la basse-cour par une échelle de corde et de me rendre ensuite dans le petit jardin.

Enfin j'ai imaginé qu'il n'est pas impossible de pratiquer dans l'endroit de la couverture qui donne sur la cour du grand jardin une ouverture. Mais j'ignore absolument comment sont placés les factionnaires de nuit. Au reste, Mesdames, si vous avez quelqueautre moyen ou si vous jugez les miens insuffisants, ne craignez pas de me le dire. Je suis absolument résigné à tout. Mille remerciements de tous vos bons soins. Que Dieu vous récompense comme vous le méritez. Je ne sais si je vous ai marqué que j'ai promis un cierge de 6 # au Penity [Note : La chapelle de N.-D. du Penity, située à deux kilomètres environ du sud de Penvern, est encore aujourd'hui un lieu de pèlerinage très fréquenté. Le pardon a lieu le dimanche après l'Assomption]. Je vous prie de le faire remettre le plus tôt que vous pourrez. Vous ne me marquez pas si c'est parce qu'on suppose la petite jument m'appartenir qu'on veut vous la prendre.

Je n'ai pas trouvé la clef du petit coffre [Note : C'était une cassette en acajou dans laquelle Videlo avait déposé sa bourse, des lettres et divers papiers]. Je désirerais aussi avoir un crucifix et un livre, car je m'ennuie mortellement. Je crois au reste que, s'ils supposent quelqu'un ici, ils veulent le prendre par la famine.

Vous ne m'avez pas dit de quelle garnison étaient les troupes. Qui croyez-vous qu'elles cherchent ? Pouvez-vous penser que ce n'est pas moi ? N'oubliez pas surtout de me faire passer le Dictionnaire historique et un livre de lecture ; si vous ne le pouvez par la trappe, il y a à l'extrémité du grenier des endroits commodes ».

« A tout hasard, lisons-nous dans le dernier billet, je vais vous communiquer mon projet.

Je descendrais dans la cache en dessous. Il faudrait faire dans le mur de Fanchon (Françoise Le Port, cuisinière) une ouverture propro à me faire passer. Je me rendrais dans la chambre de M. Louis (Louis de Normanville, hôte des demoiselles du Pérenno) et il me serait facile d'entrer dans le chanvrier de Pierric (Pierre Le Dain, journalier) par le moyen d'une corde que j'attacherais à un des peupliers pour ne pas faire de bruit en descendant. Pierric aurait soin de faire aussi une ouverture dans le mur du côté de la campagne. On donnerait une montre à Pierric et à une heure précise il sortirait et entrerait dans le chanvrier. Je rentrerais à sa place habillé en paysan. S'il n'y a pas de factionnaire derrière la maison, ce moyen me paraît excellent. Si vous l'approuvez envoyez demain Vincent (Jean-Vincent Anezo, jardinier) chez Pierric au moment ou on battra le rappel pour la garde. Je le verrai. Ne m'oubliez pas dans vos prières ; jamais je n'en ai eu plus besoin ».

Quand il comprit que la troupe établissait ses quartiers à Penvern dans le but de le prendre par la famine, Tancrède n'eut plus qu'une pensée : s'évader pour échapper à une arrestation qui ne pouvait plus être qu'une question de temps.

Il nous est difficile de nous prononcer en pleine connaissance de cause sur ses projets d'évasion ; les lieux où il se cachait ont trop changé depuis. Ils nous paraissent toutefois bien compliqués et peu praticables. Ils ne pouvaient en tout cas réussir qu'avec la coopération des dames de Penvern, de leurs hôtes et de leurs domestiques. Or Tancrède ne parvint pas à communiquer ses plans aux habitants du château, et ceux-ci étalent surveillés de trop près pour servir utilement ses desseins.

 

L'ARRESTATION.

Cependant les forces administratives, militaires et policières mobilisées contre Tancrède redoublaient d'efforts. Le samedi 13 juin, le parquet de Lorient, Deschiens, substitut et Dufeigna, directeur du jury, sortirent d'Hennebont au petit jour avec le général Rouland ; une escorte protégeait leur marche et ils traînaient à leur suite La Bretagne. La journée fut laborieuse sinon fructueuse. Guidés par le traître, ils se mirent avec ardeur à la recherche des dépôts et de munitions des chouans. Ils firent en Lanvaudan, au Quelennec en Bubry, au bourg de Bubry surtout, des perquisitions minutieuses qui ne donnèrent pas de résultats appréciables [Note : Arch. dép., 37 U 3, Procès-verbal de descente à Bubry. Chez Maturin Pérès, au Quelennec, ils trouvèrent dans une cachettes très habilement dissimulée, quelques objets ou papiers ayant appartenu à Duval : un passe, un mémoire de souliers distribués à ses hommes, un état de situation, etc.. Ils découvrirent dans le grenier à foin de Pierre Le Strat, au bourg, des linges et ornements d'église, des livres de religion, des effets d'habillement et de literie appartenant à Benjamin Videlo recteur de Bubry, et même deux volumes d'instructions pour le service de l’infanterie qui seuls furent saisis pour être déposés au greffe du Tribunal de Lorient. Ils visitèrent également, sans succès, les maisons de Mlle Bertrand, sœur du prêtre, de Philie de Kerouallan et d'Annette Le Bras, servante de Louis Videlo. vicaire de la paroisse]. Ils passèrent la nuit à Bubry, et le lendemain matin, après avoir renvoyé que partie des troupes qui les accompagnaient, ils se rendirent à Guémené, emmenant La Bretagne.

Ils comptaient y rencontrer les commandants des troupes cantonnées à Penvern et leurs collègues du parquet de Pontivy, le substitut, Bonaventure Guépin et le directeur du jury, Alexandre Ruinet ; ils leur communiqueraient les renseignements qu'ils avaient recueillis, mettraient La Bretagne à leur disposition, enfin s'entendraient avec eux pour assurer l'arrestation de l'insaisissable Tancrède (Arch. dép., 37 U 3, Procès-verbal de descente à Bubry et autres communes).

Guépin et Ruinet se firent attendre. Ils ne reçurent que vers onze heures la réquisition du chef de bataillon Fourcard et ne durent pas paraître au rendez-vous avant quatre ou cinq heures de l'après-midi. La Bretagne était à ce moment aux mains du général Vlllatte à Penvern. Il devait d'ailleurs être reconduit à Guémené dans la soirée. Les conférences commencèrent aussitôt entre les membres des deux parquets et les chefs militaires. Quand Guépin et Ruinet eurent achevé la lecture des déclarations faites par La Bretagne au directeur du jury dw Lorient, recueilli toutes les indications et pris toutes les notes dont ils pouvaient avoir besoin, il était huit heures du soir. Ils remirent au lendemain leur départ pour Penvern (Arch. dép., 37 U 3, Procès-verbal de transport à Guémené, etc.).

Le lundi 15, à six heures du matin, magistrats et officiers se mirent en route, sous la protection d'une escorte au milieu de laquelle marchait La Bretagne (Arch. dép., 37 U 3. Procès-verbal de transport à Guémené et à Penvern ; procès-verbal de descente à Bubry). Ils durent arriver à Penvern vers huit heures.

Le passage de La Bretagne au château la veille n'avait donné aucun résultat. Mis en présence des deux châtelaines, il avait même dû avouer qu'il ne connaissait pas Mlle Rose (Arch. dép., 34 U 4, Inter. de Thérèse Joseph du Pérenno, n° 4). On avait cru néanmoins qu'une nouvelle perquisition faite sous ses yeux et pour ainsi dire sous sa direction avait quelque chance de succès. Il n'en avait rien été (Arch. dép., 37 U 3, Procès-verbal de descente à Bubry).

Le directeur du jury de Pontivy voulut en finir. Il s'installa dans une des pièces du château, demanda au général Villate de lui amener La Bretagne ; il l'interrogea longuement, et fit consigner soigneusement ses réponses par son greffier Petiot. Il espérait que de cet interrogatoire fait sur les lieux mêmes jaillirait enfin la lumière.

Après avoir raconté son histoire avant la pacification de Brune, La Bretagne déclara :

10°) Qu'il remettait ses dépêches pour la région de Lorient, Pont-Scorff et Arzano, à Joson et, après sa mort à Kremer, dit Richard.

11°) Qu'il remettait les dépêches qu'il recevait de ces deux chefs à Dancourt, dit Augustin, à Bubry, et depuis sa mort, à Videlo, dit Tancrède, au châtoau de Penvern où il le trouvait régulièrement.

12°) Qu'il est à sa connaissance qu'il existe une cache d'hommes au dit château, sans pouvoir l'indiquer ; mais qu'il ne sait pas s'il y a des dépôts d'armes.

13°) Qu'il recevait de l'argent à Penvern des mains de Videlo...

14°) Qu'il trouvait ordinairement Videlo, au château de Penvern, dans la dernière chambre à droite en entrant dans le corridor, en face d'un escalier dérobé, et qu'elle est composée d'un vestibule et d'un cabinet de toilette ; ajoute que, lorsqu'il faisait froid, Videlo le faisait manger dans un autre appartement où loge actuellement et Bonne Coupé.

15°) Déclare reconnaître le cheval isabelle, ayant une raie noire sur le dos, qui lui a été représenté, pour être celui que montait ordinairement Videlo ; qu'il fut acheté, il y aura un an à la prochaine récolte, à la foire de Lochrist, près d'Hennebont, et payé 210 francs en piastres d'Espagne, par Louis Le Coëffic, de Redené, qui était accompagné de Philippe, domestique de Videlo.

16°) Que Videlo doit se cacher actuellement dans quelque coin du château particulièrement connu des dames du dit château ainsi que de la femme de chambre Bonne [Note : Arch. dép., 37 U 3, Procès-verbal de transport à Guémené du 25, et déclaration de Miller dit La Bretagne au château de Penvern du 26. Nous avons fait à ce texte de légères corrections destinées à en faciliter la lecture].

Cette sorte d'interrogatoire terminé, Deschiens et Dufeigna. quittèrent Penvern avec La Bretagne et leur escorte ; ils rentrèrent le soir à Lorient par Inguiniel, Plouay et Calan [Note : Arch. dép., 37 U 3, Procès-verbal de descente à Bubry et communes voisines].

Munis de tous les renseignements qu'ils ont pu recueillir, accompagnés du général Villatte, du lieutenant de gendarmerie Dhénnin et de quelques autres officiers, Guépin et Ruinet se rendent dans la chambre de Bonne du Pérenno et se livrent à une tentative désespérée pour lui arrachor son secret [Note : Le récit qui suit est presque entièrement tiré du Procès-verbal de transport à Penvern, 26 prairial an IX. (Arch. dép., 37 U 3). Quelques détails complétaires sont empruntés à l'interrogatoire de Le Verger, et aux diverses pièces concernant M. et Mme de Martillat (Arch. dép., 37 U 3]. « Ils savent, disent-ils, qu'il y au château des cachettes recelant des armes, des munitions et même des hommes. C'est en vain qu'elle essaierait de le nier. Ils lui déclarent que, s'ils parvenaient à le découvrir sans son concours, sa connivence avec les ennemis de la République serait démontrée et que dès lors, elle devrait s'attendre à subir les peines édictées par les lois contre les rebelles eux-mêmes ». Puis des menaces passant aux promesses, ils lui font entendre que, si elle consent à favoriser leurs recherches, il lui sera largement tenu compte de son isolement, de sa faiblesse, de la pression opérée sur elle pour la forcer à accepter des dépôts qui, par leur nature, sont criminels.

Au dire du procès-verbal, Bonne du Pérenno répondit qu'elle pouvait être victime de la calomnie mais que bien certainement sa maison ne contenait ni caches d'hommes, ni dépôts d'armes ; que cependant, pour rendre hommage à la vérité, elle devait avouer qu'il s'y trouvait un endroit secret, connu d'elle seule, où elle avait déposé un fusil laissé par M. Achille (Achille Biget) lors de son passage à Penvern.

Sommée de montrer cette cachette, Mlle Bonne sort de sa chambre suivie de ses interlocuteurs. Dans le vestibule, il y a une grande armoire ; elle l'ouvre et invite les assistants à en pousser le fond. Il se fait ainsi une ouverture d'un pied et demi carré. Sur l'ordre du général Villatte, le lieutenant de gendarmerie s'y glisse et pénètre dans un réduit d'où il retire :

Un fusil à deux coups chargé des deux canons et amorcé ;

Un pistolet de fabrication anglaise ;

Un paquet de poudre fine ;

Un tourne-vis, un tire-bourre et deux pierres à fusil ;

Une cocarde blanche ;

Divers effets dont une veste de chouans ;

Deux gravures dont l’une représente Charles-Philippe de France, autrement dit Monsieur, frère du Roi et l'autre Louise-Antoine de France, duc d'Angoulême ;

Enfin une grande quantité de papiers appartenant à Bonne de Penvern ou à son amie, Mlle Marie-Anne de Forsanz.

Inventaire fut aussitôt dressé de tous les objets trouvés ; quant aux papiers, dont on ne pouvait songer pour le moment à faire le dépouillement, ils furent mis sous bandes scellées, ainsi que les bottes ou coffrets qui les renfermaient, du sceau du juge de paix de Guémené.

C'était un premier succès. Ruinet put croire que Mlle du Pérenno avait faibli ; il se fit plus pressant ; il l'adjura de nouveau de faire connaître les autres cachettes, en particulier celles où s'était réfugié Tancrède. Mlle Bonne affirma sur l'honneur qu'il n'y avait pas d'autres cachettes au château, que Julien Videlo n'était pas chez elle, qu'elle ne l'avait pas vu depuis un mois.

Pour arriver à ses fins le directeur du jury de Pontivy disposait d'un dernier moyen ; les autres n'ayant pas réussi, il se décida à en faire usage.

Il envoya cheroher deux menuisiers de Guémené pour l'aider dans ses recherches, Jean-François Le Verger et Louis Mario. Il était environ midi.

Le Verger était, on s'en souvient, celui qui avait aménagé la cachette de Tancrède quelques semaines auparavant.

Avait-il laissé échapper quelque parole imprudente ? fait allusion aux travaux qu'il avait exécutés à Penvern ? laissé entendre, pour se donner de l'importance, qu'il en savait beaucoup plus qu'il n'en disait ? Ses propos colportés et commentés étaient-ils arrivés aux oreilles de Guépin ou de Ruinet ? Il y eut au moins cela. Alla-t-il plus loin et se rendit-il coupable, vis-à-vis de demoiselles du Pérenno et de Julien Videlo, d'une véritable trahison ? Cela nous paraît très vraisemblable [Note : On peut objecter que Guépin et Ruinet n'appellent pas seulement Le Verger à Penvern, mais qu'ils font venir avec lui Louis Mario ; qu'une grande partie du château fut visitée avant d'arriver à l'endroit où Le Verger savait que se cachait Videlo ; que Le Verger démolit la terrasse en torchis de la cachette au lieu de soulever la trappe dont il connaissait parfaitement l'existence puisqu'il l'avait placée de ces propres mains ; qu'enfin il fut arrêté lui-même comme complice de Bonne de Pérenno. Toutes ces objections se résolvent suffisamment, croyons-nous, par cette considération que, dans l'intérêt de Le Verger comme du parquet lui-même, il était nécessaire de sauver les apparences. Dès que Le Verger arrive à Penvern, les recherches jusque-là infructueuses, ont un plein succès. Enfin il y a dans le pays une tradition d'après laquelle l'auteur de l'arrestation de Videlo serait venu de Guémené]. Indiscrétion ou trahison, Le Verger complète La Bretagne.

Les deux menuisiers n'arrivèrent pas à Penvern avant quatre ou cinq heures du l'après-midi. Ils furent aussitôt mis en présence des magistrats, du général et des officiers qui les entouraient, et ordre lour fut donné de sonder les cloisons et les planchers. Ils commencèrent leurs recherches par les chambres et cabinets occupés par les dames de Penvern, puis les continuèrent de chambre en chambre le long du corridor, en allant du levant au couchant (Arch. dép., 37 U 3, Interrog. de Jean-François Le Verger).

Personne ne s'attendait à faire des découvertes sensationnelles dans cette partie du château, où l'on perquisitionnait au moins pour la troisième fois depuis cinq jours. Chacun savait, et Le Verger mieux que tout autre, que Videlo n'était pas là.

On n'y trouva en effet « rien de suspect » sauf peut-être, renfermé dans une caisse dans la chambre de l'abbé Le Borgne, un habit de paysan [Note : Guilet en molleton, pantalon et veste de toile; Arch. dép., 37 U 3, Procès-verbal de transport à Penvern, 26 prairial an IX] que ce prêtre avait fait faire quatre ans auparavant pour se déguiser dans les mauvais jours, et, dans une armoire au bout du corridor, un pantalon et une paire de gants à crispin.

Du grand corridor Guépin, Ruinet, Villatte et leurs acolytes, suivis de Bonne du Pérenno, pénétrèrent par l'escalier dérobé dans le bâtiment des cuisines. Ils se trouvèrent bientôt dans un petit grenier. Un examen attentif des lieux les convainquit, au dire du procès verbal, qu'il y avait au-dessus un autre grenier lequel n'avait aucune ouverture sur l'extérieur. C'était sans doute la cachette qu'ils cherchaient. Pour s'en assurer il suffisait de percer le plafond de la petite pièce où ils se trouvaient ; rien n'était plus facile, car ce plafond très bas, n'était, nous l'avons vu plus haut, qu'une sorte de terrasse faite de barrasseaux garnis d'un torchis de terre glaise et de foin.

On mit aussitôt une barre de fer aux mains de Le Verger, avec ordre de faire sauter quelques barrasseaux. Ce fut bientôt fait, et dès lors une large ouverture permettait de se hisser à l'étage supérieur. Ruinet commandait d'y monter, quand, au milieu du nuage de poussière jaunâtre, un homme parut qui s'écria : « En voilà assez : je me rends ». C'était Julien Videlo. Guépin, Ruinet, Le Verger, le reconnurent sans peine. Par l'ouverture de la terrasse, il se laissa glisser hors de sa cachette et vint tomber au milieu du groupe formé par les magistrats et les officiers. Il fut aussitôt appréhendé par deux grenadiers de l'escorte du général garrotté avec une corde et fouillé avec soin.

On trouva dans la retraite du prisonnier de nombreux effets d'habillement, divers objets tels que montre en or avec chaîne d'acier, tabatière à cercle similor, pot à eau et écritoire de faïence, serviette ouvrée, etc., des restes d'aliments : un pot de confiture entamé, des morceaux de pain, un peu de vin dans une bouteille ; on y fit aussi des découvertes plus compromettantes : une poire à poudre de chagrin avec un sac à plomb, et, dans une cassette d'acajou, vingt-cinq doubles-louis d'or et neuf guinées anglaises que le général Villatte fit aussitôt remettre au commandant Fourcard ; enfin une lettre, les deux billets éscrits par Videlo pour soumettre aux dames de Penvern ses plans d'évasion, et une masse de papiers dont on dut remettre l'examen à plus tard [Note : Effets trouvés dans la cachette de Videlo : « 1° Un habit couleur café avec des boutons pareils. 2° Un autre habit de draps olive aveo des boutons d'acier. 3° Un autre habit de draps gris foncé avec des boutons d'acier. 4° Une capote de calmouk gris, bordée de noir. 5° Un gilet et deux pantalons couleur queue de serein. 6° Un autre pantalon de velour rayée couleur merde d'oye. 7° Une carmagnole de cotonnade couleur violette. 8° Une culotte de draps pareille à l'habit couleur caffé. 9° Un gilet cazimir vert bouteille brodé.  11° Un autre gillet fond jaune moucheté.  12° Une paire d'escarpins.  13° Un pantalon calmouk brun et une mauvaise culotte de drap noir ». On y trouva aussi :  « 16° Une carte géographie de la Bretagne collée sur toile... »].

Il était plus urgent de mettre la main sur les habitants du château.

Sur réquisitoire du substitut, le direoteur du jury fit mettre en état d'arrestation les dames de Penvern, leurs hôtes et leurs domestiques. Les uns furent simplement consignés dans leurs chambres, les autres, dont Flore de Kerouallan, enfermés dans la chapelle en attendant leur transfert à la prison de Pontivy. Ils étaient regardés « comme évidemment complices du crime d'intelligence avec les ennemis intérieurs de la République, comme convaincus d'avoir recelé « leurs effets et leurs personnes » et « d'autant plus condamnables qu'il n'avait tenu qu'à eux d'éviter, par une déclaration franche et sincère, les poursuites que la loi commande contre ceux qui se rendent coupables de pareils crimes ».

Seulement, appliquée à la lettre, cette mesure laissait sans gardiens le château de Penvern, et il contenait « des effets précieux en grande quantité ». Dans l'intérêt des dames du Pérenno, Guépin demanda que le juge de paix de Guémené fût requis d'apposer les scellés sur toutes les fermetures en présence des deux intéressées, et de désigner, d'accord avec celles-ci, des gardiens en nombre suffisant. Le choix tomba sans doute sur Dominique Cavil, Jean-Vincent Anezo, Joseph Nicolo et Jeanne Gibois dont les noms ne figurent plus dans la suite parmi les prisonniers de Penvern.

Il était huit heures du soir quand toutes ces opérations furent terminées. C'était trop tard pour songer à rentrer à Pontivy. Les magistrats et la troupe durent se résigner à passer une nuit de plus à Penvern. Cette nuit fut d'ailleurs très occupée et très agitée. On procéda d'abord à l'apposition des scellés ; on fit ensuite le triage des objets et papiers trouvés dans les deux cachettes : ceux qui semblèrent propres à servir de pièces à conviction furent déposés dans une grande malle que Ruinet fit fermer et sceller.

Enfin le substitut et le directeur du jury n'avaient pas pu ne pas tenir compte de l’état de Mme de Martillat ; sa détention à la maison d'arrêt aurait pu avoir les suites les plus fâcheuses ; l'humanité commandait vis-à-vis d'elle tous les ménagements. Aussi les magistrats avaient-ils consenti à la laisser libre moyennant la promesse de se présenter à la justice à toutos réquisitions.

C'en était déjà trop pour la jeune femme. Les événements imprévus qui se déroulaient sous ses yeux depuis cinq jours et auxquels elle se trouvait si malencontreusement mêlée, l'arrestation de son mari et la perspective d'une séparation que les circonstances rendaient plus cruelle encore, la pensée de l'isolement auquel elle se trouvait condamnée et des poursuites dont elle allait être l'objet, produisirent sur elle une impression si forte que pendant la nuit elle eut une violente crise de nerfs suivie d'épouvantables convulsions. Son mari très inquiet fit appeler en toute hâte Jean-Marie Lorho, officier de santé à Guémené, qui prodigua ses soins à la malade. Le lendemain matin la crise était passée. Mais dans ces conditions on ne pouvait emmener M. de Martillat. C'eut été une cruauté inutile et d'autant plus odieuse que les deux époux paraissaient bien étrangers à tout ce qui s'était passé à Penvern.

Guépin et Ruinet accordèrent sans peine de nouvelles concessions. M. de Martillat fut laissé en liberté provisoire ainsi que sa femme. L'officier de santé Lorho consentit à être leur caution et s'engagea à verser à l'enregistrement la sommo de 3.000 # lorsqu'ils en seraient requis [Note : Arch. dép., 37 U 3, pétition de M. de Martillat ; conclusions du substitut du commissaire du Gouvernement ordonnance du directeur du jury].

Ces formalités terminées, la troupe entière — gendarmes, grenadiers, dragons, hussards — quitta Penvern avec ses officiers, le général Villatte et le parquet de Pontivy, moins fier peut-être qu'embarrassé de son succès. Elle emmenait enfin ce Tancrède si longtemps insaisissable et les onze autres captifs, la masse des papiers et des pièces à conviction, et le cheval isabelle trouvé dans les écuries de Penvern.

Le groupe déjà nombreux des prisonniers se grossit encore d'une unité au passage à Guémené. Par ordre du substitut, Le Verger à son tour était mis en état d'arrestation « comme prévenu d'avoir favorisé les intentions des demoiselles de Penvern en faveur de Julien Videlo » (Arch. dép., 37 U 3, Interr. de François Le Verger). Le parquet de Pontivy s'apercevait peut-être un peu tard que laisser cet homme en liberté, alors qu'on prodiguait les mandats d'arrêts, c'était lui rendre un fort mauvais service et le désigner, d'une certaine façon, comme l'auteur de l'arrestation et de ses complices.

L'émotion provoquée par le coup de main de Penvern fut énorme à Persquen et à Guémené où les dames du Pérenno étaient universellement vénérées et aimées ; elle ne fut pas moindre à Pontivy, la petite ville « patriote » où Julien Videlo avait encore sa mère, plusieurs sœurs et beaux-frères et où il était connu de tout le monde.

Le jour même, vers midi, Tancrède fut écroué à la maison d'arrêt établie dans l'ancien couvent des Ursulines, avec l'abbé Le Borgne, Louis de Normanville, Pierre-Julien Fily, Bonne Coupé, Bonne Cavil, Françoise Le Port, et Jean-François Le Verger.

Par une faveur à laquelle le général Bernadotte ne fut peut-être pas étranger (Arch. dép., 37 U 3. Lettre du substitut Guépin au directeur du jury Ruinet, du 28 prairial an IX, 17 juin 1801), les dames de Penvern furent l'objet d'attentions spéciales. On les interna, ainsi sans doute qu'Angélique de Derval et Flore de Kerouallan, dans une maison située sur la place du Petit-Martroy, en face de celle qu'habitait le substitut Guépin [Note : La maison Guépin porte aujourd'hui le n° 9 de l'ancienne place du Petit Martroy, appelée aujourd'hui, en l'honneur du directeur du Jury d'alors, place Ruinet du Taillis. Arch. dép., 37 U 3, lettre du substitut au directeur du jury, 28 prairial an IX, 17 juin 1801].

(Pierre Nicol).

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