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NANTES : LE QUAI ET LE PORT MAILLARD.

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Une remarque que l'on a souvent pu faire, c'est que la plupart des hommes nés dans l'opulence ne se préoccupent que très médiocrement de l'origine de leur fortune. Ils usent de ce qu'ils possèdent, comme d'une chose à laquelle ils ont justement droit, et si, par hasard, leurs regards se portent vers le passé, c'est uniquement pour s'applaudir de ce que ce passé a fait pour eux. Ils sont riches ; ils le savent, et c'est là, à leurs yeux, ce qu'avant tout, il leur importe de savoir.

Et cependant cette fortune eut une première cause, un premier auteur. Tantôt et le plus souvent elle fut le fruit d'un long et pénible travail ; tantôt elle prit sa source dans l'économie, le sacrifice, les privations ; tantôt enfin dans des aptitudes particulières d'intelligence et de savoir.

Ne serait-ce donc pas pour ce privilégié de la fortune un devoir impérieux de reconnaissance, de chercher au moins à connaître, pour honorer leur mémoire, ceux que surent lui procurer le bien-être dont il est aujourd'hui le paisible et l'heureux possesseur ?

Et l'indifférence qu'il témoigne à cet égard ne peut-elle pas être taxée d'égoïsme coupable et même d'ingratitude.

Ainsi cependant agissent le plus grand nombre des habitants de nos cités. Ils aiment sans doute la ville qui les a vus naître, et ce patriotisme, si borné qu'en soit parfois l'horizon, est souvent le mobile de nobles actions, d'un dévouement fertile en heureux résultats. Fiers de posséder de belles voies publiques, des promenades aux allées régulières, de nombreux établissements d'intérêt général, des monuments remarquables, ils ont grand soin de se prévaloir de tout ce qui fait l'orgueil de leur ville. Ils jouissent avec bonheur de ces avantages et regretteraient vivement qu'ils n'existassent pas pour eux. Comme l'opulent dont nous venons de parler, ils aiment leurs richesses et ne voudraient rien en sacrifier.

Mais, comme lui aussi, ils ne se mettent guère en peine de savoir quels furent ceux qui travaillèrent ainsi à leur profit. Pour la plupart, ils ne savent pas davantage comment, à quelle époque, dans quel but, pour quel besoin, par quelle succession de temps, sont nés ces monuments, ces institutions qui flattent leur amour-propre et leur sont si utiles....

Indifférence coupable, dirons-nous encore !

Cependant une objection pourra nous être faite, et, nous le reconnaissons, cette objection ne laisse pas que d'être sérieuse. Les documents qui établissent la transformation de la vieille cité nantaise ne sont pas à la portée de tous. Il faut les fouiller, et ce travail présente quelques difficultés, et en tous cas, beaucoup de patience et une volonté soutenue. Nous admettons cela comme vrai, pour aujourd'hui encore. Mais il faut que cette difficulté soit détruite, et que bientôt nos concitoyens puissent acquérir à leur gré des connaissances que nous regardons comme utiles et nécessaires. Nous irons plus loin ; nous voudrions que, dans ce but, une notice succincte, mais exacte, fût faite, à l'usage de nos écoles publiques, et donnant sur l'histoire et la formation de notre ville, sur la création de ses établissements et de ses institutions, des notions qu'il ne devrait plus être permis d'ignorer.

Déjà nous avons fourni un certain contingent pour ce travail, et nous nous proposons de le continuer, si rien ne vient nous arrêter. D'autres, nous l'espérons, nous suivront également dans cette voie.

Aujourd'hui nous venons donner quelques détails sur l'établissement des quais qui, depuis le pont de la Poissonnerie, s'étendent jusqu'à l’entrée de Richebourg. Avant d'arriver à l'état où elle se trouve aujourd'hui, cette partie de notre ville a eu bien des modifications à subir. Ce sont les faits qui ont amené ces changements et ces changements eux-mêmes que nous nous proposons de signaler.

Nous nous plaçons de suite au commencement du XVIème siècle, car avant cette époque, nos archives ne nous fournissent que de rares documents sur les lieux que nous voulons étudier.

A cette époque, comme nous avons déjà eu l'occasion de le faire remarquer dans un précédent travail, notre ville était, à proprement parler, circonscrite par son mur d'enceinte. Ce mur, partant du château, traversait la place du Bouffay, bien moins étendue alors qu'elle ne l'est aujourd’hui, et suivait le cours du fleuve jusqu'aux douves Saint-Nicolas, à la place occupée maintenant par la halle neuve. Faisant alors un coude, il gagnait le bas du coteau de Saint-Similien pour rejoindre le château, en coupant en deux parties les mottes Saint-André et Saint-Pierre.

Nantes : le quai et port Maillard.

Quant à la partie des rives du fleuve, se prolongeant de Richebourg au pont de la Poissonnerie, voici l'aspect qu'elle présentait :

Le ruisseau La Seille, séparant Richebourg de la prairie de Mauves, venait se jeter dans la Loire en amont de la motte Saint-André, qui elle-même s'étendait jusqu'au fleuve. Le canal Saint-Félix venait ensuite battre le pied du château, versant directement ses eaux dans les fossés. Enfin, le mur d'enceinte qui, comme nous venons de le dire, partait du château et longeait le fleuve jusqu'aux douves Saint-Nicolas, était également baigné par les eaux de la Loire.

Seulement, à l'extrémité de la rue qui a conservé le nom de Port-Maillard, s'ouvrait dans la muraille une porte ou poterne qui donnait accès à une langue de terre ferme, d'environ trente toises de profondeur, réservée aux chargements et déchargements des marchandises. En face de la poterne se présentait une petite plantation ou boulevard qui divisait l'espace en deux parties ; celle supérieure remontait jusqu'aux approches des douves du château, celle inférieure venait se terminer au-dessus de l'hôtel des Monnaies, vers le milieu de la place du Bouffay.

C'était là le port Briand-Maillard, du nom d'un architecte qui, dans le commencement du XIIIème siècle, en avait jeté les premiers fondements.

En 1411, on avait établi un pont en bois qui, de la poterne, communiquait au port, en passant au-dessus du fossé; il venait aboutir au petit boulevard dont nous venons de parler.

Les habitans avaient en même temps obtenu du duc Jean V l'autorisation de faire établir sur ce pont, qui était couvert en ardoises, une horloge publique pour servir au château et à la ville. Ce fut là la première horloge établie à Nantes. Un connétable et des portiers étaient affectés à la garde du pont et de la barbacane.

En 1449, des réparations et des améliorations assez importantes furent faites au port, que l'on rendit accessible à tous les bateaux descendant la Loire. Depuis longtemps les marchands d'Orléans sollicitaient ces améliorations, et ils contribuèrent à la dépense pour 2.000#.

Dès-lors, en effet, la navigation de notre fleuve avait une certaine activité, et des quantités assez considérables de marchandises arrivaient de tout le littoral à Nantes.

Mais pour être introduites du port dans la ville, toutes ces marchandises devaient passer sur le pont, qui était la seule voie de communication ouverte. De là une grande gêne et souvent même des difficultés et des inconvénients. Aussi vers 1500, on se décida à démolir le pont, à combler le fossé et à établir une chaussée par laquelle on arrivait directement au port.

Cette voie rendit bien plus facile le mouvement, des marchandises. Mais le port manquait de cale, et les déchargements et chargements ne se faisaient pas sans difficultés, surtout dans les grandes eaux. En 1554, Roger Varier fournit un dessin, devis et portrait d'un cail, ordonné être fait au port Briand-Maillard. Une indemnité de 4 écus lui avait été comptée pour ce projet. Cette cale fut en effet établie, mais beaucoup plus tard, en 1582 En 1561, on avait aussi pavé la chaussée que desservait le port.

Comme on le voit, par les détails que nous venons de donner, le port Briand-Maillard formait une espèce de quai, en dehors du mur d'enceinte. Dans la partie la plus rapprochée du pont de la Poissonnerie, on avait depuis longtemps établi un petit bâtiment carré, en forme de pavillon, dans lequel avait été pratiqué un tour en bois, pour servir à monter les bateaux en amont de la grande voie du bout.

Ce pont de la Poissonnerie était lui-même en bois et avait plusieurs arches. C'était la seule voie de communication entre les deux rives du fleuve.

Si peu étendu qu'il fût, le port Briand-Maillard était donc d'une très grande utilité pour le commerce, et cependant il paraît que, dans la première partie du XVIIème siècle, il avait été fort négligé. Plusieurs documents prouvent en effet qu'en 1643, il était dans un état que rendait son usage difficile et même presque impossible. Par une incurie que l'on a peine à comprendre, l'on avait permis que ce port devînt un dépôt de fumiers, et cette tolérance avait été si bien exploitée, qu'à force de conduire, remuer et enlever ces fumiers, la terre elle-même avait été fouillée, le sol considérablement abaissé, et il en était résulté, de plus, que le petit bâtiment du port et la muraille elle-même, sapés et déchaussés, menaçaient ruine.

Des plaines nombreuses s'élevèrent, particulièrement de la part des mariniers, et les membres de la communauté eux-mêmes se décidèrent à descendre sur les lieux. Il leur fut facile de constater le mal, ce qu'ils firent par un procès-verbal minutieusement détaillè. Et pour mettre fin à un pareil abus, parut à la date du 5 novembre 1643, une ordonnance de police qui statuait ainsi :

« Défenses sont faites aux hocquetiers, charetiers et à toutes autres personnes, de mener à l'avenir les mannis et immondices au port Briand-Maillard, sous peine de 30 s. d'amende et de confiscation de leurs chevaux ; même de les mener et décharger en la place du Bouffay, sous pareilles peines.
Leur enjoint d'ôter promptement lesdits mannis dudit port Maillard et de les mener avec les autres de la ville dans la douve Saint-Nicolas, où est l'érussoir qui a été depuis peu construit. Et, pour cet effet, il leur sera indiqué des places particulières, par M. Gannain, sous-maire, à cette fin commis.
Et pour ce qui est des terriers et délivres de la ville, lesdits charetiers et hocquetiers les mèneront, savoir : depuis la porte Saint-Pierre, porte Poissonnerie, les Changes, rue des Carmes, Saint-Léonard, audit port Briand-Maillard, où étaient lesdits mannis ; et depuis les Changes, rue des Carmes, Poissonnerie, jusqu'à la porte Saint-Nicolas, les mèneront audit érussoir »
.

Ainsi, de sages mesures étaient prises pour faire cesser l'état d'abandon où demeurait le Port-Maillard depuis déjà assez longtemps. L'Administration sentit en même temps qu'il y avait nécessité d'agrandir un peu ce lieu de chargement, désormais évidemment insuffisant.

Mais pour atteindre ce but, le concours de l'Etat était indispensable. Requête fut donc, à cet effet, présentée au roi. Cette requête, fortement appuyée par l'intendant général, fut favorablement accueillie, et au mois de février 1644 furent délivrées des lettres-patentes faisant pleinement droit à la demande de la communauté de Nantes.

Nous croyons devoir reproduire ces lettres-patentes, qui établissent d'une manière précise et l'état des lieux et les modifications que l'on projetait. C'est là, du reste, le point de départ des changements successifs que doit subir le Port-Maillard.

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut.
Nos bien-amez les maire et échevins de notre ville de Nantes nous ont fait remontrance que depuis quelques années il a été fait et élevé un quai, le long des murailles de notre dite ville, sur le bord de la rivière de Loire, pour la commodité du port appelé le port Briand-Maillard, auquel se déchargent plusieurs marchandises, comme vins, bois, chaux, tuffeaux, et autres matériaux propres à faire édifier ; lequel port est séparé en deux quais par un boulevard qui est au-devant de la porte de notre dite ville, qui retient le nom dudit port ; que non loin de ladite porte on a fait ci-devant dresser un engin, dont on s'est servi longues années pour monter les grands bateaux par la grande voie du pont, qui est proche les tours de la Poissonnerie, et dans lesquelles on a, à cause de ce, établi les bureaux de la recette de nos devoirs sur les marchandises qui se voiturent par ladite rivière.
Mais depuis quelque temps, cet engin ou machine est demeuré inutile, le lieu où il était posé n'ayant pas été accessible, à cause que le port a été occupé des fumiers, boues et immondices de notre ville, et que par succession de temps, il a été tellement creusé en toute sa largeur, qu'il est maintenant tout rempli d'eau, dont la rapidité ruine les fondements et pourit les pilotis.  En sorte que, pour en éviter la ruine, il est nécessaire d'y pourvoir promptement et de faire réparer et rebâtir les quais dudit port, iceux conduisant et continuant au-dessus de ladite porte, le long des murailles de notre dite ville jusqu'au pont de la Poissonnerie, tant pour la sécurité et la commodité de la navigation, et la conservation desdites murailles, que pour la décharge des marchandises ; l'autre partie dudit port Maillard, que les exposants entretiennent à leurs frais, n'étant point suffisante pour contenir et recevoir toutes les marchandises qui s'y déchargent, en quoi le public et les particuliers souffrent perte et incommodité. Lesquels réparations et bâtiments lesdits exposants ne peuvent faire ni entreprendre, n'ayant aucuns deniers entre mains, ceux qui proviennent des deniers d'octroi que nous leur avons accordés n'étant pas suffisants pour acquitter leurs dettes et fournir aux dépenses ordinaires dont ils sont chargés, encore moins aux extraordinaires qui leur surviennent journellement.
Ils réclament ainsi que, pour l'assurance des deniers qui seront empruntés pour le bâtiment desdits quais et part, le rétablissement des fondements des murailles de notre dite ville, l'entretenement des autres édifices d'icelle et des fauxbourgs, et pour subvenir à leurs autres affaires, il nous plaise leur permettre de disposer par ferme ou autrement dudit port Briand-Maillard, tant du quai, qui est à présent en état par leurs soins et dépenses, que de celui qu'ils désirent faire rétablir pour la commodité du public et l'embellissement dudit port, sans qu'à l'avenir il y puisse demeurer aucun édifice ou clôture, ni en être fait de nouveaux, requérant nos lettres-patentes nécessaires.
A ces causes, voulant favorablement traiter lesdits exposants et contribuer en tout ce que nous pourrons à la facilité et commodité du commerce qui se fait en ladite ville, et décoration d'icelle, après avoir fait lire en notre Conseil le procès-verbal de visite des ponts et quais sus-mentionnés, qui fait voir la nécessité de l'augmentation et rétablissement d'iceux, et autres pièces y attachées sous de contresel de notre chancellerie, nous avons, de l'avis de la reine régente, notre très honorée dame et mère, et de notre dit Conseil, auxdits exposants, permis, accordé et octroyé, et de notre grâce spéciale, pleine jouissance et autorité royale, permettons, accordons et octroyons par ces présentes, signées de notre main, de faire rebâtir et rétablir de nouveau le quai qui se trouve à présent ruiné, à prendre depuis celui déjà construit, et finir le long de ladite rivière et des murailles de la ville, jusqu'aux tours de la porte de la Poissonnerie, et ce, de telle largeur qu'il sera par eux accusée, pour accommoder les marchands qui abordent audit port, et ne point étrécir le lit de la rivière au-delà de ce qu'elle le peut être, pour la liberté de la navigation. Et ce, à la charge qu'il ne pourra y avoir aucun édifice ni clôture sur les quais nouveaux, et que ceux qui sont sur l'ancien seront démolis et abattus, sans qu'il puisse en être établi après pour quelque cause que ce soit.
Permettant néanmoins auxdits exposants, pour les indemniser de la dépense de la construction et entretenement desdits quit faits et à faire, sujets à de continuelles ruines, à cause de la rapidité du cours de la rivière, de disposer, par ferme ou autrement, des emplacements qui pourront, sans incommodité du public, être baillés et délaissés à des particuliers, et d'en retirer les émoluments et quelques sommes et revenus qu'ils se puissent monter, sans qu'ils y puissent être troublés ni empêchés par nos officiers ou autres, leur ayant desdits revenus et émoluments, en tant que besoin serait, fait don par ces présentes signées de notre main.
Donné à Paris, au mois de février 1644 et de notre règne, le premier. Signé LOUIS »
.

Comme on le voit, ces lettres-patentes donnaient à la communauté une liberté, fort étendue. Elle pouvait faire au port Briand-Maillard toutes les améliorations, tous les agrandissements qu'elle jugerait convenables ; elle pouvait même en quelque sorte faire acte de propriété, puisqu'elle était autorisée à opérer à son profit la location d'une partie des emplacements.

Nantes : le quai et port Maillard.

L'Administration voulut naturellement profiter de la faculté qui lui était concédée, et au moyen de ressources qu'elle sut se créer, dans les années qui suivirent des travaux furent entrepris et exécutés. L'ancien port fut aussi dégagé de quelques baraques qui l'obstruaient. Nous avons eu sous les yeux une ordonnance de police de 1647 qui prescrivait la démolition d'une loge qui y existait depuis 1600. Cette loge avait été construite par François Fleury, l'un des caporaux de la garnison, sur l'autorisation qui lui en avait été donnée par le duc de Monbason. Une rente annuelle de 40# fut donnée à ses ayants-droit à titre d'indemnité.

Nous devons, du reste, rappeler que le port se divisait toujours en deux zones. A l'occasion de ces travaux, on conserva à la partie supérieure, la plus ancienne, le nom de port Briand-Maillard. Celle qui se rapprochait du pont de la Poissonnerie, et qui venait d'être rétablie, prit le nom de Port-Lorido, du nom de M. Dumesnil-Lorido, alors maire de Nantes.

En 1678, les grandes eaux endommagèrent assez fortement les deux quais ; des réparations y furent faites.

Dans le cours de cette même année 1678, quelques parties du port furent affermées, pour servir de dépôt de marchandises, moyennant le prix de 400 #.

Plus tard, en 1688, les sables étaient venus obstruer le port, et il devint urgent de le nettoyer, pour permettre aux bateaux de flotter. Des travaux furent également entrepris à cet effet.

De cette époque à celle de la mairie de Gérard Mellier, en 1720, aucun changement ne fut apporté dans les dispositions du Port-Maillard.

L'étude que l'on peut faire de notre histoire locale, constate en effet que dans les temps qui précédèrent l'arrivée de Mellier aux affaires, le soin presque unique des administrations municipales était d'entretenir et de conserver ce qui existait. La ville restait ainsi à peu près ce que la succession des temps l'avait faite, et l'on ne songeait que bien peu à des améliorations qui auraient eu pour résultat d'augmenter son importance et de l'embellir.

Mais avec Mellier, des idées toutes nouvelles viennent animer et diriger l'administration. La vieille cité nantaise va secouer enfin la poussière dont l'ont couverte les siècles passés. En peu d'années, des travaux conçus et exécutés avec autant d'ardeur que d'intelligence, vont changer l'aspect de notre ville ! Le génie de Mellier embrasse tout, s'étend à tout.

Le lit de notre fleuve est resserré dans plusieurs parties de notre port, et la navigation en est sensiblement améliorée ; la grève de la Saulzaie se couvre de bâtiments, et l'île Feydeau, le pont de la Bourse, se construisent et s'élèvent ; le pont Sauve-Tout assure une communication facile entre la ville et le quartier du Marchix ; une voie s'ouvre sur le canal de l'ordre, pour en faciliter l'accès ; cette rivière elle-même est creusée, nettoyée, et la navigation en devient praticable ; les projets d'une vaste promenade sont arrêtés, et bientôt les mottes Saint-Pierre et Saint-André s'abaissent et se nivellent pour faire place à ces belles avenues de nos cours ; le quai d'Estrées s'établit ; le jardin de l'Hôtel-de-Ville est planté sur les dessins de l'architecte du roi, Gabriel ; enfin, les bases sont jetées de cette belle construction des quais Brancas et Flesselles, que Ceineray doit réaliser plus tard, etc.

Au milieu de cet élan qui avait pour but et pour résultat tant de choses grandes et utiles, notre unique port fluvial, par son insuffisance et ses mauvaises dispositions, ne pouvait manquer de fixer l'attention de Mellier. Ce n'était, en effet, à vrai dire, qu'un terrain légèrement en talus et ayant seulement du côté du fleuve un mur de soutènement pour le garantir du courant.

Aussi dès le mois d'août 1720, l'architecte de la ville, Goubert, est chargé de dresser un devis des travaux à faire pour établir un quai et des cales dans toute la lorgueur des deux ports Maillard et Lorido. Un arrêt du conseil est demandé et obtenu à cet effet. Peu de jours après, le 29 août, les travaux sont mis en adjudication, et le sieur Rousset est déclaré adjudicataire au prix de 11.000 #, cette somme devant lui être comptée au fur et mesure de l'avancement des travaux. L'intendant général Feydeau de Brou s'empresse, de son côté, d'approuver cette adjudication et l'on se met aussitôt à l'oeuvre. C'est ainsi que marchaient les affaires sous l'impulsion d'un magistrat ayant à la fois intelligence et ferme volonté.

A la fin de 1721, les travaux se trouvaient déjà fort avancés et les bateaux se pressaient pour aborder le nouveau, quai qui leur présentait de grandes commodités. Mais on fut forcé de leur en interdire encore l'accès de crainte de dégradations, et les chargements durent continuer à se faire provisoirement sur la partie antérieure du port.

En 1722, les travaux s'achevèrent, et il se passa alors un fait, sans importance sans doute, mais que nous devons néanmoins recueillir, car s'il prouve d'un côté qu'e les meilleurs esprits peuvent avoir parfois quelques faiblesses, il démontre aussi une fois de plus que la reconnaissance officielle n'est pas toujours la récompense des services rendus.

Le port terminé, l'opinion publique le baptisa spontanément du nom de Mellier.

Flatté de cet hommage, Mellier présenta à l'intendant général un placet afin d'obtenir des lettres-patentes à cet effet.

M. de Brou, bien qu'ayant pour Mellier autant d'estime que d'amitié, fit quelques objections. Le 22 février 1723, il lui écrivait :

« Comme il n'est guère d'usage d'accorder des lettres-patentes, en pareil cas serait à propos de rapporter quelques exemples que cela s'est pratiqué en Bretagne pour d'autres ouvrages semblables. Il convient aussi que vous preniez la peine de m'informer si le public ne trouverait rien à dire, ou même si cela ne lui ferait pas de la peine que vous fissiez donner votre nom à ce port ».

Mellier s'empressa d'apporter à l'appui de sa requête les preuves que demandait ; il cita notamment, à Nantes, le port Briand-Maillard, le port Lorido, le port Giraud, qui tous avaient emprunté leurs noms à des notabilités de la ville ; il cita pareillement le quai d'Orsay, Paris. Il ajouta enfin que c'était, la population elle-même, qui, de son propre mouvement et sans y avoir été en rien sollicitée, avait donné son nom au nouveau port.

M. de Brou lui répliqua le 6 mars :

« Vous savez que M. le Chancelier m'avait demandé si l'usage était d'accorder des lettres-patentes en pareil cas, sur quoi, vous me marquez que M. de la Roque le prouve dans son Traité des noms, page 101.
Mais vous me marquez en même temps que les anciens maires, ne se sont point munis de lettres-patentes, que c'est le public qui a donné des dénominations, et que l'on appelle le port en question de votre nom. Cela étant, je vous conseille de laisser le public continuer à l'appeler ainsi et de ne pas vous embarrasser pour le présent de lettres-patentes »
.

Il paraît que Mellier tenait réellement à voir se réaliser le désir manifesté par la population elle-même, car dès le lendemain, sans s'arrêter au conseil que lui donnait M. de Brou, il lui écrivait de nouveau pour le prier d'appuyer sa demande au grand Chancelier :

« Je suis persuadé, disait-il, que M. le Garde des sceaux n'y trouvera aucune difficulté. J'ai l'honneur d'être bien connu de lui ; il m'a rendu autrefois des services et même il n'y a pas longtemps que j'ai reçu de sa part des marques de souvenir, dans une affaire où, de son chef et sans en avoir été de moi requis, il a rendu des témoignages fort avantageux en ma faveur ».

Sur cette nouvelle instance, M. Feydeau de Brou transmit au grand Chancelier la demande de Mellier, en ajoutant simplement qu'il ne voyait aucun inconvénient à y faire droit.

Mais les espérances de Mellier furent complètement trompées. Le 6 mai, le Garde des sceaux se borna à répondre « qu'il convenait que le port Lorido conservât son ancien nom, et sous lequel il était connu et désigné dans la navigation de la rivière de Loire ». Ainsi, ajoutait M. de Brou, en transmettant cette réponse à Mellier, « c'est une affaire à laquelle il ne faut plus penser ».

Et cependant Mellier crut devoir insister encore, mais l'affaire n'eut pas d'autre suite. La population n'en continua pas moins à désigner le nouveau quai, sous le nom de quai Mellier ; seulement, dans les actes publics, on le qualifiait de port Lorido, vulgairement appelé quai Mellier.

Dans les années 1731, 1735 et 1750, des réparations devinrent nécessaires et furent faites au port Maillard. Cette dernière année surtout, François Cacault restaura le quai et la dépense s'éleva à 2.231# 13s 4d. Ces divers travaux furent acquittés, comme toujours alors, des deniers de la ville.

En 1755, le 13 juillet, la communauté prit une délibération à l'effet de démolir plusieurs parties de l'ancienne fortification qui existait au port Maillard, indépendamment du mur de ville qui servait de ce côté d'enclos aux Jacobins. On dut entre autres détruire un cavalier qui défendait la porte ouvrant sur la rue du Port-Maillard, à l'effet d'établir des conduits généraux pour l'écoulement des matières fécales dans la Loire. Ce cavalier avait été cédé par arrentement du domaine du Roi au sieur Vitelete, qui consentit, à le céder à la ville, à dire d'experts. Le prix fixé fut d'abord de 16.000# ; mais, reconnu exagéré, ce prix fut réduit, après débats contradictoires, à 10.500#. La ville prit en outre à sa charge une rente de 100# due au domaine et une autre de 10# 4s aux héritiers de l'abbé Despinose.

Ce fut là le dernier travail fait sur le vieux port Maillard, qui, comme nous l'avons dit, datait du XIIème siècle et qui ne va pas tarder à disparaître.

Mellier, nous l'avons vu, avait en effet donné l'impulsion de grands travaux dans notre ville. Ces travaux étaient en cours d'exécution et il en était plusieurs qui venaient directement se rattacher au port Maillard.

L'île Feydeau s'achevait et l'extrémité nord, où s'élève aujourd'hui notre poissonnerie, devait bientôt recevoir ses cales et ses quais. Le lit du fleuve devait par suite être fort resserré, et le port Maillard qui s'étendait en face, n'eût pu continuer à subsister sans que la navigation n'en éprouvât considérablement de gêne.

D'un autre côté, le vieux pont de la Poissonnerie allait être détruit. Dès 1738, la communauté avait décidé de le remplacer par un pont en pierres, et M. Abeille, ingénieur à Rennes, avait été chargé d'en dresser les plan et devis. Ce devis s'élevait à la somme de 71.835# 14s 3d.

Ce projet avait été adopté par la communauté, et vers 1745, les premiers travaux avaient été entrepris, sous la direction de M. Blaveau, ingénieur du Roi. Mais le manque de ressources les avait fait suspendre et ce ne fut qu'à la suite d'une délibération du 22 septembre 1759 et au moyen d'un emprunt, par forme de souscriptions, que l'entreprise put se continuer. Le pont d'aiguillon fut livré ainsi à la circulation en 1762.

Mais pour la construction même de ce pont et surtout du mur de quai qui devait se prolonger le long de la place du Bouffay, il fallait nécessairement sacrifier le petit port Maillard, qui prenait naissance au pont même de la Poissonnerie.

Enfin, et ce fut là la principale cause qui dut amener la destruction du port Maillard, la ville venait d'obtenir que le mur d'enceinte serait abattu. Cette mesure, objet d'une longue négociation, avait été provoquée par la construction des quais Brancas et Flesselles.

Dès 1727 à la sollicitation de Mellier, un projet avait été dressé pour ces constructions ; mais la muraille ne permettait de disposer en dehors que de faibles emplacements propres seulement à recevoir des maisons sans aucune importance.

L'année suivante, M. Gabriel, architecte du Roi, appelé à Nantes par Mellier, pour donner son avis sur ce projet, n'hésita pas à ouvrir l'avis de solliciter la démolition de la vieille muraille, désormais sans objet comme sans utilité, afin de pouvoir couvrir ces beaux quais de riches constructions, venant s'harmoniser avec celles qui s'élevaient sur l'île Feydeau.

Mellier avait avidement saisi cette heureuse pensée, et déjà il avait fait d'actives démarches pour qu'il y fut donné suite, lorsque la mort vint le frapper en 1730. Sa mort fut le signal de l'abandon ou du moins de l’ajournement de tous les projets qu'il avait conçus.

Ce ne fut qu'en 1754 que ces diverses questions furent reprises par le duc d'Aiguillon lui-même, alors gouverneur général de Bretagne. Venu à Nantes à celte époque pour la première fois, il avait été frappé de la belle situation de notre ville ; mais en même temps, vivement surpris que l'on se fût arrêté dans la voie des améliorations, si bien ouverte par Mellier. M. de Vigny, architecte du Roi, fut par lui mandé à Nantes, et recut l'ordre de faire un plan d'ensemble, comprenant toutes les modifications que l'on pouvait réaliser pour l'embellissement et l'utilité de la ville.

M. de Vigny fit ce travail, qu'il livra en 1755. Comme M. Gabriel, il proposait en première ligne, la suppression des murs, et tours de ville, notamment depuis la porte Saint-Nicolas, le long de la rivière jusqu'aux Jacobins, ces murs, ajoutait-il également, paraissant inutiles et contribuant à empécher les abords de la ville.

Parmi les propositions de M. de Vigny se trouvaient aussi celles-ci :

Un quai, des tours de la Poisonnerie au Port-Maillard ;

Un autre quai, du Port-Maillard à Richebourg.

La question de la démolition du mur d'enceinte était donc nettement posée, et comme c'était le duc d'Aiguillon lui-même qui l'avait ainsi engagée, il employa tout son pouvoir et toute son influence pour la faire arriver à bonne fin. Et, en effet, un arrèt du Conseil du 22 août 1755, suivi de lettres-patentes, vint sanctionner en son entier le projet de M. de Vigny, et par cela même autoriser la destruction du mur de ville.

Ainsi, la ville avait pour les travaux projetés toute sa liberté d'action. Cet antique réseau de murailles qui cernait Nantes et l'enserrait comme dans une bière, depuis tant de siècles, désormais condamné, allait enfin disparaître. Notre ville va respirer;  les quais Brancas et Flesselles vont bientôt dresser leurs constructions monumentales ; le pont de la Poissonnerie présenter son arche unique et hardie, et l'établissement d'un beau et large quai dans toute l'étendue, du Port-Maillard devenir possible et réalisable.

L'Administration songe, en effet, sérieusement à la création de ce quai et prépare ses moyens d'exécution. A cet effet, le maire écrit au ministre secrétaire d'État marquis d'Argenson et reçoit de lui la réponse suivante :

« 3 septembre 1755.
Vous m'avez représenté que pour les travaux que vous projetez, il serait nécessaire de supprimer une partie des murs d'enceinte, depuis les tours de la Poissonnerie jusque vis-à-vis l'escalier du Palais. Le Roi veut bien permettre cette démolition. Sa Majesté trouvera même bon que l'on détruise aussi, si on le juge à propos, la partie de ces murs qui s'étend jusqu'au bout du Port-Maillard »
.

Tout obstacle était ainsi levé et l'on se mit à l'oeuvre. L'ancien port Briand-Maillard disparut et le fleuve élargi vint prendre sa place. Puis, au moyen d'adjudications partielles, la ville put, dans le cours des années 1755 à 1759, continuer le mur de quai le long de la place du Bouffay, et créer les premières cales du Port-Maillard actuel, jusqu'à la rencontre des douves du château. Ce n'était certainement point là un travail complet, car les cales basses seules existaient et le couronnement du quai restait à faire. Néanmoins, ce qui existait déjà était, d'une grande utilité, et la communauté eût bien désiré aller plus loin et continuer ces cales parallèlement aux murs du château. Elle en sollicita même l'autorisation. Mais alors, aux yeux de l'Etat, le château de Nantes avait encore son importance, comme moyen de défense, et il fut répondu au maire, M. Gelée de Premion, le 25 janvier 1759, par M. Tremellin :

« J'ai consulté M. Frégier (le directeur des fortifications) sur la proposition que vous avez faite de construire un quai le long du château de Nantes, comme celui qui est au pied du château Trompette, à Bordeaux. Ce directeur pense que le modèle cité ne doit point être suivi sans quelques correctifs ; qu'il faudra laisser régner sans interruption un fossé de 5 à 6 toises de large, revêtu en contrescarpe, depuis celui de droite du bastion Mercœur, jusqu'à celui de la gauche de la tour du Fer-à-Cheval, avec deux ponts aux deux bouts, pour le traverser ; et qu'enfin le parement du quai doit être continué sur la rivière, au devant de la tour du Milieu, en forme de bastions avec de petits flancs et un parapet à canons qui découvre à droite et à gauche le pied du rivage. Je vous préviens que, d'après le compte qui a été rendu au Roi de cette observation, l'intention de Sa Majesté est que vous vous conformiez dans l'exécution de ce projet aux alignements qui vous seront prescrits par M. Fregier ou par les ingénieurs qui sont à ses ordres ».

La communauté ne crut point devoir accepter les conditions qu'on voulait lui imposer. Pareilles prescriptions eussent été fort onéreuses pour la ville, et d'ailleurs établi dans ces conditions, le quai n'eût évidemment point répondu au but que l'on se proposait. On se décida donc à ajourner cette partie des travaux. Nous verrons plus tard comment et dans quelles circonstances ils purent être repris.

Disons dès ce moment, qu'en même temps que la communauté s'occupait de la confection des cales et du quai du Port-Maillard, elle songeait aussi à arrêter d'une manière fixe quel serait le genre des constructions à édifier le long de ce quai. Ceineray, qui avait déjà donné tant de preuves de talent et de goût dans le plan qu'il faisait exécuter sur les quais Brancas et Flesselles, fut encore l'auteur de ce projet. Le 28 mars 1760, il présenta un plan du terrain, et le 12 février 1761 un autre plan d'élévation de la façade des bâtiments à construire.

Ce plan comportait vingt-huit boutiques, avec entresol, premier et second étages. — Quatre de ces boutiques formaient un pavillon en avant-corps à l'est ; — suivaient douze autres boutiques en arrière-corps ; — cinq autres boutiques sous le fronton en avant-corps ; — et enfin sept autres boutiques en arrière-corps. Pour la régularité, il eût fallu cinq autres boutiques en arrière-corps et quatre en pavillon, et c'est ce qui devait avoir lieu, en continuant la construction jusqu'à la place du Bouffay, comme dès lors cela était projeté.

Ces plan et devis furent approuvés par la communauté et sanctionnés par un arrêt du Conseil et lettres-patentes du 28 juillet 1761, enregistrées au Parlement le 22 décembre suivant.

A l'effet d'obtenir les emplacements suffisants pour recevoir ces constructions, la ville dut traiter par voie d'échange avec les Jacobins, qui possédaient des terrains de façade sur le quai. A la fin du XVème siècle, en 1499, les Jacobins avaient cédé une partie de leur enclos pour servir de dégagement au château, et la Reine, pour les en dédommager, leur avait donné l'emplacement et les bâtiments d'un hôpital qui s'étendait le long des murs de ville et touchait aux dernières maisons du Port-Maillard.

Cet hôpital, qui portait le nom de Notre-Dame-de-Pitié, fut alors transféré dans la rue d'Erdre, aujourd'hui rue du Vieil-Hôpital.

Un traité fut donc passé le 219 mars 1760, pour l'échange de ces terrains, entre le maire et les Jacobins, et ce traité reçut l'approbation de l'intendant-général le 5 août suivant. Cette convention que les religieux furent amenés à signer, dans un but d'utilité publique, portait, comme stipulation expresse, que toute construction devrait être faite sur les dessins arrêtés par l'architecte de la ville et approuvés par les maire et échevins.

Du reste, tous ces terrains, devenus ainsi propriété de la ville, demeurèrent longtemps vides de constructions. Ce ne fut qu'en 1790 que la commune procéda à leur aliénation d'après un procès-verbal et sur un nouveau plan de MM. Douillard et Seheult, en date des 21 et 24 décembre. Les premières dispositions de Ceineray durent en effet être modifiées par suite de l'ouverture déjà faite de la rue Dubois, conduisant de la place des Jacobins au quai, et de l'ouverture qui fut alors décidée de celle des Etats, longeant les douves du château. Le prix de vente de ces emplacements fut de 4# à peu près le pied carré.

A la Suite de ces adjudications, quelques maisons fuient construites, entre autres par MM. Gauthier, Daigremont, Rhetoré et Boismorin. D'autres depuis se sont aussi élevées de loin en loin. Mais néanmoins des lacunes regrettables existent encore, notamment à l'entrée de la rue du Port-Maillard. Nous ne savons si l'Administration municipale est sans droit pour exiger des constructions, mais pour l'embellissement et dans l'intérêt de la ville, il est réellement à désirer que le plan de Ceineray, qui date déjà de plus d'un siècle, se complète enfin.

Mais reprenons notre récit.

En 1761, avons-nous dit, la construction des cales et du bas quai du Port Maillard avait été poussée jusqu'aux douves du château. La communauté aurait bien désiré continuer son oeuvre, car la navigation de la Loire prenait chaque jour plus d'activité, et il y avait nécessité évidente d'agrandir ses moyens d'accès. Mais aussi l'on a vu par la lettre du 23 janvier 1759 les conditions fort dures que l'autorité militaire mettait à la continuation des travaux, et depuis lors ces prescriptions n'avaient point été modifiées.

Cependant, à force de sollicitations, la communauté obtint enfin, en 1766, un arrêt du Conseil qui l'autorisait à exécuter des travaux sur la Loire, au devant du château. Des adjudications furent alors faites et l’on entreprit la continuation des cales basses. Les ressources de la ville ne permettaient pas de donner à l'entreprise une grande activité, mais enfin le projet était en cours d'exécution, et l'on était ainsi en mesure de donner, dès qu'on le pourrait, une plus forte impulsion aux travaux.

En 1785, on voulut procéder à quelques remblais. Mais aussitôt l'Etat intervint, sur les réclamations de M. Damoiseau, alors directeur des fortifications. Une longue lettre du ministre de la guerre, M. le maréchal de Ségur, vint rappeler et opposer à la communauté les objections de 1759. Rien ou presque rien n'était changé aux prescriptions de cette époque. On tenait toujours au fossé au devant et dans toute la longueur du château, depuis le bastion Mercoeur jusqu'à la tour du Fer-à-Cheval. Quelques concessions seulement étaient faites au sujet de l'alignement.

En présence de cette nouvelle opposition, à laquelle les convenances municipales ne permettaient pas de céder, l'Administration, tout en continuant les travaux entrepris sur les bords du fleuve, crut devoir s'abstenir de pousser plus loin l'exécution de ses projets de quai.

Mais les temps et les circonstances allaient changer. Quelques années plus tard, l'orage révolutionnaire éclatait, et notre population tout entière ne tardait pas à se prononcer ouvertement contre l'importance donnée jusque-là au château de Nantes. Elle en demanda même la démolition, et la commune de Nantes en offrit à l'Assemblée nationale une somme de 470.000#, prix d'une estimation faite par des experts. Un traité transféra bientôt, à cette condition, la propriété du château à la ville. Mais sous le poids de préoccupations que motivaient les événements de l'époque, la commune négligea les moyens d'assurer l'exécution de ce traité. On songeait alors à faire du château le siége des administrations publiques. Une autre opinion qui avait aussi de nombreux partisans, était de raser cette place d'armes et d'en consacrer l'emplacement à l'établissement d'une promenade qui se fût reliée à celle des cours.

Quoi qu'il en soit, en 1791, la commune obtint facilement l'autorisation de continuer le quai commencé le long des murs du château, sans être astreinte aux conditions qu'on avait voulu lui imposer en 1759 et 1785.

M. Antoine Peccot, adjudicataire des premiers travaux, fut mis en demeure de leur imprimer une plus grande activité, et le 7 octobre eut lieu en outre une nouvelle adjudication pour la continuation et le parachèvement du quai commencé au devant du château, lequel ouvrage devait consister dans environ cinquante toises de longueur.

Tout était donc mis alors en oeuvre pour conduire cette utile entreprise à bonne fin.

Mais les jours devenaient mauvais... Bientôt la guerre civile éclata dans nos contrées, et la ville de Nantes en proie à des nécessités de plus en plus urgentes, et privée du produit de ses octrois qui avaient été supprimés, se trouva manquer peu près complètement de ressources. Tous les travaux publics furent forcément interrompus, et comme les autres, ceux entrepris au port Maillard demeurèrent suspendus et inachevés. Plus de vingt années se passent ainsi sans qu'il soit possible de les reprendre.

Cependant en 1808, Napoléon Ier vint Nantes. C'était une heureuse occasion de mettre sous les yeux de celui qui, en sa personne, réunissait alors tous les pouvoirs, et la pénurie des finances communales et l'état d'abandon où l'on était contraint de laisser tous les travaux d'intérêt général. Le Corps municipal et surtout son chef, M. Bertrand-Geslin, ne manquèrent point à cette mission, et naturellement le port Maillard ne fut pas oublié.

L'Empereur, frappé de l'utilité d'une pareille entreprise, invita de suite l'Administration à lui soumettre un mémoire détaillé sur tout ce qui pouvait concerner ce projet, et promit de s'en occuper sérieusement.

Les documents réclamés furent immédiatement fournis, et le résultat ne se fit pas attendre. Napoléon tint en effet à réaliser la promesse qu'il avait faite au Maire de Nantes, et dès la fin de 1808, M. Dubois-Dessauzaire, ingénieur en chef des ponts et chaussées à Nantes, reçut ordre de dresser le devis de tous les travaux à faire pour la continuation et l’achèvement du quai Maillard, depuis la contrescarpe du château jusqu'à l'entrée du faubourg de Richebourg.

Cet ordre fut immédiatemant rempli, et le 24 février 1809, M. Dubois-Dessauzaire déposait un devis complet et régulier s'élevant à la somme de 221.381 fr. 21 c.

Le Gouvernement n'y fit aucune objection et se montra de suite disposé à prendre à sa charge l'entière exécution de ces travaux.

Une seule observation fut faite par le ministre, M. de Montalivet, qui, le 10 juin 1809, écrivit au préfet, M. de Celles.

« J'ai examiné, en conseil des ponts et chaussées, le projet que vous m'avez adressé le 27 février dernier, pour la continuation des ouvrages de la cale Maillard, ou quai Belidor à Nantes, comprenant la partie depuis la contrescarpe du château près la rue Simoneau, jusqu'à l’entrée du faubourg de Richebourg près la rue Saint-Félix.
Les rampes d'abreuvoir, l'escalier vis-à-vis la rue Saint-Félix, le pavage ou raccordement du quai avec cette rue, me paraissent devoir être à la charge de la ville. Vous en ferez un article séparé dans le devis et dans l'adjudication, afin que l'on puisse facilement distinguer les dépenses. Vous concerterez avec le Maire les moyens d'y subvenir et vous m'adresserez à cet égard toutes les propositions que vous jugerez convenables »
.

Réduite à ces proportions, la part contributive de la ville ne pouvait être importante et n'était pas d'ailleurs susceptible d'être discutée. Le devis fut donc rétabli, suivant les intentions de M. de Montalivet, et dans ces conditions, presenta :
214.622 fr. 10 c. à la charge de l'état.
6.759 fr. 11 c. à la charge de la ville.
Total : 221.381 fr. 21 c.

Ainsi réformé, ce devis reçut l'approbation du directeur des ponts et chaussées.

C'est donc sur cette estimation que les travaux furent présentés à l'adjudication. Une adjudication provisoire eut lieu le 17 juin et ne procura aucun rabais. Celle definitive fut annoncée pour le 14 juillet.

Ce jour là trois soumissions furent déposées sur le bureau. Celle de M. L.-F. Sauvaget reconnue la plus avantageuse, fut naturellement admise.
M. Sauvaget offrit un rabais de 3,88 %, soit de 8.581 fr. 21c. et prit l'engagement d'exécuter le devis présenté pour la somme de 212.800 fr.
Ce qui mettait : 206.302 fr. 89 c. au compte de l'Etat, et 6.497 fr. 11 c. au compte de la ville.

Aux termes du cahier des charges de l'adjudication, M. Sauvaget offrit la caution de M. Mathurin Briaud, propriétaire, qui fut acceptée.

Avant de faire procéder aux travaux, l'Administration dut faire démolir un pan du vieux rempart qui formait saillie sur le quai. M. Perraudeau, adjudicataire de cette démolition, reçut l'ordre de verser les délivres sur le parc aux fumiers. Pour aligner le quai, il fallut aussi abattre en partie une maison appartenant aux hospices.

M. Sauvaget déploya, du reste, la plus louable activité dans l'exécution des travaux qu'il avait entrepris. Les paiements devaient lui être faits en raison de l'avancement de ces travaux. En 1810, ces paiements éprouvèrent quelque retard de la part du Gouvernement, mais l'entreprise n'en marcha pas moins. Seulement, sur l'invitation de M. de Celles, la ville versa aux mains de M. Sauvaget une partie de la somme mise à sa charge.

Au mois de janvier 1811, déjà la ligne de quai se projetait dans un assez long parcours. M. Bertrand-Geslin songea alors à y faire une plantation d'ormeaux. Il en écrivit à l'ingénieur en chef, M. Regnard, qui approuva hautement ce projet. Il répondit à M. Bertrand-Geslin :

« J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 5 de ce mois, au sujet de la plantation dont vous désirez orner le quai Maillard. Je pense, comme vous, que cette plantation ajoutera à l'agrément que les ouvrages qui s'exécutent procurent à cette partie de la ville.
Je ne puis, Monsieur, qu'applaudir aux soins que vous prenez d'embellir la cité que vous administrez. Veuillez présenter votre projet à M. le Préfet, pour ne pas en retarder l'éxécution »
.

M. Bertrand-Geslin suivit ce dernier conseil et sa demande fut immédiatement accueillie par le Préfet.

D'un autre côté, la Chambre de Commerce intervint pour appuyer ce projet et en faciliter l'exécution. Elle exprima le désir que le Second rang d'arbres de la promenade de la Bourse fût transporté sur le port Maillard. « Cette opération, disait-elle, était indispensable pour dégager le péristyle de la Bourse, et les arbres qui en proviendraient ne pouvaient être mieux placés, pour l'utilité du commerce, que sur le quai du port Maillard qu'ils embelliraient et comme promenade et comme lieu propre aux chargements et déchargements des embarcations ».

Cette plantation eut ainsi lieu à l'automne de 1811. Les arbres avaient pris de la force et étaient devenus fort beaux ; mais, on le sait, ils furent détruits en 1851, pour l'établissement de la voie du chemin de fer.

Dans le cours de 1811, les travaux continuèrent, et dans les derniers mois de l'année la première section put être livrée.

En 1812, 1813, tout était à la guerre, et le Gouvernement y consacrait ses moindres ressources. La subvention de l'Etat fit défaut, et malgré sa bonne volonté, l'entrepreneur, manquant des facilités qui lui étaient indispensables, fut forcé de suspendre les travaux.

Les événements de 1814 amenèrent à la mairie M. Dufou. L'un des premiers soins de ce magistrat fut d'appeler l'attention du nouveau Gouvernement sur la nécessité de reprendre les travaux du port Maillard, « afin, disait-il, de faire profiter la navigation des facilités que ce quai devait offrir et de prévenir tout au moins les accidents que son état d'imperfection pouvait occasionner ».

Mais ce désir de M. Dufou ne put encore être satisfait. Survinrent les événements de 1815, et la question de notre quai continua à sommeiller.

En 1816, le Maire renouvela plus fortement ses instances. Voici en quels termes il peignait à M. Molé, alors directeur des ponts et chaussées, le fâcheux résultat de cette interruption prolongée des travaux :

« L'interruption des travaux d'achèvement de la cale Maillard à Nantes devient extrêmement préjudiciable à tout le quartier de cette ville, qui tirait ses moyens de subsistance du commerce qu'y attirait l'abord en ce lieu des bateaux de la Loire amenant ou chargeant des marchandises. Les travaux, l'industrie, l'ont abandonné pour aller chercher sur un autre point l'activité qui manque actuellement à ce quartier, où les maisons sont difficilement affermées, où les magasins sont sans emploi, les marchandises sans débit, les ouvriers sans ouvrages, ou enfin la population vit misérablement, privée même des ressources qu'elle avait avant la construction de cette cale. Ainsi, ce qui, dans un état de perfection, devait accroître la prospérité du quartier de Richebourg, tourne, par la lenteur des travaux d'achèvement, au détriment des avantages que sa position lui assurait. Je vous prie instamment de prendre cet état de choses en grande considération et de faire reprendre dès cette campagne et terminer sans retard cette cale et la rotonde qui en dépend. Je suis d'autant plus fondé à vous le demander et à former l'espoir de l'obtenir que la ville que j'administre a fourni depuis longtemps sa portion contributive dans les travaux qui se lient à cette construction. Il y a plus de trois ans qu'elle a payé les remblais qui doivent exhausser la rue de Richebourg et le bas de la rue Saint-Félix, pour les mettre de niveau avec la cale. Rien encore cependant n'a été fait pour cet objet ».

Le maire adressait en même temps au préfet une lettre conçue à peu près dans les mêmes termes, afin de l'engager à appuyer de tout son crédit la demande qu'il faisait au directeur des ponts et chaussées.

Ces efforts simultanés eurent enfin un résultat. M. Molé répondit quie, sans les événements de 1815, l'entreprise eût déjà été terminée, et il ajoutait : « Je ferai en sorte d'y affecter le plus de fonds qu'il me sera possible, pour cette campagne, de manière qu'elle puisse être entièrement achevée en 1817 ».

M. Molé tint parole. En 1816 même, il fit allouer une somme suffisante pour reprendre les travaux et leur donner une certaine activité. Au mois de juillet, on pouvait déjà procéder aux remblais de raccordement de l'esplanade semi-circulaire du quai Maillard avec les rues adjacentes. En 1817, le travail complet s'acheva et la circulation put s'établir dans toute l'étendue du quai.

De la Rotonde partait une cale qui mettait le quai en rapport avec la partie basse de Richebourg, que longeait le ruisseau La Seille, recevant tous les égoûts du quartier. Là encore l'état actuel n'existait point, et le beau quai de Richebourg n'était qu'un projet à peine conçu. Ce ne fut que trente ans plus tard, et surtout à l'occasion de l'établissement de la gare du chemin de fer, que cette partie de notre ville reçut un remaniement complet. Mais nous n’en dirons rien aujourd'hui, car ces changements furent assez importants pour demander une étude particulière.

Nantes : le quai et port Maillard.

Pour ce qui concerne le Port-Maillard, en 1817, l'oeuvre, dont le premier projet remontait à 1755, se trouvait accomplie. La ville avait fait de nobles efforts, de grands sacrifices pour son exécution; mais aussi, depuis 1809, malgré les difficultés des temps, l'Etat lui avait donné un concours financier qui en avait assuré le succès. Désormais, Nantes possédait une belle et large voie contribuant évidemment à l'embellissement de la ville, en même temps qu'un port fluvial offrant à la navigation et au commerce des facilités et des avantages incontestables.

Et nous, qui jouissons de ces heureux résultats, conservons le souvenir de ceux qui travaillèrent à nous les procurer, et que, notamment, les noms du duc d'Aiguillon, des maires Gelée de Premion, Bertrand-Geslin et Dufou, se lient dans ce souvenir au sentiment de reconnaissance que doit justement inspirer le service qu'ils ont rendu à la ville de Nantes.

(J.-C. Renoul).

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