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AVENTURE DE TROIS OUESSANTINS

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Aventure advenue à trois petits Ouessantais (ou Ouessantins), le dimanche qui suivit la fête de saint Pierre, en 1841. Cette relation a ceci de particulier qu’elle fut écrite vers 1857, par M. Le Roux, ancien curé d'Ouessant, sur la demande de Mgr. Sergent, qui la communiqua à Hippolyte Violeau, pour en faire le sujet d’une nouvelle.

MONSEIGNEUR,

Je vais essayer de vous donner les détails que Votre Grandeur m’a demandés sur un événement qui s’est passé à Ouessant, dans le temps que je dirigeais cette paroisse. C’était en 1841, au mois de Juin.

Trois enfants sortirent de leur village, un dimanche au soir, après avoir soupé, comme pour aller se promener. La nuit arrive, et les jeunes promeneurs ne sont pas de retour. On les demande partout dans le voisinage, et personne ne dit les avoir vus. On fut sur le bord de la mer, et l’on s’aperçut qu'un canot, qui se trouvait habituellement amarré dans une baie, avait disparu. On se douta alors de ce qui était arrivé : ces enfants s’en seraient emparés pour essayer une promenade sur mer. Mais qu’étaient-ils devenus ? On conçut les craintes les plus vives sur leur sort. La mer était devenue grosse presque dès le commencement de la nuit ; elle était très mauvaise pour la saison. Comment une si chétive nacelle aurait-elle pu résister à une telle mer, étant d’ailleurs montée par des enfants si jeunes et presque sans expérience? Le plus âgé pouvait avoir de seize à dix-sept ans, un autre n’en avait pas plus de douze, et le plus jeune lui était frère du premier, en avait huit, tout au plus ; évidemment, ils avaient péri, c’était le sentiment unanime. Les parents en étaient si convaincus, qu’ils se décidèrent à réclamer les prières de l'Eglise pour les Morts. Ils m’envoyèrent un homme, le lundi au soir, pour me demander à quelle heure le lendemain je serais disposé à célébrer les services appelés dans le pays pro-ella. Tout s'y fait comme aux services d’enterrements, le corps seul fait défaut, mais y est remplacé par une croix en bougie. Je répondis à l’exprès que je croyais qu’on ferait bien d'attendre encore, puisqu’on ne pouvait dire qu’il y eût certitude absolue ; que, d’ailleurs, ayant un voyage à faire au continent, je devais partir le mercredi matin, et que peut-être j’en aurais quelques nouvelles. « Quelles nouvelles, » me demanda cet homme, qui est un des marins les plus expérimentés du pays, et qui connaît mieux que personne les passes et les courants qui sont dans ces parages, « quelles nouvelles, Monsieur le Curé, pourriez vous en avoir ? A coup sûr, vous n’en aurez pas de favorables. Vous voyez l’état de la mer, elle est tellement houleuse qu'il nous a été impossible de sortir avec nos gros bateaux pour aller à la recherche de ces malheureux. Comment une barque aussi frêle aurait-elle pu tenir ? Non, non, ces pauvres enfants étaient avant minuit au fond de la mer ». Je me rappelle parfaitement ces paroles, aussi bien que l'accent avec lequel elles furent prononcées. Cet homme était proche parent d'une des familles affligées. « Faites donc sans crainte le services, me dit-il, pour adoucir la douleur des parents et pour le repos de l’âme de ces malheureux enfants ». Je cédai et j’indiquai l’heure des services pour le lendemain. Le soir, les parents et proches se réunissent dans les maisons des défunts, pour y passer la nuit en prières selon l’usage du pays. Le lendemain, à l’heure indiquée on vient en cortège à l’église, et nous chantons trois services et deux messes, au milieu des soupirs et des sanglots des assistants.

Le mercredi matin, je pars pour le continent et j’arrive à Porspoder vers le soir. La première nouvelle que le père de Monsieur le Recteur, que je rencontrai en arrivant, m’apprit, fut qu’il y avait par là un bris d’enfant, en breton, eur pensé bugale. « Est-ce qu’on a trouvé leur corps par ici ? » lui demandai-je. — « Et leurs corps et leurs âmes, tout ensemble, » me répondit-il. — « Est-il possible, dis-je, qu’ils soient en vie ? »« Mais oui, dit il, un bateau de Saint-Pabu les a recueillis en mer, hier au soir ». Je pars, le lendemain matin, dans l’intention de voir et de serrer dans mes bras ces chers paroissien pour lesquels j’avais chanté une messe de Requiem et quelques Libera l’avant-veille ; mais chemin faisant, j’appris qu'on était allé les conduire à leur île. L’effet que fit à Ouessant le retour si inattendu de ces jeunes insulaire se devine ; tout le monde y voyait une intervention bien marquée de la divine Providence. Le jour suivant, leurs religieux parents les conduisirent à la messe et à la confesse au vicaire.

Mais qu’était-il donc arrivé à ces enfants, depuis leur disparition jusqu’à leur retour dans leur île ?

Voici ce que le plus jeune d'entr'eux a constamment rapporté :

Le dimanche au soir, ils allèrent se promener à la grève et, trouvant une barque là, ils y montèrent dans l’intention d’aller dénicher des oiseaux à une roche séparée de l’île ; mais presqu'aussitôt, pris dans un courant, ils furent entraînés irrésistiblement et poussés au large. A peine avaient-ils fait un demi-quart de lieue, qu’ils furent lancés dans les brisans et leur bateau fut à demi rempli d’eau. Ils allaient donner contre une roche, mais le remous repoussa l’embarcation et lui fit prendre une autre direction. Quand ils se virent sortis de cette dangereuse passe, ils travaillèrent de leur mieux à jeter l’eau dehors, et les deux plus âgés prirent alors des rames qui se trouvaient dans le canot, pour tâcher de se soustraire aux dangers qui les menaçaient de toutes parts. Ils s’éloignaient toujours de terre, et la nuit arrivait sur eux ; bientôt, ils perdirent de vue leur île. Les voilà donc au milieu de l'Océan, entourés de grosses lames de mer, qui auraient fait trembler les meilleurs marins, et se croyant menacés d’une mort très prochaine. Ils passèrent la nuit dans cette cruelle et désespérante position. Le jour suivant, leur position fut la même ; ils ne voyaient aucune terre, ce n’était pas peut-être à raison de la distance qui les en séparait, mais à cause des fortes houles qui les environnaient et qui les dominaient.

Mais que faisait le plus jeune, pendant que les deux autres travaillaient avec leurs rames pour tâcher de parer aux coups de mer ? On serait porté à croire qu’il n’était pas d’un grand secours dans le bateau, si ce n’est peut-être pour servir de lest. Qu’on ne s’y méprenne pas, ce pauvre petit contribua peut-être autant que les deux autres au salut commun ; sa mère avait eu soin de lui apprendre ses prières, il savait son Pater, son Ave Maria, son Angele Dei, son Credo et, probablement, d’autres prières encore ; il pouvait donc prier, et c’est la tâche qui lui fut imposée par ses deux compagnons. « Dis tes prières, au moins, toi, » et le petit de prier de son mieux, car il avait déjà assez d’intelligence pour concevoir que la position n’était pas rassurante. Au bout d’un certain temps, il s’arrête, ne prie plus. « Dis donc tes prières, » lui répétèrent les deux autres. — « Mais j’ai dit tout, » répondit le pauvre petit. — « Recommence et prie toujours ». Et l’enfant de recommencer et de continuer. Voilà comme ils passent la journée du lundi. Le soir, ils ne tiennent plus, tant ils sont fatigués et exténués par la faim ; il y avait déjà vingt-quatre heures qu’ils n’avaient mangé. Ils sont donc forcés de se reposer ; alors, par un certain instinct de conserver encore la vie, ils se placent, le plus âgé à un bout du bateau et les deux autres à l’autre bout, pour que la barque conserve l’équilibre autant que possible. Ils passent ainsi la nuit du lundi au mardi, dormant ou sommeillant comme ils pouvaient ; le temps s’était un peu calmé alors. Le mardi matin, quand le jour paraît, ils aperçoivent une terre, mais ce n’est pas leur île, parce qu'ils voient beaucoup de clochers. Ils se trouvaient apparemment devant Ploudalmézeau et Lampaul, car quelque heures après, le canot, à force de dériver, se trouve devant Saint-Pabu et reste là, à l’abri d’une roche, comme si on y avait jeté l’ancre, et c’est dans cet endroit qu’ils furent aperçus par des bateliers de Saint-Pabu qui furent les prendre ; et il était bien temps, car ils étaient tous les trois presqu'évanouis. (Le Roux, curé de Saint-Renan).

(Extrait des Archives du diocèse de Quimper et de Léon).

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