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LA BATAILLE NAVALE D'OUESSANT (27 juillet 1778)

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Le succès de la Belle-Poule avait répandu l'enthousiasme dans tous les rangs de la flotte française, qu’on appelait alors la grande escadre, réunie dans la rade de Brest, et commandée par le vice-amiral comte d'Orvilliers. Dès le 28 juin 1778 , elle avait reçu l’ordre de mettre à la voile et de croiser devant la Manche. « L'armée est en partance depuis huit jours, écrivait M. de Granchain (Brest, 6 juillet 1778), et paraît n’attendre que le bon vent pour mettre sous voiles ; mais le temps s’obstine à nous contrarier, et ne paraît pas même disposé à changer de quelques jours ».

Le 8 juillet, le vent devint favorable, et la grande escadre sortit de la rade de Brest. M. de Sartines, ministre de la marine, informa bientôt M. le comte d'Orvilliers que l’escadre anglaise, aux ordres de l'amiral Keppel, était sortie de Plymouth, quatre jours après son départ de Brest. Le ministre paraissait avoir quelques inquiétudes sur les suites que pourrait amener une rencontre entre deux armées d’égale force.

Le comte d'Orvilliers

Le comte d'Orvilliers. 

L'amiral anglais Keppel

L'amiral Keppel. 

« Il parlait de rentrer, dit M. de Granchain (Lettre du 3 août 1778), pour ne pas compromettre d’un seul coup toutes les forces navales de la France. M. d'Orvilliers rejeta cette proposition timide, en assurant qu'à moins d’ordres du roi très-positifs il continuerait à tenir la mer et ne ferait aucune manoeuvre qui pût nuire à l’honneur des armes de Sa Majesté et à celui de sa marine.

Nous découvrîmes, en effet, l’armée le 23 juillet, après midi, dans une éclaircie. Toute l’après-midi fut employée, à nous ranger en bataille et à approcher de l’ennemi. Dans la nuit, nous forçâmes beaucoup de voiles pour lui gagner le vent. Cette circonstance, jointe à un vent très-violent, nous fit démâter un vaisseau, et occasionna la séparation de trois autres. Le lendemain matin, nous aperçûmes l’armée anglaise à trois ou quatre lieues sous le vent ».

Plan de l'île d'Ouessant (1771-1785)

L’armée navale de France se composait de trois divisions : le centre, désigné sous le nom d'escadre blanche ; l’avant-garde, appelée l'escadre blanche et bleue ; l’arrière-garde, appelée l'escadre bleue.

L’escadre blanche ou le centre comprenait neuf vaisseaux : la Bretagne, de cent dix canons, le plus fort vaisseau de toute la marine française, où flottait le pavillon amiral, commandé par Duplessis-Parseau et le comte d'Orvilliers ; la Ville-de-Paris, de quatre-vingt-dix canons, capitaine le comte de Guichen (chef d'escadre) et De Peynier ; l'Orient, de soixante-quatorze, capitaine le chevalier Hector ; le Fendant de soixante-quatorze, capitaine le chevalier de Brach (ou Brache) [Note : certains historiens mentionnent le marquis de Vaudeuil] ; le Magnifique, de soixante-quatorze, capitaine le marquis de Vaudreuil [Note : certains historiens mentionnent De Brach] ; l'Actif, de soixante-quatorze, capitaine Thomas d'Orves, ayant pour second de Granchain, lieutenant de vaisseau ; l'Artésien, de soixante-quatre, capitaine des Touches (ou Destouches) ; l'Eveillé, de soixante-quatre, dirigé par De Botdéru ; le Réfléchi, de soixante-quatre, capitaine le chevalier de Sillans [Note : certains historiens mentionnent Cillart de Surville]. 

L’escadre blanche et bleue ou l’avant-garde comptait huit vaisseaux : la Couronne, de quatre-vingts, commandée par le comte Duchaffaut, lieutenant général des armées navales (contre-amiral), chef de la division [Note : certains historiens mentionnent aussi Huon de Kermadec] ; le Glorieux, de soixante-quatorze, capitaine le comte d'Amblimont [Note : certains historiens mentionnent De Beausset] ; le Palmier, de soixante-quatorze, vieille connaissance de M. de Granchain, capitaine de Réals ; le Dauphin-Royal, de soixante-quatorze, capitaine le marquis de Nieul ; le Bien-Aimé, de soixante-quatorze, capitaine d'Aubenton (ou Auberton) ; le Saint-Michel, de soixante-quatre ; le Vengeur, de soixante-quatre, depuis si célèbre [Note : certains historiens mentionnent le le comte d'Amblimont] ; l'Actionnaire, de soixante-quatre, capitaine de Froissy (ou Proissy). 

L’escadre bleue ou arrière-garde avait pour chef le duc de Chartres, et se composait de dix vaisseaux : le Saint-Esprit, de quatre-vingts, vaisseau dont les chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit avaient fait présent au roi, commandé par le duc de Chartres, chef de la division, ayant pour capitaine de pavillon l'intrépide La Motte-Picquet (chef d'escadre) ; le Robuste, de soixante-quatorze, capitaine le comte de Grasse (chef d'escadre) ; le Conquérant, de soixante-quatorze, capitaine de Monteil (ou Montiel) ; l'Intrépide, capitaine de Beausset [Note : certains historiens mentionnent De Chateauvert] ; le Zodiaque, de soixante-quatorze, capitaine de la Porte-Vézins (ou Porte-Vezains) ; le Diadème, de soixante-quatorze, capitaine la Cardonnie (ou La Cordonnie) ; l'Indien, de soixante-quatre, capitaine de la Grandière ; le Roland, de soixante-quatre, capitaine de l'Archantel (ou Larchantel) ; le Sphinx, de soixante-quatre, capitaine le comte de Soulanges ; l'Amphion, de cinquante, dirigé par Denis Tobriand.

Note : certains historiens mentionnent aussi le Solitaire, dirigé par De Briqueville.

Combat naval près de l'île d'Ouessant (27 juillet 1778)

Dix-neuf cent quarante-huit bouches à feu avaient la gueule ouverte pour vomir le fer et le feu sur les Anglais.  

Leurs forces, cependant, étaient supérieures aux nôtres. Leur flotte se composait, également de trois divisions, comptant chacune dix vaisseaux. Le total de leurs canons était de deux mille deux cent soixante-six, trois cent dix-huit plus que nous. 

L’amiral Keppel avait arboré son pavillon sur le Victory, de cent canons, et avait pour capitaine de pavillon sir Campbell. Le vice-amiral sir Robert Harlan, chef de la seconde division, commandait le Queen, de quatre-vingt-dix. Le chef de la troisième division, commandant l'Océan, de quatre-vingt-dix, était le contre-amiral sir Hugh Palisser. 

Il y avait en outre, de chaque côté, une quinzaine de frégates et de bâtiments qui ne prirent généralement qu’une faible part au combat. 

Les deux formidables escadres étaient en présence l'une de l’autre à la hauteur de l'île d'Ouessant. 

Le 24 juillet matin, le comte d'Orvilliers, n’ayant plus que trois ou quatre lieues à franchir pour engager le combat, ordonna d’abord à ses escadres de courir vent arrière sur les Anglais ; mais, s’étant bientôt aperçu des avaries éprouvées par quatre de ses vaisseaux la nuit précédente, il fit tenir le vent à son armée et remit l’attaque à un autre jour. Sur le soir, un des trois vaisseaux séparés le rejoignit ; mais quant aux deux autres, ils avaient disparu tout à fait, ce qui donnait aux Anglais, outre la supériorité des forces, la supériorité du nombre des vaisseaux. 

Le 25 le temps ne permit pas d’engager l’affaire ; le 26, d'Orvilliers fit le signal de se préparer au combat ; mais la mer ayant grossi, on fut encore obligé de différer. 

Le 27, à quatre heures du matin, les vents passèrent à l’ouest ; la mer était assez grosse, et tout annonçait un temps favorable. L’armée anglaise n’était plus qu’à deux lieues et demie, à l'est-quart-nord-est, sous le vent. Alors, le comte d'Orvilliers fit le signal aux trois escadres de se rallier à l’ordre de bataille. 

Ce commandement fit courir sur toute la flotte française un frémissement d’enthousiasme. Pendant le branle-bas, tous les officiers, selon l’usage traditionnel français, revêtirent leurs plus riches uniformes et se parèrent comme pour un jour de fête. Le duc de Chartres, sur le Saint-Esprit, se fit apporter un habit richement galonné, étincelant de diamants, et passa, sur une veste blanche, son grand cordon bleu. 

Les deux, escadres, toutes voiles dehors, couraient les amures à babord. A neuf heures, d'Orvilliers s’aperçut que l’armée anglaise élevait son arrière-garde au vent, et, voulant s’assurer de son dessein et en même temps l’approcher de plus près, fit mettre l’amure à tribord et revirer vent arrière, lof pour lof par la contre-marche. « Ce mouvement, dit M. de Granchain, nous fit beaucoup tomber sous le vent. L’armée anglaise voulut en profiter en virant, sur-le-champ, tout ensemble, dans l’espérance de nous gagner le vent ou de couper notre arrière-garde. Mais M. d'Orvilliers déconcerta son projet en faisant revirer son armée tout à la fois, et se former ainsi en bataille dans un ordre renversé »

Par ce mouvement, parfaitement exécuté, l’arrière-garde devint l’avant-garde ; le dessein de l’ennemi était rompu. Nous étions à portée de soutenir l'escadre bleue, devenue l'avant-garde. Nous avions pris sur les Anglais l’avantage qu’ils avaient voulu prendre sur nous. Notre flotte se tenait en bon ordre sur cette nouvelle ligne, à dix quarts largue. De sorte que, lorsque les Anglais se présentèrent pour combattre derrière l'escadre bleue, ils la trouvèrent, à l’autre bord, en bataille. Notre escadre blanche et l'escadre blanche et bleue couraient à dix quarts largue, et nos vaisseaux se trouvaient trop serrés au bord opposé pour craindre que la ligne ennemie osât les traverser. 

Le duc de Chartres, debout sur le banc de quart du Saint-Esprit pour mieux voir et pour être mieux aperçu, l’épée à la main, eut l’insigne honneur de lâcher le premier toute sa bordée sur le premier vaisseau anglais et le força d’arriver. Ce vaisseau fut suivi de tous les autres de la flotte anglaise qui arrivèrent successivement, prolongeant toute la ligne française sous le vent, à bord opposé. Il était onze heures, le soleil dardait ses plus chauds rayons. « La mer était embellie », dit M. de Granchain. 

Le duc de Chartres

Le duc de Chartres. 

Un immense nuage de fumée, sillonné d’éclairs, s’abattit sur l'Océan ; quatre mille tonnerres parlèrent à la fois. Cette terrible canonnade, le feu étant très-vif de part et d’autre, continua sans relâche pendant deux heures ; la ligne française, dont les feux paraissaient plus nourris et servis avec plus de vivacité que celui de l’ennemi, tonnante, furieuse, échevelée, ses manœuvres au vent, bondissait au milieu des foudres qui jaillissaient de ses flancs. A ces torrents de flammes, à cette lave de boulets et de mitraille qu’elle vomissait de ses batteries, on eût dit le cratère embrasé du Vésuve ou de l'Etna. 

Du côté des Anglais, le Victory, le Prince-Georges, le Foudroyant, le Terrible, le Robuste, l'Egmont, le Shrewsbury, furent entièrement désemparés ; dans l’armée française, la Ville-de-Paris, la Couronne, l'Amphion, le Bien-Aimé, le Réfléchi, l'Actif, où combattait M. de Granchain, furent ceux qui souffrirent le plus. 

Combat naval près de l'île d'Ouessant (27 juillet 1778)

L'Actif luttait au centre même du combat. Ce qu’il faut dans ces moments de lutte solennelle, ce n’est pas, comme sur terre, de l’élan, de l’impétuosité ; on ne peut joindre l’ennemi corps à corps. Ce qu’il faut, c’est ce qu’on admira en M. de Granchain, c’est du calme, de la ténacité, beaucoup d’ordre et de présence d’esprit. Le feu des Anglais, sur l'Actif, était des plus meurtriers ; soixante tués, jonchaient ses batteries. Mais l'Actif n’en continua pas moins à servir à l’ennemi un feu des plus nourris qui fut remarqué de toute la flotte. A côté de Thomas d'Orves, son lieutenant de Granchain s’y couvrait de gloire. Il sortit cependant de ce feu sain et sauf, « quoique, dit-il, notre vaisseau ait été de ceux qui ont été chauffés le plus vivement »

Notre perte totale, sur toute l’escadre, s’élevait à six cents hommes tués ou blessés ; mais, à en juger par l’événement, celle des Anglais, dont on n’a jamais su le chiffe exact, était beaucoup plus considérable. 

« A une heure d’après-midi, continue M. de Granchain, les deux lignes avaient cessé de défiler, et le combat cessa. Quelques-uns des vaisseaux anglais, les moins maltraités, ayant viré comme pour tomber sur notre arrière-garde, le général-comte d'Orvilliers ordonna à l’armée de virer par la contre-marche ». Il fit signal à l’escadre bleue d’arriver par un mouvement successif, et ensuite à toute l’armée de se ranger à l’ordre de bataille, l'amure à tribord.  

Cette manoeuvre très-compliquée exigea quelques délais, et fut par suite trop tardée pour suivre le serre-fil et prolonger sous le vent, de queue en tête, l’armée anglaise ; mais cependant elle finit par être très-bien exécutée. Comme ce mouvement, né d’une inspiration subite du commandant en chef, n’avait pas été parfaitement bien saisi dès le premier moment, le duc de Chartres, en passant à poupe du vaisseau amiral la Bretagne, demanda au comte d'Orvilliers quelle était son intention. Le vice-amiral lui répondit qu’elle était de continuer l’ordre de bataille renversé, en prenant le vent de l'ennemi pour lui ôter l’avantage de sa position, en saisir nous-mêmes une plus avantageuse pour mieux faire servir les canons de la batterie basse. « Le duc de Chartres, dit textuellement le rapport du comte d'Orvilliers, ayant pris la tête de la ligne, ce prince admirable est venu me passer à la poupe. Il monta sur le banc de quart pour mieux voir l'ennemi ».

L’évolution de l’escadre bleue et des deux autres jeta l’étonnement dans les lignes anglaises. « Lorsqu’ils nous virent arriver ainsi à leur rencontre, dit M. de Granchain, ils diminuèrent de voile, et bientôt ils remirent au même bord que le reste de leur armée »

Ainsi les Anglais abandonnaient le combat, et leur mouvement rétrograde était un commencement de fuite. Ils ne se sentaient plus capables de tenir contre les nôtres. Si notre victoire n’était pas complète, c’était néanmoins la victoire. « Nous nous sommes battus, écrivait M. de Granchain, et si l'on ne peut dire que nous ayons vaincu, puisqu'aucun des vaisseaux ennemis n’est tombé entre nos mains, du moins l’honneur de la journée nous est resté. Les Anglais, maîtres par leur position de continuer le combat, ont pris le parti de serrer les voiles »

Combat naval près de l'île d'Ouessant (27 juillet 1778)

Les Français, pleins d’enthousiasme, se mirent avec ardeur en devoir de poursuivre l’escadre anglaise. Mais, n’ayant pu exécuter ce mouvement que vent arrière, ils se trouvèrent nécessairement avoir perdu du vent. « Les Anglais, continue M. de Granchain, qui avaient toujours couru la même bordée et qui serraient le vent de toutes leurs forces, s’élevèrent dans cette partie, et il nous fut impossible de les rejoindre. Nous passâmes toute l’après-midi rangés en bataille, à deux portées de canon sous le vent à eux. En vain les provoquâmes-nous au combat en tirant des coups de canon sur tous les vaisseaux qui tombaient sous le vent de notre ligne, ils continuèrent à serrer le vent, et, dans la nuit, ils mirent à l’autre bord sans bruit ni sans feux »

Tandis que les Anglais cachaient soigneusement leurs feux pour n’être pas suivis, les nôtres au contraires montraient les leurs. Ils flamboyèrent toute la nuit à la proue et à la poupe de nos vaisseaux, afin que leur position pût être clairement aperçue de l’armée anglaise. Mais il n'y avait déjà plus d’armée anglaise ; elle avait profité des ténèbres pour aller chercher un abri dans ses ports. Les Anglais n’osèrent plus se monter de tout le reste de la campagne ni tenter de se mesurer de nouveau avec nous. C’en était fait : leur prestige était évanoui ; notre canon avait brisé leur supériorité. 

Combat naval près de l'île d'Ouessant (27 juillet 1778)

Le lendemain matin du combat, aucune voile ennemie ne se montrant plus à l’horizon, et après s’être assuré qu’on n’avait plus aucune connaissance de l’armée en ennemie, M. d'Orvilliers prit le parti d’amener et d’achever sa croisière sur l'île d'Ouessant. Quant à aller relancer les Anglais dans la Manche, c’eût été une témérité voisine de la folie et contrevenir de la manière la plus formelle aux ordres du ministre, qui avait été même d’avis qu’on évitât tout combat. « Le défaut de ports, dit M. de Granchain, ne nous permet pas d’aller les y chercher, quand même nous serions de beaucoup supérieurs ». C’est alors qu’on sentit la nécessité de créer un port militaire sur les côtes de Normandie. Cherbourg est né du combat d'Ouessant. 

Pendant que le comte d'Orvilliers, le lendemain de la victoire, se tenait à la latitude de l'île, gardant toujours le vent, il s’estimait à trente ou au moins à vingt-cinq lieues des côtes ; mais le soir, par suite de l’action insensible, mais puissante, du courant de l'Océan, au milieu de l'étonnement général, il découvrit l'île d'Ouessant elle-même ! Il fit alors à son escadre le signal de tenir le vent et de courir au nord. « Dans ce mouvement, dit M. de Granchain, un vaisseau et une frégate s’abordèrent, et le premier perdit son mât de misaine et son beaupré dans le choc. Un autre vaisseau, maltraité dans le combat, demanda à relâcher ; un troisième avait pris le même parti dès le jour précédent ; enfin deux autres manquaient depuis longtemps. Le général, se voyant ainsi affaibli, se détermina à relâcher avec toute l'armée, et nous mouillâmes (dans la rade de Brest) le 29 juillet vers le midi... Le duc de Chartres est parti le lendemain pour Paris. On ne croit pas qu’il revienne cette année, et désormais nous ne le verrons ici qu’autant qu’on lui donnera le commandement de l’armée. Il s’est conduit avec la plus grande fermeté dans le combat. C’est lui qui l’a entamé ; cependant, par sa position, il n’a pas été à même d’essuyer beaucoup de feu ; il n’a perdu que cinq hommes ; mais tous ont été tués sur son gaillard et sous ses yeux » (Lettre de M. de Granchain au comte de Bourblanc, Brest, 3 août 1778 ; Rapport du comte d'Orvilliers, aux Archives de la Marine ; Revue bretonne, t. 1er ; Histoire de Louis Philippe-Joseph, duc d'Orléans, Paris, 1842, t. 1er). 

Ce témoignage de M. de Granchain, donné dans l’épanchement secret de l’amitié, sous l’impression même des événements a une grande valeur historique. « L’assertion d’un homme aussi grave et aussi impartial que M. de Granchain, dit le chevalier de Fréminville, peut faire révoquer en doute tout ce qui a été dit sur la conduite du duc de Chartres à la bataille d'Ouessant et le faire considérer comme une calomnie » (Revue bretonne, t. 1er, p. 223)

Tel est le récit exact et officiel du combat d'Ouessant. Le duc de Chartres, avec le rapport du comte d'Orvilliers, emportait avec lui, de la part du vice-amiral, la liste des récompenses demandées pour les officier qui s’étaient distingués dans cette journée, et, en particulier pour M. de Granchain, une promotion extraordinaire dans l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Le vice-amiral avait daigné l’en informer. Aussi, dans le post-scriptum de sa lettre du 3 août, il disait avec assurance au comte de Bourblanc : « Je présume que dans peu tu auras un compliment à me faire ; tout le monde croit ici que l’on donnera des croix incessamment »

Le duc de Chartres avait des ennemis. La calomnie l’avait précédé  à Paris. On y avait déjà répandu des bruits injurieux sur sa conduite pendant le combat ; ils furent crus, et on les retrouve encore dans la plupart des historiens. Que ne peut la haine ? Pour la satisfaire, on alla jusqu’à représenter le combat d'Ouessant presque comme une défaite. Dans les antichambres de Versailles, sans aucune connaissance de la mer ni des instructions des ministres, on décidait souverainement de ce que le comte d'Orvilliers aurait dû faire ou ne pas faire. Les courtisans aimèrent mieux nier la victoires d'Ouessant que de reconnaître qu’un homme déjà odieux à la reine y avait joué un rôle glorieux. Pourquoi nous en étonner ? Ne voyons-nous pas de nos jours sacrifier la gloire de la patrie au plaisir de trouver un argument politique contre ses adversaires. La guerre du Mexique, qui a relevé notre drapeau aux yeux de toutes les nations et fait respecter le nom français dans des mers où il était méprisé, n’est-elle pas représentée comme funeste à la France ? Par le présent jugeons du passé. Mais méprisons le faux patriotisme, les passions de parti de ces hommes qui aiment mieux humilier leur patrie plutôt que de reconnaître la gloire d’un vainqueur qui leur est odieux. Maudissons ces cruelles détractions qui ont fait du brillant duc de Chartres le Joseph-Egalité de la Convention. 

La postérité n’est pas obligée d'épouser les aveugles haines du passé. A ses yeux, le combat d'Ouessant fut une grande bataille navale, un combat glorieux pour notre pavillon. Il commence les gloires maritimes du règne de Louis XVI. Cette victoire est notre bien ; reprenons-le, et reconnaissons que la grande toile de notre peintre Gudin, au musée de Versailles, figure bien à côté des grands faits maritimes de la France. 

La grande escadre du comte d'Orvilliers, rentrée à Brest, ne restait pas inactive. « On travaille, écrivait M. de Granchain, à réparer les dommages que nous avons soufferts, et on se flatte que dans quinze jours, ou même avant, l’armée sera en état d’aller offrir leur revanche aux Anglais, si la cour le juge à propos. Peut-être le succès de cette première affaire enhardira-t-il les ministres qui avaient bien peur de notre sortie et qui auraient bien voulu ne nous avoir pas lâchés. Ce qu’il y a de fort singulier, c’est que la guerre n’est point encore déclarée. Nous avions cependant ordre d’attaquer et d’arrêter tous les vaisseaux de guerre anglais ou du commerce. Malheureusement nous en avons très-peu rencontré. Nous ne ramenons ici qu’une frégate de vingt-deux canons, et cinq à six petits bâtiments marchands »

Aussitôt que ses avaries furent réparées, la grande escadre reprit la mer, se mit à la recherche des Anglais et s’étala depuis l'île d'Ouessant jusqu’aux Sorlingues. Elle occupait aussi toute l’embouchure de la Manche. 

« Les Anglais, qui étaient dehors, dit M. Granchain, et qui ont toujours eu le vent bon pour venir à nous, n’ont pas jugé à propos de le faire. Probablement qu’ils n’ont pas encore recueilli toutes leurs forces. Après dix jours de croisière, nous avons quitté ces parages faisant route pour le cap Finistère, où nous avons croisé pendant huit ou dix jours. J’ignore quel est l’objet de cette dernière station, Quelques-uns présument qu’on se proposait d’intercepter la flotte de Porto, ou les deux vaisseaux de l’amiral anglais Byron, qui ont relâché en Espagne et en Portugal. D’autres croient que la cour avait intention de nous faire tenir la mer pendant un mois sans que nous en vinssions à un combat ; elle nous aurait envoyés dans ce parage seulement pour éviter la rencontre de l’armée ennemie. Quoi qu’il en soit, le général comte d'Orvilliers n’a montré dans son attérage sur Ouessant aucune inquiétude là-dessus. Si Keppel avait eu encore envie de nous trouver, il était à croire qu'il nous aurait attendus à la hauteur de cette île. Nous n’en avons pas moins conservé tous nos feux et tous nos signaux de jour et de nuit, à grand bruit, pendant tout le temps que les vents contraires nous ont retenu dans ces parages » (Lettre de M. de Granchain au comte du Bourblanc, Brest, 21 septembre 1778)

Voilà comment. le comte d'Orvilliers fuyait les Anglais, au dire des historiens subissant l’influence des mauvaises passions, et voilà comment on écrit l’histoire quand on n'a pas sous les yeux les pièces originales ! M. de Granchain est plus croyable ; il a d'ailleurs l’autorité d’un témoin oculaire.

Si ses dernières paroles respirent l’ardeur du combat et une fierté toute française, c’est aussi que son courage venait d’être exalté par la plus flatteuse des récompenses, surtout dans les circonstances où elle fut reçue. Pendant que le comte d'Orvilliers courait des bordées à la hauteur de l'île d'Ouessant, et qu’il se tenait dans les mêmes eaux où s’était livré le combat, appelant à lui les Anglais par la grand-voix du canon, une corvette joignit le vaisseau amiral la Bretagne, apportant les dépêches de Versailles. 

Le vice-amiral fit aussitôt signa! à l'Actif d’envoyer à son bord son lieutenant. M. de Granchain vint aussitôt dans un canot. En présence de tout son état-major et au bruit du canon, le vice-amiral attacha sur sa poitrine la croix de Saint-Louis. Il recevait ainsi la récompense de sa valeur en pleine mer, sur les flots mêmes où elle s’était signalée. Son brevet du chevalier était signé du roi Louis XVI, en date du 19 septembre 1778, et portait cette mention honorable : par anticipation et en considération de la journée du 27 juillet 1778

Quelques jours après, l’escadre rentra dans la rade de Brest, et comme la saison était trop avancée pour tenter une troisième sortie, l'Actif désarma le 26 octobre 1778.

Adolphe de Bouclon. 

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