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Morlaix durant la Révolution : les troubles

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(1788) Morlaix, comme le reste de la Bretagne, demandait depuis longtemps des réformes. Le Tiers-Etat sur qui pesait la plus grande partie des charges désirait une répartition plus équitable des impôts et l'abolition des abus féodaux. Le Parlement de Bretagne, où dominaient l'aristocratie et le clergé, semblait aussi s'apitoyer sur les souffrances du peuple, mais ni le clergé, ni la noblesse ne voulaient faire abandon de leurs privilèges. Le gouvernement était convaincu que les abus devaient être réformés, mais les agents du pouvoir qui en profitaient s'opposaient à leur suppression. De tous côtés on parlait du bien public, combien rares étaient ceux qui le voulaient sincèrement ? Au milieu de ces conflits, le people ne démêlait pas encore bien de quel côté étaient ses vrais amis. Louis XVI, qui était animé de bonnes intentions, tenta en Bretagne, comme dans le reste de la monarchie, une réforme judiciaire par l'établissement d'une cour plénière, qui était destinée à être substituée au Parlement. Le 10 mai 1788, M. le comte de Thiard, commandant en chef de la province de Bretagne, se rendit dans la salle du Parlement et intima au greffier en chef l'ordre d'enregistrer les ordonnances du roi sur l'érection des présidiaux en grands bailliages, sur l'érection de toutes les juridictions royales en présidiaux, sur la suppression des juridictions exceptionnelles, sur les mesures conservatrices de la liberté des accusés en matière criminelle, sur l'établissement d'une cour plénière, supérieure aux parlements, et seule chargée de la vérification de tout ce qui concerne l'administration et la législation, ainsi que les cas de forfaiture dans la magistrature du royaume, et sur la réduction du nombre des offices parlementaires. Lorsque les ordonnances eurent été enregistrées, M. de Thiard ordonna au Parlement de lever la séance et de se retirer.

Le Parlement, qui était atteint par ces changements, protesta et déclara qu'il ne pouvait reconnaître les lois nouvelles. Le 31 mai, M. de Botherel, procureur-général-syndic des Etats, réunit le Parlement, malgré la défense expresse qui lui en avait été faite, et, après avoir dit que cette réforme était une atteinte aux droits de la province, il déclara qu'il réclamait au nom des trois états le maintien des droits, franchises, usages et coutumes, ainsi qu'au temps des ducs de Bretagne. La cour, sur ses conclusions, déclara coupables de lèse-majesté et de lèse-patrie ceux qui avaient osé concevoir, proposer et exécuter des projets qui tendaient à la subversion de l'ordre civil. Le Parlement fut dissous par la force. La population résistant aux ordres du roi, il y eut collision entre elle et la troupe qui fut assaillie à coups de pierres. Dans cette émeute nous trouvons le jeune Moreau, de Morlaix, prévôt des étudiants en droit. Doué de ce sang-froid et de ce coup-d'oeil infaillible qui présageaient le grand capitaine, il avait su imposer son autorité à la jeunesse des écoles ; il maintenait la discipline, dirigeait les délibérations et organisait les manifestations. C'est sous sa présidence que les étudiants jurèrent « de lier leur sort à celui des magistrats opprimés, et de renoncer à leur profession si ces magistrats perdaient leurs pouvoirs autrement que par délibération nationale ». Puis ils écrivirent à toutes les universités pour les engager à la résistance.

Les commissions intermédiaires des Etats, et M. de Botherel, qui restaient encore pourvus d'une autorité légale, écrivirent à toutes les communautés, à tous les corps constitués de la province pour les prier d'adhérer aux protestations du Parlement.

Tandis que plusieurs villes, entre autres Saint-Pol-de-Léon, Landerneau, Lesneven, appuyèrent le Parlement, Morlaix seul refusa. La communauté, avec ce bon sens dont elle donna dans la suite tant de preuves, comprit que le concours du roi lui était nécessaire pour sortir des difficultés accumulées depuis des siècles et qu'il n'était pas de l'intérêt de la bourgeoisie de travailler à l'affermissement du pouvoir du Parlement. Le corps de ville fut attaqué par les nobles et plusieurs de ses membres furent même insultés à la Chambre littéraire par les partisans de l'aristocratie. Une délibération de la communauté, en date du 7 juin, nous fait connaître l'émotion qu'elle a éprouvée, en voyant les attaques dont elle est l'objet :

« Assemblée de MM. le Maire, Echevins, Jurats et Officiers municipaux de la ville et communauté de Morlaix, tenue en la salle de l'Hôtel de Ville à la manière accoutumée, après la semonce des hérauts et où a présidé M. Béhic, chef et premier de la ville, présents et délibérants MM. Dubernad, Rannou, échevins, Beau jeune, Jean Diot, Dessaux, Barrère l'aîné, Macé de Richebourg, Resguen, Le Denmat et Beaumont absent.

M. le Maire remontre qu'il trahirait les devoirs de sa charge, s'il laissait ignorer les excès auxquels le sieur Barazer de Lannurien s'est porté, le 7 de ce mois. Cet avocat, non content d'avoir publiquement apostrophé dans la Chambre littéraire deux membres de la communauté et d'avoir en leurs personnes proféré contre elle les injures les plus atroces, s'est écarté au point d'aller dans la salle d'audience du Consulat et d'enlever le nom de son aïeul du tableau où sont inscrits les noms de tous ceux qui ont exercé la charge de maire dans cette ville.

Si la communauté porte des plaintes des calomnies, des propos injurieux et de la voie de fait du sieur de Lannurien, la chose peut devenir sérieuse à son égard, et d'un autre côté comme on cherche de toutes parts à noircir ladite communauté par toute sorte de moyens, jusqu'à vouloir insinuer contre toute vérité, qu'elle est indifférente sur les intérêts, droits et privilèges de la province, il est bien possible que dans ce moment de crise la punition qui serait infligée à cet avocat en fit un homme important dans les esprits prévenus contre ladite communauté, sur quoi il a recours à sa sagesse et requiert délibération.

La communauté a décerné acte de la remontrance, et résolue de soutenir, autant qu'il peut être en son pouvoir, tous et chacun des droits, privilèges et libertés de la province et, en particulier, ceux de cette ville avec fermeté mais en même temps avec décence, lorsque le temps et le lieu lui en donneront l'occasion légale, est d'avis de ne faire aucun cas des propos injurieux que la malignité et l'effervescence tiennent sur son compte, et, en ce qui regarde ledit sieur Barazer de Lannurien en particulier, réduite à l'alternative ou de porter contre lui des plaintes en Cour, ce qui pourrait lui attirer une affaire disgracieuse, ou de vouer au mépris ses insultes et sa voie de fait, ladite communauté délibérant est d'avis, pour cette fois, de prendre le dernier parti comme le plus conforme à l'esprit de modération, dont on ne doit jamais s'écarter et moins dans les circonstances actuelles ».

Les nobles de plus en plus mécontents de la communauté que ne voulait pas les suivre dans leur opposition aux volontés du roi, résolurent de la renverser. A cet effet, on fit une pétition aux Etats de la province pour changer le régime municipal et deux émissaires parcoururent la ville, afin de recueillir des signatures.

Dans ces circonstances, le conseil de la communauté se réunit, le 3 juillet 1788, et un conseiller prit la parole en ces termes :

« Vous n'ignorez pas les qualifications et les sarcasmes insultants que nous continuons d'essuyer de la part de quelques têtes exaltées de la classe des gentilshommes et des gens de robe. Je n'ai pas besoin de vous dire que la haine qu'on nous a vouée provient principalement de ce que nous ne nous sommes pas jetés à leur exemple dans le torrent des protestations qui courent, la province. Si nous avions pu croire qu'il ne tenait qu'à la fertilité d'une protestation de prévenir les troubles et de ramener la tranquillité publique, je suis d'avance convaincu qu'il y en aurait déjà plus de vingt transcrites de bonne foi sur nos registres. Mais un objet que doit vous occuper d'une autre manière, est l'entreprise méditée sur les constitutions de cette ville par les gentilshommes et les gens de robe. Ils ont surtout deux émissaires, un de chaque classe, qui colportent un écrit de maison en maison pour obtenir des signatures à l'effet de faire changer le régime municipal. J'ai voulu vous prévenir pour vous mettre en état de prendre telles mesures que nous trouverons convenables.

Sur quoi délibéré : La communauté voyant autant que le gros bon sens le lui dit qu'on peut être patriote sans être imprudent et que la sagesse n'est point une exclusion de patriotisme bien entendu... Ladite communauté toujours dans la résolution de soutenir contre toute atteinte les droits, franchises et privilèges de la province avec toute la fermeté possible, mais avec le respect et la décence convenable, lorsque le temps et le lieu lui en donneront l'occasion légale, est d'avis de ne faire aucun cas des propos insultants et des sarcasmes que la calomnie et la malignité multiplient contre ladite communauté ; que la communauté ne pouvant être jugée sans qu'on lui communique l'écrit ou le mémoire que l'esprit de vengeance, de haine et de brigue promène par la ville contre ses constitutions, cherchant par toute sorte de moyens à le faire signer, est d'avis d'attendre de pied ferme la communication dudit écrit ou mémoire, sauf passé de ce à y répondre ainsi qu'il appartiendra ».

L'effervescence était grande dans toute la Bretagne. La noblesse, réunie à Vannes et à Saint-Brieuc, avait rédigé un mémoire au roi et lui avait adressé douze députés : MM. de la Fruglaye et de Carné, tous les deux Morlaisiens, de Guer, de Trémargat, de Bédée, de Cicé, de la Bourdonnaye-Montluc, de la Rouërie, du Bois de la Ferronnière, de Nétumières, Godet de Chatillon et de Becdelièvre. A leur arrivée à Paris, les députés firent appel à tout ce qui portait un nom breton et tinrent une assemblée, dans l'hôtel où ils étaient descendus, pour consulter leurs adhérents sur les moyens les plus convenables de pouvoir remettre leur mémoire au roi ; à cette réunion se rendirent deux pairs de France, le duc de Rohan et le duc de Praslin.

Le ministère fut effrayé de ces menées. Si la noblesse de Bretagne avait le droit, comme elle le prétendait, de s'assembler dans des occasions extraordinaires, sans la permission du roi, cela pouvait être sur son sol, mais il était douteux qu'elle eût le même droit à Paris ; aussi le ministère prit-il en conseil la résolution d'empêcher toute nouvelle réunion. En conséquence des ordres furent donnés et, le 14 juillet, dans la nuit du lundi au mardi, les douze députés bretons furent arrêtés par les officiers du guet et enfermés à la Bastille. La nouvelle de leur arrestation produisit à Morlaix la plus vive émotion et la communauté n'hésita pas à envoyer un placet au premier ministre, l'archevêque de Sens, pour demander leur mise en liberté. Elle lui disait :

« Monseigneur,
La communauté de Morlaix touchée du sort des douze gentitshornrnes de la province de Bretagne qui ont eu le malheur d'encourir la disgrâce de Sa Majesté, croit pouvoir concilier sa fidélité inviolable avec l'intérêt que lui inspirent des citoyens distingués. C'est en leur faveur que nous osons implorer la clémence du Roi, cette vertu si chère à son cœur. Vous êtes, Monseigneur, le dépositaire de la confiance et de l'autorité du monarque : à qui pourrions-nous mieux nous adresser pour faire entendre nos humbles supplications ? Si les sentiments d'amour et de zèle dont nous sommes pénétrés pour la personne sacrée de Sa Majesté peuvent donner quelque poids à nos prières, daignez, Monseigneur, les faire parvenir aux pieds du trône avec les assurances de la fidélité inaltérable, dont nous n'avons jamais cessé et dont nous ne cesserons jamais de donner l'exemple aux citoyens de la ville. Nous sommes, etc.
Le Maire et les Echevins »
.

23 juillet 1788. Le maire ne se contenta pas de cette première démarche, il écrivit aussi aux autres ministres : à M. le comte de Brienne, ministre de la guerre, à, M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, à M. de la Luzerne, ministre de la marine, à M. de Villedeuil, ministre d'état et à M. de Lambert, contrôleur général des finances.

La lettre qu'il adressa alors à chacun d'eux s'exprimait ainsi :

« Monseigneur,
La communauté de Morlaix a cru pouvoir concilier la fidélité inviolable qu'elle professe pour son Souverain, avec le vif intérêt que lui inspirent les douze geutilshommes de Bretagne détenus à la Bastille. Ils nous sont tous chers et particulièrement M. le comte de la Fruglaye et M. le marquis de Carné, citoyens de notre ville, tous deux distingués par le rang qu'ils y tiennent et par les qualités qui leur ont acquis l'estime de tous les ordres. Nous avons borné et nous bornerons toutes nos démarches aux solicitations que nous avons fait parvenir à Monseigneur l'archevêque de Sens pour le supplier de porter aux pieds du trône nos humbles supplications à l'effet d'obtenir l'élargissement de nos concitoyens. Ma communauté me charge, Monseigneur, par sa délibération de ce jour, de vous supplier de nous être favorable et d'appuyer notre demande. Notre fidélité que nous regarderons toujours comme le premier de nos devoirs est le seul titre que nous puissions invoquer. Puisse-t-il, Monseigneur, nous mériter votre protection et la grâce que nous sollicitons. Je suis etc. BÉHIC, Maire »
.

Morlaix, le 4 août 1788.
Une nouvelle députation de 53 membres, abbés, gentilshommes et bourgeois, était partie pour Paris afin de solliciter la mise en liberté des premiers députés et le rétablissement de l'ancienne constitution. M. de Botherel, surpris du refus que lui opposait la municipalité, lorsque la plupart des villes lui offraient leur concours, vint lui-même à Morlaix, le 10 août, pour tâcher de fléchir le maire ; l'évêque de Tréguier, M. Le Mintier, arriva aussi le même jour et descendit au couvent des Jacobins.

M. de Botherel, accompagné de M. Goher Gohier, du vicomte et du chevalier de Kerhouartz, de M. de Kersauson Vieuxchâtel et de M. de Kergaradec, se rendit au couvent des Dominicains pour faire une visite â l'évêque de Tréguier. Là, il rencontra le maire et l'ayant pris à part, il lui demanda :
1° La convocation d'une assemblée des notables habitants de la ville ;
2° L'adhésion de la communauté aux protestations faites var la noblesse pour la conservation des privilèges de la province et la nomination d'un député à cet effet.

Le maire répondit qu'il ne voulait rien promettre avant d'avoir consulté son conseil qu'il s'empressa de convoquer aussitôt. Dans cette séance le conseil prit une délibération ainsi concue :

« 1° Sur la proposition d'assembler les notables de la ville, la communauté est d'avis que cette démarche serait contraire aux ordres du Roi, si clairement énoncés dans la réponse que Sa Majesté a faite aux députés de la commission, que ce serait perpétuer la cause de son mécontentement de continuer à tenir des assemblées en Bretagne  ; que de telles assemblées ont été déclarées illégales par l'arrêt du conseil d'Etat du 20 juin 1788, qui les a défendues sous des peines sévères ; que l'assemblée des notables de la ville loin d'être utile aux justes réclamations de la province pour la conservation de ses droits pourrait lui être nuisible puisqu'elle irriterait l'autorité par la violation d'une loi expresse.

2° Sur la seconde proposition d'adhérer à tout ce qui a été fait dans les assemblées générales et particulières de la noblesse à l'exemple de quelques municipalités, que M. le Procureur-Général-Syndic assure s'être réunies à ses protestations, la communauté, pleine de confiance dans la parole donnée par Sa Majesté de conserver les privilèges de la province et d'assembler les états au mois d'octobre prochain, époque à laquelle les intentions de Sa Majesté seront plus clairement connues et énoncées et où la réunion de tous les ordres de la nation dans une assemblée légale donnera plus de poids aux représentations, la communauté est d'avis de persister dans le parti qu'elle a adopté de réserver ses réclamations à ladite assemblée des Etats, où elle fera connaître avec force, mais avec respect, le zèle qui l'a toujours animée et qui l'anime pour le maintien des droits, privilèges et franchises de la Bretagne ».

Cette détermination ne fut pas du goût du Procureur-Général-Syndic, qui refusa de recevoir le corps de ville lorsqu'il se presenta pour lui faire une visite « d'honnêteté ».

Quelque temps après le maire venait encore lui exprimer ses regrets de ce qu'il n'avait pu obtempérer à ses désirs et lui écrivait : « La communauté m'a chargé de vous adresser le mémoire qu'elle avait préparé pour être présenté à nos Seigneurs des Etats. C'est une peinture naïve de sa conduite et une expression fidèle de ses sentiments. Attaqués de toutes parts par la prévention, nous avons dû justifier notre patriotisme, nous avons dû employer pour notre défense les armes que la vérité nous fournit, et si nous nous sommes vus forcés de laisser éclater aux yeux de la nation, le sentiment douloureux qui nous affectait d'avoir été privés de votre présence dans l'assemblée de la communauté, pendant votre séjour dans notre ville ; nous espérons, Monsieur le Comte, que vous ne nous en ferez pas un crime. Cette plainte respectueuse, nécessaire à notre justification, ne paraîtra déplacée qu'à ceux qui ont osé nous prêter un projet odieux aussi opposé à la droiture et à la candeur de nos sentiments qu'au respect dont nous sommes pénétrés pour votre personne, ceux enfin à que nous ne pouvons pas nous défendre d'attribuer notre éloignement pour une assemblée où votre présence eût produit les plus heureux effets ».

M. de Botherel fut mieux accueilli par les juges royaux. Le 18 août, il demanda l'entrée au siège, et après avoir été admis et s'être couvert, il prit la parole en ces termes :

« Messieurs,
Dans l'affreux bouleversement qui menace d'une subversion totale la magistrature et ses lois, qu'il m'est doux de contempler un sanctuaire de la justice que la force et la violence n'ont pas profané ! de n'y trouver parmi des magistrats distingués par leur zèle et environnés d'une foule de citoyens que conduit le grand intérêt de la chose publique et dont le noble cortège est le plus digne hommage rendu au Roi ! et y paraître avec cette sainte liberté qui n'aurait jamais dû être bannie des temples destinés à être l'asile des innocents et le séjour de la vertu. Quand nous annoncera-t-on, Messieurs, le rétablissement de l'ordre qui déjà pour l'intérêt du prince autant que pour celui de ses peuples est trop longtemps attendu ? Je ne viens encore déposer dans votre sein que des alarmes dont le zèle patriotique ne peut trop promptement s'affecter. Vous avez trop sensiblement partagé la consternation dont toute la France a été frappée, vous avez trop hautement réuni vos réclamations aux nôtres et à celles des citoyens de tous les ordres, de tous les corps ; vous sentez, Messieurs, trop vivement toutes les atteintes portées à nos droits, franchises et libertés pour accueillir aujourd'hui froidement les nouvelles démarches que nécessitent des circonstances nouvelles.

A Dieu ne plaise, Messieurs, que nous fassions à la Bretagne l'injure de penser qu'il puisse jamais se trouver parmi nos concitoyens des hommes capables d'accepter des offices dont la création est une violation manifeste des lois constitutionnelles de la Province. La façon de penser de la nation bretonne est si connue, l'opinion générale de tout le royaume s'est manifestée avec tant d'éclat qu'il serait sans doute impossible que des étrangers mêmes osassent accepter de pareilles magistratures en Bretagne ; mais, lorsqu'il s'agit de la chose publique, du salut de la patrie, dont on ne doit jamais désespérer et qu'il n'est jamais permis de compromettre, nous ne devons pas craindre de remplir même inutilement des formalités qu'impose un devoir indispensable.

Le bruit public nous a appris que des agents de corruption cherchaient par leurs intrigues et leurs manoeuvres tout à la fois à dégrader la majesté du souverain et à séduire ses peuples. Quelques-uns de ces agents abusant de l'ignorance et de la simplicité de la classe la moins instruite, et voulant armer une partie de la nation contre l'autre, cherchent à tromper le peuple sur ses véritables intérêts par une mauvaise foi plus insigne ; ils insinuent que des ordres et des corps qui se dévouent pour sa défense, ont pour objet de rejeter sur la portion la plus indigente, les impôts dont on veut leur faire partager le fardeau, tandis que toutes leurs démarches ne tendent qu'à prévenir les impositions arbitraires ; qu'à assurer les propriétés des citoyens et la liberté de leurs personnes ; qu'à sauver la constitution bretonne ; qu'à préserver cette province, comme toute la France, d'un régime destructeur, qui, en substituant le despotisme ministériel à l'empire sacré des lois, n'offre plus qu'une anarchie déplorable, aussi à craindre pour le prince que pour les sujets.

Il n'est point de moyens malhonnêtes que n'emploient les ennemis de la patrie pour jeter le découragement dans le coeur de tous les citoyens, ils ne craignent pas même de supposer que des bailliages, que depuis plus de deux mois on cherche inutilement à former, sont sur le point de s'établir.

Les réclamations qui ne cessent de se faire entendre de toutes les parties de la province, les protestations qui nous ont été adressées de la part de tous les corps, les sentiments patriotiques qu'ont manifestés les avocats et les procureurs de ces sièges et dont ils donnent encore aujourd'hui le plus éclatant témoignage, le généreux parti qu'ils ont pris de ne reparaître dans le sanctuaire qu'avec le rétablissement de la magistrature et des lois, la promesse par laquelle le monarque s'engage à entendre les représentations des Etats, à consulter leurs voeux, et à maintenir la province dans tous ses droits : tout nous apprend à apprécier une allégation téméraire. Mais dans un moment de désolation universelle, où de nouveaux coups d'autorité annoncent le projet de prolonger aussi longtemps qu'il sera possible la surprise faite au Souverain ; où le noble désir de porter la vérité aux pieds du trône est travesti dans un délit punissable par la perte de la liberté, où les députés de la noblesse bretonne sont enfermés à la Bastille ; où des citoyens de la ville de Nantes et de celle de Rennes ont vu leurs demeures entourées de soldats et leurs personnes menacées d'un enlèvement scandaleux ; dans un moment où le peuple facile à s'alarmer, se voyant privé de magistrats que la loi leur donne pour protecteurs, et qu'ils regardaient justement comme leurs pères, se voyant menacés de l'anéantissement des lois qui font la sûreté des faibles et garantissent la propriété de tous les citoyens, craint que des monopoleurs n'abusent de l'anarchie où se trouve plongée toute la France, et témoigne déjà de l'inquiétude sur sa substance même ; dans un moment enfin où le désespoir peut accréditer les craintes les moins fondées, pouvons-nous, Messieurs, négliger aucune des démarches propres à rappeler la confiance, à calmer les esprits, et à prévenir une fermentation toujours dangereuse, dans un temps où les lois sont sans vigueur, et les tribunaux sans exercice.

Nous venons donc, Messieurs, renouveler les protestations que nous avons déjà déposées dans votre sein pour rassurer de plus en plus le peuple breton et français ; nous venons nous entourer de votre patriotisme et de votre zèle à maintenir les lois constitutionnelles de la province.

Et quel magistrat, en effet, refuserait d'accueillir notre démarche, lorsqu'elle est commandée de la manière la plus expresse par le premier article des charges imposées à notre ministère, lorsqu'elle est formellement autorisée pour l'édit de Henri III de 1579 et le règlement général de 1786, approuvé dans le conseil du Roi et revêtu de lettres patentes. Suivant toutes ces lois dûment enregistrées, les Etats, ou leur procureur-général-syndic s'opposeraient, partout où besoin sera, et par toutes les voies accoutumées à bons et loyaux sujets, à tout ce qui sera contraire aux droits, franchises et libertés de la province.

Un de ses droits les plus constants, et qui résulte du texte même du contrat de la duchesse Anne et des articles 22 et 23 du contrat national renouvelé à chaque tenue des Etats, c'est qu'il ne puisse se faire aucune mutation particulière même pour bonne raison, aucune innovation dans l'administrotion de la justice, aucune création nouvelle d'offices, aucuns changements dans ceux que sont établis, sans le consentement des Etats ; qu'aucuns édits, qu'aucunes déclarations, commissions, arrêts du conseil et lettres patentes, ne puissent avoir d'effet, s'ils n'ont été consentis par les Etats, et vérifiés par les cours souveraines de la province.

Nous réclamons l'exécution de ces lois constitutionnelles de la Bretagne contre l'infraction desquelles vous avez protesté, qu'aucune autorité ne peut méconnaître, auxquelles on n'ose pas annoncer l'intention de déroger, lors même qu'on veut y porter atteinte, et que vous ne pourriez voir violer avec indifférence, sans compromettre les vrais intérêts du Souverain et de ses peuples, sans manquer au premier devoir du magistrat, sans trahir le serment que vous avez, ainsi que tous les autres tribunaux, renouvelé à la face de la nation.

Réunissons-nous en sujets fidèles pour faire entendre la vérité à un prince juste et bon que trompent les auteurs du plus funeste projet dont la France ait été menacée. Nous aimons tous notre Roi et nous en sommes aimés, mais quel monarque fut à l'abri de la surprise ? Nous ne pouvons qu'attribuer à ses ennemis et aux nôtres tous les bouleversements qu'on a voulu faire à main armée.

Non, Messieurs, ce n'est point notre bon Roi qui demande la ruine de son peuple, qui fait lever le glaive sur la tête des Français, qui veut que nous recevions l'esclavage ou la mort. Ce sont des ministres qui le trompent, qui abusent de l'amour même qu'il a pour ses sujets, pour le déterminer à adopter des édits, qu'on ose publier en son nom et qui ne sont point son ouvrage. Il a fallu lui persuader qu'ils devaient être avantageux à l'État, et que nos droits, libertés et franchises étaient respectés par les actes destinés à les anéantir.

Désabusons ce prince équitable, faisons lui connaître les dangers et l'injustice de ces édits désastreux, prouvons lui qu'ils ne tendent qu'à compromettre son autorité et les propriétés de ses sujets ; que leur liberté est menacée ; que leur vie même est en péril, si le rétablissement des lois ne rappelle bientôt l'harmonie qui autrefois régnait si heureusement entre les citoyens de tous les rangs, et qui devient plus que jamais indispensable.

Oui, Messieurs, c'est dans ce temps de malheur et de désordre, que nous devons plus particulièrement tenir aux principes qui doivent servir de base à la société ; que le clergé doit instruire et consoler le peuple ; que la noblesse doit plus que jamais s'en montrer le père ; que les hommes puissants doivent être les soutiens du faible ; que les riches doivent secourir les pauvres ; que les magistrats enfin, qui sont l'image vivante de la loi, doivent, comme elle, protéger les infortunés et les défendre contre ceux qui les trompent ou les oppriment.

La commission intermédiaire également intéressée à défendre la constitution nationale, et jalouse de concourir à tous les actes qu'exigent le patriotisme et l'honneur, joint elle-même sa voix à la nôtre. Nous avons tous la même confiance dans vos vertus et dans votre attachement aux vrais principes, et nous nous flattons, Messieurs, que vous ne verrez dans la nouvelle réclamation que nous formons aujourd'hui, qu'une démarche d'administrateurs citoyens faite vers des magistrats patriotiques.

En conséquence, nous, messire Jean-René de Botherel, procureur-général-syndic des Etats de Bretagne déclarons persister dans toutes nos précédentes protestations, et répéter notre opposition formelle à tout enregistrement et publication de toutes lettres patentes, ordonnances, déclarations et édits non consentis par les Etats, et non vérifiés par les cours souveraines de la province ; comme aussi à toutes lettres closes et arrêts du conseil non revêtus des formes légales ; à toute formation inconstitutionnelle et installation de bailliages, de présidiaux ou d'autres tribunaux qui seraient faites en vertu d'édits non précédés du consentement des Etats, non vérifiés par les cours souveraines de la province, et contre l'institution desquels s'élèvent les articles 22 et 23 du contrat national, le cri de l'honneur et les engagements sacrés pris par tous les tribunaux de la province, et généralement à tous actes contraires aux droits, franchises, libertés et immunités de la province, à peine contre les contrevenants d'être poursuivis comme infracteurs des lois anciennes de la Bretagne, et declarés responsables de tous dépens, dommages et intérêts des parties. De tout quoi il plaira au siège nous décerner acte, ainsi que de ma déclaration, d'en faire le dépôt au greffe de ce siège, requérant sur le tout l'adhésion de monsieur le substitut du procureur du Roi ».

Maître Sébastien-François Malescot du Kerangouez, bâtonnier de l'ordre des avocats, se leva et prononça le discours suivant :

« Messieurs,
Dans ce jour à jamais mémorable pour cette ville, l'ordre des avocats, dont j'ai l'honneur d'être l'organe en cette audience, se fait un devoir de joindre ses déclarations respectueuses à celles de monsieur le procureur-général-syndic des Etats.

Nous partageons avec vous, Messieurs, avec cet illustre généreux défenseur de la liberté nationale, dont le zèle et le patriotisme éclairés lui assurent la reconnaissance de la génération présente et des générations futures, avec les citoyens de tous les ordres ici rassemblés, votre respect pour les lois, votre attachement invincible à la personne sacrée du Roi, aux saines maximes du droit public et aux corps augustes de la nation, les Etats et le Parlement qui en sont les gardiens et les défenseurs.

Notre amour pour le Roi ne peut se séparer de notre amour pour la patrie ; c'est dans tous les cœurs un sentiment indivisible et le mobile de toutes nos démarches.

C'est par l'effet de ces sentiments, Messieurs, qu'en partageant l'affliction générale de la province, sur les atteintes portées à ses privilèges, sur la dispersion du Parlement et la détention des douze députés de l'ordre de la noblesse, nous nous réunissons à tous les citoyens pour obtenir de la bonté et de la justice du Roi le rappel et le rétablissement de l'ordre ancien.

Puisse le voeu national, déjà porté au pied du trône et sans cesse répété par des sujets fidèles, être enfin exaucé.

Je conclus, Messieurs, à ce qu'il vous plaise, en premier lieu, me décerner acte au nom de l'ordre des avocats résidents en cette ville, de la répétition de nos réclamations contre la formation des nouveaux tribunaux sans le consentement préalable des Etats et contre toutes atteintes aux privilèges, franchises et libertés de la province.

En second lieu, me décerner au dit nom pareil acte de notre adhésion aux réquisitoires et protestations de monsieur le procureur général, syndic des Etats et du dépôt du présent au greffe.

En troisième lieu, ordonner qu'il me soit délivré par le grefier du siège une expédition du réquisitoire et du jugement pour demeurer jointe à nos registres, et y être inscrite ».

Alors M. de Botherel prenant, de nouveau la parole répondit :

« Messieurs,
Quelque flatteurs que soient pour moi les sentiments particuliers que me témoigne un barreau distingué, j'y suis moins sensible encore qu'aux sentiments patriotiques, dont il n'a cessé de donner des preuves éclatantes ; le spectacle le plus touchant pour un vrai citoyen est celui que donne un ordre destiné à être l'interprète des lois et qui est toujours prêt à se dévouer à leur défense »
.

Dès qu'il eut fini de parler maître Le Bricquir, syndic de la communauté des procureurs, s'adressant à M. de Botherel lui dit :

« Monsieur,
C'est spécialement lorsque la chose publique est en danger qu'il importe à la nation de voir ses intérêts confiés à des personnes qui savent les faire valoir et les maintenir. On ne saurait mieux choisir que vous, Monsieur, pour atteindre ce but. Le zèle que vous avez témoigné pour la conservation de nos privilèges ; les protestations que vous avez faites contre l'atteinte qu'on cherche à y porter ; vos réclamations pour qu'on nous rende notre auguste Parlement, sans lequel nous ne pouvons nous flatter de voir renaître l'empire des lois dans la province, le nouvel acte que vous réquérez aujourd'hui ; tout cela, en justifiant combien les Bretons savent placer leur confiance, a fait naître dans l'âme des vrais patriotes le doux sentiment de la reconnaissance pour tous les soins que vous vous donnez, afin de faire réussir la cause commune ; personne, Monsieur, n'éprouve plus ces sentiments que la communauté des procureurs. Elle me charge de vous prier d'en recevoir l'assurance et d'être persuadé que le plus ardent de ses voeux est le rétablissement de la constitution de cette province »
.

En réponse à cette allocution, le procureur-général-syndic des Etats dit aux procureurs :

« Messieurs,
Les sentiments que vous témoignez sont bien propres à justifier l'estime d'un juge distingué par son patriotisme, et vous assurer la confiance de vos concitoyens et la reconnaissance de la nation. Dans le compte que je dois de ma mission aux Etats, il sera consolant pour moi d'avoir à rendre hommage au zèle qui vous anime et qui doit servir de modèle à tous vos concitoyens »
.

Le substitut du Procureur du Roi se leva à, son tour et s'exprima ainsi :

« Messieurs,
Le silence et la désertion qu'éprouvent depuis longtemps nos tribunaux disent assez que les intérêts particuliers se taisent aujourd'hui d'eux-mêmes devant l'intérêt éminent de la nation en péril.

L'inutilité de nos fonctions nous en avait éloigné nous-même, nous attendions pour y rentrer l'instant heureux qui leur rendrait leur antique et légale constitution, et qui rendrait aux voeux de la France suppliante ses juges suprêmes et légitimes, ses tribunaux protecteurs qu'elle ne voit plus.

Une voix seule conservait toujours le droit de s'y faire entendre, c'est celle de la patrie ; elle a parlé, vous avez entendu, Messieurs, celui qu'elle a choisi pour son défenseur et son organe.

C'est en vous rappelant des faits malheureusement trop connus, c'est en unissant la majesté du discours à la force du raisonnement qu'il vous a peint l'état de ce beau royaume que des projets téméraires et destructeurs plongent dans le deuil et dans la douleur.

Il a dit quels étaient les maux et les espérances de la nation, ses maux dont elle accuse une administration qui n'a pas mérité sa confiance ; ses espérances fondées sur la bonté du coeur de notre monarque, sur la réunion de nos efforts pour faire parvenir la vérité jusqu'au trône, sur la justice de notre cause, sur le concert de nos réclamations, sur la validité des titres qui les justifient.

Peut-il en être, en effet, parmi les hommes, de plus solennels, de plus augustes, de plus certains ?

Le nôtre, c'est le contrat de notre réunion ; le titre des Français est dans le procès-verbal des tenues d'Etats Généraux, notamment de la dernière tenue de Blois.

Le titre des Français et des Bretons est dans cette annonce qui ne peut être le prix de la violence ni le gage d'une obéissance servile, il est dans ce dévouement sans bornes prouvé par tant de sacrifices, par tant de sang répandu pour la gloire seule du maître, par tant de secours d'argent et de travaux accordés sans murmures, quand ils ne l'étaient pas sans efforts.

Mais c'est que la liberté se croit riche de ce qu'elle offre, l'esclavage ne l'est que de ce qu'il dérobe.

Et quelles atteintes plus fortes pouvaient être portées à cette liberté précieuse ? Comment pouvait-on préparer plus sûrement cet esclavage politique qu'en osant armer la nation contre elle-même, soit en essayant de semer le doute et la division, en donnant des principes nouveaux pour d'anciennes lois et voulant faire passer des lois anciennes pour des principes nouveaux ; en écartant des magistrats qu'on savait être trop courageux et trop instruits pour ne pas faire parler dignement le langage des lois et de la vérité. Quel bon citoyen ne s'indigne d'entendre à leur place le langage vénal de ces bouches impures qu'on sait être toujours ouvertes à l'intrigue, à la passion, et, s'il le faut, à la calomnie.

Mais si l'on ne peut exercer la force sur les opinions, si les nouveaux plans sont partout repoussés, si surtout dans notre province ils sont démontrés manifestement contraires à nos privilèges, on entendra du moins les actes d'autorité des corps aux individus.

On saisira d'odieux prétextes pour déployer la rigueur. Hélas ! êtes-vous devenus des crimes, franchise, loyauté, patriotisme, vertus si louées de nos aïeux ; seriez-vous à bon droit punis de nos jours, amour de son pays, rapprochement si naturel et si louable de parents, de citoyens, d'amis et quand vous paraissez au sein des cours, ne méritez-vous que des prisons ?

Ah ! si quelque chose peut relever, je ne dis pas notre courage, mais l'abattement de vos âmes, illustres détenus, songez qu'un pareil traitement ne vous rend que plus précieux et plus chers à la patrie ; songez au tribut de louanges et d'actions de grâces qui vous attend, quand vous serez rendus aux voeux de votre province et de la France entière.

En vain rappellerai-je ici vos noms et vos malheurs, ma voix faible et ignorée ne vous louerait que trop légèrement, ne vous louerait jamais assez.

Du moins suis-je sûr d'intéresser ici, si je parle de ce citoyen déjà illustre, qui habite parmi nous, qui reconnu pour chef de cette noble ambassade, la rend plus importante par son caractère et ses talents.

Que ne pourrai-je pas dire de son fils, l'espérance de sa maison, l'enfant de la patrie, modèle d'amour filial, et qui dans le plus jeune âge annonce par sa conduite toute la capacité de l'âge mûr.

Et vous, Monsieur, sur qui repose en ce moment le maintien de la chose publique dans cette province, vous êtes parmi nous ce qu'était dans la plus fameuse des républiques le citoyen dont elle s'honora le plus. Comme vous il signala sa grande âme et ses rares talents dans les temps les plus difficiles. Son éloquence et son courage sont encore aujourd'hui le modèle des administrateurs choisis par les nations libres ; ce que vous faites, ce que nous venons d'entendre de vous, vous rend digne d'être donné comme lui pour l'exemple de toutes les vertus civiques.

Un long souvenir de vénération et d'amour éternisera parmi nous les sentiments que votre présence et vos démarches nous inspirent.

Nous savons aussi quels droits immortels a sur notre reconnaissance le jurisconsulte citoyen qui vous accompagne et qui lui-même a su défendre la cause publique avec la chaleur et le talent que peuvent inspirer le patriotisme et le génie. La mission que l'un et l'autre exercent parmi nous me rappelle naturellement, Messieurs, à ce grand objet de cette audience.

Il est bon, Messieurs, de constater parmi nous le droit de réclamation que des sujets citoyens tiennent de la nature et que Monsieur le Procureur-Général-Syndic des Etats de cette province tient personnellement de sa place ; s'il l'exerce aujourd'hui parmi nous, c'est qu'il ne peut être secondé par les magistrats de la cour de Parlement de ce pays, lesquels maintenant, sous le coup de l'exil et de la dispersion, ne peuvent user en cette partie du droit que leur donnent et leur assurent la loi et et la constitution.

Ne Soyons donc pas étonnés, Messieurs, si nous voyons parmi nous les représentants légitimes de la nation demander à notre ministère des actes que les temps ont rendus nécessaires et que des magistrats patriotes ne peuvent que s'empresser d'accorder.

J'ose donc vous répondre, Messieurs, que vos conclusions seront suivies. Je vous réponds encore des sentiments de ce siège et de ce barreau sur l'illégalité qu’il reconnait être dans la transcription faite sur les registres de la cour de force et à main armée de tous édits non délibérés et dans l'établissement de tous nouveaux tribunaux qu'on entendrait substituer à ceux-là seuls que la nation peut et doit reconnaître comme ayant elle-même consenti et consacré, dans ses dernières assemblées générales, leur existence, leurs droits et leurs fonctions.

Nous consentons pour le Roi qu'il soit décerné acte du contenu aux réquisitoires, oppositions et protestations du Procureur-Général Syndic des Etats, pareil acte du contenu au discours et conclusions prises par Me Malescot de Kerangouez, bàtonnier de l'Ordre des avocats, pareil acte, et encore du contenu du discours de Me Le Bricquir, syndic de la communauté des procureurs ».

Lorsque le substitut eut terminé son discours, le Sénéchal lui succéda et s'exprima ainsi :

« Il est bien flatteur, Monsieur, pour nous de vous réitérer aussi authentiquement les sentiments de patriotisme qui animent le siège que j'ai l'honneur de présider. Ce qui calme mes inquiétudes sur les circonstances actuelles et malheureuses, c'est d'avoir en vous un défenseur aussi zélé des droits et privilèges de la Province. Le nouveau témoignage que vous donnez de votre entier dévouement aux intérêts de la nation met le comble à sa juste reconnaissance et à celle de tous les vrais Bretons ».

Enfin Monsieur le Procureur-Général-Syndic répondit pour la dernière fois :

« Messieurs,
Si le patriotisme avait besoin d'encouragement, rien sans doute ne serait plus propre à l'exciter que le suffrage de magistrats citoyens, toujours disposés à sacrifier leurs propres intérêts à ceux de la patrie. La jouissance la plus flatteuse pour moi est de retrouver dans votre coeur, dans celui de nos compatriotes les sentiments dont le mien est pénétré »
.

La discussion étant close, les juges royaux rendirent le jugement qui suit :

« Le Siège, après avoir ouï le procureur du Roi en ses conclusions, y faisant droit, a décerné acte à Monsieur René-Jean de Botherel, Procureur-Général-Syndic des Etats de Bretagne, de sa déclaration de persister dans toutes ses précédentes protestations, et de la répétition de son opposition formelle à tous enregistrement et publication de toutes lettres patentes, ordonnances, déclarations d'édits non consentis par les Etats et non vérifiés par les cours souveraines de la Province, comme aussi à toutes lettres closes et arrêts du Conseil non revêtus des formes légales, à toutes formations inconstitutionnelles et installations de bailliages, de présidiaux ou d'autres tribunaux qui seraient faites en vertu d'édits non précédés du consentement des Etats, non vérifiés par les cours souveraines de la Province, et généralement à tous actes contraires aux droits, franchises, libertés et immunités de la Province, à peine contre les contrevenants d'être poursuivis comme infracteurs des lois anciennes de la Bretagne, et déclarés responsables de tous dépens, dommages et intérêts des parties ; pareil acte du dépôt fait au greffe de la minute du dit réquisitoire ;

Pareil acte du contenu au discours de Me Malescot de Kerangouez, bâtonnier de l'Ordre des avocats, de la répétition de ses réclamations au nom de son ordre contre la formation de nouveaux tribunaux sans le consentement préalable des Etats, et contre toutes atteintes aux privilèges, franchises et libertés de la Province, de son adhésion aux réquisitoires de Monsieur le Procureur-Général-Syndic des Etats et du dépôt de la minute dudit discours au greffe, ordonne au greffier du siège de lui délivrer, ainsi qu'il l'a requis, une expédition du dit réquisitoire et de notre présent jugement pour demeurer jointe du dit ordre et y être inscrite ;

Pareil acte enfin du contenu du discours de Me Le Bricquir, Procureur-Syndic de la Communauté des procureurs de ce siège ». (Archives de la Sénéchaussée de Morlaix).

Les cinquante-trois députés des trois ordres, encouragés par ces diverses manifestations et ainsi soutenus par M. de Botherel, étaient arrivés à Paris, le 17 août, bien décidés à ne céder qu'à la force. Dès leur arrivée, ils écrivirent à M. l'archevêque de Sens, Brienne, principal ministre et à M. de Villedeuil, ministre d'état, pour être autorisés à présenter leur mémoire au roi, mais la cour ayant résolu de ne pas les écouter, leurs demandes n'obtenaient aucun succès. La résistance de la province et la détresse du trésor royal allaient changer la face des choses, et Brienne, abandonné par les courtisans, succomba, le 25 août, bien qu'il eût promis la convocation des états généraux. La chute du premier ministre fut accueillie en Bretagne avec le plus grand enthousiasme et les prisonniers bretons purent illuminer la plate-forme de la Bastille. « Dans l'abattement général, dit une lettre manuscrite, quels nouveaux ministres pourront soutenir l'état dans sa ruine ? Où trouver l'homme qui par ses lumières, par ses vertus, et ce qui est plus difficile par le poids de sa propre autorité et de la confiance du souverain pourra en imposer à tous les partis et commander à tant d'intérêts difficiles à concilier ; un homme d'un grand caractère, d'une vertu austère, existe sans doute. L'opinion publique, la nation assemblée pourront le désigner ; il ne restera plus que des voeux à faire pour qu'on lui accorde la confiance nécessaire à celui qui sera chargé du pénible emploi de rétablir le crédit ».

Le roi rappela Necker, dont le nom suffit pour ramener le crédit et la confiance. La députation bretonne, après de nombreuses sollicitations auprès du nouveau ministre, du comte d'Artois et de la reine, fut reçue par le roi, le 31 août, dans la grande galerie de Versailles et lui remit son mémoire. Quelques jours plus tard, faisant droit aux prières des députés, le prince conservait les droit, franchises et libertés de la province, rappelait le parlement et la chambre des comptes, retirait les édits, rendait la liberté aux détenus et annonçait la prochaine convocation des états de cette province, ainsi que celle des états généraux du royaume.

Dès que cette nouvelle fut connue à Morlaix, la ville fut en fête et il y eut des réjouissances ; ce qui est constaté par la délibération du 16 septembre.

« M. le Maire remontre que la nouvelle répandue en ville par le courrier arrivé ce jour, ne laisse plus de doutes que les douze gentilshommes détenus à la Bastille ont été rendus à la demande et aux représentations de la province ; et qu'attendu l'intérêt et la part qu'y a prise la communauté, il paraît qu'un témoignage public de la joie qu'elle ressent avec tout le reste des citoyens de cet agréable événement ne serait pas déplacé et contribuerait au contraire à rétablir la concorde, ou au moins à amortir les effets des diverses dissensions qui la troublent depuis quelque temps, en exposant la communauté à des imputations et des projets injurieux pour sa sagesse, et infiniment désagréables pour ses membres, sur quoi requiert délibération.

La communauté a décerné acte de la remontrance et délibérant est d'avis par tous les motifs qu'elle énonce, de témoigner publiquement l'allégresse qu'elle partage avec le reste des citoyens, de la délivrance de MM. les douze gentilshommes détenus à la Bastille, et en conséquence a prié M. le Maire d'ordonner une illumination générale, tant à l'Hôtel de Ville que chez l'habitant, à l'issue d'un feu de joie, qui sera dressé sur la Grande-Place et sera allumé ce soir, à huit heures par la communauté, accompagnée d'un détachement de la garde bourgeoise, commandé par M. Le Major, suivant l'usage en pareil cas, et sera formée une députation de la communauté composée de MM. Le Maire, Macé de Richebourg et Barrère fils, pour se transporter au château de Keranroux, demain 17 du courant, et présenter à Mme de la Fruglaye, M. et Mme de Kernier, ses enfants, le compliment de félicitations de la communauté et l'intérêt qu'elle a pris à tous les événements de sa famille ; il sera rendu également compte à Mgr l'intendant de la présente délibération par M. le Maire, afin d'avoir son approbation ».

Lorsque, plus tard, M. de la Fruglaye fut de retour à Morlaix, le corps de ville, le président du commerce, les anciens prieurs, les consuls et les négociants se rendirent à son hôtel « afin de porter à ce citoyen respectable qui avait souffert pour la patrie, un témoignage plus complet de l'estime publique et l'assurer que la joie qu'ils partageaient avec tous les bons citoyens du recouvrement de sa liberté et de son retour égalait la douleur qu'ils avaient ressentie de sa détention à la Bastille, occasionnée par son dévouement généreux pour les intérêts de la province ». Le conseil voulant aussi reconnaître le dévouement des cinquante-trois députés et éterniser leur mémoire sur ses registres envoya à chacun d'eux une lettre de félicitations.

Durant ces événements, les esprits étaient loin de se calmer à Morlaix. La récolte était mauvaise et la cherté du pain avait augmenté : le froment se vendait alors 11 livres 10 sols, l'orge 7 l. 10 s., le seigle 6 l l'avoine 5 l. et le blé noir 6 l., le quartier. Les classes pauvres souffraient et la disette commençant à se faire sentir allait exciter les passions populaires.

Lorsque Turgot était arrivé au pouvoir, il avait adopté la maxime des économistes : Laissez faire, laissez passer, et il avait voulu rendre ses libres mouvements au commerce jusque-là chargé d'entraves. Sur sa proposition, un arrêt du conseil, daté du 13 septembre 1774, avait ordonné la libre circulation des grains dans le royaume, et cet arrêt, qui était toujours en vigueur, avait ouvert la porte à la spéculation privée. Des négociants, poussés par la cupidité, envoyaient au loin les blés de la France sur les marchés, où le haut prix les attirait, et peu à peu nos marchés se dégarnissaient. Les agents des accapareurs parcourant les campagnes achetaient en quantité des grains qu'ils faisaient transporter à Morlaix, où ils étaient chargés sur des navires et emportés à l'étranger. Le peuple, qui se souvenait toujours du pacte de famine, crut qu'on voulait l'affamer ; l'agitation gagna les divers quartiers de la ville et une émeute éclata, le 19 septembre. Dans l'après-midi, une foule considérable de femmes du peuple avant assailli la maison du maire, sommèrent par des menaces ce magistrat d'empêcher l'exportation du blé qui se faisait au bas de la rivière et qui menaçait de ruiner le pays. M. Béhic, ému de leurs plaintes et partageant leur crainte, se mit à la tête de ces femmes et se rendit chez le directeur des ports et havres, à qui il fit part des voeux de la population surexcitée. Le directeur promit de ne donner aucun permis d'embarquement ; cette promesse parut calmer et satisfaire la multitude, qui se retira aussitôt. Mais, deux heures après, la même foule, augmentée de nombreuses recrues, se précipita sur la maison d'un marchand de grains, nommé Mahé, qui était signalé comme un accapareur et qui avait attiré sur lui la fureur populaire par ses propos indiscrets. En un instant, sa maison est prise d'assaut, les portes sont brisées et la foule furieuse envahit ses greniers qu'elle trouve remplis de blé. Le maire et le sénéchal, accompagnés de la police de la maréchaussée, accourent pour lui porter secours. Ils veulent faire entendre des paroles de conciliation, on ne les écoute pas et une lutte s'engage entre les émeutiers et la maréchaussée. Plusieurs de ces femmes, qui étaient enceintes, sont blessées au milieu de la bagarre et on est obligé de les emporter à demi-mortes. Ce sont les émeutiers qui posent des conditions et les autorités sont forcées à les accepter : les femmes emporteront le blé et la payeront six livres le quartier. Alors, au milieu des vociférations et des violences de cette foule en délire, commença l'enlèvement du blé, qui fut terminé seulement à une heure après minuit, lorsque tous les greniers eurent été vides. Le Maire craignant d'exposer la troupe aux vengeances populaires avait jugé prudent de ne pas appeler à son secours un détachement du régiment de Beauce qui était de garde à l'hôpital militaire.

Les mutins avaient réussi dans leurs tentatives criminelles et on pouvait prévoir que ce premier succès accroîtrait leur audace. Ces femmes avaient juré qu'elles continueraient le lendemain et qu'elles saccageraient les maisons des autres marchands, notamment celle de Trobriand, qui demeurait au bas de la rivière en Ploujean, où il faisait le commerce de grains pour l'exportation ; on menaçait aussi d'exécuter les marchands de beurre et les autres marchands de denrées comestibles. Dans ces prévisions, le maire avait envoyé un héraut au général gouverneur de Brest pour lui demander du renfort. Le lendemain, le désordre recommença. Les mêmes femmes se portèrent chez un marchand de grains qui habitait hors de la ville ; elles firent des menaces et poussèrent le cri de : Mort aux accapareurs ! De là, elles se dirigèrent vers le couvent des Jacobins ou se trouvaient quelques dépôts de blé. Le maire appelant auprès de lui le sénéchal et le procureur du roi, prit, d'accord avec eux, les mesures que commandaient les circonstances. Il convoqua les officiers de la milice bourgeoise, il réclama le secours de la maréchaussée et du détachement du régiment de Beauce, et cette petite troupe se porta rapidement au couvent des Jacobins dont les émeutiers commençaient le siège. M. Beau, major de la milice, harangua la foule, lui donna l'ordre de se retirer et menaça de la faire charger si elle n'obéissait pas à ses sommations. La foule, intimidée par l'appareil qu'on opposait à ses violences, céda anssitôt et se débanda.

Dès que le Gouverneur avait reçu la lettre du maire, il s'était empressé de lui envoyer des secours et de lui répondre :

« Brest, le 21 Septembre 1788.
D'après votre réquisition, Monsieur le Maire, je viens de donner des ordres aux brigades de maréchaussée de Brest, de Landerneau et de Carhaix de se rendre à Morlaix dans la journée de demain. Je donne même un ordre à M. Blain, sous-lieutenant, qui commande les trois brigades pour qu'il puisse se faire renforcer par celle de Lannion, s'il croit en avoir besoin, J'imagine, Monsieur, les moyens plus que suffisants pour rétablir le calme et le bon ordre dans votre ville ; d'autant plus que vous pouvez voir par la copie de la tettre ci-jointe que l'exportation des blés est défendue jusqu'à nouvel ordre. Je suis étonné que le subdélégué de Morlaix n'ait pas reçu la même lettre et ne vous l'ait pas communiquée.

Si l'esprit d'inquiétude et de fermentation vous laissait encore quelque inquiétude, Monsieur, je demanderais à Monsieur le Maréchal de Stainville et à Monsieur le Comte de Laugeron de faire marcher sur Morlaix un détachement du régiment de Bouillon, qui est à Guingamp, mais j'espère que vous n'en aurez pas besoin.

J'ai l'honneur d'être avec les sentiments de la considération la plus distinguée, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Le comte DE MARINAIS ».

Les brigades de Brest, de Carhaix et de Landerneau étaient arrivées à Morlaix à marches forcées et leur présence avait suffi pour rétablir l'ordre ; elles y séjournèrent jusqu'au 27, et à cette date, elles se dirigèrent vers Landerneau où une pareille émeute venait d'éclater. Avant de partir, la maréchaussée réclama ses frais de séjour et la ville fut obligée de lui payer 478 livres.

Cette émeute aurait pu être prévenue si le subdélégué de l'intendant avait fait exécuter les ordres qu'il avait reçus. Necker, par un arrêt du conseil du roi du 7 Septembre, avait interdit l'exportation des grains d'une manière générale, et l'intendant de la province avait informé ses subdélégués de cette décision, ainsi que le prouve la lettre suivante, à laquelle M. de Marinais fait allusion dans sa réponse citée plus haut :

« Rennes, le 10 Septembre 1788.
Vous recevrez incessamment, Monsieur le Subdélégué, un arrêt du conseil qui défend jusqu'à nouvel ordre toute exportation de grains hors du royaume, mais en attendant la publication de cet arrêt, l'intention du Roi est que les défenses y portées aient leur exécution. Je vous charge en conséquence d'y tenir la main, et d'en donner avis aux négociants ainsi qu'aux employés de la ferme générale, Je suis etc. ».

Necker n'avait pas la pensée d'entraver la libre circulation des grains dans l'intérieur du royaume, mais la communauté voulait obtenir cette prohibition qu'elle regardait comme le seul remède capable de calmer les inquiétudes du peuple. Afin d'éviter le retour des événements qui avaient troublé la ville, elle adressa un mémoire au contrôleur-général des finances, à la commission intermédiaire des Etats de Tréguier, à l'intendant et au commandant de la province. Elle leur disait :

« Telle est la situation de cette ville, que le commerce de grains n'y a jamais été pratiqué et qu'il a toujoure été impraticable. Ici nous sommes entourés d'habitants qui cherchant moins à cultiver leurs terres qu'à ménager des fourrages pour multiplier leur bétail, ne songent guère qu'à leur propre subsistance. Là, nous n'avons que des fabricants de toile, dont les vues sont exclusivement tournées vers leurs manufactures, leurs artisans et leur commerce. Partout nous voyons des bouches qui consomment, mais partout aussi il y a beaucoup moins de bras pour cultiver ; une partie, de nos terres, peut-être même la plus grande, n'est même propre qu'à produire du seigle de l'avoine et du sarrasin.

Si quelques paroisses situées vers les bords de la côte maritime rendent du froment, le produit de cette denrée annuelle est ordinairement l'équivalent de la consommation locale ; de sorte qu'au bout de l'année, il est fort rare qu'il reste de l'excédant.

Nous ne déguiserons pas que la récolte de 1787 a été riche, mais nous devons faire observer en même temps, d'après l'expérience, que dans ce canton l'abondance d'une année suffit à peine, pour compenser le déficit d'une autre.

Suivant les renseignements que nous avons pris dans les bureaux des ports et havres, il a déjà été fait trois chargements dans ce port, et il nous est parvenu avec certitude, que des gens apostés courent nos campagnes, arrêtent de prix chez les paysans et leur donnent des arrhes pour tous les froments qu'ils y trouvent ; de sorte que cette denrée devenant trop rare dans nos marchés, il en doit résulter un prix exorbitant, et peut-être des émotions populaires.

Nous ignorons s'il est permis d'arrêter et d'enarrher les grains dans les campagnes, et de jeter ainsi l'alarme parmi le peuple : toujours paraît-il que cette manoeuvre est la principale cause des désordres qui se sont commis dans cette ville les 19 et 20 de ce mois.

Il s'en faut beaucoup que les officiers municipaux approuvent ces deux journées séditieuses ; ils croient même que le bon exemple exige la punition des principaux auteurs, mais ils ne peuvent se dispenser de dire que l'exportation des grains ne peut et ne doit tomber que sur les territoires en état de la supporter, tels que Pontrieux, Tréguier, Lannion et autres ports semblables, où cette branche de commerce est de tout temps établie. Là, c'est toujours du superflu dont il importe à l'habitant d'être déchargé, au lieu qu'à Morlaix, ce n'est jamais que du nécessaire, sur lequel autant de fois qu'on a voulu prendre, autant de fois on a éprouvé les mêmes obstacles et les mêmes émeutes populaires.

Par toutes ces considérations, lesdits officiers municipaux se croient fondés à demander pour le bien et la tranquillité publique de ce canton, qu'il plaise au Roi d'arrêter toute exportation de grains par le port et la rade de Morlaix, et qu'en conséquence, il soit fait défense aux bureaux de l'amirauté et des ports et havres d'expédier les navires qui seraient à l'avenir chargés des dites denrées.

LES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ ». Morlaix, le 26 septembre 1788.

Ainsi après la publication des travaux de Quesnay et de ceux de Turgot, qui voulaient donner pleine liberté à l'agriculture, au commerce et à l'industrie, notre conseil en était encore aux idées de prohibition de Colbert. La réponse de la commission intermédiaire fut loin d'être conforme aux prétentions de notre communauté.

Tréguier, le 15 octobre 1788.
« Nous avons reçu, Messieurs, votre lettre du 26 du mois dernier et la copie de votre mémoire adressé à M. le Contrôleur-Général des Finances.

Nous ne croyons pas devoir appuyer vos prétentions relativement à la défense de l'exportation des grains par le port de Morlaix, et nous pensons au contraire que toute exclusion pareille serait d'un mauvais effet. La liberté de ce commerce en fait l'avantage réel, et ce n'est que par l'exportation et l'importation libre des blés qu'on peut ravitailler les cantons qui en manquent et opérer le balancement du prix de cette denrée.

Nous ne pouvons d'ailleurs, Messieurs, admettre dans votre mémoire que le commerce des grains n'a jamais été pratiqué à Morlaix et qu'il y a toujours été impraticable.  Il s'y fait beaucoup de recettes en grains et les paroisses voisines de vos côtes produisent certainement beaucoup de froment ; et il nous faudrait des errements certains, pour nous persuader que ces productions ne font que l'équivalent de la consommation locale.

Il nous paraît aussi permis d'acheter des grains dans les campagnes aussi bien que toute autre denrée ; et pouvez-vous ignorer, Messieurs, que le commerce des vins se fait à Bordeaux et dans les pays vignobles comme on fait ici celui du blé. Rien de plus juste que de faire régner la liberté pour la circulation des denrées nécessaires à la vie, et c'est uniquement à la sagesse du gouvernement à modifier cette circulation, lorsque le prix en devient trop cher.

Enfin, Messieurs, au même moment où vous blâmez la mutinerie des séditieux qui se sont opposés à l'exportation des grains dans votre port, et où vous déclarez que le bon exemple exige la punition des principaux auteurs du désordre des deux journées des 19 et 20 du mois dernier, vous réclamez du gouvernement la prohibition de cette même exportation, ce qui ne tendrait qu'à excuser les fauteurs de ces troubles. Nous sommes, etc. Les commissaires des Etats, L'abbé de SAINT-PRIEST, de TUOMELIN, DUPORTAL. ».

L'émeute était apaisée et la ville était rentrée dans l'ordre, mais il fallait éviter le retour de pareilles scènes de désordre et de pillage. Le procureur du roi fit une enquête et le sieur Mahé signala les agents provocateurs qui avaient conduit la foule à l'assaut de sa maison ; ils furent arrêtés et mis en prison. Plus tard le roi leur pardonna et accorda une amnistie générale pour toutes les émeutes qui avaient eu lieu en Bretagne. Le gouvernement était persuadé que le peuple avait péché par ignorance ou par erreur et que, puisqu'il revenait au respect des lois, il fallait lui tenir compte de son repentir et le recevoir avec des effusions paternelles. « La crainte que l'exportation des grains, disaient les lettres patentes, dans un temps, où elle était encore permise, ne causât la disette, malgré l'abondance et le bas prix des blés en Bretagne, y a excité des assemblées tumultueuses et des émeutes ; des magasins ont été forcés et les grains pillés ; des bateaux destinés à transporter des blés ont été arrêtés et ces mouvements sans motifs ont existé à Lamballe, à Quimper, à Chef-du-Pont, à Morlaix et à Saint-Brieuc. La vigilance de nos juges les a portés à des poursuites qui leur ont paru nécessaires pour réprimer de pareils excès. Plusieurs des accusés, décrétés de prise de corps, sont dans les prisons, d'autres seulement ont été décrétés d'ajournement personnel. La connaissance que nous avons prise de l'information et de toute l'instruction nous a mis à portée de reconnaître que la majeure partie des accusés a été induite en erreur par des alarmes mal fondées, tandis que les autres se sont laissé entraîner par une multitude aveugle et désordonnée. D'un autre côté, notre Procureur-Général au parlement de Bretagne a rendu plainte de différents faits, émeutes, attroupements et a arrêté des remontrances. En rendant justice aux voeux du bien public dont les magistrats de notre parlement ont été animés, nous croyons qu'il importe à la tranquillité de notre province de Bretagne, qu'il ne soit pas donné de suite à ces différentes instructions. Les unes ont un rapport plus ou moins direct à des faits sur lesquels nous avons prescrit le silence le plus absolu ; les autres relatives à des émotions populaires, excitées par le commerce des grains, pourraient à la vérité présenter quelques coupables à punir ; mais ces mêmes émotions n'ayant produit aucun effet funeste, notre amour pour nos sujets nous porte à préférer à une justice rigoureuse l'exercice du plus beau droit de l'autorité souveraine, celui de la clémence. A ces causes et autres à ce mouvant, de l'avis de notre conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons dit, statué et ordonné et par ces présentes, signées de notre main, disons, statuons et ordonnons, voulons et nous plaît que les procédures commencées en notre province de Bretagne à Quimper, Lamballe, Saint-Brieuc, Morlaix, Chef-du-Pont, et en notre dite cour du parlement de Rennes, relativement aux attroupements et émeutes sur le commerce des grains, ensemble toutes procédures du même genre, qui pourraient avoir été commencées dans le courant de l'année 1788, soient et demeurent éteintes et assoupies. Comme par ces présentes nous les éteignons et assoupissons, faisons très expresses inhibitions et défenses à notre procureur général et à ses substituts d'en requérir la continuation. et à notre parlement et à tous autres juges, de quelque qualité qu'ils soient, d'y donner aucunes suites, leur imposant au contraire un silence absolu, voulant que lesdits décrets décernés à l'occasion desdites procédures soient regardés comme nuls et non avenus ; leur en faisant, en tant que besoin est où serait, pleine et entière main levée, sans que, pour raison desdits décrets, ils puissent à l'avenir être inquiétés ni recherchés en quelque manière et par quelque cause que ce soit. Enjoignant à notre procureur général de tenir la main à l'exécution des présentes. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers, les gens tenant notre cour de parlement à Rennes, que les présentes ils aient à enregistrer, et le contenu en icelles garder, observer, exécuter, sans y contrevenir, ni souffrir qu'il y soit contrevenu en quelque sorte et manière que ce soit ; car tel est notre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces dites présentes. Donné à Versailles, au mois de février 1789, et de notre règne le quinzième. LOUIS ».

Après que les députés bretons eurent été délivrés et les édits retirés, le parlement de Paris fit sa rentrée, le 24 septembre 1788. Dès la première séance, il envoya au roi une députation pour le supplier de rappeler tous les exilés et de rendre ses bonnes grâces aux gentilshommes bretons ; quelques jours plus tard, c'est-à-dire le 8 octobre, le parlement de Rennes avait son tour. Les magistrats ayant appris que les troupes qui gardaient le palais depuis le 8 mai s'étaient retirées le matin, s'y installèrent aussitôt et furent félicités par tous les corps de la ville ; il y eut un Te Deum et le soir un feu de joie. La communauté de Morlaix prit part à l'allégresse générale et après avoir délibéré, elle chargea le maire d'adresser cette lettre de félicitations au Premier Président :

« Le nuage est enfin dissipé, Monseigneur. La vérité triomphe ; elle a fait briller sa lumière aux yeux de notre auguste monarque ; elle a chassé les ténèbres de l'erreur, et ce Sénat antique, l'objet de notre respect et de nos voeux, reparaît avec le nouvel éclat que lui prêtent la fermeté inébranlable des membres qui le composent et son attachement aux lois constitutionnelles de l'état. Le retour de l'ordre et des magistrats vertueux qui veillent pour le bien des peuples, remplit tous les citoyens d'une allégresse égale à la consternation et aux alarmes où les jetait le silence des lois. La joie éclate de toutes parts ; et jalouse de la témoigner, notre communauté s'est empressée de la rendre publique par toutes les démonstrations que son zèle a pu lui imprimer. Elle me charge, Monseigneur, de vous adresser la délibération qu'elle a prise, et de vous supplier, de permettre que les hommages de son respect profond et de sa soumission parviennent à la cour par le digne chef que la préside. Si la prévention pouvait inculper la communauté de Morlaix sur le silence qu'elle a cru devoir garder jusqu'à la tenue des Etats de la Province, ses registres, dépositaires de ses protestations, parleraient en sa faveur, et elle attendrait sa justification du tribunal suprême qui juge dans la vérité et la justice ».

Délibération. Monsieur le Maire remontre que la communauté ne peut trop s'empresser de témoigner sa joie sur le rétablissement de l'ordre, et sur le rappel si désiré du Parlement de Bretagne à ses fonctions, rappel fixé à ce jour mémorable pour le bonheur des peuples et que les démonstrations publiques doivent célébrer ; sur quoi délibérant :

« La communauté est d'avis que l'évènement heureux qui la rassemble, et qui a constamment fait l'objet de ses vœux, comme elle l'a déposé dans ses registres, lorsque sa prudence ne lui permettait pas de les exprimer autrement, ne saurait être célébré avec trop d'authenticité, et en conséquence a délibéré qu'il serait ordonné par M. le Maire et Lieutenant-Général de Police une illumination générale dans la ville, à l'issue d'un grand feu de joie qui será allumé ce soir à sept heures sur la Grande Place, pendant lequel tireront les canons de la ville, et seront invités à cette cérémonie, MM. les Prieur et Consuls, M. le Président du Commerce et le corps des Négociants et Financiers, ainsi que M. le Major de la Milice avec tous ses Officiers, et la garde nécessaire pour maintenir la police, et sera adressée au nom de la communauté par M. le Maire à Monseigneur le premier Président du Parlement de Bretagne une lettre de félicitations avec hommage des respectueux sentiments dont elle est pénétrée pour le Sénat auguste qui a le bonheur de le posséder à sa tête ! ». Délibération du 11 septembre 1788.

La même lettre fut envoyée à l'Intendant de Bretagne, qui n'accepta pas cette représentation indirecte et répondit :

« Je vous ai marqué, Monsieur, que j'avais communiqué à M. de Villedeuil la lettre que vous m'avez écrite pour m'informer de désagréments que les officiers municipaux de Morlaix éprouvent de la part de plusieurs gentilshommes, ainsi que des menaces qu'on leur fait et du désir qu'ils ont d'envoyer des députés aux Etats prochains et d'obtenir la permission de se faire substituer par un procurateur. Ce ministre vient de me répondre que cette substitution était contraire à la règle, il n'est pas possible de l'autoriser, qu'il lui paraît au surplus que les officiers municipaux s'affectent trop de propos ou de menaces que quelques particuliers ont pu se permettre ; il ajoute est intéressant pour la communauté de Morlaix d'être représentée aux Etats par quelques-uns de ses membres, et qu'en général il est de l'intérêt de l'ordre du Tiers que les communautés qui ont droit d'envoyer leurs députés aux Etats, ne manquent pas de les envoyer. En conséquence, il convient que votre communauté se fasse représenter aux Etats prochains par des députés de son corps suivant l'usage et la règle. Je suis etc., de BERTRAND !
Paris, 5 novembre 1788 »
.

Dans cet intervalle, la communauté jugea à propos de procéder à la nomination de ses députés. Les membres qui furent élus refusèrent le mandat, ce qui amena encore de longues contestations :

« La communauté après lecture des ordres du Roi par Monseigneur le duc de Penthièvre délibérant est d'avis, attendu que nul de MM. les assistants n'a point voulu admettre la commission de député aux Etats, fondés sur les désagréments personnels dont on y est menacé à raison de la diversité d'opinions qui a donné lieu à des discordes, est d'avis qu'il soit procédé par voie de scrutin à la nomination de deux députés aux Etats convoqués à Nantes pour le 21 du mois prochain, et en conséquence les noms des neuf membres écrits sur la boîte du scrutin, et M. le Maire ayant délivré deux pois à chacun des dits assistants, il s'est trouvé à l'ouverture et après que chacun des dits membres s'est présenté et a fourni au dit caisson que pour la place de premier député, M. le Maire a eu 4 voix. M. Rannou, 4 voix et M. Macé 1 voix, et les autres n'en ayant eu aucune, on a ouvert la boîte pour le second scrutin, suivant lequel il a résulté que pour la place de second député, M. Macé a eu 4 voix, M. Beau, 4 voix et M. Béhic 1 voix, et les autres membres n'en ont eu aucune.

Après quoi et sur la réclamation qui a été faite par les parties intéressées des usages qui ont jusqu'ici déterminé la balance dans des partages de voix pareils à la circonstance actuelle, en opérant la prépondérance pour la voix du Maire lorsqu'elle s'est trouvée dans le nombre des voix égales, sur le refus formel des sieurs Rannou et Beau de reconnaître cette loi ni cet usage dans cette occasion, et sur leurs protestations de n'y avoir égard, et sur leur demande d'un nouveau scrutin général refusé par les parties intéressées, a été arrêté qu'il en sera rendu compte à Monseigneur l'Intendant et que les choses resteront en l'Etat jusqu'à ce que la communauté reçoive ses ordres. Ainsi signé, Béhic, maire, Dubernad, Macé de Richebourg, Barrère ». Délibération du 21 septembre.

Le Maire ne se tint pas pour battu et il s'adressa encore au comte de Thiard :

« J’ai l'honneur, Monseigneur, de mettre sous vos yeux l'extrait de la délibération de ma communauté qui, sous la date du 21 du mois dernier, a fixé le choix des députés qui doivent assister aux Etats prochains, pour la représenter dans l'Assemblée nationale. Le refus absolu de quelques membres de se conformer au sort que les lois et les usages déterminent dans les cas de partage de voix, en attribuant à celle du chef, là où elle se trouve, une prépondérance entière, a retardé jusqu'ici la nomination légale et le choix qu'il est urgent de fixer.

Le certificat de tous les anciens Maires de Morlaix, le sentiment raisonné d'un avocat qui est attaché à cette pièce, devraient dissiper tous les doutes et triompheraient sans doute, si la répugnance et l’horreur qu'on a pour cette commission n'était vraiment invincible.

Cependant et pour me mettre en règle, d'après la sommation verbale qui me fut faite dans cette même Assemblée de déclarer les noms des personnes, qui avaient reçu mon pois dans le scrutin, je crus devoir en déposer la déclaration scellée au greffe de la ville, et l'acte du Greffier dont ci-joint également une copie, constate que ce dépôt fut fait sur les lieux mêmes, avant de nous déplacer.

Vainement, depuis ce jour, on a employé tous les moyens possibles pour concilier les sentiments, ramener les esprits et terminer enfin cette nomination. Nous avons sollicité auprès de Monseigneur le duc de Penthièvre la faveur d'être dispensés de cette représentation si redoutée, et la faculté d'y être substitués par un Procureur ; rebutés dans toutes ces démarches, je n'ai plus, Monseigneur, qu'à réclamer de votre autorité l'effet naturel et malheureusement nécessaire de la délibération qui a été prise, et l'ordre conséquent qu'il soit procédé suivant l'usage à la nomination qui résultera de l'ouverture qui sera faite du paquet déposé au greffe ; et dont la déclaration qu'elle contient ne rendra plus le choix équivoque ni douteux.

En sollicitant de votre justice, Monseigneur, les droits de la place que j'occupe et de la prépondérance de ma voix dans le cas actuel qui offre un partage, je ne réclame qu'une distinction, dont tous mes prédécesseurs ont joui sans la plus légère opposition.

Vous serez sans doute surpris, Monseigneur, qu'au lieu de briguer la place de député aux Etats, tous les membres de la communauté se présentent avec tous leurs efforts pour s'y soutraire ; jamais il n'y eut dans la vérité une répugnance mieux fondée.

Nous sommes entourés d'ennemis puissants par leur union, acharnés à noircir la communauté, auteurs d'un mémoire imaginé par la vengeance, dicté par la passion, colporté dans toutes les maisons et destiné à poursuivre la dislocation de notre constitution ancienne, sanctionnée par une foule de décrets et d'édits.

Il a plu au Conseil d'attacher à notre profession une distinction honorable, en ordonnant que le négociant en gros fut exclusivement admis a porter le fardeau de la municipalité ; cette exclusion en blessant d'autres ordres n'est pas aujourd'hui la seule cause des divisions et des éclats douloureux qui se succèdent, il en est une qui affligent nos coeurs et nous expose à des humiliations insupportables.

La communauté, inébranlable dans ses principes de fidélité au monarque et de respect pour les lois, n'a pas cru devoir céder aux invitations et aux menaces qu'elle a reçues, dans ces derniers troubles, lorsqu'on a sollicité son adhésion aux protestations de la province ; l'arrêt du 20 juin dernier lui imposait la loi du silence, et dans ses arrêtés elle s'est réservée de porter ses protestations et de joindre ses réclamations à celles des autres ordres, lorsque la nation assemblée dans ses états rendrait cette démarche légale.

Cette conduite sage et circonspecte lui a suscité des ennemis, et dans ce moment où le fanatisme patriotique se permet tant d'excès, il n'y a pas d'avanies que les fiers partisans de la cause adorée ne fassent rejaillir sur la communauté qu'il leur plaît d'infâmer ; l'accueil qu'on se fait une joie d'annoncer à ses députés aux États, ces procédés publics et déshonorants que la noblesse cherche à propager et qu'elle affecte de répandre, tout présage aux gens d'honneur qui admettraient cette commission des désagréments personnels, flétrissants et insupportables, et notre dévouement au bien public, qui peut braver tout le reste, ne cédera jamais au déshonneur et à l'avilissement.

Nous avons intéressé notre fidélité et tout ce que nous avons cru être le plus digne des égards du prince, pour obtenir, Monseigneur, la grâce d'être exempts cette fois d'une assistance personnelle de nos membres aux États ; ce qui nous attire une persécution aussi désolante nous paraissait digne de la protection unique que nous réclamions ; l'arrêt du 20 juin l'assurait à tous les sujets fidèles ; aurons-nous donc la douleur d'être abusés dans cet espoir ? Votre humanité, Monseigneur, votre sensibilité, que nous implorons, devient notre unique refuge ; daignez en comblant nos vœux, agréer l'hommage du sentiment éternel de notre reconnaissance. Je suis, etc. BÉHIC, maire. 10 octobre 1788 ».

Le Gouvernement donna l'ordre au Maire de procéder à un nouveau scrutin ; la communauté se réunit donc et nomma pour premier député, M. Mazurié de Pennanech, ancien maire et ancien député, dont le talent et le zèle pour le bien public étaient connus de tous, et pour second député, M. Diot, jurat.

Morlaix, comme la plupart des villes de la Bretagne, rédigea aussi des cahiers pour les remettre à ses représentants. Le 13 novembre, la communauté prit l'importante délibération qui suit :

« La communauté, vu l'importance de l'objet, est d'avis d'appeler à l'asssemblée les anciens maires, échevins et jurats, pour que la matière soit plus sûrement examinée, discutée et délibérée ; et ceux, appelés et rendus, ladite communauté délibéreront, sauf à donner dans la suite telles autres charges que les circonstances pourront exiger.

Considérant que l'ordre du tiers aux États n'est pas en nombre suffisant pour résister aux prétentions contraires à ses intérêts, qui s'y élèvent fréquemment, est d'avis de charger, comme en effet elle charge de la manière la plus expresse, ses députés auxdits États, de proposer que l'ordre du tiers aux États Bretagne, soit augmenté dans chaque district, et que dans le district de Morlaix, composé des paroisses qui forment la subdélégation, il y ait au moins le nombre de quatre députés, chacun ayant voix délibérative, et dont pour le moins la moitié sera prise dans le commerce en gros.

Considérant que l'ordre de la noblesse est toujours très nombreux aux États, qu'il est encore, et le plus souvent, chargé de l'ordre de l'église, ordinairement composé de nobles ou de personnes qui s'y assimilent, que leur présence peut avoir beaucoup d'influence sur les gens qui dépendent d'eux, en tout cas, gêner les suffrages des gens timides ; ladite communauté est d'avis de charger lesdits députés, comme en effet elle les charge, de demander et poursuivre que les députés du tiers aux États ainsi que les agrégés, ne pourront jamais être nobles, annoblis ou aspirants à l'être, subdélégués de l'intendance, sénéchaux, procureurs-fiscaux, receveurs ou fermiers des seigneurs ecclésiastiques ou laïques.

Considérant que l'élection des députés du tiers est pour lui de la plus grande importance, que le commerce, les manufactures, l'agriculture, les arts et métiers ne sont jamais assez représentés aux États, vu que presque tous les députés sont pris dans la robe, et que la commission des finances et du commerce n'est souvent aux États de la province, dans l'ordre du tiers, composée que d'hommes de lois, ladite communauté charge encore les députés de demander et poursuivre qu'à l'avenir, pour faire l'élection desdits députés, tous les généraux des paroisses de chaque ville et de son district, ainsi que le commerce et les corporations, au cas qu'il y en ait, soient autorisés à envoyer des commissaires auxdites élections, lesquels commissaires s'assembleront à cet effet à l'Hôtel-de-Ville avec les officiers municipaux, sans qu'aucun desdits commissaires puissent être nobles ou annoblis.

Considérant que l'ordre du tiers n'est pas encore en nombre suffisant dans les commissions intermédiaires, et celles qui ont lieu pendant les États, ladite communauté charge ses députés de demander que ledit ordre ait un nombre égal au nombre réuni de l'ordre de l'église et de la noblesse, et que les voix continuent à être comptées par têtes dans lesdites commissions.

Considérant que les besoins de la campagne et ce qui peut mettre des entraves à l'agriculture ne peuvent être mieux représentés que par les recteurs des paroisses ; ladite communauté charge lesdits députés de proposer que lesdits recteurs soient admis en nombre convenable, pour figurer et avoir voix délibérative aux États de la province, dans l'ordre de l'église, pourvu que toutefois lesdits recteurs seront de condition roturière et auront au moins dix années de rectorat.

Considérant que les États ont deux procureurs-généraux-syndics et un greffier, payés des deniers de la province, que l'ordre du tiers, aux dépens duquel se lèvent pour ainsi dire ces paiements, ne concourt plus à ces places, et qu'il est aussi raisonnable qu'intéressant pour le peuple qu'elles soient au moins réparties ; ladite communauté charge ses députés de demander et poursuivre que vacation advenant par mort, démission ou autrement, de l'une des deux places de procureurs-généraux-syndics des états de la province, il y soit pourvu en faveur de l'un des membres du tiers, dans la forme des règlements, et que ladite place reste irrévocablement attachée audit ordre ; comme aussi que la première nomination d'un greffier en chef des états, soit faite en faveur d'un membre de l'ordre du tiers, et qu'à l'avenir cette place soit alternative entre ledit ordre et celui de la noblesse.

Considérant que l'intention du Roi et le voeu des États est de supprimer la corvée en nature, que dans la dernière tenue, pour faire face à cette suppression, on imagina d'augmenter l'eau-de-vie de dix sous par pot, mais que le succès de cette nouvelle taxe, qui avec tant d'autres retombe encore en entier sur le peuple, au lieu de répondre à l'idée qu'on s'en était faite, doit avoir servi à augmenter les fraudes et à préjudicier au revenu de la province, ladite communauté charge les députés de demander et poursuivre la suppression de ladite augmentation ainsi que de la corvée en nature, et qu'il y soit suppléé par une imposition sur les trois ordres, ou par quelque autre moyen qui puisse rendre ladite corvée commune à tous les habitants de la province.

Considérant qu'il ne paraît pas juste que le casernement et la milice soient en entier, comme il l'est à la charge du tiers état, et que le logement et la levée des troupes, ayant pour cause la défense de chaque individu, doit faire un objet de charge commune à tous les habitants du royaume ; ladite communauté charge ses députés de demander et poursuivre qu'il soit construit des casernes dans les principales villes de la province aux dépens des trois ordres, lesquels contribueront aussi à l'entretien des milices ; et en cas qu'il soit procédé à d'autres dispositions pécuniaires pour être substituées audit projet de casernes, lesdites contributions soient supportées par les trois ordres.

Considérant que la somme annuelle de quatre cent vingt-huit mille livres qu'on lève sur la roture, qualifiée depuis quelque temps de fouages extraordinaires, n'est qu'un emprunt que les États de Bretagne font du tiers état, depuis 1643 ; que tout emprunt ne doit avoir qu'un cours, et qu'il est plus que temps de faire restituer les immenses sommes empruntées ; ladite communauté charge de la manière la plus expresse ses députés de dire et soutenir aux prochains états, que le peuple épuisé depuis tant d'années par les prétendus fouages extraordinaires, est forcé de ne plus les consentir, de demander aux deux autres ordres la restitution de leur part des sommes empruntées par les impositions sur leurs biens ou par diminution de taxes sur le tiers état, ou de telle autre manière qui pourrait être mieux avisée ; en conséquence, et en cas de refus, de donner telle procuration, et de comparaître à cette fin devant tel notaire qu'il appartiendra, à l'effet de se pourvoir un conseil du roi, pour obtenir la justice depuis si longtemps attendue.

Considérant que la répartition de la capitation entre l'ordre de la noblesse et l'ordre du tiers est de la plus insigne disproportion en Bretagne, que la cote de la noblesse de l'évêché de Tréguier est tout au plus de douze mille livres ; la cote de la noblesse de Léon tout au plus de onze mille livres ; que les cuisiniers, les valets de chambre, les laquais, les cochers, les palefreniers, les femmes de chambre et de charge, les jardiniers et les valets à bras en grand nombre, sont encore compris dans ces sommes, tandis que la ville de Morlaix, peuplée pour les sept-huitièmes de misérables, rapporte seule dix-huit mille quatre cent vingt libres dix-sept sous sept deniers de capitation, et que les campagnes voisines sont taxées à l'avenant ; la dite communauté charge encore de la manière la plus expresse ses députés de dire et soutenir que le peuple, courbé sous cette surtaxe, ne peut plus la supporter ; en,conséquence d'agir et de faire tout ce qui dépendra d'eux à l'effet de parvenir à une nouvelle répartition de capitation, entre l'ordre de la noblesse et l'ordre du tiers, par un seul et même rôle, pour pouvoir soulager les villes et les campagnes surchargées ; et en cas de refus, de consentir pour se pourvoir tel acte ou telle procuration qu'il appartiendra.

Enfin considérant que les états généraux du royaume sont fixés dans lecours de l'année 1789, et que le peuple qui constitue principalement la force de l'Etat par son nombre, sa population, son industrie, son agriculture, les manufactures, les arts et métiers, son commerce et les autres professions qu'il exerce, doit avoir une influence proportionnée dans lesdits états généraux, et y être représenté à l'avenir d'une manière plus convenable qu'il ne l’a été au passé ; ladite communauté charge ses députés, au cas qu'il soit question dans les états de la province de députés aux états généraux, de dire et soutenir, que les dits députés aux états-généraux doivent être égaux en nombre aux députés réunis des ordres de l'église et de la noblesse ; sauf, passé la décision que interviendra à la suite de l'assemblée des notables, à, donner à ce sujet et à tous autres, telles autres charges qu'il appartiendra.

Arrête au surplus la dite communauté que la présente délibération sera adressée à qui besoin sera pour le succès de la demande sauf dans la suite à demander au roi la permission de convoquer la commune ; et en cas qu'on l'obtienne, de faire telles assemblées qu'il appartiendra... BÉHIC, Maire.

Pour adhésion, les anciens maires, échevins et jurats : Charles SERMENSAN, M. MAZURIÉ, BARRÈRE, MAZURIÉ DE PENANNECH, ancien marin ; HAMELIN, ancien échevin, BEAUMONT, CORNIC, BEAU, CONHITÉ, MAZURIÉ fils, VARENNE LE LOUP, anciens jurats ».

Quelques jours après les négociants et les marchands ayant eu connaissance de cette délibération, qui tendait a réclamer les droits du tiers état aux états de la province et une répartition plus équitable des impôts, demandèrent à y adhérer. Après avoir été introduit dans la salle des séances, l'un d'eux s'exprima ainsi :

« Messieurs, nous avons été instruits que vous avez pris une de libération pour charger MM. les députés aux états de la province, de solliciter de leur justice une répartition plus équitable des impôts, dont le poids tombe presque en entier sur le tiers état ; cette cause nous est commune avec vous ; nous vous prions donc de nous donner lecture de la délibération que vous avez prise, et de permettre que nous joignons nos efforts aux vôtres, pour obtenir une justice si longtemps attendue ».

Lecture faite de la délibération du 13 de ce mois, portant charge à MM. Les députés de la ville aux prochains états de la province, MM. Les négociants et marchands ont déclaré y adhérer et ont signé : Jean Le Bras, Guillaume Passard, Caillard, Jean Larraut, Desforges Pelle, Colsson, Brunet, Kerbriand père et fils, Sol, Jasmes, Découvrant fils ainé, Nicolas Hazevis, Dubourg, Aubereau Chardon, Guillaume Croissant, Royné, Lannes, Simon Barbanson, veuve Maguirès, Pierre Bohay, Machourlec, Lamponniant Le Corre, Jean Laurent, Le Coq, Prudhomme, Larrant, Jean-Marie La personne, Kerdaniel-Homon, François Lemier, Jamet, Abraham, Thibault, Boutin de la Bazinerie, Ferchin, Lachiver, Marc Le Maître, Jean Bozec, Jean-Maurice Le Maître, Allain Laurent, Mathurin Pellot, Lapous, Nicolas Ferrec, Jean Nicolle, veuve Maison-Neuve Poterel, Briard de Valencour, Jean Josse, Jean Hamon, Duplessix, Larryve. Pour le corps des officiers de la milice bourgeoise, Beau, major. (Délibération du 17 novembre).

Le corps de ville étudia encore les réformes qu'il désirait et donna par sa délibération du 26 novembre en charges additionnelles à ses députés.

ARTICLE Ier. — La communauté voyant approcher le temps et le lieu qu'elle avait jugés seuls propres à élever la voix, et prononcer ces doléances, soit contre les tentatives qui dernièrement ont agité la province, soit contre les griefs que souffre le peuple confié à ses soins, persiste à charger ses députés aux états de défendre, (en cas d'atteinte) avec fermeté, mais avec décence, les franchises, privilèges, droits et prérogatives de la province, en distinguant toutefois ce qui est véritablement constitutionnel en soi, d'avec ce qui ne le serait que dans l'opinion des hommes prévenus.

ART. II. — Ils attendront sans crainte l'orage dont la communauté est menacée, pour avoir dans les derniers troubles, pris le parti qu'elle croyait le plus sage ; pour s'être montrée conséquente et inébranlable dans ses principes, et n'avoir fait en tout que suivre les mouvements de sa conscience ; et si cet orage éclate, ils se borneront à en donner avis circonstancié à la communauté, afin qu'elle y avise.

ART. III. — Etant notoire, que quelques génies remuants ou trop faciles, conduits et peut-être enflammés par l'antipathie héréditaire de quelques autres, concertent, depuis un an, le plan de renverser les antiques constitutions de cette ville, et qu'on a signé et dû faire signer un ou plusieurs écrits qui, dit-on seront portés aux états ; les députés au cas que les dits écrits paraissent, se borneront encore à en demander et obtenir la communication, ou des copies certifiées, qu'ils remettront à la communauté, pour en délibérer ainsi qu'elle verra.

ART. IV. — Ils continueront à poursuivre aux états, à la commission intermédiaire et partout ailleurs où besoin sera, la reduction des vingtièmes sur les revenus de la ville et la restitution du trop imposé, la réduction de la taxe appelée octrois municipaux, la réduction de la capitation et autres droits y joints, tant sur la ville que sur les campagnes de son arrondissement, la suppression des dix sols pour livre sur les impôts et billots et autres droits, la suppression du droit des francs-fiefs, en tout cas, sa conversion en une redevance annuelle sagement combinée, le redressement des obstacles qui nuisent à l'agriculture, aux arts et métiers, aux manufactures de toiles, de cuirs, et autres différentes branches du commerce de la ville et du canton, pour lesquelles fins et, autres de même nature, tendantes au bien général et particulier, il leur sera remis des renseignements et des mémoires instructifs.

ART. V. — La multitude des taxes accumulées graduellement sur le débit des vins et eaux-de-vie et autres liqueurs, excite plus de fraudes et fait naître plus de procès : ces impôts les plus cruels peut-être de ceux qui se lèvent en Bretagne tant par leur quotité, que par les rigueurs qu'ils entraînent, réfléchissent presque en entier sur la portion d'habitants, qui devrait être la plus soulagée ; en conséquence les députés demeurent chargés de proposer aux états, d'aviser aux moyens que leur prudence pourra saisir, afin de concilier la conservation du patrimoine de la province, avec une plus équitable répartition des droits dont il se forme.

ART. VI. — L'accroissement de l'ordre de la noblesse étant nuisible et à l'état en ce qu'il y diminue la classe laborieuse et la plus utile, et à cette classe même, en ce qu'il en résulte du vide dans l'acquit de ses contributions ; les députés demeurent encore chargés de s'opposer aux états à toutes demandes de lettres d'anoblissement, à moins que ce ne soit pour faits de bravoure militaire, caractérisée d'une manière assez évidente pour mériter une pareille distinction.

ART. VII - Comme aussi de représenter fortement aux Etats, que l'art des généalogistes est aujourd'hui porté à un tel degré que l'homme le plus habile peut s'y méprendre, lorsque surtout il ne voit qu'un côté, comme il arrive en matière de noblesse dans les demandes d'arrêts de maintenue ou de réintégrande ; en conséquence, lesdits députés solliciteront les Etats d'obtenir un règlement pour décider qu'à l'avenir tous ceux qui se pourvoiront au Parlement pour se faire maintenir ou réintégrer dans l'état de gentilhomme seront tenus, avant tout examen de leur demande et de leurs titres, de les communiquer aux communautés de ville de leur résidence ou arrondissement ; pour les dites communautés comme plus à portée de s'instruire et de connaître la vérité des faits par les renseignements locaux, faire leurs remarques conformes ou contraires.

ART. VIII - L'usage actuel de solliciter des commissions, des députations ou autres places aux Etats étant contraire à l'austérité des anciennes moeurs et pouvant en outre tourner au détriment du mérite, dont ces emplois devraient être la juste récompense ; la communauté convaincue que l'esprit de brigue ne saurait être celui de ses députés, leur recommande seulement de refuser, autant qu'il paraîtra possible, leurs suffrages à ceux qui, placés entre les moyens tolérés et les moyens tolérables, n'auraient pas témoigné plus de délicatesse.

ART. IX. - L'esprit d'économie que la nécessité a fait renaître devant être l'un des principaux guides des administrations, les députés refuseront leur consentement à toutes nouvelles demandes de pensions, appointements, gratifications, secours pécuniaires et autres objets semblables, sous quelque prétexte ou dénomination qu'ils puissent être présentés.

ART. X. — Quant aux anciens appointements, établissements, pensions, gratifications, rentes annuelles et généralement toutes autres sommes et dépenses périodiques, sans exception, que l'usage des Etats peut avoir jusqu'à présent introduit et multiplié ; étant plus indispensable que jamais d'établir un ordre plus certain dans l'emploi des deniers de la Province, tant pour que les membres des dits Etats puissent balancer avec connaissance de cause ce qu'ils doivent accorder ou refuser ; que pour ménager, s'il est possible, de quoi faire face soit à l'acquit de l'emprunt mal à propos qualifié de fouages extraordinaires, soit à l'allègement des autres charges, qui oppriment la propriété ; les dits députés sont chargés de demander un règlement par lequel il sera décidé :
1° Qu'avant tout, il sera déposé dans la chambre de chaque ordre une liste exacte et détaillée des dits appointements, établissements, pensions, gratifications, rentes et autres sommes et dépenses périodiques à laquelle sera joint l'état des dettes exigibles.
2° Qu'il sera encore déposé dans chacune des dites chambres une copie fidèle de l'état au vrai des fonds de la Province, pour pouvoir comparer ces fonds avec les charges et les autres dépenses qu'elle serait en état de supporter.
3° Qu'encore dans chaque chambre, il sera à l'avenir délibéré article par article sur l'octroi, la division, la réduction ou la radiation entière de ceux des dits objets qui paraîtront devoir être octroyés, divisés, réduits ou rayés, suivant les circonstances ou la diversité des causes.

ART. Xl. — Les griefs que le Tiers Etat souffre, étant trop nombreux, pour être ici analysés, les députés de cette ville sont autorisés et, en tant que besoin, chargés de concourir avec ceux des autres villes qui, fidèles à leur devoir, se rangeront du côté du peuple, pour défendre sa cause, à l'effet de rédiger et publier un mémoire dans lequel ses doléances seront développées avec autant de fermeté que de décence, pour valoir et servir ou besoin sera, leur recommandant d'agir en tout avec prudence et circonspection.

La communauté reçut aussi l'adhésion de tous les corps de métiers de la ville, qui prièrent le maire de les recevoir, afin qu'ils pussent exposer leurs griefs et leurs revendications. Leur demande fut acceptée et le registre des délibérations mentionne ainsi cette séance :

Assemblée de MM. les Maires, Echevins et Jurats de la ville et communauté : M. le Maire remontre, que les diverses corporations de la ville l'auraient prié d'assembler la communauté, pour lui présenter leur voeu d'unanimité et d'adhésion aux charges qu'elle a délibérées pour ses députés aux Etats prochains, sur quoi requiert délibération.

La communauté a décerné acte, et délibérant est d'avis de recevoir, et d'entendre lesdites corporations, lesquelles rendues dans la salle du conseil, les représentants desdites corporations ont remis trois mémoires et supplié de les joindre aux charges de la communauté, en requérant connaissance de leur contenu, et lecture ayant été faite des délibérations et des charges arrêtées les 13, 17 et 26 du mois dernier, les dits représentants ont déclaré y adhérer dans tout ce qu'elles contiennent, et la communauté leur a décerné acte de la présentation des trois mémoires mentionnés, et arrêté qu'à la suite de la présente délibération, ils seront imprimés, et les originaux déposés dans ses archives, et qu'il sera fourni à chaque corporation un exemplaire de la présente, ensemble des charges et des délibérations des 13, 17 et 26 novembre ci-dessus mentionnés.

(M. A. ALLIER).

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