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| DESCRIPTION DE LA VILLE DE NANTES EN 1646. Où l'on fait voir ses commodités et ses avantages pour le commerce. | 
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Nantes a l'honneur d'être mise au nombre des douze principales villes de la France ; et entre icelles, nos rois l'ont toujours considérée comme une des plus anciennes, des plus nobles et des plus importantes du royaume.
Son plan est un peu élevé en forme de colline, ayant une douce pente vers le midi et vers l'occident, d'où elle est entourée des eaux courantes de la rivière de Loire vers midi, et de la rivière d'Erdre de l'autre côté. Elle est ceinte d'une forte muraille, fortifiée de bon nombre de grosses tours, de bastions et demies lunes, revêtus de pierres ; ses fossés sont larges et profonds et presque tous remplis d'eau, et en outre elle est accompagnée d'un château, qui, dans sa structure, a la forme et la force d'une bonne citadelle, et, par la décoration de ses bâtimens, paraît une maison de plaisance, ayant ses vues sur un paysage diversifié de prairies, de divers canaux de rivière, de touffes de bois, de vignobles, plaines et collines, et de tout ce qui peut donner de la récréation à la vue. Aussi était-ce le séjour ordinaire des anciens ducs de Bretagne ; et à présent les gouverneurs du pays y font ordinairement leur demeure.
La religion chrétienne a été plantée dans Nantes, dès l'an soixante et dix de la naissance du fils de Dieu, par S. Clair, disciple des apôtres, envoyé par S. Lin, pape, premier successeur de S. Pierre. Ensuite elle a été cimentée par le sang de deux de ses enfants, Saint-Donatien et Saint-Rogatien frères, très-illustres en noblesse, mais beaucoup plus recommandables par leur vertu qui les porta à renoncer généreusement aux avantages que leur naissance leur donnait, et même à donner leur vie pour la confession de la foi chrétienne qu'ils embrassèrent. Elle a encore été décorée de la vertu et des miracles d'un grand nombre de saints évêques et de saints religieux : et toujours successivement a eu de pieux et savants personnages, qui y ont conservé la foi chrétienne et catholique dans sa pureté ; de sorte que, même dans le dernier siècle, où à peine aucune ville ou bourgade n'a été exempte de l'infection de l'hérésie en France, elle est demeurée nette et pure en Nantes, ayant même servi de donjon et de forteresse, dans les derniers troubles des hérétiques, pour en arrêter le cours.
Son église principale fut premièrement bâtie en forme de petit oratoire, et dédiée au prince des apôtres, Saint-Pierre, par le même S. Clair, qui en fit son siége épiscopal qui s'étendait dans toute la côte de Vannes et Cornouaille, et depuis fut partagé en trois pour sa grandeur ; d'où il conste que c'est un des premiers des neuf évêchés de Bretagne. Cette église fut depuis bâtie par S. Félix, évêque de Nantes, avec tant d'artifice, d'ornement et de magnificence, qu'elle passait pour une des merveilles du monde, au rapport même de S. Fortunat, évêque de Poitiers, qui vivait du même temps, et assista à sa dédicace, et qui en a fait la description. Mais ayant été ruinée par la fureur des Huns, qu'on appellait en ce temps-là Nortmans, depuis, par la piété, libéralité et magnificence de nos derniers ducs de Bretagne, elle a été accrue et décorée, à la moderne, d'une architecture des plus belles qui se puissent voir : ce qui paraît principalement en son portail, qui passe pour un des plus somptueux qui soient en France, soit pour la belle symétrie de ses parties, soit pour les pièces particulières d'architecture, ornées d'histoires en bossage et basse taille : et tout l'ouvrage est rempli d'un nombre sans nombre de grandes et petites figures excellemment travaillées. Il y a grand nombre d'autres églises collégiales, paroissiales et monastiques, toutes fort bien décorées ; mais ce qui me semble de plus rare et digne d'admiration, c'est le tombeau élevé dans le chœur de l'église des Pères Carmes, qui, de l'aveu de tout le monde, est un des plus beaux et des plus magnifiques qui se puisse voir, ce qui m'oblige d'en faire une description particulière, pour la satisfaction des curieux.
La dévotion que les anciens ducs de Bretagne avaient eue de longtemps à la très-Sainte Vierge, mère de Dieu, patrone de l'ordre et de cette église des PP. Carmes, et l'affection qu'ils avaient aux religieux de cette maison, les porta à y choisir le lieu de leur sépulture. Et la reine Anne, par un insigne témoignage de sa piété et affection à ce lieu, voulut y faire élever ce beau monument en mémoire de son père François second, et de sa mère Marguerite de Foix. Il est bâti en carré, de huit pieds de large sur quatorze de long : sa matière est toute de marbre fin d'Italie, blanc et noir, de porphyre et d'albâtre. Le corps est élevé sur le plan de l'église de six pieds de haut. Les deux côtés sont ornés de six niches, chacune de deux pieds de haut, dont le fond est de porphyre bien ouvragé, orné à l'entour de pilastres de marbre blanc, dans toutes les justes proportions et règles d'architecture, enrichis de moresques fort délicatement travaillées : et toutes ces douze niches sont remplies des figures des douze apôtres de marbre blanc, chacun ayant sa posture différente, et les instruments de sa passion. Les deux bouts de ce corps sont ornés de pareille architecture, et chacun divisé en deux niches pareilles aux autres. Au bout, vers le maître-autel de l'église, sont posées, dans ces niches, les figures de Saint-François d'Assise et de Sainte-Marguerite, patrons du dernier duc et de la duchesse qui y sont enterrés : et à l'autre bout se voient pareillement, dans des niches, les figures de S. Charlemagne et de S. Louis, roi de France. Au dessous desdites seize niches qui entourent le corps du tombeau, il y a autant de concavités faites en rond, de quatorze pouces de diamètre, dont le fond est de marbre blanc taillé en forme de coquille, et toutes sont remplies de figures de pleureurs avec leurs habits de deuil, tous en diverses postures, dont l'ouvrage est considéré de peu de personnes, mais il est admiré de tous ceux qui l'entendent.

Ce corps est couvert d'une grande table de marbre noir, toute d'une pièce, et qui excède le solide d'environ huit pouces à l'entour, en forme de corniche, pour servir d'entablement et d'ornement à ce corps. Dessus cette pierre sont couchées deux grandes figures de marbre blanc, chacune de huit pieds de long, dont l'une représente le duc, et l'autre la duchesse, avec leurs habits et couronnes ducales. Trois figures d'anges de marbre blanc, de trois pieds chacune, tiennent des carreaux sous les têtes de ces figures, qui semblent mollir sous le faix, et les anges pleurer. Aux pieds de la figure du duc, il y a une figure d'un lion couché, représenté au naturel, qui porte sur sa jube (crinière ) l'écu des armes de Bretagne : et, aux pieds de la figure de la duchesse, il y a la figure d'un levrier, qui porte aussi au col les armes de la maison de Foix, que l'art anime merveilleusement bien.
Mais ce qui est de plus merveilleux en cette pièce, sont les quatre figures des vertus cardinales, posées aux quatre coins de cette sépulture, faites de marbre blanc, de la hauteur de six pieds. Elles sont si bien taillées, si bien plantées, et ont tant de rapport au naturel, que les originaires et les étrangers avouent qu'on ne voit rien de mieux, ni dans les antiques de Rome, ni dans les modernes d'Italie, de France et d'Allemagne.
La figure de la Justice est posée au coin droit en entrant, qui porte une épée levée dans sa main droite, et un livre avec une balance à la gauche, la couronne en tête, habillée de panne et de fourrure, qui sont les marques de la science, de l'équité, de la sévérité et majesté qui accompagnent cette vertu.
A l'opposite, du côté gauche, est la figure de la Prudence, qui a deux faces opposées l'une à l'autre en une même tête, l'une d'un vieillard à longue barbe, l'autre d'un jeune jouvenceau : dans la main droite, elle tient un miroir convexe qu'elle regarde fixement, et en l'autre, un compas à ses pieds paraît un serpent, et ces choses sont symboles de la considération et de la sagesse, avec laquelle cette vertu procède dans ses actions.
A l'angle droit, du côté d'en haut, est la figure de la Force, habillée d'une cotte de maille et le heaume en tête : de sa main gauche elle supporte une tour, des crevasses de laquelle sort un serpent qu'elle étouffe avec la main droite, qui marque la vigueur dont cette vertu se sert dans les adversités du monde, pour en empêcher la violence ou en supporter le poids.
Au coin opposite est la figure de la Tempérance, revêtue d'une longue robe, ceinte d'un cordon : de la main droite elle supporte la machine d'une horloge, et de l'autre un mors de bride, hiéroglyphe du règlement et de la modération que cette vertu met dans les passions humaines. Le grand Henri, venu à Nantes en l'an 1598, ayant considéré longuement cette pièce avec attention et plaisir, dit tout haut que c'était un bel échantillon de la gloire de notre Bretagne, et qu'il n'avait rien vu de si beau pour une sépulture.
Si nous sortons maintenant hors des églises et des murailles de la ville, par la porte S. Nicolas, qui est à l'occident, nous entrerons dans un faubourg qui conduit tout le long d'un canal de la rivière de Loire, qu'on appelle communément la Fosse ; à cause peut-être d'un beau quai élevé sur le long de ce canal vers le septentrion, qui d'un côté ayant les eaux coulantes de ce fleuve, de l'autre des maisons pour la plupart superbement bâties, et s'étendant jusques à plus d'un quart de lieu, forme le lieu le plus agréable à la vue et le plus commode au commerce de mer qui se puisse voir, comme nous dirons incontinent.
Un peu plus haut, sortant de la porte Sauvetout, on entre dans un autre faubourg, qui a déjà tous ses fossés creusés, ses bastions et terrains fort régulièrement tracés et élevés, qui enferment assez bon nombre de maisons et d'habitans, pour en former une seconde ville très-bien bâtie et fortifiée, si l'ouvrage était entièrement achevé : aussi l'appelle-t-on la Ville-Neuve.
Du côté de l'orient, cette ville a deux grands faubourgs, appelés de S. Clément et de Richebourg, remplis de quantité de maisons, de nombre de monastères, et même le collége de la ville y est placé.
Vers le midi de cette ville, est une grande étendue de prairies coupées en divers endroits par quatre canaux de la rivière de Loire, tous portant bateaux et formant plusieurs îles à l'aspect de la ville, où l'on nourrit, en tout temps et en sûreté, quantité de bétail pour le besoin des habitants. Et ce qui est encore de rare, c'est la beauté et la longueur du pont qui traverse ces prairies et tous ces canaux de rivière. Ce pont a été premièrement bâti par Paul-Emile, un des premiers conquérants des Gaules, dont, par antiquité et corruption de langage, il porte encore ce nom de Pont de Pillemi. Il est tout de pierre, entouré des deux côtés, ou de garde-fous, ou de maisons, où il y a assez de peuple, d'églises et de monastères, pour former une troisième ville ; et il est tenu pour le plus long pont de ville qui se voie, ayant près de deux milles en longueur.
Au reste son air est fort tempéré, les bâtiments beaux, la demeure agréable, ses issues ravissantes, pour y trouver tout ce qui est de plus agréable sur la terre : des prairies à perte de vue, des rivières et canaux de tous côtés, des vignobles en abondance, des bocages assez fréquents, des collines et vallées, des maisons de plaisance de toutes parts. Les forêts en sont proches, les viandes de toutes sortes s'y trouvent, le poisson de mer et d'eau douce y abonde, les vins y croissent et y sont apportés de beaucoup d'endroits, et toutes les denrées y sont à prix fort raisonnables.
Si nous considérons maintenant l'état civil et politique de cette ville, elle a tout ce qui peut la rendre recommandable. C'est la ville capitale d'un comté de même nom, qui, pour sa grandeur et pour son importance, fait un gouvernement particulier dans la Bretagne ; et le roi y met ordinairement un des principaux seigneurs de son royaume, et des plus affidés à son service, comme à présent elle a pour gouverneur monseigneur le maréchal de la Meilleraye, dont le nom seul porte son renom parmi les peuples françois et étrangers. Outre ce, la police particulière de cette ville est gouvernée par un maire et par des échevins, qui de longtemps ont des droits et priviléges fort nobles. Il y a, de plus, Académie et Université de toute sorte de sciences, qui est l'unique de la Bretagne, érigée par Pie II, à l'instance de François II, dernier duc, avec tels et pareils priviléges, droits et prérogatives que ceux qui sont accordés aux Universités de Paris, Boulogne la grasse, Sienne et Angers. Nantes est le siége d'une cour souveraine et chambre des comptes de Bretagne. Il y a encore un présidial et plusieurs autres siéges de juridiction, où il y a grand nombre de sages, éloquents et savants hommes. Elle est au reste remplie d'un grand nombre d'habitants de toutes sortes de conditions, qui ont l'esprit bon, l'humeur sociable, et sont tous adonnés à la piété.
Mais entre beaucoup de belles et nobles inclinations qu'ils ont, la principale est au commerce et à la navigation ; ce qui paraît même dans le nom et dans l'écusson de cette ville. Car, comme les noms sont imposés pour signifier ordinairement les qualités du sujet, et les écussons portent dans leurs blasons les marques de la noblesse et de la profession d'un chacun, j'estime que même dans le nom et dans l'écusson de la ville de Nantes, qui porte un navire, nous y devons reconnaître l'antiquité de sa fondation, la noblesse de ses fondateurs, et la profession particulière de ses peuples.
Je laisse un chacun libre dans l'opinion qu'il aura de la première fondation de notre ville de Nantes, les uns la rapportant aux descendans de Noé, qui bientôt après le déluge abordèrent sur la côte de la Bretagne armorique, établirent leur siége dans le lieu où est à présent cette ville, et y donnèrent le nom de Nannet, comme on l'appelle encore dans l'ancienne langue bretonne, comme qui dirait Nef de Noé, parce qu'ils y avaient abordé dans une nef ; chose rare et nouvelle dans le pays. Les autres disant que son nom et sa fondation vient de Nannez, ancien roi des Gaules. Mais je dis seulement que les Gaulois ont les premiers inventé et porté le navire, dans leurs monnaies et dans leur écusson ; ce que la noble et royale ville de Paris, comme chef des Gaules, a retenu pour marque de sa noblesse et de son antiquité. Ainsi notre ville de Nantes, comme des plus nobles et des plus anciennes de toutes les Gaules, porte aussi le navire dans ses armes. Quoi qu'il en soit, il est vraisemblable que la ville de Nantes porte ce nom et le navire pour son blason, pour dénoter la première et plus ordinaire profession de ses peuples, qui a été de naviguer et exercer le commerce de mer : et comme dans la langue latine on emploie souvent l'adjectif Nantes pour signifier un navire qui vogue sur mer, comme même le poète Virgile l'y emploie ; il est probable que ce nom de NANTES a été imposé à cette contrée de pays, pour ce que le premier et le plus ordinaire exercice de ses peuples, a été de naviguer et exercer le trafic sur les eaux ; l'usage faisant ce mot latin Nantes, français ; et d'adjectif qu'il est, le rendant substantif, pour signifier le peuple de Nantes. De sorte que, comme les choses naturelles retournent facilement au premier état de leur constitution, quand elles en ont été tirées ; c'est aussi par une inclination toute naturelle, que les Nantois travaillent maintenant à rétablir le commerce et l'exercice de la navigation qu'ils ont de tout temps pratiqués. Aussi qui considèrera la situation de la ville de Nantes, avouera facilement qu'elle a des commodités non pareilles pour exercer le commerce, tant au dedans que hors du royaume. Elle est placée non loin du grand Océan, qui, par un flux et reflux quotidien, envoie ses eaux jusques dans les fossés de ses murs, semblant se venir offrir au service de ses habitants, et les convier à bien user de cette commodité pour la navigation. L'embouchure de son canal est la porte la plus grande, la plus commode et la plus proche que les marchands étrangers aient pour entrer dans la France, et y faire leur commerce. Elle est comme au milieu de l'Espagne et de l'Angleterre, pouvant aller de l'un à l'autre en moins de vingt-quatre heures de temps ; et de toutes sortes de royaumes voisins et étrangers, on y aborde facilement. D'autre part, elle est située sur le bord de la rivière de Loire qui contribue encore notablement à la commodité du trafic. Car de l'aveu de tout le monde, c'est le plus beau fleuve de la France, c'est le plus large en son lit, le plus long en son cours, étendu en plus de provinces, fortifié du plus grand nombre de ruisseaux et rivières, et sur lequel on peut aller à voile dans le royaume plus de cent soixante lieues ; ce qui ne se trouve en aucun autre fleuve de France. Cette riviève est dans la France comme la veine cave au corps humain, qui, contenant beaucoup de sang dans sa capacité, et ayant beaucoup de rameaux attachés à son tronc, porte et distribue dans toutes les parties du corps humain le sang et la vie. Et, pour justifier cette comparaison de la rivière de Loire avec la veine porte, à l'avantage de la ville de Nantes, il ne faut que la considérer en sa source et en son cours :
Elle sort du haut Vivarois, près de Rieutort, passe par le Velay près du Puy, vient en Forez à Monbrisson, puis à Rouane, Decize, Nevers, La Charité, Gien, Geargeau, Orléans, Bois-Gency, Blois, Amboise, Tours, Saumur, le Pont de Cé, Ingrande, Ancenis, et à Nantes, et puis se dégorge en la mer. Et remontant à présent, il est aisé de voir qu'elle a communication avec les plus grandes et meilleures provinces du royaume. Car premièrement dès les fossés de Nantes, elle reçoit, du côté du Poitou, la Sèvre, et, du côté de la grande terre de Bretagne, l'Erdre ; l'une et l'autre portant de grands bateaux, avec toute sorte de marchandises. A une lieue et demie de la ville d'Angers, elle reçoit la rivière de Maine, qui passe à Angers : et puis un peu au-dessus se fourche en trois branches, dont l'une vient du bas Maine, et en retient le nom ; la seconde forme une autre assez forte rivière appelée Sarthe, qui arrose le haut Maine ; et le troisième bras, prenant le nom de Loir, traverse le milieu de l'Anjou, prenant naissance dans le Vendômois. De sorte que, par le moyen de ces trois rivières, le fleuve de Loire communique ses marchandises dans ces trois belles provinces, le Maine, l'Anjou et le Vendômois.
A Saumur, les deux rivières du Thoué et de la Dive, s'unissant et se déchargeant en Loire, donnent communication et commerce par bateaux de la rivière de Loire en tout le pays de Montreuil-Bellay et de Thouars. A Montsoreau, Loire reçoit la rivière de Vienne qui, par l'union qu'elle a avec le Clain, qui passe par Poitiers, le Vincon qui sort du Limousin, et la Creuse qui vient des confins du Berry, donne commerce avec ces deux belles et bonnes provinces, le Poitou et le Limousin. Un peu plus haut, Loire reçoit la rivière d'Indre, qui, traversant partie de la Touraine, conduit dans le milieu du Berry d'où elle sort.
A Tours, le Cher s'unit encore au fleuve de Loire et donne la liberté de commerce à tout le reste de la Touraine. A Briare, proche Gien, par le moyen du canal qu'on y a fait, on a donné communication à la rivière de Loire avec la Seine, qui se pouvant faire encore plus commodément ailleurs, on a ouvert meshui le chemin à un des plus grands commerces de la France, particulièrement à cause de la communication de la ville de Paris, qui consomme tant de fruits et de denrées.
A Nevers se fait l'union de l'Allier avec Loire, qui traverse l'Auvergne et le Bourbonnois, et fait que ces deux provinces peuvent faire commerce dans la rivière de Loire. Et finalement, sa source et son commencement n'étant éloignés de Lyon et du fleuve du Rhône que de douze lieues, on reçoit et on envoie fort aisément les marchandises de l'Orient, par la mer Méditerranée, dans toutes les villes et provinces voisines de Loire. De sorte qu'il paraît évidemment que, par l'union et communication de tant de rivières avec Loire, la ville de Nantes peut entretenir un très bon et très grand commerce, avec toutes les meilleures villes de France et avec les plus grandes provinces du royaume.
Ajoutez, pour l'accomplissement de tant de belles commodités qu'a la ville de Nantes pour l'exercice du commerce au dedans et au dehors du royaume, l'abondance des bois qui se trouvent dans le pays, ou qui peuvent facilement y être amenés pour bâtir des vaisseaux, et la commodité de son canal pour cet effet. Aussi savons-nous que, de tout temps, on y a bâti très-grand nombre de vaisseaux, et les plus beaux de la France. Nous trouvons même que César y en fit bâtir plusieurs, pour combattre les Venetois et autres peuples armoriques bien entendus à la mer. Et plus récemment, sous le règne de François Ier, le vaisseau extraordinairement grand, nommé le Nonpareil, y fut construit. Sous Henri II, les deux plus grands vaisseaux qui fussent en France de ce temps-là, nommés le Grand-Caraquon et le Grand-Henri, y furent aussi bâtis. Et sous le feu roi Louis XIII, dans Indret, petite île formée au milieu de la rivière de Loire, à une lieue et demie de la ville de Nantes, on a bâti, depuis quinze ans seulement, une douzaine de vaisseaux de guerre. Et tous les jours, les marchands y en font bâtir, avec une grande facilité et commodité des choses nécessaires.
Il faut ajouter une autre chose à tant de belles commodités qu'a la ville de Nantes pour l'exercice du commerce qui y est, que le débit de toutes sortes de marchandises, mais particulièrement des quatre principales que les étrangers emportent de la France par nécessité, qui sont le blé, le sel, le vin et les toiles, est plus grand, plus facile et plus universel à Nantes, qu'en aucun autre lieu de la France. Les vins y descendent d'Orléans, Blois, Anjou, Poitou et Bretagne, en très-grande abondance ; le sel s'y fait et s'y trouve en grande quantité ; les blés et les toiles s'y apportent de tous côtés : toutes autres sortes de denrées et de manufactures s'y peuvent débiter ; là où si dans les autres villes et havres de la France, il y a abondance ou suffisance de l'un, il y a disette de l'autre. Brouage, La Rochelle et Ré chargent le sel, mais peu d'autres choses. Bordeaux de vins, d'huile, de fruits cuits et de pastel, mais peu d'autres choses. Saint-Malo, de toiles principalement ; et les autres petits havres de Bretagne, quelques-uns de blé, quelques-uns de toile. Les havres de Normandie et Picardie, de quelques manufactures seulement. La Provence et le Languedoc, de vins, d'huiles, de fruits et de quelques draperies ; mais ni sel ni toiles. Mais Nantes abonde en toutes ces sortes de denrées, et peut elle seule faire le débit de tout ce que font les autres villes marchandes ensemble.
Il n'y a qu'une seule chose à objecter ou plutôt à désirer, pour le comble des avantages et commodités qu'a la ville de Nantes pour la navigation, qui est que le canal de la rivière fût assez profond depuis l'embouchure de la mer jusques dans sa Fosse, pour y amener les grands vaisseaux. Mais outre que la plupart du temps les vaisseaux de deux et trois cents tonneaux y montent, les Nantois espèrent en bref y donner ordre, et le rendre capable de recevoir les plus grands vaisseaux ; mais sans cela il y a suffisante commodité de décharge pour les grands vaisseaux, par le moyen des barques et gabarres que l'on envoie à bord prendre leurs charges, et on les transporte ensuite dans la ville. Toutes les villes marchandes qui sont sur le Rhône et ailleurs, florissantes en commerce, comme Lyon, n'ont pas même cette commodité de recevoir par bateaux les marchandises du port de Marseille : et il n'y a guère de villes maritimes en France qui n'ait des incommodités autant et plus notables dans leurs ports, que celle-là. Mais d'ailleurs les Espagnols, Hollandais et Anglais montrent bien qu'ils trouvent assez de commodités à Nantes pour faire bon commerce, puisque les uns et les autres y ont toujours tenu des facteurs et commissionnaires , et en font une des plus célèbres étapes de trafic, qu'ils aient en France.
(Le Commerce honorable ou Considérations politiques contenant les motifs de nécessité, d'honneur et de profit, qui se trouvent à former des compagnies de personnes de toutes conditions pour l'entretien du négoce de mer en France ; composé par un habitant de la ville de Nantes, chap. X. p 306-323. Nantes, Guillaume Le Monnier, 1646, in-4º de 361 p. Voir sur cet habitant de Nantes, qui était un carme, nommé dans le monde Jean Eon, et en religion Mathias de Saint-Jean, homme remarquable pour l'époque, notre travail sur le Commerce honorable et son auteur, qu'on trouvera dans la seconde partie de cet ouvrage).
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