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Histoire du culte de la Sainte-Vierge dans la ville de Nantes.

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S'il en faut croire un ancien bréviaire de Nantes, saint Clair, qui fut le premier évêque de ce diocèse, bâtit la cathédrale sous le vocable de la sainte Vierge. Clarus urbis Nannetensis, divinâ inspirante gratiâ, pontifex est effectus ; in quâ urbe, in Dei honorem beatœque Virginis Mariœ œdijicavit basilicam. D'un autre côté, saint Pierre et saint Paul sont, de temps immémorial, patrons de la cathédrale ; mais, l'eussent-ils été dès l'origine, de telle sorte que l'assertion du bréviaire fût inexacte, il n'en est pas moins vrai que la sainte Vierge y a toujours été honorée à l'égal d'une patronne. Voyez, au quatorzième siècle, s'élever le portail central : on y fait figurer la Mère de Dieu comme partageant avec son Fils, quoique dans un degré différent, l'honneur du temple. Le portail lui est dédié, il porte son nom et son image. En 1337, l'évêque Vigier enrichit d'une statue de la Vierge en argent le trésor capitulaire ; plusieurs de ses successeurs font de même. Au commencement du quinzième siècle, l'évêque Jean de Malestroit y fonde une rente de quinze livres pour y solenniser la Présentation, le 21 novembre ; en 1434, un autre évêque, Jean Berhaut, fait une fondation semblable pour solenniser la Visitation, le 2 juillet. Enfin il y a toujours eu dans la cathédrale deux autels de la sainte Vierge, celui de Notre-Dame de la Miséricorde, où l'évêque Jean Berhaut prescrivit l'offrande du saint sacrifice chaque semaine, et celui de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, où, en vertu d'une fondation faite en 1518, par le chanoine Yves de Quirinie, on donnait, tous les samedis, le salut du saint sacrement. Autant de faits qui prouvent que, si la cathédrale porte de temps immémorial le vocable des princes des apôtres, on se plut toujours du moins à y honorer la sainte Vierge d'un culte spécial, autant que si elle en eût été la patronne.

On sembla même vouloir se dédommager de n'avoir pas l'église mère sous le patronage exprès de Marie, en lui élevant des les premiers siècles deux sanctuaires particuliers, savoir : Notre-Dame-en-la-Ville, dans la rue actuelle de Notre-Dame, et Notre-Dame-hors-Ville, au delà des remparts d'alors, aujourd'hui près de la place de Bretagne. Lors de la première invasion des Normands, le premier sanctuaire tomba en ruine par effet de sa vétusté, et le second fut abandonné par la peur. Mais lors de la nouvelle invasion en 908, ce fut bien autre chose. Les barbares, ayant pris la ville et en ayant chassé tous les habitants, rasèrent tout monument du culte de Dieu et de Marie. Sous leur farouche domination, Nantes, veuve de ses citoyens, de ses pontifes et de ses prêtres, ne fut plus qu'un monceau de ruines fumantes, et pendant trente ans, elle subit ce joug affreux (Chronicon nannetense, col. 144 ; D. Morice, t. 1, col. 232 ; le Baud, Histoire de Bretagne, p. 128). Enfin en 938, un jeune héros, le noble et pieux Alain, surnommé Barbe-Torte, réunit en corps d'armée un certain nombre de Bretons ; et à la tête de sa petite troupe, il s'avance sur les rives de l'Erdre, résolu à mourir, ou à délivrer son pays. Il arrive en face de Nantes ; les Normands, qui avaient observé ses préparatifs, l'y attendaient de pied ferme, avec une armée formidable, bien supérieure en nombre et au moins égale en valeur. Il les attaque avec intrépidité; mais les bataillons normands, forts de cette audace que donne l'habitude de la victoire, le repoussent jusqu'au sommet du coteau de la Haulière où il avait placé son camp.

« Là, dit, dans son vieux langage, l'historien de Bretagne (Le Baud, p. 433), résidant grandement las et travaillé, souffrant soif merveilleuse, il commença a plorer grièvement, et, par humbles prières, appela l'aide de la benoite Vierge Marie, Mère de Notre-Seigneur, qu'elle lui daignât ouvrir une fontaine d'eau, dont lui et ses chevaliers abreuvés reprinssent leurs forces. Lesquelles prières ouies par la Vierge Marie, elle lui ouvrit, à son vouloir, une fontaine qui est encore appelée la fontaine Sainte-Marie, de laquelle lui et les siens, suffisamment rafraîchis et récréés, recouvrèrent leur vertu, et retournèrent vaillants à la bataille ».

Ce n'étaient plus les mêmes hommes ; ils avaient puisé dans la source merveilleuse un courage surhumain, une indomptable valeur. Ils se précipitent au combat, la victoire couronne leurs efforts, les Normands s'enfuient ; ceux qui ne peuvent gagner leurs vaisseaux sont massacrés ; et pour jamais, par l'assistance de Marie, Nantes est délivrée du joug des barbares.

Alain, entré vainqueur dans la cité, veut aller remercier Dieu et Marie à la cathédrale : il ne peut y arriver qu'en se frayant un chemin, avec son épée, à travers les broussailles et les épines qui en couvraient les avenues et les ruines ; et là, après avoir proclamé qu'à la Reine du ciel appartient tout l'honneur du succès, il prend la résolution de lui élever un monument qui transmette aux générations à venir le témoignage de sa reconnaissance. Parmi les ruines semées sur toute la ville, il découvre les décombres d'une antique chapelle qu'on lui dit avoir été consacrée à Marie sous le titre de Notre-Dame de Bon-Secours par saint Clair lui-même. Il en relève aussitôt les murailles ; la religion en consacre l'enceinte par ses augustes cérémonies, et il l'adopte comme son église de prédilection. C'est là qu'il vient consacrer à la prière les moments que lui laissent libres les immenses sollicitudes qu'il se donne pour faire sortir Nantes de ses ruines, la refaire, si je puis ainsi dire, et en devenir comme le second fondateur.

La prédilection d'Alain pour sa chère chapelle sembla même lui survivre : car mort en 962, on eut beau., dit la chronique, le mettre en terre au cimetière des saints martyrs Donatien et Rogatien ; on eut beau, à plusieurs reprises, couvrir sa tombe d'une masse énorme de pierres et de troncs d'arbres ; on eut beau même la faire garder depuis le soir jusqu'au chant du coq, usque ad gallicinium, par une grande troupe de comtes et de soldats ; toujours son corps souleva tous les obstacles et reparut à surface de terre. Alors, dit le Chronicon Briocense (Apud Morin, t . I , col. 29 ; le Baud, p. 136 ; d'Argentré, p. 184), « les Nantais émerveillés, ne sachant ce qu'ils feroient de cette chose, répondit l'un qui moult avoit été son familier en sa vie, que celui duc Alain avoit, sur tous les saints, aimé la Vierge Marie, et toujours l'avoit appelée en ses nécessités ; et pour ce, conseilloit qu'ils le portassent en l'église édifiée par lui en l'honneur d'elle, et que certainement là il reposeroit ». Cet avis fut suivi ; le corps fut enterré dans la nef ; il y reposa en paix, et, dessus, on éleva un tombeau qui se voyait encore en 1789, avec une inscription en lettres gothiques.

La chapelle que venait de reconstruire le valeureux et fervent serviteur de Marie eut de glorieuses destinées ; elle devint la magnifique collégiale de Notre-Dame, la gloire de Nantes et la joie de ses habitants pendant huit siècles. Longtemps elle fut un prieuré-cure, sur lequel les moines de Marmoutiers, de Quimperlé, de Redon et le chapitre de Saint-Pierre de Nantes élevèrent des prétentions où intervint le saint-siège, sans pouvoir accorder le différend ; mais, vers 1325, Daniel Vigier, évêque de Nantes, admirant la dévotion séculaire des fidèles pour ce sanctuaire, où lui-même venait souvent prier, comprenant d'ailleurs l'importance de relever le culte divin dans une église que la foule remplissait tous les jours, l'érigea en collégiale de sept chanoines ; et pour satisfaire sa propre piété envers un sanctuaire si vénéré, il lui donna une statue de la Vierge; en argent doré, du poids de 25 marcs. Quelques années après, il y établit douze autres chanoines ; ce qui éleva au nombre de dix-neuf les membres de la collégiale. Ceux-ci se choisissaient entre eux un prévôt, ou chefcier ; et le pape, de concert avec l'évêque, nommait le grand chantre. En 1357, la cure, jusqu'alors demeurée distincte, fut unie au chapitre, et les fonctions curiales confiées à un vicaire perpétuel, qui lui-même devint bientôt chanoine.

Cependant les moines de Redon, qui avaient autrefois possédé le prieuré de Notre-Dame par la donation que leur en avaient faite les ducs de Bretagne, se plaignirent du tort qu'ils subissaient dans le nouvel ordre de choses. Pour les satisfaire, on éleva, en 1458, à l'extrémité de la paroisse, Notre-Dame de Toute-Joie avec un logement contigu pour les religieux chargés de la desservir ; et de cette sorte leur mécontentement eut pour résultat une église de plus en l'honneur de la sainte Vierge, dans la ville de Nantes.

Vers la même époque, le duc de Bretagne, Jean V, au retour de sa captivité de Champtoceaux, voulant tout à la fois témoigner sa reconnaissance et exécuter un vœu envers la Mère de Dieu, à qui il s'estimait redevable de sa délivrance, fit placer à Notre-Dame [Note : Quelques auteurs ont cru que le prince avait fait placer cette image à Saint-Pierre, nous ne déciderons par la controverse] une grande statue de la sainte Vierge, devant laquelle il était représenté lui-même, de grandeur naturelle, à genoux et les mains jointes. Le tout était fait avec son pesant d'or et d'argent, il l'avait voué ainsi ; et, pour assurer l'exécution exacte de son vœu, il était venu à l'église, s'y était fait « armer, dit l'historien, de son harnais de guerre, le heaume en tête, timbré des couronnes et trophées de Bretagne, était entré dans le bassin d'une balance, y avait ajouté le harnais et caparaçonnement de son cheval, et avait fait charger l'autre bassin de monnaie, lingots, vaisselle d'or et d'argent, jusqu'à ce que le poids l'enlevât de terre ».

A cette offrande princière, Jean V ajouta, en 1424, le don de deux cents écus d'or à vingt-deux sous six deniers la pièce, et une autre somme pour y fonder la fête de la Présentation de la sainte Vierge.

Toutefois son fils Pierre II fit mieux encore pour la collégiale de Notre-Dame ; il en fit recontruire l'abside, l'élégant clocher de dessus le transept, et, selon plusieurs (D'Argentré, Histoire de Bretagne, p. 585), une partie de la nef. Il s'y fit même préparer un tombeau pour lui et sa vertueuse épouse, Françoise d'Amboise, qui avait présidé à la grande entreprise de reconstruction ; et ce fut là en effet qu'il fut enterré, en 1456, mais sans la sainte duchesse, dont le corps fut déposé au couvent des Coëts, qu'elle avait fondé et dont nous parlerons plus tard [Note : Rien de plus édifiant que la vie de Françoise d'Amboise. Mariée de bonne heure à Pierre II, elle décida son mari à vivre en parfaite continence, comme un frère avec une sœur ; d'où vient que, dans son testament, il l'appelle ma très-chère et bien-aimée compagne et sœur. Elle adoucit l'humeur naturellement farouche de ce prince, suppléa à son intelligence bornée dans le gouvernement de son duché, et fut, pendant le temps trop court de son règne, comme l'ange des Bretons. Elle lui apprit à chercher en tout l'équité et la justice, à aimer et honorer l'Eglise et ses ministres, à affectionner le peuple, à rendre, dit l'historien de Bretagne, le pays riche, la marchandise abondante, les gentilshommes opulents ; et à procurer, par un heureux effet de la vertu, ce bien-être universel, cet âge d'or qui est si rarement le fruit du génie de ceux qui gouvernent. Elle recommandait affectueusement à tous ceux qui l'entouraient l'humilité, la bénignité, la charité, la douceur, et répétait souvent ces saintes paroles, dignes de sa haute piété : Avant tout et surtout, faites que Dieu soit le mieux aimé. Devenue veuve à trente ans, elle fut recherchée en mariage par le duc de Savoie ; elle refusa, et on essaya en vain tous les moyens de fléchir sa résistance. On eut recours à la violence ; elle appela à son secours les Bretons, qui s'armèrent pour protéger leur bonne duchesse. Tous les jours, elle venait prier sur la tombe de Pierre II, y récitait les psaumes de la pénitence, et faisait d'abondantes aumônes pour le repos de son âme. Enfin, en 1469, elle dit adieu au monde, alla s'enfermer dans le couvent des Coëts, où elle mourut seize ans après, en 1485, en redisant sa parole chérie : Je vous en prie, faites surtout que Dieu soit le mieux aimé. Par son testament, elle refusa les honneurs du tombeau ducal que lui avait préparé son époux, et voulut être enterrée à la porte de l'église du couvent, ras de terre, afin qu'on la foulât aux pieds en entrant et en sortant]. A ces constructions, Pierre II ajouta des fondations et des dons divers. Le 5 novembre 1454, il fonda dans la collégiale, pour chaque jour, une messe à notes, c'est-à-dire une messe chantée, moyennant quatre mille écus d'or, du poids de France, et pour chaque mois un obit, moyennant deux mille six cents royaux d'or. Il donna de plus un ornement complet de drap d'or gris, un autre de velours cramoisi, brodé à plumes de paon, quatre parements d'autel, dont deux de tapisserie d'Arras, avec représentation de la passion, et le portrait du duc et de la duchesse, plusieurs tableaux avec reliques de la vraie croix et de la robe de Notre-Seigneur, un portrait de saint Vincent diacre, accompagné d'un doigt de la main droite du saint martyr, enchâssé en or et attaché par une chaîne d'or, enfin un joyau d'or représentant Notre-Dame de Pitié, le duc et la duchesse (Ogée, Dict. de Bretagne, t. II, édit. Marteville).

Le duc Arthur III fonda de son côté, dans cette même église, trois messes à notes par semaine, au prix de cent vingt livres de rente ; et, en 1464, le chanoine Jean Simon fonda pour le jour de l'Assomption un office solennel, suivi d'un festin, auquel on n'était admis qu'autant qu'on avait assisté à tout l'office. Avait-on manqué les premières vêpres ; on mangeait du pain de seigle au lieu de pain blanc, on buvait de l'eau au lieu de vin. Avait-on manqué la grand'messe ; on était assis à une table séparée, où supposé qu'on eût assisté aux premières vêpres et à matines, on recevait du pain et du vin. Le repas terminé, tous allaient chanter un libera autour de la tombe du fondateur (Idem, p. 146).

Cependant cette église, qu'on enrichissait de dons et de fondations, était encore inachevée. François II fit bâtir l'aile du nord, la duchesse Anne celle du sud ; d'autres un certain nombre de chapelles autour du sanctuaire, où la Renaissance épuisa toute la délicatesse du ciseau. Malgré ces agrandissements, la collégiale, si riche au point de vue religieux, laissa beaucoup à désirer au point de vue architectural. Ces chapelles étaient bâties sans plan d'ensemble ; et la voûte basse de la vieille nef, à laquelle on ne toucha pas, contrastait désagréablement avec la haute abside à laquelle elle était accolée. Les familles n'en attachèrent pas moins de prix à ces chapelles. Plusieurs y firent des donations, y achetèrent le droit de sépulture et obtinrent d'y attacher leur nom, de sorte que l'une s'appelait la chapelle de la Tullaye, l'autre la chapelle Bedeau, une troisième la chapelle de Barberin, et ainsi du reste. Le ciel lui-même semblait protéger cette église ; car au mois d'août 1601, la foudre tombée sur le clocher n'y fit aucun dégât notable ; ce dont le chapitre fut si reconnaissant, qu'il fonda, pour le jour anniversaire de cet accident, une procession annuelle d'actions de grâces à l'église des Carmes.

D'autres gloires étaient encore réservées à la collégiale. En 1614, Louis XIII vint y communier le jour de l'Assomption, et toucha six cents malades. Peu après, le chapitre de Saint-Pierre la choisit pour le but de toutes ses grandes processions, surtout celle de la Fête-Dieu et de l'Assomption ; et chaque fois que l'évêque devait officier à la cathédrale, c'est-à-dire aux fêtes de Noël, de la Purification, de Pâques, de la Pentecôte, de saint Pierre, de l'Assomption et de la Toussaint, tout le clergé venait avant l'office en procession à Notre-Dame et y chantait dans la nef un motet à la sainte Vierge.

Après tant de gloires, arriva le dix-huitième siècle. Ce fut pour la collégiale une époque de malheurs et de ruines. En 1746, le mauvais goût de l'époque fit disparaître son jubé ; en l792, l'impiété révolutionnaire renversa sa flèche, abattit ses murs, en vint jusqu'à ouvrir une rue au milieu de son transept, et ne laissa de ce saint édifice qu'une chapelle, charmant spécimen de l'art de la Renaissance, changée vers 1864 en un magasin d'orgues.

Ainsi disparut ce monument de huit siècles, dont la flèche légère et élancée, dominant même les tours carrées de Saint-Pierre, annonçait au voyageur, de quelque côté qu'il arrivât à Nantes, qu'il entrait dans la ville de Marie.

A peu de distance de Notre-Dame et tout près de l'église Saint Clément, était, au onzième siècle, un autre sanctuaire de la sainte Vierge, l'hospice de Marie. C'était là que les évêques de Nantes venaient passer la nuit qui précédait la prise de possession de leur siège ; et c'est la encore que de nos jours Marie, dans une vaste église qui porte le vocable de ses sept douleurs, reçoit le culte tant de fois séculaire des habitants du quartier.

A un autre point de la ville, sur la colline du Martroy, la sainte Vierge acquit, en 1026, un sanctuaire plus célèbre encore. Cette colline, alors couverte d'une forêt, recélait un dragon qui ravageait tous les environs et faisait la terreur de la ville. Après de vains efforts pour le tuer, on eut recours à la Mère de Dieu ; et l'on fit vœu de lui bâtir une chapelle en ce lieu-là même, si l'on était délivré du monstre. Pleins de confiance dans son secours, trois jeunes gentilshommes se dévouèrent pour le salut de leurs concitoyens, et allèrent, avec intrépidité, attaquer le redoutable dragon. La lutte fut horrible : un des jeunes gens succomba ; mais pendant que la bête s'acharnait sur sa victime, les deux autres la tuèrent à son tour. Cette nouvelle fut un immense sujet de joie pour toute la ville. Enfin, l'on était tranquille et l'on pouvait sortir de chez soi sans avoir à craindre la mort. Le clergé et une grande foule de peuple se rendent à la colline sous la conduite de l'évêque Valtérius II. On pose aussitôt les fondements du nouveau sanctuaire sous le vocable de Notre-Dame de la Miséricorde ; et dès qu'il est bâti, il devient un lieu de pèlerinage des plus fréquentés, et donne son nom à tout le quartier qui s'appelle encore aujourd'hui du nom de Miséricorde. Telle fut même la vénération dont l'entourèrent les âges suivants, que, lorsqu'en 1626 les murs du saint édifice, ruinés par la vétusté, menacèrent ruine, l'autorité municipale, le regardant comme un glorieux patrimoine de la cité tout entière, employa à le restaurer une partie des deniers publics.

En 1642, l'évêque de Nantes y érigea la confrérie de Saint-Michel qui y subsista jusqu'à la Révolution. Vers 1672, des personnes pieuses y fondèrent une messe et un salut pour tous les jours de l'octave de Pâques, ainsi qu'une messe basse pour le mardi, de quinze en quinze jours. Mais ce qui donna plus de lustre encore à cette chapelle, ce fut une station solennelle qu'y fonda un prélat d'Irlande, exilé à Nantes, par l'intolérance anglaise à l'endroit des catholiques de ce pays. Cette station, qui n'a cessé de subsister sous le nom de neuvaine de Miséricorde, avait lieu, de l'Ascension à la Pentecôte, en vue de préparer les âmes, sous le patronage de Marie, à la réception du Saint-Esprit. Pour cela, on commençait le matin de l'Ascension avant la messe, par une procession solennelle où le célébrant portait la statue de la sainte Vierge, et où l'on chantait l'Ave Maris Stella, suivi de la triple invocation : Mater misericordiæ, ora pro nobis. On posait ensuite la statue sur un piédestal où elle restait, tous les jours de la neuvaine, exposée à la vénération des fidèles. Il était touchant de voir, pendant ces neuf jours, toutes les classes de la société, serrées autour de la Mère de miséricorde. Le pauvre peuple, la simple ouvrière, l'homme de labeur s'y trouvaient dès l'aube du jour. Plus tard, c'était le tour de classes aisées ; et le soir, toutes les conditions faisaient foule, soit dans l'église, soit à ses abords, pour prendre part au salut où l'on chantait les litanies de la sainte Vierge. Le saint-siége ne manqua pas d'encourager une neuvaine si utile ; Clément XIII, comme après lui Clément XIV, y attacha une indulgence plénière pour sept ans, et Pie VI l'accorda à perpétuité.

Lorsqu'en 1793 on renversa l'édifice qui attirait les sympathies de toutes les âmes religieuses, une pieuse fille cacha la statue tant vénérée ; et après la Révolution, elle la remit à l'église paroissiale de Saint-Similien, où fut transférée l'antique neuvaine avec les indulgences. C'est là que se font encore aujourd'hui les pieux exercices dont nous avons parlé. Notre-Dame de la Miséricorde, placée dans la chapelle de l'Immaculée Conception attire à elle, comme autrefois, de nombreux pèlerins, qui semblent vouloir lui faire oublier son ancienne chapelle, où l'on venait non-seulement du pays de Nantes, mais de l'Anjou, quelquefois même du Poitou et des Marches, et où les ex-voto appendus aux murailles disaient les miracles qu'elle y avait accordés.

Tels étaient les sanctuaires que la ville de Nantes avait élevés à Marie jusqu'au treizième siècle ; mais depuis cette époque, elle en éleva bien davantage ; et chaque siècle, en s'écoulant, vit surgir des preuves nouvelles du respect et de l'amour des Nantais pour la Mère du Sauveur. En 1240, on bâtit pour les Dominicains, près du pont Briand-Maillard, une église de la sainte Vierge, et les fidèles y affluèrent en si grand nombre, qu'il fallut, peu après, pour donner satisfaction à la piété générale, la reconstruire dans de plus vastes proportions. Vers le même temps, s'élevèrent, à l'hôpital, près du château, une chapelle de Notre-Dame de Pitié ; et en 1327, près de la porte de l'Echellerie, une église de Notre-Dame du Mont-Carmel à l'usage des pères Carmes, à laquelle, quarante-deux ans plus tard, un insigne miracle concilia une éclatante célébrité. C'était le 22 septembre 1365 : Jean le Conquérant faisait son entrée solennelle à Nantes. Au milieu des flots de la multitude qui bordaient le passage, un enfant, afin de mieux voir le cortège, monte à la place des Changes, sur le bord d'un puits qui existe encore, il y tombe ; on l'en retire mort. Sa mère désolée prend le cadavre entre ses bras, va le déposer sur l'autel à la chapelle des Carmes ; et la conjure Marie, avec tout le peuple qui la suit, de rendre à la vie cet enfant chéri. Sa prière est exaucée, et toute la ville, témoin du miracle, retentit des louanges de la Mère de Dieu. Un artisan osa seul mêler à ce pieux concert ses moqueries et ses blasphèmes, et, peu après, il se perça la main de part en part avec un poinçon ; les médecins appelés à son secours se déclarent impuissants à le guérir : il va faire amende honorable à Notre-Dame du Mont-Carmel ; et aussitôt la plaie se ferme ; il n'en reste plus aucune trace.

Aussi, vers la fin de ce quatorzième siècle, les Nantais adoptèrent l'usage de jeûner la veille des fêtes de la sainte Vierge, surtout la veille de la Nativité. Et, au siècle suivant, ils introduisirent dans l'office de l'octave de cette dernière fête la lecture des miracles que la sainte Vierge avait opérés dans la ville de Nantes. Le récit de ces miracles se trouve dans les livres liturgiques de l'époque [Note : Dans le missel de 1518, on lit ces paroles à la rubrique : De miraculo sequenti et coeteris, fac lectiones tres, singulis diebus], et chaque leçon se termine par ces mots qui rapportent à Dieu la gloire des prodiges obtenus par l'intercession de Marie : Per cuncta sœcula sit benedictus Deus qui facit mirabilia magna solus. Amen.

Pendant le quinzième siècle, les Nantais, outre Notre-Dame de Toute-Joie, dont nous avons déjà parlé, et Sainte-Marie de Sainte-Claire, qui était un oratoire presque contigu, élevèrent encore Notre-Dame de Créé-Lait et Notre-Dame de Bon-Secours.

Notre-Dame de Créé-Lait fut bâtie à l'occasion de la mort de Gilles de Laval, seigneur de Retz, connu dans l'histoire sous le nom de Barbe-Bleue. Cet homme, tristement fameux par ses cruautés et surtout par la barbarie avec laquelle il avait massacré une multitude de petits enfants, fut condamné au supplice de la potence et du feu. Il eut, avant de mourir, le bonheur de rentrer en lui-même, de pleurer ses fautes, d'en demander pardon à Dieu et aux hommes, en conjurant surtout la sainte Vierge, saint Gilles et saint Laud de lui obtenir miséricorde ; et après moult belle repentance, dit l'historien, il subit sa peine, le 25 octobre 1440. Le peuple, touché de la pénitence de ce grand criminel, élève sur le lieu du supplice, comme monument expiatoire, trois grottes surmontées d'une grande croix de pierre, qu'on appela le Pilier de Notre-Dame. La première de ces grottes était dédiée à la sainte Vierge, les deux autres à saint Gilles et à saint Laud ; et en chacune était une statue qui faisait connaître à qui elle était consacrée. A peine ce monument fut-il élevé, que les mères enceintes, touchées de la déclaration de Barbe-Bleue, qui avait proclamé, peu avant sa mort, que la mauvaise éducation qu'il avait reçue était la cause de tous ses crimes, vinrent à la grotte de la sainte Vierge la conjurer d'inspirer aux enfants qu'elles portaient l'horreur de tout ce qui est mal, l'amour de tout ce qui est bien ; et comme la tendresse maternelle associait inséparablement le bien du corps avec celui de l'âme, elles lui demandèrent la grâce d'avoir du lait pour nourrir leurs enfants, d'où vient à cette chapelle le nom de Notre-Dame de Créé-Lait. Cette dévotion toucha tellement le cœur des mères que, bien que le monument fût érigé sur une rue très-fréquentée, on les y voyait souvent agenouillées, priant avec ferveur ; et cette pieuse pratique dura jusqu'à la révolution de 1793. Alors la statue vénérée de Marie fut enlevée avec les deux autres qui l'accompagnaient ; et les grottes vides restent seules aujourd'hui.

Notre-Dame de Bon-Secours fut bâtie dans la petite île de la Saulzaie, en 1443, par l'unique désir, dit l'acte de fondation, de procurer la gloire de Dieu tout-puissant, ainsi que celle de la glorieuse vierge Marie, sa mère, et avec promesse d'y fonder à perpétuité une ou deux chapellenies, pour le soulagement et le salut des âmes des habitants de la Saulzaie et autres fidèles catholiques. Le 27 décembre 1444, la chapelle achevée fut bénite par l'évêque de Nantes, sous le vocable de Notre-Dame de Bon-Secours, au milieu d'un grand concours de clergé et de peuple ; et pour en conserver le souvenir, on plaça dans le mur une inscription sur marbre noir, qui relatait la cérémonie. Cette chapelle, quoique pauvre, simple, et petite, puisqu'elle n'avait que cinquante pieds de long, sur trente-cinq de large, n'en attira pas moins de nombreux pèlerins de tous les points du diocèse. Placée aux portes de la ville, elle était, dans l'estime publique, comme une forteresse protectrice contre toute invasion ; et en effet en 1486, Gilbert de Bourbon, comte de Montpensier, étant venu assiéger la ville, on alla adresser d'ardentes supplications à Notre-Dame de Bon-Secours ; aussitôt le général leva le siège et se retira.

Cette chapelle avait pour fête patronale la Présentation de la sainte Vierge ; elle la célébrait en grande pompe, le 21 novembre, et la faisait suivre d'une neuvaine solennelle de prières, à laquelle toute la ville se portait avec empressement. Elle était en outre le siège d'une confrérie de mariniers, leur chapelle de prédilection et l'objet fondamental de leur confiance. C'était là qu'ils déposaient le magnifique cierge d'honneur qu'ils portaient aux processions de la ville ; c'était là qu'ils adressaient leurs vœux dans les périls, et que, le danger passé, ils venaient suspendre aux murailles le témoignage de leur reconnaissance. Dans le XVIIIème, on vit souvent des équipages entiers de navires nantais marcher pieds nus dans la neige, se rendre processionnellement, un cierge à la main, de l'église Sainte Croix à Notre-Dame de Bon-Secours, y assister dévotement au saint sacrifice, pour remercier la Mère de Dieu de les avoir sauvés de la mort ; et au sortir de la chapelle, les voisins, inspirés par une charité touchante, les invitaient à venir réchauffer et laver leurs pieds presque glacés avec l'eau qu'ils tenaient à ce dessein sur le feu. C'était aussi à Bon-Secours que les menuisiers, les mesureurs de grain, les marchands de poisson, les dames de la halle et plusieurs autres corporations avaient leurs confréries. Le clergé, de son côté, y venait en si grand nombre, que souvent il s'y disait plus de trente messes par jour, et que les habitants de la Saulzaie remettaient à l'église paroissiale de Sainte-Croix beaucoup de fondations qu'ils ne pouvaient acquitter.

En vain on nomma plusieurs chapelains pour desservir un pèlerinage si fréquenté ; ils furent insuffisants à l'œuvre. Heureusement, au seizième siècle, ils furent puissamment secondés par les prêtres irlandais que l'intolérance anglicane obligea de s'exiler. Ces bons prêtres, tout en dirigeant le séminaire qu'ils avaient fondé à Nantes pour les lévites de leur nation, se dévouèrent au service de Notre-Dame de Bon-Secours ; et, jusqu'au milieu du siècle dernier, ils rendirent à cette chapelle les services les plus précieux. Mais alors le sanctuaire béni menaça ruine : on avait exhaussé les terres devant ses portes pour empêcher les eaux de la Loire d'en approcher : mais cet exhaussement dépassé par le débordement ne servit qu'à empêcher les eaux de se retirer ; et, en séjournant tout autour de l'édifice, elles amollirent le sol, s'infiltrèrent dans les murs et en compromirent la solidité ; à tel point que, pour prévenir tout accident, on résolut de les démolir. Cependant, avant d'en venir au fait, on avisa aux moyens de reconstruire immédiatement le saint édifice. Les marins furent les premiers à offrir leur obole. Après eux, Guillaume Grou, secrétaire du roi, légua, par son testament de 1774, six mille livres pour la même œuvre ; et la reine Marie-Antoinette, en vue d'obtenir la naissance d'un héritier du trône, se chargea de fournir le reste. Elle offrit même d'avance pour la future chapelle une statue de Marie en argent, portant entre ses bras le divin Enfant. Ces assurances acquises, on transporta processionnellement, le 2 septembre 1776, de la chapelle à l'église paroissiale de Sainte-Croix l'antique statue de Marie, avec tous les objets précieux que la piété des fidèles y avait déposés ; puis on abattit l'antique édifice ; sur ses ruines on en éleva promptement un nouveau. En deux ans, il fut terminé ; l'évêque le bénit l'an 1778, l'ancienne statue de la Vierge y fut rapportée en triomphe, et placée en arrière du tabernacle, de manière à pouvoir être aperçue de tous les fidèles ; les anciens ex-voto furent appendus aux murs, et le concours recommença dans ce nouveau sanctuaire comme dans l'ancien.

Malheureusement, treize ans après, arriva la Révolution. La municipalité de Nantes, fidèle au mot d'ordre venu de Paris, tomba aussitôt sur Notre-Dame de Bon-Secours, en enleva la statue d'argent donnée par Marie-Antoinette, les splendides couronnes dont aux jours de fête on ornait la tête de la sainte Vierge et du divin Enfant, quatre calices, deux ostensoirs, un ciboire, un encensoir, plus de quarante chasubles riches, avec d'autres objets précieux, et envoya le tout à l'hôtel de la Monnaie à Paris. Bien qu'ainsi appauvrie, la chapelle de Bon-Secours, laissée ouverte par une faveur providentielle, lorsque la plupart des chapelles de la ville étaient fermées, n'en demeura pas moins le rendez-vous assidu des fidèles. Là, au lieu des prêtres assermentés qui desservaient les églises de la ville, ils trouvèrent les prêtres irlandais, qui, remplaçant le chapelain exilé, y accueillirent avec bonheur tous les prêtres fidèles : là ils venaient gémir sur le malheur des temps et appeler par leurs prières des jours meilleurs ; là surtout ils communiaient en si grand nombre que le citoyen Puissant, qui en était administrateur laïque, adressa une requête à la mairie pour lui exposer que le nombre prodigieux des messes et surtout des communions qu'on peut, dit-il dans son rapport, évaluer à cinq ou six mille par jour occasionnait une dépense extraordinaire, « qu'il s'y consommoit quatre fois plus de pains d'autel que par le passé, et que depuis les quatre derniers mois en particulier il est dû une somme de quatre-vingt-douze livres pour les pains, tandis qu'avant cette époque il n'en coûtoit par an pour le même objet que soixante-douze livres, suivant accord entre le fournisseur et le cy-devant chapelain », et de là le citoyen concluait en demandant l'autorisation de prélever un supplément sur le revenu des chaises de la chapelle.

A la réception de cette requête, la municipalité s'émut ; elle devint outrageuse et tracassière envers les prêtres irlandais ; elle sollicita et obtint, le 13 février 1793, leur déportation ; et le 5 avril suivant, ces bons prêtres quittèrent la France, leur seconde, mais inhospitalière patrie. La chapelle veuve de ses prêtres subit bientôt un second pillage. On la dépouilla de ses derniers ornements, sauf quelques ex-voto que des personnes pieuses vinrent à bout de soustraire, sauf peut-être aussi la statue de la Vierge que les uns disent avoir été portée à la paroisse Saint-Jacques, que les autres assurent avoir été conservée par une respectable famille, quoique d'autres prétendent qu'elle fut brisée et jetée dans la Loire ; puis on changea en arsenal la chapelle vénérée des siècles, et après qu'elle eut été successivement mise en location et enfin vendue, elle devint une demeure particulière.

Au rétablissement du culte, l'église paroissiale de Sainte-Croix, héritière naturelle d'une dévotion qui, depuis plus de trois siècles, se pratiquait sur son territoire, éleva dans son sein un autel à Notre-Dame de Bon-Secours. On y vint en pèlerinage comme à l'ancienne chapelle, et, chaque année, il s'y brûlait devant l'autel de la Vierge de treize à quatorze mille cierges. Les marins surtout y venaient prier au départ et au retour de leurs périlleux voyages ; le 21 novembre on y célébrait en pompe la fête patronale avec indulgence plénière accordée en 1815 par le saint-siége. L'évêque de Nantes y rétablit la neuvaine en 1852 ; et en 1854, Pie IX y attacha une indulgence plénière, avec une indulgence de sept ans et de sept quarantaines pour chaque visite à l'autel de Notre-Dame de Bon-Secours.

Aux sanctuaires dont nous venons de parler, la ville de Nantes n'en ajouta point de nouveaux pendant le seizième siècle ; mais au dix-septième, elle sembla vouloir se dédommager de son inaction. En 1623, sur la colline du Calvaire, elle éleva la chapelle de l'Immaculée-Conception avec le concours d'Anne d'Autriche, qui en posa la première pierre, et des religieuses bénédictines, qui avaient fait vœu d'élever cette chapelle, si elles triomphaient des obstacles mis à la fondation de leur monastère. Peu après, dans l'église de Saint-Vincent, elle éleva la chapelle de Notre-Dame de la Victoire, avec le concours du duc de Mercœur, que saint François de Sales a si bien loué dans l'oraison funèbre qu'il en a faite, et celui de sa vertueuse épouse, Marie de Luxembourg, qui était si dévouée à la Vierge mère, que, chaque jour, elle récitait le rosaire tout entier. En 1628, elle éleva encore le sanctuaire de Notre-Dame des Anges, à l'usage des Capucins dont la duchesse de Mercœur avait favorisé l'établissement, et où fut inhumé le père Archange, ce saint religieux qui, à la vue de la sainte Vierge, lui apparaissant sur son lit de mort, s'écria, dans un transport d'allégresse : Salve, regina, ajouta peu après : Horâ mortis suscipe, et mourut doucement en disant ces paroles.

En 1632, la ville de Nantes, continuant de travailler pour la Mère de Dieu, éleva dans ses murs un couvent de la Visitation, à l'ancien hôtel qu'avait habité autrefois Marie de Médicis. C'était là que madame de Sévigné venait chercher près des bonnes filles de sainte Marie, comme elle les appelait une diversion heureuse à ses pensées du monde ; et ce fut là aussi que M. Olier, dans une cabane au fond du jardin, passa plusieurs jours de maladie, jouissant avec bonheur de la sainte conversation de la mère de Brehan, cette rare fille, selon l'expression de saint François de Sales, que madame de Chantal comparaît à un pont très-fort sur lequel avaient « passé, sans l'ébranler, toutes sortes de tribulations et d'épreuves ».

En 1657, Nantes ajouta, sur le prieuré de Saint-Jacques, Notre-Dame de Bonne-Garde, à la confrérie de Notre-Dame de Vie, déjà ancienne dans ce prieuré, approuvée par deux brefs de Léon X et reconnue par lettres patentes de François Ier. Voici à quelle occasion fut élevé ce nouveau sanctuaire : Une nuit, près du bourg de Pirmil, apparut une vive lumière, et au sein de cette lumière une petite statue de la Vierge. Les voisins d'abord, les religieux du prieuré ensuite, recueillirent religieusement cette statue et la placèrent dans un endroit convenable ; mais la statue revenant toujours au lieu où elle avait apparu, on l'y laissa provisoirement dans une petite grotte. Bientôt les pèlerins vinrent l'y visiter en grand nombre ; et l'on projeta de lui bâtir une chapelle en ce lieu. Les plus hauts personnages voulurent prendre part à cette œuvre, entre autres le duc de la Meilleraie, maréchal de France, alors gouverneur de Nantes, l'évêque Gabriel de Beauvau, le prieur de Saint-Jacques, Bazin de Bezons, et surtout une sainte religieuse connue sous le nom de sœur Marie. Grâce à un concours si puissant, la chapelle fut bientôt achevée. Le 4 novembre 1657, on la bénit sous le vocable de Notre-Dame de Bonne-Garde, probablement parce que, placée à une des extrémités de la ville, la plus exposée aux invasions des calvinistes du Poitou, on la regardait comme une défense de la cité, qui déjà, par le même motif, avait élevé, tout près de là, une statue à Notre-Dame de Bonne-Délivrance. Bientôt elle devint un des plus célèbres sanctuaires de la Mère de Dieu ; chaque matin, le saint sacrifice y était offert par les Récollets, par les religieux du prieuré de Pirmil, par le chapelain qui y fut nommé, et chaque soir les habitants du voisinage venaient y réciter le rosaire. A certaines époques, on s'y rendait en procession, surtout de la paroisse Saint-Sébastien et du prieuré. De l'Ascension à la Pentecôte, on y célébrait la neuvaine, comme à Notre-Dame de Miséricorde, sans préjudice pour celle-ci, qui était à une autre extrémité de la ville ; les populations de Saint-Sébastien, de Verton, de Rézé y accouraient en foule, et quand la chapelle était pleine, on s'agenouillait et on priait dans la rue. Outre ces pieux exercices, cette chapelle avait encore ceux de la confrérie de la Trinité, dont elle était le siège ; elle avait surtout le prestige de tous les miracles dont les murs rendaient témoignage, par les ex-voto dont ils étaient couverts ; tantôt c'étaient des tableaux représentant les guérisons obtenues, tantôt c'étaient de petits navires déposés par les matelots en l'honneur de l'Etoile de la mer, à qui ils se reconnaissaient redevables de leur salut au milieu des tempêtes.

Tel était l'état dans lequel 1793 trouva cette sainte chapelle : on la dépouilla aussitôt de tous ses vases sacrés, de ses ornements, de ses ex-voto, sauf le navire la Paix, qui seul fut respecté ; mais on laissa les murs intacts, et l'on permit à un pieux fidèle d'emporter la statue chez lui. En 1796, on vendit la chapelle, un pieux cultivateur l'acheta en vue de la conserver pour des jours meilleurs. Tous les soirs, au retour de ses travaux, il allait y prier pendant plusieurs heures ; et c'était son bonheur de la mettre à la disposition des prêtres cachés pour y offrir le saint sacrifice. Au rétablissement du culte, le curé du prieuré de Saint-Jacques, alors érigé en paroisse, y replaça, avec l'agrément du propriétaire, l'ancienne statue avec quelques ex-voto soustraits à la profanation ; il fit mieux encore, il racheta ce saint lieu et y rétablit tous les exercices pieux qui y étaient en usage avant la Révolution. Les fidèles y vinrent en foule comme autrefois, surtout à l'époque de la neuvaine dont nous avons parlé. La multitude alors y était tellement entassée, que le curé crut devoir transférer les exercices à l'église Saint-Jacques. Malheureusement cet oratoire si cher à la piété à été condamné naguère à la démolition pour élargir la rue dans laquelle il se trouvait ; mais on l'a promptement remplacé par un autre, en style architectural du treizième siècle, qu'on a placé au confluent de la Loire et de la Sèvre.

Non loin du sanctuaire de Notre-Dame de Bonne-Garde, Nantes éleva, en 1765, Notre-Dame de Patience, par les soins d'une vertueuse dame nommée Boutant, qui y organisa aussitôt des exercices de piété quotidiens. Chaque matin, avant la première messe, il y avait la prière, les litanies du saint nom de Jésus, le chapelet et une lecture de piété. Après la messe, on récitait un second chapelet, on faisait une nouvelle lecture suivie du De profundis, du Salve, regina, de trois Ave, Maria, de deux Pater et de deux Ave. Chaque soir, il y avait un troisième chapelet suivi de cantiques. Ces exercices étaient singulièrement goûtés ; on s'y pressait en foule, et un grand bien en était le fruit. Aussi madame Boutaut, jalouse de perpétuer une œuvre qu'elle voyait si bonne, fonda, près de la chapelle, une maison de sœurs de la Miséricorde, qui, non contentes de présider les exercices le matin et le soir, faisaient encore, pendant le jour, la classe aux enfants pauvres du quartier. La révolution de 1793 ne put pas plus supporter cette œuvre que toutes les autres ; elle ferma la chapelle et l'école, et depuis lors, ni l'une ni l'autre ne s'est rouverte.

A tant de monuments en l'honneur de Marie, nous pourrions ajouter Notre-Dame de Chézine, œuvre du dix-septième siècle, devenue plus tard Notre-Dame de Bon-Port, et, dans chaque église, une chapelle particulière sous un de ces innombrables vocables que la piété chrétienne donne à  Marie ; à la cathédrale Notre-Dame de Miséricorde et Notre-Dame de Bonne-Nouvelle ; à la collégiale Notre-Dame de la Rose ; à l'ancienne chapelle, sur les bords de l'Erdre, Notre-Dame de Bethléhem ; à Sainte-Croix Notre-Dame de Piété, Notre-Dame de Consolation, Notre-Dame de Bonne-Garde, Notre-Dame de la Navigation ; à Saint-Nicolas Notre-Dame de la Chandeleur ; à Saint-Similien Notre-Dame de l'Immaculée Conception, qui reçut dans sa chapelle Notre-Dame de la Miséricorde ; à Saint-Clément Notre-Dame des Sept-Douleurs ; aux Carmes et aux Minimes Notre-Dame de Lorette et Notre-Dame des Larmes ; à Saint-Saturnin Notre-Dame de la Cité ; à Saint-Jacques Notre-Dame de Vie et Notre-Dame de l'Assomption.

Dans les hôpitaux et aumôneries, Marie recevait un culte spécial comme dans les églises paroissiales : ici, au bas de la rue de la Chaussée, c'était Notre-Dame de Pitié ; là, aux Ponts, c'était la Reine de tous les saints ; ailleurs, hors des murs, Sainte-Marie des Vignes ; et tous ces sanctuaires divers avaient des confréries qui comptaient par milliers leurs fervents associés, et qui étaient aussi variées que nombreuses : c'étaient, entre autres, les confréries de Notre-Dame du Rosaire, de Notre-Dame du Carmel, de Notre-Dame de Toussaint, de Notre-Dame de Vie, de Notre-Dame des Avents, de Notre-Dame des Clercs, de Notre-Dame de la Cité, de Notre-Dame du Mont-Serrat, de Jesus-Maria-Joseph, surtout de Notre-Dame de la Chandeleur, une des gloires de l'église Saint-Nicolas, que l'on trouve proclamée illustre dès l'an 1413.

Toutes ces confréries, comme toutes les chapelles que nous venons de décrire, avaient des autels de Marie richement décorés ; l'amour du peuple nantais y avait prodigué l'or, l'argent, les étoffes précieuses, les magnifiques tableaux ; et l'on admirait surtout aux Chartreux une image de Marie, provenant de la chambre de la duchesse de Luxembourg, veuve du duc Arthur.

Voilà comment la pieuse cité de Nantes manifestait son amour séculaire pour la sainte Vierge, lorsque arriva la Révolution de 1793 : alors l'impiété, qui élait à l'ordre du jour, fit de tant de richesses offertes à la Mère de Dieu un amas de ruines ; et entre ses temples, elle ferma les uns, elle détruisit les autres, et les pilla tous. Cependant elle ne put empêcher la religieuse cité de conserver, même au milieu de la tempête, plusieurs sanctuaires secrets en l'honneur de Marie. Les statues de Notre-Dame de Bon-Secours, de Bonne-Garde, des Dominicains et autres encore, ne cessèrent de recevoir les hommages des chrétiens fidèles, les unes sous le toit d'un grenier, les autres dans l'obscurité d'un souterrain ; et au rétablissement du culte, on s'empressa d'élever autant ou plus de sanctuaires que l'impiété n'en avait renversés.

Alors on vit surgir successivement la nouvelle chapelle de la Visitation, celle des Carmélites, l'église de Notre-Dame du Bon-Port, Notre-Dame d'Espérance, chez les Sœurs garde-malades ; Notre-Dame de la Charité, chez les religieuses de la Présentation ; la chapelle Sainte-Marie, à l'école des enfants pauvres ; Notre-Dame du Calvaire et Marie Immaculée, dans l'ancienne chapelle des Minimes ; Notre-Dame de la Salette, près des Saints Donatien et Rogatien, Notre-Dame de la Présentation, au centre des vastes bâtiments du grand séminaire ; Notre-Dame de la Retraite, de la Préservation, de Nazareth, du Suffrage ; Notre-Dame de la Persévérance, autrement dite des ouvriers ; Notre-Dame de Bel-Air, Notre-Dame de Bonne Garde, dans le pensionnat de Saint-Stanislas, avec la Vierge au manteau d'azur et d'or ; Notre-Dame de la Chandeleur, avec son illustre et antique confrérie, dans la splendide église de Saint-Nicolas, où elle occupe un des plus beaux oratoires ; Notre-Dame de Toute-Joie, curieux édifice roman, dégagé de tout ce que ce genre d'architecture a quelquefois de lourd et de pesant, où se rassemble, chaque dimanche, une nombreuse jeunesse ouvrière pour prier, s'instruire, chanter les louanges de Dieu et de Marie ; enfin l'hôtel Briand des Marais, où la grande statue de la Mère de Dieu, debout au sommet de la façade avec l'Enfant Jésus dans les bras, et le sceptre d'or à la main, domine ce bel édifice aux clochetons gothiques, aux toits élancés, aux fenêtres entourées de festons délicats.

Entre tous ces monuments de la piété du peuple de Nantes pour la Vierge mère, les uns réparés, les autres faits à neuf, il en est quatre plus dignes d'être remarqués : c'est d'abord Notre-Dame de Bon-Port, gracieux édifice à la haute coupole, qui remplace le parallélogramme froid et sans caractère qu'on y avait élevé, en 1829 ; c'est, en second lieu, Notre-Dame du Calvaire, bâtie par les Jésuites dans le style des premiers temps de l'art ogival, sur l'emplacement de l'église dont Anne d’Autriche avait posé la première pierre. On ne peut désirer plus de grâce et de noblesse dans l'ensemble comme dans les détails ; elle rappelle par ses formes sveltes et élégantes la sainte chapelle de Paris, à trois nefs et trois chapelles, l'une pour les congrégations d'hommes, l'autre pour les congrégations de femmes, la troisième pour les prédications et offices publics. Et comment ne pas signaler aussi à l'admiration l'église de l'Immaculée-Conception, une des plus riches et des plus élégantes de la ville ? élevée sur l'emplacement de l'église des Minimes, qu'avait commencée le duc François II, elle en conserve encore le sanctuaire, où paraît toute la délicatesse du dessin et du ciseau de la fin du quinzième siècle, le plus bel âge de l'art breton ; elle en a même la nef et le portail, œuvre moins heureuse des âges postérieurs. A la partie la plus haute de la façade est inscrite, en lettres ornées, la devise de saint François de Paule, Charitas, et, sur le sommet, s'élève la statue de la Vierge sans tache. Cette belle église, convertie pendant la Révolution en manufacture, puis en grenier à foin, fut rachetée en 1849 au prix de plus de soixante mille francs, par le directeur de la confrérie de Notre-Dame des Victoires, qui cependant n'en avait que trente mille ; et grâce à des efforts soutenus pendant de longues années, grâce à la générosité des habitants du quartier, presque tous peu aisés, il vint a bout de réparer tous les dégâts, d'orner de riches vitraux les grandes fenêtres de l'abside, d'embellir enfin toutes les parties de l'édifice et d'en faire un des plus gracieux monuments élevés à l'honneur de la sainte Vierge. Là le culte de la Mère de Dieu resplendit d'un éclat qu'il n'avait pas même sous les fils de saint François de Paule ; là, Marie voit tous les jours se presser à ses pieds une cour nombreuse de suppliants qui l'invoquent avec confiance et en remportent des faveurs temporelles et spirituelles.

Enfin, près de là s'est élevé, simultanément avec l'église à l'usage des missionnaires diocésains, un vaste couvent qui rappelle les belles constructions monastiques des anciens âges. Ces deux édifices portaient depuis deux ans le vocable de l'Immaculée-Conception, lorsque Pie IX sanctionna comme dogme catholique la croyance générale à la pureté originelle de Marie. A la première nouvelle de cette décision dogmatique, on pavoisa aussitôt l'église de blanc et de bleu, et la ville entière, par un mouvement spontané, s'associant à cette démonstration, illumina, le soir même, ses rues et toutes ses places avec tant de magnificence qu'elle paraissait tout en feu. (Hamon André Jean-Marie).

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