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EXPLOSION DE LA POUDRIÈRE DU CHATEAU DE NANTES EN 1800.

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Les grands événements qui parfois se produisent, soit au sein des États, soit même au sein des cités, ont nécessairement pour effet immédiat d'occuper vivement les esprits et d'exciter une profonde émotion.

S'ils sont heureux, on les fête, on les célèbre ; la joie s'épanche partout, et chacun, par avance, se plaît à caresser l'espoir des heureux effets qui peuvent en résulter.

Si, au contraire, ces événements sont de ceux qui portent le deuil dans la patrie, dans les familles, les coeurs se serrent, et partout également se manifeste une grande et commune douleur.

Explosion au château de Nantes en 1800.

Ainsi le veut la nature même de l'homme lui, soit que son intérêt ou que ses inclinations l'y poussent, soit même en quelque sorte par entraînement et comme malgré lui, obéit toujours aux impressions qu'il reçoit des faits graves auxquels il participe, ou dont parfois il n'est que le simple spectateur.

Mais aussi ces impressions, si vives qu'elles soient, s'usent vite. Le souvenir du fait principal se conserve bien encore plus ou moins de temps, chez ceux qui en ont été les acteurs ou les témoins ; mais les causes qui l'ont produit, les circonstances qui l'ont accompagné, les conséquences qui en ont été la suite, de tout cela la mémoire s'efface, se perd peu à peu et finit par se corrompre ou par s'évanouir. Et c'est ainsi que plus d'un événement, ayant eu même une haute portée, n'est plus demeuré dans notre histoire qu'un point douteux et incertain.

A notre époque, il est vrai, la presse est un moyen jusqu'à un certain point efficace contre l'oubli dont nous parlons. Elle s'empare en effet de tous les faits saillants, les raconte, les commente, les discute, et nul doute que, plus tard, elle ne puisse offrir à l'écrivain les matériaux les plus précieux.

Mais l'existence de la presse, telle du moins qu'elle se produit aujourd'hui, ne date pas de bien longues années ; puis, il faut le reconnaître aussi, la presse n'a pas été toujours entièrement libre, toujours parfaitement impartiale et exacte dans ses récits, dans ses appréciations. Le devoir de l'historien sera donc encore de ne pas accepter les renseignements qu'elle pourra lui fournir, sans contrôle et sans une certaine réserve.

Restent les documents officiels. Ceux-là sans doute peuvent inspirer confiance, et pour qui veut connaître et exposer la vérité, c'est là surtout et avant tout qu'il faut aller puiser.

Mais ces documents appartiennent à nos administrations ; ils sont recueillis dans nos archives, et il n'est pas toujours facile et loisible à chacun de les consulter. Parfois aussi et avec le temps, ces documents se dispersent et deviennent incomplets. Il peut arriver alors que l'on ne puisse plus retracer un fait, sans être forcé d'en laisser dans l'ombre une certaine partie.

C'est donc chose utile, croyons-nous, lorsque les renseignements recueillis et les souvenirs des contemporains permettent encore de donner un récit vrai et circonstancié d'un événement, de reproduire et ces documents et ces souvenirs, afin de pouvoir offrir ce tableau, non pas tant à la curiosité et à l'intérêt du moment, que comme un exposé fidèle que puisse accepter l'histoire.

C'est cette pensée qui nous a engagé à retracer avec détail un fait qui vint, jeter l'épouvante dans notre ville à la fin du XVIIIème siècle, et qui eut pour effet de donner la mort à un grand nombre de nos concitoyens.

Ce récit ne pouvait évidemment rien emprunter à l'imagination. Aussi, ce que nous dirons , sera-t-il la reproduction à peu près textuelle des documents que nous avons pu consulter, des renseignements que nous avons pu obtenir. Les sources auxquelles nous avons puisé peuvent du reste inspirer toute confiance, et nous croyons ainsi pouvoir donner ce récit comme l'expression fidèle de la vérité.

La ville de Nantes venait de traverser une époque sanglante. Au dehors, et en quelque sorte jusqu'à son enceinte, un pays insurgé, la guerre civile et toutes ses horreurs. Au sein de la ville même, de nobles élans de patriotisme sans doute, mais aussi l'échafaud, la mort et le débordement des plus mauvaises passions.

Les malheurs de notre cité, à cette époque de funeste mémoire, sont trop connus, pour qu'il faille les rappeler ; et ce n'est point là d'ailleurs la mission que nous nous sommes donnée. Nous sommes en 1800.

Un gouvernement, sinon fort encore, mais qui du moins a déjà le prestige de la gloire militaire et qui se montre animé du désir de reconstituer l'ordre si fortement ébranlé et de cicatriser les plaies de la patrie, a pris enfin la place de ces pouvoirs éphémères, qui avaient pesé sur la France et avaient été emportés, laissant après eux, les uns, une longue et profonde trace de sang, les autres, les preuves de leur impuissance à maîtriser la situation et à rendre la sécurité au pays.

On respirait enfin ; peu à peu le calme rentrait dans les esprits ; c'était avec bonheur que chacun, refoulant les souvenirs du passé, saisissait en quelque sorte le présent et colorait surtout l'avenir des plus douces espérances. Les temples étaient rouverts au culte, et cette satisfaction donnée au principe religieux était un sujet de grande consolation pour des coeurs qui avaient tant souffert. On se livrait du reste aux plaisirs ; et cela avec une ardeur qu'on ne cherchait ni à cacher ni à réprimer. Depuis si longtemps l'on en était privé ! et les esprits avaient si grand besoin de s'épancher !!!

Cependant, à Nantes, tout sujet de crainte n'était pas encore parfaitement dissipé. On veillait toujours, car le flambeau de la guerre civile, bien qu'à peu près éteint, jetait encore quelques lueurs. Il y avait à peine une année que des bandes armées avaient osé pénétrer jusque dans l'intérieur de la ville et y avaient porté la terreur et la mort ; et si, aujourd'hui, ces bandes ne tenaient plus ostensiblement la campagne, on savait par expérience avec quelle facilité elles se reformaient.

La vigilance était donc commandée par la prudence, et la troupe soldée aussi bien que la garde nationale, était soumise à un service actif et continu. Notre Château était aussi garni d'un riche matériel ; des munitions de tous genres y étaient réunies, et des artilleurs, ainsi que des ouvriers militaires, y étaient casernés.

Le 5 prairial (dimanche 25 mai 1800), il était midi cinq minutes et notre ville avait son mouvement habituel.

Tout à coup, un bruit horrible se fait entendre .... L'une des tours du Château venait de sauter avec un fracas épouvantable.

Un cri de terreur s'élève de tous côtés : l'épouvante est génédraie, et tous les habitants se précipitent hors de leurs maisons. Avec la rapidité de l'éclair, le bruit se répand que le Château a fait explosion, et sous l'influence de la frayeur, plus de 20 à 25.000 personnes fuient vers les barrières.

Un nuage affreux par son épaisse et profonde noirceur marque le lieu du désastre ... On craint un incendie, et la consternation redouble à la pensée que cet incendie peut facilement gagner le grand magasin à poudre, qui, heureusement, n'a point été atteint.

Cependant, la générale est battue ; en un moment la garde nationale, la troupe de ligne et la gendarmerie sont sur pied.

Le préfet, M. Villeneuve, le général Gilibert, l'Administration municipale sont déjà réunis au Château ; les ordres que nécessite la circonstance sont donnés ; de forts détachements de la garde nationale et de la garnison arrivent et s'emparent de toutes les issues. Les pompiers sont à leurs postes et montrent un zèle admirable ; les canonniers de la garde nationale, les artilleurs et les ouvriers militaires du Château les secondent avec la plus grande énergie.

Peu à peu l'ordre s'établit, et les travaux s'organisent et commencent sous les ordres de M. Robineau, ingénieur en chef, qui donne l'exemple et en impose à tous par son courage et son sang-froid. M. Dedon, chargé de la direction du Château, est, de son côté, à la tête des travailleurs ; enfin, le général Gilibert, commandant de la place et ses adjudants donnent également l'impulsion.

A l'aide de tous ces efforts, on se rassure et l'on parvient à conjurer le danger qui menaçait l'arsenal et la ville.

Mais quelle était la cause d'un aussi affreux événement ?

Tout d'abord, comme c'est une habitude constante en semblable circonstance, on parla de malveillance, et l'on mit entre autres tout un parti en suspicion. A une pareille époque, cette accusation n'avait rien précisément d'extraordinaire, car les passions politiques, bien que moins ardentes, étaient loin encore d'être éteintes, et l'on avait appris à connaître de quoi elles étaient capables. Mais cette pensée d'un crime, qui, en tous cas, eût entraîné la mort presque certaine de ses auteurs, n'eut pas longtemps de consistance. Aucun indice ne fut reconnu qui put faire croire à l'éxecution d'un projet ; et, comme nous le dirons plus tard, l'enquête très-minutieuse qui se fit à cet égard ne put en rien justifier les soupçons que l'on avait d'abord conçus.

Dans un journal de l'époque et imprimé seulement 2 jours après l'explosion, nous lisons cette phrase, qui exprime très-nettement l'opinion qui se manifestait déjà :

« On présume qu'une voûte trop surchargée s'est écroulée et a pu provoquer l'explosion par le choc et le frottement des pierres et du fer ».

Cette présomption, qui, dès-lors, avait toutes les apparences de la réalité, pris depuis le caractère d'une certitude. L'opinion du moins s'est complètement ralliée à cette explication toute naturelle. Nous reviendrons du reste sur ce sujet.

La tour des Espagnols, qui venait ainsi d'être détruite, était située dans la partie du nord-nord-ouest, et avait été construite en 1480, sur les fondations de l'ancien Château de la Tour-Neuve, bâti 400 ans auparavant.

Suivant les détails fournis par le général Allard dans son excellent petit travail sur le Château de Nantes, « cette tour contenait indépendamment d'un souterrain, deux étages de casemates, dont l'une, celle du rez-de-chaussée, servait de cantine pour la garnison, et l'autre de prison pour la marine, à l'époque où cette dernière rassemblait à Nantes ses engagés pour les colonies. Les différents étages de cette tour avaient probablement recueilli autrefois des prisonniers espagnols, et c'est de là qu'elle avait tiré son nom ».

Et le général Allard ajoute :
« Cette tour fut détruite, lors de l'explosion du 5 prairial, an VIII. La version la plus accréditée attribue la cause de cette explosion à la chute du plancher du premier étage de la tour, dont on avait fait alors un dépôt d'artifices et sur lequel on avait placé les munitions provenant du déchargement des caissons des armées de la Vendée, après la pacification. Ces munitions, qui consistaient principalement en cartouches à boulets, enfoncèrent par leurs poids le plancher pourri peut-être en partie par l'humidité que l'obscurité du rez-de-chaussée avait dû depuis longtemps empêcher de visiter avec soin. Le choc qu'éprouvèrent dans leur chute les boulets, les matériaux et la poudre, déterminèrent l'explosion ».

Comme on le voit, cette opinion du général Allard est en tout point conforme à celle qui fut émise à l'époque même de l'événement.

L'explosion fit son moindre effort dans la cour du Château. Le magasin, souterrain où cette explosion dut éclater, étant situé dans la partie inférieure de la tour, et le terre-plein de la cour se trouvant plus élevé que ce magasin, il y eut là une résistance qui sauva sans doute la partie intérieure du Château. L'explosion trouvant au contraire moins de résistance du côté des fossés, s'y développa tout entière, et le corps du bâtiment chassa totalement dans cette direction.

Voici, du reste, quelques détails particuliers que nous tenons de M. Robineau de Bougon que nous avons déjà cité, et qui, chargé d'un commandement supérieur au Château, fut témoin oculaire de cette catastrophe.

Deux petites explosions précédèrent de quelques instants celle qui devint générale.

Ces petites explosions durent avoir lieu dans le trajet que firent les munitions précipitées du plancher enfoncé ; tout vient prouver que la principale explosion ne se fit qu'au moment où cet amas de matières inflammables arriva dans le souterrain. Aussi ce fut là réellement que l'explosion se produisit avec le plus de puissance.

Les murs du pied de la tour, malgré leur énorme épaisseur, furent jetés sur la contrescarpe. Ceux latéraux de la tour étaient moins épais et s'ouvrirent pour donner passage aux projectiles ; enfin, pour la grande partie de ce qui se trouvait au-dessus du foyer de l'explosion, la tour fit l'effet d'un canon de fusil, et tous ces débris furent lancés dans l'air à une très-grande hauteur.

La tour s'ouvrit dans son sommet en trois parties bien distinctes et les masses en furent portées à plus de 20 toises.

Tous les bâtiments intérieurs, adjacents à la tour, c'est-à-dire les archives, la chapelle ou chapitre, une partie du bâtiment principal, servant jadis de logement aux ducs de Bretagne et partie du bâtiment du gouvernement, furent entièrement démolis.

La courtine qui joignait la tour du Pied-de-Biche fut totalement ruinée ; celle joignant le demi bastion Saint-Pierre fut fortement endommagée.

La tour du Pied de Biche elle-même, fut lézardée du sommet aux deux tiers vers les fondations. Tous les planchers furent enfoncés. Les décombres, tant de cette tour que du grand bâtiment, vinrent s'amonceler, dans la totalité de la cage du grand escalier.

A l'intérieur du Château, une partie des trains d'artillerie, caissons et canons, qui se trouvaient dans la grande cour, étaient brisés et rompus. Le grand bâtiment des constructions avait peu souffert. La grande poudrière était heureusement restée intacte.

Elle contenait 150 à 200 milliers de poudre !!

Et la tour des Espagnols, qui venait de sauter, contenait seulement :
7.000# de poudre en barils, en cartouches.
7.500# boulets de 2 et de 4, tenant à leurs gargousses.

Au dehors, l'explosion se dirigea en éventail ; à gauche, sur les maisons Vallin et Rolland, situées à l'entrée de la rue Basse-du-Château ; à droite, sur la rue des Carmélites, la rue Haute-du-Château, le long de la terrasse du Cours, jusqu'à Richebourg.

Une projection de matériaux et d'une vapeur noire vint s'abattre sur la maison Vallin, après avoir ravagé dans son trajet la porte et le parapet du pont du Château et tué plusieurs personnes qui passaient sur ce pont. La direction de cette projection fut déterminée par une des trois canonnières qui se trouvaient au pied de la tour, éclairant le magasin et qui portait sur la maison Vallin.

Le même effet fut produit par les deux autres canonnières, qui portaient sur l'ancienne tour du Duc ; mais il n'en resulta pas de dommage considérable, la projection n'ayant eu lieu que sur des démolitions.

Mais recueillons les effets de cette épouvantable explosion.

En un moment, les fossés, les rues environnantes, le Cours et plusieurs quartiers de la ville avaient été couverts de débris. Plusieurs maisons avaient été démolies, un plus grand nombre violemment ébranlées ; beaucoup d'autres avaient plus ou moins souffert.

Celles qui se trouvaient en quelque sorte faire face au foyer de l'explosion furent naturellement les plus maltraitées. Parmi celles qui eurent le plus à souffrir, on put particulièrement citer les maisons Marion, Dedoyard, Labourdelière, Lory, Drapeau, Couëron, Dejasson, Jezé, Kirouard, Duguiny, La Turmelière, Chevillard, Vallin et le couvent des Carmélites. La maison Vallin n'était plus qu'une ruine. Heureusement la famille Vallin était absente ; heureusement aussi la belle collection de tableaux que possédait M. Vallin et qui se trouvait sur le derrière de la maison put être conservée.

En un mot, l'on compta 101 maisons qui avaient été atteintes et plus ou moins endommagées.

3 rue Delille, rue Notre-Dame.
7 place des Gracques, place Saint-Pierre.
7 rue Vincy, rue Saint-Laurent.
15 rue Abeilard, rue Haute-du-Château.
11 rue Brutus, rue de Premion.
1 place du Château,
5 rue Simoneau, rue des Etats.
1 quai Belidor, quai du port-Maillard.
1 rue Haxo, rue Dubois.
11 rue Girardon, rue Basse-du-Château.
24 rue Maupertuis, rue de Carmélites.
2 place de l'Emery, place Maillard.
4 rue de l'Emery,
6 rue de l'Union,
2 rue Félix,
1 rue Malherbe, rue des Minîmes.
101 maisons.

Dans ces maisons, et en général dans tous les quartiers de la ville avoisinant le Château, une quantité incalculable de vitres étaient brisées, des cloisons abattues, des meubles renversés, des toits découverts, un plus grand nombre partiellement enfoncés.

Beaucoup d'arbres du Cours furent atteints et mutilés.

Trois pièces de canon étaient en batterie sur la tour des Espagnols ; l'une fut portée avec son affût et ses roues jusque sur l'église des Carmélites ; l'autre avec son affût brisé et ses roues en éclats, fut lancée au pied de la terrasse du Cours ; la troisième, qui battait la rue Haute-du-Château, fut portée près de la contrescarpe.

La grande croisée, derrière l'autel de l'église Sainte-Croix, fut descellée et renversée. Le curé, qui disait la messe, fut atteint et blessé ; l'enfant qui lui servait de choriste, le jeune Lelan, fut tué.

L'église Saint-Nicolas fut également fort ébranlée par la commotion. On y célébrait, aussi la messe ; sous l'impression de la peur, tous les assistants se précipitèrent à la fois vers les portes. Plusieurs personnes, des femmes surtout, furent culbutées, foulées et plus ou moins grièvement blessées.

On retrouva dans l'église une grande quantité d'objets que leurs propriétaires avaient oubliés ou perdus dans cette fuite précipitée.

Le même accident arriva à l'église Saint-Laurent.

L'aile droite de la Cathédrale qui servait provisoirement de chapelle, dite Saint-Clair, et de sacristie, fut très-endommagée. Les ogives des croisées furent brisées et rompues, le grand vitrail qui éclairait le choeur et dont la charpente était en fer, fut mis en éclats. La masse du temple eut, du reste, peu à souffrir et arrêta dans cette direction les effets de l'explosion.

L'église de l'Oratoire reçut aussi le choc d'une grande quantité de pierres et de débris ; le portail fut ébranlé et des lézardes s'ouvrirent dans toute la façade.

A l'hôtel d'Aux habité par le préfet, plusieurs cloisons furent renversées.

Le même effet se produisit à la Préfecture.

A la maison commune (la Mairie), les fenêtres de la salle des cérémonies et celles de la conciergerie furent enfoncées. Deux vétérans, qui se promenaient sous la galerie, éprouvèrent une forte secousse qui les souleva de terre.

Cette commotion s'étendit du reste fort loin ; dans la rue Voltaire plusieurs maisons eurent leurs vitres brisées, et, dans une autre direction, le même effet eu lieu jusque sur la côte Saint-Sébastien.

Une masse considérable de pierres emporta les angles des deux bâtiments formant l'entrée des rues des Minîmes et Saint- Félix.

Une autre masse fut portée à l'extrérnitée de la rue Malherbe, à la distance de 300 toises, et emporta également une partie de l'hôtel de la Bourdonnaie.

Une pierre pesant plus de 100# fut lancée sur le toit de la maison Secretain, place du Pilory ; elle fit un trou de 7 à 8 pieds carrés, brisa la charpente, enfonça le plancher du grenier et vint tomber à l'étage inférieur.

Aujourd'hui encore on peut voir, sur le Cours Saint-Pierre, presque à l'extrémité d'une allée, du côté de la place Louis XVI, une pierre portant cette inscription : « L'an 8 de la république française, le 5 prairial , à midi 5 minutes, cette pierre de la tour des Espagnols a été apporté ici par l'explosion ; pèse 200 kilogrammes ».

Une barre de fer, d'environ un mètre de longueur, tordue et brisée dans l'une de ses extrémités, vint tomber dans la cour de la prison du Bouffay, avec quelques balles et d'autres débris. Cette barre de fer, qui pesait 5 k., devait appartenir à l'une des fenêtres grillées du Château.

Deux autres barres de fer, de même nature, tombèrent également sur les balcons des maisons occupées au Pilory par Madame Malassis et Thomas, menuisier, et y firent quelques dégâts.

Les fossés du Château furent remplis de vastes débris. Des fragments de murailles ayant plusieurs mètres d'épaisseur, en indiquant la force du bâtiment écroulé, signalaient aussi celle de l'explosion. Ces énormes masses avaient fait rejaillir un grand volume d'eau des fossés par-dessus le parapet. Dans la rue que longe ces fossés, on trouva des anguilles encore vivantes dans une vase épaisse et profonde.

Disons, en passant, que cette épaisseur des murs de la tour, en épuisant nécessairement jusqu'à un certain point la force de l'explosion, fut une circonstance heureuse ; elle dut diminuer la puissance expansive au-dehors, et atténuer ainsi le désastre.

Nous devons ici mentionner un fait, qui fut constaté et que pouvait avoir une grande gravité.

Explosion au château de Nantes en 1800.

Après la première organisation des travaux, le général Gilibert, M. Robineau et M. Dedon voulurent visiter l'intérieur du Château, pour s'assurer si rien ne pouvait être un nouveau sujet d'inquiétude ou de danger. Dans cette inspection, ils trouvèrent la porte de la grande poudrière entièrement ouverte. A l'intérieur cependant, tout était dans un état et un ordre parfaits, et l'ouverture de la porte n'était évidemment due qu'à la commotion.

On eut d'abord l'opinion que les arbres du Cours avaient dù empêcher l'élévation des débris et rompre leur effort, dans la direction qui les portait sur le quartier Saint-Clément; mais cette opinion fut plus tard contredite.

M. Lemaitre, en effet, était à se promener sur le Cours, au moment de l'explosion, et fut même atteint au bras et à la jambe, par une balle et une cartouche non enflammée. Se retournant précipitamment, il vit tout l'horizon masqué depuis la rue du Château jusqu'à Richebourg par un épais nuage qui lui parut avoir 50 toises d'élévation. Au-dessus de ce nuage et à une très-grande hauteur, il distingua des masses de pierres et de bois lancées paraboliquement. Il eut le temps de faire un certain nombre de pas et de chercher un abri sous un arbre, avant que ces masses arrivassent à terre. Il pensa donc que la direction des pierres lancées par l'explosion n'avait pu être arrêtée par les arbres du Cours. Et ce qui fortifie cette opinion, c'est que le toit très-élevé de la Cathédrale fut enfoncé en plusieurs endroits par la chute des pierres. Ainsi les arbres du Cours n'auraient pu produire l'effet supposé, puisque ces arbres étaient de beaucoup moins élevés que la Cathédrale.

Cependant, les dégâts faits aux maisons, rues Malherbe et Félix, peuvent faire croire qu'il y eut aussi des masses lancées presque horizontalement.

La secousse fut du reste si violente que non-seulement on la ressentit dans la ville, mais encore dans toutes les campagnes environnantes. Le bruit de l'explosion fut entendu au Loroux, à Nort, etc.

Mais après avoir ainsi sommairement fait connaître quel fut le dommage matériel causé par l'explosion, il est temps que nous reprenions le cours de notre récit et que nous nous reportions sur le théâtre même du désastre.

Sous l'impulsion donnée par les autorités, des mesures d'ordre et de précaution s'établissent partout.

Des patrouilles de la garde nationale, ayant la plupart à leur tête des commissaires de police, des patrouilles de troupes de ligne et de gendarmerie parcourent la ville pour assurer le maintien de l'ordre, le respect des personnes et des propriétés. Toutes les maisons endommagées par l'explosion sont gardées par des factionnaires ; une garde nombreuse est mise sur pied.

La tranquillité publique est du reste parfaite dans toute la ville.

Le poste du Bouffay est doublé sur l'avis qu'il y avait du mouvement parmi les détenus, dans la maison de justice et de correction. Mais ces craintes étaient exagérées. Quelque cris de vive le roi ! furent poussés par des femmes qu'on ne put même signaler.

Les détenus pour crime firent aussi quelques difficultés pour se laisser renfermer avant l'heure accoutumée ; mais les guichetiers suffirent pour tout réprimer et ne furent pas même obligés d'appeler la force armée.

Le bataillon des vétérans s'était aussi réuni à la Mairie, aussitôt que la générale avait été battue. Il fournit des patrouilles comme toutes les autres troupes.

Au Château, les travaux de déblaiement sont commencés et poursuivis avec une ardeur et une activité admirables. On sait en effet que des victimes sont englouties sous les décombres, et tous les efforts tendent à les arracher à la mort, s'il est encore possible. A travers les plus grands périls, des citoyens de la garde nationale, de la ligne, se dévouent pour atteindre ce but, et l'on peut signaler des traits de vrai courage, de vertu, d'héroïsme.

Citons quelques faits.

L'explosion venait d'avoir lieu ; il n'était pas encore midi et quart lorsque des cris souterrains furent entendus.

Aussitôt, les sieurs Nicolas Chappé, menuisier ; Charles Grandmoulin, journalier, et Guillaume Bercam, boulanger, se mettent au travail, dans la direction de ces cris.

Depuis six heures, ils bravaient tous les dangers, lorsqu'une cheminée s'écroule à leurs pieds avec un fracas horrible. Ils viennent d'échapper à la mort ; la mort les menace encore....

Ils n'en continuent pas moins leur travail sans relâche et sans prendre d'autres aliments qu'un peu d'eau-devie coupée avec de l'eau.

Cependant, la voix d'un homme souffrant, ses cris lamentables continuent à frapper leurs oreilles !

Bientôt ils dégagent assez de décombres pour pouvoir porter à l'infortunée victime des paroles d'espérance et de consolation ; ils se font entendre ; on leur répond ; la voix monte à travers d'immenses débris. Le malheureux qui les implore leur apprend qu'il a les mains engagées dans des poutres ; qu'il avait été enseveli dans les délivres, mais qu'en agitant la tête et à force de souffler, il était parvenu à dégager sa bouche et ses yeux de la poussière de chaux qui l'étouffait ; qu'alors seulement il avait pu exhaler les cris qui avaient été entendus.

Il apprend qu'il se nomme Lecoq, ouvrier serrurier ; travaillant à l'atelier des armes, qu'il demeure rue Fourcroy, n° 11, qu'il a femme et enfants. Il avertit qu'il entend au-dessous de lui les cris d'une jeune fille, qui appelle elle-même un ouvrier au Château qui est aussi enseveli sous les décombres, mais dont il n'entend pas la voix.

Les braves Chappe, Grandinoulin et Bercam redoublent d'ardeur, de courage et d'efforts ; ils ont l'espoir de sauver plusieurs victimes ....

Bientôt ils peuvent faire passer quelques aliments à Lecoq ; ils s'informent de lui, s'il entend toujours la voix de la jeune fille ; il répond qu'il l'a entendue très-distinctement pendant plusieurs heures, mais que depuis quelque temps il ne l'entend plus [Note :  La jeune fille dont il est question ici était la demoiselle Dumoulin ; l'ouvrier qu'elle appelait, était François Richard, qu'elle devait épouser quelques jours plus tard. Tous deux périrent et furent trouvés morts sous les décombres].

Enfin, à force de constance et de travail, après avoir enlevé avec la plus grande et la plus utile précaution les poutres, les pierres et les décombres qui formaient sur la tête du malheureux Lecoq une couche de quinze pieds d'épaisseur, ils arrivent jusqu'à lui ; ils le dégagent, ils le délivrent, ils le sauvent au moment où, succombant sous le poids de son affreuse position qui a duré le long espace de sept heures, il était prêt a perdre connaissance.

Honneur au généreux dévoûnent de Chappé, Grandmoulin et Bercam !!!

Cet acte de courage et d'humanité excita l'admiration de toute la ville. Le gouvernement alla plus loin, et nous verrons tout-à-l'heure comment le préfet Letourneur sut le signaler et le récompenser.

Disons, pour être juste, que dans cet acte si méritoire que amena la délivrance de Lecoq, Chappé Grandmoulin et Bercam, furent activement secondés par les sieurs Blanchard, ci-devant adjudant de place ; Dorey, capitaine des canonniers de la première demi-brigade de la garde nationale sédentaire ; Coquero, caporal de la même compagnie ; Laisant, adjudant de la place de Nantes, et un officier marin dont le nom est demeuré inconnu.

Au moment où Lecoq avait été enseveli, sa femme, tenant son enfant par la main, n'était qu'à une faible distance de lui et lui parlait encore. Elle aussi, ainsi que son fils, fut renversée sous les décombres, mais elle parvint à se dégager et s'enfuit, entraînant avec elle son fils et un autre enfant de deux à trois ans qu'elle trouva sur le grand perron du Château, et que, dans son effroi, elle perdit elle-même au Pilory.

La femme Lecoq et son fils étaient légèrement blessés.

Les travaux de déblaiement venaient de commencer, lorsque les gendarmes Adam, Richardot, Villermosa et Dusonnois-Delisle, parvinrent à retirer des décombres une femme encore vivante, quoique blessée, et qui fut portée à l'hospice civil.

Peu d'instants après, le gendarme Anet réussit aussi à retirer des délivres une jeune fille de seize ans qui survécut.

Dans la journée du 5, on avait eu l'espoir de sauver le sieur Poignant, second capitaine de la deuxième compagnie d'ouvriers au Château. On n'apercevait que son bras, apparaissant au-dessus des décombres ; mais son chien couché auprès, et poussant des hurlements plaintifs, ne permettait pas de le méconnaître. Cet animal resta sur les débris qui couvraient son maître, jusqu'à ce qu'on eut pu dégager ses restes inanimés : il menaçait tous ceux qui s'approchaient, et mordit même un des travailleurs. Après l'enlèvement du corps, il disparut.

Le 7, avant midi, le corps du malheureux capitaine Poignant fut porté à l'église Sainte-Croix, accompagné d'un cortége nombreux, à la tête duquel on remarquait le Préfet et les officiers du génie et de l'artillerie. Une messe funèbre fut célébrée au milieu du plus profond recueillement.

Par une circonstance providentielle, les ouvriers employés au Château se trouvaient en grande partie absents, au moment de l'explosion. Suivant leur coutume, ils avaient quitté leur travail à onze heures, et s'étaient retirés. Sans cette circonstance, le nombre des victimes déjà si grand eût été, sans aucun doute, bien plus considérable encore.

Et, en effet, que de morts ! que de blessés ! tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Château !!!

Dans la tour du Pied-de-Biche étaient 14 détenus, dont plusieurs Autrichiens, prisonniers de guerre. Un plancher chargé de fusils s'écroula sur eux. Sept périrent ; six autres blessés par des baïonnettes tombées de 15 à 16 pieds, furent transportés à l'hôpital. Un seul, cavalier de la Loire-Inférieure, se trouvait dans l'embrâsure d'une fenêtre et tendait la main pour recevoir son dîner ; cette circonstance le sauva.

Deux frères, les sieurs Rivière, de Lyon, canonniers de ligne, détenus à la chambre de discipline, furent écrasés.

On compta aussi, comme nous venons de le dire, parmi les morts au Château, Poignant, dit Duchesne, capitaine des ouvriers. Sa femme et trois de ses enfants furent blessés.

Fournier, contre-meître des manoeuvres du Château, fut tué également ainsi que sa fille et une femme qui habitait avec lui, Louise La Rivière.

Gérard, tambour du bataillon des Ponts, et deux grenadiers du bataillon de la Concorde, les sieurs Thomas et Aubié, que étaient de service, périrent aussi. Neuf autres grenadiers, du même bataillon, qui étaient également de garde, les sieurs Leglas, Levesque Lemerlé, Monnier, Jeannot Feran père, Mercier, Caussirand et Jacotot, furent plus ou moins blessés. Jeannot et Jacotot succombèrent quelques jours après de leurs blessures.

Nous devons encore citer parmi les victimes qui périrent dans le Château :
Lamandé, ouvrier serrurier, tué dans l'atelier d'armes.
Dumoulin, reviseur d'armes, et ses deux filles.
Marie-Louise, âgée de 22 ans.
Catherine, âgée de 16 ans.
François Richard, ouvrier.
Jean Cardin, ouvrier.
David, jeune enfant de 13 ans, apprenti du sieur Dumoulin.
Arsène Berger, enfant de 17 mois, fille d'un officier vétéran.
Marie Lefebvre, domestique du sieur Dumoulin,
Marie-Anne Lamandé, fille d'un ouvrier.
Julien Paris, ouvrier.

Ainsi, ce fut au moins vingt victimes de l'explosion seulement à l'intérieur du Château.

Mais, au dehors, nous allons encore en compter un bien plus grand nombre ...

M. Demion, père de huit enfants, se promenait sur le Cours ; il y fut tué.

M. Villouet, marchand de bois, à l'entrée de Richebourg, eut ses deux filles : Françoise-Victoire, âgée de 14 ans, et Marie, âgée de 10 ans tuées.
Sa femme fut grièvement blessée.

Mademoiselle Burot, âgée de 15 ans, était à un balcon du 4ème étage de la maison Vallin. Elle tomba dans la rue avec le balcon et fut horriblement mutilée ; quelques jours après elle succomba.

Au moment de l'explosion, il y avait sur le Cours six élèves de l'école centrale. Les jeunes Collin et Guiton furent atteints. Un journal de l'époque observe naïvement que ces élèves avaient voulu ramasser leurs livres avant de fuir et que les autres ne durent vraisemblablement leur salut qu'à l'oubli qu'ils firent de leurs cahiers et portefeuilles pour fuir plus rapidement. Collin fut tué ; Guiton très-grièvement blessé à la tête.

Le jeune Colin donnait la main à son frère, qui ne fut pas blessé.

Deux enfants d'un cordonnier qui logeait près du Château, étaient descendus dans les fossés pour y chercher des nids d'oiseaux. L'un d'eux fut enseveli sous d'énormes masses de pierres ; l'autre fut à l'instant revomi du fossé par dessus le parapet et en fut quitte pour une blessure légère au coude.

Plusieurs revendeuses et quelques pauvres qui stationnaient au bas du Cours, furent écrasés sous les débris.

Une jeune fille de 14 ans, Constance Renaud fut tuée dans la cour de la maison Morandais. Quatre autres personnes furent blessées dans cette même maison.

Un cordonnier, André Huet, demeurant rue du Château, fut tué dans sa boutique.

Une domestique fut tuée dans la maison Marion. M. Codrosy, qui habitait la même maison, fut blessé assez grièvement.

Divers chasseurs à cheval, de la compagnie Lainé, les sieurs Didier, Sergent et Pévrier, détenus au Château, ainsi que leurs camarades Malinville et Amouroux, qui étaient allés les voir, reçurent aussi de graves blessures.

Dans ce malheur commun, la gendarmerie paya pareillement son tribut. Ferrand fut tué, quatre autres gendarmes, les sieurs Malfilâtre, Drouet, Copin et Theveneau, furent blessés.

Cependant, les fouilles continuaient toujours avec la même activité.

Le 9, on retrouva dans les fossés le corps du jeune Pierre-Alexis Yvonnet. Il était tellement mutilé qu'on ne put le reconnaître qu'a ses vêtements.

Le 10, on fut plus heureux. A trois heures de l'après-midi, on parvint encore à retirer vivante, la dame Lambert, femme du geôlier des prisons du Château. Cette femme avait ainsi été ensevelie sous les décombres pendant 99 heures, sans avoir été entendue et aussi sans avoir pu concevoir l'espérance d'être sauvée. C'est dans sa propre chambre qu'elle avait ainsi vécue, entourée de débris. Elle avait heureusement pu trouver à sa proximité quelque nourriture et n'avait pas eu à souffrir des horreurs de la faim. Elle n'avait du reste qu'une blessure à la tête. En fidèle historien, disons que son chat, qui avait partagé sa captivité, partagea aussi sa délivrance.

Le 11, on retrouva le corps d'un ouvrier.

Le 12 on découvrit également les restes de la plus jeune des filles Dumoulin. Le corps de la fille aîné ne fut retiré que quelques jours après.

En un mot, les travaux de déblaiement furent poussés avec le même empressement, tant que l'on eut l'espoir de retrouver quelques victimes. En pareille circonstance, le dévoûment était un devoir tellement impérieux, les sentiments qui l'inspiraient étaient tellement naturels, que l'on ne peut être surpris que chacun tint à apporter et à rendre utile son concours.

Nous pourrions du reste parcourir ainsi la triste nomenclature des victimes de ce terrible accident, mais nous n'aurions désormais qu'à enregistrer le nom de ces malheureux, succombant dans les mêmes circonstances et par les mêmes effets. Nous croyons donc devoir nous borner maintenant à donner la liste qui en fut établie dans un rapport authentique du 17 messidor (6 juillet), et signé des membres de l'Administration municipale : Paul Bernard, P. T. Tessier, Barbier, Charles Coiron, J. Marion, Groleau, François Prevost et Saveneau, secrétaire.

1 Augustin Collin, 13 ans, tué le 5, sur le Cours.
2 G.-Jean Laurent, 37, tué le 5, rue Brutus.
3 André Huet, 40, tué le 5, rue Girardon.
4 René Demion, 52, tué le 5, sur le Cours.
5 Perrine-Anne Chartier, 35, tué le 5, pont du Nord.
6 Julien Clair, 51, tué le 5, rue Brutus.
7 Constance Renaud, 13, tué le 5, rue Abeilard.
8 J.-J. Combin. 39, tué le 5, rue Brutus.
9 M.-Elisabeth Pion. 19, tué le 5, rue Brutus.
10 Jean Trepied, 45, tué le 5, rue Brutus.
11 Renée-Gabrielle Hoursolle, 19, tué le 5, rue Brutus.
12 Marie Daubron, 11, tué le 5, sur le Cours.
13 Claire Bigot, 75, tué le 5, rue Brutus.
14 Jean Jenny, 40, tué le 5, rue Brutus.
15 Fse-Victoire Villouet, 12, tué le 5, rue Brutus.
16 Marie Villouet, 14, tué le 5, rue Brutus.
17 Jean-Marie Lelan, 10, tué le 5, église Sainte-Groix.
18 Perrine Supiot, 63 ans, tué le 5, rue Brutus.
19 Marie Dufour, 54, tué le 5, rue Simoneau.
20 Nicolas Girard, 51, tué le 5, de garde au Château.
21 Ls.-Valerien Poignant, 58, tué le 5, au Château.
22 P.-Toussaint Tessier, 16, tué le 5, sur le pont du Château.
23 Julien-F. Chapelain, 48, tué le 5, rue Brutus.

24 Julienne Gautrais, 75, tué le 5, place du Château.
25 Louis Aurière, 59, tué le 5, rue Girardon.
26 Jacques Lamandé, 53, tué le 5, au Château.
27 Olivier Thomas, 51, tué le 5, en faction au Château.
28 Catherine Dumoulin, 16, tué le 5, au Château.
29 François Richard, 24, tué le 5, au Château.
30 M.-Louise Dumoulin, 22, tué le 5, au Château.
31 Pierre-A. Yvonnet, 9, tué le 5, sur le pont du Château.
32 Etienne Aubié, 46, tué le 5, de garde au Château.
33 Julien Paris, 41, tué le 5, au Château.
34 Servanne-Lse Bigot La Rivière, 40, tué le 5, au Château.
35 Julienne Seignard, 19, tué le 5, rue Brutus.
36 Etienne-C. Fournier, 47, tué le 5, au Château.
37 M.-Anne Gaillard, 11, tué le 5, pont du Château.
38 M. Lefèvre, 14, tué le 5, au Château.
39 Jean Cantin, 33, tué le 5, au Château.
40 M.-Jeanne Lamandé, 21, tué le 5, au Château.
41 Jeanne Herel, 35, tué le 5, rue Brutus.
42 Jeanne Janvresse, 54, tué le 5, rue Abeilard.
43 Arsène Berger, 17 mois, tué le 5, au Château.
44 David, 13 ans, tué le 5, au Château.
45 Fleury Rivière, 32, tué le 5, canonnier au Château.
46 Henri Rivière, 31, tué le 5, canonnier au Château.
47 François Ferrand, 21, tué le 5, gendarme, rue Brutus.

Morts de leurs blessures.
48 François Jacotot, 50 ans, mort le 9, de garde au Château.
49 Louise-F. Dubignon, 5 ans, mort le 11.
50 René Dupin, 19 ans, mort le 12.
51 Sébastienne-Joséphine Burot, 15 ans, mort le 12.
52 Pierre Jeannot, 29 ans, mort le 13 de garde au Château.
53 Fidèle Samson, 21 ans, mort le 16.
54 J.-Jacques Robillard, 31 ans, mort le 19.
55 Louis Foucraud, 39 ans, mort le 22.
56 René Massé, 43 ans, mort le 22.
57 Joseph Bertin, 8 ans, mort le 25.
58 Magdeleine Lemarié, 42 ans, mort le 10 messidor.
59 François Braud, 60 ans, mort le 10.
60 Marie Lanau, 32 ans, mort le 11.

Le nombre des blessés fut bien plus considérable, suivant le rapport des commissaires de police, certifié par les officiers de santé ; on en compta :
Hommes....... 46.
Femmes....... 31.
Enfants......... 18.
Militaires....... 13.
Total : 108.

Bien d'autres, blessés légèrement, furent traités chez eux et ne se firent point connaître officiellement. D'après les renseignements que l'on put prendre, on porta à environ 50 le nombre de ces blessés.

Ainsi, comme on le voit, cette catastrophe du 5 prairial avait eu de bien pénibles résultats :

Soixante morts, dont un grand nombre laissaient leurs familles dans le plus grand besoin ; plus de cent blessés, pour la plupart également soutiens de leurs familles ; puis encore, outre les dégâts soufferts par tant d'immeubles, la ruine pour une foule de ménages et d'industries qui avaient perdu leurs meubles et leurs ressources.

Le mal était donc bien grand.

Mais grande aussi est la charité dans notre ville, qui, dans cette occasion, se montra ce qu'elle a toujours été, pleine de compassion et de générosité pour toutes les infortunes.

La grande partie des blessés fut portée aux hospices où le service de santé s'organisa et se fit avec le zèle le plus empressé. De toutes parts, de la charpie, du linge, des vêtements, furent envoyés pour l'usage de ces malheureux.

Chacun, de plus, se fit un devoir de recueillir ceux qui avaient tout perdu, et de leur offrir des secours et un asile.

En un mot, des marques du plus touchant intérêt furent données par toutes les classes de la société, et rien ne fut épargné pour adoucir des maux aussi cruels qu'imprévus.

Le Préfet, lui–même, visita les blessés ; le général Gilibert fut également constamment sur pied ; les administrateurs de la commune s'efforcèrent de faire face à toutes les nécessités. Et, comme toujours aussi, la religion, quoique réduite encore à un bien petit nombre de ministres, fit entendre partout ses paroles de charité et de consolation.

Des actes d'une délicate probité purent aussi s'ajouter à tous ces actes de dévoûment.

Les gendarmes. Anet, Prot et Pernin, trouvèrent au milieu de la rue qui longe les fossés du Château un sac de 1.200 fr. qu'ils s'empressèrent de remettre à un officier de police.

L'un de ces gendarmes, le sieur Prot, remit également au général Gilibert un paquet renfermant des couverts d'argent, et, de plus, un sac d'argent, qu'il avait trouvés dans la cour du Château.

Cependant, l'Administration municipile dans l'impossibilité où elle était de satisfaire par ses seules ressources aux besoins de la circonstance, avait, dés le 6, fait paraître la proclamation suivante :
« Un événement terrible vient de porter la douleur dans toutes les âmes sensibles ; l'explosion de la Tour du Château, dite des Espagnols, a privé de leurs soutiens plusieurs mères, épouses et enfants indigents, en les couvrant de deuil. De prompts secours leur sont indispensables, ainsi qu'aux familles de ceux qui, échappés à la mort, ont été grièvement blessés. Nous devons tous être pénétrés de leur cruelle situation, et nous empresser d'adoucir ce qu'elle a d'affreux.

C'est par de prompts secours, que l'humanité commande, que nous devons leur porter du soulagement.

Nous sommes persuadés que chacun de vous va s'empresser de venir à leur aide, en versant dans les mains des citoyens, que nous allons nommer, les sommes que ses facultés lui permettront d'employer à un acte de bienfaisance aussi méritoire. Déjà plusieurs citoyens l'ont exercé ; les artistes réunis donnent aujourd'hui une représentation au bénéfice des victimes de ce funeste evénement. Nous ne doutons point que ces exemples ne soient promptement suivis.

L'Administration fera imprimer l'état nominatif de ceux qui auront contribué à cette oeuvre d'humanité et de bienfaisance.

En Administration municipale, le 6 prairial an VIII de la République française ».

Le 6, en effet, fut donnée une représentation au théâtre de la salle du Chapeau-Rouge, au bénéfice des victimes. Cette représentation, qui se composait de Othello et de Robert-le-bossu, produisit 690 #. Ce produit, sans nul doute, se fut trouvé beaucoup plus élevé, si l'impression d'un pareil événement n'eut retenu chez elles beaucoup de personnes qui, par respect pour la douleur publique, ne voulurent pas ce jour-là se montrer au théâtre.

Les grenadiers de la Concorde se réunirent spontanémet et ouvrirent une souscription.

Sous les auspices de l'Administration municipale, une collecte se fit dans toute la ville, et des commisaires furent nommés pour la recueillir. Cette quête produisit dans les diverses sections :

Section 1ère, Commissaires MM. Bedert, Demolière et Bourmaud : 184 livres 12 sous 9 deniers.
Section 2ème, Commissaires MM. Macé, Fouré et Brière : 267 livres 6 sous.
Section 3ème, Commissaires MM. Lanier, Hersan, Domageau : 264 livres 14 sous.
Section 4ème, Commissaires MM. Beaufreton, Maigrau et Jamon : 86 livres 1 sous 9 deniers.
Section 5ème, Commissaires MM. Mabille et Desgranges : 153 livres 7 sous.
Section 6ème, Commissaires MM. Felonneau, Wattier, Pouponneau et Richard :  277 livres 7 sous 6 deniers.
Section 7ème, Commissaires MM. Perrotin, Roger, Evelin et Cosson : 722 livres 3 sous.
Section 8ème, Commissaires MM. Perrin, Fleuriot, Meyrac, Andebert : 588 livres 2 sous.
Section 9ème, Commissaires MM. Babin aîné : 626 livres 2 sous.
Section 10ème, Commissaires MM. Legrand, Trenchevent, Peltier et Gabory : 725 livres 18 sous.
Section 11ème, Commissaires MM. Henry, Lemoisne et Denis Guéranderie : 235 livres 9 sous 3 deniers.
Section 12ème, Commissaires MM. Stribit, Bouché et Saffré : 140 livres 18 sous.
Section 13ème, Commissaires MM. Bellier, Jeanneau, Sebois et Boisteaux : 1039 livres 7 sous 3 deniers.
Section 14ème, Commissaires MM. Plumard, Vilmain et Vanneunen : 706 livres 7 sous 9 deniers.
Section 15ème, Commissaires MM. Desmarais, Lomesle et Paul Millet : 569 livres 6 sous.
Section 16ème, Commissaires MM. Lincoln, Lamare, Cossin et Bernard : 961 livres 13 sous.
Section 17ème, Commissaires MM. Haentjens, J. Tessier et Mary : 237 livres 1 sou 3 deniers.
Total : 7685 livres 16 sous 6 deniers.

D'autres souscriptions particulières produisirent, en outre, une somme de 2.386 livres 14 sous.
Parmi ces souscriptions, nous avons pu remarquer :
Celle du préfet Letourneur, de : 288 livres.
Celle de la Loge Mars et les Arts : 229 livres 7 sous 3 deniers.
Celle de Mde de la Bretesche et son fils : 288 livres.
Celle du général Bernadotte : 240 livres.
Celle de la commune d'Ancenis : 133 livres 19 sous 6 deniers.
Celle des grenadiers de la Concorde : 167 livres 1 sou.
etc.

Enfin, la collecte entière de la ville de Nantes s'éleva la somme de 10.072 livres 10 sous 3 deniers. Quelques villes, entre autres Brest et Paris, firent aussi passer quelques secours. La loge maçonnique de Brest, l'Heureuse-Rencontre, envoya notamment 300 liv.

Des artistes musiciens de Nantes, MM. Schmit, Schneider et Jacobi, organisèrent à Rennes un concert et une redoute, dont le produit, 205 livr. 17 sous, fut remis par M. Dagosta aux mains de l'Administration municipale.

Les élèves des pensions voulurent pareillement apporter leur tribut. Ceux de l'Institut des Amis réunis firent hommage d'une somme de 21 liv. 13 sous 3 deniers, qui composait tout ce qu'ils possédaient pour leurs menus plaisirs.

Le sieur Bourgeois, qui tenait un jardin public sur la route de Rennes, ouvrit aussi son jardin, au profit de la souscription, et versa une certaine somme qu'il avait ainsi recueillie.

De son côté, le gouvernement ne pouvait rester indifférent à une pareille infortune. Les esprits d'ailleurs étaient agités de préoccupations et de craintes, sans doute sans fondement, mais qui n'en étaient pas moins réelles. Le 7 prairial, le Préfet, dans une proclamation qu'il fit afficher dans tout le département, s'exprimait ainsi :

« L'événement le plus désastreux vient d'affliger cette malheureuse commune ; il est le complément des maux qui ont déjà pesé sur elle. Mon coeur en a profondément saigné. Eh ! qui devait en effet y être plus sensible que le magistrat chargé de veiller à vos intérêts ?

Rien n'a été négligé, citoyens, pour en arrêter les suites funestes, et tout a été prévu pour remédier au désordre inséparable de pareils moments.

Grâces en soient rendues à la prévoyante sagesse de l'Administration municipale, au zèle infatigable du général Gilibert, commandant de la place, et de tous tes officiers civils et militaires, au respectable corps des pompiers volontaires et à tous les citoyens qui ont rivalisé de courage et d'activité.

Plusieurs d'entre eux n'ont pas craint de s'exposer au péril le plus imminent pour arracher des ruines leurs frères infortunés. Leurs noms seront précieusement recueillis ; ils passeront à la postérité, et combien ils vont devenir chers à leurs concitoyens ! Tous, en un mot, ont fait leur devoir, en républicains zélés et ont bien mérité de l'humanité.

Je ferai le mien, n'en doutez pas, mes chers concitoyens, en allégeant autant qu'il est en moi les maux qui vous affligent.

Le gouvernement est juste et bienfaisant ; il ne demeurera pas sourd à ma voix, en faveur des veuves et des orphelins. Que tous les citoyens se rassurent : ils m'ont donné jusqu'ici leur confiance, et ce ne sera pas en vain. Les craintes exagérées que la malveillance cherche toujours à inspirer, sont absolument sans fondement. Toutes les mesures sont prises pour qu'aucun événement ultérieur ne soit à craindre. Les causes de ce désastre seront soigneusement recherchées ; gardez-vous de les juger sans connaître ; la méfiance serait un malheur de plus. Que chacun reprenne ses travaux accoutumés et se repose sur la sollicitude de ses magistrats. » SIGNÉ LETOURNEUR.

Cette proclamation produisit un bon effet. De plus, sur la demande du Préfet, le Ministre de l'intérieur ouvrit un crédit de 10.000 francs, pour indemniser les malheureux qui avaient souffert des suites de l'explosion du Château.

Ce fut ainsi une somme d'environ 21.000 francs que l’Administration put utiliser en distribution de secours. Mais, comme on le pense bien, la commune n'en resta pas là ; elle dut pourvoir à bien des besoins et s'imposer de lourds sacrifices.

A l'aide de ces ressources, on put soulager les misères les plus urgentes. Mais qu'était-ce un pareil expédient, en présence des pertes réellement éprouvées ? Ces pertes furent estimées :
Celles des immeubles : 400.000 fr.
Celles mobilières : 150.000 fr.
Total : 550.000 fr.

Et encore pensa-t-on que cette estimation était bien au-dessous de la réalité.

Mais le gouvernement avait une autre dette à acquitter, celle de récompenser d'une manière digne le dévoûment montré par certains citoyens.

Le 9 messidor (28 juin), le Préfet fit de nouveau paraître la proclamation suivante :

« CITOYENS,
Féconde en grands exemples, cette cité vient encore d'en donner un d'une grande magnanimité.

En se rappelant avec quel courage, le 5 prairial dernier, les citoyens Nicolas Chappé, Charles Grandmoulin, Guillaume Bercam, se sont précipités sous les ruines fumantes du Château, avec quelle héroïque persévérance ils ont supporté Des fatigues inouïes, affronté des dangers toujours renaissants et toujours certains, bravé mille morts, pour sauver la vie à un de leurs concitoyens, quel homme peut n'être pas pénétré d'une respectueuse admiration !

Mais le gouvernement attentif à ne laisser aucune vertu sans gloire, aucun dévoûment sans récompense, veut qu'un témoignage public de la reconnaissance nationale immortalize une action aussi généreuse.

En conséquence, et suivant les ordres du Ministre de l'Intérieur,

Il sera, demain décadi, dans une cérémonie publique, qui aura lieu sur la place de la Liberté, décerné des couronnes civiques aux citoyens Chappé, Grandmoulin et Bercam.

Les autorités civiles et militaires sont invitées à y assister, et voudront bien se réunir à cet effet, au palais de la Préfecture, à midi précis.

La garde nationale sédentaire prendra les armes, et le général est invité à donner des ordres pour que les troupes de la garnison s'y joignent.

A huit heures du matin, une première salve d'artillerie annoncera la fête ; une seconde sera tirée immédiatement après la distribution des couronnes.

L'Administration municipale est chargée du détail des préparatifs et des mesures de police nécessaire.

Fait en Préfecture, le 9 messidor, an VIII de la République.

SIGNÉ LETOURNEUR ».

Cette proclamation avait été précédée d'une correspondance entre le Préfet et l'Administration municipale, et qui témoignait hautement du désir qu'avait le Préfet de donner à cette fête tout l'éclat possible. L'Administration municipale désirait qu'elle eut lieu dans le Temple décadaire (la Cathédrale sans doute), mais le Préfet objectait que ce Temple était encombré de beaucoup d'attirails militaires, et il craignait qu'il ne put suffire à l'empressement de la foule, qui ne manquerait pas de se porter a cette solennité.

Bref, la fête eut lieu suivant le voeu et le programme du Préfet.

De son coté, le général Bernadotte prit un vif intérêt à l'événement du 5 prairial. Il était à Rennes, lorsqu'il reçut la première nouvelle de l'explosion du Château. Il donna aussitôt ordre à ses guides de partir en avant, et lui-même se mit en route le lendemain, à 7 heures du matin.

Pendant son séjour à Nantes, il ne cessa de donner aux victimes les marques d'une véritable sympathie, et leur offrit tous les moyens de consolation et tous les secours qui pouvaient dépendre de lui. Nous avons vu, qu'en outre, il prit part à la souscription ouverte, pour une somme de 240 fr.

Le 9, il passa une revue générale de toutes les troupes. Il fit appeler ceux des gendarmes qui, dans la journée du 5, s'étaient fait remarquer par des actes de courage et d'humanité, et donna un avancement, du reste bien mérité, à Adam, Richardot, Villermosa, Dusonnois-Delisle, Anet et Perrin.

Prot, simple grenadier, ne sachant point écrire, ne put être promu à aucun grade, mais il reçut une recompense pécuniaire.

Nous avons dit que la cause de ce funeste événement avait d'abord été attribuée à la malveillance. Dans un intérêt public, et aussi pour dissiper les doutes qui s'étaient élevés à cet égard, le gouvernement voulut s'éclairer, et ouvrit une enquête. Le général Bernadotte, muni de pleins pouvoirs, séjourna même à Nantes, pour prendre des renseignements, afin d'arriver à la découverte de la vérité.

Tout d'abord, en effet, plusieurs personnes avaient été incriminées, ou plutôt des délations plus ou moins intéressées, plus ou moins haineuses, avaient été dirigées contre elles. Parmi ces personnes, livrées au soupçon, il s'en trouvait même d'assez haut placées et qui, au moment du danger, avaient montré le plus de zèle.

Nous nous abstiendrons d'indiquer aucun nom ; ainsi que nous l'avons déjà dit, ces rumeurs tombèrent devant un examen sérieux, et l'enquête ne produisit contre personne des charges qui pussent même laisser un doute de criminalité.

Aux autorités que nous avons citées, nous pouvons du reste ajouter l'opinion d'un homme parfaitement compétent, pour bien apprécier les causes de l'événement du 5 prairial. Voici ce qu'écrivait le 8, c'est-à-dire trois jours après l'explosion, M. Fournier, adjoint de l'architecte voyer, à M. Villenave, alors rédacteur du Publicateur de Nantes :

« Par suite de mes observations, considérant que le magasin aux cartouches était de plein pied avec la cour, si l'explosion s'était faite en cet état, sa direction se serait portée, en rasant la cour, sur les bâtiments joignant la tour de la Rivière, les magasins au bas de l'intérieur du rempart, entre cette tour, le bastion Mercœur et le grand magasin des constructions. La tour des Espagnols se serait aussi ouverte dans cette partie, à 18 ou 20 pieds de sa fondation.

J'ai mesuré exactement la profondeur du fossé, comparativement avec le sol de la cour ; j'ai trouvé 22 pieds de différence approximative. Dans l'état actuel des choses, on peut affirmer que l'affaissement du plancher du magasin est la seule cause de l'événement. Les masses énormes du fond de la tour, qui se sont portées sur la contrescarpe, y ont été poussées avec d'autant plus de force, par la résistance qu'opposait le terre-plein de la cour. L'un des piliers qui soutiennent les arceaux, le long de la contrescarpe, au bas de l'ancienne chapelle Sainte-Radégonde, a été coupé.

Si cet événement eût eu lieu dans le premier état de choses, les bâtiments qui avoisinent le Château eussent beaucoup plus souffert, et le dommage eût été plus considérable. Il est donc intéressant, en suivant le déblaiement, de faire toutes les observations les plus exactes, pour convaincre tous les citoyens de la vérité, les rassurer sur les causes, et empêcher de préjuger sur un événement déjà trop funeste par ses suites, sans l'imputer injustement, soit à la malveillance, soit au défaut de précaution, dans la partie administrative de l'arsenal.

Tous les hommes peuvent se convaincre de ces détails ; examiner, être de bonne foi, c'est se rassurer soi-même, et rassurer ses concitoyens ».

Nous avons cru devoir reproduire cette lettre en son entier, car les preuves et les détails qu'elle fournit, semblent trancher une question qui ne pouvait plus être débattue.

Voici, du reste, encore un fait qui vient confirmer cette opinion de M. Fournier.

M. Dedon, commandant du Château, travaillait à son bureau, situé près du foyer même de l'explosion. Il entendit un bruit qui ressemblait à l'enfoncement d'un plancher ; il eut le temps de se lever et de se précipiter dans l'embrâsure d'une croisée ; aussitôt l'explosion se produisit. M. Bedon n'eut aucun mal.

Enfin, une chose certaine, c'est que l'on savait que depuis dix ans, ce plancher n'était pas en bon état, mais sans doute qu'on n'avait pas jugé le danger assez imminent, ou plutôt que ce plancher avait été imprudemment trop surchargé. Disons aussi qu'à cette époque, les officiers supérieurs, chargés du commandement du Château, se succédaient souvent. M. Dedon, entre autres, n'était à Nantes que depuis peu de temps, et n'avait pas, sans doute, été informé du fâcheux état du plancher. Mais les officiers du Château le connaissaient parfaitement, et dans cette occasion, ils avaient manqué de prudence. Pour clore ce récit, nous donnons la copie textuelle du rapport que le commandant du Château fit au Ministre de la guerre, à la date du 7 prairial :

Ce rapport ne signale précisément aucun fait nouveau, mais il confirme en tout point ce que nous avons dit.

« CITOYEN MINISTRE,
J'ai eu l'honneur, par ma lettre du 5 de ce mois, de vous faire part du triste événement qui arriva le même jour à l'arsenal, je me bornais à vous en rendre un compte succinct ; la nature de cet événement ne permet pas d'en donner des détails. On ne peut que hasarder quelques conjectures. Voici, du reste, ce que j'ai pu recueillir.

A onze heures, les ouvriers travaillant à la salle d'artifice, s'étaient retirés suivant la coutume ; le garde d'artillerie, après avoir visité l'intérieur de la salle et l'avoir balayé, en avait fermé les deux portes, à onze heures un quart. Ce ne fut que quelques instants après midi que l'explosion eut lieu ; elle renversa de fond en comble la tour dite des Espagnols, où se trouvait la salle et une partie des bâtiments de l'arsenal, attenant à cette tour. Huit à dix maisons, en face, ont été presque détruites, et une trentaine considérablement endommagées. La terreur qu'a inspirée cette malheureuse catastrophe, portera sans doute à exagérer le nombre des victimes qui, à la vérité, est très-grand. Sans pouvoir encore fixer le nombre des morts et blessés, on peut le porter à environ 150 à 180 personnes, parmi lesquelles se trouvent beaucoup d'enfants.

Après l'explosion, les pompes à incendie furent amenées, pour arrêter les progrès du feu, et l'empêcher de se communiquer à la grosse tour de la poudrière, qui contient actuellement environ 150 milliers de poudre. On travaille sans relâche à déblayer les décombres, et à enlever les cadavres qui se trouvent dessous. On a réussi à retirer vivant un ouvrier de l'atelier de réparation d'armes, la femme d'un lieutenant d'invalides et sa femme de confiance ; mais on n'a pas eu le même succès à l'égard du citoyen Poignant capitaine en second, commandant le détachement de la 2ème compagnie d'ouvriers, employé à l'arsenal. La République perd dans cet estimable officier un sujet précieux, et qui laisse une famille nombreuse, dont il était la seule ressource. On a aussi retiré trois autres personnes, et il en reste encore 25 à 30.

Le citoyen Letourneur, préfet du département, a mis à ma disposition et à celle du citoyen Robineau, chef du génie, une somme de 900 fr. pour continuer ce travail.

La malveillance n'a sans doute aucune part à ce malheureux événement, qu'on doit attribuer à la vétusté du plancher de la salle d'artifices. Toutes les portes et fenêtres étaient soigneusement fermées, et la voûte était très-solide. Mais au-dessous de la salle, il y avait une cave spacieuse, qui servait précédemment de cachot, et dans laquelle l'air ne circulait point librement, faute d'issues. Cette cave était très humide, se trouvant presque au niveau du fossé, où tout récemment encore, le débordement de la Loire avait fait séjourner de l'eau pendant plusieurs jours. Il est donc probable que cette humidité aura pourri les poutres qui, déjà surchargées d'environ 7.000 # de poudre en barils en cartouches, et d'à peu près 7.000 # boulets de 2 et de 4, tenant à leurs gargousses de même calibre, auront, en se brisant, produit l'écroulement du plancher. Le froissement des boulets contre les pierres aura fait jaillir quelques étincelles, qui auront suffi pour produire l'explosion.

Cette conjecture est d'autant plus vraisemblable, qu'à ce moment j'étais dans le bureau avec quatre employés de l'arsenal ; ayant entendu un bruit sourd, nous nous précipitâmes à la porte, pour en découvrir la cause, mais nous fumes repoussés par les décombres, qui venaient justement du côté où nous courions, et qui nous culbutèrent. Ce premier bruit, que nous avions entendu, était probablement l'écroulement du plancher ; l'intervalle qui se passa entre ce bruit et l'explosion me porta à le croire.

Je ne saurais trouver d'expression pour vous peindre l’empressement et le zèle qu'ont apportés les administrations, tant civiles que militaires, ainsi que les habitants de cette commune, pour sauver les victimes, et empêcher que cet accident n'ait des suites. Le corps des pompiers s'est particulièrement distingué, et continue nuit et jour son service, à mesure que l'on enlève des décombres ».

Quoi qu'il en soit, l'explosion du 5 prairial produisit à Nantes une véritable stupeur, et jamais, peut-être, aucun événement n'avait autant agité et troublé les esprits. Tout d'abord la frayeur fut telle que, dans les quartiers les plus éloignés du Château, ceux de la Fosse, des Boulevards, de Saint-Similien, on crut devoir chercher son salut à travers champs. Des personnes s'éloignèrent de Nantes de plusieurs lieues, et jusqu'à Carquefou.

Après cette première émotion, et lors même que tout danger avait disparu, longtemps encore une certaine terreur régna dans toute la ville. Le temps et surtout les grands événements militaires qui se déroulaient alors, purent seuls et peu à peu distraire l'attention d'un pareil souvenir.

Dans le récit que nous venons de faire, l'on a pu remarquer que la chapelle, le chapitre avaient été détruits par l'effet de l'explosion. Et cependant, depuis lors, quelques auteurs ont encore parlé de cette chapelle, et ont appliqué ce nom à une salle, du reste fort remarquable, qui existe au donjon de la tour aspectant la rue de Richebourg. C'était une erreur. La véritable chapelle du Château était contiguë à la tour des Espagnols ; elle disparut complètement en 1800, et il est positif que ce monument, auquel se rattachaient d'anciens et pieux souvenirs, n'existe plus aujourd'hui.

Terminons ce petit travail par quelques observations que seront approuvées, croyons-nous, et qui nous serviront de conclusion.

L'explosion de 1800 eut pour la ville de Nantes des résultats effrayants, résultats qui pouvaient encore devenir bien plus destructeurs, si, par une circonstance providentielle, la grande poudrière n'eût été conservée. On frémit, vraiment, à l'idée de ce qui fut arrivé, si cet immense dépôt de 200.000 milliers de poudre eût également pris feu.

Eh ! bien, lorsque le danger est ainsi connu, pourquoi persister à conserver au sein d'une populeuse cité un pareil agent de destruction ?

En 1818, la ville de Saint-Jean-d'Angely faillit également être complètement détruite par une semblable explosion. Le greloir des magasins à poudre s'enflamma ; 15.000 # de poudre s'y trouvaient, et l'on peut se faire une idée de ce qui dut en résulter.

On compta 70 morts et 260 blessés. Un quartier tout entier fut détruit de fond en comble, et toutes les maisons qui n'avaient pas été renversées étaient endommagées, inhabitables, et la plupart détachées de leurs fondements.

Nous le demandons, en présence de pareils événements, et ce ne sont pas les seuls que nous pourrions citer, la prudence, l'humanité même n'exigeraient-elles pas que des établissements de cette nature fussent portés dans des lieux assez écartés, pour qu'ils ne devinssent pas tout au moins une menace continuelle contre la vie et les intérêts de toute une population ?

Dès 1790, plusieurs quartiers de notre ville demandaient la démolition même du Château.

En 1800, à la suite de l'explosion, on réclama de la manière la plus énergique « que le magasin à poudre fût transféré dans le château d'Indret, ou dans tout autre lieu où il pût être à l'abri de toute surprise ou de tout danger. Le voeu unanime de tous les habitants, à cet égard, ne pouvait, pensait-on, manquer d'être exaucé par le gouvernement ».

Depuis lors, pareillement, bien des fois les organes légaux de la ville de Nantes ont renouvelé cette demande de l'éloignement de la poudrière. Mais, si, à certaines époques, on a pu entrevoir l'espérance de voir ce désir réalisé, les choses n'en sont pas moins jusqu'ici demeurées dans le même état.

Que l'on prenne au Château toutes les mesures que la prudence peut commander et suggérer, chacun, selon nous, doit en être convaincu. Mais, si sévères, si minutieuses qu'elles soient, ces précautions peuvent bien atténuer le danger, mais non le faire disparaître absolument. Dans un intérêt réel de sécurité pour notre ville, nous ne devons donc pas cesser de désirer et de réclamer que la poudrière soit éloignée du Château.

A cet égard, qu'il nous soit permis d'emprunter à Mellinet une citation, qui ne manque pas d'un certain intérêt, et qui se rattache d'une manière assez directe au sujet que nous traitons :

« Bien des projets, dit-il, ont eu lieu pour le Château ; mais, pour les réaliser, soit afin de conserver ce vieux monument, qu'on rendrait l'asile de tous les établissements municipaux, administrations, musées, salles de réunion, etc., en l'entourant de jardins pittoresques (et ce serait-là notre désir), soit en le faisant disparaître, pour y former un quartier neuf, selon le projet des utilitaires, encore faudrait-il qu'il appartint à la ville... Or, les archives de Nantes renferment un procès-verbal de vente du Château de Nantes, à la date du 24 décembre 1789, et une délibération municipale du 17 avril 1792, dans laquelle on lit : « que par un décret du 19 janvier 1791, sanctionné le 30 mars, même année, l'Assemblée nationale avait aliéné à la municipalité de Nantes, entre autres objets domaniers pour lesquels elle avait fait sa soumission, le Château de Nantes .... » Eh bien ! nonobstant cette aliénation, la municipalité, alors exclusivement préoccupée des affaires politiques, resta dans une inertie entière, relativement à la demande d'exécution du décret, et le Château demeura aux mains du gouvernement ».

Cette inertie de notre municipalité fut sans contredit bien regrettable : car, devenue à cette époque propriétaire du Château, la commune eût pu l'utiliser d'une manière bien profitable, soit aux intérêts, soit à l'embellissement de la ville.

Aujourd'hui (en 1857), il serait sans doute trop tard pour faire valoir les droits résultant du décret du 19 janvier 1791. Mais cependant, le projet d'acquérir le Château peut être repris, et ce ne serait pas, croyons-nous, une mauvaise pensée. Soit, comme semblait le désirer Mellinet, que l'on fit du Château le siège de l'administration et des institutions communales, soit que, au risque de blesser certaine passion archéologique, on disposât de ce bel emplacement pour en faire une promenade publique, ou qu'on le livrât à l'industrie, pour y construire un nouveau quartier ; on obtiendrait toujours un excellent résultat, celui d'éloigner enfin la poudrière du sein de la ville.

(M. Renoul, 1857).

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