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LE CHÂTEAU D'OUDON.

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La situation. — La « Tour d'Oudon », comme on dit vulgairement, est un beau donjon, vestige du château qui formait une enceinte fortifiée, dont quelques autres constructions demeurent encore au sommet du mamelon rocheux qui commande le confluent avec la Loire de la petite rivière qu'on appelle officiellement aujourdlui le Havre et qu'on dénommait jadis l'Oudon, comme la localité formée à cet endroit dans le haut Moyen Age [Note : Oudon est une commune de l'arrondissement d'Ancenis (Loire-Inférieure). Son nom — en latin Uldonum, Oldunum — semble formé du radical Olt, bien connu en toponomastique, où il passe pour être d'origine préromaine, et qu'on retrouve notamment dans l'Out (Oltum), dit aujourd'hui à tort l'Oust, affluent de la Vilaine, dans le Morbihan, et dans le Lot (l'Olt, l'Ot, par redondance le Lot), affluent de la Garonne, radical suivi de la désinence dun ou don, en latin dunum, donum, non moins connue et désignant une éminence fortifiée (Verdun, Châteaudun, Châteldon, etc.). Un petit port fluvial s'étant créé au confluent était devenu, en fait, le havre de l'Oudon, car la rivière avait pris le nom de la localité, nom qui, lui-même, avait été construit sur l'appellation primitive de la rivière. Et, maintenant, c'est le port qui cède son vocable à celle-ci, alors que lui-même garde celui sous lequel on désignait précédemment la rivière. Exemple curieux et assez compliqué de filiation phonétique !].

De la rive droite du fleuve, c'est-à-dire en terre bretonne, la « Tour » domine de ses cinq étages les modestes maisons qui se pressent à son pied. Face à l'immense horizon lumineux qui, par delà les saules argentés des îles, les bancs de sable blond et les eaux moirées, va se perdre au loin sur la ligne onduleuse des coteaux, couverts de bois ou de vignes, familiers à l'école tourangelle, cette paisible localité mire au soleil dans la calme « boire », bassin mi-clos dérivé du grand fleuve, qui sert de port aux barques et aux péniches, ses façades blanchies à la chaux, ses combles bleutés, patinés par le vent de mer de lichen jaune et gris et que piquent de notes fauves quelques insolites toits de tuiles courbes, intruses en ce domaine de l' « ardoise fine » chère à Joachim du Bellay.

Les eaux baignaient jadis le bas du rocher sur lequel la « Tour » est assise ; elles alimentaient ses fossés. L'édifice s'harmonise au mieux avec ce paysage qu'il complète et couronne, alliant, nous le verrons en détail, la force du donjon médiéval à la grâce de la première Renaissance ligérine.

Assurément, il n'a pas l'âpre et sévère allure de ces nids d'aigle auvergnats et limousins d'où les Aymerigot Marchés, les Bernard de Garlan et tant d'autres, avec une « route » de soudards, bretons ou gascons, pouvaient, au XIVème et au XVème siècle, profiter des troubles de la guerre franco-anglaise pour écumer longtemps une région. Il n'a rien non plus d'un altier burg rhénan, perché sur un promontoire abrupt, de la Forêt-Noire ou des Vosges. Deux chaînes de coteaux l'encadrent d'assez près, au nord et à l'ouest, le dominant, même fortement ; mais une position trop escarpée eût plutôt gêné son rôle de contrôle et de défense immédiate d'un passage à la fois routier et fluvial. Jusqu'au milieu du XVème siècle, on n'avait d'ailleurs pas à se préoccuper des hauteurs surplombant un château, si ce dernier était hors de la portée très limitée du tir plongeant des machines de guerre ou d'une artillerie encore peu puissante.

L'endroit fut bien choisi. La route d'Angers à Nantes, qui suivait, sur la rive droite, tantôt les crêtes de l'arrière-plan, tantôt, le bord du fleuve quand il surplombait suffisamment le niveau des inondations périodiques, franchissait à l'origine le confluent du Havre par un gué, que plus tard un pont remplaça.

De plus, un bac faisait, en cet endroit, traverser le val de Loire aux gens et aux marchandises allant de Bretagne en Anjou ou vice versa. Les habitants de l'une et l'autre rive, fidèles à la tradition, disent toujours : « Je vais en Anjou » ou : « Je vais en Bretagne ».

Bac et gué ou pont, double passage, double contrôle ; double péage aussi, perçu par le seigneur de fief. Donc, double raison d'établir là un château fort.

Le cours de la basse Loire est ainsi jalonné au nord et au sud par les survivances d'anciennes forteresses. Leurs fondateurs les avaient, assises sur les hauteurs dominant de plus ou moins haut les failles perpendiculaires au lit du fleuve qui entaillent de loin en loin la ligne des coteaux schisteux au travers desquels ses médiocres affluents se faufilent jusqu'à lui. Pour nous en tenir à la région voisine d'Oudon et aux principales forteresses de cette catégorie, on trouvait : en amont, Ancenis, Ingrandes ; plus loin, Champlocé, dont subsistent d'importants vestiges ; en aval, Château-Guy et., en face, les ruines, que le temps et les végétations rendent de plus en plus méconnaissables, de la vaste enceinte fortifiée de Champtoceaux (autrefois Châteauceaux).

Il ne faut pas oublier que l'on est ici sur la plus grande et plus facile voie d'accès de France en Bretagne et à la frontière de ces pays. Tout près d'Oudon, à l'ouest, les deux rives du fleuve s'escarpent et se resserrent. Les hauteurs de la Varenne, au sud, de Château-Guy, au nord, fermant à demi l'ample bassin où la Loire vient de s'attarder, figurent vraiment comme les propylées des deux provinces. Or, il fut des époques, notamment sous Jean IV et Jean V, puis sous François II et pendant la minorité d'Anne, où la politique ducale fut souvent en désaccord avec celle du roi ; ce qui entraînait un renforcement des fortifications à la périphérie.

L'imposante forteresse d'Oudon correspondait à une triple nécessité militaire, économique et politique, supérieure à l'importance territoriale, dans la hiérarchie féodale, de la seigneurie dont elle était le siège.

L'histoire. — Ces observations laissent entrevoir pourquoi il semble y avoir eu, pour surveiller ce passage, un établissement fortifié dès les temps les plus reculés du Moyen Age ; mais peut-être ne fut-il pas élevé tout d'abord à l'emplacement actuel.

A deux kilomètres au nord, dans le petit vallon du Havre, sur une esplanade rocheuse envahie par la broussaille, subsistent les fondations d'une très ancienne forteresse, dite « Vieille Cour », Vetus Curtis. Ce terme de curtis, que les Francs adoptèrent plus volontiers que celui de villa, par lequel les Romains désignaient le domaine du gros propriétaire, du potens, s'applique toujours en France à des lieux remontant à une époque précapétienne et où se trouvait le siège d'une habitation de notable.

La carte de Cassini indique, et le dictionnaire d'Ogée affirme, que, près de là, une voie romaine, d'intérêt capital, reliant Angers à Nantes par le val de Loire, franchissait le Havre au lieu dit « le Pont Noyé » : nom évocateur des ruines submergées d'un viaduc ancien. On n'a, cependant, signalé aucune trace d'une agglomération en ces parages à l'époque romaine. Seules, des substructions d'habitation particulière ont été mises au jour sur le bord du fleuve, à l'est du bourg.

Plus tard, un autre passage, qui devait par la suite supplanter le premier, fut établi juste à l'embouchure du Havre, où il est encore. Ce dut être l'occasion choisie pour y ériger un système protecteur de fortification. A quelle époque ? Les documents connus ne permettent pas de le préciser. Nous savons seulement qu'en 1038 il y avait déjà des seigneurs d'Oudon : quatre frères, qui figurent comme témoins à la fondation du prieuré de Châteauceaux ; peut-être avaient-ils leur maison forte à Vieille Cour.

Un fait certain, en tout cas, c'est que, un siècle plus tard, le château d'Oudon existait. Le 27 septembre 1137 ou 1138, en effet, Guillaume, seigneur d'Oudon, confirme à l'évêque de Nantes, Brice, par la tradition symbolique d'un couteau, le don qu'il avait déjà fait d'une église à Oudon et d'une certaine quantité de terre alentour, pour y établir le cimetière et le prieuré des moines de Saint-Aubin d'Angers qui desserviront la paroisse et les habitations des hommes qui viendront s'y installer. Il exempte ceux-ci de toutes redevances foncières à son égard ; mais il pose comme condition qu'ils lui devront le service militaire personnel de guet à son château et de « suite » dans ses expéditions [Note : D. Lobineau, Pr. 339-340, et D. Morice, Pr. 1, col. 563. — Cet acte a été jadis analysé dans la petite monographie d'Oudon par E. Maillard, La Tour d'Oudon, 2ème édit., Ancenis, 1882, in-16, p. 18, résumant pour une grande part les données d'une étude de Ch. Bizeul et A. Guéraud, Oudon, ses seigneurs et son château, parue, en 1864, dans le Bull. de la Soc. archéol. de Nantes, 1. IV. p. 69-87. Un extrait de cette notice avait déjà été publié dans le Bulletin monumental de 1858, p. 737-741. Le plan du donjon qui accompagne l'article de Bizeul et Guéraud avait été relevé par l'architecte nantais Liberge].

Ce texte, acte de naissance à la fois de la paroisse et du bourg, indique que le château préexistait et, qu'une église — peut-être simple chapelle castrale — avait fait l'objet d'un don précédent.

Qu'était ce château, construit au XIème siècle ou tout à fait au début du XIIème ?

Probablement une tour de bois entourée d'une ou plusieurs enceintes palissadées. Aucune des substructions de pierre subsistant ne correspond à une époque si ancienne. En revanche, à partir de la seconde moitié du XIIème siècle, il avait acquis une certaine importance défensive. On le verra désormais assiégé et pris par les envahisseurs à chacune des multiples fois où la Bretagne servira d'enjeu et de champ de bataille dans le duel souvent renaissant entre la France et l'Angleterre. En 1174, Henri II Plantagenet s'en empare lors de sa victorieuse expédition en Bretagne. En 1214, c'est Jean sans Terre, dans sa lutte contre Philippe Auguste. En 1230, une garnison anglaise occupe le château d'Oudon, à l'appel de Pierre Mauclerc. Les troupes de saint Louis, venant de l'Anjou par Ancenis et marchant vers l'armée anglo-bretonne d'Henri III et de Pierre Mauclerc l'enlèvent d'un impétueux assaut [Note : Guillaume de Nangis, Chroniques latines (édit. Géraud, T. I, p. 180). —Voir Élie Berger, Histoire de Blanche de Castille, Paris, 1805].

Une trêve, conclue à Saint-Aubin-du-Cormier, interrompt la guerre pendant trois ans ; puis elle reprend et, comme précédemment, sur la grand'route d'invasion de la Bretagne, saint Louis trouve la forteresse d'Oudon comme premier obstacle sérieux à son libre passage. Il s'en empare de nouveau en 1234 [Note : Mathieu Paris, Chronica majora (édit. Luard, t. III, p. 297). — Philippe Mousket, Chronique rimée (édit. Reiffenberg, vers 28327). — Brève Chronicon de Saint-Florent de Saumur (édit. Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 198). — Voir J. Levron, Pierre Mauclerc, Paris, 1935, extr. des Mém. de la Soc. d'hist. et d'archéol. de Bretagne, 1933-1934].

Ces violents faits de guerre n'ont pu manquer d'amener des réfections et réparations importantes aux fortifications ; mais, de 1234 à 1340, rien de notable concernant ce château n'est parvenu à notre connaissance. C'est d'ailleurs normal : siècle de paix et de calme intérieurs.

Au début du XIVème siècle, la lignée des seigneurs d'Oudon s'éteint, faute d'héritier mâle. Une fille de cette maison porte le château à Alain de Châteaugiron. Sous cette race, qui s'alliera, par le mariage d'Hervé (1382) avec Jeanne de Malestroit, à l'une des plus grandes familles de Bretagne, le château d'Oudon sera forcément mêlé à la guerre de succession au duché.

Il convient aussi d'observer que, pour toute la suite de son histoire, nous ne sommes pas renseignés avec autant de précision que le donnerait à penser le rôle joué dans les relations de la Bretagne et de la France par les Malestroit, puis les Montmorency et, les Condé. Cela tient à ce que les archives des seigneurs d'Oudon, comme celles des Châteaugiron, des Malestroit, des Dinan et d'autres, sont venues se fondre successivement, dans l'immense dépôt d'archives de Châteaubriant, aux Montmorency, héritiers des Laval. Or, il ne reste absolument aucune trace de ce chartrier, qui avait heureusement été consulté pendant deux ans et, copieusement utilisé par le P. du Paz pour son Histoire généalogique de Bretagne [Note : Paris, 1619 (Bibl. nat., ms. 22331). — Voir A. Bourdeaul, Le P. du Paz et l'hist. généal. de Bretagne, dans Mém. de la Soc. d'hist. et d'archéol. de Bretagne, 1921, p. 126 et suiv.].

Dès la première année du grand conflit dynastique entre les Montfort et les Penthièvre, en 1341, Oudon, qui tient pour Montfort, est assiégé et pris par des partisans de Charles de Blois. En 1364, Jean de Châteaugiron a changé de camp : il prend part du côté franco-breton à la bataille d'Auray. Après la défaite et la mort de Charles de Blois, pour lequel il était capitaine de Vannes, il se retire dans cette ville, qu'il est obligé de rendre aussitôt à Jean de Montfort, victorieux.

Lui et ses successeurs se rallient alors à la nouvelle dynastie. Ils la serviront même avec fidélité et cela leur vaudra beaucoup d'honneurs, de grands profits et quelques avatars.

Ses fils, Jean, Alain et Thébaud, abandonneront leur nom de Châteaugiron pour prendre celui de Malestroit, qui rappelait leur grand'mère. Jean de Malestroit (1374-1394) fut un grand homme de guerre, émule de Bertrand Du Guesclin, d'Olivier de Clisson et de Sylvestre Budes, qui l'arma chevalier.

Lorsque la lutte eut pris fin dans le duché, désireux sans doute de faire cesser l'indivision avec ses frères quant à l'héritage paternel, il leur céda, par acte du 22 septembre 1375, ses droits sur les châteaux d'Oudon, Vieille Cour et Châteaugiron, se réservant en propre les seigneuries vannetaises de Largoët et de Malestroit.

Thébaud, qui est évêque de Cornouaille, ayant à son tour abandonné à Alain sa propre part et celle qu'il avait ainsi reçue de Jean, Alain resta seul maître d'Oudon et de Vieille Cour [Note : E. Maillard, op. cit., p. 27, n. 2 et. 3, citant le ms. de Belineau du Ponceau, Mémoires de Bretagne, à la Bibl. nat.]. Il entre dans l'intimité de Jean IV et bénéficie largement des générosités ducales, notamment lors de son mariage, en 1386, avec Marie de Satanville et de son intervention diplomatique en faveur du duc dans ses démêlés avec Olivier de Clisson et les Penthièvre (1389). Il cautionne le duc, à son tour, pour une somme de 6.000 livres dans l'accord de pacification qui, en 1392, mit provisoirement fin à la querelle entre les deux puissantes maisons féodales.

Il ne manqua naturellement pas de faire profiter la sienne d'une telle faveur. On suppose que son père et lui avaient accru la force de leur château d'Oudon ; mais il y manquait ce qui, en cette seconde moitié du XIVème et pendant une grande partie du XVème siècle, consacrait un château et le faisait passer du rang de simple maison forte à celui de grande forteresse : un beau, vaste, haut et solide donjon. Aussi, dans cette même année 1392 où il venait de s'engager pour le duc, peut-être en guise de récompense directe, demanda-t-il et obtint-il de Jean IV, par lettres du 22 mai, « congé et license de faire et ediffier chastiel et forteresce au lieu et place d'Oudon et es appartenances » (Arch. dép. de la Loire-Inférieure, E 14). Le duc y mettait, toutefois, comme condition que serait arasé le « chastiel et forteresce de Vieille Court ».

Un membre de phrase semble indiquer que le château d'Oudon était alors en bien mauvais état, puisque l'on y note que « autreffois il y eust eu forteresce ». Il s'agit probablement des constructions qui forment l'enceinte accompagnant la « Tour » et qui devaient être restées en ruine, sans usage utile depuis l'assaut de 1341. Elles furent sans doute remises en état dans le même temps que s'éleva le donjon neuf, au cours des années qui suivirent la concession de 1392.

Ce document est donc à la fois l'acte de décès de Vieille Cour, devenue sans objet depuis que la route n'y passait plus, et l'acte de naissance de la « Tour », dont il est normal de placer la construction entre 1392 et 1415, date de la mort d'Alain de Malestroit. Cette période correspond, d'ailleurs, tout à fait à la belle époque de reconstitution et de rénovation du pays breton.

La puissance des Malestroit approche alors elle-même de son apogée. Elle y parviendra bientôt avec le propre neveu d'Alain, Jean, évêque de Nantes, qui sera chancelier de Bretagne et ministre omnipotent de Jean V.

Possédant à la fois les donjons d'Elven, Rieux, Oudon, il n'y a dans la noblesse bretonne qu'une seule famille qui puisse militairement rivaliser avec sa maison, celle des Penthièvre, alliés aux Rohan, maîtres de Josselin, Clisson, Blain, Châteauceaux, entre autres forteresses.

Or, une haine farouche perpétuera entre le duc de Bretagne et les Penthièvre l'hostilité qui divisait, déjà Jean IV et Olivier de Clisson. Quelque temps avant l'octroi du « congé et licence » de bâtir le donjon d'Oudon, Olivier de Clisson, qui fut sans doute le plus grand constructeur de son temps, avait élevé la forteresse de Château-Guy non loin de là, en une très forte position, dominant le défilé de la Loire, face à la Varenne. Jean IV venait, en 1387, de l'obliger à la lui céder par le traité du 27 juin, extorqué dans la tour neuve du château de l'Hermine, à Vannes, où le connétable avait été, on le sait, traîtreusement attiré et enfermé.

L'érection d'un fort donjon dans le voisinage immédiat de Château-Guy — dont la possession, de ce chef, serait toujours discutable et précaire — ne pouvait qu'y renforcer, par l'intermédiaire d'aussi fidèles vassaux que les Malestroit, la situation du duc. Oudon devenait une réponse à Château-Guy, à l'ouest, comme à Châteauceaux, au sud ; de même qu'au pays de Retz, Machecoul équilibrait Clisson ; au pays de la Mée, Châteaubriant compensait Blain et, au pays de Vannes, Largoët, Rochefort et Rieux, touchant tous également à la maison de Malestroit, étaient autant de répliques à l'inexpugnable forteresse de Josselin.

Peut-être, en conséquence, ne paraîtra-t-il pas exagéré de dire que cet acte de 1392, dont la portée semblerait toute locale, correspond à cet ensemble de préoccupations qui mène la politique intérieure du duché dans le dernier quart du XIVème siècle.

Après la mort de Jean IV, en 1402, sa veuve, qu'il avait instituée régente du duché, choisit Alain de Malestroit pour lieutenant-général. Quand celui-ci mourut, en 1415, son fils Jean, seul héritier mâle, recueillit à la fois la seigneurie d'Oudon et la faveur dont le père jouissait à la cour ducale. Il fut le fidèle conseiller de Jean V et reçut, par lettres du 10 juillet 1420, le don du fief de la Tour, en Oudon et Couffé, qui complétait fort bien ses domaines et qui venait d'être confisqué sur Ponthus de la Tour-Landry, partisan des Penthièvre. Il ne pouvait moins faire, à son tour, que d'entrer, cette même année, dans la ligue des seigneurs bretons contre les Penthièvre.

Mais la fortune est inconstante. Jean de Malestroit tombe avec son suzerain dans le guet-apens tendu à celui-ci par Marguerite de Clisson, la terrible « Margot », et son fils, Charles de Blois, à la frontière de l'Anjou et il ira croupir avec lui dans les cachots de Châteauceaux. Cette chaude alerte ne put que resserrer l'intimité qui le liait à son duc. Il meurt en 1449, laissant Oudon à son seul fils, Alain, qui épousa sa cousine Jeanne Raguenel.

Toujours fidèle à la cause ducale et bretonne comme ses prédécesseurs, il commande, en 1465, une compagnie d’ordonnance dans l'armée que François II destine à la guerre du Bien public contre Louis XI. Pendant qu'il est à la cour ou à l'armée, son château d'Oudon est gardé par un sergent d'armes, qui, en 1475, est un nommé Olivier Caro, commandant à neuf francs archers seulement. Ce détail montre l'importance militaire très relative que l'on attachait désormais à des forteresses de ce genre, si elles n'avaient pas été profondément remaniées pour répondre aux progrès de l'artillerie à feu.

Alain meurt en 1485. Son second fils, Guillaume, hérite de sa seigneurie d'Oudon. Il comptera parmi les fidèles d'Anne de Bretagne (Lobineau. Pr., p. 1408, 1471, 1514 ; Hist., I, p. 795). Sa fille épousera un Angevin, René du Bellay, seigneur de Liré, frère du doux poète de la Pléiade. Avec lui finit la geste glorieuse des Malestroit d'Oudon.

Ses fils, Jean et Julien, qui lui succèdent indivisément en 1519, paraissent, avoir été de francs mauvais sujets. Pour satisfaire les insatiables besoins de dépense d'une vie dissipée, ils rançonnaient les marchands passant en Loire ou se présentant au péage de la route et du bac. Ils firent, mieux : ayant fabriqué de la fausse monnaie dans leur donjon, ils lui assurèrent cours forcé parmi leurs sujets. Pour comble d'impudence, nos deux gaillards attirèrent violemment l'attention en tuant à coups d'épée le seigneur de la Muce, à la suite d'une altercation. Ils se réfugièrent aussitôt à Oudon, derrière les murs de leur château ; mais ce sang versé avait fait déborder leur vase d'iniquité. Le roi François Ier se trouvait à Nantes en 1526. Sur les plaintes qu'il y reçut, mission fut donnée au duc d'Étampes, gouverneur de Bretagne, de s'emparer des coupables. Celui-ci en chargea Guy XVI, comte de Laval, qui vint assiéger le château d'Oudon et le prit de vive force. Jean et Julien y furent capturés et emmenés à Nantes, où ils restèrent, longtemps dans les geôles du Bouffav. Enfin, la commission nommée par le roi pour juger en Bretagne les faux monnayeurs les condamna à mort.

Leurs biens ayant été confisqués au profit du roi, la seigneurie d'Oudon fut vendue par lui, après 1540, pour 8.000 écus, à Raoul du Juch, qui la laissa à sa fille Claude. Elle fut peu à peu rachetée par Madeleine et Jeanne de Malestroit, sœurs des deux coupables et épouses de René du Bellay et de Joachim de la Roche.

Mais décidément, à Oudon, le charme était rompu pour la race des Malestroit, car les enfants de Madeleine et de Jeanne s'empressèrent, dès qu'ils en furent maîtres par héritage, de vendre leur part respective de cette seigneurie, l'un, en 1553, l'autre, en 1559, au connétable de France, Anne de Montmorency, baron de Châteaubriant et gouverneur de Nantes. C'est à ce dernier titre que Montmorency invita le roi Charles IX à venir passer quelques jours au pays de la basse Loire. Il le reçut d'abord à son château de Châteauceaux, puis à celui d'Oudon, où le roi s'embarqua, le 12 octobre 1565, pour Nantes sur une galère envoyée par cette ville.

Le rôle du château d'Oudon est alors depuis longtemps devenu tout à fait nul du point de vue militaire. Les Montmorency-Laval, grands personnages du royaume, ne l'habiteront jamais d'une façon continue.

En 1632, Henri de Montmorency est décapité à Toulouse, victime de la lutte implacable du cardinal de Richelieu contre les derniers sursauts d'une féodalité turbulente.

Ce nouvel accident tragique, un siècle après celui qui était survenu aux Malestroit, enlève encore une fois Oudon à ses propriétaires directs. La seigneurie est confisquée. Le roi n'en prive cependant pas complètement la famille : il la donne à la célèbre Charlotte de Montmorency, dont la jeune beauté avait jadis tant attiré le Vert-Galant vieilli. Elle était femme d'Henri de Bourbon, prince de Condé, dans la maison de qui Oudon restera jusqu'à la Révolution, sans être jamais habité ni même peut-être visité par aucun de ses membres, que retenait plutôt le faste de Chantilly. Le château ne fut plus l'objet d'aucun entretien.

Au préjudice de Louis-Joseph, duc de Bourbon, prince de Condé, le chef de l'armée des Émigrés, il fut vendu comme bien national en deux fois. Une première adjudication, du 4 fructidor an IV (21 août 1796), attribua le terrain à un sieur Cosnuel ; une seconde, du 23 août 1807 seulement, vendait la Tour, pour la modeste somme de 1.200 francs, aux époux Granger (Arch. de la Loire-Inférieure, série Q).

Comme la plupart des acquéreurs de ruines féodales, ceux-ci s'empressèrent de faire argent des pierres de taille à la convenance des entrepreneurs ou des particuliers. C'est ainsi que disparurent, comme à Sucinio et, en tant d'autres châteaux, les marches du grand escalier, des linteaux de portes et des manteaux de cheminées.

En 1820, par acte du 12 janvier, passé devant maître Citerne, notaire à Nantes, le Département de la Loire-Inférieure, sur l'initiative du préfet, comte de Brosses, racheta, des époux Granger, la Tour pour 2.000 francs. Le terrain le fut pour 370 francs du sieur Cosnuel, par acte du même notaire en date du 24 mai 1823.

Un arrêté ministériel du 24 juillet 1866 a classé la Tour monument historique. En 1870, une subvention de 85.000 francs fut accordée par les Beaux-Arts pour sa restauration ; mais les travaux, à peine engagés, furent interrompus par la guerre franco-allemande.

Le Département s'était totalement désintéressé de sa propriété ; aussi ne fit-il aucune difficulté à la céder gratuitement à l'État, le 30 avril 1881. Il s'engageait même à verser 2.000 francs pour sa contribution aux frais de la restauration. Celle-ci fut alors entreprise avec goût par l'inspecteur en chef des Monuments historiques, Victor Ruprich-Robert. Elle est malheureusement restée très incomplète, puisqu'on n'a pas réparé l'intérieur, où il manque l'escalier principal et tous les planchers, dont la réfection fut ajournée, faute de crédits.

Description.Enceinte fortifiée. — Le château d'Oudon comportait, ainsi que la plupart des forteresses du XIIème siècle, non seulement un donjon, mais un ensemble de murailles, flanquées de tours, couronnant une position escarpée et en épousant le contour. C'était le type du Château-Gaillard et de Gisors, comme ce fut celui de Josselin, en Bretagne, de Châteauceaux, en Anjou, de Laval, au Bas-Maine, de Tiffauges, en Poitou, pour nous en tenir à la région et aux noms les plus célèbres.

A Oudon, la fortification ceinturait le massif rocheux dominant le petit confluent. On en retrouve sur trois côtés (voir le plan ci-contre) les substructions, plus ou moins ruinées, mais dont le tracé ne laisse aucun doute. Sur les deux autres faces de ce pentagone très irrégulier, il ne reste plus rien. La tranchée de la route nationale, qui a isolé les parties sud et est du rocher, et les constructions ou jardins du village, qu'on y a établis, ont tout effacé ; mais l'imagination y supplée facilement en fonction de ce qui reste et de la nécessité qui s'imposait de faire front à la fois sur la Loire et sur l'embouchure du Havre.

La « Tour » actuelle, postérieure, nous l'avons dit, à 1392, a-t-elle remplacé un précédent donjon ? On peut le supposer avec vraisemblance, étant donné l'usage, d'une part, et, d'autre part, l'anomalie que présenterait autrement la longueur de la courtine nord sans aucune tour intermédiaire de flanquement. Toutefois, l'absence totale de vestige ne nous permet pas de l'affirmer. Cette absence n'est, d'ailleurs, pas davantage une preuve du contraire, car cet hypothétique donjon primitif aurait occupé déjà l'emplacement du nouveau, conformément aux exigences d'une défense logique du lieu. Les fondations en auraient été supprimées ou auraient été englobées dans celles de la « Tour » actuelle, lors de sa construction, postérieurement à 1392.

Telle qu'elle se présente, l'enceinte, faite d'un blocage irrégulier de schiste et de gneiss, mesure environ 82 mètres dans sa plus grande longueur, 50 mètres dans l'axe du donjon, qui correspond à peu près à la plus grande largeur, et 33 mètres derrière l'entrée, où est l'endroit le plus étroit.

Cette entrée aspectait le nord-ouest, au point où la plate-forme rétrécie permet la plus facile défense de ce côté visiblement le plus vulnérable de la forteresse, puisque aucune protection naturelle ne s'y oppose à l'assaillant qui cherche à progresser par la terre ferme vers le passage d'eau. Elle comprenait une porte, amortie en plein cintre, et une poterne pour piétons, avec deux ponts-levis, l'un pour cavaliers et véhicules, l'autre pour piétons. Dans le couloir voûté faisant suite à la porte, on voit les rainures où glissait, quand on la laissait tomber de l'étage supérieur, la herse de fer précédant et protégeant une seconde porte, dont les deux lourds vantaux obturaient l'extrémité du couloir conduisant à la cour intérieure. Entre la herse et cette seconde porte, du côté droit du couloir, un banc de pierre était ménagé pour le ou les gardiens de service dans l'épaisseur de la muraille sous une arcade en plein cintre.

Du côté gauche, une pièce assez exiguë, avec cheminée à simple linteau droit, à montants biseautés et, au mur, un banc mouluré, servait de corps de garde ou de porterie. De là, on pouvait surveiller l'accès aux ponts-levis par une petite baie rectangulaire, jadis grillée. Au-dessus du couloir était la chambre de manœuvre des ponts-levis et de la herse. Il n'en reste rien. Cet ensemble était flanqué de deux tours rondes, ruinées à partir du rez-de-chaussée.

Le château d'Oudon à Oudon.

PLAN DE LA FORTERESSE

On y accédait par deux portes se faisant vis-à-vis de chaque côté du couloir d'entrée, presque aussitôt après la porte à deux vantaux, dont nous venons de parler. La disposition intérieure de ces deux tours n'était pas identique, sans qu'il y ait lieu de les croire d'âge différent : leur appareil, leurs dimensions, leur diamètre, leur saillie et leurs formes extérieures sont semblables.

Tout ce massif de l'entrée, comportant à la fois herse et pont-levis, a dû être élevé ou refait entre la prise d'Oudon par saint Louis et le début de la guerre de Cent ans. L'existence du pont-levis ne permet pas de remonter au-delà.

La tour de gauche, la plus ruinée, laisse encore voir une salle hexagonale, incomplète, éclairée par trois archères destinées à battre le fossé et l'entrée. Celle de droite, à laquelle on accède par une petite porte en arc brisé, à arête biseautée, suivie d'un étroit passage, où prend naissance la vis menant à la fois aux étages supérieurs et à la chambre de manœuvre au-dessus de l'entrée, était accolée à la logette de portier. Elle présente une salle basse encore complète, de forme heptagonale, munie de deux archères, à embrasure rectangulaire, garnies de bancs de pierre, sur lesquels pouvait s'asseoir la sentinelle chargée de surveiller l'extérieur. Une petite cheminée, à piédroits biseautés, occupe le trumeau entre les deux embrasures. Son manteau, disparu, reposait sur deux corbelets arrondis ; un arc de décharge surbaissé la surmontait.

Un étroit corridor coudé menait, dans l'épaisseur du mur sud, à des latrines dont la fenêtre en meurtrière pouvait servir, en même temps qu'à l'aération, à surveiller et à battre la base de la courtine ouest. Au-dessous de cette salle se trouve un cul de basse-fosse voûté, cachot, caveau ou magasin. On devait y descendre, à l'aide d'une corde à noeuds ou d'une échelle, par la trappe qui s'ouvre près de la cheminée.

Les restes d'une autre tour ronde de l'enceinte, d'un type analogue, semble-t-il, se distinguent sous le lierre à l'extrémité sud de ce qui subsiste de la courtine ouest. On y discerne deux embrasures de fenêtres à archères, l'une à la gorge, l'autre au sommet du demi-cercle que formait la saillie de cet ouvrage. Deux tours, dont il ne reste rien, devaient flanquer les angles de la forteresse au sud-ouest et au sud-est et tremper leur pied dans la Loire.

Le donjon occupe à peu près le centre du front est, celui qui commandait le passage du confluent, le pont et le bac.

Quant aux courtines, elles peuvent être suivies sur les parties ouest, nord-ouest et est, depuis l'entrée jusqu'en face du donjon ; ailleurs, elles ont disparu. C'est, donc pour obéir à la vraisemblance que nous proposons une restitution de la forteresse par hypothèse pour l'ensemble du plateau dominant le Havre. A vrai dire, on ne peut se défendre d'un certain doute quand on constate que les substructions de mur cessent, à la hauteur du donjon et que la courtine est se termine là brusquement, sans aucune trace d'arrachement indiquant qu'elle se soit continuée au-delà. L'enceinte serait-elle restée inachevée vers le Havre, le donjon formant angle à cet endroit ? Cc n'est pas impossible, bien qu'assez improbable, si l'on considère le rôle important d'Oudon dans la défense de la province, si l'on tient compte aussi de la longue faveur, de la richesse et, de l'esprit militaire des Malestroit., qui ne s'accordent guère avec un plan de forteresse incomplet et relativement exigu, comparé à la force du donjon.

Un chemin de ronde régnait au sommet des courtines. Il était étroit, car le mur n'était pas bien épais : 2 mètres en moyenne, ce qui donne à penser que la date de sa construction ne doit pas être descendue plus bas que le premier tiers du XIVème siècle, époque qui concorde bien, du reste, avec le caractère et les dispositions du massif de l'entrée.

Le château d'Oudon à Oudon.

PLAN DU DONJON. REZ-DE-CHAUSSEE (EN BAS) ; PREMIER ETAGE (EN HAUT)

Le donjon.« La tour d'Oudon » n'est autre chose que l'ancien donjon, réduit suprême de ce système fortifié.

Qu'il en ait formé l'angle sud-est ou qu'il ait seulement dominé en son centre la courtine est, il constituait, à lui seul, une forteresse complète, car, selon la règle la plus commune, il possédait son fossé, son pont et son enceinte propre, indépendante du reste de la forteresse, de sorte que, celle-ci forcée, les défenseurs pouvaient y supporter un nouveau siège.

Le côté ouest de la cour était occupé, en partie, par un bâtiment d'habitation ou de servitude en face duquel se présentait le fossé du donjon, aujourd'hui petit ravin d'environ 8 mètres de large, dont le bord opposé soutenait une mince muraille, de 0m80 d'épaisseur, épousant exactement le contour du donjon. C'était la « chemise » de celui-ci, organe de fortification qui, dans l'architecture médiévale, est la transposition en maçonnerie de l'antique palissade disposée avant le XIIème siècle alentour des donjons perchés sur leur motte. Elle permettait d'amortir le premier choc de l'assaillant et de tenir quelque temps à distance de la base du donjon le bélier, la sape et l'incendie.

Le pan de cette chemise octogonale qui fait, face au sud et au pied duquel passe aujourd'hui la route nationale présente, outre deux échancrures rectangulaires au sommet de la muraille, qui servaient de créneaux, et, des meurtrières pour la visée, une ouverture centrale, également rectangulaire, à demi bouchée, qui était une poterne, très surélevée au-dessus du sol et menant directement au donjon sans passer par la cour du château. Cette poterne est surmontée d'un arc de décharge en tiers-point, dénotant le XIVème siècle, qui est accosté d'une sorte de cartouche de pierre moulurée, ornée au centre d'un écu mi-parti inscrit en creux dans un cadre mouluré et portant des motifs héraldiques, au relief très usé par le temps. On peut, toutefois, reconnaître encore : à gauche, deux besans, qui sont Malestroit ; à droite, une aiglette ou alérion, qui est Montmorency, au milieu d'un semis de pièces indéfinissables.

Sur le pan de mur voisin et tout près de ce cartouche, en existait un autre, en tuffeau de Loire, rongé par la pluie et le salpêtre. On y distingue, cependant, la forme d'un écu et de petits monticules disposés assez régulièrement pour qu'on puisse retrouver les traces de besans, sans autre motif héraldique, semble-t-il.

Un pont-levis, franchissant le fossé, venait s'appuyer à la chemise, non pas en face de la porte du donjon, mais un peu à droite, afin de donner aux défenseurs du pont, au cas où celui-ci serait forcé, le temps de se retirer dans le donjon et de tirer à eux l'échelle donnant accès à la porte, car il faut remarquer que celle-ci n'est pas au niveau, mais au-dessus du sol du chemin de ronde, large de trois mètres, qui séparait la chemise du donjon.

Cette grosse tour octogonale — ou mieux rectangulaire à angles abattus — dont, le plan est peu fréquent au Moyen Age, rappelle les donjons de Largoët, en Elven (Morbihan), et de Merle, en Saint-Geniès-ô-Merle (Corrèze) [Note : Les deux plus grandes tours de ce groupe, dont l'Illustration du 13 septembre 1913 a donné une très belle photogravure, sont identiques au donjon d'Elven : même plan polygonal, même élévation de six étages, même superstructure, même type de mâchicoulis, pourtant rare hors de la Bretagne, mêmes fenêtres, etc. On dirait des tours sœurs].

Beaucoup moins formidable d'aspect que celui de Largoët, puisque sa hauteur n'est que d'une quarantaine de mètres au lieu de soixante-dix et l'épaisseur de ses murs, à la hase, de trois à quatre mètres, au lieu de six à neuf, il offre, en revanche, un aspect plus élégant et d'un plus harmonieux équilibre. La construction en a été techniquement fort bien comprise. Aussi, malgré la largeur des fenêtres, n'a-t-il pas trop souffert des injures du temps. A vrai dire, il n'a pas eu à subir les explosions des implacables mineurs de Richelieu.

Nulle autre baie que la porte d'entrée et de simples archères en fente ou des meurtrières d'aération ne coupe sur les quatre principaux pans de l'octogone l'appareil en pierres plates de schiste, bien assises, liées aux angles par des arêtes et, à la hauteur des planchers et des combles, par de solides chaînes de calcaire dont le ton clair, tranchant sur le fond sombre de la maçonnerie, souligne agréablement le dessin général de l'édifice.

La cohésion d'une telle masse de pierre étant ainsi assurée, on a pu ajourer à loisir trois des pans coupés de ce grand rectangle central. On y a groupé systématiquement, les unes au-dessus des autres, toutes les fenêtres, d'un même modèle, et les principales latrines, avec leurs conduits d'évacuation pratiqués dans l'épaisseur du mur depuis le dernier étage jusqu'au fossé. Encore a-t-on pris soin de surmonter chacune des fenêtres d'un grand arc de décharge en plein cintre, aux claveaux longs et minces, soigneusement appareillés. Dans le quatrième des petits pans, on a logé la cage du grand escalier. Les encadrements des baies présentent un autre matériau mélangé au schiste local et au tuffeau tendre du Saumurois ; c'est le granit et le calcaire dur, qui alternent entre eux.

Ainsi peut-on observer à la Tour d'Oudon l'emploi de ces quatre sortes de pierre. Ceci est conforme à l'usage des constructeurs de la basse Loire. On en trouve de notables exemples aux tours d'enceinte du château d'Angers, à l'ancien évêché de Nantes. Ce mélange alliait l'élément géologique local, peu coûteux et solide, mais écailleux et grossier, à la pierre tendre, facile à travailler, mais sensible aux intempéries, du Saumurois, que les gabarres de Loire amenaient, à pied d'œuvre sans grands frais, au granit breton de la Contrie ou de Miséri, près de Nantes, très résistant, facile également à acheminer par le fleuve, mais très dur au pic du carrier et au ciseau de l'appareilleur ou du sculpteur, donc beaucoup plus cher que les deux autres, et encore au calcaire fin du Poitou, offrant à peu près les mêmes avantages et inconvénients que le granit, avec une plus grande souplesse à la taille.

A la hauteur du toit, qui consiste en une terrasse couverte de feuilles de plomb, la tour est couronnée d'un chemin de ronde bordé d'un parapet à créneaux rectangulaires et à merlons percés de meurtrières. Ce parapet a été rétabli par hypothèse lors de la restauration.

Il surplombe une série de mâchicoulis formés d'une plate-bande en pierre blanche, ornée d'élégants arcs trilobés pleins et reposant sur de hautes consoles, également en pierre blanche, constituées par trois corbelets étagés, finement moulurés. Tout ce couronnement donne une impression de fraîcheur qui inciterait facilement à accuser les restaurateurs de 1881 d'avoir ici fait du neuf. Heureusement, une gravure de Ciceri, qui date de 1847, représente la Tour avec un couronnement tout à fait identique, sauf le parapet qui manque au-dessus de la ligne des mâchicoulis. Si, donc, on a peut-être trop rafraîchi et gratté, du moins n'a-t-on rien inventé [Note : La belle lithographie hors texte de Ciceri a été publiée par Taylor et Nodier, Voy. pittor. et romant. dans l’anc. France. Bretagne, T. I, 1847, pl. 23].

Les superstructures garnissant la plate-forme du toit, comprennent les tours à poivrière où aboutissent les deux escaliers, une petite tour hexagonale à terrasse et créneaux, qui était probablement celle des guetteurs, au sommet de laquelle un escalier de vingt-huit marches donnait accès à la salle de garde ; enfin, les quatre tuyaux et têtes de cheminée, divisés intérieurement en deux compartiments correspondant aux huit foyers répartis dans les deux divisions du donjon. Le tout a été fortement restauré.

La hauteur du donjon est de 32m25, celle de la tour de guet de 7m45, soit au total 39m70.

Les fenêtres sont, d'un modèle unique, fort gracieux. Elles constituent, avec la ligne tréflée des mâchicoulis et ses hautes consoles, la beauté de ce monument, sa réelle originalité dans la sombre famille des donjons féodaux. On peut, dire que, par leur riche décoration et par l'harmonie de leurs proportions, elles projettent, au propre et au figuré, comme un rayon de soleil sur la rudesse de cette forteresse.

Les fenêtres ont la forme d'un parallélogramme mesurant, au nu du mur, 1m10 de large sur 2m10 de haut et richement encadré d'une série de moulures en retrait formant tableau à l'extérieur, de 0m53 de saillie. Ces moulures, dont deux sont en forme de tore légèrement aplati, la troisième, intermédiaire, de type piriforme avec filet au centre, séparées par une succession de cavets et de gorges qui reposent sur de petits culots polyédriques engagés dans l'appui du larmier très accentué de la fenêtre, forment autant de fines colonnettes encadrant toute la baie. Celle-ci est divisée par un meneau en croix, aux angles arrondis. Le sommet de la baie s'amortit extérieurement en arc surbaissé. Le jeu des moulures encadre un tympan uni qui surmonte le linteau droit de l'ouverture rectangulaire. On a nettement l'impression d'une sorte d'encadrement.

Le château d'Oudon à Oudon.

VUE DU DONJON

Pratiqué après coup, à une époque largement postérieure, autour d'une baie préexistante de profil très simple.

Les assises inférieures des piédroits sont en pierre dure : les supérieures en calcaire tendre, que le temps a parfois fortement maltraité. Au-dessus de chacun des cadres moulurés s'étend, nous l'avons dit, la rassurante protection d'un arc de décharge, à grands claveaux minces, qui, tranchant sur la maçonnerie ambiante et grâce à leur simplicité robuste et logique, contribuent, à compléter l'harmonie décorative de l'ensemble.

Une seule porte, située sur la face ouest, donne accès à l'intérieur du donjon. Elle est d'un type analogue à celui des fenêtres, avec cette seule différence que l'arcature moulurée qui surmonte son tympan forme un arc aigu au lieu d'une anse de panier.

A l'intérieur, du haut au bas de ses quatre étages (sans compter la superstructure dont nous avons parlé et les magasins ou cachots, non voûtés, en sous-sol, faiblement éclairés par deux arbalétrières), le donjon comporte une double division continue, formant comme deux coffres distincts réunis par un léger mur de refend de 0m66 (deux pieds). Mais ces deux compartiments sont inégaux. Chacun comprend une salle par étage. Chaque salle a sa cheminée et ses latrines, dont le siège occupe une encoignure dans un petit corridor coudé, aéré par une étroite meurtrière. Le tout est ménagé dans l'épaisseur du mur.

Les deux salles de chaque étage ont la forme de rectangles dont les angles auraient été abattus pour y placer des embrasures de fenêtres. La plus grande mesure 7m60 x 6m80 ; elle prend jour au sud-est et au sud-ouest. La petite, de 5m20 x 4m80, ouvre son unique fenêtre au nord. Le plan de la première devient ainsi un hexagone ; celui de la seconde, un pentagone.

Les embrasures de fenêtre ont, en moyenne, 2m25 de profondeur et sont largement ébrasées (largeur près de la fenêtre : 1m55 ; dans la salle : 2m25). De chaque côté de l'embrasure court le long du mur un banc de pierre, profilé d'une grosse moulure ronde que souligne une gorge. Le sol est recouvert de petits carreaux vernissés et la voûte est, en cintre surbaissé.

Deux escaliers à vis desservaient la Tour. Le grand, dont il ne reste que la cage, toutes les marches ayant été vendues jadis comme pierre de taille, montait jusqu'à la terrasse. Sa cage forme aujourd'hui un long cylindre de 3m50 de diamètre à l'angle nord-ouest du donjon, qui apparaît, de l'extérieur, tout balafré à droite et à gauche par les longues fentes, largement ébrasées intérieurement, donnant jour à cette cage. A chaque étage, cet escalier procurait aux deux salles un accès indépendant. En outre, une galerie, munie de deux meurtrières percées exactement au-dessus de la porte d'entrée, permettait de surveiller sans être vu l'accès à cette dernière.

Le petit escalier est, au contraire, resté intact. Mais il ne commence qu'au premier étage. Aussi a-t-on dû établir pour les visiteurs un escalier de bois. On accède à sa vis, à l'angle sud-est, par une porte assez mystérieuse, dissimulée dans l'embrasure d'une des fenêtres de la grande chambre. C'était, en somme, l'escalier dérobé des seigneurs, desservant la principale pièce des trois étages supérieurs. Il compte cent onze marches de calcaire dur. La cage mesure deux mètres de diamètre.

Les portes intérieures sont d'un type assez uniforme : linteaux droits, dont l'arête s'amortit de moulures toriques se poursuivant le long de piédroits à socles prismatiques. Les plus petites baies ont simplement leur arête creusée d'une gorge. Celle qui fait communiquer les deux salles du premier étage était surmontée d'un écu, aujourd'hui effacé. Elle porte les signes d'une réfection postérieure.

Toutes les pièces ont une cheminée à hotte. Certaines n'ont plus leur linteau, belle pierre de taille dont les dimensions ont manifestement tenté les démolisseurs. Sans vouloir décrire toutes les cheminées, nous en signalerons deux qui sont particulièrement dignes de retenir l'attention : l'une, par la logique simplicité d'une ligne harmonieuse dans son élégante robustesse ; l'autre, par la richesse, assez lourde, de sa décoration.

La première, dans la grande chambre du premier étage, avec une réplique à peu près semblable au second, a des piédroits formés par un faisceau de trois tores parallèles figurant, perpendiculairement au mur, une sorte d'arcade à trois voussures, dont la première assise au-dessus de l'imposte aurait été coupée à l'aplomb du manteau pour former, de chaque côté de la cheminée, un corbeau recevant l'extrémité du linteau que le même ciseau a profilé, lui aussi, de délicates moulures.

La seconde, dans la grande salle du dernier étage, qui paraît avoir été la salle d'honneur du château, est monumentale. On en voit une réplique, d'un plus petit modèle, dans l'autre salle du même étage. Le foyer est garni d'un revêtement de briques qui se poursuit, tout le long du tuyau, jusqu'au couronnement. Un arc de décharge reçoit la poussée de ce revêtement et la renvoie sur les leurs latéraux du foyer. L'encadrement de celui-ci est fait de trois baguettes toriques qui l'entourent, en se coudant à angle droit, aux deux coins supérieurs, et reposent sur des socles polyédriques. La hotte commence par un bandeau plat, en pierre dure, comme le cadre du foyer, bandeau surmonté d'une large frise en tuffeau, sculptée de losanges que forment des bâtons entrecroisés et que garnissent des motifs quadrilobés, que l'effritement de la pierre saumuroise laisse à peine discerner. De la même matière sont deux consoles latérales et leur couronnement, composé de vrais morceaux d'architecture, figurant la partie supérieure de deux tours féodales avec mâchicoulis décoratifs, parapets à double étage, pinacles d'angle et toiture centrale à poivrière. Les consoles des mâchicoulis à multiples encorbellements, les trèfles des arcatures aveugles décorant la plate-bande, rappellent, trait pour trait, la superstructure de notre donjon.

Toute cette importante construction de calcaire tendre tranche sur le dessin sobre de la cheminée proprement dite, en pierre dure, et ne permet, pas le moindre doute sur son caractère d'addition postérieure. Elle porte, d'ailleurs, tous les signes du XVIème siècle, où les motifs d'architecture féodale ont perdu leur signification spécifiquement militaire pour devenir des éléments de décoration ou d'apparat, comme dans les grands châteaux royaux ou princiers de la Loire.

L'arc qui amortit l'ébrasement de la fenêtre avoisinant cette cheminée porte dans son appareil, ainsi que d'autres semblables aux divers étages du donjon, la trace manifeste d'une reprise et d'un rehaussement probablement contemporains du placage ajouté devant la cheminée.

Campagnes de construction. — Cette double constatation nous aura induit à chercher la clef du mystère qu'offre à l'archéologie ce donjon dont le plan et les dispositions principales coïncident avec les années 1392-1415, date de son érection par Alain de Malestroit en conséquence de l'autorisation ducale de 1392, mais où la symétrie, la hauteur, la grande ouverture intérieure et la riche décoration extérieure des fenêtres, leurs arcs fortement surbaissés, le type des mâchicoulis, l'adjonction de la pierre calcaire de Saumur ou du Poitou dénotent une époque bien postérieure aux environs de l'an 1400.

Les alérions, qui figuraient probablement sur la hotte mutilée de la cheminée du dernier étage, où, par ordre du connétable de Montmorency, on avait fixé sur le linteau et les piédroits antérieurs une sorte de maquette ostentatoire de la superstructure qu'il entendait reproduire au sommet de la « Tour », auraient été une véritable signature héraldique du restaurateur. Mais il y a l'écu à aiglette sculpté sur le tableau de pierre tendre encastré près de l'angle supérieur droit du pan sud-ouest de la chemise. Nul autre que le connétable n'aurait pu faire exécuter ces ornements significatifs et ces rajeunissements dénotant une époque avancée.

Dans cette hypothèse, les dates de construction de la forteresse d'Oudon pourraient s'échelonner comme suit.

L'enceinte serait du début du XIVème siècle, dont elle montre tous les caractères. On ne peut la dater du XIIIème à cause de la saillie déjà forte des tours, de leur assez bonne maçonnerie, surtout de la présence simultanée, à l'entrée, d'un pont-levis, d'une herse et d'une porte à vantaux de bois, etc... Elle serait donc postérieure à la prise d'Oudon par l'armée de saint Louis ; mais on doit la placer avant le siège de 1341, car les murs ne sont pas assez épais pour avoir été bâtis à une époque postérieure où les expériences acquises pendant la guerre franco-anglaise de Succession prouvèrent la nécessité de leur renforcement.

En 1392, Alain de Malestroit rédigeait la charte de non-préjudice déclarant que le duc l'autorisait à refaire son château. Il dut alors réparer l'enceinte et construire à neuf le donjon avec sa chemise extérieure. Il prit exactement modèle sur l'énorme tour octogonale de Largoët, qui appartenait à son aîné, Jean, le grand capitaine de la famille ; mais, connue il convient, à un cadet, l'imitation fut plus modeste que l'original et comme dimensions et comme force défensive.

Au cours du XVème siècle, l'évolution de la tactique, qui donnait de plus en plus d'importance à l'artillerie à feu, dont le roi pouvait seul entretenir une force suffisante et qui rendait peu à peu illusoire la défense par une fortification en hauteur, diminua progressivement l'intérêt de ce donjon. A la fin du siècle, des murs de trois mètres d'épaisseur ne pouvaient plus résister au tir dos canons de Charles VIII.

Aussi, quand, au XVIème siècle, le château tomba entre les mains du connétable de Montmorency, ne représentait-il plus pour lui la moindre valeur militaire. Ce grand personnage n'en fit jamais qu'un pied-à-terre d'occasion. Un tel usage ne justifiait pas une transformation totale ; il appelait, seulement un aménagement qui le rendit plus conforme aux nouvelles formules de la Renaissance et plus digne du rang de son propriétaire, homme fastueux et omnipotent, qui, disait-on, « faisait tout comme il lui plaisait ». Il ne s'en désintéressa pas complètement : il voulut, sans transformation du gros œuvre, l'habiller autant que possible à la mode du jour.

Sans crainte désormais d'affaiblir une puissance défensive négligeable, il y fit entrer à flots l'air et la lumière en agrandissant les croisées, qu'il orna extérieurement. Il refit la ligne de mâchicoulis et amplifia probablement la superstructure dont, à cette époque, on conservait partout la tradition, ad pompam et ostentationem, comme un opulent, couronnement, flatteur à l’œil des contemporains, qui avaient, peine à s'en déshabituer, et à la vanité des maisons féodales, dont la croissante déchéance politique s'en trouvait superficiellement masquée. Pour ces transformations de pure forme, il employa naturellement la pierre la plus facile à travailler et la moins chère : le calcaire friable. Enfin, il signa, en quelque sorte, son œuvre d'aménagement en faisant encadrer les cheminées du dernier étage par ces étranges lanternons et ce panneau central armorié que de modernes vandales ont en partie ravi, en mème temps qu'il apposait à la chemise, bien en vue, face à l'arrivée quand on débarquait de la Loire, l'écu à aiglette des nouveaux propriétaires.

Après cela, le connétable, gouverneur de Nantes, put estimer que Oudon était désormais suffisamment rajeuni pour recevoir, au passage, décemment le roi Charles IX dans la première étape qu'il fit aux rives bretonnes de la Loire avant d'en descendre lentement le cours sur la riche galère pavoisée aux armes de Nantes.

(Roger Grand).

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