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LE PAGUS DE BELZ ET LE DOYENNÉ DE POUBELZ

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Nos historiens et nos savants ont déjà exhumé de la poussière des vieilles chroniques et des cartulaires [Note : On appelle ainsi les livres sur lesquels étaient inscrits les chartes (carte) intéressant les églises et les monastères] toute une légion de petites contrées auxquelles nos pères donnaient, dans leur langue, le nom de pou, que les scribes du moyen âge traduisaient par le latin pagus, et dont les Français ont fait le mot pays. C'étaient, selon toutes les apparences, les restes des subdivisions des cités romaines, calquées elles-mêmes sur les antiques subdivisions territoriales des Gaulois, auxquelles les Bretons, redevenus libres aux Vème et VIème siècle, adaptèrent plus ou moins exactement leur organisation nationale restaurée. Tout le monde connait les pays de Pou-Aleth (pagus Alethensis), Pou-Her ou Pou-Kaer (pagus Civitatis), Pou-Tre-Coet ou Porhoet (pagus Trans-sylvam), etc. ; mais personne n'a songé jusqu'à présent à tirer de l'oubli un territoire du même genre dont la chronique de Saint-Brieuc nous révèle cependant assez clairement l'existence.

Voici ce qu'elle nous raconte. En l'an de grâce 1029 [Note : La chronique n'est pas datée, mais cet évènement est généralement rapporté à cette époque], la ville de Rennes vit accourir dans ses murs tout ce que la Bretagne avait de plus grands seigneurs. Le duc Allain III célébrait solennellement, à la manière des Bretons (more britannico), son heureuse union avec une jeune et noble princesse, Berthe, fille d'Odon, comte de Chartres et de Blois. Le peuple, encore tout meurtri des coups des étrangers que la veuve du dernier duc avait appelés pour l'aider à opprimer les sujets de son fils mineur [Note : On sait qu'un des plus beaux chants populaires recueillis par M. de la Villemarqué est consacré à célébrer les exploits des paysans soulevés par cette oppression, sous la conduite d'un des leurs, Kado­le-batailleur], saluait avec enthousiasme un évènement destiné à perpétuer la lignée des princes nationaux. La joie et l'allégresse étaient dans tous les cœurs.

Suivant l'antique coutume, il y eut de royales largesses. Après la cérémonie, le nouvel époux distribua aux grands et aux personnages de marque (proceribus et nobilibus) des souvenirs magnifiques. La chronique ne les détaille pas, mais nous savons que c'étaient ordinairement des hanaps d'or et d'argent [Note : Les paysans du Léon ont conservé jusqu'à ce jour ces vases d'argent, que les familles se transmettent de génération en génération, comme des souvenirs des ancêtres], des chevaux de prix, des armes et de riches parures. Pendant que les autres barons les reçoivent avec respect et reconnaissance, un seul les refuse dédaigneusement ; c'est le fier Alain Canhiart, le puissant comte de Cornouaille ; il ne veut pour présent de noces que le patrimoine de sa mère Gwineodon, dont on l'a injustement dépouillé pendant son jeune âge. La demande était juste, et Alain III aurait eu d'ailleurs mauvaise grâce à la refuser ce jour-là, car il devait la main de Berthe à son vassal, qui, non content de l'aider de ses conseils, avait poussé le dévouement jusqu'à ravir à main armée la jeune fille, et à la conduire sous escorte dans la capitale de la Bretagne. Ses biens lui furent donc rendus séance tenante, en présence de la Cour assemblée : c'étaient l'île de Gwadel (Belle-Ile), qu'il donna incontinent aux moines de Kemperlé, et un certain pagus appelé Beelz [Note : Reddens ei usulam gwadel cum pago qui dicitur Beelz. (Chron. Briocens. apud, D. Morice, Preuves, tome I, 34)].

Tous ceux qui ont fait mention de ce fait ont paru regarder le pagus, appelé Beelz, comme un bourg situé dans Belle-Ile même. La construction de la phrase de la Chronique indique cependant, à notre avis, une localité distincte de cette dernière. Une charte de l'an 1037, extraite du cartulaire de Redon (D. Morice, Preuves, t. 1, 363), vient même à l'appui de cette idée, en nous révélant l'existence au XI siècle d'une famille considérable portant le nom de Pou-Bels, dont les expressions latines pagus Beelz sont la traduction exacte.

Cet acte, curieux sous plusieurs rapports, nous montre Alain III tenant sa cour plénière dans l'île de Quiberon (aujourd'hui presqu'île), où il aimait à venir prendre les plaisirs de la chasse, et y confirmant, avec le consentement de ses barons, la donation de l’île de Locoal, faite à l'abbaye de Redon par un descendant des Northmans, appelé Gurki. Parmi les témoins, à côté de Robert de Vitré, d'Alain de Rieux, de Hervé de Lohéac, de Huelin d'Henbont, en un mot, des plus grands seigneurs du pays, on trouve un Guethenoc de Poubels dont le nom de famille ne peut certainement venir que d'une localité ou d'un fief quelconque.

Or, jusqu'à la révolution il a existé dans l'évêché de Vannes une circonscription ecclésiastique connue sous le nom de doyenné de Poubelz, par corruption Pontbelz [Note : Parmi les quittances délivrées aux exécuteurs testamentaires du duc Jean II en 1306 (trésors des Chartes des Ducs), il s'en trouve une où ce nom est écrit de manière à ne laisser aucun doute à cet égard]. Ne serait-ce pas le pagus que nous cherchons ? Nous n'hésiterons pas à l'affirmer, et nous avons tout lieu d'espérer que nos critiques les plus difficiles ne feront pas difficulté de lui accorder une place honorable dans la géographie des premiers siècles de la féodalité bretonne, à côté de ses frères aînés que nous avons nommés en commençant.

Ils n'auront pas, du reste, à en rougir, car, à en juger par l'étendue du doyenné, qui était, selon toutes les apparences, la même que celles du pagus, c'était un grand et beau fief, parfaitement arrondi, et digne de toutes façons d'avoir été donné en dot à l'épouse d'un comte de Cornouaille. Il comprenait toute la partie du littoral vannetais, entre la rivière d'Auray et le Blavet, et s'étendait au Nord jusqu'aux limites des paroisses de Pluvigner, Landaul, Landevant, Branderion et Languidic [Note : Ces paroisses dépendaient de l'archidiaconé de Vannes]. Dès les temps les plus reculés sur lesquels nous avons des renseignements, il était partagé en cinq subdivisions secondaires principales, dont nous allons essayer de rechercher les origines.

1° La première, en commençant par l'Ouest, était le fief de Nostang-sous-Hennebond, dont M. de Keridec, s'appuyant sur des extraits de la Chambre des Comptes des années 1380 et 1556 (Cayot-Delandre, p. 498), nous a révélé l'ancienne dénomination de terre Rouzault. Il vient tout naturellement à l'esprit que ce nom doit être celui d'un de ses plus anciens possesseurs. Or, le cartulaire de Kemperlé [Note : D. Morice, Preuves, tome I, 360] nous apprend qu'un certain Rudalt, fils d'Orscand, évêque de Vannes en 970, donna au monastère ou prieuré de Saint-Cado, dans la rivière d'Etel, un village en Plouhinec et des marais dont la description convient parfaitement au lais de mer du Biscon dans la même paroisse. Ce personnage avait neuf fils, tous nommés dans l'acte : Orscant, Morvan, Abalt, Harscoet, Catguallun, Guthael, Aldroen, Cadoret et Killae. Après la mort de son père, le premier donna de son chef à la même église, le quart d'une ancienne villa romaine (quartam partem villœ romanorum) [Note : D. Morice, Preuves, tome I, 360], que M. de Keridec place avec beaucoup de raison dans les environs du village de Kergorh, en Nostang, toujours dans cette même terre Rouzault [Note : Selon M. de Keridec, ce fief comprenait les paroisses de Riantec, Plouhinec, Kervignac, Merlevenez et Nostang]. On retrouve encore le même nom avec ceux de Morvan, Abalt, Harscoet et plusieurs autres portés par des seigneurs qui donnent leur consentement (annuunt) à la donation que fait le duc Hoël (1066-1084) à Saint-Cado, d'un lieu en Plouhinec, appellé villa Dargoth [Note : D. Morice, Preuves, tome I, 360]. Ne serait-ce pas quatre des fils de Rudalt et les enfants de leurs frères décédés, formant la parentèle dont, suivant l'ancienne législation bretonne, le concours était jugé nécessaire pour valider l'aliénation des biens provenant du tronc commun ? Quand on voit, en 1089, un certain Aldroen, appelé fils de Juthael (on a vu qu'un des fils de Rudalt portait ce nom), et héritier des mêmes biens, concourir en cette dernière qualité à la donation que le duc Alain Fergent fait du monastère de Saint-Cado à l'abbaye de Sainte-Croix de Kemperlé, le doute n'est plus guère possible. On sait d'ailleurs que les noms, encore de nos jours si communs, de Rozault, Rouzault et Rouaud, ne sont que des formes de Rudalt.

Cette thèse une fois démontrée, on se demande si le territoire de la paroisse de Saint-Gilles de Hennebond, compris dans le Poubelz [Note : Dans son pouillé du diocèse de Vannes, M. L. Galle l'a placé dans l'archidiaconé de Vannes ; mais tous les procès-verbaux des visites du doyen de Poubelz attestent qu'il relevait de leur juridiction], n'aurait pas primitivement fait partie de ce vieux fief. La position topographique de cette petite paroisse permettant de penser qu'elle a pu être démembrée anciennement de Kervignac, on pourrait le supposer avec quelque vraisemblance ; mais en l'absence de preuve positive, il vaut mieux ne rien affirmer. Il est d'ailleurs très-possible que, dès le XIème siècle, elle formât déjà un de ces nombreux petits fiefs que nos ducs possédaient dispersés au milieu des terres de leurs vassaux.

Quoi qu'il en soit, il est certain qu'on a embrouillé comme à plaisir l'origine du fief ducal de Hennebond. Un auteur dont les laborieux travaux rendent tous les jours de grands services aux archéologues (Cayot-Delandre), affirme sans hésiter que ce fut dans le principe un démembrement d'un fief plus considérable, possédé d'abord en entier par une famille du même nom, dont une branche conserva l'autre partie jusqu'au commencement du XIIIème siècle. C'est une manière assez ingénieuse d'expliquer comment il se faisait que, de la ville moderne de Hennebond, coupée en deux, comme on le sait, par le Blavet, la partie à l'Est de la rivière était aux ducs, tandis que la partie à l'Ouest appartenait aux vicomtes de Léon, héritiers des anciens seigneurs de la maison de Hennebond. Malheureusement cette supposition ne repose sur aucun document.

Tous les actes qui font mention de ces anciens seigneurs nous les montrent possesseurs, dès le XIème siècle, du fief appelé Kemenet-Theboë ou Ethboé. Les terres que Huelin de Henbond donne à l'abbaye de Sainte-Croix de Kemperlé, en 1037 (D. Morice, Preuves, tome I, 575), étaient situées dans ce territoire compris entre le Blavet et l'Ellé. En 1235, on voit encore un Eudon de Henbond, chevalier, fonder un hôpital à Pontscorff (D. Morice, Preuves, tome I, 894) ; mais nulle part et à aucune époque nous n'avons pu trouver les seigneurs de cette maison faisant acte de propriété sur la rive gauche du Blavet, dans le pays de Poubelz. L'origine du Kemenet-Theboë ou fief de Theboë remonte même à une date plus ancienne que l'année 1037, puisqu'à cette époque nous avons vu qu'il portait déjà ce nom à la physionomie essentiellement bretonne, rappelant les noms si connus de Nominoë, Portitoë, Erispoë, etc., nom qu'il avait indubitablement reçu d'un de ses premiers maîtres. C'est donc dans le faubourg actuel de St-Caradec qu'il faut chercher le premier Henbond et la forteresse, berceau de la maison fondue au XIIIème siècle dans celle de Léon, dont le fief n'était autre chose que cette seigneurie [Note : On en trouve une nouvelle preuve dans le mémoire pour la préséance aux Etats, rédigé en 1479 en faveur des prétentions du vicomte de Rohan. On y lit que ledit vicomte possédait la vicomté de Léon, etc. « et la pièce de Guemené-Theboy, où est la vieille ville de Hennebon » (D. Morice, Histoire de Bretagne, tome II, supplément aux Preuves, p. 120)].

Quant à la partie située sur la rive gauche, laquelle a, par la suite des temps, reçu le titre de ville, laissant à son ainée la modeste qualification de faubourg, elle n'apparait dans l'histoire qu'à une époque relativement récente. En 1260, Blanche de Champagne, femme du duc Jean-le-Roux, fonda bien l'abbaye de la Joie, près d’Hennebond, mais la ville (celle de la rive gauche) n'est clairement mentionnée comme place forte qu'au XIVème siècle, lors des guerres de Montfort et de Blois, dans lesquelles elle joua un rôle très-important ; d'où l'on peut conclure que si elle existait auparavant (comme c'est très-possible), elle ne devait pas avoir une grande importance. Son siège supérieur de juridiction ducale ne semble même avoir été constitué que sur la fin de ce même XIVème siècle, car les fiefs de la Roche-Moysan, de Guemené-Guegant et de Kemenet-Theboë, qui en formaient la plus grande partie, n'y furent réunis qu'en 1380 (D. Morice, Preuves, tome II, 284) ; ils ressortissaient auparavant de la cour d'Auray.

2° Le fief d'Auray n'était séparé de la terre Rouzault que par le bras de mer de Locoal ou rivière d'Etel. Le château d'Alraé, son chef-lieu (c'est encore ainsi que les Bretons l'appellent), est d'origine tout à fait féodale, et fut construit sur la paroisse de Brech à une époque inconnue, mais bien certainement postérieure à la chute de la domination romaine, dont ou ne voit aucune trace sur les lieux. On sait que le duc Hoël y habitait souvent avec sa cour ; en l'an 1082, il y confirma plusieurs donations faites à l'abbaye de Kemperlé (Ibid., tome I, 431-456). Nous n'avons rien de plus positif sur l'origine de cette ville, fameuse dans les annales de la Bretagne indépendante, plus célèbre encore de nos jours par le dévouement de ses enfants à la cause de la religion et de la royauté française, et par le supplice des martyrs de Quiberon.

Ce n'est pas sans étonnement qu'on lit dans Cayot-Delandre (Le Morbihan, p. 187) que ce petit pays a fait d'abord partie du comté de Guingamp, dont il aurait été détaché et apporté dans la famille du Duc, par suite d'un mariage en 1034 (la date est écrite en toutes lettres). Bien certainement le digne historien des antiquités du Morbihan avait une absente quand il a écrit ces lignes. Il est, en effet, difficile d'admettre que le comté de Guingamp ait eu une annexe au milieu du pays de Vannes, à plus de vingt-cinq lieues de distance du corps de son fief ; et il est tout à fait impossible de comprendre par quel tour de force on pourrait démontrer que la duchesse Berthe (la seule princesse qui ait épousé un Duc de Bretagne, de l'an 1008 à l'an 1040) a pu apporter à son mari une partie d'un domaine dans lequel sa famille (celle des comtes de Chartres et de Blois) n'avait bien certainement aucun droit.

3° La presqu'île, ou plutôt l’île de Quiberon [Note : Il n'est pas du tout impossible qu'elle ait été entièrement séparée du continent avant la formation de l'amas de sable qui l'y relie aujourd'hui] (Kemberoen), comme on l'appelait anciennement, fut un fief distinct avant d'être soudé à celui d'Auray. Nos Ducs du XIème siècle y avaient une résidence qu'ils semblent avoir affectionnée d'une manière toute spéciale. Ceux de nos lecteurs qui ont vu ce petit coin de terre rongé par les flots, au sol brûlé par le vent des tempêtes et couvert de tristes falaises, se demanderont sans doute quel charme pouvait y attirer des princes, à moins que ce ne fût le désir d'admirer les majestueuses horreurs de l'Océan furieux. Si nous leur disions qu'ils venaient y pêcher des homards ou y prendre des bains de mer à l'instar des humains de nos jours, ils nous croiraient peut-être, malgré la futilité de semblables délassements pour des hommes habitués à porter le casque et le haubert. Mais, certes, personne ne s'imaginerait que sur ces plages dénudées s'élevait jadis une belle et grande forêt : rien de plus vrai cependant. Nous avons déjà cité une charte du cartulaire de Redon, laquelle prouve que le duc Alain III venait très-souvent (sœpissime) y prendre le plaisir de la chasse ; et personne ne fera au fils de ce comte ou duc Geoffroy, que plusieurs appelaient roi [Note : Qui etiam rex a nonnullis vocabatur. Cart. Rothonens. D. Morice, Preuves, tome I, 364], l'injure de penser qu'il pût s'abaisser jusqu'à chasser les goëlands et autres oiseaux de mer, seul gibier que, avec quelques lièvres et de maigres lapins, les héritiers de Nemrod et de saint Hubert puissent se flatter de rencontrer aujourd'hui sur la presqu'île de Quiberon. Un autre vieux parchemin, tiré du cartulaire de l'église cathédrale de Quimper (Ibid., 378), nous apprend d'ailleurs qu'ils y avaient des chasses dignes de grands seigneurs.

On y lit qu'an certain jour le comte Hoël, beau-fils d'Alain III et son héritier, passant par la cathédrale de Saint-Corentin, fut péniblement affecté à la vue d'un livre exposé aux regards du public, les pages toutes détachées par suite du piteux état de la couverture, et donna à perpétuité aux chanoines le droit de prendre dans les peaux provenant des cerfs tués dans son fief de Quiberon (Kemberoen) tout le cuir nécessaire pour relier leurs livres de chant.

En 1438, lorsque la châtellenie de Quiberon fut donnée en partage au prince Pierre de Bretagne pour 8 livres de rente, il n'est plus question de gros gibier, et la forêt avait déjà été sinon détruite, du moins grandement endommagée par les vents de mer et la culture. Il y existait cependant une garenne à lapins, à laquelle on attachait encore une certaine importance, puisque le duc prend soin de la réserver pour lui, ainsi que les blés (D. Morice, Preuves, tome II, 1320).

Un aveu du 28 août 1782, rendu au Roi en la juridiction d'Auray par messire Jean-Hélène-François de Boutouillic, sieur de la Villegonan, prouve que le possesseur de la terre du Lizo, en Quiberon, était tenu, à raison de son fief, de faire l'office de sergent dans toute la presqu'ile. Ces fonctions, très honorables en elles-mêmes comme toutes celles qui tiennent à l'administration de la justice, étaient à peu près celles de nos huissiers modernes ; elles consistaient à faire les exploits de justice, et de plus la cueillette des rentes du seigneur ; les gentilshommes des meilleures maisons ne crurent pas déroger en les exerçant par eux-mêmes, tant que le mercénariat des fonctions modernes, substitué au pacte féodal qui en noblissait tout, ne vint pu les faire décheoir dans l'estime publique.

4° Après les trois fiefs ducaux qui précédent venait celui de Kaer, dont le chef-lieu primitif était un manoir placé près du bourg de Locmaria-Kaer, auquel il a donné son nom [Note : Il existait encore fors de la réformation de 1536]. Il fut le berceau d'une ancienne famille, déjà fondue au commencement du XVème siècle dans une branche cadette de la maison de Malestroit. Normant, sire de Kaer, siégeait en 1294 entre les hauts barons du duc de Bretagne (D. Morice, Preuves, tome I, 1112). Un siècle après (1391), un de ses descendants, Jehan de Kaer, reconnaît devoir un chevalier à l’ost, c'est-à-dire à l'armée du duc. Cette baronnie, après avoir été supprimée lors du règlement qui limita les hautes baronnies au nombre de neuf, puis érigées de nouveau, par lettres-patentes du 4 décembre 1553, en faveur de Claude de Malestroit (D. Morice, Preuves, tome III, col. 1101), passa, sur la fin du XVIème siècle, à la famille de Montalais, puis aux Riaud, qui la rendirent, en 1727, au fameux président de Robien, dont les descendants la possédaient encore au moment de la révolution.

5° Enfin, au milieu de ces différents fiefs était enclavé celui de l’Argoet-sous-Auray, qui s'étendait sur les paroisses de Carnac et de Mendon. Dans la curieuse notice qu'il a consacrée à l'ancienne seigneurie du même nom, dont le siège était, comme on le sait, le château si important au point de vue monumental, plus connu sous le nom de tour d'Elven, notre savant ami, M. de la Borderie, nous apprend que cette pièce en était primitivement entièrement distincte sous le nom de seigneurie du Laz, et n'y fut unie qu'au XVIème siècle. Il nous semble toutefois assez probable qu'elle appartenait longtemps avant cette réunion aux mêmes seigneurs que l'Argoet, possédé aux XIIIème et XVème siècles par les sires de Malestroit, et au XVIème siècle par les sires de Rieux ; car nous les voyons, en 1448 et 1536 [Note : Voir les anciennes réformations de la noblesse de l'évêché de Vannes], propriétaires d'un manoir de Lessien, en Carnac, lequel pourrait bien avoir été le chef-lieu primitif de cette annexe [Note : Cette conjecture paraît d'autant plus probable que ce manoir était le seul que les anciennes réformations mentionnassent comme appartenant aux seigneurs de l'Argoet dans tout le territoire en question]. Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas confondre l'Argoet-sous-Auray, ou Laz, selon M. de la Borderie, avec un arrière-fief du même nom, sis en la paroisse de Carnac, lequel, après avoir appartenu, en 1448, à un 0llivier Vittré, et en 1538 à Henri Champion, se trouvait au XVIIème siècle aux mains de la famille Jégou, qui le possède encore (au milieu du XIXème siècle) et en porte le nom.

Nous n'essaierons pas, pour le moment, d'entrer dans de plus grands détails sur la géographie féodale du vieux pays de Poubelz ; nous tenions seulement à faire part à nos lecteurs des observations que nous avons glanées çà et là sur ses origines. Son histoire depuis le XIème siècle, sans cesse mêlée à la plupart des grandes luttes guerrières et des grandes catastrophes de la Bretagne, offrirait cependant plus d'une page intéressante ; mais avant de tenter la restitution de l'économie politique et sociale de nos subdivisions locales, il convient d'attendre que nous ayons les grandes lignes du tableau, tracées par une main exercée, à l'aide de documents qui ne sont pas à la portée de tous.

Nous ne terminerons pas cependant sans dire quelques mots de l'organisation ecclésiastique de notre petite contrée, doublement intéressante à une époque où nous voyons de tous côtés nos vénérables pasteurs profiter de la liberté qui leur a été laissée pour réparer le désordre que la tempête révolutionnaire a porté dans les vieilles institutions de l'Eglise, toujours si utiles et si sages.

Dans un très-intéressant pouillé, inséré dans le Bulletin de l'Association Bretonne (Vème vol., 1ère partie, p. 141), M. Louis Galles a déjà fait connaître les subdivisions ecclésiastiques de l'ancien diocèse de Vannes au XVIIIème siècle. Nous ne ferons que reproduire la partie de son travail concernant le doyenné de Poubelz, en le rectifiant à l'aide des documents authentiques que nous avons pu puiser dans les papiers de la fabrique de Mendon, grâce à l'obligeance de M. l'abbé Jégo.

Nous ignorons la date du premier établissement de cette subdivision ecclésiastique ; mais il n'est pas douteux qu'elle soit très-ancienne, et nous ne serions pas étonné qu'elle remontât à une époque antérieure à l'extinction du fief, opérée sans doute sur la fin du XIème siècle, par suite de sa réunion au domaine ducal, à l'avènement au trône de Hoël, fils d'Alain Canhiart. La première mention que nous en ayons trouvée est de l'année 1306 ; c'est dans une des nombreuses quittances délivrées aux exécuteurs testamentaires du duc Jean II, et découvertes par M. de la Borderie dans le trésor des chartes du Duc de Bretagne, aux archives de la Loire-Inférieure. L'une d'elles nous révèle un fait très-curieux; c'est l'existence à cette époque d'une officialité du doyenné de Poubelz, distincte de celle du diocèse [Note : On sait que les officialités étaient des tribunaux dont ressortissaient les causes des ecclésiastiques et même celles des laïques, en matière de testament] ; l'annonce du sceau spécifie expressément qu'elle a été scellée du sceau de cette cour (curiœ officiedis de Ponbelz) [Note : Ce sceau en cire verte, large comme une pièce de deux liards, porte un buste de face, sans doute celui de Saint-Pierre, patron de l'église de Mendon, et une légende que nous n'avons pas pu lire].

Le titre de doyen fut uni à celui de recteur de Mendon à une époque sur laquelle nous n'avons pas de données. D'après les documents du XVIIIème siècle que nous avons entre les mains, la juridiction des dignitaires qui les portaient s'exerçait sur les paroisses suivantes, toutes soumises immédiatement à l'ordinaire. Les abbayes, prieurés simples, couvents d'hommes et de femmes, et les chapelles sises sur son territoire, n'en dépendaient pas.

Nous citerons d'abord les quatre prieurés-paroisses, dont, dès le XVIIème siècle, les titres étaient portés par des commandataires, qui présentaient à l'évêque des prêtres, lesquels exerçaient les fonctions curiales en leur lieu et place. Ils étaient désignés sous le nom de vicaires perpétuels, et ce n'est que vers le milieu du XVIIIème siècle qu'on les voit usurper petit à petit le nom de recteurs.

1° Locmaria-Ker, membre de l'abbaye de Redon ;

2° Locoal, monastère fondé au VIIème siècle par saint Guthwal ou Goal, donné en 1037 à Sainte-Croix de Kemperlé par le duc Alain III ;

3° Locmaria de Quiberon et sa trêve Saint-Pierre, membres de Saint-Gildas de Rhuys [Note : C'est par erreur que M. L. Galle a dit que ce prieuré avait appartenu à Saint-Sauveur, de Redon] ;

4° Saint-Gildas d'Auray, membre de la même abbaye.

Les seize paroisses dont les noms suivent occupaient le reste du territoire : 1° Brec'h, 2° Crac'h, 3° Carnac, 4° Plœmel, 5° Plouharnel, 6° Erdeven, 7° Belz, 8° Mendon, 9° Nostang, 10° Saint-Gilles-de-Hennebond, 11° Notre-Dame-du-Vœu ou du Paradis, trêve de Saint-Gilles-de-Hennebond, devenue ensuite la paroisse ; 12° Kervignac , 13° Merlevenez, 14° Plouhinec, 15° Riantec, 16° Notre-Dame du Port-Louis, trêve de Riantec.

Il n'est pas douteux que le chef-lieu primitif du doyenné ait été dans la paroisse même de Belz, qui en a retenu le nom. Un aveu, rendu au Roi en 1679 par messire Bertrand Fruneau, alors titulaire, après avoir énuméré différentes possessions, s'exprime ainsi : « Et le lieu tituliaire dudit doyenné de Pontbelz (sic), a vis et au soleil levant de l'isle de St Cado. Laquelle isle contient soulz fondz sept journaux et demy dans laquelle il y a plusieurs antiennes ruines de bastimentz de maison, fuye et puy, mesme les vestiges des ruines d'un pont vers le midy pour passer de ladite isle en terre ferme. Laquelle isle est de tout temps immemorial inhabitée, non cultivée et soubz lande, genest et pasture seullement et quelques garennes a lapins, icelle tenue a present a tiltre de ferme soubz ledit sieur doyen par Jean le Laiec pour en paier quinz livres par ans ». Un autre aveu rendu en 1730 s'exprime exactement dans les mêmes termes.

Il est évident que les scribes, qui ont de tout temps aimé à faire de l'esprit, ont faussement appliqué à cette île le nom du doyenné dont elle était le chef-lieu, transformé par eux en Pontbelz au lieu de Poubelz, à cause, sans doute, de ces vestiges des ruines d'un pont dont ils ont eu soin de faire mention. La description ne convient, en effet, qu'à une île de la rivière d'Etel, de tout temps connue sous le nom essentiellement breton de Riec (en français, la Collinais, la Collinière, le lieu où il y a une colline) et sur laquelle, il y a très peu d'années, on voyait encore des ruines, que la tradition locale prétendait être celles d'un ancien monastère. S'il pouvait d'ailleurs s'élever des doutes à ce sujet, ils seraient levés par les termes d'un bail à ferme de 1754, faisant partie, comme les autres pièces que nous avons citées, des papiers de l'église de Mendon. Par cet acte, messire Jean Belz, docteur en Sorbonne, doyen de Poutbelz et recteur de Mendon, afferme au prix de 15 liv. par an « le tout de l'isle, nommée l'isle de Riec, faisant le revenu et attribut dudit doyenné de Poutbelz, en Belz, affecté et attaché à laditte paroisse de Mendon ».

Cet îlot avec ses ajoncs, ses genêts, son vieux colombier et ses quelques douzaines de lapins, était en effet toute la dotation immobilière du bénéfice. Le titulaire percevait de plus à titre de droit de visite, à savoir : 64 sous de chaque recteur ou vicaire perpétuel, 10 sous de chacun des deux fabriques de chaque paroisse, 10 sous de chacun des procureurs ou trésoriers des églises paroissiales, et 5 sous de chaque procureur des chapelles paroissiales, ce qui faisait un total d'environ 102 liv. par an.

Ce revenu, par trop modique, fut sans doute la cause qui détermina à réunir le bénéfice à un autre plus considérable (celui du recteur de Mendon). Son possesseur avait des devoirs réels et même assez pénibles à remplir, dont l'examen des procès-verbaux nous permet de déterminer la nature. Au XVIIIème siècle, l'officialité que nous avons signalée quatre cents ans auparavant n'existe plus, mais le promoteur qui accompagne toujours le doyen dans l'exercice de ses fonctions en rappelle l'existence. C'était un prêtre choisi par lui, avec l'agrément de l'évêque, pour faire l'office de greffier ou de secrétaire.

Quant au doyen lui-même, il était investi de fonctions toutes de surveillance ; c'était une espèce d'inspecteur chargé de veiller au maintien de la discipline et du bon ordre dans sa circonscription. Les documents que nous possédons prouvent qu'il prenait sa charge très au sérieux. Aussi chaque année nous le voyons visiter l'une après l'autre toutes les églises paroissiales du doyenné, en examiner le mobilier et les ornements, s'enquérir de l’exécution des ordonnances épiscopales, contrôler les comptes des trésoriers et leur faire prêter le serment de se comporter avec probité dans l'exercice de leur charge. Il écoutait aussi les plaintes des paroissiens sur les abus qui pouvaient exister dans l'exercice du culte, ou dans le service des fondations, et dressait procès-verbal (par le ministère de son promoteur) des infractions qu'il pouvait découvrir, lequel procès-verbal était transmis à l'évêque qui en ordonnait ensuite ainsi qu'il le jugeait convenable. Les mesures prises, ces derniers temps, par un grand nombre de prélats pour le rétablissement de cette sage institution nous dispensent d'en faire ressortir l'efficacité ; nous ne pouvons que nous réjouir, en notre qualité de simple fidèle, chaque fois que nous voyons l'Eglise catholique réparer quelques-unes des brèches faites par l'esprit de destruction à son organisation d'autant plus forte et plus durable qu'elle enfonce ses racines plus avant, à l'aide de la tradition, à travers les siècles écoulés. (Charles de Keranflec’h).

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