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La Fontenelle à Penmarc'h au XVIème siècle.

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Les troubles qui ensanglantèrent la France pendant les guerres dites de religion, de 1562 à 1598, année de la publication de l'Edit de Nantes, n'eurent leur contre-coup dans la haute-Cornouaille qu'en 1589, et dans la basse-Cornouaille qu'en 1952. La Ligue ou Association catholique pour la défense de la religion, prit naissance en Picardie le 13 février 1577 et de là s'étendit peu à peu sur toute la France. Elle reconnut, comme chef politique, le duc de Guise de la maison de Lorraine. L'assassinat des princes de Lorraine à Blois déclancha le mouvement de la Ligue en Bretagne vers 1589, et le meurtre de Henri III qui faisait d'un prince protestant l'héritier du trône de France, entraîna dans cette association beaucoup de catholiques indécis. Le principe religieux seul décida les Bretons à prêter en foule et avec empressement le serment à la Sainte Union. On les verra, peu à peu, après l'abjuration du roi de Navarre, se détacher de la Ligue qui, pour eux, n'avait plus sa raison d'être. Le duc de Mercoeur, Philibert-Emmanuel de Lorraine, gouverneur de Bretagne fut reconnu comme chef de la Ligue en cette province. En se réconciliant en 1598 avec Henri IV, il mettra fin aux dissensions et aux actes de brigandage qui désolaient notre région.

La Réforme fit peu d'adeptes en Bretagne, du moins parmi le peuple qui, malgré ses désordres, restait profondément attaché à la foi catholique. Si quelques seigneurs, comme les Rohan, embrassèrent la religion protestante, ce fut dans le secret espoir, à la faveur des troubles et du désarroi général, de satisfaire leur ambition et leurs intérêts personnels. « Il n'y eut dans toute la Bretagne que 29 églises protestantes, total fait de toutes celles qui y existèrent à une date quelconque. 8 grandes familles nobles et 81 autres de moindre importance embrassèrent dans cette province le protestantisme » (Ch. de Calan, La Bretagne au XVIème siècle). Si l'on peut reprocher à la Ligue d'avoir fait appel à l'Espagne pour défendre sa cause, on ne peut guère louer les Huguenots d'avoir sollicité et obtenu le secours des Anglais et des reitres allemands. Quelque soit le jugement que l'on porte sur cette Association, il faut du moins reconnaître qu'elle sauva la religion catholique en France en interdisant l'accès du trône à un prince hérétique.

La Basse-Bretagne, à part Brest et quelques châteaux, tenait pour le parti de Mercoeur ; mais ce chef ne pouvait pas toujours se faire obéir des capitaines qui prétendaient marcher sous ses ordres. La Cornouaille et le Léon étaient livrés à une bande de pillards, dont les plus célèbres étaient Yves de Liscouët, seigneur du Bois de la Roche, qui avait abjuré sa foi pour épouser la belle Philippe de Maridor, du canton de Vaux en Anjou, et Anne de Sanzay, comte de la Maignane, « grand voleur sur terre et sur mer ». Mais le plus fameux d'entr'eux était sans contredit, Guy Eder de Beaumanoir, sieur de La Fontenelle.

C'était un tout jeune homme, âgé à peine de vingt ans, lorsqu'il se mit à parcourir le pays, saccageant tout sur son passage, prenant par ruse ou par force les châteaux qui pouvaient lui servir de places fortes, et en massacrant sans pitié les habitants. Il était à la tête d'une bande de gens sans aveu dont le nombre augmentait avec ses succès. Il se faisait obéir aveuglément de ses hommes dont il savait au besoin contenter les appétits grossiers et les instincts batailleurs. Il était brave, d'une intelligence vive et surtout d'une imagination féconde en expédients. Peu scrupuleux sur le choix des moyens, il n'avait en vue que le but à atteindre, et ce qui le faisait réussir là où un plus brillant capitaine eût échoué, c'était la ruse, art dans lequel il était passé maître. Chose étrange ! ce tempérament sanguinaire et débauché savait se dompter pour plaire, et La Fontenelle, la terreur de la Cornouaille, s'était fait aimer de Marie Le Chevoir, jeune et riche héritière qu'il avait enlevée au château de Mézarnou en Plounéventer. Il se disait du parti ligueur, mais il n'avait cure de la défense religieuse et politique et ne se souciait que de satisfaire sa soif de richesses et de plaisirs. Il rançonnait et massacrait indistinctement royaux et ligueurs, aussi bien que ceux qui voulaient garder la neutralité entre les deux partis. Qu'un si jeune gentilhomme ait pu commettre et laisser perpétrer par ses soldats tant de viols et d'atrocités, c'est là un fait à peine croyable, n'était le témoignage formel des chroniqueurs de l'époque.

Après avoir pillé le Haut Léon et une partie de la Cornouaille, La Fontenelle jeta son dévolu sur Douarnenez et notamment sur son fort de l'île Tristan. Il comprit l'importance de cette place forte, aussi facile à défendre par terre que par mer. Maître de cette position, il pourrait de là rayonner dans un pays riche que personne n'avait encore dévasté, et rentrer en toute sécurité avec son butin dans son île.

Le protestant et royaliste Jacques de Guengat que les Ligueurs de Quimper avaient chassé de son manoir familial, s'était emparé de Douarnenez et du fort de l'île Tristan, grâce au concours de Sourdéac, gouverneur de Brest. Il se croyait à l'abri de toute surprise dans sa nouvelle résidence, lorsqu'un beau matin, il se fit prendre au lit par La Fontenelle qui le captura avec toute la garnison.

Guy Eder, après avoir mis en état de défense son île, l'île Guyon comme il l'appelait, se prépara à ravager les pays d'alentour. Sa réputation de brigand et de franc-pillard s'était répandue au loin, et seule, l'annonce de son arrivée jetait la terreur parmi les populations. De Douarnenez il résolut de faire une expédition à Penmarc'h dont il avait entendu vanter les richesses. Pour ne rien laisser au hasard et mieux préparer, les travaux d'approche, il voulut étudier le terrain par lui-même. Ce qui attirait tout particulièrement sa convoitise, c'étaient les navires de Kérity. Son fort de l'île Tristan pouvait soutenir avec avantage les attaques venant du côté de la terre, mais la mer restait libre. Les quelques bateaux que lui avait procurés la prise de Douarnenez n'étaient pas suffisants pour protéger les abords de son île contre une offensive des navires de Sourdéac, gouverneur pour le roi de la ville et du port de Brest. Il lui fallait donc d'autres vaisseaux pour accroître sa flotte. Kérity pouvait les fournir.

A cette époque Penmarc'h pouvait encore compter jusqu'à dix mille habitants sans parler de ses fils qui, vaillants marins, naviguaient au loin pour les nécessités de leur commerce. Au milieu des troubles de la guerre civile, cette paroisse avait réussi à constituer comme une république à part, gardant fièrement son indépendance à l'égard des partisans du roi ou de la Ligue.

La nouvelle des ravages causés par les troupes de La Fontenelle à Douarnenez et dans la région circonvoisine fit comprendre aux habitants de Penmarc'h que la neutralité seule ne constituait pas une sauvegarde. Ils résolurent de se défendre contre les attaques possibles du brigand de la Cornouaille. Leurs 2500 arquebusiers leur semblaient une force suffisante pour résister victorieusement aux assauts des soldats de l'île Tristan. Il ne fallait pas cependant songer à engager une lutte en rase campagne contre ces troupes plus habiles et plus aguerries. Le mieux était de se mettre à l'abri derrière des murs entourés de retranchements et de palissades. Ils se contentèrent donc de fortifier l'église paroissiale dont la masse imposante dominait au loin le pays, et de transformer en forteresse le manoir de Kérouzi, situé à l'entrée même de la ville de Kérity. Puis dans ces deux forts, ils enfermèrent toutes leurs richesses, transportant dans l'église jusqu'à leurs lits qu'ils disposèrent autour de la nef, et même tout près du maître-autel, « si près les uns des autres qu'ils s'entretouchaient ».

Mis au courant de ces faits par le rapport de ses espions et craignant de voir lui échapper une belle proie, comme Penmarc'h, La Fontenelle se décida à brusquer les événements. Toutefois, avant de préparer son expédition définitive, il voulait savoir au juste à quoi s'en tenir. Un matin du mois d'août, il partit, accompagné seulement de quinze à vingt de ses soldats vêtus comme lui en gentilshommes et sans aucune apparence de tenue militaire. Prirent-ils les chemins détournés, ou voyagèrent-ils séparément, tout en se donnant rendez-vous, à un endroit déterminé ? Il est de fait qu'ils arrivèrent au bourg de Tréoultré, sans que nulle part leur présence eût été signalée. Le jour de leur arrivée coincida-t-il avec le « pardon » de Notre-Dame de la Joie qui se célèbre le 15 août, fête qui attire chaque année à Penmarc'h une foule immense de pèlerins venus de toutes les paroisses de la presqu'île et d'au-delà ? Nous ne saurions le dire ; mais c'était certainement un dimanche ou un jour de fête, puisque les habitants se trouvaient si nombreux au bourg.

La Fontenelle et ses hommes se mêlèrent à la foule, devisant familièrement avec les paysans, et se montrant partout gais compagnons. Ils entrèrent dans les auberges, payant largement à boire aux clients déjà attablés, et aux autres que la curiosité y attirait. Pour écarter tout soupçon et laisser croire qu'ils étaient venus en simples promeneurs, ils s'approchèrent d'autres groupes qui s'amusaient sur la place et prirent part aux jeux de quilles qu'ils avaient organisés. Le jeu ne les empêchait pas de jeter, de temps à autre, des regards investigateurs sur les retranchements et palissades qui entouraient l'église et le cimetière. Ils purent sans inspirer de méfiance se rendre compte de l'état du fort et du nombre de ses défenseurs. A l'aide de quelques questions en apparence négligemment posées, ils essayèrent de se renseigner sur les richesses accumulées dans l'enceinte de la forteresse. Leur insistance à obtenir certaines informations et leur allure plus que suspecte finirent par donner l'éveil sur leur rôle d'espions. Les habitants virent là une occasion propice pour se débarrasser sans grands risques du capitaine-brigand et de sa bande. Le complot fut vite tramé, et sans un incident des plus futiles qui fit rater l'affaire, Penmarc'h mettait fin aux exploits de La Fontenelle.

« Ils en vinrent jusque-là, nous dit l'historien Moreau, qu'il fut sur le champ conclu de le tuer et tous les siens en ce jeu de quilles. Mais comme on s'acheminait à l'exécution, parmi grand nombre fort résolus, s'en trouva un qui était d'autorité parmi eux, qui saigna du nez et empêcha une défaite qui eût sauvé deux cent mille écus de dommage en Cornouaille et la vie à trente mille âmes dont La Fontenelle est coupable devant Dieu ». Le rusé capitaine mit à profit cet incident pour rallier ses hommes. Tous sautèrent rapidement en selle et s'enfuirent à bride abattue vers leur repaire de l'île Tristan.

Rentré à Douarnenez, La Fontenelle eut tout le loisir de combiner une nouvelle expédition, car il n'avait pas renoncé à l'idée de s'emparer de Penmarc'h, maintenant surtout qu'il connaissait le riche butin qu'il pouvait faire dans cette commune. Il se disait que les habitants perdraient bien vite le souvenir de sa première équipée, et qu'ils ne manqueraient pas de se départir de leur vigilance. Aussi quelques mois plus tard se mit-il en campagne, suivi cette fois de toutes ses troupes, à l'exception de quelques soldats qu'il jugea prudent de laisser en son absence, à la garde de l'île. Son dessein était de cacher sa marche aux communes voisines et de tomber à l'improviste sur Penmarc'h.

Mais à l'encontre de ses prévisions, sa venue avait été signalée. Dans la galerie du campanile central, comme au sommet de la grosse tour, il put voir une bande de défenseurs en armes, et derrière les palissades une foule nombreuse qui ne semblait pas disposée à capituler. Il lui fallait agir au plus vite et ne pas laisser le siège traîner en longueur pour ne pas être contraint à faire face à deux ennemis à la fois ; aux défenseurs de la citadelle et aux troupes des communes environnantes qui ne tarderaient pas à accourir au secours des assiégés. Il vit que ses soldats n'étaient pas en nombre pour emporter d'assaut le cimetière et l'église à travers les retranchements et les palissades qui les protégeaient ; mais l'habile capitaine n'était jamais à court d'expédients. Là où la force devait échouer, la ruse allait réussir.

Il donna ses instructions à l'un de ses officiers qu'il savait beau parleur, et le chargea en son nom de haranguer la foule. Celui-ci se rapprocha des palissades et manda aux assiégés qu'il avait à leur faire des communications importantes. Il leur déclara que son maître était venu à Penmarc'h sans aucun dessein hostile, qu'il était leur ami et ne demandait pas mieux que d'être leur protecteur. Si La Fontenelle s'était fait accompagner de ses soldats, c'était uniquement pour se défendre contre les communes voisines dont il connaissait les sentiments d'animosité à son égard. Bref, il parla si bien que les assiégés, amadoués par ses paroles flatteuses et ses protestations d'amitié, avaient quitté leur poste de défense pour mieux entendre sa harangue. Quand La Fontenelle vit le côté nord de la forteresse dégarni de ses défenseurs, il jugea le moment venu pour l'attaque. Il fît signe à ses soldats d'escalader les palissades et de pénétrer dans l'enceinte du cimetière. L'ennemi était déjà dans la place que les habitants n'étaient pas encore revenus de leur stupeur. Ils voulurent en vain regagner leur poste et se saisir de leurs armes ; mais l'attaque avait été si brusque, qu'ils se trouvèrent sans défense devant des soldats si bien armés et ivres de butin. Ils furent en grand nombre tués ou faits prisonniers.

Restait encore à prendre l'église où s'était réfugiée la population et que défendaient de nombreux arquebusiers. Les troupes du brigand durent pour y pénétrer, pratiquer une brèche dans les murailles de la nef latérale nord. Ce fut alors un terrible massacre. Quelques-uns cependant des assiégés réussirent à se sauver en montant dans les galeries des clochers. L'ennemi n'osa s'aventurer dans les escaliers étroits des tours que quelques hommes suffisaient à défendre : mais il essaya, en brûlant des branches vertes au bas des escaliers, d'enfumer les derniers défenseurs. Les meurtrières du campanile central et de la grosse tour situées à l'intérieur de l'église gardent encore des traces de cette manoeuvre des bandits.

Le chanoine Moreau, contemporain des événements, en nous racontant ce siège, ajoute que ce fort aurait pu tenir contre toute la puissance de La Fontenelle, « s'il y eut eu avec ces badauds six ou sept hommes de guerre ».

Le but du brigand n'était pas encore complètement atteint. Il savait que le fort dont il venait de se rendre maître était le plus important et le mieux défendu, et que les autres, disséminés dans la paroisse, ne pourraient lui opposer de résistance sérieuse. Il se hâta de conduire ses troupes devant la citadelle de Kérouzi, à l'entrée de la ville de Kérity et somma les défenseurs de se rendre. Les marins braves et expérimentés, à bord de leurs bateaux, pour un combat d'abordage, étaient moins habiles dans la tactique d'une bataille sur terre. Leur tempérament impulsif et leur humeur bouillante ne pouvaient s'accommoder des ruses et des lenteurs d'un siège. Au récit des atrocités commises dans l'église paroissiale, ils décidèrent de se rendre à condition d'avoir la vie sauve. Il y a tout lieu de croire que le potentat de l'île Tristan qui n'était pas à une félonie près, se garda de respecter les accords de la capitulation.

Combien de personnes périrent dans ce désastre de Penmarc'h ? Sourdéac, dans ses Mémoires que cite dom Taillandier, nous dit avoir appris des habitants que La Fontenelle, « avait fait mourir dans les tourments plus de cinq mille paysans et brûler plus de deux mille maisons. Il avait pillé et emporté tous les meubles de quelque nature qu'ils fussent, déshonoré et fait déshonorer toutes les femmes et les filles depuis l'âge de dix-sept ans... ». Sourdéac avait en La Fontenelle un redoutable adversaire qui lui avait fait parfois subir d'humiliants échecs. Aussi nous est-il permis de suspecter son témoignage quand il parle d'un ennemi dont, en toute occasion, il prend plaisir à charger la mémoire. « Il avait, dit-on, l'imagination vive et voyait facilement dix là où il n'y avait qu'un. Ce n'est pas le seul passage de ses Mémoires qui contienne des exagérations » (G. de Carné, Correspondance des Ligueurs bretons, tome II, p. 179). Le brigand de la Cornouaille a la conscience souillée d'assez de meurtres et de viols historiquement prouvés, pour que nous n'allions pas, sur un témoignage d'une partialité reconnue, la charger d'avantage. Sourdéac est d'ailleurs le seul auteur contemporain qui parle d'un nombre déterminé de personnes de Penmarc'h que le seigneur de « l'île Guyon, » ait fait périr. L'historien Moreau qui vivait à la même époque ajoute, après avoir raconté la prise des deux forteresses : « Je n'ai pas su le nombre des morts de Penmarc'h, tant il y a que la plupart de la tuerie fut dans l'église qui formait comme le donjon de leurs forts ». Il nous dit cependant que les soldats, après s'être emparés de l'église paroissiale, massacrèrent en masse les habitants, « ils en tuèrent tant qu'il leur plut, et le reste fut retenu prisonnier ».

La Fontenelle emporta un immense butin de son expédition à Penmarc'h. Les riches de l'endroit, et ils étaient nombreux, pleins de confiance dans les 2500 arquebusiers de leur commune, n'avaient pas cru utile d'agir comme ceux d'Audierne et du Cap-Sizun, qui avaient mis leurs biens en sûreté à Brest. Ils s'étaient retirés avec toutes leurs richesses dans les deux forts qu'ils avaient cru rendre imprenables. Leur défaite amena la perte de tous ces biens, « et surtout de grande quantité de navires, bateaux et barques, plus de trois cents de tous volumes dans lesquels La Fontenelle, aaynt fait charger le butin, les fit rendre à son fort de Douarnenez. ». Si, par ailleurs, il leur restait encore quelques ressources, elles ne purent leur servir qu'à payer la rançon exigée par leur terrible geôlier, quand du moins les oubliettes de l'île Tristan consentaient à lâcher leur proie. On frémit à l'idée des tortures infligées aux prisonniers détenus dans ces geôles.

« Les uns moururent misérablement en des cachots infects, comme gardes-robes et latrines, et après une infinité de tourments qu'on leur faisait tous les jours, tantôt les faisant seoir sur un trépied à cuir nu qui les brûlait jusques aux os, tantôt au coeur de l'hiver et aux plus grandes froidures, les mettant tout nus dedans des pipes pleines d'eau glacée, comme dit l'Ecriture : a calore nimium, a frigore nimium. Et ceux qui avaient quelque moyen de payer rançon telle qu'il demandait, néanmoins étant dehors, ne pouvaient guère vivre pour les grands tourments qu'ils avaient endurés. Fort peu en échappaient qu'ils mourussent en prison, et ne pouvaient autrement arriver s'ils y demeuraient trois ou quatre jours, car ils étaient si pressés en nombre qu'ils ne pouvaient aucunement se remuer, et n'avaient autre chose à se reposer que leurs excréments où ils trempaient bien souvent jusqu'aux genoux, et n'avaient d'autre sépulture après leur mort que le ventre des poissons, car sitôt qu'ils étaient trépassés, leurs compagnons prisonniers étaient commandés de les jeter à la mer, si mieux n'aimaient laisser les corps parmi eux, et ceux qui les traînaient ainsi étaient peu après eux-mêmes traînés morts par leurs compagnons » (Ch. Moreau, op. cit).

Quelle vision d'horreur dans ce tableau réaliste des tortures infligées à ses victimes par le cynique geôlier de l'île Tristan ! Ce n'est plus, « le folâtre Guyon... » mais bien : « La Fontenelle chrétien de nom et turc en effet, » selon les expressions de son ancien condiciple au collège de Boncourt à Paris, le chanoine et historien Moreau.

La Fontenelle, après s'être emparé de Penmarc'h, ne se contenta pas des déprédations commises dans cette paroisse. Il vit que c'était là un poste important d'où il pourrait en maître parcourir le pays en tous sens, et faire sur mer comme sur terre des opérations fructueuses de brigandage. Il établit une forte garnison au château de Kérouzi dont il fit fortifier les défenses et confia la garde de cette place à une bande de soldats choisis parmi l'élite de ses troupes. L'occupation de Penmarc'h et de Douarnenez mettait toute la Basse-Cornouaille à sa merci, et constituait pour la ville de Quimper une menace permanente. Ses troupes de Kérity terrorisaient tout le pays, dévastant les campagnes, et à l'aide de quelques navires laissés en leur pouvoir, faisaient des incursions le long des côtes, capturant, au profit de leur maître, les vaisseaux marchands et leur cargaison. Avec de pareils forbans à demeure, les industries naguère si florissantes disparurent et tout commerce devint impossible.

Le brigand de la Cornouaille était arrivé à ses fins en se rendant maître de la place et du port de Penmarc'h. Il voulait se constituer une flotte de guerre pour mettre son île à l'abri de toute attaque venant du port de Brest. Les armateurs de Kérity, en capitulant au fort de Kérouzi, avaient dû pour avoir la vie sauve, lui livrer leurs navires. C'est ainsi que La Fontenelle put disposer d'une flotte de sept vaisseaux bien armés dont il confia le commandement au capitaine Orange. Celui-ci gouvernait le vaisseau l'Amiral, ainsi rebaptisé sans doute en son honneur, tandis qu'un autre de ses capitaines, la Roche-aux-Ramiers, commandait la Marie. C'est cette flotte, augmentée encore de quelques unités par suite de nouvelles prises maritimes, que le fameux brigand était disposé à mettre en 1597 au service du roi d'Espagne. Nous lisons, en effet, dans une lettre de Mendo de Ledesmas à son souverain. « J'ai sondé un gentilhomme que l'on appelle Fontenelle ; il a huit à dix navires de guerre bien armés, et il me dit qu'il en aura plus de douze, et qu'il est résolu à servir Votre Majesté. Il m'a proposé, s'il plaisait à V. M. de les joindre à ceux que V. M. enverra d'autre part » (G. de Carné. Correspondance des Ligueurs bretons avec l'Espagne).

La puissance du seigneur de l'île Tristan devenait de plus en plus redoutable. Outre ses navires de guerre, il avait sous ses ordres et à sa solde, plus de quinze cents hommes de troupe dont cent chevaux légers et deux cents arquebusiers à cheval. C'est en vain que, pour le déloger de son repaire, Sourdéac fera appel aux garnisons appartenant au roi dans les villes de la Basse-Bretagne, depuis Brest et Pont-l'Abbé jusqu'à Guingamp et Lannion. L'île puissamment fortifiée et défendue par de vaillants soldats et un habile capitaine sut opposer une résistance victorieuse à tous les assauts des assiégeants. Si l'expédition du gouverneur de Brest subit un échec à Douarnenez, elle eut un résultat plus heureux à Penmarc'h. Pour venir à bout de son terrible adversaire, Sourdéac avait résolu de le bloquer dans son île. Mais s'il ne voulait pas voir son armée prise entre deux feux, il lui fallait d'abord s'emparer de Penmarc'h où La Fontenelle avait, depuis 1595, établi une forte garnison.

A la tête d'une troupe nombreuse munie de six pièces d'artillerie, Sourdéac partit de Brest en mai 1597, pour mettre le siège devant le château de Kérouzi, citadelle de Kérity. La place, mise en état de défense et gardée par une élite de soldats, pouvait tenir longtemps. Ces brigands ne pouvaient pas ignorer le sort qui les attendait, s'ils tombaient au pouvoir de l'ennemi. Aussi, plutôt que de se rendre, étaient-ils décidés à se faire tuer jusqu'au dernier. Les premières attaques échouèrent ; mais décidé à mener rapidement l'affaire, Sourdéac fit avancer pendant la nuit ses pièces d'artillerie qui se mirent au point du jour à canonner l'un des bastions couvrant le pignon du château. Les assiégés, après avoir essuyé quelques volées de coups de canons, désertèrent ce poste trop périlleux pour se retirer à l'intérieur de la citadelle. C'est alors que Sourdéac fit tirer sur le pignon même, et à travers la brêche pratiquée dans le mur, lança ses troupes à l'assaut. La lutte fut des plus sanglantes, mais les brigands durent succomber sous le nombre. Tous, à l'exception de soixante ou quatre-vingts, furent passés au fil de l'épée. La moitié des survivants fut pendue pour servir d'exemple aux autres pillards de la région. Le reste fut remis en liberté, sous la promesse de vivre en gens de bien et de servir fidèlement le roi. La reprise de Penmarc'h par Sourdéac eut lieu vers le 18 mai 1597.

Au mois d'avril suivant, La Fontenelle faisait sa soumission à Henri IV, et obtenait du roi la garde du fort de l'île Tristan. Quatre ans plus tard, il était décrété d'arrestation pour complot avec l'Espagne contre la sûreté de la France. Son procès instruit par le Grand Conseil du roi à Paris le 13 septembre 1602 fut rapidement mené. L'arrêt définitif prononcé le 27 du même mois fut exécuté le soir même. La Fontenelle, lié sur une claie, fut traîné de la prison du Petit-Chatelet à travers les rues de Paris jusqu'à la place de Grève où enfin il expia ses forfaits (Voir Chanoine Moreau, op. cit. J. Baudry. La Fontenelle. Le Ligueur et Mémoires de Sourdeac, cités par Dom Taillandier). (F. Quiniou).

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