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L'ARCHITECTE JEAN-BAPTISTE CEINERAY

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Jean Baptiste de Ceineray, architecte-voyer de la Ville de Nantes [Note : il succède à Nicolas Portail au poste d'architecte-voyer de la ville de Nantes, à partir de 1759], né à Paris en 1722 et décédé misérablement à Nantes en 1811 dans un immeuble du quai de la Fosse. On lui doit le Plan d'urbanisme en 1761, les plans des hôtels Deurbroucq et d'Aux, les plans des immeubles situés allées Brancas et Flesselles, du Port Maillard et de la place du Bouffay, la Chambre des Comptes de Bretagne, et de nombreuses autres réalisations.

Il séjourna cinq ans en Italie, puis fut correspondant de l'académie royal d'architecture en Bretagne.

L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 7 octobre 1759 laissait à l'Intendant du Roi en Bretagne le soin de choisir un architecte pour la reconstruction du nouveau palais de la Chambre.

Il ne s'agissait nullement de ne faire qu'une grande bâtisse assez vaste et assez solide pour abriter toutes les archives déjà recueillies et celles que les années apporteraient encore. On voulait donner à la construction nouvelle le caractère de beauté et de grandeur que des monuments publics construits aux frais de l'Etat, et pour des siècles, devraient toujours avoir.

Nantes avait encore à cette époque la bonne fortune de posséder un architecte de grand mérite : Jean-Baptiste Ceineray.

Epris de la beauté harmonieuse de l'architecture grecque, Ceineray s'en inspirait heureusement dans ses compositions. Il laissait volontiers ces ornementations excessives, ces sculptures un peu lourdes, ces balcons débordant dans les rues, sur des consoles énormes, et toutes les formes contournées et capricieuses cherchées alors par une architecture opulente qui montrait une grande puissance dans les détails, sans parvenir toujours à un ensemble d'un effet correspondant à tant d'efforts.

Quelques lignes lui suffisaient pour produire au loin, dans ses monuments, une impression de grandiose. L'hôtel de la Préfecture, l'hôtel de la Division Militaire, les hôtels du Cours Saint-André, l'hôtel Deurbroucq sur le quai de l'Ile Gloriette, les constructions des quais Brancas, Fleysselles, et du Port Maillard et de la place du Bouffay sont tous d'une superbe ordonnance. Ils se profilent sur les places, à l'extrémité des rues ou le long des quais avec une élégance de lignes admirable. Leurs frontons majestueux, leurs ailes aux proportions calculées d'une manière si harmonieuse les font vraiment régner dans les quartiers qu'ils embellissent.

Ne cherchez pas dans ses oeuvres cette profusion de beautés de détails dans lesquels se complaît une ornementation trop minutieuse. Ceineray les dédaigne, bien qu'il sache, quand il le veut, les employer. Mais il a le sentiment de ce qu'il faut pour l'embellissement d'une ville. Il sait que pour remplir agréablement pour la vue ces longs espaces que présentent les quais ou les places, de grandes lignes harmonieuses produiront au loin plus d'effet que des sculptures coûteuses dont le passant n'a pas toujours le loisir d'étudier les beautés. Il se préoccupe avant tout de l'effet d'ensemble. De là la raison de la sobriété des ornements dans son style. Mais, grâce à son art qui lui fait trouver en tout les proportions les plus justes, il manie les lignes, même les plus simples, avec une telle habileté qu'il en tire toujours l'effet le plus heureux et pour le monument en lui-même et pour le quartier où s'élève ce monument.

Tel était l'architecte auquel, par une inspiration qu'on ne saurait trop louer, fut confié le soin d'élever le nouveau palais de la Chambre des Comptes.

M. Gellée de Prémion, maire de Nantes, ne fut pas étranger à ce choix. Il avait vu Ceineray à l'oeuvre et éprouvait autant d'admiration pour son talent que pour sa probité. Même avant l'arrêt du 5 octobre 1759, par lequel le Conseil d'Etat abandonnait à l'Intendant de Bretagne le soin de choisir un architecte, le maire de Nantes avait déjà arrêté ce choix.

« J'ai chargé, écrivait M. Gellée de Prémion, le 22 juillet 1759, le sieur Ceineray, le plus habile de nos architectes, de faire des plans et devis estimatifs du nouvel édifice. Comme il doit être réfléchi, il ne pourra me les donner bien pro[chainement]. La plus grande difficulté à surmonter venant de [la dépense] à faire pour cette réédification, afin d'en connaître à peu [près] l'objet, j'ai demandé audit Ceineray où elle pouroit aller. Il croit que le moins sera de 200.000 livres et le plus de 300.000 » (Archives départementales, C. 490).

Ceineray se mit à l'oeuvre et présenta un premier plan au Bureau de la Chambre, le 31 décembre 1760. « La Chambre, semestres assemblés, nomma commissaires : Mrs. Proust doïen et François, conseillers maîtres du présent semestre, Mosnier et le Bonnetier, conseillers maîtres du semestre de mars, pour examiner ledit plan, et sur le raport qu'ils en feront à la Compagnie estre ordonné ce qu'il sera vu apartenir » (Archives départementales. Livre des Audiences, B. 671. p. 47).

L'examen d'un tel plan lui fut favorable, la Chambre sur le rapport de ses Commissaires, approuva « les plans et façades, parce que néantmoins les pannonceaux des armes de Sa Majesté et de la Province y seront apposés dans l'endroit le plus apparent dudit palais ».

La Chambre n'eût pas été bretonne, si elle eût oublié de faire placer à l'endroit le plus apparent du palais, les armes de la Province. Cette question des armoiries, nous le disons par ailleurs, excita aussi la susceptibilité des Etats de Bretagne. Nos vieilles assemblées provinciales gardaient avec un soin jaloux l'honneur de leur province, et ne manquaient jamais les occasions de protester contre les empiétements du pouvoir central qui tendait à leur enlever peu à peu jusqu'au souvenir de leur autonomie.

Ce premier plan approuvé par la Chambre ne fut pas exécuté. Une lettre que nous avons citée par ailleurs [Note : Lettre de l'Intendant du 15 janvier 1769] nous apprend qu'il fut « refondu » et, en août 1761, une lettre de Ceineray nous le montre occupé à cette refonte.

MONSIEUR, J'ay l'honneur de vous donner avis que je compte finire dans les premiers jours de la semaine prochaine, tous les plans, profils, élévations et les devis pour la construction du Palais de la Chambre des Comptes. Je vous prie de vouloir bien me marquer si je vous les enverrez ou si je les ferez passer en droiture à Monsieur le Duc d'Aiguillon, comme vous l'avez marqué à M. de la Tullaye.

Les obstacles que j'ai rencontrée en voulant placer cet édifice dans une autre position que celle qu'on lui avoit d'abord assignez m'ont obligé de revenire à cette première situation, qui d'ailleurs est la plus convenable tant pour la décoration de la ville que pour la commodité. J'ay obvié à la grande dépence qu'il eut falut faire pour établire les murs sur le roc, en prenant le party de piloter ; quoy que cette dépence soit assez considérable, il s'en faut de beaucoup qu'elle soit aussy grande que celle qu'occasioneroit les épuisemens d'eau qu'il faudroit faire pour fonder les murs sur le roc, lequel est 7 ou 8 pieds au dessous du lit de la rivière d'Erdre. Par ce que j'ay de calcul fait, j'entrevois que le montant de toute la dépense pourra aller à deux cents quatre vingt dix ou onze mille livres, compris le bâtiment détaché qu'il m'a falut faire pour le logement du garde d'archive, lequel doit estre logé par le Roy et qui ne peut l'estre dans le corps du palais. J'ay l'honneur d'estre avec respect, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur, CEINERAY. A Nantes ce 13 Aoust 1761 (Archives départementales, C. 490).

Il est de tradition que les plans doivent sommeiller quelque temps dans les cartons des administrations diverses. On les assimile parfois un peu trop aux livres dont Horace a dit : « laissez-les sous presse jusqu'à la neuvième année nonum premantur in annum ».

Serait-ce qu'un plan est une des choses qui gagnent à vieillir ? C'est en tous cas une question oiseuse. Les Bureaux qui gardent longtemps les plans qu'on leur confie ne l'ont jamais fait dans cette préoccupation.

Les plans de Ceineray échappèrent à cette tradition générale. Les formalités nécessaires, à leur acceptation ne se firent attendre que quelques mois ; et, dans sa séance du 3 juin 1762, la Chambre s'arrêta aux décisions suivantes :

La Chambre, semestres assemblés, vù l'arrêt du Conseil et lettres patentes sur icelui en datte du 22 mai 1762, concernant la réédification du palais de la Chambre y enregistrés en ce jour, et pour s'y conformer, a nommé M. de Becdelièvre, Premier Président, Mrs. les doyens de l'un et de l'autre semestre, MM. de Beaumont et le Bonnetier, conseillers maîtres du présent semestre, MM. de la Gourtière et de la Louayrie du semestre de septembre et Mr le procureur général, commissaires pour y vaquer sous les clauses qui leur ont été agréables et qui suivent.

ARTICLE PREMIER. - Sur la connaissance qu'a la Chambre des talents, de la capacité et probité du sieur Ceyneray, architecte de cette ville, qui a dressé les plans et devis dudit bâtiment, vus, vérifiés et approuvés par le Conseil qu'il remettra sous deux mois à la Chambre, l'a chargé de la conduite de cet édifice aux conditions qui suivent et auxquelles il sera obligé de se conformer sous peine de révocation ; la Chambre s'en réservant la liberté et d'en nommer un autre en son lieu et place, si elle n'en était pas satisfaite, auquel cas ledit sr. Ceyneray serait tenu de remettre à son successeur tous les dits plans et devis, sans pouvoir demander autres payements et honoraires que ceux qui lui seraient dus au jour où il cesserait de conduire ledit bâtiment.

ART. 2. — La Chambre après en avoir conféré avec Mr. le duc d'Aiguillon, commandant en chef dans cette province en l'absence du Gouverneur, a accordé au sr. Ceyneray la somme de 3.000 livres pour dresse et façons de tous les plans et devis estimatifs et de construction qu'il a faits et qu'il fera pour ledit bâtiment et 1.500 livres d'appointement par chacun an, et tant et si longtemps qu'il y vaquera, et en outre, quand il sera obligé de faire quelques voyages autorisés par les commissaires, pour achat de matériaux, il lui sera passé la somme de douze livres par chaque journée ; les dites sommes à prendre et non autrement sur les fonds qui seront remis au receveur des épices de la Chambre par le Trésorier des Etats et par le Receveur général des domaines et bois de la province.

ART. 3. — Le sieur Ceyneray à qui il sera fait lecture et donné communication du présent arrêté, s'obligera par une déclaration qu'il fera au greffe de la Chambre, d'exécuter en droit foy, tous les articles qui le concernent ; en conséquence de donner connaissance au Commissaire de semaine de la quantité d'ouvriers qu'il employera et de tous les marchés considérables qu'il fera concernant ledit bâtiment, qui seront chiffrés et approuvés par cinq Commissaires au moins ; sera tenu ledit sr. architecte de leur présenter tous les deux mois, son compte dont les articles de dépenses, seront soutenus de quittances ou états d'ouvriers, de mémoires soldés, de marchés approuvés, comme est dit ci-dessus, par lesdits Commissaires, et de toutes les pièces qui seront jugés nécessaires pour justifier desd. dépenses ; lesquels comptes et acquits seront déposés au coffre secret par les dits sieurs Commissaires, parce qu'aussi ledit sieur Ceyneray ne pourra faire aucun changement dans l'exécution desdits plans et devis sans leur approbation expresse et par écrit.

ART. 4. — L'un des Commissaires sera chaque semaine chargé spécialement de veiller à la dite direction avec la liberté de se substituer, de se transporter au moins une fois par jour sur les lieux, pour y prendre connaissance du nombre des ouvriers, l'état des matériaux et de tout ce qui a rapport audit batiment ; et il rassemblera les Commissaires au moins au nombre de cinq, toutes les fois qu'il le jugera convenable ou qu'il y aura quelque observation à faire ou quelque chose à décider.

ART. 5. — Comme par l'arrêt du Conseil du 22 mai dernier, il a été prévu qu'il pourrait être nécessaire dans l'exécution de faire quelque changement au plan dudit bâtiment, il est expressément convenu que lorsqu'il s'agira desdits changements ou qu'il se présentera des difficultés de quelque nature que ce soit, il en sera, par lesdits Commissaires, référé à la Chambre, pour en être donné avis à MM. les Commandant et Commissaire départy.

ART. 6. — Les Commissaires se pourvoiront vers MM. les Commandant et Commissaire départy pour obtenir des ordonnances tant sur le Trésorier des Etats que sur le Receveur général des domaines et bois, à fur et à mesure que les fonds deviendront nécessaires, toutesfois après avoir examiné les comptes du sr. Ceyneray de façon cependant qu'il ne soit point en avance observant de ne demander par chaque année que la somme de vingt mille livres sur chacun d'eux, conformément aux arrêts du Conseil du 26 décembre 1760 et du 22 mai dernier, et à la délibération des Etats du mois de novembre de la dite année 1760.

ART. 7. — La Chambre a arrêté de donner pour honoraires au Receveur des Epices nommé par l'arrêt du Conseil et lettres patentes ci-dessus, la somme de deux cents livres par chaque année de recette, et il ne pourra délivrer d'argent qu'en vertu d'ordonnance signée de cinq Commissaires au moins.

ART. 8. — La Chambre a approuvé les ventes des matériaux de démolition que le sr. Ceineray a fait, et l'autorise à celles qu'il pourra faire, en rendant un compte exact aux Commissaires dont il sera pareillement fait déport au coffre secret. Fait et arrêté en la Chambre lesdits jour et an 3 juillet 1762. Signé : H. DE BECDELIÈVRE.

Ces articles furent proposés à l'acceptation de Ceineray. Il vint le 14 août déclarer au Greffe de la Chambre qu'il « se soumettait à pur et à plain à leur exécution dans tout ce qui le concerne pour la conduite dudit bâtiment ».

Ceineray s'occupa pendant plusieurs années de la conduite de son entreprise sans rencontrer d'autres difficultés que celles que lui avait fait prévoir le choix du terrain. Tous les Commissaires de la Chambre chargés de la surveillance des travaux l'honoraient de leur considération. Les lettres diverses dans lesquelles il est question de sa personne, rendent hommage à sa probité et à son talent. Mais ce talent devait précisément exciter contre lui des rivalités professionnelles ; et il lui fallut chèrement payer l'honneur tardif de laisser son nom au quai sur lequel il a élevé l'un de ses chefs-d'oeuvre.

Dès 1775, percent des manoeuvres plus ou moins loyales pour lui enlever la conduite des travaux. Avec la Commission de la Chambre, on avait aussi chargé une Commission intermédiaire de surveiller ces travaux au nom des Etats. Deux commissions chargées d'un même objet ne s'entendent pas toujours. Chacune, dans son indépendance, va de son côté sans s'occuper de l'autre, et les oeuvres auxquelles elles sont attelées, loin d'avancer, courent souvent risque de verser dans le fossé pour y rester jusqu'au moment où elles ne seront plus confiées qu'à une seule direction.

La. Commission intermédiaire avait en vue un autre architecte, tandis que la Commission de la Chambre voulait conserver Ceineray. On en vint même jusqu'à essayer d'arracher ses plans à l'architecte malade qui n'avait pourtant pas démérité. Ceineray refusa de les donner. Dans un billet du 11 septembre 1775, il déclare qu'il ne les délivrera qu'avec l'autorisation de la Commission de la Chambre. Grand émoi de la part de la Commission intermédiaire irritée de ce juste refus. L'affaire est portée en haut lieu. La Commission de la Chambre prend fait et cause pour son architecte ; elle écrit qu'elle ne pense pas pouvoir « le renvoyer sans raison et que certainement il y aurait une injustice marquée et un vernis déshonorant sur sa personne et sa conduite ». Enfin grâce à l'appui qu'il trouve dans cette circonstance, Ceineray sort triomphant de ce premier assaut (Archives départementales, C. 491).

Il en était à peine remis qu'il lui fallut en supporter un autre, au sujet de l'escalier monumental, la principale beauté du palais de la Chambre.

Le premier auteur de toutes les tracasseries dont il eut à souffrir de 1778 à 1781, était Hénon, dessinateur bien connu par les vues anciennes qu'il nous a laissées de Nantes. Ce que nous avons à en dire ne fera guère honneur à son caractère : il est regrettable, pour sa mémoire, qu'il ait montré qu'un habile dessinateur peut6être parfois l'auteur de mauvais desseins.

Hénon avait conçu un projet de grand escalier qu'il jugeait, naturellement, supérieur à celui de Ceineray. N'ayant pu le faire accepter par la Commission de la Chambre, il cherchait à le faire accepter par les Etats. En attendant, il avait l'oeil constamment fixé sur celui que Ceineray faisait construire. Son observation continue lui fit un jour découvrir dans cet escalier une poutre cassée. Vite dans une lettre du 26 décembre 1778, il révéla le fait aux Etats, en signalant les efforts de son rival pour masquer les traces de sa construction défectueuse. Il envoie lettres sur lettres, requêtes sur requêtes : sa copie manuscrite ne lui suffit bientôt plus pour faire connaître les défauts qu'il trouve dans le projet qu'on a préféré au sien : il a recours à l'imprimerie. Il fait ses observations dans un premier mémoire, puis en 1780 dans un second ; bientôt toute la ville peut lire les « Nouvelles réflexions sur l'escalier commencé à construire au Palais de la Chambre des Comptes, à Nantes, de l'imprimerie de P. J. Brun, 1780 ». Il en appelle au témoignage du célèbre Perronnet qui avait visité l'escalier de Ceineray le 25 juin 1778, fait nommer une commission d'experts pour examiner si la plate-bande du premier palier n'a pas fléchi, met tout en œuvre pour humilier Ceineray qui dans une contre-expertise met à néant les allégations des premiers experts.

Il n'est pas de notre compétence de juger si les modifications proposées par Hénon étaient heureuses. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que la conduite du dessinateur fut sévèrement jugée par des hommes dont l'amitié était un honneur et un bienfait pour Ceineray. La lettre suivante, avec ses expressions un peu crues, montre en quels sentiments M. Gellée de Prémion, maire de Nantes, avait notre architecte et son détracteur.

Nantes 15 mai 1779. Il me semble, Monsieur, qu'on ait resollu d'assassiner le pauvre Ceineray qui le premier a donné à Nantes le goût de la belle architecture. Sa santé faible de naissance, délabrée depuis 7 ans au point de menacer d'une ruine prochaine, est encore attaquée par cette troupe de polissons qui se prétendent aussi habiles que lui et qui ne sont pas dignes d'être ses dessinateurs. Vous vous rappelez qu'un barbouilleur nommé Hénon qui n'a pas fait une étable qui ne sait pas lever un plan de 100 toises, envoïa pendant les Etats derniers 5 à 6 plans du grand escallier de la Chambre des Comptes imaginé par lui avec un verbiage immense pour prouver que ce projet etoit preferable à celui de M. Ceineray. Il attaquait aussi une tablette vue par M. Perronnet et que cet ingénieur avoit jugé devoir être mise en expérience pour prononcer sur sa solidité. Les Etats mépriseront cette critique et renvoyerent au bureau de la Commission intermédiaire de Nantes l'examen du procès-verbal rapporté par trois pretendus experts sur cette tablette. Ils disoient qu'elle avoit baissé sur son milieu. Le contraire fut reconnu évidemment par tous ceux qui la virent et par un habile architecte étranger qui passa ici. La cabale enragée vient de faire un nouvel effort contre cet honnête homme ; les mêmes plans les memes fausses réclamations ont été envoiées au ministre. C'est pousser l'arrogance et la fausseté au dernier point. Outre la secousse facheuse qui peut éteindre un sujet aussi estimable que M. Ceineray, ce bâtiment de la Chambre commencé il y a 20 ans ne finit point, ne sert point à cette compagnie ; ce qui occasionne de la dépense en loïers pour la loger en attendant, et, qui bien pis est, ce qui peut occasionner l'entier deperissement et peut-être l'incendie des archives de la Province qui sont depuis cette époque dans un magasin tres combustible où elles pourrissent. M. l'Intendant est sollicité depuis deux mois par la Commission intermédiaire de terminer cette dernière difficulté et l'achevement de ce palais. Peut-être va-t-il être arrêté encore par ce dernier assaut de l'ignorance à la vertu. Si l'on a encore des doutes, il faudra des architectes de l'Académie pour les lever. Nouvelles longueurs, nouvelles dépenses. Ainsi, Monsieur, vous rendrez un grand service à votre patrie, à toute la Province, en obtenant de M. de la Bove, comme il le peut d'un mot, de terminer ce ridicule procès par une ordonnance conforme à l'avis de la Commission ; ou s'il veut une nouvelle vérification, il n'y a ici qu'un seul homme neutre et habile qui puisse en être chargé le sieur Crucy, architecte que vous connaissez. Je devrais aussi demander qu'on punit Hénon et ses méprisables adhérants, s'il y avait des loix contre cette infamie. C'est le pendant de celle du Présidial contre M. de Beaumont et moi. Adieu, Monsieur, vous connaissez toute l'étendue et l'énergie de mes sentiments pour vous. PREMION.

Cette lettre était adressée à Cacault alors à Paris. Chargé de la faire parvenir à l'Intendant de Bretagne, qui était alors Gaspard Louis Case baron de la Bove, il l'accompagna d'un billet dans lequel, pour la vivacité des expressions, il renchérit encore sur celle du maire de Nantes. Lisons plutôt ce billet. Hénon y est exécuté de main de maître pour la seconde fois.

« Cacault a l'honneur d'assurer monsieur de la Bove de son respect, et de lui envoyer une lettre qu'il vient de recevoir de M. Premion. M. L'Intendant trouvera dans cette lettre des représentations fort justes. Cacault connaît fort bien Hénon. C'est un sot et un ignorant, il a vu ses plans et mémoires au sujet de la Chambre des Comptes à Rennes, il n'y a pas de raison, il est vraiment fâcheux qu'un pareil bousillage arrête une besogne intéressante. Paris, ce 19 mai 1779 (Archives départementales, C. 492).

Avec les approbations de M. de Prémion, de Crucy, de Cacault, l'architecte humilié par ses adversaires pouvait se passer de leurs approbations.

Ajoutons qu'Hénon avec ses productions encombrantes ne réussit qu'à ennuyer les Etats. Nous trouvons dans une lettre des Commissaires des Etats une critique non seulement du fond de ses requêtes, mais encore de la forme qu'il leur donnait. « La manière dont cette requête est conçue, dit une lettre du 8 janvier 1779, ne prouverait pas les talents littéraires du sieur Hénon ». Nous citerons ailleurs une lettre d'Hénon qui mettra le lecteur à même de vérifier la justesse de cette appréciation.

Humilié dans son amour-propre, Ceineray eut à connaître encore des souffrances d'une autre nature. Les lettres que nous avons transcrites nous ont appris qu'il travaillait surtout pour l'art, pour l'honneur. Mais l'art et l'honneur sont d'un faible secours dans la lutte pour la vie. La cigale est bien imprudente de chanter quand sa nourriture de chaque jour n'est pas assurée.

Ça toujours été un peu le défaut des artistes. Dans leur poursuite de l'idéal, ils relèguent les préoccupations matérielles au dernier plan. Heureux quand leur situation de fortune les met à même de se laisser aller à toutes leurs rêveries ; mais quand ils ne tirent leur pain que péniblement du travail de chaque jour, arrive un moment où ils auront à souffrir de privations cruelles que d'autres, moins bien doués qu'eux sous le rapport de l'intelligence, ne connaîtront jamais. Ceineray eut aussi à lutter contre ces difficultés de l'existence. Ses plans du palais de la Chambre lui avaient été payés 3.000 livres ; ses honoraires d'architecte avaient été fixés à 2.000 livres par an. Il travailla sous ce régime jusqu'au 27 septembre 1775 : à partir de cette date, il fut convenu que, sur tous les travaux qui restaient à faire, on lui donnerait tant du cent.

En 1781, il voulut toucher ses honoraires. Il s'attendait à à recevoir 18 deniers par livre. Le subdélégué de l'Intendant trouva cette demande exagérée. « M. le premier Président, M. le Procureur général, et M. le marquis de Becdelièvre, écrivait-il, le 29 mai 1781, jugent qu'il sera très bien payé en lui accordant le vingtième, et je pense comme eux : le sieur Ceineray s'étant très peu occupé de cet ouvrage et ayant d'ailleurs été logé gratuitement jusqu'à l'année dernière » (Archives départementales, C. 494).

Ceineray qui comptait recevoir une somme de 9.000 livres, la voyait réduite d'un tiers, puisqu'au lieu des 18 deniers qu'il espérait par livre on ne lui en donnait qu'un sol. Ce fut pour lui une déception cruelle. Sous l'impression de ce sentiment, il écrivit en ces termes à l'Intendant.

C'est avec la plus vive douleur, Monseigneur que [je] vient d'apprendre que mes honoraires pour les plan, coupes, profils, devis de construction, d'estimation et conduite des ouvrages pendant 6 ans et 2 mois, sont réglés à 6.074 livres, ce qui ne fait que le sol pour livre de la dépense... Permeté moi, Monseigneur, de mettre icy sous vos yeux le tableau de ma situation, après avoir remplis 24 ans la place d'architecte de la ville ; ma mauvaise santé, jointe à la perte presque total de la vue, j'ai été obligé il y a trois ans et demye d'abbandonner presque toute les affaires et de me retirer à la campagne ; ma fortune ne consistant que dans 900 livres de rente, il ne m'étoit pas possible de vivre à la ville, je fondois toutes mes espérances sur ce qu'il me reviendroit de la conduite des ouvrages de la Chambre des Comptes, et sur les 100 pistoles que les officiers municipaux me promirent pour ma retraite ; depuis trois ans et demi, je n'ai encore rien touché, ce qui m'a considérablement endetté. Je viens, pour satisfaire quelques uns de mes créanciers, d'envoyer à Paris un contrat sur le Roy portant 300 livres d'interest, pour le fondre en argent. Le banquier que j'en ai chargé m'a marqué n'en pouvoir retirer que 3.400 livres : me voila donc réduit à 600 livres de rente, et toutes mes dettes ne sont pas acquittées. J'ai recours à vous, Monseigneur, je réclame vos bontés et votre justice. J'ai l'honneur d'estre avec un profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur. CEINERAY. Nantes, le 28 Octobre 1783 (Archives départementales, C. 494).

Avec cette lettre, le 19 février 1784, il adresse encore à l'intendant une supplique dans laquelle il rappelle qu'il était d'usage d'accorder aux architectes, pour les édifices particuliers, 2 sols par livre, et que ce qu'on lui offrait mettait ses journées au prix de celle d'un appareilleur.

Mais toutes ces démarches restèrent inutiles. Dans une lettre du 4 mai 1784, les commissaires des Etats répondirent : « nous pensons comme nos codéputés de l'évêché de Nantes que ses honoraires ne peuvent être augmenter ; nous sommes en conséquence d'avis que le S. Ceineray soit débouté de sa demande à ce sujet, et qu'il soit payé sur les fonds à ce destinés, seulement de la somme de 2.104 livres 18 sols 6 deniers, qui lui est due de reste de celle de 6.074 livres 18 sols 6 deniers, à laquelle monte le sol pour livre de la somme de 121.498 livres 10 sols 8 deniers, qui est le prix des ouvrages exécutés sous la conduite de cet architecte » ; et ce fut en effet de ces 2.104 livres seulement qu'il fut payé le 15 mai.

Nous n'avons pas les éléments suffisants pour juger la conduite de la commission de la Chambre et de celle des Etats dans cette circonstance. L'honorabilité de ceux qui composaient ces commissions doit nous faire croire qu'ils observèrent les lois de la justice. Mais la lettre de Ceineray est si navrante que l'on regrette qu'ils n'aient pas cédé aux inspirations de la bonté (G. Durville). 

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