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L'AUMÔNERIE DE TOUSSAINTS DE NANTES

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Les aumôneries dont j'ai parlé par ailleurs paraissent avoir été plus particulièrement les œuvres du clergé. Celle dont il me reste à retracer l'histoire est due à l'initiative d'un duc de Bretagne. Avant le XIVème siècle, les princes de ce pays avaient encouragé de leurs faveurs les bienfaiteurs des pauvres, mais aucun d'eux n'avait attaché son nom à la fondation d'une maison de charité. Charles de Blois est le premier duc qui ait tenu à honneur de laisser à Nantes un édifice dû à sa générosité. Par acte du 27 avril 1362, il fonda, de concert avec son épouse Jeanne de Penthièvre, sur la chaussée des ponts de Nantes, l'aumônerie qui, pendant trois siècles, a porté le nom de Toussaints.

Le duc n'ayant à sa disposition qu'un terrain peu étendu, acheta la propriété du taillandier Jeannot Garnier, sise à l'extrémité sud de la rue Grande-Biesse, et confia au chapelain Pierre Eon le soin de faire édifier les bâtiments (Série II, Arch. départ.). L'exécution des intentions de Charles de Blois ne traîna pas en longueur, car, en 1365, l'installation de l'établissement était terminée. La chapelle et le cimetière furent bénis, le 11 mai 1367, par Simon de Langres, évêque de Nantes. Yves Lucas, pour subvenir à l'entretien et à l'existence du chapelain desservant, lui constitua, le 31 janvier 1365, un petit patrimoine en rentes foncières, en stipulant que ce temporel serait toujours distinct de celui des pauvres.

Quel genre de misère le fondateur de Toussaints s'était-il proposé de soulager ? L'emplacement qu'il a choisi loin de la ville, sur une chaussée très-fréquentée, suffit à indiquer qu'il n'a point pensé aux malheureux de Nantes. Suivant les désirs de Charles de Blois, l'aumônerie des ponts devait être principalement réservée aux pèlerins, c'est-à-dire aux étrangers. Le fait est bien clairement consigné dans un aveu rendu au roi en 1629, dont voici les termes (F. de la Chambre des Comptes. Arch. de la Loire-Inférieure) : L'aumônerie se compose « d'une église avec cimetière, hôpital et Hôtel-Dieu pour loger et héberger les pèlerins de Saint-Jacques en Galice et de Saint-Meen, allans et retournans de leur voyage ».

Pour juger de l'importance de la création due à l'initiative de Charles de Blois, il faut se rendre exactement compte de la place que les pèlerinages occupaient dans le jeu de nos institutions sociales au Moyen-Age. Les grands chemins étaient, à cette époque, en mauvais état et offraient peu de sécurité ; cependant ils étaient encombrés sans cesse de voyageurs. Tous les jours on voyait passer à pied des bandes de pèlerins qui parcouraient des distances de plusieurs centaines de lieues, sans compter les périls, les obstacles et les fatigues, soit pour accomplir un vœu, pour obtenir la faveur d'une guérison ou satisfaire leur piéta, soit pour expier un crime ou une faute. Ils partaient munis seulement d'un bourdon et d'une escarcelle, sans s'inquiéter des nécessités du voyage, car ils savaient que la charité publique avait dans chaque lieu pourvu à tous les besoins du pèlerin.

Il n'est pas d'époque où l'on ait plus voyagé. Riches et pauvres, gens d'église et laïcs, princes et sujets se faisaient pèlerins. On sait que la distance qui sépare la France de la Palestine ne fut pas un obstacle aux grandes migrations des croisades. Des milliers de pèlerins, poussés par le désir de visiter les saints lieux ou le tombeau des apôtres, partaient pour Rome et l'Orient. Les évêques étaient tenus de faire, dans le cours de leur carrière, au moins une visite ad limina apostolorum, quel que fût l'éloignement de leur diocèse, et les ducs de Bretagne, comme chefs d'une province soumise à l'autorité du Saint-Siège, étaient tenus d'aller prêter hommage au Pape. Ils n'étaient dispensés de ce devoir qu'en cas d'impossibilité absolue.

J'ai dit que certains pèlerinages s'accomplissaient comme des châtiments. Les preuves de ce fait abondent. Ceux de Rome, de Saint-Jacques de Compostelle et du Mont-Saint-Michel étaient ordinairement imposés comme expiation des fautes commises contre les lois divines ou humaines. Je me rappelle avoir vu, dans les Archives de la Mayenne, qu'un voleur fut condamné, au XVème siècle, à perdre une oreille. Ses amis ayant sollicité une commutation de peine, le juge lui infligea le pèlerinage du Mont-Saint-Michel. Si son crime avait été plus grand, on l'aurait sans doute envoyé en Galice (Série E. Titres de la juridiction de Longuefuie).

Pour ceux qui savent avec quelle rigueur les confesseurs traitaient leurs pénitents au Moyen-Age, il n'est pas douteux que les voyages lointains aient été au nombre des peines expiatoires imposées par l'église ; il est même avéré que cette loi était maintenue envers ceux qui étaient incapables de l'exécuter, mais, dans ce cas, le pénitent avait la liberté de se faire remplacer. Le chanoine de Nantes, Pierre Dorenge, dans ses dispositions testamentaires rédigées en 1394 [Note : Item volo et ordino quod de et super bonis meis unus pauper homo mittatur ad sanctum Jacobum in Galicia nomine meo meis sumptibus et expensis et sibi tradatur unum francum auri pro oblatione pro me per eum facienda, etc. Item ad sanctum Michaelem in monte unus alius homo mittatur qui ibidem offeret quinque solidos. (Archives de l'aumônerie de Saint-Clément, série H, Archives départementales)], ordonne qu'on envoie à ses frais deux pauvres en pèlerinage, l'un à Saint-Jacques de Galice qui offrira un franc d'or en son nom, et un autre au Mont-Saint-Michel qui déposera une offrande de cinq sous.

Ce système pénal étant admis par la société civile et la société religieuse, aussi bien en France qu'à l'étranger, il ne faut donc pas s'étonner que l'Europe se soit couverte d'aumôneries spécialement destinées aux pèlerins.

Dans la cassette de l'amirauté de Bretagne (Trésor des chartes des ducs de Bretagne, E. 202) il existe un acte de 1456 que j'invoquerai volontiers. Un navire anglais ayant été dépouillé par des Bretons en pleine mer, le duc instruit de cet acte de piraterie le blâma et offrit une réparation. Dans la quittance qui fut délivrée par le capitaine anglais après la restitution des objets pris, il est bien indiqué que le navire était chargé de pèlerins à destination de Saint-Jacques de Compostelle. En établissant sur la grande route de Rennes à Bordeaux une aumônerie pour les pèlerins de Saint-Jacques, Charles de Blois atteste donc que la coutume des voyages lointains était répandue en Bretagne comme dans les autres provinces.

La Bretagne, elle aussi, possédait dans l'évêché de Saint-Malo, un sanctuaire qui attirait chez elle de nombreux étrangers ; c'était la chapelle du monastère de Saint-Méen, fondée au VIIème siècle. Dans le voisinage existait une source d'eau minérale qui passait pour avoir de grandes vertus curatives quand on en usait en invoquant Saint-Méen. Ses effets bienfaisants se manifestaient principalement sur les personnes atteintes de la lèpre blanche ou de la gale. Les maladies de peau étant très-communes au Moyen-Age, cette fontaine conquit en peu de temps une grande célébrité, si bien que son nom servit à désigner le mal qu'elle guérissait. La lèpre ne fut bientôt plus connue que sous le nom de mal de Saint-Méen. Ceux qui entreprenaient ce pèlerinage ne revenaient pas toujours guéris chez eux, plus d'un succombait en route ou dans les aumôneries. Les registres des décès de Toussaints font assez souvent mention de pèlerins morts au retour du voyage de Saint-Méen.

L'aumônerie de Toussaints n'était pas uniquenfent réservée, comme on l'a dit, au traitement des maladies de peau : elle hébergeait aussi les voyageurs qui n'avaient pas les ressources nécessaires pour aller dans les hôtelleries, et les mendiants si nombreux, qui quêtaient alors leur subsistance le long des routes. Dans un procès-verbal de 1442, il est dit que les pauvres « qui chascun jour affluent et sourviennent audit hospital pour prendre leur logeis et recréation y sont bien et honestement reçus, herbregés, repeus et pensés ». Je ne sais si le régime alimentaire était substantiel, mais le luxe redondant de cette naïve phraséologie ferait croire qtie les tables étaient abondamment servies. Dans les temps de guerre, l'aumônier était obligé de se montrer aussi généreux envers les compagnies de mercenaires qu'on laissait si souvent sans solde et sans pain au XIVème et au XVème siècle. Des lettres du duc de Bretagne Jean V (F. de Toussaints, série H. - Archives départementales) attestent que l'aumônerie de Toussaints avait amoindri ses revenus en donnant l'hospitalité aux gens d'armes.

On se tromperait si l'on concluait de ce qui précède que les habitants de Nantes n'ont tiré aucun profit de cette maison. Dans les temps de famine si fréquents au Moyen-Age, elle déchargeait la ville de toute la population indigente de Saint-Sébastien et des ponts. Elle rendait les mêmes services lorsqu'en temps de peste la place venait à manquer à l'Hôtel-Dieu. Les registres de décès renferment, çà et là des mentions de pauvres morts de la contagion [Note : Registres de l'aumônerie de Toussaints déposés au bureau de l'état-civil. (Mairie de Nantes)]. Au chapitre de l'aumônerie de Saint-Clément nous avons vu qu'au XVIème siècle l'aumônerie de Toussaints fut désignée pour recevoir les pensionnaires de cet établissement lorsque le chapitre en fit l'abandon à la ville. A la même époque, en vertu d'un arrété du conseil des bourgeois qui ne croyait pas déroger au but primitif de son institution, elle devint un hôpital spécial pour les maladies de peau.

Aucun document ne relate dans quelles circonstances elle reçut ce surcroît de charges ; cependant j'incline à croire que cette destination lui fut assignée peu après la suppression de l'aumônerie de Saint-Clément qui, elle aussi, paraît avoir été occupée de la même manière, vers la fin de son existence. Les défenses portées à l'article 8 de l'ordonnance de police de 1568 (Voir l'administration de l'Hôtel-Dieu), prouvent qu’à cette date Toussaints passait pour l'hôpital naturel des galeux, des teigneux et des vérolés, et que ces malheureux n'avaient pas d'autre asile. L'Hôtel-Dieu ne reprit le traitement du mal de Naples qu'en 1570 [Note : Registres des délibérations de la mairie, séance du 30 octobre 1570. (Archives de la ville)]. Le gouvernement de Toussaints était organisé tout différemment de celui de Notre-Dame hors les murs ; il ne reposait pas sur un seul homme, mais sur une association charitable, qui en réglait les dispositions et l'économie (Série H. No 6. -Archives de l'Hôtel-Dieu). En fondant la maison de Toussaints, Charles de Blois avait en même temps institué, pour en assurer l'existence, une confrérie dont la mission était de pourvoir aux nécessités des pauvres et d'augmenter leurs revenus. Ces associés étaient autant de protecteurs qui, en prenant l'engagement d'exercer la charité en commun, donnaient à l'œuvre entreprise une garantie de prospérité. Cette confrérie se composait de frères et de sœurs et se recrutait dans toutes les classes de la société. En raison des illustres personnages qui s'étaient fait inscrire sur ses listes, on ne la nommait jamais autrement que la noble confrérie de Toussaints. Un acte de 1422 porte qu'elle est « moult solempne et notable ».

Quiconque voulait être admis dans ses rangs était tenu de faire une offrande ordinairement fixée à 2 livres. Le duc de Bretagne, Jean V. (F. de l'aumônerie, série H. - Archives départementales), sollicita l'honneur d'être l'un des confrères et paya sa dette d'entrée en concédant à l'aumônerie une voie d'eau dans la boire de Toussaints avec la permission d'élever un moulin.

L'aumônier de Toussaints ne jouissait pas d'attributions aussi étendues que celui de Saint-Clément, la congregation des frères et sœurs ne lui accordait qu'une confiance limitée. Ce mandataire vivait dans une dépendance assez étroite qui l'obligeait, dans une foule d'occasions, à conférer de son administration avec les prévôts de Toussaints. Il était élu à la pluralité des voix dans l'assemblée générale des membres de la confrérie et si sa gestion ou sa conduite était repréhensible, ceux-ci pouvaient le révoquer sans que l'évêque, qui lui donnait pourtant l'investiture, pût s'y opposer.

En prenant possession de sa charge, il était obligé par les statuts de faire donation de tous ses biens meubles à l'aumônerie et de verser cent livres pour contribuer aux réparations de l'hôpital, du cimetière et des jardins. Quand ces frais d'entretien matériel dépassaient cent livres, l'excédant était supporté de moitié par lui et par les confrères.

Le bien des pauvres et celui de sa chapellenie formaient deux domaines bien distincts. L'aumônier ne jouissait que des revenus explicitement donnés pour la célébration des messes, des saluts et des autres fondations pieuses.

Son ministère se bornait ordinairement à administrer les sacrements, à surveiller l'ordre intérieur de la maison et à distribuer une partie des aumônes. Il avait à sa disposition deux tonneaux de seigle et un de froment mais sa répartition aux indigents devait s'arrêter là.

Les véritables gouverneurs de l'aumônerie étaient les deux prévôts désignés par le chapitre de la confrérie. C'est à ces délégués qu'appartenait le droit d'affermer les biens, de les aliéner, de changer l'hypothèque des rentes, de faire la recette des revenus et d'exécuter les décisions. Ils rendaient compte de leur gestion devant l'assemblée des confrères qui gardait dans tous les cas la surintendance.

Chaque pouvoir avait ainsi ses attributions bien arrêtées dans l'administration de Toussaints et le contrôle que régnait dans tous les partis rendait, impossibles les malversations. J'insiste à dessein sur le rôle prédominant qu'exerça dès l'origine l'élément laïc, c'est, un fait particulier dont l'histoire des hôpitaux offre peu d'exemple. Cette organisation était fondée sur des principes si sages, qu'elle n'eut aucune transformation à subir au XVIème siècle lorsque parut l'édit de sécularisation. Les statuts de l'aumôneie furent, confirmés sous François Ier par arrêté du Conseil du 14 décembre 1532 et sous Henri IV par lettres du mois d'avril 1598 dont la teneur suit :

Henry par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre à tous présents et advenir salut. Nos prédécesseurs ducs de Bretaigne poussez du zèle et de l'affection qu'ils ont toujours eue au bien de l’Eglise, entretenement et nourriture des pauvres ont fondé plusieurs aulmôneries et frairies, entre aultres celle de Toussainctz lez nostre ville de Nantes, au régime et gouvernement de laquelle ils ont commis par chacun an deux hommes laiz pour tenir compte des fruits et revenuz d'icelle aux frères de la dite frairye, et ung prestre lequel est esleu et choisy par les dictz frères et destitué à leur volonté, suivant laquelle fondation les dicts frères ont tousjours esté maintenus et conservez en leurs dictz previlèges, receu les comptes des dictz gouverneurs et prévotz et Choisy leurs prestre et aulmonier quelques édictz et ordonnances que nos prédécesseurs ayent faictes au contraire pour le général des hospitaux et maladeryes, mesmes ont esté confirmez et entretenuz par arrest du Conseil du feu roy François premier nostre ayeul de très-bonne et louable mémoire, en du XIVème décembre 1532, et se sont gouvernez en la manière susdicte jusques à présant nonobstant les empechementz qu'on leur auroit voulu donner au contraire, pendant les présents troubles estan dépourveuz de leurs lettres et pour ce qu'ils craignent que sur la forme dudict gouvernement et administration l'on leur voulust donner quelques empechementz à l'advenir désirent avoir noz lettres de confirmation tant des dictes fondations anciennes et privileges que du dict arrest, desquelles ilz nous ont supplié humblement et requis leur octroyer. Savoir faisons que désirans nous conformer à la bonne et saincte volonté de nos prédécesseurs, spéciallement en ce qui concerne le bien d'Eglise et service divin, avons ausdictz prévost et frères de la dicte fraerye continué et confirmé, continuons et confirmons par ces présentes signées de nostre main les statutz et règlementz concernans le gouvernement et administration de la dicte frairye de Toussainctz lez nostre ville de Nantes et de ce qui en despend, fondation et lettres de nos prédécesseurs ducs de Bretagne et arrest de nostre ayeul le roy Francoys, pour estre suivis, gardez et observez inviolablement de poinct en poinct selon leur forme et teneur et en jouir par le prévost et frères de la dicte frairye de Toussaints les Nantes tout ainsin qu'ilz en ont cydevant bien et deuement jouy et usé jouissent et usent de présent. Sy donnons en mandement à noz amez et féaux conseillers les gens tenans nostre court de Parlement à Rennes, seneschal de Nantes ou son lieutenant et tous autres noz juges et officiers qu'il appartiendra que de noz présent confirmation et de tout le contenu cy-dessus ilz facent, laissent et souffrent les ditctz prévost et frères de la dicte frairye jouir et user pleinement et paisiblement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchementz au contraire, nonobstantz quelzconques jugementz, arrestz, édictz et ordonnances et lettres à ce contraires, à quoy nous avons dérogé et dérogeons, car tel est nostre plaisir, et affin que ce soit chose ferme et stable à tousjours nous avons faict mettre nostre scel à ces dictes présantes, sauf en autres choses nostre droict et l'aultruy en toutes. Donné à Angers ou moys d'apvril l'an de grâce mil cincq centz quattre vingt dix huict et de nostre règne le neuffiesme, ainsin signé Henry et sur le reply — par le roy Potier (Greffe de la Cour de Rennes. Reg. du Parlement).

Si la noble confrérie de Toussaints se trouva deux fois dans la nécessité de solliciter des lettres de confirmation de l'autorité royale, c'est qu'elle eut de fortes luttes à soutenir pour la conservation de ses prérogatives. Après la promulgation de l'édit de sécularisation, le Conseil des bourgeois essaya de la dépouiller du contrôle qu'elle exerçait sur la direction de son hôpital et de lui enlever l'administration des revenus en les réunissant au patrimoine de l'Hôtel-Dieu. Plus tard, les magistrats de la Mairie renouvelèrent les mêmes tentatives, mais elle sortit victorieuse de toutes ces difficultés et garda toujours le droit de gouverner la maison qu'elle avait prise sous son patronage. Elle ne parvint pas cependant à sauvegarder son indépendance. Comme ses ressources ne répondaient pas aux nécessités impérieuses du temps, elle se vit obligée d'accepter les subventions municipales, et dès-lors son aumônerie fut transformée en succursale de l'Hôtel-Dieu. Les prévôts devinrent les distributeurs des charités publiques et les subordonnés des surintendants de la police des pauvres. Par le règlement de 1568, il leur était prescrit d'accepter les malades et indigents qu'il plairait à ceux-ci d'envoyer à Toussaints et de rendre chaque semaine des comptes de situation au bureau central, afin que les secours accordés fussent en rapport avec la population de chaque hôpital et que les directeurs fussent instruits de toutes les places vacantes (Voir l'administration de l'Hôtel-Dieu).

Aux époques précédentes, l'aumônerie de Toussaints ne s'était pas toujours passée de l'assistance des bourgeois, elle avait accepte leurs deniers quand les malheurs publics avaient amené des misères exceptionnelles. Son fonds de dotation n'était pas assez considérable pour parer à toutes les éventualités. D'après une déclaration de temporel faite en 1554, l'ensemble des revenus produisait une recette de 130 livres tournois de rente et les immeubles figuraient seulement pour un chiffre de 30 livres dans ce total : c'est dire que la maison vivait en grande partie sur les quêtes périodiques qui se faisaient aux assembièes générales de la confrérie (Titre de l'évêché, série G. Archives départementales). Au siècle suivant, le patrimoine n'avait pas sensiblement augmenté. Un aveu de 1629 constate qu'il se composait à cette date de la moitié du revenu du moulin donné par Jean V, de la pêcherie du dessous, de divers jardins, de la tenue de la Bouhourdière, en Saint-Similien, de prés, sis en Biesse, en l’île de la Madeleine et en Bouguenais, de droits de pêche en Loire, d'une rente de vingt boisseaux de blé et de rentes foncières montant à 105 livres par an. Le tout réuni pouvait donner un total de 150 livres environ chaque année (Chambre des Comptes de Bretagne).

Lorsque le nouvel Hôtel-Dieu fut terminé sur la prairie de la Belle-Croix, l'aumônerie de Toussaints n'était plus regardée comme un asile assez bien installé pour recueillir des malades, et les pèlerins, ses anciens hôtes, devenaient de plus en plus rares. Le maire et les échevins de Nantes reprirent donc leur projet d'annexion et trouvèrent cette fois les membres de la confrérie mieux disposés à recevoir leurs ouvertures. Ceux-ci donnèrent leur assentiment à la fusion qui leur était proposée, à la condition que l’Hôtel-Dieu continuerait les traditions de Toussaints en donnant l'hospitalité aux passants pendant un jour.

Tous les écrivains se sont trompés à propos de cette réunion dont il faut placer la date vers 1656 ; les uns la font remonter à 1570, les autres à 1598. Il est facile, au moyen des registres de décès, de démontrer que l'aumônerie de Toussaints était encore ouverte au milieu du XVIIème siècle (Voir les registres qui sont au bureau de l'état civil).

En acceptant la suppression de son hôpital, la confrérie n'avait pas signé sa dissolution. Elle continua toujours de tenir ses réunions et versa plus d'une fois le produit de ses collectes dans la caisse des hôpitaux. Les frères et sœurs n'avaient même pas consenti à la fermeture de la chapelle de Toussaints. Les deux prêtres qui célébraient les services religieux fondés par les bienfaiteurs continuèrent leurs offices comme par le passé. L'un deux habitait dans les bâtiments de l'hôpital et remplissait les fonctions de chapelain de la confrérie, les jours de fête de dévotion. Outre ses gages fixés à 54 livres par an, il avait la jouissance d'un jardin et de la tenue de la Bouhourdière.

Le bureau de l'Hôtel-Dieu, qui n'avait obtenu qu'une partie du patrimoine des pauvres de Toussaints, par l'arrangement de 1656, ne trouvait pas la suppression assez complète et jetait des yeux d'envie sur le temporel des deux chapelains. En 1767, il entreprit de démontrer que la conservation de la chapelle était inutile, mais il n'y réussit pas. Quoiqu'il alléguât que les pauvres n'en tiraient pas profit, l'enquête prouva que l'église était fort utile aux habitants des ponts. Elle resta ouverte jusqu'en 1790 comme succursale de Sainte-Croix.

Depuis la Révolution, les bâtiments de l'aumônerie ont subi tant de transformations profanes qu'ils sont aujourd'hui méconnaissables ; leurs derniers pans de mur s'écrouleront bientôt devant les nécessités de la voirie et pas une pierre ne restera debout pour marquer au moins la place qu'ils occupaient. En présence de l'oubli qui menace ces vieux témoins de la bienfaisance de nos pères, serait-ce trop faire que de marquer l'emplacement par une inscription à peu près semblable à celle-ci :

PASSANT, RAPPELLE-TOI L'AUMÔNERIE DE TOUSSAINTS OU LES PAUVRES ET LES MALADES ONT TROUVÉ UN ABRI PENDANT TROIS SIÈCLES. 1362-1656.

(Léon Maître).

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