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PAIMPOL ET SES ASPIRATIONS D'INDEPENDANCE AU XVIIIème SIECLE

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Le XVIIIème siècle marquera une évolution importante dans la vie de la Trêve paimpolaise.

Depuis le 30 janvier 1699, « la commune des Marchands de Paimpol » a obtenu par ordonnance royale un authentique blason, « un navire d'argent à l'ancre sur fond d'azur ». Négociants et armateurs pratiquent le commerce par mer qui s'intensifiera surtout dans la seconde partie du XVIIIème siècle. Leur influence se manifestera comme prépondérante sur le menu peuple paimpolais. Après une lacune de 1691 à 1704 dans les registres des délibérations des habitants, celui qui s'ouvre en 1704 change la dénomination de l'assemblée des délibérants. Il ne s'agit plus, comme de 1689 à 1691, d'un cahier destiné uniquement à la Fabrique ; il devra « insérer les délibérations du Corps et Communauté des Nobles bourgeois, manants et habitants la ville de Paimpol en Gouélou », car une laïcisation s'est produite. L'assemblée des Bourgeois remplace la Fabrique, les pouvoirs passent de l'autorité religieuse à l'autorité laïque. Les assemblées ne se tiendront plus dans une chambre au-dessus de la sacristie, mais dans l'auditoire situé sur la place du Martray [Note : Cet immeuble appartenant à la famille de Soubise sera dévolu à la Nation sous la Révolution]. La Fabrique n'aura plus qu'une compétence restreinte et s'occupera surtout du temporel de l'église, c'est-à-dire les finances du sanctuaire [Note : Bien que Paimpol possède donc une communauté municipale, les habitants au titre de paroissiens sont représentés par le Général qui administre les biens de la Fabrique, les revenus ordinaires et casuels. Il était expressément défendu même aux recteurs de recevoir, de gérer sous quelque prétexte que ce fût les revenus et deniers appartenant aux Fabriques. Mais l'activité du Général ne se limitera pas à cette occupation. Dans le gouvernement extérieur du temporel de la paroisse, il devra assurer l'égail ou répartition de l'impôt entre les paroissiens et la nomination des collecteurs. (Cf. M. DURTELLE DE SAINT-AUVEUR, Histoire de Bretagne, tome II, chapitre IX, Les institutions bretonnes à la fin de l'Ancien Régime. VI, Organisation municipale : les communautés des villes. Les Généraux des paroisses, p. 204)].

Pour la première fois apparaît, en 1704, un magistrat municipal qui préside de droit les délibérations du Corps et Communauté de la ville : le Syndic perpétuel chargé de gérer les intérêts de la cité avec l'aide d'officiers municipaux.

Cet office de Syndic, création de la Monarchie à la fin du XVIIème, début du XVIIIème siècle, est une source de revenus pour le Trésor royal réduit à ces expédients financiers.

Le premier titulaire, Pierre Gaultier de Kerveschou [Note : A sa mort en 1718, la charge demeura vacante. On ne sait pour quelle raison, ni pour quelle durée. La charge était-elle trop onéreuse pour trouver acquéreur ? En tout cas, en 1760, le Syndic sera présent à la pose des premières pierres de la tour de l'église], aura quelque mal à faire reconnaître sa prééminence. Les juges et le procureur fiscal de Paimpol prétendirent s'approprier certaines attributions du Syndic : droit d'indiquer, de diriger les assemblées de la Communauté et de tenir le livre des délibérations. Le Syndic dut obtenir un arrêt du Parlement en date du 29 avril 1705 pour faire respecter ses prérogatives.

Bien que la même année le Syndic et le Général aient été assignés ensemble pour le paiement d'une somme de 200 livres 2 sols à la suite de la suppression, à Paimpol, « d'offices généraux, commissaires, contrôleurs et visiteurs des manufactures et des concierges, gardes des bureaux aux draps et aux toiles » créés en 1704, la scission semble effectuée entre les deux administrations paroissiale et municipale. Mais quelle sera la réaction de Plounez devant la naissance de cette autorité laïque indépendante de l'antique paroisse mère ? On l'ignore, mais on constate que seul le Sénéchal de Paimpol a paraphé le registre des délibérations de la communauté paimpolaise. Celui de Kerraoul ne semble pas avoir protesté, ces assemblées ne concernant plus la Fabrique de l'église.

Paimpol se trouve donc dans une situation administrative hybride.

Au point de vue religieux, la trève dépend encore de Plounez, tandis qu'au point de vue « civil » elle ne lui est plus reliée par aucun lien de sujétion. Encore un siècle et Paimpol aura conquis toutes ses franchises. Mais d'ici son érection en paroisse autonome que de contestations et de différends vont troubler les relations entre Paimpolais et Plounéziens !

La première délibération de la communauté, le 24 février 1704, a trait à un procès entre Paimpol et le recteur de Plounez qui, ayant réclamé aux paroissiens de la trève leur quote-part aux réparations de son presbytère, les fit condamner par un arrêt de 1703 à une somme de 215 livres.

Dans l'été suivant, il faut l'intervention du sergent royal Le Drollec pour le recouvrement d'une somme de 600 livres due au recteur [Note : Une somme aussi importante que nous avons déjà rencontrée en 1690 semble exorbitante. Mais il faut se rappeler que sous l'Ancien Régime les paroisses ne disposaient d'aucune source régulière de revenus. Comme les charges n'admettent pas non plus de prévision, il faut dans chaque cas procéder à une « levée de deniers », c'est-à-dire une taxe imposée aux propriétaires de la paroisse. Ces impositions se faisaient sur autorisation donnée par le Parlement jusqu'à concurrence d'une somme de 600 livres. Au delà de ce tarif, il fallait un arrêt du Parlement. (Cf. M. DURTELLE DE SAINT-SAUVEUR, Histoire de Bretagne, tome II, p. 211.) Pour atteindre plus sûrement le montant de la dette, les magistrats paimpolais fixèrent-ils la levée au maximum permis Ou prévoyaient-ils pouvoir se constituer une réserve, une fois l'amende payée, dans l'hypothèse où celle-ci serait inférieure à 600 livres ?].

Il ne semble pas que le procès se termine rapidement. En 1707, les hommes de lois menacent de poursuites les adversaires du recteur, M. Le Coagueller, pour des paiements non effectués.

D'autres « procès actuellement pendants » décident encore les Paimpolais a solliciter l'autorisation de s'imposer de 600 livres.

L'année suivante, le Général se voit infliger un « dédommagement au regard du pied fourché » de 920 livres. C'était une nouvelle taxe sur les bêtes de boucherie. Le Général réussit à éviter cette imposition et à la verser au compte des seuls bouchers.

Mais les ennuis de toutes sortes ne manquent pas au Général, la plupart venant des impôts dont il gardait la charge de la répartition et il existait encore, en 1927, une liasse portant cette inscription : « Procès du Général » [Note : M. LE CHAPELAIN, feuilleton n. 43]. Pendant tout ce XVIIIème siècle d'ailleurs, les Paimpolais se débattent contre une fiscalité toujours plus excessive, qui irrite les contribuables de plus en plus rebelles [Note : Paimpol n'a pas le privilège exclusif de fréquenter les tribunaux en ce XVIIIème siècle. Au-dessous de la Cour Royale de Saint-Brieuc dont les décisions étaient susceptibles d'appel devant la cour de Rennes, l'Auditoire de Paimpol abritait quelque 14 justices !

Le Comté du Goëlo, haute justice.

L'Ile de Bréhat, haute justice.

Le Dannot en Plourivo : haute, moyenne et basse justice.

Le Porzou, Kerraoul en Yvias, haute justice.

Le Cosquer en Plourivo, haute justice.

Kerhuel en Plourivo, haute justice.

Moulouarn en Plourivo, haute justice.

Lanvignec, haute justice.

Plourivo, haute justice.

Plounez, haute justice.

Plouézec, haute justice.

Ploubazlanec + Kérity + Perros, haute justice.

Kerraoul en Plounez, haute justice.

Lannevez, moyenne justice.

La haute justice de l'abbaye de Beauport n'avait pas son siège à Paimpol.

On comprendra facilement que ces juridictions seigneuriales ne représentent bien souvent, surtout depuis le moyen âge, que des prérogatives honorifiques, les tribunaux royaux attirant la plupart des litiges].

Mais d'autres besoins, et moins profanes, occupent le Général de la trève.

Dès 1705, on a constaté à l'église des vols fréquents de « devants d'autels, nappes et autres ornements ». Aussi, décide-t-on, de « faire renfermer les dits autels au-dedans du choeur et pour y parvenir, de faire transporter les cloisons qui sont à présent sous les cloches, plus haut jusques aux arcades estantes au devant des autels de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, saint Jean et saint Vincent, sans toutefois que ce renfermement et ce changement puisse nuire aux tombes des particuliers ni à leurs enfeux ».

Deux ans plus tard, il faut refaire une partie de la charpente de l'église.

En 1729, l'agglomération ne compte que 140 maisons. On en déduit que la population n'est pas très considérable. Il faut néanmoins, en 1730, agrandir l'église probablement encombrée par les tombes avec leurs accoudoirs et les nombreux autels. On édifie alors le bras de croix appelé « Chapelle de la Trinité » dont le pignon exigera une reconstruction en 1739-1740. La sacristie renouvelle son mobilier et l'on achète 2 grands calices en 1743-1744.

L'église tréviale retire ses ressources, comme par le passé, de ses rentes en froment dont la cotation ou « apprécy » se fait « chaque jour de la Chandeleur tant en l'église de Kérity qu'en celle Notre-Dame de Paimpol ». Les usages se maintiennent donc et la fête de la Purification de la Vierge rassemble les Paimpolais en assez grand nombre pour déterminer le maintien de cette date en vue d'une publication aussi importante.

Dès 1706, la piété eucharistique se manifeste dans une donation de Marie Le Poul, veuve du sieur de la Noë-Bernard. Elle fonde une rente de 15 livres sur sa maison de Porzou, sise sur la place du Martray « pour dotation d'un salut tous les jeudis dans l'église de Paimpol » [Note : Cette cérémonie s'est maintenue jusqu'à nos jours. Une fondation de 1680 avait exigé une bénédiction du Saint Sacrement le jeudi de chaque semaine]. Elle réclame de plus un De Profundis à l'issue de la bénédiction du Saint-Sacrement.

La dévotion du Rosaire n'a pas faibli et en 1723, par exemple, « le Vicaire et ses confrères » reçoivent 27 livres tournois par an pour une messe chantée à l'autel de la Confrérie tous les samedis. La comptabilité rigoureuse du trésorier de cet autel exigera d'ailleurs du célébrant un reçu pour chaque honoraire perçu. C'est peut-être cette gestion minutieuse qui permettra, en 1724, d'envisager un « devis de l'ouvrage du Saint Rosaire et de l'encastillure de l'autel » s'élevant à 305 livres, tant on se préoccupe d'en faire une oeuvre artistique, soignée et ruisselante de dorures [Note : D'après ce devis, l'autel du Rosaire était orné des statues de saint Nicodème et sainte Marguerite qui se trouvent actuellement sous le porche de l'église]. Mais la confiance des Paimpolais dans leurs dévotions habituelles ne les empêche pas de s'adresser dans des cas exceptionnels au grand thaumaturge du pays trécorrois et, en 1723, une procession de pèlerins précédés de la Croix, bannière déployée, s'en alla « visiter l'église de Saint-Yves à Tréguier » pour demander à Dieu un temps favorable aux biens de la terre [Note : La Fabrique a versé 20 sols aux porteurs de la croix et de la bannière].

Sauf ces quelques témoignages et les fondations qui continuent à prouver le désir des Paimpolais de se faire inhumer dans l'église de Notre-Dame, il est pratiquement impossible, faute de documents, de connaître la vie chrétienne qui animait à cette époque la population tréviale, les rédacteurs de comptes et de délibérations ne s'intéressant guère à la pratique religieuse des paroissiens. D'autres soucis hantent leurs esprits, du fait surtout des rapports entre Plounez et Paimpol. Les difficultés ne leur manqueront pas pour tenter de concilier, d'une part, les droits canoniquement légitimes de la paroisse-mère et de l'autre, les aspirations d'indépendance que manifeste la trève dont la contexture administrative au point de vue religieux tend fatalement à briser les liens d'une tutelle admissible autrefois, mais superflue désormais.

Une réponse du Général de Paimpol à une requête du Général de Plounez, en date du 20 avril 1739, éclaire les rapports entre la paroisse et sa trève [Note : Il s'agit des réparations au presbytère de Plounez laissé en mauvais état par M. Le Goagueller, recteur, décédé en 1728. Les délibérants de Plounez ayant payé les dépenses voulaient y faire participer « les tréviens » de Paimpol].

Malgré les fausses allégations du Général de Plounez, « le Général des habitants de la ville de Paimpol n'a jamais prétendu faire un corps séparé de celui de Plounez de façon qu'il en soit en tout totalement indépendant. Il a convenu que quant au spirituel, Paimpol et Plounez ne font qu'un, parce qu'ils n'ont qu'un seul et même recteur ».

L'unité de recteur fait donc l'unité de la paroisse et Paimpol doit respecter les liens juridiques qui rattachent ce hameau à la paroisse d'origine. Mais là se borne la subordination, soutient le Général, car, nonobstant cette dépendance religieuse, Paimpol « a son gouvernement particulier et indépendant pour le temporel : sa prétention en cela est fondée sur la notoriété publique que le Général de Plounez n'a osé contester et même sur l'arrêt de la cour du 31 mars 1703 qu'il oppose au Général des habitants de la ville de Paimpol ».

Il ressort de cet arrêt que le recteur de Plounez « a la supériorité sur les fonctions curiales, sur l'église et en la ville de Paimpol ». Il peut donc ordonner aux prêtres, marguilliers et autres, de lui remettre, s'il le requiert, les clefs du tabernacle, des fonts baptismaux, de la sacristie, des ornements liturgiques, des archives et des livres de délibérations. Il a en outre qualité pour défendre aux habitants de Paimpol de « procéder à la réception et examen des comptes des marguilliers de leur église et administrateurs de leur hôpital sans en avoir fait avertir le recteur d'y assister ».

Ce même arrêt prouve « par une suite de conséquences nécessaires », dit le rédacteur, que Paimpol possède une église, un hôpital, un tabernacle, des fonts baptismaux, une sacristie, des ornements, que la Trève est desservie par « des prêtres et entre autres un qui est vicaire, autrement curé, que stipendie le chapitre de Saint-Brieuc présentateur de la cure et décimateur en la paroisse ». On fait à Paimpol les fonctions curiales, les habitants y nomment marguilliers, trésoriers, et délibérateurs, dont ils reçoivent et examinent les comptes.

La ville, qui possède ses archives propres, a ses « mandements, égailleurs et collecteurs privatifs pour les levées de fouages, capitations et de toutes autres impositions ». Le Général de Plounez n'a pas osé contester ces dernières prérogatives. Poursuivant l'exégèse de l'arrêt de 1703, les Paimpolais maintiennent que « tout cela est particulier au Général de la ville de Paimpol, que celui de Plounez n'y entre pour rien et que leur gouvernement entre eux est indépendant l'un de l'autre, surtout en ce qui regarde le temporel et les levées, quoique les deux soient contribuables aux levées, mais pour leurs portions séparées et distinctes ».

La séparation entre le spirituel et le temporel est donc très nette. Pour le spirituel, le recteur de Plounez est aussi recteur des Paimpolais. Lorsqu'il s'agit du temporel, en l'occurrence les fonds de l'église tréviale, le Général de Paimpol jouit d'une autonomie absolue dans sa gestion. Sans doute le recteur, membre de droit du Général de Paimpol, détient certaines prérogatives énumérées plus haut, au titre de recteur de Plounez et Paimpol, mais non pas au titre de membre du Général de Plounez, délégué par ce dernier auprès du Général de Paimpol. En résumé et pour clarifier cette situation compliquée, le Général de Plounez et celui de Paimpol gèrent les affaires temporelles de leurs deux églises respectives indépendamment l'une de l'autre. Le recteur fait partie des deux assemblées au même titre dans l'une et dans l'autre.

Il est vrai pourtant, reconnaissent les Paimpolais, que l'arrêt de 1703 les condamna à participer pour une somme de 215 livres aux réparations du presbytère de Plounez, mais on distingua la part de Paimpol de celle de Plounez ; « la ville de Paimpol ne fut pas alors censée comprise sous le nom collectif du Général de Plounez ni en être pour le temporel tellement réputée un membre qu'elle fût de droit soumise aux lois et aux obligations que le Général de Plounez s'imposait ».

Pour toutes ces raisons, appuyées sur l'arrêt de 1703 qui établissait la distinction entre Paimpol et Plounez en ce qui concerne le temporel, les Paimpolais refusent d'endosser la responsabilité des délibérations « imprudentes et non réfléchies » du Général de Plounez, auxquelles ils n'ont même pas assisté. Ils ne veulent surtout pas répondre des conventions trop onéreuses, ni tenir les engagements trop dispendieux passés entre le Général de Plounez et les entrepreneurs qui ont réparé le presbytère après le décès du recteur en 1728.

Malgré le bien fondé de son argumentation et l'âpreté de sa défense, la Trêve, condamnée en 1741, devra supporter une partie des dépenses.

Il va sans dire que ces différends envenimaient les relations entre Paimpolais et Plounéziens. C'est pourquoi probablement le sanctuaire de Notre-Dame de Paimpol se trouve sans prêtre en fin d'année 1743.

Aussi, le 5 janvier 1744, des « délibérants faisaient la plus saine maire voix (?) et le Général de la ville de Paimpol, assemblés en corps politiques en l'auditoire, lieu ordinaire à faire les délibérations » se préoccupent de la question. Ils s'inspirent d'une suggestion faite le dimanche précédent par « M. Morvan, prêtre de cette ville » [Note : Paimpol au temps d'Islande, tome I, p. 34, note 83. Ce prêtre originaire de Paimpol ou retiré en ville sans fonction pastorale y aurait incidemment assuré le service dominical ?. En 1754, on retrouve sa signature à l'acte de baptême de Nicolas Armez à Paimpol], à l'issue de la messe et veulent « obliger notre recteur à nous donner un vicaire en lieu et place de M. Quilgars, lequel nous a quitté il y a environ 3 semaines ».

Faute de prêtre, les fidèles manquent la messe et ne peuvent ni se confesser, ni, en danger de mort, remettre leur testament à un prêtre qualifié pour le recevoir. Et pourtant un arrêt de la cour de 1704 oblige le recteur à fournir un vicaire à la Trève. Le Chapitre de la cathédrale de Saint-Brieuc lui verse d'ailleurs dans ce but la somme de 150 livres par an. Les délibérants décident à l'unanimité « que le sieur Armez du Poulpry fasse faire à requête du Général de cette ville une sommation par deux notaires ou trois sergents » au recteur de Plounez. En cas de refus, ils se pourvoiront auprès du Parlement.

D'ores et déjà ils demandent « d'arrêter aux mains du receveur du Chapitre » les 150 livres destinées au vicaire « avec deffense de les donner au sieur Recteur sous peine de payer deux fois » !

Quel accueil recevra cette démarche auprès de l'autoritaire pasteur de la paroisse mère ?

Dès le 7 janvier 1744, M. Rolland du Vieux Chastel, « recteur de Plounez-Paimpol », écrit à M. Armez.

« Je serois charmé que M. le Grand Vicaire eût la bonté de nous donner un curé à Paimpol comme il me l'a promis, autre que de cette paroisse, parce que les deux que nous avons dans notre campagne sont très nécessaires. Je lui ay demandé cette grâce : le curé qui viendra sera paiez au prorata. Voilà ce que je puis vous assurer ».

Cette diplomatique compréhension aidant, on a tout lieu de croire que la ville obtint gain de cause, puisque, de l'aveu du recteur lui-même, la Trève nécessitait la présence d'un prêtre indépendant du clergé de Plounez.

L'église tréviale, en effet, a bien sa vie propre dans la pratique quotidienne et dans les fonctions habituelles.

Chaque autel, ou tout au moins ceux qui attirent la plus grande dévotion des Paimpolais, ont leurs trésoriers ou quêteurs nommés par les « délibérans ordinaires ».

En 1744, Gilles Le Lechvien remplace le sieur Armez du Poulpry et assure ce service pour l'autel du Rosaire, sieur Allain Guillou pour celui de saint Jean, sieur Jean Blaize pour celui de la Trinité, et sieur Philippe Conan pour celui de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle.

Les rentes en froment se payent en argent suivant la cotation, que les juges des juridictions de Paimpol, de Kerraoul et « Messieurs les délibérans » font tous les ans au portail de l'église à l'issue de la grand'messe, le 2 février, jour et fête de la Purification de la Vierge. Ces rentes, spécifient Pierre Berthier et Jean-Pierre Laboureur, trésoriers en 1748, sont dues au terme de la Saint-Michel, « mais on ne peut les percevoir qu'à celuy de la Chandeleur, à cause du retardement de l'apprécy ».

La mesure marchande du Goëlo contient 14 godets et la mesure pleine 16 godets.

A cette époque une discussion, qui traîne de 1748 à 1751, met aux prises M. Bécherel, vicaire de Paimpol, et les titulaires des bancs de l'église qui n'en acquittent pas régulièrement la location [Note : Une supplique du Général de la ville au Parlement de Bretagne en 1746 révèle que l'église de Paimpol n'a que peu ou presque pas de revenus ; ils ne suffisent même pas à payer le luminaire pour les messes d'enterrement et les services. Les ornements ont besoin de réparations et devraient être changés vu leur mauvais état qui provient du fait qu'on fournit ornements et luminaire gratuitement à tous les prêtres qui viennent célébrer à Paimpol. Le Général cherche alors des impositions : 2 sols aux prêtres qui diront la messe. 10 sols pour les enterrements de « grands corps » si la famille exige la croix en argent. 5 sols s'il s'agit d'enfants de moins de 12 ans. 5 sols pour le drap mortuaire. 5 sols pour le grand glas. 12 livres pour sonner le grand glas matin et soir pendant un an. Il ne semble pas que ces ressources aient suffi, pour remettre à l'aise les finances de l'église. En 1747, une nouvelle requête au Parlement demande d'obliger les titulaires des bancs de l'église à payer « 5 sols par pied de banc et par chaise » sous peine d'avoir à enlever leurs sièges].

Mais dans cette seconde moitié du XVIIIème, Paimpol va grandir grâce à l'industrie de la pêche de la morue à Terre-Neuve.

L'évolution se poursuit, malgré les revendications de Plounez de maintenir sa sujétion, et cette croissance de la ville se manifestera de différentes manières.

Dès la délibération du 3 janvier 1751, le sieur Philippe Conan, « ancien trésorier, délibérant et député du Général, conjointement avec le sieur Jacques le Pommellec, autre ancien trésorier et délibérant », rend son compte en charge et décharge à « Messieurs les Bourgeois délibérans et Général de la ville de Paimpol, pour acheter et faire venir à Paimpol des pierres de taille en vue d'une tour que l'on se propose de bâtir sur l'église ».

Pendant l'exercice de leurs fonctions, les deux trésoriers ont reçu, en 1750, du trésorier de 1747, la somme de 405 livres 6 sols 4 deniers, en 1751, de la Veuve et enfants de Jean Blaize, trésorier de l'autel de la Trinité, 118 livres 15 sols et en 1751 du sieur Bertier l'aîné, l'un des trésoriers de 1748, 300 livres à valoir sur le reliquat de son compte.

Le comptable prend également en charge la somme de 467 livres, « net produit des offrandes faites à l'autel de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle dont il est trésorier depuis le 10 juin 1743 jusqu'au 30 janvier 1751 ».

Le trésorier « finalement se charge de la somme de 684 livres 9 sols 11 deniers qu'il prit aux archives le 25 juin 1752 ».

Au total, sa charge s'élève à 1.975 livres 11 deniers 3 sols. Dans sa décharge, Philippe Conan récapitule ses dépenses au travers desquelles on voit toutes les démarches, voyages, travaux, achats que suppose la fourniture des matériaux de la tour.

Les deux comptables commencèrent par un voyage à Lannion et « l'Isle au Grand », l'Ile Grande, réputée pour l'excellence de ses granits. Une seconde délégation, composée « des députés » et d'un tailleur de pierres, Jacques Mauffray, s'y rendit à son tour. A l'issue de cette expédition, un mémoire détermina « le nombre et la grandeur des quartiers de pierres qu'il convenait d'acheter ».

Mais il semble que les Paimpolais aient abandonné le projet de se fournir à l'Ile Grande. Les 10, 11, 12 mai 1751, les comptables vont à Saint-Brieuc pour acheter de M. de Kerraoul-Vittu les pierres de taille du pavillon de la Hacquemorée, en exécution d'une délibération du 9 mai 1751. L'achat s'élève à 600 livres dont Conan paie 420 livres et Pommellec 180 livres « des deniers de l'hôpital ».

Pour la démolition de ce pavillon, il a fallu payer aux ouvriers pendant 13 jours des salaires élevés « n'en ayant pu trouver à moindre prix, attendu le temps de la récolte ». On a même dû engager un soldat qui rentrait de l'armée.

Mais les Paimpolais ne sont pas au bout de leurs peines.

Le pavillon de la Hacquemorée se trouve situé dans les environs de Saint-Brieuc [Note : L'article 111 du compte révèle que le comptable a dû obtenir la permission, moyennant 4 livres, de déposer « les pierres froides » de l'édifice « proche une pièce de terre située à la jonction du chemin de Saint-Brieuc à Châtelaudren et à Lanvollon »]. Aussi Philippe Conan se voit-il obligé d'aller « faire publier dans les 7 paroisses circonvoisines de Saint-Brieuc, le transport de pierres de la Hacquemorée au havre du Légué ». Ces bannies, effectuées par les prêtres, se font moyennant 5 sols chacune.

On peut alors relever dans le compte la présence des charretiers de Cesson, Saint-Michel, Ploufragan, Langueux, Plouagat, Trémuson, Plérin, La Méaugon. Les transports défoncèrent le chemin de la Hacquemorée au point que Paimpol dut en assurer la réfection pour la somme de 4 livres. L'absence du comptable sur le chantier de démolition engagea les charretiers à ralentir le travail. C'est pourquoi « Maître Bertier, procureur de la Fabrique et du Général de Paimpol, étant à Saint-Brieuc, établit Yves Le Masson, sergent pour y veiller et renvoyer les charretiers qui se ménageaient trop ». Le comptable revint sur les lieux pour surveiller les travaux.

En plus de ces ennuis, voici que le recteur de Trégueux, agissant « pour feu M. de la Bretauhe qui soutenait n'avoir vendu à M. de Kersain que les pierres de taille », s'oppose à la vente des pierres de moellon. Le comptable fait bannir par le tambour de la ville de Saint-Brieuc la vente de ces pierres de moellon !

Le transport des pierres du pavillon requit quelque 376 charretées au tarif de 2 livres chacune.

Rendues au Légué, les pierres sont traînées sur le bord de la grève avant l'embarquement au prix d'un travail pénible rétribué à raison de 3 livres par jour.

C'est par mer que les pierres de taille parviendront à Paimpol. Le 18 août 1750, Hervé Allain, maître de gabarre de Roscoff, prend une charge de 18 tonneaux pour 24 livres. D'autres navires perçoivent 18 livres, 84 livres, 54 livres, etc.

Le tonnage des bateaux semble modeste. Seul, celui de Guillaume Le Porger représente 33 tonneaux, soit un fret de 132 livres.

Pour payer toutes ces dépenses, on voit intervenir à leur tour les offrandes de l'autel de Saint-Jean, dont le trésorier Allain Guillon verse 120 livres pour 30 tonneaux de pierres du Légué à Paimpol. Sans compter les déchargements « effectués mal à propos par les maîtres des barques dans le canal du port de Paimpol », le transport des pierres du point de débarquement au cimetière coûte 135 livres.

Finalement, le trésorier Philippe Conan présente, le 7 juillet 1759, un compte déficitaire, de 64 livres 1 sol 3 deniers, la charge s'élevant à 1.975 livres 11,3 et la décharge à 2.039 livres 12,6.

Pendant que le Général de la Fabrique se préoccupe ainsi d'amener par mer, à pied d'oeuvre, les pierres de granit de la lointaine contrée briochine, les fidèles reçoivent du Pape Benoît XIV un bref d'autel privilégié pour la Confrérie du Rosaire daté du 17 juin 1752 [Note : Des brefs antérieurs remontent à 1619, 1678, 1713, 1734].

Le Souverain Pontife veut « orner de ce don spécial l'église de Notre-Dame de Paimpol et l'autel de la Confrérie du Rosaire sise en icelle église non ornée pour le présent d'un semblable privilège ». En conséquence, dit le texte, « accordons et permettons que toutes les fois que quelque prêtre séculier ou régulier célébrera au prédit autel la messe des défunts, le jour de la Commémoration des défunts et tous les jours pendant l'octave et le vendredi de chaque semaine, pour l'âme de quelque confrère et sœur de la dite Confrérie qui est décédé dans le Seigneur, cette âme même gagne du Trésor de l'Eglise l'indulgence par manière de suffrage, de sorte que participant aux mérites de N.-S. J.-C., de la Bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints, elle soit délivrée des peines du Purgatoire. Nonobstant toutes choses à ce contraires, les présentes lettres valables pour 7 ans ». Donné à Castel Gandolphe, Dioc. d'Albano.

La décoration de l'église se poursuit et au mois de mars 1752, la Communauté du Bon Pasteur de Saint-Servan fournit une garniture de devant d'autel qui répond à toutes les exigences « tant de la beauté que de la durée » et un pied de roses qui sont « toutes les plus belles » que confectionnent ses religieuses.

On a vu par ailleurs le projet de Paimpolais de bâtir une tour et leurs efforts pour se procurer des pierres de construction. Le 1er mars 1760, après la messe chantée par Messire François Le Bourhis, vicaire de Paimpol, « sur les 10 à 11 heures du matin », devant Henri Nicol, Sénéchal et seul juge de la juridiction et châtellenie de Kerraoul, assisté de Laurent Le Goff, greffier, en présence de René-Gabriel Dommiou, procureur fiscal, Escuyer Louis-Armand Vittu, seigneur de Kerraoul en la ville de Paimpol et dans les paroisses d'Yvias, Kérity et Plouézec, demeurant en son manoir de Kerfort, paroisse d'Yvias, seigneur fondateur et haut justicier de l'église, du cimetière et de l'hôpital de Paimpol, mit, revêtue de ses armes et de celles de son épouse Marie-Anne Geslin, la première pierre « dans le fondement de la tour que le Général des Bourgeois et habitants de la ville de Paimpol fait construire au bas de l'église d'icelle ».

Vénérable et discret Messire Jean Maignou, sieur recteur de Plounez posa la seconde pierre ornée d'un calice. Noble Homme Armand Le Bigot, sieur du Gouerlan, syndic de Paimpol, la troisième, et Pierre Mat, trésorier de l'église de Paimpol, la quatrième. Ces deux dernières pierres portaient « en lettres relevées » la troisième le nom de « Jésus » et la quatrième celui de « Maria ».

Cinq ans plus tard, une délibération engage les trésoriers en charge à s'entendre avec les entrepreneurs de la tour, Le Gallic et Lageat pour débiter des pierres de taille à l'Ile Grande en vue de couronner la tour d'une flèche, érigée effectivement entre 1765 et 1780 [Note : On conclut de cette double construction que les Paimpolais ont dû détruire auparavant la tour élevée en 1549-1550, tout en conservant les vieux matériaux que l'on reconnaît encore aujourd'hui].

Dès 1768 en tout cas, vient occuper l'édifice une cloche de 804 kilos, portant cette phrase : « j'ai été nommée par Jacques Le Pommelec, négociant et armateur, et par demoiselle Anne Le Siffer, 1768 ». A-t-on conservé les deux cloches de 1625 et 1686 ?

Au pays de Bretagne plus qu'en tout autre peut-être, le clocher est signe de puissance et d'indépendance. C'est parce qu'elle a grandi que la ville de Paimpol va réclamer des privilèges et tenter de conquérir sa liberté en ce dernier quart du XVIIIème siècle.

En 1773, un conflit éclate et exige la présence du Grand Vicaire. Son intervention ne réussit pas à « convertir les pempolés... ces endurcis... ces méchantes ouailles... ces testu de bas-breton ». Après en avoir jeté 32 en prison, on craint encore « d'avoir recour à Dame Justice ... et les Gens du Roy sont sur pieds pour tacher de réduire à la raison... ce peuple rebelle » [Note : Lettre du sieur Rouault à M. Armez de Villepierre, appartenant à M. Louis Bocher. Communication de M. le chanoine Le Jeune, recteur de Ploubazlanec].

On ignore le motif de cette révolte paimpolaise (la fiscalité royale probablement ?).

En réponse à un mémoire de M. Le Pouliquen de Kerloch, en date du 10 janvier 1779, le Conseil de la Cour de Rennes étudie les revendications des Paimpolais, et les solutions qu'elles comportent.

Il ressort du texte que la trève cherche à obtenir un second prêtre pour aider le vicaire.

Le Conseil consulté établit d'abord que Paimpol réunit les caractères qui constituent une succursale sans en porter le nom. Elle possède les fonts baptismaux, un cimetière, un territoire renfermant un peuple nombreux représenté par un corps politique qui s'assemble, délibère, tient des registres, reçoit des mandements particuliers pour la perception des impositions royales. Elle a en outre la célébration du service divin tous les dimanches et fêtes, « telles sont les marques qui prouvent et attestent les qualités d'une église tréviale ».

« Cette qualité étant certaine », le moyen le plus convenable et le plus naturel pour obtenir un second prêtre serait de faire ériger l'église de Paimpol en paroisse.

L'usage ne permet pas en effet d'établir un second vicaire dans une succursale, bien que l'évêque ait, sans aucun doute, le pouvoir, selon la déclaration du Roi du 29 janvier 1686, de doter les paroisses d'un ou de plusieurs vicaires, s'il le juge nécessaire. Mais une succursale est déjà par définition une aide à la paroisse, comme l'indique son nom même « et les habitants d'une succursale ne peuvent régulièrement demander un second prêtre qu'en prouvant la nécessité d'ériger leur église en paroisse ».

Les principales causes qui justifient semblable érection consistent dans les difficultés des chemins, l'éloignement de la paroisse, l'impossibilité pour les femmes, les enfants, les vieillards, les infirmes, de se rendre pendant l'hiver à « l'église-matrice ».

Mais il faut avant tout que la succursale puisse tirer argument du grand nombre de ses habitants.

Voilà les conditions que doivent remplir les Paimpolais s'ils veulent obtenir gain de cause.

Or, le mémoire de M. Le Pouliquen établit que « toutes ces causes existent ». Le territoire de Paimpol [Note : Ce territoire très restreint (15 hectares environ) était délimité à l'est par la mer, au sud par l'étang, au nord par la grève de Poul-Goïc, et à l'ouest par une ligne qui irait de Kerdinan à Tournebride. Cf. les plans que nous avons reproduits dans Paimpol au temps d'Islande, tome I, fig. 6, p. 64 et fig. 9, p. 80] contient de 1.500 à 1.600 communiants : d'autre part « une forte demi-lieue » séparé Paimpol de Plounez, aussi une partie des habitants risque-t-elle de « perdre la messe », vu « surtout la difficulté des chemins ».

Les Paimpolais auraient donc d'excellentes raisons de solliciter l'érection de leur trève en paroisse, avec de grandes chances de succès.

Mais pour procéder à la création d'une nouvelle cure il leur faudra observer différentes formalités.

La première démarche consistera à constater « le voeu général des habitants » favorables à cette transformation canonique. Il sera indispensable ensuite de « construire une nouvelle église ou d'accroître celle qui existe si elle n'a pas une grandeur suffisante » et de bâtir un presbytère. Comme « ces charges incomberont aux propriétaires » une délibération expresse doit consigner leur consentement et leurs suffrages.

Une assemblée générale précédée de deux avertissements et publications, de quinzaine en quinzaine, devra réunir non seulement tous les membres qui composent le Corps politique, mais tous les Notables et les propriétaires. L'assemblée, présidée par les juges des lieux, exprimera dans sa délibération les divers motifs qui doivent déterminer l'érection.

Une requête, à laquelle on joindra, la délibération, sera alors adressée à l'évêque de Saint-Brieuc. « On y conclura à ce qu'il lui plaise se transporter sur les lieux ou nommer un Commissaire à fin de faire avec des experts une information de commodo et incommodo ».

Il faudra en outre appeler les parties intéressées, le Chapitre de Saint-Brieuc en qualité de gros décimateur, le collateur ou Patron de la cure de Plounez, le recteur et le Général de cette paroisse.

Après l'observation de ces formalités, l'évêque accordera le décret d'érection ; pour constituer la dotation de la nouvelle cure, il déterminera sur les dîmes du territoire de Paimpol les « portions congrues » du nouveau recteur et de son curé (vicaire) conformément aux écrits et déclarations du Roi.

En cas d'opposition de la part des décimateurs ou autres, l'évêque doit renvoyer les parties devant l'Officialité, « parce qu'il ne peut exercer que la juridiction volontaire et non la contentieuse ».

Si l'évêque refuse d'ériger Paimpol en paroisse, « on a lieu d'espérer qu'il nommera un second curé » pour le service de la trève et surtout pour célébrer la messe dominicale du matin. Ce prêtre sera payé sur les dîmes de sa portion congrue.

En tout cas, les conseillers rennais dissuadent les Paimpolais de « former subsidiairement la demande d'un second curé dans leur requête », car c'est à l'évêque, qui a le droit d'ériger une nouvelle cure, d'accorder aux habitants « moins qu'ils ne demandent », en se bornant à leur donner un second vicaire.

Au surplus, l'arrêt de la Cour en forme de règlement du 21 février 1773, défendant toute levée ou imposition sur les habitants pour la célébration des messes du matin, il n'y a pas d'apparence qu'on puisse obtenir de la Cour une permission d'effectuer une levée sur la trève de Paimpol pour « stipendier » un prêtre. Mais si le besoin d'un vicaire supplémentaire est réel, « comme tout l'annonce, sa rétribution est une charge naturelle des dîmes : elles ont été établies pour fournir aux paroissiens tous les secours nécessaires, l'équité ne permet pas de la grever par des contributions nouvelles ».

Mais, non contents de cet avantage, les Paimpolais veulent de plus en plus secouer la tutelle du recteur de Plounez. Ils consultent en 1782 la Cour de Rennes pour savoir s'ils ne peuvent obtenir l'annulation de l'Arrêt du 31 mars 1703 (cf. supra) qui établissait d'une manière non équivoque les droits du recteur sur la trêve. Mais c'est là « une loy irréfragable qui a fixé et déterminé les droits du recteur de Plounez sur ceux de la trêve de Paimpol. Il conserve cette trêve sous la dépendance de l'église-matrice ». En conséquence, l'arrêt accorde au recteur tout pouvoir et toute autorité pour nommer lui-même le prêtre desservant de la trêve. Le recteur peut accomplir les fonctions curiales quand il lui plaira, requérir la remise des clefs du tabernacle, des fonts baptismaux, etc., « même du registre des délibérations et assister à la reddition des comptes de Fabrique de l'église de Paimpol ». C'est donc en vain que le Général de la trêve solliciterait de la Cour l'autorisation de répéter les bans de mariage à Paimpol, chose que lui défend l'arrêt de 1703, sauf assentiment écrit du recteur.

Il en serait de même pour la Communion pascale, l'arrêt de 1703 ayant ordonné à tous les habitants de Paimpol de satisfaire au précepte dans l'église de Plounez, avec interdiction formelle au vicaire d'administrer cette communion sauf permission écrite du recteur. L'évêque lui-même ne pourrait accorder ce privilège à la trêve sans risquer de se voir entraîné dans « un procès considérable » par le recteur ; celui-ci se prétendrait avec raison le seul juge des dispenses à donner aux pascalisants paimpolais selon leur âge ou leur état de santé. D'ailleurs, précisent les juristes rennais, « les habitants d'une succursale ne sont point dégagés de la soumission à leur église-mère ». D'autre part, rappellent-ils, « la communion pascale à la paroisse est un droit ancien imposé aux chrétiens par tous les conciles », droit auquel l'évêque ne pourrait porter atteinte, même si une loi souveraine ne venait borner ses pouvoirs.

Il en résulte que chaque Paimpolais « doit consulter ses propres forces, communiquer sa faiblesse à son recteur et obtenir de lui une permission par écrit de faire sa Pâque à la trêve... Cette permission sera une exception à la règle générale dont il n'est pas possible d'obtenir une dispense en faveur de l'universalité ».

Quant aux publications de mariage, si le vicaire veut répéter à Paimpol les trois bannies réglementaires faites de droit à Plounez, seul le recteur peut lui en accorder l'autorisation. S'il accepte une bannie supplémentaire à Paimpol, il faudra provoquer une délibération, établir par écrit son consentement qu'il devra signer. « On arrêtera ainsi qu'à l'avenir il sera fait dans l'église de la trêve, sous le bon plaisir de la Cour, une bannie de chaque mariage servant de répétition des trois bannies faites à la paroisse ».

« Le Général présentera sa requête au Parlement pour demander l'homologation de cette décision ». Ainsi, cette solution comblera le voeu du Général et sauvegardera les droits du recteur. Mais ce ne sera toutefois « qu'une possession de tolérance » qui ne pourra acquérir de prescription. Cette permission, d'ailleurs, n'aura d'effet que du vivant du recteur et on devra la faire renouveler par son successeur.

Que de difficultés administratives rencontrent les fidèles pour essayer de transformer dans la pratique leur sanctuaire trévial en église paroissiale ! Ces obstacles ne semblent pourtant pas les décourager.

Ils demandent en outre la permission de chanter les vêpres dans leur église et de faire les processions des Rogations.

Comme on l'a vu, en 1635, l'évêque de Saint-Brieuc accorda la permission de chanter la grand-messe à Paimpol. Mais, en 1703, le recteur de Plounez se pourvut en appel sous le prétexte qu'il y avait dans cette disposition épiscopale une atteinte à ses droits.

Cette réclamation lui valut une condamnation à 75 livres d'amende. Il semble donc que les tréviens obtiendront facilement du prélat la faculté de célébrer les vêpres à Paimpol, car « tout ce qui concerne l'office divin est du ressort de la juridiction spirituelle. Les mêmes motifs d'éloignement » vaudront en la circonstance. D'ailleurs « il faut observer que les vêpres ne sont pas de précepte comme la grande messe », d'où une plus grande facilité pour obtenir cette faveur.

Pour les Rogations, la question exige un « approfondissement particulier » et les conseillers rennais se bornent à de prudentes interrogations. Sans doute la permission épiscopale de 1635 autorise à Paimpol « toutes processions accoutumées dans les églises tréviales », mais y comprend-on les Rogations ? L'église-matrice n'a-t-elle point la possession de quelque droit particulier sur la trêve ? « Le clergé de Plounez n'est-il point dans l'usage de venir chanter la grande messe à Paimpol ? Celui de Paimpol n'est-il point dans l'usage d'aller se rendre sous la croix de celui de Plounez ? ». Si ces usages ou même un seul existaient, la demande projetée n'aurait aucune chance d'aboutir, car la permission de l'évêque « donnerait atteinte à un possessoire et serait abusive, car la possession est une règle souveraine en cette matière ».

Dans de pareilles dispositions, les pouvoirs du recteur de Plounez sur la trève semblent exorbitants. Il ne s'en contente d'ailleurs pas, et en 1785 il prétend percevoir un droit curial et un honoraire sur les services qui se célèbrent à l'autel du Rosaire.

Le Général de l'église de Paimpol invoque alors auprès de l'évêque tes brefs d'indulgences qui remontent à 1678, sous le pontificat d'Innocent XI, et qu'on vient de renouveler en 1782. D'ailleurs, dit-il, ces « petits services » ont lieu à l'autel privilégié du Rosaire « de tems immémorial » et non au maître-autel.

La question des publications de mariage n'est pas encore réglée, car « lors de l'érection de la trève, la mère-paroisse s'est réservée tous les droits dont elle est en possession ». La bannie à Paimpol ne dispensera probablement pas des publications à Plounez et l'on aurait peut-être tendance à assimiler ces bans de mariage aux annonces officielles des ventes de biens. Or « les appropriements seraient nuls s'ils n'étaient pas faits à la mère-paroisse ».

Le recteur de Plounez a même poussé sa juridiction, malgré les droits de la succursale, jusqu'à lui enlever ses registres de baptêmes et de sépultures [Note : Les mariages se célébraient donc à Plounez de droit, et à Paimpol avec la permission du recteur].

Il prétend, en outre, percevoir un honoraire sur chaque service « solennel ou ordinaire » qui se célèbre à Paimpol, qu'il y assiste ou non. Le Général de Paimpol répond à ces prétentions, que l'absence du recteur le prive de cet honoraire, bien qu'il lui reconnaisse « des droits d'étole » pour les enterrements. Mais la distinction est bien spécieuse et bien dangereuse, lui avouent des hommes de loi, qu'il a consultés et qui lui déconseillent « d'entreprendre un procès aussi douteux parce que les frais sont toujours considérables ».

Il semble donc que la dépendance qui relie Paimpol à Plounez engendre de perpétuelles contestations, des procès sans fin et sans cesse renaissants. On a vraiment une impression pénible en relisant ces vénérables et abondantes paperasses. D'un côté, Plounez défend ses prérogatives généralement sources de revenus, et de l'autre Paimpol cherche à protéger ses « tréviens » contre cette fiscalité paroissiale et ces tracasseries sans nombre.

Malgré ces discussions, les Paimpolais s'appliquent à embellir leur église. En 1787, ils ornent le maître-autel d'une belle boiserie et procèdent à la réfection des lambris du bas-côté du Rosaire.

Les délibérants se réunissent pour mettre de l'ordre dans la comptabilité de l'église, recevoir les comptes du vicaire et des trésoriers de 1784, poursuivre les débiteurs de rentes non acquittées [Note : Le Sommier des rentes rédigé en 1780, p. 411, contient cette phrase du rédacteur « Je connais des paroisses où les fondations se sont très bien conservé, mais on a agi tout autrement quicy. Le Général y est une Marthe et les titulaires des Magdelaine ». En 1788, la Fabrique possédera 2.538 livres], prévenir par trois bannies consécutives tous ceux ou celles qui prétendent avoir des droits d'armoiries dans les vitraux de l'église ou des droits de tombes et enfeux, de bancs ou d'accoudoirs, etc. Tous ces titulaires devront dans le délai d'un mois produire leurs titres et justifier leur propriété.

Si l'on croit les registres des baptêmes, mariages et sépultures, on ne trouve après la signature de M. Le Bourhis, vicaire jusqu'en 1767, que celle du recteur M. de Visdeloup en 1768 et 1769. La trêve semble donc privée de la présence d'un desservant attitré. En 1769, M. Lemée, qui signe d'abord « prêtre » puis « curé », se verra adjoindre, à partir de 1770, l'abbé Gloux, lui aussi vicaire de Paimpol. Désormais, la trêve possède deux prêtres.

Mais, en 1787, l'abbé du Fay, « second prêtre en la ville de Paimpol », va quitter cette fonction [Note : L'abbé du Fay devint aumônier de l'hôpital de Saint-Yves de Rennes].

Le Général, dans sa délibération du 23 septembre, se préoccupe de demander un remplaçant nécessaire pour la messe matinale. Mais voici que le recteur de Plounez se présente à l'assemblée et, chose stupéfiante ! il s'offre à venir habiter Paimpol « pour obvier aux embarras » et mettre un terme à toutes les difficultés. Il propose de payer de ses deniers son successeur à Plounez. Les Paimpolais avouent que cette solution leur procurerait un « avantage considérable ». La trêve compte alors 1.800 communiants, d'où la nécessité d'un second prêtre à demeure. La situation paradoxale de la trêve, aussi importante désormais que sa paroisse-mère, se normaliserait ainsi et le renversement hiérarchique assurerait à la cité sa pleine et entière liberté.

Le Général, d'un commun accord, écrit à l'évêque pour lui faire part de la proposition du pasteur de Plounez.

L'évêque accuse réception de la requête du Général qu'il a reçue le 14 octobre 1787. Il assure qu'il a été « édifié à nouveau de la conduite du sieur de Fay, prêtre, qui a dignement secondé le sieur Caro dans le desservice de l'importante succursale de Paimpol ». Il décide néanmoins que M. de Visdeloup demeurera en son domicile habituel de Plounez, tandis que le prélat promet de pourvoir au remplacement de l'abbé Du Fay par la nomination « d'un prêtre secondaire avec les mêmes honoraires ». L'évêque termine en s'avouant très touché de la confiance que lui témoignent « les utiles armateurs, négociants et autres dignes habitans de Paimpol ».

Le 25 novembre, les Paimpolais remercient le Prélat de sa compréhension et de sa promesse qui ne sera pourtant pas tenue de sitôt, puisque à trois reprises au moins, en avril et juin 1788, ils réitéreront leur demande d'un prêtre supplémentaire eu égard aux 1.800 âmes qui peuplent la quasi-paroisse. Pour convaincre l'évêque de l'importance démographique de la succursale, le Général lui propose de recenser « tous les habitants situés dans la cordée de Paimpol ».

Ces échecs ne découragent pas les tréviens qui sentent bien, et l'expriment d'ailleurs à l'évêque dès le 27 avril 1788, la nécessité d'ériger Paimpol en paroisse. L'érection trancherait tous les différends avec Plounez et doterait automatiquement la succursale de deux prêtres résidents.

Pour réaliser leurs voeux et obtenir cette transformation canonique, les Paimpolais devront remplir les minutieuses formalités que requiert l'imposant appareil juridique.

Les préliminaires de l'enquête de commodo et incommodo mentionnent une requête des sieurs Ernis et Alain Le Bigot, une autre requête des habitants de la ville, une ordonnance de l'évêque du 28 juin 1788, un réquisitoire du 30 octobre du sieur du Manoir, promoteur du diocèse, une ordonnance du 7 novembre du commissaire épiscopal.

Le jeudi 4 décembre 1788, Frère Pierre Baschamps, prieur recteur de Pordic, y demeurant, commissaire de Mgr Regnauld de Bellescize, vient à Paimpol pour effectuer l'enquête de commodo et incommodo. Il est assisté du « notaire du Roi et apostolique » François Léart, greffier de l'Officialité de Saint-Brieuc, en remplacement de Denis de la Garde récusé parce qu'il est l'un des signataires de la requête.

A l'heure dite, « 8 heures du matin », le Commissaire se rend à l'hôtel de Florentin-Jacques Denis de la Garde. Il fait comparaître devant lui « Nobles gens Jacques-François Ernis et Alain Le Bigot », commissaires et procurateurs du Général de la ville de Paimpol, « aux fins de la délibération du 27 avril dernier contrôlée en cette ville le 1er mai ».

Maître Pierre-Louis du Porzou, avocat au Parlement, assiste les sieurs Ernis et Le Bigot. Comparaissent ensuite Messire François Boulard, prêtre chanoine de la cathédrale de Saint-Brieuc, porteur d'une procuration du Chapitre et d'une autre de Messire Jérôme-François de la Noüe, « archidiacre de Gouello ». Ces « parties intéressées en la demande formulée par la requête du Général de Paimpol » ont été appelées par exploits des huissiers Cornillet et Lasbleiz, sur ordre du commissaire. En vue de les déposer au secrétariat de l'Evêché, le greffier adjoint reçoit alors ces assignations et les procès-verbaux des quatre bannies et affiches, signés de trois huissiers et de leurs assistants, contrôlés à Paimpol et à Saint-Brieuc.

Ces formalités terminées, comme les autres parties intéressées ne comparaissent pas malgré la convocation qu'elles ont reçue, le commissaire « supercéde » pendant une heure et demie. A 9 heures et demie, il décide de poursuivre sans attendre davantage.

MM. Ernis et Le Bigot « persistant aux conclusions de leur sus­dite requête, requièrent qu'il leur en soit décerné acte, ainsi que du dépôt qu'ils ont fait aux mains de notre adjoint tant de la susdite requête que de la délibération du Général du 27 avril 1788 ». Après leur avoir donné satisfaction, le commissaire procède à la réception des déclarations des parties. Mais, sur une intervention de Ernis et Le Bigot, il procède d'abord à l'audition des témoins.

Ces témoins sont :

Messires Jean Le Kerhic, recteur de Plourivo ;

François Foëzon, prêtre demeurant à Plounez ;

François Le Coniat, curé de Lanvignec ;

Guillaume Couffon, écuyer sieur de Trévros demeurant à Plouézec ;

Jean Pasquier, capitaine général des fermes du Roi, de Paimpol ;

Pierre Caro, capitaine de patache des mêmes fermes, de Paimpol ;

Joseph Jacob du Porzou, ancien capitaine garde-côte, de Plounez ;

Yves Rolland du Savazou, d'Yvias ;

René Rolland de Kermen, de Paimpol.

(Ces témoins ont été assignés à la requête du promoteur du diocèse).

Puis viennent : Jean-Marie Rolland de Kerillis, de Lanvignec ;

Yves Julou, maître poulieur, de Paimpol ;

Messire Simon Féger, curé de Plounez [Note : C'est-à-dire « vicaire » au même sens que précédemment, puisque le recteur est nommé plus loin], assignés par exploit d'huissier le 22 novembre.

François Tarin, Louis Frété, et Jean Perrot, assignés par exploit d'huissier « de ce jour », attestent la maladie actuelle de Laurent Le Goaster.

A ce moment, se présente écuyer Guillaume-Louis Vittu, seigneur de Kerraoul et seigneur fondateur de l'église de Paimpol, « partie intéressée et assignée ».

Le commissaire demande alors aux parties si elles ont quelque motif de suspicion ou quelque reproche à faire entendre. Sur leur réponse négative, comme il est 10 heures et demie, il donne défaut contre Messire Guillaume de la Nouë, Messire Yves de Visdeloup, recteur de Plounez, et le Général de cette paroisse qui ne se présentent pas.

Les témoins prêtent alors serment de « dire la vérité sur les faits de la requête des habitants de Paimpol ». Les ecclésiastiques jurent « ad pectus et sur leurs saints ordres », les laïcs la main levée. On recueille leurs signatures, « sans que les qualités de parties puissent nuire ni préjudicier ».

Parties et témoins se retirent et le commissaire procède à l'audition de chacun de ceux-ci en particulier. Après avoir décliné son âge parfois approximatif, son domicile, il présente son assignation, prête serment de nouveau, déclare qu'il n'est « ni parent, ni allié, ni serviteur des parties », et affirme qu'il est « purgé de conseil, sollicitations, cause de faveur », qu'il n'est enfin « ni tenu, ni obligé, ni débiteur, ni créancier des parties ».

Après toutes ces formalités qui semblent bien longues, l'enquête du commissaire épiscopal contient les dépositions qui décrivent la situation comparative de Paimpol et Plounez. Ces témoignages ne concordent pas toujours. La population paimpolaise, d'après les uns, atteint 1.800 habitants, 1.500 selon Messire Le Kerhic, recteur de Plourivo, 1.200-1.300 au dire de Perrot de Plounez. Pour Plounez, les trois témoins originaires de cette paroisse, dont Féger, « curé », évaluent le nombre des communiants de 1.500 à 1.600.

D'autres renseignements percent à travers les affirmations des témoins.

L'église de Plounez est pauvre tandis que le riche sanctuaire trévial jouit, dit-on, de 1.000 à 1.200 livres de rente. Paimpol fait un commerce maritime « très considérable ». Il y aborde beaucoup d'étrangers. Il s'y trouve subdélégation, correspondance de la Commission, bureaux des Traites et de l'Amirauté, direction des Postes, commissaires de la Marine, en somme « tout ce qui caractérise une ville considérable ».

Yves Julou, maître poulieur, révèle que depuis 40 ans qu'il habite la ville, Paimpol a subi des transformations importantes : alors qu'autrefois il n'y avait dans le port qu'une gabarre et une chaloupe, le commerce et la marine « y font des progrès continuels » grâce aux armements de Terre-Neuve, et aux affrétements des négociants. La ville, à son avis, se trouve très peuplée, et tous les jours on y bâtit de nouvelles maisons. Les habitations ne suffisent plus pour abriter la population [Note : On relève : En 1673, 27 baptêmes, 4 mariages, 18 sépultures (les actes de mariage ont été rayés d'un grand trait). En 1693, 25 baptêmes, 1 mariage, 8 sépultures (le recteur a donné permission pour baptiser deux jumeaux, François et Madeleine Foëzon). En 1717, 41 baptêmes, 12 mariages, 13 sépultures. En 1780, 60 baptêmes, 7 mariages, 49 sépultures. En 1791, 64 baptêmes, 14 mariages, 69 sépultures. En 1793 an II, 97 naissances, 55 sépultures]. Depuis un demi-siècle, dit un autre, la ville a augmenté des deux tiers.

Paimpol enfin paie ses impositions à part, possède ses trésoriers, son Corps politique et plusieurs juridictions. Au point de vue économique, elle l'emporte donc sur Plounez et son administration gère ses intérêts comme dans une paroisse indépendante. Sa subordination dans le domaine cultuel et ecclésiastique, effective sur certains points, est inexistante sur d'autres. Les fonctions pastorales se font toutes dans l'église de Paimpol qui ne semble pas moins grande que celle de Plounez [Note : Plusieurs témoins affirment même que celle de Plounez est plus petite].

Le sanctuaire de Notre-Dame est toujours rempli à la messe matinale et à la grand-messe, les Paimpolais n'allant guère à Plounez à cause de la distance [Note : 266 cordes de 24 pieds, précise un témoin] et du mauvais état des routes. La population tréviale étant formée de négociants et de marins, ceux-ci, du fait de leurs nombreuses absences, laissent à la maison femmes et enfants auxquels « il serait préjudiciable et presque impossible de se rendre à Plounez ». D'ailleurs, par ses dimensions restreintes, l'église de Plounez, insuffisante pour les paroissiens, avoue F. Le Tarin, de Plounez pourtant, ne pourrait contenir en même temps Plounéziens et Paimpolais [Note : Selon les archives de Plounez, paroissiale, restaurée pourtant en 1818, se révélera insuffisante en 1885, pour une population de 1.900 à 2.000 habitants, la surface réservée aux fidèles ne représentant que 340 mètres carrés].

Un autre motif, d'ordre linguistique, empêche les tréviens de fréquenter les offices de la paroisse-mère. La ville, en effet, parle surtout français. Aussi, le vicaire de Paimpol fait-il les annonces et le prône en français comme les prédicateurs de carême leurs sermons. Il répète toutefois les annonces en breton, bien que beaucoup d'auditeurs « n'entendent pas le breton ».

A Plounez, par contre, on parle le breton dont on se sert évidemment en chaire pour les sermons, les publications, les bans de mariages et pour les appropriements, même quand ceux-ci intéressent les Paimpolais.

Néanmoins, l'église de Plounez a le privilège exclusif de la première communion des enfants, de la communion pascale, des publications de mariages. « Les noces et les mariages » ne se célèbrent à Paimpol que sur permission du recteur [Note : Les fiançailles par contre ont lieu à Paimpol devant le vicaire quelque temps avant le mariage. Les registres tenus à la trève, du moins si l'on en croit ceux qui y existent à partir de 1669, portent l'un le titre « Baptêmes et mariages » et l'autre « sépultures »]. Celui-ci exerce ses fonctions rectorales dans son église, bien qu'à différentes reprises il ait parfois dit la messe à Paimpol.

Quant aux conflits entre la paroisse et sa succursale, ils ont provoqué, disent les témoins, des faits regrettables. La messe matinale a souvent manqué à Paimpol, en 1787 surtout, par suite des discussions entre le recteur et le vicaire faute d'un second prêtre affecté à la trève. Les deux messes dominicales sont célébrées par le vicaire et un autre prêtre qu'il tâche de trouver parmi les ecclésiastiques, chargés de chapellenies dans les paroisses voisines et donc exempts de service paroissial.

Mais des incidents plus graves se sont produits, entre autres lors de la première Communion, « 3 ou 4 ans » auparavant. Un témoin a « ouï-dire que les enfants de Paimpol avaient été obligés de faire leur Première Communion dans le cimetière de Plounez, l'église ne pouvant contenir tous ceux qui s'y trouvaient ».

Pierre Caro précisera que son beau-frère qui conduisait les communiants « fut obligé de les faire sortir de l'église, des contestations s'étant élevées entre les paroissiens de Plounez et ceux de Paimpol ». Il y eut même des coups, affirme-t-il ! et Messire Foëzon, prêtre demeurant en son manoir de Plounez, a entendu lui aussi que les petits Paimpolais durent quitter l'église « pour ne pas être écrasés par la foule, il y a 3 ou 4 ans ».

En conséquence, comme le dit Messire Kerhic, recteur de Plourivo, l'érection de Paimpol en paroisse sera « grandement utile non seulement aux habitants, mais aussi au bien de la religion, parce que c'est le seul moyen de rétablir la paix et d'éteindre la rivalité qui existe entre Paimpol et Plounez ».

La première journée ne suffit pas pour entendre tous les témoins et à 5 heures du soir, le commissaire interrompit la séance pour la reprendre le lendemain à 8 heures.

Après les derniers témoins, comparurent les parties intéressées. L'abbé Boulard agissant pour le compte du Chapitre veut bien consentir à l'érection, pourvu que celle-ci n'occasionne aucune nouvelle charge d'entretien du futur recteur et de son vicaire.

Il demande au Général de Paimpol d'assurer un revenu de 1.200 livres à cette fin et de garantir le Chapitre contre toute sollicitation de supplément si ce revenu devient insuffisant. En qualité de procurateur de l'archidiacre du Goëlo, le même abbé Boulard accepte l'érection pourvu que Paimpol paye audit archidiacre, les droits de visite « à la manière ordinaire ».

Jean-Marie Le Pouliquen, procurateur de Messire Guillaume-Toussaint de la Nouë, seigneur fondateur de la paroisse de Plounez et présentateur de la cure de Plounez et de la « chapelle de Paimpol », s'oppose à l'érection à cause de son privilège exclusif de nomination d'un recteur ou curé tant de Plounez que de Paimpol. Il allègue que cette érection « réduirait à peu de chose la cure de Plounez », d'autant plus que ses propriétés de Plounez subiraient une charge supplémentaire pour les réparations, la reconstruction de l'église, du presbytère et pour l'entretien éventuel, par la paroisse de Plounez, d'enfants trouvés ou bâtards.

Florentin-Jacques-Denis de la Garde, procureur fiscal de Kerraoul et procurateur de Guillaume Vittu de Kerraoul, fondateur de l'église de Paimpol, admet évidemment l'érection « comme étant avantageuse et utile à la ville » tous ses droits de fondateur étant respectés [Note : Jusqu'à la Révolution, le seigneur de Kerraoul conservera ses prérogatives qui remontaient au moins au début du XIVème siècle. Ces privilèges se manifestaient entre autres par un usage séculaire en vertu duquel, la nuit de Noël, le Sire de Kerraoul prenait place au fond du choeur pendant l'office et recevait à la fin de la messe l'oie de Noël].

Les commissaires du Général durent ensuite répondre aux objections et exigences formulées par les parties intéressées. Ils ne purent sur-le-champ, faute de délibérations assurer le Chapitre du revenu de 1.200 livres.

Ils protestent en tout cas contre la qualification de « chapelle » dont le comte de la Nouë s'est servi pour désigner leur église tréviale. Ses prétentions sont mal fondées, car il n'a aucun droit de présentation à la cure de Paimpol, séparée de celle de Plounez. Tant qu'elle reste unie à Plounez, elle fait partie de la présentation de cette paroisse, mais, cette union brisée, M. de la Nouë cesse d'y avoir droit et qualité pour s'opposer à cette séparation parce que ni à titre de fief, ni à titre de fondateur, il n'a de droit sur Paimpol qui relève en proche fief de Kerraoul son fondateur.

En cas d'érection, Paimpol s'estimera déchargée de toute contribution envers Plounez. Et enfin, disent les commissaires, il ne s'agit pas en l'occurrence du tort ou du profit de M. de la Nouë, mais bien de l'utilité publique.

Le commissaire épiscopal se réserva d'aller lui-même se rendre compte des proportions des deux églises et de consigner par un procès-verbal les résultats de son enquête personnelle.

Le 9 décembre, il ajoutait à son rapport une déclaration du Général au sujet des revenus alloués au futur recteur de Paimpol. Les délibérants ont accepté de ne pas augmenter la charge du Chapitre, mais refusent toutefois le cautionnement exigé si le revenu de 1.200 livres ne suffit pas. Le délégué du Chapitre proteste évidemment. « Sur tout quoi avons renvoyé les parties se pourvoir », termine le commissaire épiscopal.

Qu'advint-il de cette enquête qui semblait pourtant favorable (sauf deux témoins plounéziens) à l'érection ? N'ayant pas obtenu satisfaction, le Chapitre de Saint-Brieuc fit-il échouer le projet ? Le seigneur de la Noüe se pourvut-il contre la requête des Paimpolais « exagérée et illégale » à son sens et obtint-il gain de cause ?

En tout cas, l'année suivante, le cahier des doléances du Tiers Etat de la ville de Paimpol reprend le projet d'érection, dans son assemblée, tenue le 6 avril 1789 à l'église, le lieu ordinaire des délibérations s'étant révélé trop exigu en la circonstance.

Les Paimpolais sollicitent de « la bonté paternelle du Roi » l'érection de leur église en paroisse, afin de mettre fin une fois pour toutes aux discussions qui surgissent entre les habitants, les Généraux, et les clergés des deux paroisses.

Ils voudraient un « pasteur spécial et inamovible, si nécessaire à l'instruction d'un peuple nombreux ».

A la veille de la Révolution, Paimpol, qui possède depuis le début du XVIIIème siècle son administration municipale absolument autonome, souffre de cette subordination à la paroisse-mère. Les armements morutiers et commerciaux ont apporté à la ville, depuis 1750 environ, avec la prospérité, une importance économique, démographique et administrative. En 1791, le Corps municipal se vantera que Paimpol se présente depuis Colbert, comme le centre d'un quartier maritime actif et vaste. Il a « dans son ressort 6 villes, 50 paroisses, 3 rivières, formant des ports de commerce et de, relâche ». Mise à part l'exagération paimpolaise, la petite cité a effectivement conquis une des premières places sur la côte bretonne septentrionale. Tréguier elle-même, la ville épiscopale, n'est qu'un sous-quartier de Paimpol.

Pourquoi, dès lors, maintenir la trève dans cet état de dépendance à l'égard de Plounez ? (abbé Jean Kerleveo).

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