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LE CHATEAU DU TAUREAU, FORT QUI DÉFEND L'ENTRÉE DE LA RIVIÈRE ET DE LA RADE DE MORLAIX.

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Le château du Taureau est un fort situé à l'embouchure de la rivière de Morlaix, à environ 3 lieues N.-N,-O. de cette ville, et qui a été construit pour défendre l'entrée de sa rade ; le fort est bâti sur un îlot de rochers placé entre les deux pointes du continent qui resserrent en cet endroit l'ouverture de la rivière, laissant un passage assez étroit de chaque côté du château, qui dépend de la paroisse de Plouézoch située sur la rive droite. Ces deux pointes et l'îlot du fort donnent de l'abri au bassin naturel qui constitue la rade ou baie intérieure de Morlaix.

Plan du château du Taureau

Description et situation. — La forme du château est oblongue et va en se rétrécissant vers le nord, suivant celle du rocher qui lui sert d'assiette ; il est armé d'une batterie basse et rasante de canons de gros calibre placés dans des casemates voûtées ; des pièces plus légères et de diverses espèces, parmi lesquelles on remarque deux anciennes couleuvrines à huit pans, dont l'une porte les armes de Bretagne entourées de la cordelière [Note : Il est question de retirer du château ces deux vieilles couleuvrines pour les remplacer par des pièces plus analogues au système et au service actuel de l'artillerie], défendent la plate-forme qui est dominée par une tour ronde en forme de donjon. Le fort contient des logements pour le commandant, les officiers et les troupes qu'on y entretient, des magasins pour les munitions et approvisionnements, et une vaste citerne y réunit les eaux pluviales pour l'usage de la garnison : son entrée, qui est au midi et donne du côté de la rade, se ferme au moyen d'un pont levis.

Trois passes d'inégale profondeur, longues, étroites et bordées d'îlots, de bancs ou de récifs dangereux, servent d'entrée à la rade intérieure de Morlaix, et, aboutissant au château du Taureau, forcent les navires qui s'y engagent à présenter leur avant au feu de son artillerie, et à s'en voir longtemps enfilés dans la direction de leur longueur sans pouvoir faire usage contre lui du feu de leur travers, ce qui les expose à se jeter sur les roches qui bordent les passes, où à s'échouer sur les bancs qui prolongent la côte ; de plus les bâtiments, pour donner dans la rade, sont obligés de ranger de très-près le fort qui les domine alors, et qui, aidé de batteries placées sur la côte, peut leur faire beaucoup de mal. Le château est environné de tous côtés par la mer qui baigne ses murs dans les grandes marées ; elles produisent en cet endroit des courants violents : la mer, quoique brisée par une multitude de rochers, ne laisse pas que d'être grosse aux environs du fort lorsque les vents soufflent avec impétuosité du N.-0. au N.–E. ; et ses vagues se déferlent quelquefois jusque sur la plate-forme. On peut juger combien la position judicieuse du Château du Taureau ajoute à sa force et contribue à le rendre redoutable. L'impossibilité de s'en échapper avait porté le gouvernement à l'employer comme prison d'Etat avant la révolution, mais on ne pouvait y tenir qu'un fort petit nombre de prisonniers.

Aperçu sur le commerce de Morlaix, et la navigation aux XIVème, XVème et XVIème siècles. — Morlaix, sous les ducs de Bretagne, avait eu depuis un temps immémorial des relations suivies de commerce avec la côte opposée de l'Angleterre où, par un vent favorable, on peut aborder en peu d'heures. Ce commerce, fondé sur les besoins réciproques des deux peuples, avait été quelquefois interrompu par la guerre, mais s'était toujours rétabli aux premières apparences de paix (D. Morice, Actes de Bretagne, tome III, col. 535) : il avait dans la suite acquis de l'extension vers le Nord, par des relations avec les provinces belgiques et les villes anséatiques. La ville de Morlaix faisait alors quelque commerce avec l'Espagne : mais il paraît que dans l'origine, il consistait principalement en poisson séché ou salé, qu'on prenait en abondance sur les côtes de Bretagne, et qu'on savait bien préparer. Les retours étaient des fruits secs et une petite quantité de vins. Les rapports commerciaux avec les ports de France étaient actifs, surtout avec Bordeaux et la Rochelle, qui fournissaient presque tout le vin que l'on consommait copieusement dans le pays, quoique les vins des crûs de Bretagne ne payassent que la moitié du droit des vins étrangers. Les droits d'entrée et de sortie établis momentanément par les ducs Jean IV et ses successeurs sur les marchandises d'importation et d'exportations, font connaître que le commerce maritime avait dès lors assez d'étendue et d'activité, et plus que l'on n'est généralement porté à le croire. Les peuples ont toujours besoin les uns des autres.

La navigation, dans ce temps, n'était qu'un simple cabotage dont les plus gros navires ne dépassaient pas 100 à 150 tonneaux, encore ceux de cette dimension étaient-ils en fort petit nombre. Les princes, en Angleterre, en France, comme en Bretagne n'avaient point de marine à eux, ou n'entretenaient que fort peu de bâtiments. Lorsqu'ils avaient à faire une expédition maritime, ils taxaient les ports de mer à leur fournir un nombre de navires proportionné à celui qui y existait, et en payaient la location aux propriétaires ; on les chargeait alors de soldats, d'armes et de vivres. Le maître ou patron, qui avait sous ses ordres un nombre suffisant de matelots et qui était marin, dirigeait la navigation, commandait l'équipage et la manoeuvre, et celui qui commandait les troupes avait le titre de capitaine et autorité sur le maître. Telles étaient les armées navales de cette époque. Ce ne fut que vers la fin du XVème siècle que les ducs de Bretagne commencèrent à entretenir quelques navires en petit nombre pour leur service (Dom Morice, Actes de Bretagne, tome III, col. 535, 540, 541).

La politique fiscale et resserrée de Henry VII, roi d'Angleterre, apporta des entraves au commerce de Morlaix avec ce royaume, sans pourtant le faire cesser ; mais celui avec l'Espagne, qui venait de découvrir et de conquérir l'Amérique acquit dès lors un grand accroissement ; les vues se portèrent de ce côté, et l'industrie des commerçants bretons se créa bientôt un tribut considérable et plus avantageux sur les richesses du Nouveau Monde.

Evènements historiques. — En 1522, Francois Ier régnait en France ; son mariage avec Claude, fille aînée de Louis XII et d'Anne de Bretagne lui assurait la possession de cette belle province. Le renouvellement, en 1518, de son alliance avec Henry VIII, roi d'Angleterre, que gouvernait le cardinal Wolsey, et la célèbre entrevue des deux princes au camp du Drap-d'Or, entre Ardres et Guisnes, qui eut lieu en 1520, semblait faire présager entre eux une union plus durable, lorsque tout à coup Henry se détacha de l'alliance de François, et entra dans la ligue ourdie contre lui par l'empereur Charles-Quint et le pape Léon X.

« L’an 1522 [Note : On a cru devoir joindre à ce qui est ici sur cet événement, le récit qu'en fait le P. Albert-le-Grand dominicain, natif de Morlaix, dans sa Chronologie des évêques de Bretagne (évêché de Tréguier) publiée à la suite de ses Vies des Saints de Bretagne, récit qu'il donne d'après celui d'Allain Bouchard, historien contemporain, auteur de la Grande-Chronique de Bretagne], le roi d'Angleterre, Henry VIII, mit en mer un grand nombre de vaisseaux pour tenir la mer et piller les marchands français, et pour parler en leur jargon (courre le bon bord) : ces voleurs coururent la Manche tout le mois de juin, rangeans les îles de Jarzay et de Grénezé et les hâvres de la Hougue, Cherbourg et autres de Normandie, où un traistre capitaine, de Morlaix, nommé La Trigle (il n'en était que lieutenant et y commandait en l’absence du capitaine, qui était François, sieur des Fossés), les envoya advertir de descendre au port dudit Morlaix, qu'ils trouveroient dégarni de deffense, d'autant que la noblesse estait allée aux montres généralles assignées à Guengamp, par le seigneur de Laval, lieutenant du roi en Bretagne, en l'absence du duc d'Alençon, et les marchands et bourgeois estaient pour la meilleure part allez à la foire de Noïale, près Pontivi, qui durerait depuis le cinquième juillet jusqu'au treizième, les asseurant de son secours et de sa garnison. Les pirates affriandez de ces appasts, se mirent à la voile et entrèrent dans le hâvre de Hanter-al-Lenn (c'est le mouillage de la rade de Morlaix) le dernier jour de juin, mirent pied à terre et commencèrent à marcher vers la ville déguisez en partie en paysans, autres en marchands desquels on ne se défioit, à cause du trafic ordinaire de cette nation à Morlaix ; aucuns se coulèrent dans le château, autres dans les faux-bourgs, et le gros se cacha dans le bois du Stiffel, ayant donné ordre qu'à la marée du soir on amenât leurs pataches au quay pour charger le butin : mais ils ne purent joindre le quay, ains s'arrestèrent devant la Croix-Neufve, sans arriver, à cause que les paysans (de Ploujean et de Saint-Martin, paroisse des deux côtés de la rivière), ayant entendu l'allarme, arrachèrent dix ou douze arbres des rabines de Cuburien, dont ils barricadèrent le chesnal, ce que voyant les pillards, ils sautèrent à terre pour venir joindre leurs compagnons [Note : On voit que Morlaix était alors dans une grande sécurité, et que les Anglais, déguisés en paysans, en matelots et en marchands qui y précédèrent leurs troupes, et auxquels on dit que La Trigle livra les postes les plus importants, n'excitèrent aucun soupçon, à raison de commerce ordinaire et considérable que cette nation faisait avec la ville. (Albert-le-Grand, Chronologie des évêques de Tréguier)]. Sur la mi-nuit, tout le monde s'étant retiré, quand moins on y pensait, les ennemis sortirent en rue, saisirent les portes et donnèrent chaudement l'allarme, avec un tel effroi, que les cytadins, quittant leurs maisons et touts leurs biens, se sauvèrent à la fuite. Deux seules personnes se mirent en défense, le recteur de Ploujean (qui était aussi chapelain de Nostre-Dame-du-Mur) lequel ayant levé le pont de la porte de Nostre-Dame, monta dans la tour, d'où à coup de mousquet il versa en poudre plusieurs des plus échauffez ; mais enfin il fut miré et tiré : et une chambrière de la grande rue, laquelle voyant que tout le monde du logis s'estait sauvé à la fuite, amassa quelquels autres filles de la rue en la maison ; et ayant ouvert l'escoutille ou trappe de la cave, qui était à l'entrée de la porte en dedans, laissa la porte à demie ouverte, de sorte que les ennemis, entrant de foule, tomboient dans la cave les uns sur les autres, où ils se noyèrent au nombre de plus de quatre-vingt. Enfin, la maison fut forcée et la généreuse fille qui avec ses compagnes, s'était retirée et enfermée au sommet du logis, poursuivie des soldats, fut prise et jettée du haut en bas sur le pavé. La ville fut pillée sans épargner même les églises, et sur le point du jour, ils se retirèrent à leurs navires avec grand nombre de butin et de prisonniers, hormis six ou sept cents qui s'étant amusez à faire bonne chère ès celliers sur le ports de Tréguier, s'endormirent au bois de Stiffel, quelquels six cents pas de la ville, où le seigneur de Laval les tailla en pièces et recouvra leur butin, et en mémoire de cette défaite, la prochaîne fontaine s’appelle encore à présent Feunteun-Ar-Saozon [Note : Les Bretons Armoricains ne connaissent les Anglais que sous le nom de Saozon, qui signifie Saxons], c'est-à-dire fontaine des Anglais, d'autant que ses eaux furent rougies de leur sang ce jour ».

Allain Bouchard (historien contemporain et auteur des Grandes-Chroniques de Bretagne) ayant raconté au long cette aventure, ajoute ces mots : « C'est la récompense faite par lesdits Anglois des grands biens, plaisirs et services que leur ont fait et font par chacun jours les bons bourgeois de ladite ville, et pour avérer le proverbe qui dit : racheptez un larron du gibet, et lui-même vous voudroit avoir pendu, pourquoy s'y fie qui voudra ».

Ce fut cette circonstance qui fit prendre à la ville cette singulière devise « S'ils te mordent mords-les », par allusion à son nom et à l'évènement.

Construction du fort. — Afin de se mettre à l'abri pour l'avenir de semblables désastres, il fut réglé que les habitants de la ville feraient par détachements, et durant la guerre, la garde sur les pointes de Penanlan et de Bararmenez qui forment l'entrée de la rivière de Morlaix, ce qui fut exécuté. Mais ce service pénible, qui les éloignaient trop longtemps et trop souvent de leurs familles et de leurs affaires, ne tarda pas à les fatiguer ; le désir d'en être débarrassés les porta à proposer, en 1542, à Jean de Brosses, dit de Bretagne, duc d'Etampes, gouverneur de la province, et d'après l'idée que leur en donna le R.P. Nicolas Trocler, prieur des dominicains de Morlaix, de construire à leurs frais sur un rocher appelé le Taureau (en breton An taro) [Note : Si l'on jette les yeux sur une carte marine de nos côtes, on observera que plusieurs rochers remarquables qui se trouvent parmi nos écueils portent également le nom de Taureau, soit parce que, vus dans certaines directions, ils offrent aux navigateurs l'apparence d'un taureau couché, soit parce que les vagues qui s'y brisent semblent imiter les mugissements du taureau. Nous n'avons pas ouï dire qu'on ait trouvé de tête de taureau sur l'îlot où a été construit le fort qui porte ce nom, quoique ce fait ait été avancé par un écrivain de nos jours], un fort qui défendrait l'entrée de leur rade d'une manière plus sûre, plus avantageuse et moins gênante pour eux. Le roi, sur la demande du gouverneur de Bretagne, appuyée du rapport de MM. Claude, comte de Boiséon, et Allain de Rosmadec, sire de Tivarlen, commissaires nommés par la cour pour juger de la situation locale et des avantages de ce projet, qui appelèrent et entendirent sur cet objet un grand nombre de gentilshommes des évêchés de Treguier, de Léon et de Cornouailles, expérimentés au fait de la guerre, et de plusieurs maîtres de navires du pays, approuva la proposition des habitants de Morlaix, et les autorisa à élever ce fort à leurs dépens, leurs abandonnant la nomination de son capitaine et le choix de sa garnison, les laissant les charges de la solde et de l'entretien du tout [Note : Recherches manuscrites sur la ville de Morlaix. Archives de la ville]. Pour alléger le fardeau que s'imposait la ville, le roi lui accorda de nouvelles lettres d'affranchissement et d'exemption, ainsi que le don des devoirs, aydes, impôt et billot, pour être affectés désormais à l'approvisionnement et à l'entretien du château et de sa garnison. La ville, de son côté, pour faire face aux frais de la construction du fort, établit un rôle de cotisation où chacun des habitants fut appelé à contribuer selon ses facultés. On s'occupa dès lors sans relâche, à élever la forteresse, et l'ouvrage fut même commencé avant l'arrivée de l'autorisation de la cour, et sur les assurances que donna le duc d'Etampes. Le château était déjà logeable en 1544, quoique'il ne fût pas complétement achevé. La crainte de la guerre avec l'Angleterre, qui venait d'éclater, détermina à y placer dès lors une garnison et à y nommer un commandant.

Premier capitaine qui y est nommé et garnison qu'on y place. — Le premier qui fut choisi pour ce poste par la communauté de ville fut Jehan de Kermellec, sieur de Kergoat, suivant procès-verbal du 3 juillet 1544 ; on lui donna pour garnison un canonnier, vingt-trois soldats, un trompette et un aumônier [Note : On trouve au titre III des preuves de l'Histoire de Bretagne de D. Morice, col. 1055, l'institution du capitaine du château du Taureau, donnée le 6 juillet 1544, à Jehan de Kermellec, par Guillaume de Kerimel, seigneur de Coatinisan, Kerouzéré, sous-lieutenant de Mgr. le gouverneur de ce pays et duché de Bretagne. C'était alors Jean de Brosses, duc d’Etampes, on y lit, « Ordonnant que les bourgeois de Morlaix ayant à se choisir entr'eux un personnage cognoissant et entendu au faict de la guerre, pour être chef et capitaine sur tel nombre de gens qu'ils adviseront envoyer à la dite forteresse pour la garde et la défense d'icelle ». Et plus bas « Que ledit Jehan de Kermellec est dit savant expérimenté au faict de la guerre ». Cette pièce est différente du procès-verbal de nomination du Sr. de Kermellec par le corps de ville, passé le 3 du même mois, et cité par Albert-le-Grand]. On voit par la liste de ces soldats que c'étaient des cadets des maisons Nobles de Morlaix et de ses environs, dont le sieur de Kermellec est dit lui-même habitant. La ville fit aussi l'acquisition des canons et des armes nécessaires pour garnir le fort, ainsi que de la poudre et autres munitions et approvisionnements. On peut juger qu'alors il n'y avait de canons que sur la plate-forme, et les deux vieilles couleuvrines que l'on y voit encore semblent y avoir été mises à cette époque. Les appointements du capitaine furent fixés à 200 liv. monnaie par an, payables par quartiers, et ceux de chaque soldat à 60 liv. On sait que 20 liv. monnaie de Bretagne valaient 25 liv. tournois. (Lobineau, Pr. de l'Histoire de Bretagne, fol. 1203).

En 1552, à raison de la guerre, la ville ajouta à la garnison du château un lieutenant, ensuite un enseigne, un portier et trois dogues qui veillaient toutes les nuits. Le nombre des soldats fut aussi augmenté successivement, ainsi que leur paie et celle des officiers. Outre la garnison ordinaire, on envoyait au château du Taureau, lorsqu'on avait à craindre quelque attaque ou surprise de la part de l'ennemi, un renfort momentané pris dans la milice bourgeoise de la ville, et qui était plus ou moins considérable, selon l'exigence des cas.

Les capitaines qui succédèrent à M. de Kermellec dans le commandement du château furent :
De 1548 à 1561, le sieur Desfontaines ;
En 1552, Guillaume Quéméner ;
De 1553 à 1556, Vincent Nouël, sieur de Kervézen ;
De 1557 à 1559, le même Guillaume Quéméner ;
En 1560, Richard Nicolas ;
En 1561 et 1562, Vincent Jezay, sieur de Kermadéza.

Chaque maire de Morlaix sortant d'exercice établi capitaine du fort. — Cependant, au bout de dix-huit ans, les membres du corps municipal de Morlaix résolurent de profiter pour eux-mêmes des émoluments et des avantages attachés à un commandement qui était à leur disposition, et par délibération qu'ils prirent en 1563, il fut réglé que le procureur-syndic ou maire de la ville, quittant l'exercice de sa charge qui était annuelle, prendrait le commandement du château du Taureau avec toute l'autorité et les appointements de capitaine, et le garderaient durant l'année qui suivrait immédiatement l'expiration de ses fonctions municipales. En conséquence Auffroy Coail avait été procureur-syndic ou maire en 1562, fut investi du commandement du fort pour l'année 1563. Depuis cette époque, tous les procureurs-syndics de Morlaix en furent successivement capitaines à la sortie de leur charge, jusqu'en l'année 1594 [Note : Le roi Charles IX, en raison de lettres patente du mois de septembre 1561, avait remplacé l'ancienne administration de Morlaix par un corps de ville composé d'un maire, de deux échevins et de six jurats, sous l'autorité du capitaine de la ville. En conséquence, Auffroy Coail fut le premier maire en titre élu en 1562 ; mais cet établissement éprouva une forte apposition de la part des juges de la sénéchaussée royale de Morlaix, auquel il enlevait une partie très avantageuse de leurs attributions, et avec l'appui du Parlement, ils réussirent à en arrêter l'exécution. Le gouvernent, trop occupé des troubles qui commencaient alors à s'élever, se mit peu en peine de se faire obéir à cet égard ; ainsi les choses restèrent à peu près sur le même pied qu'auparavant et sous les mêmes dénominations. Le premier officier du corps de la ville conserva le nom de procureur–syndic ou procureur des habitants de Morlaix, le second celui de miseur, et le troisième celui de contrôleur de ville, les juges s'attribuant la grande main dans l'administration ; cela dura jusqu'en 1654, que la ville parvint enfin à rentrer dans les droits qui lui avaient été accordés de s'administrer elle-même sans le concours de la sénéchaussée ; encore fallut-il que le Parlement envoyât à Morlaix un commissaire, M. De Sévigné de Montmoron, conseiller au Parlement, pour forcer l'obéissance des juges].

La ville, inquiétée dans ses privilèges relatifs au fort, y est maintenue par le roi. — En 1568, Troïlus du Mezgouez, marquis de La Roche-laz et de Coat-ar-moal, pour lequel la capitainerie des ville et château de Morlaix avait été érigée en titre de gouvernement, prétendit troubler la ville dans la possession où elle avait été jusqu'alors de nommer le capitaine du château du Taureau, et de lui donner des ordres [Note : Recherches manuscrites sur Morlaix]. Quelque puissant que fût alors à la cours Troïlus du Mezgouez, qui était favori de la reine-mère, Catherine de Médicis, quatre-vingt-trois des principaux habitants et quelques corporations de la ville se réunirent pour s'opposer aux prétentions du gouverneur, se cotisèrent pour défendre à la cour les droits et la jouissance de la ville, et parvinrent par leur zèle et leur fermeté à faire rendre justice à leur patrie. En effet, d'après une enquête ordonnée par le roi, et commencée en 1569 par Guillaume du Chastel, sieur de Kersimon, et dans laquelle trente-six témoins des plus notables du pays furent entendus, les habitants de Morlaix furent confirmés dans leurs privilèges relativement au château du Taureau.

Troubles de la Ligue. — Cependant le ferment de la Ligue s'était répandu peu à peu sur toute la Bretagne. Il n'y existait que fort peu de huguenots [Note : Dom Morice, Histoire de Bretagne, T. III, 18 et 19. – Desfontaines, Histoire des ducs de Bretagne, T. II], surtout dans la basse ; mais on inquiéta sur le sort de la religion catholique le peuple du pays qui y était fort attaché. Le duc de Mercœur, qui était gouverneur de la province depuis 1582, entreprit de faire revivre, à la faveur des troubles, les droits prétendus sur le duché de Bretagne par la maison de Penthièvre, dont Marie de Luxembourg, sa femme, était héritière.  Il s'était fortifié de l'alliance du roi d'Espagne [Note : Le roi d'Espagne et le duc de Mercœur étaient d'accord dans de but d'écarter Henry IV de la couronne, en favorisant le parti de la ligue ; mais pour ce qui concernait la Bretagne, leurs intérêts se trouvaient opposés : le roi prétendait faire valoir les droits au duché de la princesse Isabelle, fille unique de son mariage avec Isabelle de France, fille aînée de Henry II, et représentant, après l'extinction des Valois, la ligne directe d'Anne de Bretagne, reine de France ; le duc de Mercœur prétendait au duché aux droits de sa femme, comme issue de Charles de Blois et de Jeanne de Bretagne, dite la Boiteuse. Mais la réunion de la Bretagne à la couronne de France, demandée par les Etats de la province et effectuée par le roi François Ier en 1532, annulait ces diverses prétentions, en plaçant la Bretagne sous l'empire des lois françaises, et par conséquent de la loi salique ; ainsi elle avait cessé d'être un fief transmissible par les femmes, d´après la demande et la renonnaissance formelle des Etats assemblés à Vannes en 1532], dont il avait obtenu un secours de 4 à 5.000 hommes qu´il avait placés au fort de Blavet, à présent le Port-Louis. Du reste, il n'avait rien négligé pour se former en Bretagne un parti considérable, et sous l'apparence du maintien de la religion ; il n’avait que trop bien réussi. En effet, le parti de roi ne possédait, dans toute la Basse Bretagne, en 1590, que la seule ville de Brest, que Guy de Rieux, marquis de Châteauneuf, était parvenu à surprendre sur les ligueurs. Cette place servait d'appui aux royalistes dans cette partie. Alexandre de Kergariou, nommé gouverneur de Morlaix en 1587, avait embrassé le parti de la Ligue et y avait entraîné la majorité de ses habitants. Le duc de Mercoeur l'avait remplacé après sa mort, arrivée en 1592, par François de Carné, seigneur de Rosampoul, ligueur déterminé, auquel Brest avait été enlevé par le marquis de Châteauneuf. La guerre civile, qui avait éclaté dès 1589, étendait ses ravages sur tout le pays, avec des succès assez balancés de part et d'autre, depuis près de cinq ans ; mais les avantages que Henry IV remporta dans l'intérieur de la France, et surtout son abjuration en 1593, et la réduction de Paris qui eut lieu au commencement de l'année suivante, firent faire des réflexions, et ouvrirent les yeux à beaucoup de personnes qui étaient fatiguées, et qui gémissaient des malheurs dont elles étaient elles-mêmes victimes, ainsi que leur patrie. De ce nombre, qui se multipliait tous les jours, était Guillaume du Plessis, sieur de Kerangoff [Note : La branche aînée de la famille Du Plessis Kerangoff possédait la terre de Coatserho, sur le bord de la rivière et aux portes de la ville de Morlaix. Jean Du Plessis, sr. de Coatserho, son parent, avait été procureur-syndic de cette ville en 1587, et capitaine du château du Taureau en 1588. Cette terre de Coatserho appartient vers le milieu du XIXème siècle au général comte de Tromelin].

Le capitaine du fort se rend indépendant de la ville. — Il appartenait à une famille noble et ancienne des environs de Morlaix : après avoir exercé la charge de procureur-syndic de la ville, il passa l'année suivante, suivant l'usage, au commandement du château du Taureau. A l'expiration de l'année 1594, il refusa, à la grande surprise et au grand scandale de la ville, de remettre le commandement du fort à son successeur, et le retint, d'accord avec le maréchal d'Aumont, gouverneur de la province et ceux qui y commandaient pour le roi, sous ses ordres, dont il se savait appuyé. Il avait sans doute donné des garants de son attachement au parti royaliste ; on avait à craindre, en effet, que la ville de Morlaix, où dominait alors celui de la Ligue, et que son grand commerce avec l'Espagne mettait, jusqu'à un certain point, sous son influence, ne cédât aux instigations de la faction espagnole, qui y intriguait fortement, pour qu'on livrait le fort du Taureau aux troupes de Dom Juan d'Aquila. et c'était dans cet espoir qu'on le pressait d'envoyer un détachement de son corps d'armée afin de se rendre maître de celui de Primel, en Plougasnou, moins important à la vérité et moins avantageusement située, mais qui n'était éloigné que d'une lieue et demie par mer du château du Taureau. Cette expédition eut lieu, en effet, durant la trêve de 1596, et les Espagnols, aidés de La Fontenelle, en profitèrent pour surprendre et enlever Primel ; mais elle fut trop tardive pour leur procurer les avantages qu'ils s'en étaient promis.

Il est approuvé et soutenu par le gouvernement. — La ville de Morlaix venait de recevoir une nouvelle confirmation de ses privilèges relativement au fort du Taureau, par l'art. 7 de la capitulation qu'elle avait conclue le 24 août 1594, avec le maréchal d'Aumont, commandant l'armée royale, lorsqu'elle lui ouvrit ses portes ; et cette capitulation avait été ratifiée par le roi le 20 avril 1595. Il paraît que le gouvernement, tout en reconnaissant et ratifiant même ces privilèges, jugea qu'il ne serait pas prudent d'en laisser l'exercice à la ville, dans ce moment où l'autorité du roi n'était pas assez affermie, et où l'esprit de faction, qui conservait toujours de la force et de l'activité, pouvait entraîner des conséquences préjudiciables pour l'Etat ; enfin qu'il convenait mieux d'attendre des circonstants plus tranquilles. On ne voulait pas, d'ailleurs, mécontenter par un refus une ville qui venait de se rendre au roi, et lui montrer par là de la défiance, quoiqu'on n'ignorât pas que la faction espagnole y eut bien des partisans. On peut conjecturer aussi que M. Du Plessis Kerangoff, dans son traité avec les commandants pour le roi dans la province, s'était fait donner par eux l'assurance formelle qu'on lui conserverait durant dix ans le commandement du château, et c'est ce qui explique les réponses évasives du roi et du Parlement de Bretagne aux diverses réclamations de la ville de Morlaix, pour être réintégrée dans la possession de cette place. Elle employa effectivement, pendant ce temps, tous les moyens imaginables pour tâcher d'y rentrer.

Vains efforts de la ville pour rentrer en possession du fort. — D'abord elle s'adressa à M. Du Plessis Kerangoff, qui refusa de reconnaître ses ordres : elle lui envoya à diverses reprises des notables, ensuite des huissiers porteurs de sommations ; il en retint quelques-uns dans son fort : elle entreprit de lui refuser la solde, les munitions et approvisionnements nécessaires pour la place et sa garnison ; alors il prit le parti d'arrêter des navires chargés pour le compte des principaux négociants de la ville, qu'il ne relâchait que lorsqu'elle avait satisfait à ses demandes. On voit qu'en plusieurs circonstances il la menaça même de lever des contributions militaires sur les paroisses circonvoisines, où les habitants de Morlaix possédaient des biens ruraux, si l'on s'obstinait plus longtemps à ne pas lui envoyer ce qu'il demandait pour la nourriture et l'entretien de ses soldats ou la défense de la forteresse. La ville se vit donc forcée de lui fournir, bon gré malgré, ce dont il avait besoin, et comme elle ne le faisait qu'à contre cœur, il paraît qu'elle y mettait beaucoup de lésinerie ; du reste, on ne se plaint pas que M. Du Plessis Kerangoff, tant qu'il a conservé le commandement du château, ait entravé ou gêné en rien le commerce, et qu'il ait fait à la ville de Morlaix ou à ses habitants d'autre tort que de s'y être maintenu contre le vœu de la municipalité, et surtout de celui de la chambre ou comité de l'Union, qui, jusqu'à la reddition de la ville au roi, avait absorbé toute l'autorité et postérieurement avait encore conservé de l'influence, quoiqu'ayant dès-lors cessé d'exister [Note : La chambre dite de la Sainte-Union, qui s'était établie à Morlaix en 1589 pour fomenter et soutenir le parti de la Ligue, était composée des principales autorités militaires, judiciaires, ecclésiastiques et civiles, de sept gentilshommes, des juges consul ou du commerce, tribunal établi en 1566, et de vingt-huit notables, en tout cinquante-six personnes, qui s'assemblaient les lundi, mardi et mercredi de chaque semaine ; on se réunit d'abord dans la chapelle de Saint Jacques de la ville, ensuite les séances furent établies au couvent des Jacobins. En 1592, on changea quelque chose à cette organisation et le nombre des membres fut réduit à quarante-quatre. La chambre recevait les ordres du duc de Mercœur et correspondait avec les chambres des autres villes de la province. Le mode pour le choix et le nombre des membres de la Sainte-Union ne paraît pas avoir été uniforme dans toutes les villes de Bretagne, et tenait aux localités, ainsi qu'à l'esprit et aux usages des habitants].

La ville, voyant son impuissance contre M. de Kerangoff, porta ses plaintes jusqu'au pied du trône [Note : Notice sur le château du Taureau, par M. Miorcec de Kerdanet, publiée en 1826 dans le Lycée armoricain ; elle manque d'exactitude, faute de renseignements suffisants]. Le roi la renvoya par-devant le Parlement, qui fit réponse, en 1596, que l’on ferait provisoirement ce qui serait le plus utile pour le service de S. M. et la conservation du château sous son obéissance. Sur de nouvelles requêtes de la part de la ville le Parlement la renvoya, en 1598, au comte de Brissac, lieutenant-général pour le roi en Bretagne, et qui y commandait pour le duc de Vendôme, nommé gouverneur de la province, mais qui n'avait alors que quatre ans. Ces réponses ne faisaient que confirmer ce qui avait été réglé antérieurement par les gouverneurs dans l´intérêt du roi et de l'Etat, et l'accord de tous les pouvoirs pour éluder, sans les heurter, les réclamations de la ville, est évident.

Le fort est remis à la ville par ordre du roi. — Enfin en 1604, M. Du Plessis-Kerangoff remit, en vertu d´un ordre du roi, entre les mains des sieurs Ballavenue du Meshilly et Guillaume le Bihan, surnommé le Vieil, commissaires nommés à cet effet par délibération de la ville du 16 novembre, le château du Taureau, dont ils prirent possession au nom de la ville ; et ils en tinrent le commandement jusqu'à ce que M. Maurice de Kerret, seigneur dudit lieu, alors le maire de Morlaix, eût achevé l'année d'exercice de ses fonctions, ce qui eut lieu en 1605 [Note : Recherches manuscrites sur Morlaix].

Les anciens ligueurs, ceux surtout qui avaient tenu à la faction d'Espagne, ne pouvaient guère pardonner à M. de Kerangoff d'avoir traversé leurs desseins en retenant le commandement du château ; aussi travaillèrent-ils de tout leur pouvoir à aigrir et à exciter les esprits contre lui, en rappelant son manque de foi à la ville qui lui avait confié cette place, et le tort qu'il avait fait à ceux de ses habitants qui, pendant ces dix années, eussent joui et profité de tous les avantages qui y étaient attachés.

Poursuites de la ville contre le capitaine du fort, qui s'était rendu indépendant d'elle. — Il en résulta que M. De Kerangoff, dès qu'il eut remis le château, fut attaqué et poursuivi en justice par le corps municipal, pour en avoir retenu le commandement d'une manière illégale et contraire à ses privilèges, qui venaient de recevoir du roi une nouvelle confirmation l'année même qu'il s'était soustrait à la dépendance de la ville. En produisant les ordres du gouvernement, en vertu desquels il avait agi, il faisait cesser toute poursuite : on voit, au contraire, qu'il se laissa traduire devant les tribunaux ; mais qu'il y cita aussi la municipalité de Morlaix, en lui faisant notifier un mémoire montant à une somme considérable, pour des objets de solde et approvisionnements qui eussent dû lui être fournis tandis qu'il tenait le château, et ne l'avaient pas été, et pour lesquels il soutenait avoir fait des avances dont la ville lui était redevable.

Elle est obligée de transiger avec lui. — Il y eut en conséquence, des procédures de part et d'autre, durant lesquelles M. De Kerangoff obtint de la cour l'autorisation de produire ses ordres du roi, qu'il n'y avait plus les mêmes inconvénients à tenir cachés, ce qui obligea la ville à transiger avec lui, et à lui donner pour accommodement une somme de 14.000 livres [Note : Albert-le-Grand, Chronologie des Evêques de Tréguier, p. 352. – Recherches manuscrites sur Morlaix]. On ne peut pas nier que M. Du Plessis de Kerangoff n'ait rendu en cette circonstance un service signalé à son pays en se rendant indépendant de la ville ; il assurait au roi une place forte qu'une faction cherchait à livrer aux ennemis de la France, et qui, par sa situation, les rendait en quelque façon maîtres de Morlaix, dont elle pouvait arrêter le commerce avec la plus grande facilité. L'importance que le roi Henry IV attachait à la conduite de M. Du Plessis Kerangoff, et au service éminent qu'il lui avait rendu dans cette circonstance, est attestée par plusieurs lettres autographes que ce prince lui écrivait à ce sujet, dans ce style aimable et familier qui lui était propre ; ces lettres ont été conservées assez longtemps par ses descendants.

Depuis 1604, ce fut, comme par le passé, le maire de Morlaix, sortant d'exercice, qui prie pour un an le commandement du château du Taureau ; mais ce qui venait d'avoir lieu ayant donné à la ville quelques inquiétudes pour l'avenir, elle crut devoir solliciter et obtint du roi, en 1610, de nouvelles lettres–patentes confirmatives de ses privilèges à cet égard.

En 1609, le donjon du château s'écroule et ensevelit la sentinelle sous ses ruines [Note : Albert-le-Grand, Chronologie des Evêques de Tréguier, p. 352] ; les dogues de la garde du fort firent découvrir cet homme, qui fut retiré des décombres sans avoir éprouvé de mal. Cette tour fut rétablie en 1614, date qu'on peut lire sculptée sur une de ses pierres, quant aux dogues, ils ont été supprimés depuis longtemps.

Le fort, retiré à la ville, lui est rendu au bout d'un an. — En 1640, le commandement du château du Taureau devint un sujet de division dans le corps municipal de Morlaix, et occasionna quelque trouble dont la cour fut instruite [Note : Recherches manuscrites sur Morlaix]. Le roi envoya d'autorité, pour prendre possession du fort et y commander, le sieur de Kerhuel, enseigne de ses gardes du corps. Mais la ville, ayant envoyé une députation pour se disculper auprès du roi et du cardinal de Richelieu, elle obtint de rentrer dans ses anciens privilèges, y fut rétablie en 1641 et les conserva paisiblement jusqu'en 1660, que de nouveaux troubles se manifestèrent encore dans son sein au même sujet.

Il lui est retiré définitivement en 1660. — Alors le roi, pour mettre fin à ces tracasseries qui s'étaient déjà renouvelées plusieurs fois, et voulant enfin rétablir pour le château un mode mieux adapté à sa conservation, à sa sûreté et à sa défense que celui qui avait été employé jusqu'alors, jugea à propos de la retirer à la ville de Morlaix, qui l'avait construit et possédé depuis 1542 ce qui fait un laps de temps de 118 ans [Note : Il paraît étrange, de nos jours de voir les membres d'une municipalité de ville occuper ainsi successivement le commandement d'une place forte, poste qui ne peut convenir qu'à des militaires de profession ; mais l'étonnement cessera lorsque l'on saura que les places municipales de Morlaix, à cette époque, étaient toutes occupées par les familles nobles de la ville et des environs, et que toute la noblesse, classe essentiellement militaire, était, dans ce temps, constamment appelée aux armées par le ban et l'arrière–ban, et que ces gentilshommes, avant d'entrer dans les charges de la ville, avaient servi dans les guerres continuelles qui remplirent presque toute la durée des règnes de François Ier et de Henry II, qu'ainsi ils n'étaient pas aussi étranger qu’on pourrait le croire à l'état militaire. Les guerres de la Ligue qui s'élevèrent peu après exercèrent encore la noblesse dans le métier des armes ; mais lorsque Louis XIV retira le château du Taureau à la ville de Morlaix, les choses avaient bien changé ; pour se servir de troupes réglées, devenues d'un usage général en Europe, on avait abandonné celui de convoquer le ban et l'arrière-ban ; ainsi l'exercice des privilèges de la ville de Morlaix relativement au château du Taureau offrait alors des inconvénients qui n'existaient pas, ou qui étaient moindres lors de la primitive concession]. S. M. se chargea de l'entretien du fort, de son armement, de son approvisionnement, ainsi que de la solde et entretien de sa garnison, objets qui, jusque-là avaient été à la charge de la ville. Le roi se réserva la nomination du gouverneur, dont la ville était tenue d´acquitter les appointements sur les impôts et billots ; ils étaient fixés à 10.000 livres et furent portés, dans la suite, jusqu’à 12.000 livres. Le Sr. de Saint-Jean de Beaucorps, officier des gardes du roi, fut nommé pour commander le château, et en prit possession, par l'entremise du Sr. de La Noë, exempt des gardes du corps, le 22 février 1660.

Ce fut ainsi que se termina pour Morlaix, en 1660, ce privilège singulier et peut-être unique en faveur des officiers municipaux et des bourgeois d'une ville, d'être propriétaires et gouverneurs d'un fort militaire, et souverains dans l'administration de la police et de la garde d'une place-frontière.

Garnison d'infanterie et ensuite d'invalides au château. — En 1663, un détachement du régiment de Picardie fut envoyé pour former la garnison du château ; l'infanterie y fut dans la suite remplacée par des invalides, dont le capitaine commandait le fort sous les ordres du gouverneur, qui n'y résidait jamais [Note : Le dernier capitaine commandant le château du Taureau à l'époque de la Révolution était M. Hersart de la Villemarqué. Depuis sa construction, le château du Taureau n'a été l'objet d'aucune attaque de la part de l'ennemi, ce qu'il ne faut pas attribuer uniquement à la force et à la situation avantageuse de cette place, mais encore 1° à ce que le commerce de Morlaix, même durant le temps de sa plus grande splendeur, ne pouvait pas inspirer une très-grande jalousie à l'Angleterre, qui au moyen de quelques croiseurs, était en état de l'incommoder assez sans faire des sacrifices extraordinaires d'hommes et d'argent ; 2° à ce que le caractère de la guerre s'est sensiblement adouci par les progrès de la civilisation, et que dans ces derniers siècles on s'est, en général, moins porté vers le pillage des côtes ennemies que durant ceux qui les ont précédés. Mais cependant il n'est pas douteux que si une division de bâtiments de guerre ou un convoi important, poursuivis par l'ennemi, se réfugiait dans la rade de Morlaix, et que celui-ci jugeât d'un grand intérêt de les détruire ou de s'en emparer, le château du Taureau ne fût exposé à être attaqué, moins pour se faciliter l'entrée de la rade que pour s'en assurer la sortie avec les prises, après avoir renversé le seul obstacle qui pût s'y opposer avec quelque efficacité. On observera que depuis ces recherches, l'artillerie du château a été mise en bon état de défense].

Ouvrages du château perfectionnés par M. de Vauban. — Lorsqu'en 1680, M. de Vauban fut envoyé en Bretagne pour y fortifier Brest et mettre en état de défense les côtes de cette province, il s'occupa particulièrement du château du Taureau ; il répara et perfectionna ses divers ouvrages, et fit construire les casemates qui forment sa batterie basse. Quoiqu'en 1660 la ville fût déchargée par le roi de l'entretien de ce fort, elle fut obligée, en 1702, on ignore par quels motifs, d'y faire à ses frais des réparations considérables et de grandes fournitures, sous la direction de M. de Vaugrignon, commissaire d'artillerie ; on n'a pas de connaissance qu'elle ait été inquiétée depuis à ce sujet.

Gouverneurs du château de Taureau nommés par le roi.

Année 1663. - Yves, marquis de Goësbriand, sieur dudit lieu, de la Noeverte, Larmorique, Kerantour, etc., maréchal des camps et armées du roi commandant une compagnie de cent hommes d'ordonnance, mort en 1691.

Année 1691. - Louis Vincent, marquis de Goësbriand, seigneur desdits lieux, chevalier des ordres du roi et lieutenant-général de ses armées, gouverneur et grand bailly de Verdun et du Verdunois, mort en 1744, fils du précédent.

Année 1744. - Louis Vincent, marquis de Goësbriand, seigneur desdits lieux, maréchal des camps et armées du roi, chevalier de Saint-Louis, mort en 1752, fils du précédent.

Année 1752. - Charles-Michel Gaspard, comte de Saulx Tavannes, né en 1713, chevalier des ordres du roi, lieutenant-général de ses armées, et chevalier d'honneur de la reine ; il fut fait duc héréditaire, non pair, en 1786, et, en 1790, il fut dépouillé du gouvernement du château du Taureau par la Révolution.

(M. de Blois - 1874)

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