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REVENUS CASUELS RÉSERVÉS A L'HÔPITAL GÉNÉRAL DU SANITAT

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Manufactures, pompes funèbres, lestage et délestage des navires.

Quand l'Hôpital général du Sanitat avait partagé avec l'Hôtel-Dieu le produit des amendes de police, de la boucherie de carême, des octrois et du monopole du courtage, il lui restait encore à recouvrer divers revenus casuels dont la jouissance lui était exclusivement réservée. Tous les bénéfices qu'il pouvait retirer du travail de sa population valide lui étaient acquis comme un bien propre et comme il était de règle que personne ne devait rester oisif dans l'établissement, il recueillait encore de ce côté quelques profits par le moyen de diverses industries que je vais indiquer.

Le Sanitat avait plutôt l'aspect d'une manufacture que d'un hôpital. En entrant dans la première cour extérieure, on trouvait une série de boutiques où travaillaient les divers artisans chargés de former les jeunes apprentis de la maison. En 1665, on y voyait un tisserand, un futainier, un serger, un bonnetier qui occupaient filles et garçons, et en 1766, des métiers tout différents : un menuisier, un cordonnier, deux serruriers, un taillandier, un poêlier, un sellier et deux tailleurs d'habits. Certaines industries trop pénibles ou incommodes n'étaient pas admises. On refusa en 1653 un chapelier qui faisait des offres avantageuses et on donna une avance de cent livres à un passementier pour l'engager à s'installer près du Sanitat et à former des compagnons. Les artisans qui consentaient ainsi à prêter le concours de leurs services aux directeurs des pauvres renfermés dans la tâche difficile de dresser de bons ouvriers parmi les enfants trouvés jouissaient en retour du privilége de conquérir des lettres de maîtrise au bout de six années. Cette faveur excita bien des jalousies parmi les corps d'état, mais elle fut toujours maintenue en dépit de leurs attaques (Voir les lettres patentes de 1760).

A l'intérieur de l'établissement on entendait le rouet des femmes qui filaient ou le bruit des métiers de ceux qui tissaient [Note : Les laines qu'on filait au XVIIIème siècle étaient envoyées en grande partie à Guérande pour une manufacture de serge (Dict. de Bretagne, Ogée)]. Il y avait des ateliers de bonneterie, de baterie, de tapisserie, de lingerie, de broderie et même de cotonnades, en sorte que chacun pouvait être occupé suivant sa force ou son adresse. Les enfants qui n'étaient pas en état d'apprendre un métier à cause de leur âge ou de leurs infirmités filaient du coton ou de la laine. Toutes les femmes qui entraient au Sanitat étaient obligées de passer une année à la brocherie pour apprendre à tricoter, et ainsi personne ne se renfermait dans l'inaction sous prétexte d'ignorance.

En 1671, le bureau, voulant donner une extension à la bonneterie, loua une chambre voisine de l'hôpital et y établit un maître bonnetier pour deux ans, à la condition qu'il apprendrait son métier aux filles et aux garçons et qu'il rendrait quatre-vingt-quatre livres pour cent d'ouvrage. En retour, on lui assurait un logement pour lui et sa femme et on lui allouait le quart des profits plus cinquante livres par trimestre. Lorsqu'il eut formé un assez bon nombre d'ouvriers capables, on résolut d'établir à l'intérieur un atelier de bonneterie qui fut ouvert le 17 janvier 1680.

Les directeurs, en 1677, essayèrent de fonder un atelier de dentelles, avec le concours de deux dentellières de la Flèche, Mlles Anne la Reine et Suzanne d'Ornelle. Ces deux maîtresses réussirent à faire de si bonnes élèves, qu'en 1684, on commença à fabriquer de la dentelle au point d'Angleterre. Quatre ans auparavant, en 1680, les femmes s'étaient mises également aux ouvrages en tapisserie. Le produit de ces diverses manufactures n'atteignait pas toujours un chiffre également rémunérateur au début. En 1691, le bénéfice fut de 1,200 livres ; mais, en 1694, les recettes étaient de 5,109 livres, tandis que la dépense montait à 5,115 livres. En 1695, la supérieure n'avait que 257 livres de dépenses à payer sur une recette de 1,079 livres.

L'atelier de lingerie paraît avoir été un des plus avantageux de la maison.

Voici un état des recettes :
En 1721 : 785 livres.
En 1725-1726 : 1.913 livres.
En 1754 : 1.800 livres.
En 1786 : 8.000 livres.

L'atelier de broderie donnait, en certaines années, de beaux résultats.

Recettes de 1721 : 1.318 livres.
Recettes de 1723 : 988 livres.
Recettes de 1754 : 800 livres.
Recettes de 1786 : 2.348 livres.

La brocherie ou fabrique de bas à l'aiguille produisait, en 1721, 400 livres et en 1724, 249 livres.

L'atelier de la filerie où travaillaient les garçons rapportait, en 1721, 262 livres et en 1725, 733 livres.

Les produits de ces différentes industries étaient sans doute très-recherchés dans le public, car d'Expilly, dans son dictionnaire, désigne le Sanitat comme un établissement où l'on excellait en broderie et en lingerie.

Non contents de contribuer au perfectionnement des métiers en usage en préparant des ouvriers et des ouvrières habiles, les directeurs de l'Hôpital général cherchèrent aussi les moyens d'importer à Nantes la fabrication des rouenneries sur laquelle ils fondaient de grandes espérances.

En 1713, un négociant de la ville fut chargé par le bureau de ramener de Rouen deux ou trois bons ouvriers habitués au tissage des cotonnades, et, l'année suivante, un tisserand fut envoyé à Rouen pour se perfectionner dans son métier. Pourvus de ces éléments, ils se croyaient sûrs de réussir, mais les embarras vinrent si vite dans cette nouvelle voie qu'ils résolurent, au bout d'un an, de supprimer la manufacture des cotonnades. Elle fut conservée cependant encore quelque temps, grâce au concours d'un négociant, le sieur Henri Soyer, qui s'offrit pour l'exploiter pendant six ans, comme directeur, avec le personnel du Sanitat. On traita avec lui à la condition qu’il rembourserait les frais d'installation et paierait une somme de 1,000 livres. Ce fabricant ne jouit pas longtemps de sa concession ; il fut obligé de résilier son bail au bout de deux années, pour mettre fin aux reproches dont il était chaque jour accablé. On l'accusait sans cesse de maltraiter les enfants et de ne point surveiller ses ouvriers qui forçaient les portes de l'Hôpital à des heures indues. Il est certain que les nécessités d'une exploitation industrielle ne pouvaient guère s'allier avec le bon ordre et la discipline nécessaires dans un asile tel que le Sanitat.

L'expérience qu'on venait de faire avait été assez longue pour démontrer aux commerçants de la ville les avantages qu'on retirerait de la fabrication des cotonnades à Nantes, si on l'établissait sur un bon pied. On était parvenu, en produisant des marchandises aussi bonnes qu'à Rouen, à les vendre à un prix inférieur aux vraies rouenneries, et ce qui était non moins précieux, on avait pourvu de travail les pauvres gens des faubourgs en leur donnant du coton à filer. Le corps des négociants qui faisait des vœux pour la prospérité de cette manufacture, s'alarma quand il apprit qu'elle était sur le point d'être abandonnée. Les sieur Montaudin et Laurencin firent, en 1717, les plus belles offres aux directeurs des pauvres renfermés pour les encourager à poursuivre l'entreprise, mais ils rencontrèrent tant de découragement, qu'ils proposèrent de prendre à leur charge la suite des affaires, en payant 1,000 livres et en remboursant les avances. Le bureau ayant accepté un traité sur ces bases, les deux négociants enlevèrent tout l'outillage dans le cours de l'année 1718.

La tentative faite en 1786 pour fonder une fabrique de bas au métier fut plus heureuse ; elle dora l'Hôpital général d'un nouvel atelier dont les résultais furent souvent encourageants. En 1754, le trésorier en retirait une recette de 700 livres. Mais, en 1761, les marchandises en magasin s'écoulaient si lentement, que, pour éviter de trop Lourdes avances, la fabrication fut suspendue. Malgré les alternatives de perte et de gain, nous devons croire que cette manufacture ne fut pas désavantageuse, puisqu'elle fût conservée jusqu'en 1781. A cette époque, les registres du bureau nous apprennent qu'elle était devenue plus onéreuse que profitable [Note : La maison se dédommageait sur les autres ateliers, car le travail des pauvres rapportait alors en recette 4,894 livres].

On ne saurait imaginer toutes les tracasseries et les vexations que les pères des pauvres attirèrent sur leur établissement par leurs entreprises commerciales. L'industrie était autrefois réglementée avec une minutie et une ponctualité dont il est impossible de se faire une idée sans lire les innombrables arrêts rendus sur cette matière par le Conseil d'état pendant le XVIIIème siècle en particulier. L'Hôpital général de Nantes, en prenant souci de produire des marchandises destinées à être mises en vente et consommées clans le public, était obligé de les fabriquer de la façon qui avait été prescrite par le Conseil du roi sous peine d'amendes et de confiscation. Les inspecteurs des manufactures et les délégués des corporations surtout qui ne voyaient dans les ouvriers du Sanitat que des rivaux, cherchaient toutes les occasions de les surprendre en défaut en s'introduisant à l'improviste et fréquemment dans les ateliers. Comme les rapports étaient souvent suspects de partialité et de jalousie, il fut décidé que les visiteurs ne dresseraient pas de procès-verbaux sans être accompagnés d'un juge et d'un gouverneur des pauvres. Le bureau du Sanitat ne pouvait pas toujours démêler la vérité dans les conflits qui s'élevaient entre les maîtres de ses ateliers et les maîtres jurés de la ville, et bien des fois il fut obligé de solliciter des décharges d'amendes par l'intermédiaire de l'évêque qui était ordinairement l'avocat des pauvres à Paris.

Lorsque les directeurs de l'Hôpital général virent à quels ennuis les exposaient leurs rapports avec le commerce, ils regrettèrent sans doute moins vivement la perte du monopole qui leur avait échappé au milieu du XVIIème siècle. Il est très-douteux qu'ils eussent accru beaucoup leur aisance en devenant brasseurs de bière, comme ils le voulaient en 1659. A force d'instance, ils obtinrent, à cette époque, du gouverneur et de la mairie, le droit de fabriquer exclusivement de la bière, contre un particulier que offrait 3,000 livres pour ce monopole ; mais, au moment d'entrer en possession, le Parlement de Rennes signifia son veto. Voici quelques autres priviléges qui la consolèrent de sa déconvenue :

Le service des pompes funèbres à Nantes, tel que nous le voyons fonctionner aujourd'hui, est l'un de ceux que ont conservé le plus fidèlement leur physionomie antique ; les tentures historiées aux maisons et aux portails des églises, les insignes de la mort attachés, à chaque cierge sont des usages de l'ancien régime que l'industrie perpétue, pour augmenter les frais de convoi. Autrefois, comme aujourd'hui, les ciriers se chargeaient de tous les détails relatifs aux cérémonies d'enterrement, avec cette différence pourtant qu'ils étaient tenus d'employer exclusivement les indigents renfermés au Sanitat pour les divers offices de tendeur, de convoyeur, de pleureur et de porteur.

Quand un décès survenait, dans une paroisse, le cierger choisi par la famille informait l'aumônier du Sanitat du nom et du domicile du défunt, du jour et de l'heure du service, lui indiquait le nombre de personnes dont il avait besoin pour porter le corps, les escabeaux, les torches et les bureaux [Note : Les bureaux et blanchets étaient des petits manteaux ou collets qui servaient d'habit de deuil portés par les pleureurs aux grands enterrements], et celui-ci lui adressait tout ce personnel au lieu convenu. La mairie avait imaginé ce moyen de grossir les revenus de l'Hôpital général et n'eut pas lieu de regretter la création de ce monopole, car le produit des convois funèbres fut toujours une ressource assurée et abondante pour les pauvres renfermés. Le Sanitat existait à peine depuis une année, lorsqu'il fut mis en possession du service des pompes funèbres, par arrêté de la mairie, en date du 28 mai 1651. Il était dit dans l'acte que les pauvres renfermés seuls pouvaient être appelés à remplir les fonctions de pleureurs, de porteurs et de tendeurs. La création des pleureurs remonte à 1617. Afin d'entourer d'une pompe plus convenable les convois des notables bourgeois, le conseil de ville avait décidé qu'il y aurait six pleureurs désignés pour assister aux principaux enterrements, et elle leur fournissait des habits de deuil.

Quant aux porteurs de corps laïques, on ne les connaissait pas avant le XVIIème siècle. Les cimetières étant près des églises et les circonscriptions de paroisses peu étendues en raison de leur multiplicité, les prêtres se chargeaient de porter eux-mêmes les défunts. M. Gilles de Beauvau est le premier évêque de Nantes qui ait combattu cet usage, son ordonnance du 27 janvier 1649, l'interdit aux prêtres de son diocèse, sous peine de suspense. La ville forcée alors de pourvoir à leur remplacement, décida, le 8 août 1649, qu'il y aurait huit porteurs auxquels elle fournirait des tuniques noires à capuchon. Cette dernière dépense fut à la charge du Sanitat, lorsqu'il eut le privilège exclusif de fournir les serviteurs des convois. La taxe fut ainsi réglée en 1656 :
Chaque pleureur : 20 sols.
Chaque porteur : 8 sols.
Chaque tender : 4 sols.

Plus tard, les gages des tendeurs s'élevèrent à 2 et 3 livres, suivant l'importance des services funèbres, et ceux des convoyeurs à 2 livres. Les cierges étaient portés par les enfants trouvés appelés enfants bleus, à cause de leur costume, et les ciriers n'avaient pas la permission d'en prendre d'autres. On n'autorisait même pas les membres des confréries à porter le corps de leurs frères défunts ou de suivre leur convoi avec un cierge, tant on craignait de créer un précédent qui portât atteinte au privilège des pauvres. Voici le tarif perçu pour l'assistance de chaque enfant, le 4 janvier 1785 :

Paroisses de l'intérieur de la ville : 12sols.
Saint-Clément, Saint-Similien, Petits-Capucins, Récollets et Minimes : 15 sols.
Saint-Donatien et Saint-Jacques : 18 sols.
Chantenay : 20 sols.
Saint-Sébastien et Rezé : 24 sols.
Transport immédiat au cimetière public ou à autre église : 3 sols.
Transport non immédiat : 12 sols.
Assistance à une seconde messe pour le même enterrement : 6 sols.

Le monopole de l'Hôpital général comprenait non-seulement le droit d'envoyer son personnel aux enterrements, mais encore la fourniture de divers accessoires que lui seul pouvait faire fabriquer. Ainsi, la confection des cercueils, nommés châsses à Nantes, n'était pas libre. Les ciergers ne pouvaient en commander chez tous les menuisiers sans s'exposer à une contravention. Le bureau des pauvres renfermés affermait de gré à gré le droit de fabriquer les châsses à un menuisier qui seul avait la liberté d'en fournir à toutes les paroisses de la ville, et s'engageait en retour à prendre des enfants trouvés en apprentissage pendant trois ans. Il y eut longtemps au Sanitat un menuisier chargé de l'exploitation de ce monopole, et, en 1874 encore, il existe à l'Hôpital général de Saint-Jacques un atelier où se fabriquent toutes les châsses de sapin employées à Nantes.

Le monopole des châsses fut accordé en août 1659, par sentence du sénéchal de Nantes, qui fut notifiée à tous les ciergers et menuisiers de la ville. Comme il était à craindre que la concession ne soulevât des résistances dans la pratique, le bureau crut prudent d'invoquer l'autorité des cours suprêmes. Après l'arrêt confirmatif rendu par le Parlement de Rennes, le 29 octobre 1660, le Présidial de Nantes fut encore obligé d'intervenir en décembre 1661 et en janvier 1681 pour maitnenir la légitimité du droit exclusif des pauvres sur la fabrication des châsses. Le tarif fut réglé le 10 janvier, non par la mairie, mais par les gens de justice, qui s'attribuaient alors une compétence universelle sur les affaires de l'administration comme sur celles de l'église, de la manière suivante :

1° Châsses de 5 à 6 pieds : 3 livres 10 sols.
2° Châsses de 3 à 4 pieds : 2 livres 8 sols.
3° Châsses de 3 pieds et au-dessous : 1 livre 15 sols.

Sur la première catégorie, 10 sous revenaient au Sanitat, sur la seconde, 7 sous ; sur la troisième, 5 sous. En 1785, les prix furent beaucoup augmentés. La plus petite dimension se payait 3 livres et la plus grande 9 livres.

Les écussons aux insignes de la mort et les armoiries faisaient également partie du monopole. Les pères des pauvres en adjugeaient la fabrication, par bail amiable, à un ou plusieurs peintres vitriers qui s'engageaient à les vendre aux ciriers 7 livres IO sous le cent et à rapporter à l'Hôpital la somme de 4 livres 10 sous. Cette redevance, trop élevée, fut, par la suite, rabaissée à 3 livres. Le Parlement et le Présidial confirmèrent ce monopole comme les précédents.

Ce luxe d'arrêts et de décisions municipales ne mit pas le Sanitat à l'abri des contestations, comme on pourrait le croire (Archives du Sanitat, série B). Une procédure de 1672 dit que le bureau des pauvres avait eu recours souvent à la charité du siége présidial pour avoir la permission de faire fabriquer, exclusivement à tous autres, des têtes de mort et armoiries et qu'il avait toujours été maintenu dans ce privilège depuis son établissement. Les ciergers, les menuisiers, les peintres cherchaient toutes les occasions de reprendre subrepticement la confection des objets de leur industrie sans crainte de s'attirer des poursuites. Malgré la défense faite à tous les menuisiers de s'immiscer dans la fabrication des châsses, les directeurs furent souvent obligés de recourir aux juges pour le maintien de leurs priviléges et de requérir des arrêts comminatoires contre les délinquants. Mêmes rigueurs durent être employées contre les ciriers qui, souvent, négligeaient les intérêts des hôpitaux et prenaient des gens à leur convenance. Prohibition expresse leur fut faite en 1660 et le 20 mai 1677, par le Présidial, de se servir, pour les cérémonies funèbres, d'autres personnes que des gens du Sanitat, et de prendre d'autres robes ou instruments que ceux de l'établissement. En 1747, Je sieur Briceau, cirier de Saint-Similien, fut condamné à l'amende pour avoir employé quatre garçons que n'étaient pas des enfants bleus. Les lettres patentes octroyées par Louis XV à l'Hôpital général confirment, dans les articles 17 et 18, les sentences et les arrêts rendus au sujet de ce monopole.

Le Sanitat avait raison de défendre opiniâtrement ses droits exclusifs dans les cérémonies funèbres, car il y avait là une source importante de revenus. La seule fourniture des châsses donnait à la maison 2,886 livres année moyenne, à la fin du XVIIème siècle. L'assistance aux enterrements et les autres accessoires procuraient, année moyenne, 3,790 livres de bénéfice net à la même époque [Note : En 1698, les convois produisaient 352 livres]. La Révolution, en supprimant les privilèges, causa donc au Sanitat un préjudice notable.

Un monopole est toujours tyrannique quand il est créé uniquement au profit de celui qui l'exploite et c'est le reproche qu'on pourrait peut-être adresser aux privilèges cités plus haut ; mais en voici un différent qu'il m'est plus facile de justifier, car il a été établi surtout en vue de sauvegarder les intérêts généraux de la navigation.

Il y a longtemps que les sables motivants de la base Loire inquiètent les populations riveraines, et ces alarmes sont devenues plus vives de siècle en siècle, à mesure que les dimensions des navires se sont accrues [Note : En 1620, les Nantais exposèrent au Conseil d'Etat « que les grèves qui se sont faites depuis quelques années, en la rivière de Loire, tant au port de la Fosse et jusques à quatre lieues au-dessus et au-dessoubs desdits ponts de ladite ville, occupent tellement la dicte rivière que les navires qui avoient accoustumé d'aborder au port de ladite Fosse n'y peuvent plus arriver »]. Dès le XVIIème siècle, les marins disaient : « La rivière de Nantes est gastée ». Trop peu clairvoyante pour deviner les causes multiples du mal, la science se croyait alors réduite à l'impuissance et laissait l'opinion seule dicter ses arrêts. On croyait que les accumulations de sable qui se formaient dans les ports et dans le lit du fleuve provenaient en grande partie de la négligence des maîtres de navires qui jetaient leur lest dans tous les endroits sans distinction. On accusait particulièrement les Hollandais dont les gros navires arrivaient lestés du sable fin de leur pays.

Si cette cause accidentelle d'ensablement n'était pas seule responsable du mal, il faut convenir qu'elle avait son importance et que le défaut de précautions dans le délestage avait pu donner naissance à bien des bas fonds. Pour donner satisfaction aux plaintes du commerce qui réclamait une surveillance attentive sur toute la navigation de la basse Loire, l'amiral de Bretagne défendit à tous les patrons de lester et de délester leurs navires eux-mêmes ; il fit de cette opération une fonction publique dont il confia la direction à un agent spécial investi du pouvoir d'inspecter toute la rivière depuis Nantes jusqu'à la mer. Ses attributions consistaient à désigner aux navires montant et descendant les lieux où devait se prendre et se déposer le sable de lestage, à fournir les bateaux de transport, moyennant une taxe dant le tarif avait été réglé au conseil et enfin à signaler la fraude. Toutes les contraventions aux règlements étaient poursuivies à ses frais ; mais il percevait le produit des amendes, merveilleux aiguillon pour stimuler sa vigilance.

Vers la fin du XVIIème siècle, la charge de visiteur, lesteur et délesteur était exercèe par un conseiller secrétaire du roi, du nom de Pierre Gorges, dont le frère Claude était administrateur des hôpitaux de Nantes, en qualité de chanoine de l'église cathédrale.

Le titulaire était arrivé à cet emploi en vertu de l’hérédité et de la faveur qui tenaient alors lieu du mérite, mais non sans difficultés. A la mort de son père qui en avait été pourvu par le cardinal de Richelieu, la reine-mère Anne d'Autriche, amiralle de Bretagne, en 1665, lui accorda des lettres de survivance, grâce auxquelles il se croyait à l'abri de toute compétition, quand il apprit que le lieutenant-général du comté nantais, M. de Molac, lui avait nommé un rival. De là naquis devant le conseil du roi une contestation de laquelle il sortit victorieux par un arrêt du 18 juin 1668.

Pierre Gorges, à l'exemple de la plupart des dignitaires ecclésiastiques et laïques de l'époque, ne se croyait pas tenu d'exercer sa charge par lui-même ; il habitat Paris ordinairement et remettait sa procuration à un commis qui gouvernait à sa place l'entreprise au moyen de deux bateaux. Sa position, du reste, était très-régulière, puisque les lettres de grand sceau par lui obtenues le confirmaient « avec pouvoir de commettre en sa place telles personnes qu'il aviserait ».

Ce commissaire exploitait ainsi sa charge par commende depuis quatorze ans, sans autre peine que de toucher une somme d'environ mille livres par an, lorsqu'il eut la pensée de s'en démettre au profit des pauvres de Nantes. D'après les usages du temps, il lui était permis de se croire propriétaire incommutable ; il se dessaisit donc de ses fonctions, comme il aurait agi pour une cession d'immeuble et par contrat du 28 mars 1680 passé devant les notaires du Chatelet, il transporta tous ses droits au Sanitat de Nantes « par donation irrévocable entre vifs et à titre de fondation ».

Les conditions imposées par le donateur furent les suivantes : 1° de lui faire la remise, durant sa vie, de la moitié des produits bruts ; 2° de bailler aux Jésuites de Nantes une rente de cent cinquante livres durant sa vie et une autre d'égale valeur après sa mort ; 3° de fournir à ses frère et beau-frère un emplacement dans la tenue du Sanitat pour bâtir une maison avec jardin dont ils auraient seulement la jouissance viagère ; 4° de célébrer à son intention, après son décès, une messe annuelle dans la chapelle du Sanitat. Enfin dans une dernière clause, le donateur exprimait le voeu « que le produit du lestage et du délestage fût affecté à l'entretien des pauvres valides du Sanitat et particulièrement de ceux qui seront jugés capables d'apprendre à lire et à écrire, pour pouvoir servir sur les vaisseaux de Sa Majesté et des marchands ».

Faite dans ces termes, la donation était trop onéreuse pour que le Sanitat l'acceptât sans réserve ; aussi les directeurs décidèrent qu'un mémoire serait envoyé à M. Gorges pour le prier de modifier ses volontés. La concession attendue n'arrivant pas, l'un des directeurs se rendit à Paris et obtint un acte additionnel par lequel il était permis au Sanitat de ne rien donner aux Jésuites, pendant les mauvaises années.

Les charges de ce bienfait, réduites même à ces termes, étaient encore trop lourdes pour une administration aussi compliquée que celle du Sanitat, mais les besoins de la maison étaient si pressants qu'il fallait tout prendre sans s'arrêter aux embarras.

Après avoir acheté les deux bateaux qui servaient au fondé de pouvoirs du sieur Gorges, le Sanitat continua le service tel qu'il était établi par le titulaire.

Dès que les pères des pauvres furent en possession de leur nouveau monopole, ils s'aperçurent bientôt que l'entreprise facile à diriger pour un commissaire institué par l'Etat l'était beaucoup moins pour des mandataires non reconnus. De graves abus s'étaient introduits dans la pratique du lestage et du délestage par la complaisance coupable des agents subalternes. Suivant la rumeur publique certains navires profitaient de la nuit pour se délester au moyen d'une longue poche fixée à un sabord ouvert ; d'autres achetaient des commis la liberté de prendre du lest et d'en déposer où bon leur semblait. Pour combattre la fraude, par tous les moyens nécessaires, les pères des pauvres auraient eu besoin d'être pleinement rassurés sur la perpétuité de leur privilège, comme sur la validité des pouvoirs qu'ils tenaient de la résignation du sieur Gorges, et cette double sécurité leur manquait. Tout ce que leur situation leur permettait, c'était de choisir des préposés plus vigilants et plus fidèles et ils ne faillirent pas à ce devoir.

La création d'un siége d'amirauté à Nantes leur fournit, en 1691, l'occasion de sortir de cette incertitude. Parmi les officiers attachés à ce nouveau tribunal figuraient un huissier, visiteur, lesteur et délesteur et deux sergents chargés spécialement de tenir la main à l'exécution rigoureuse des règlements relatifs au lestage et au délestage des navires. Loin de trouver des auxiliaires disposés à le décharger de toute la police de la navigation, le Sanitat ne rencontra au siége de l'amirauté que des ennemis jaloux de son monopole et déterminés à en dénoncer au Ministère tous les vices. Il eût été cependant facile aux agents du gouvernement de mettre fin à tous les abus et d'imposer aux régisseurs de l'entreprise un plus grand nombre de commis, niais la multiplicité infinie des priviléges créés par l'ancien régime avait tellement excité les convoitises que toutes les classes de la société se faisaient une guerre acharnée. Les administrations charitables qui auraient dû, ce semble, être à l'abri de ces hostilités, n'en furent pas plus exemptes que les autres, la plupart des difficultés qui embarrassèrent leur marche à Nantes n'eut pas d'autre source.

L'intendant de la province chargé de faire un rapport sur les titres en vertu desquels le sieur Gorges jouissait de sa charge, ayant remontré au conseil que la commission du titulaire devait être révoquée, attendu qu'un officier pourvu d'un titre héréditaire exercerait ses fonctions avec plus de vigilance, un arrêt du 16 mai 1693 dépouilla M. Gorges de tous ses droits. Le même arrêt décida que sa charge serait érigée en titre d'office et adjugée au plus offrant enchérisseur à Rennes, devant l'intendant.

Le 24 octobre suivant, le Sanitat, après avoir obtenu du contrôleur général l'autorisation de se porter adjudicataire, se rendit acquéreur du nouvel office, moyennant la somme de douze mille livres. Son titre cependant ne devint héréditaire qu'après avoir été reconnu par un arrêt du Conseil d'Etat, en date du 20 décembre 1694, qui le confirma dans la possession des droits attribués à la charge de visiteur testeur et délesteur. Toutes les exigences du fisc n'étaient pas encore satisfaites. Louis XIV, qui tirait de grandes ressources du trafic des charges publiques, par l'adjudication et par le droit de mutation, n'aurait pas consenti à laisser tomber en main morte les fonctions de testeur et délesteur si l'Hôpital général avait refusé de lui fournir un homme vivant et mourant, suivant l'expression du temps.

Il en coûta encore mille livres aux pauvres, lorsque M. Mortier de Romainville, leur représentant, se présenta pour retirer ses lettres de provision.

Les principes qui dominaient sous l'ancien régime sont si différents de ceux qui régissent notre droit administratif, qu’il ne faut pas s'étonner de voir un établissement charitable en jouissance d'une fonction publique. Moins jaloux qu'aujourd'hui de ses prérogatives, l'Etat n'hésitait jamais à s'en démettre, quand le Trésor devait y trouver son profit. Au surplus, nos pères ne connaissaient pas l'incompatibilité et laissaient libre carrière au favoritisme dans la société civile comme dans la société ecclésiastique. Le cumul n'ayant de bornes que la satiété du solliciteur ou le bon plaisir du Roi, on se pressait d'autant plus volontiers aux enchères que l'acquéreur n'avait le plus souvent que la peine de se substituer un remplaçant.

En prenant possession de leur monopole, les pères des pauvres crurent d'abord que le meilleur moyen de l'exploiter à la satisfaction générale sans diminuer les intérêts du capital engagé était d'en confier la régie à des préposés munis de leur procuration. Après une expérience de dix-huit années, ils s'aperçurent en 1698 que leurs mandataires ne leur rendaient pas des comptes exempts de reproches et crurent remédier à tous les inconvénients de leur entreprise en donnant leur confiance à des fermiers. Cette nouvelle détermination n'était pas conforme aux conditions du cahier des charges, mais elle répondait aux vues d'économie qui présidaient forcément à toutes les résolutions prises au bureau du Sanitat.

Les deux commis qu'ils étaient tenus d'entretenir à Nantes et à Couëron, furent remplacés par une fermière et son valet auxquels ils laissèrent l'entreprise pour une redevance d'abord de 400, puis de 700 livres. Au lieu de deux commis on n'en voyait à Paimbœuf qu'un seul, quoique cette rade alors très-fréquentée, par suite de l'ensablement des autres ports de l'embouchure, exigeât un plus nombreux personnel. Ce préposé devait, comme la fermière, veiller à ce que le lest fût fidèlement porté à terre sur les bateaux du Sanitat, et délivrer des billets de congé aux patrons qui avaient lesté ou délesté. La direction des pauvres lui allouait pour frais de régie quatre sous pour livre sur le produit net de la recette, et gardait, à sa charge le salaire des matelots, gardiens des bateaux, celui des hottiers chargés de transborder le lest, et les frais de radoub. En retour elle percevait des droits dont le tarif avait été réglé ainsi qu'il suit :

Par chaque vaisseau du port de 20 tonneaux et au-desus : 20 sols.
Par chaque vaisseau de 19 tonneaux et au-dessous, jusqu'à 9 : 10 sols.
Par chaque vaisseau au-dessous de 9 tonneaux : 5 sols.

En outre il lui était permis de lever 12 sols par tonneau de lest porté à terre ou dans le vaisseau, et 8 sols par tonneau de lest transporté d'un vaisseau à un autre.

Les patrons n'étaient pas complètement libérés même après avoir acquitté toutes ces taxes ; la marine les assujetit en 1712 à un nouveau droit de visite, au profit des sergents et des huissiers de l'amirauté, qui remplissaient concurremment, avec les commis des pauvres renfermés, les fonctions d'inspecteur. Si suivant les règles de l'équité et d'une sage administration, l'amirauté seule avait été chargée de la police des contraventions, bien des tribulations auraient été épargnées aux directeurs du Sanitat. Chaque fois que dans le cours du fleuve un ensablement paraissait imminent, la rumeur publique, le commerce, les juges consuls, l'amirauté et la marine mettaient le Sanitat en cause et accusaient la négligence de ses préposés.

En 1719, les réclamations s'élevèrent avec tant de force pour demander la dépossession du Sanitat et la création de maîtres de quais surveillants, que le bureau des administrateurs jugea prudent de se ménager de puissants intercesseurs près du comte de Toulouse, gouverneur de la province. Plusieurs personnages et notamment l'évêque de Nantes, M. Lavergne de Tressant, aumônier du régent, furent priés d'intervenir en faveur des pauvres.

Le gouverneur de Bretagne, persuadé par toutes les remontrances qui lui étaient adressées, que tout le mal venait de l'inexécution des règlements, transmit ses observations aux directeurs des pauvres renfermés, sans leur cacher qu'il croyait utile de leur retirer la gestion du lestage et du délestage. Ceux-ci se défendirent de leur mieux en disant que l'ensablement de la Loire provenait beaucoup plus de la trop grande largeur du lit, que de la négligence des fermiers. Leur mémoire demandait que, dans tous les cas, le Sanitat reçût une compensation, s'il était privé des ressources de ce monopole qui l'aidait à nourrir plus de 400 pauvres et insistait sur la détresse de la maison, dont le revenu fixe ne s'élevait pas au-delà de 9,400 livres, pour faire face à une dépense annuelle de 40,000 livres.

Embarrassé par toutes les objections qui lui venaient de part et d'autre, le gouverneur prit le parti d'ouvrir une enquête à laquelle il fit comparaître la municipalité, l'amirauté et le Sanitat. Dans les considérants de l'arrtêt préalable rendu à ce sujet, le conseil du roi persistait à soutenir que les encombrements du fleuve s'étaient surtout multipliés depuis que la régie du lestage et du délestage était entre les mains des directeurs du Sanitat. Au jour fixé pour les dépositions, ceux-ci firent entendre de nouveau qu'il fallait attribuer les ensablements du lit de la Loire aux crues et aux marées, plutôt qu'à la négligence des régisseurs ; qu'ils croyaient en voir la preuve dans la nature des bancs formés entre Nantes et Paimbœuf, dont le sable ressemble absolument à tous les sables de la Loire et non point au lest des vaisseaux hollandais. Ils ajoutèrent qu'ils avaient pris toutes les précautions possibles contre les abus, en choisissant les personnes les plus capables et les plus sûres, sans jamais omettre de leur rappeler à chaque bail leurs obligations, et après s'être justifiés, ils ne craignirent pas de dénoncer les officiers de l'amirauté qui, disaient-ils, touchaient un droit considérable de visite, sans remplir leurs devoirs. Prévoyant le cas où de nouveaux emplois de surveillants seraient créés, les mêmes demandèrent que leur rétribution fût prélevée sur le produit du droit de visite.

Appelés à leur tour à se défendre, les officiers de l'amirauté témoignèrent d'abord leur surprise de se voir inculpés dans le procès, et ripostèrent en déclarant que les preuves des contraventions commises par les fermiers ne leur manquaient pas. Les causes d'ensablement signalées par les directeurs des pauvres ne leur paraissaient pas sans fondement, cependant ils jugeaient qu'il n'était pas superflu de rappeler le Sanitat au respect des conditions prescrites par l'arrêt de 1694. Leur avis n'était pas contraire à la nomination de maîtres de quais, mais il leur semblait juste que ces employés fussent à la charge du Sanitat.

Au lieu de s'étendre en longues récriminations qui faisaient dégénérer l'enquête en querelle trop personnelle, le maire et les échevins convoqués touchèrent de suite le fond de la question. Suivant eux, l'affaire n'avait pas été suffisamment instruite et les témoins appelés n'étaient pas assez compétents pour donner un avis utile. L'enquête minutieuse et complète ne pouvait être instruite que sur les lieux, avec le concours des pilotes lamaneurs des ports de la basse Loire, avec celui des capitaines de navires, des anciens navigateurs et des maîtres de gabares, desquels on obtiendrait des éclaircissements sur les bancs, sur les brasses d'eau, sur les courants, sur les effets des marées aussi bien que sur les lieux où il convenait de mettre le lest. Emettre une opinion sans ces renseignements préalables leur paraissait téméraire. Quant aux moyens à employer pour réprimer la fraude dans le délestage, la municipalité proposa, comme l'amirauté, d'envoyer un homme de confiance sur chaque navire dès qu'il entrerait en Loire.

Au milieu de ce conflit d'opinions, il n'était pas difficile au commissaire-enquêteur de démêler que sur un point important de la question il y avait conformité d'avis. Les trois administrations appelées en témoignage, reconnaissaient toutes trois que le fleuve portait en lui-même la cause principale de ses vices, et n'attribuaient qu'une influence secondaire aux contraventions commises dans la pratique du délestage.

L'enquête eût sans doute donné naissance à quelques projets sur les moyens d'améliorer la navigation de la Loire, si elle eût été poursuivie dans le sens indiqué par la mairie ; elle ne servit même pas d'enseignement aux maîtres des requêtes et resta enfouie dans les cartons du contrôleur général, sans amener de notables changements dans la régie du lestage et du délestage.

Emu des accusations qui venaient d'être portées contre lui, le bureau du Sanitat n'attendit pas qu'un nouvel orage le mit en danger de perdre son privilège. Les trois bateaux du service furent spécialement réservés pour Nantes, Couëron et le Pellerin, et trois nouveaux furent construits pour parer à tous les besoins du port de Paimbœuf. Il fut récompensé de ses sacrifices par 17 années de tranquillité, dont le produit atteignit parfois jusqu'à 2,500 livres et ne descendit jamais au-dessous de 1,700. Pour ce dernier port on abandonna, en 1728, le système du bail à ferme adopté depuis 1700, et la régie en fut confiée au greffier du commissaire des classes qui disposait de toute l'autorité nécessaire pour bien s'acquitter de sa mission.

Lorsqu'en 1739, de nouvelles plaintes du commerce forcèrent le gouvernement à sortir de son indifférence, les pères des pauvres eurent la satisfaction de constater que si les mêmes préjugés subsistaient dans l'esprit des conseillers d'Etat à l'égard des causes d'ensablement, on consentait du moins à reconnaître leur impuissance à réprimer la fraude sans le concours d'auxiliaires. L'augmentation du personnel de surveillance et les mesures de rigueur édictées contre les patrons pris en contravention étaient une preuve de retour en leur faveur. L'arrêt en forme de règlement rendu le 28 mars de cette année-là, impose aux propriétaires de la régie du lestage et du délestage, des conditions plus onéreuses qu'en 1693 ; il les oblige à entretenir deux bateaux de 25 tonneaux dans le port de Nantes, deux autres bateaux de 30 tonneaux dans les ports de Couëron et du Pellerin, et quatre autres bateaux dans le port de Paimbœuf, dont deux de 40 tonneaux, un de 30 et un de 20 ; mais en compensation le droit supplémentaire de 12 sols qu'ils prélevaient sur chaque tonneaux de lest porté à bord d'un navire, fut porté à 18 sols. Le taux était égal pour le délestage, mais il ne s'appliquait qu'aux deux tiers du tonnage de chaque bâtiment.

Leur personnel n'est pas augmenté, ils sont seulement tenus de régir eux-mêmes leur entreprise avec le concours de trois commis assermentés, agréés par l'inspecteur du lestage et du délestage. Ce dernier officier avait la haute direction de la police et agissait de concert avec les officiers des bureaux de la marine, résidant à Nantes et Paimbœuf, chargés eux aussi de surveiller les navires et les commis de l'Hôpital général. Tout patron français ou étranger qui lestait ou délestait hors des endroits fixés par le règlement, était passible de 500 livres d'amende et d'une autre amende de 300 livres au profit du dénonciateur ; à la première récidive la peine s'aggravait de la déchéance ou du doublement de la somme, et s'il y avait seconde récidive, le contrevenant encourait de plus la confiscation.

Avant de décider à quelles mains serait confiée la direction du nouvel ordre établi, le Ministre secrétaire d'Etat voulut faire une expérience de trois années et laissa les mêmes régisseurs en fonction, à la charge, par eux, de produire tous les trois mois un état de situation. Séduits par l'appât d'une recette plus productive qui, dès la première année, atteignit un chiffre trois fois plus élevé qu'en 1693, les pères des pauvres consentirent à régir leur monopole sous les ordres du ministère en se conformant à tous les nouveaux règlements. Malgré la pénurie de la caisse des pauvres, ils s'imposèrent les plus lourds sacrifices pour mettre leur entreprise sur le pied établi par le dernier arrêt avec la persuasion que l'avenir les dédommagerait amplement de toutes leurs avances de fonds [Note : Le produit net qui n'était, en 1734, que de 2,873 livres, monta, en 1740, à 3,733 livres]. Leur illusion ne fut pas de longue durée et ils purent bientôt s'appliquer à eux-mêmes le sic vos non vobis de Virgile.

Pendant qu'ils donnaient tous leurs soins à l'amélioration d'un revenu sur lequel ils fondaient les plus belles espérances, un autre travaillait, non pas seul, mais avec le concours du contrôleur général, — qui le croirait ? — à les en dépouiller. La conduite de M. Orry en cette circonstance est inqualifiable, elle mérite d'être blâmée sans que les procédés peu scrupuleux adoptés trop souvent alors par le fisc à l'égard des villes qui acquéraient des offices puissent en aucune façon la justifier.

Lorsque le chevalier de Rezé, M. de Monty sucesseur du premier représentant du Sanitat depuis 1712, mourut en 1738, il aurait fallu, pour se conformer strictement au règlement, que les directeurs de l'Hôpital présentassent dans le délai de trois mois un nouveau titulaire. La caisse des pauvres était alors sans argent et l'entreprise traversait depuis 1736 une épreuve dont on ignorait l'issue ; ceux-ci ne pouvaient donc, dans ces circonstances, faire une démarche pour lever des provisions qu'ils n'auraient pas obtenu à moins de 1,500 livres. Il leur était bien permis, de croire que la chancellerie attendrait la fin de l'expérience convenue et que dans tous les cas le contrôleur général ou l'amiral de Bretagne n'autoriseraient pas leur dépossession sans les informer préalablement de la déchéance qui les menaçait.

Après les délais expirés le sieur François Morand, bourgeois de Paris, se présenta à la trésorerie des parties casuelles et leva, en 1740, l'office de visiteur lesteur et délesteur pour son compte en versant la somme de 6,000 livres seulement.

Grande fut la stupéfaction au Sanitat quand on apprit qu'un nouveau titulaire avait fait son apparition dans les bureaux de la régie à Nantes et qu'il était muni de tous ses pouvoirs. On s'empressa d'écrire au Gouverneur de Bretagne, à l'Evêque de Nantes, au Ministre d'État, au cardinal de Fleury en les priant d'intercéder en leur faveur près du contrôleur général. Aucun de ces personnages ne put amener M. Orry à revenir sur sa décision.

Loin d'être rebutés par cette froideur et ces insuccès, les pères des pauvres prirent le parti de se défendre eux-mêmes et le firent éloquemment dans les termes suivants :

MONSEIGNEUR,
Au nom de plus de 600 pauvres renfermés dans l'Hôpital general de cette ville, que leurs administrateurs ne peuvent plus faire subsister, et qui sont à la veille d'être abandonnés sans secours à leur propre misère, faute de revenus à pouvoir leur donner du pain, nous implorons votre miséricorde en leur faveur au sujet de leur office de lesteur et délesteur qui vient d'être levé aux parties casuelles. Nous n'aurions pas manqué de nous y présenter pour le retirer si les pauvres en avaient eu le moyen, mais ne sçachans depuis plusieurs années ou prendre des fonds pour leur nourriture, comment pouvions nous en avoir pour la levée de cet office. Et nous n'avons pas osé nous y présenter les mains vuides. Nous avons esté par conséquent hors d'estat de le faire taxer au rôle des parties casuelles. Nous ignorons absolument sur quel principe on a pu vous faire entendre que la demande en avoit esté faite par les administrateurs ; pas un de nous n'en a la moindre connaissance.

Daignez, Monseigneur, avoir la charité d'entrer dans l'embarras de notre situation et nous aider à empêcher la ruine de cet Hôpital. Nous sommes persuadés que si toute son indigence vous était connue vous en auriez pitié et que vous seriez le premier disposé à lui faire grâce d'autant plus que la décadence de son établissement ne peut pas manquer de retomber à la charge de l'Estat.

Notre administration n'a pas le secret de faire de l'argent avec rien. Nous y donnons avec zèle tous nos soins et souvent des avances gratuites sans lesquelles l'Hôpital manquerait des provisions nécessaires ; mais ce sont des secours insuffisants et s'il ne plaît à Sa Majesté d'y mettre la main, nous serons forcés de l'abandonner.

Nous sentons parfaitement, Monseigneur, la faute qu'on peut imputer à notre administration de ne s'estre pas mise en règle pour l'office de délesteur tors du décès du dernier titulaire ; mais nous ne le pouvions pas faire sans argent, et la nourriture des pauvres était l'objet le plus pressant, persuadés, d'ailleurs, que personne ne songerait à les dépouiller.

Le projet d'établissement de la nouvelle régie pour le délestage fut commencé en 1736 quoique l'arrêt du Conseil ne fut rendu qu'en 1739. Le titulaire de l'office mourut dans l'intervalle et l’Hôpital, menacé du remboursement de sa finance, se trouva dans un état d'incertitude à ne pouvoir prendre aucun parti. Nous en avons la preuve dans nos registres. Cependant l'arrangement ayant esté fixé par la nouvelle attribution de 18 sols par tonneau de lest et Sa Majesté nous ayant chargé de l'exécution, l'administration fut obligée de se livrer à toute la dépense de l'établissement et l'Hôpital en fut accablé. Faudra-t-il pour récompense de tous nos soins et de toutes nos avances à ce sujet qu'un nouveau pourveu vienne en recueillir le fruit que M. le comte de Maurepas a bien voulu destiner pour trois ans à la subsistance des pauvres et la rigueur des lois peut elle estre plus convenablement adoucie qu'en leur faveur.

En tout cela, Monseigneur, nous ne vous demandons rien pour nous, au contraire, l'offre que nous avons prié M. l'Evêque de Nantes de vous faire pour le remboursement du nouveau pourveu est entièrement à nos charges, que pouvons nous faire de plus pour vous engager à leur faire rendre la propriété de leur bien ?

Nous vous supplions très-humblement, Monseigneur, de ne pas permettre qu'au profit d'un seul particulier, qui d'ailleurs n'y perdra rien, l'asile de tant de misérables, tous sujets de Sa Majesté, s'en trouve ruiné. La grâce que vous voudrez bien leur faire dans cette occasion ne peut estre d'aucune conséquence par rapport aux autres offices. C'est peut-être le seul dont les pauvres soient propriétaires dans cette province, peut-être même dans le royaume. Ce mince objet peut-il diminuer la sçureté des charges vacantes aux parties casuelles et sera-t-il capable d'engager Sa Majesté à retirer la protection dont elle a bien voulu permettre à tous les pauvres de se flatter. (Archives des Hospices, B. 34).

Toutes ces remontrances et ces supplications furent vaines ; la cause des pauvres fut traitée avec la même rigueur que celle d'un simple particulier.

En 1750, la mort du sieur Morand, les directeurs du Sanitat tentèrent encore de rentrer en possession de leur monopole avec l'appui du chancelier d'Aguesseau ; malgré cette puissante protection leurs instances ne furent pas mieux accueillies que dix ans auparavant. Le contrôleur général, qui cependant leur devait bien quelques condoléances, ne trouva pas dans son coeur le moindre mot de bienveillance et leur répondit la lettre assez sèche qui suit :

MESSIEURS,
Après avoir examiné le mémoire que vous aviez adressé à M. le chancelier d'Aguesseau, au sujet de l'office de lesteur et délesteur de la rivière de Nantes que le sieur Peloteau a acquis des héritiers du sieur Morand, dernier titulaire, je n'ai pas trouvé que vous fussiez fondés à demander la préférence de cet office. Quelque grande que puisse être la faveur des pauvres, elle ne doit jamais rien produire contre la justice. Vous ne rapportez aucune preuve du fait que vous alléguez que le sieur Morand avait promis de ne disposer de cet office qu'en faveur de l'Hôpital et vous n'en avez pas davantage de la préférence que vous alléguez vous avoir esté promise par les héritiers. Ainsi le sieur Peloteau ayant en sa faveur un titre translatif de la propriété de cet office, je ne pourrai me dispenser de sceller ses provisions lorsqu'elles me seront présentées. Je suis, Messieurs, votre affectionné à vous servir. MACHAULT.

Ainsi s'évanouirent les dernières espérances du Sanitat, sans qu'aucune compensation vint adoucir pour eux l'amertume d'une perte très-sensible.

(Léon Maître).

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