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LA VIE RELIGIEUSE D'UNE PETITE VILLE BRETONNE AU XVIIème SIÈCLE.

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La ville de Montfort en Haute Bretagne (aujourd'hui Montfort-sur-Meu, chef-lieu de canton de l'Ille-et-Vilaine) ne mériterait peut-être pas de retenir spécialement l'attention des historiens si elle n'avait compté parmi ses habitants au XVIIème siècle une famille Grignion dont l'un des membres, Louis, né en 1673, missionnaire de l'Ouest de la France et auteur, entre autres, du Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, a été canonisé en 1947. La reconstitution du climat religieux de cette petite ville au XVIIème siècle peut donc apporter, pensons-nous, en même temps qu'une contribution à l'étude de la dévotion populaire, des éléments pour une meilleure connaissance de la piété et de la personnalité du futur saint. Ce dernier, certes, n'a pas grandi dans sa ville natale elle-même ; mais son enfance s'est déroulée dans un manoir tout proche, à Iffendic (à sept kilomètres de Montfort), et il ne peut manquer d'avoir été influencé par les traditions, les croyances et les pratiques de son milieu familial et de son entourage immédiat.

Deux traits originaux distinguent Montfort, sous l'Ancien Régime, des autres villes du royaume de dimension comparable. Le premier est d'ordre démographique : Montfort comporte trois paroisses, bien que sa population totale, en légère progression à partir de 1630, n'ait jamais atteint le millier d'âmes ; ville royale dès 1593, Montfort est partagée à part sensiblement égale entre les familles « bourgeoises » de la ville close, que fait vivre la juridiction seigneuriale du comté, et les « manants » qui forment la majeure partie de la paroisse rurale de Coulon.

La seconde particularité est d'ordre religieux. Montfort n'a pas connu l'épreuve des Guerres de religion : les paroisses sont les héritières de la tradition catholique intégrale du XVIème siècle. L'influence calviniste y est pratiquement nulle. Cette situation tient du paradoxe, car Montfort avait alors des seigneurs protestants, parmi lesquels le frère de l'amiral de Coligny, François d'Andelot (1521-1569), fougueux calviniste, qui avait pourtant parcouru son comté avec le ministre Louvain dans l'intention affichée d'y introduire la religion réformée. En vain. En 1606, le comté était dévolu aux La Trémoille, huguenots notoires, dont les convictions religieuses ne déteignirent pas davantage sur les Montfortais.

Le clergé local.

Une bonne trentaine de prêtres vivent dans les trois minuscules paroisses de Montfort [Note : La paroisse décanale est celle de Saint-Jean ; celle de Saint-Nicolas ne comporte qu'une seule rue formant le faubourg-nord ; celle de Coulon, dont l'église est située à une demi-lieue de la cité close, comprend le faubourg-sud et la partie rurale de Montfort, laquelle s'étend sur un coteau boisé jusqu'au-delà de la forêt dite « de Montfort », limite extrême de Brocéliande], soit un pour trente habitants. La plupart d'entre eux sont natifs de Montfort et passent toute leur vie avec leurs parents, frères, sœurs, neveux et nièces. Rares sont les familles qui ne comptent pas au moins un fils prêtre, et l'on constate chez les ménages stériles comme un sentiment de frustration, car ils s'empressent de fonder des chapellenies en faveur de prêtres de leur « lignage » [Note : Typique est le cas d'Étienne Hannequin et de Françoise Jamet, couple de marchands resté stérile. Ils fondent d'abord une messe à dire à perpétuité, chaque lundi, dans l'église de Coulon. En 1655, voyant que leur commerce avait encore prospéré, en 48 années de vie « en bonne amitié », ils en fondent une deuxième à dire chaque mardi dans l'église Saint-Jean, « par un prêtre de leur lignage s'il s'en trouve et le plus proche degré de l'un ou de l'autre d'eux ». (Archives de Tréguil N7, Maison Généralice des Montfortains à Rome — abréviation : MGMR)]. Ces prêtres sont issus de toutes les couches sociales : fils d'écuyers, de petits bourgeois ou de simples manants. A fin que le plus pauvre d'entre eux puisse vivre décemment, l'Église a pris des mesures canoniques : nul n'est admis aux ordres sacrés s'il n'est, au préalable, nanti d'un titre clérical insaisissable, acte passé par-devant un notaire apostolique, ce qui lui vaut une rente annuelle d'au moins 80 livres [Note : A titre de comparaison, à Montfort, une vache laitière vaut 27 livres ; un cheval de travail, 43 livres ; un cheval de trait, 32 livres ; une mine de blé, « mesure de Montfort », 11 livres] dans le diocèse de Saint-Malo (100 livres dans celui de Rennes). Dès lors, on ne l'appelle plus « dom » (comme au siècle précédent), mais « noble (ou vénérable) et discret missire » [Note : Cette appellation de « missire » (et non pas « messire ») est unanimement adoptée à cette époque en Haute-Bretagne. Le titre de « noble et discret missire » tend à anoblir le prêtre, homme séparé (discretus) en vue du saint sacrifice de la messe (missa) : celui-ci, par son ordination, devient en quelque sorte le « sire qui dit la messe »]. Il ne se passe guère d'année sans qu'une ou plusieurs premières messes soient célébrées dans chacune des trois paroisses. Le peuple chrétien ne peut être que profondément marqué par ces solennités, avec diacre et sous-diacre, au cours desquelles la prédication d'un religieux, mandé tout exprès [Note : « Le dimanche 6 may 1607, moy quy soubz signe ay dict ma 1ère messe en l'églize de Sct Nichollas, diacre Mr. le recteur, subdiacre Mr. de Coulon, et un jésuite y vinct exprès de Rennes et y prescha. Pierre Eutasse, sub-curé » (Registre des baptêmes Saint-Nicolas)], exalte le sacerdoce. Pour la plupart, ces jeunes prêtres ont étudié la théologie au collège Saint-Thomas-Becket de Rennes, dirigé par les Jésuites depuis 1608. Ceux qui, de par leur lieu de baptême, sont incardinés au diocèse de Saint-Malo, après une retraite et un examen (une belle voix donnant des points supplémentaires), reçoivent les ordres successifs dans l'église abbatiale de Saint-Méen.

Souvent, le jeune prêtre avait été orienté vers le sacerdoce par le prêtre de Montfort que ses parents lui avaient donné intentionnellement pour parrain. Dans ce cas de « népotisme » spirituel, la coutume veut que ce dernier résigne sa charge en faveur de son filleul, parfois dès la tonsure, quitte alors à partager avec lui les rentes qui y sont attachées. Le jeune prêtre commence d'ordinaire par être curé d'office chez un recteur des environs de Montfort mais, très vite, on le retrouve définitivement fixé sur sa paroisse d'origine. Là, il vivra de son titre clérical, rendra quelques menus services à l'occasion de baptêmes, mariages ou obsèques, en attendant de prendre occasionnellement la succession d'un parent recteur, curé, sub-curé, prieur, sous-prieur... Mais, presque tous resteront de simples prêtres habitués, ne demandant même pas les pouvoirs de confesser, se contentant de leur messe quotidienne. Les honoraires leur sont assurés « à perpétuité » par les nombreuses chapellenies et autres fondations qui reposent sur les rentes de quelque lopin de terre. Les fils de bonne bourgeoisie, qui caressent quelque ambition de promotion ecclésiastique, prennent leurs grades, souvent à un âge avancé. Ainsi, missire Guillaume Boulier, recteur de Saint-Nicolas de Montfort de 1598 à 1618, ne manque-t-il jamais de signer vers la fin de sa vie avec cette mention : « licencié aulx droigtz et pénitencier de Mgr de Sainct-Mallo ». Près d'un siècle plus tard, missire Pierre-Henry Hindré, ancien recteur-doyen de Montfort et recteur de Bréal, attendra l'âge de 40 ans pour obtenir de la Sorbonne, en 1703, son baccalauréat en droit canonique [Note : Diplôme dans les papiers de la famille Bellebon (Montfort)]. S'ils sont fils aînés, ces prêtres « bourgeois » ne se contentent pas de leur titre clérical, ni des émoluments de leur charge. Ils conservent leur titre « au temporel ». Tel missire Allain de la Fléchaye (doyen de Montfort, décédé en 1623) qui se dit « sieur dudict lieu de la Fléchaye ». Tel encore son successeur, missire Pierre Hindré, qui signe en 1649 à l'occasion du baptême de son filleul, Pierre Grignion, comme « sieur de la Comtais ». Mais, à part ces quelques fils de famille, la généralité des prêtres de Montfort vit pauvrement et préfère signer : « prêtre indigne », ainsi qu'en prend l'habitude le clergé formé par les Jésuites de Rennes. Ce clergé montfortais pléthorique est, par la force des choses, proche du peuple, étroitement mêlé à ses joies et ses peines, connaissant ses secrets même les plus intimes [Note : Le 22 mars 1608, le recteur de Coulon précise au sujet d'un enfant : « Ladicte Macette Boucher (sa mère) l'a faicte au bout des neuf mois jour pour jour » (Reg. des baptêmes, Coulon, fol. 58)]. Quant à ses mœurs, nous n'avons trouvé pour tout le XVIIème siècle qu'une seule fausse note, encore qu'il faille y mettre une sérieuse sourdine, vu la petite vertu de l'accusatrice : il s'agit, en l'occurrence, de dom Ollivier Durand [Note : En tout cas, la réputation de dom Ollivier Durand reste intacte : il poursuit normalement son ministère à Saint-Jean jusqu'à sa mort en 1650. Il léguera à sa paroisse d'origine (Coulon) « un petit calice d'argent valant bien 20 écus et une chapelle en damas blanc, oultre une fondation qu'il a laissée en perpétuité ». (Reg. sépult. Coulon)], prêtre originaire de Coulon et sub-curé de Saint-Jean, qui aurait fait un enfant, en 1613, à Guillemette Pichot, la nièce du recteur de Coulon. C'est au seul recteur que revient de droit la tenue des registres paroissiaux. Mais il lui arrive fréquemment d'en abandonner la rédaction à ses prêtres auxiliaires, voire par complaisance à des laïcs. Ces registres paroissiaux [Note : Les registres des trois paroisses de Montfort (B.M.S., série GG, Mairie de Montfort) ne comportent pas de lacunes importantes pour le XVIIème siècle. Quelques doubles de cette période, provenant des archives du Tribunal de Montfort (ancienne sous-préfecture), ont été versés aux Archives d'Ille-et-Vilaine (Rennes)] (ceux de Coulon et de Saint-Nicolas en particulier) font en outre office de véritables chroniques locales où voisinent, pêle-mêle, les faits divers [Note : On y trouve de tout : incendies, tremblement de terre (1619), cambriolage de l'église de Coulon (1618), duel (1629), plusieurs assassinats, achats de chopines de vin...], les pensées pieuses [Note : A côté de nombreuses citations bibliques et liturgiques, relevons ces quelques strophes et sentences : « Le marbre même tombe et se brise, Et l'homme se croit immortel ! »« Pouvez-vous, ô mortels, me regarder sans larmes, Moy quy pour vous savver ay souffert tant d'alarmes ? » (1635) — « Lequel de vous pourra habiter avec le feu dévorant ? Qui de vous demeurera avec les ardeurs éternelles ? »« Le Seigneur envoie les tourbillons des vents et ils font sa volonté. »« Donner pour Dieu n'appauvrit pas l'homme. Aller à la messe ne détourne pas l'homme »« Dieu tout premier »], les appréciations piquantes sur tel paroissien [Note : Ainsi, en 1651, le jugement porté par le recteur de Coulon sur les agissements du gardien de l'hôpital de Montfort (voir plus bas dans le texte)], autant de traits pittoresques et parfois cruels qui montrent que le clergé montfortais ne craint pas d'assumer pour la postérité son rôle de chroniqueur des moeurs de son temps.

Cet aperçu sur le clergé local serait incomplet si nous ne signalions pas les chanoines réguliers de l'abbaye Saint-Jacques [Note : Voir SIBOLD (Marcel), L'Abbaye Saint-Jacques de Montfort, dans Les Abbayes Bretonnes, éd. « Biennales des Abbayes Bretonnes », 1983], dite « de Montfort » quoique située sur la paroisse voisine de Bédée. Si les religieux résidents sont peu nombreux (une demi-douzaine), c'est parce que les autres qui dépendent de l'abbaye prennent en charge plusieurs prieurés-cures des environs de Montfort. Ces moines sont, pour la plupart, d'authentiques Montfortais. On ne sera donc pas surpris que les rapports entre les deux clergés sont généralement cordiaux, s'agissant d'enfants de la même cité et souvent même apparentés les uns aux autres. Les religieux de l'abbaye partagent volontiers, eux aussi, les peines et les joies de leur famille selon la chair, comme en témoignent les registres des trois paroisses de Montfort.

La vie paroissiale.

Le « général » de la paroisse.
Chacune des trois paroisses de Montfort est régie au temporel par le « général », sorte de conseil paroissial officiel dont le président est le recteur, et les membres, les anciens trésoriers. Deux trésoriers en exercice tiennent les comptes « tant en charge qu'en descharge ». Pour la paroisse décanale de Saint-Jean, l'année de trésorerie débute au 1er mai. Être élu trésorier n'est pas un office dévolu au premier venu. Les garanties de foi et bonnes moeurs priment cependant sur l'instruction : tel excellent chrétien est élu second trésorier, qui ne sait pas même signer son nom, à plus forte raison compter. Désignés par bulletin secret par le « général », assimilés à des fonctionnaires civils, ils ne peuvent se récuser que pour de graves motifs prévus par le Droit. Ils gèrent recettes et dépenses à leurs risques et périls. Les comptes étant visés par l'évêque en personne, ils devront rembourser de leur poche toute manipulation de fonds jugée inutile. Ils ont également la redoutable mission de proposer au « général » les collecteurs d'impôt. Il leur revient en outre de distribuer pain et vin bénits aux grands-messes des dimanches et jours de fête, de vider les troncs, de vendre aux enchères les offrandes en nature déposées sur les autels, ainsi que de porter aux processions les deux principales bannières de la paroisse. Leur année de gestion achevée, ils deviennent membres du « général » et ont droit au titre « d'antien thrésorier ».

Les confréries.

Les associations religieuses appelées « confréries » ou « frairies » regroupent les meilleurs fidèles des deux sexes. Leur recrutement dépasse largement le cadre paroissial, voire local. Aucune de ces confréries n'est à proprement parler un mouvement de piété ; toutes poursuivent un but plutôt charitable et apostolique. Dressons-en la liste (nullement exhaustive) par paroisse.

a) Saint-Jean. — La « Frairie Blanche » est sans doute parmi les plus anciennes confréries de Montfort, comme en témoigne l'en-tête de son registre obituaire, datant du début du XVIIème siècle : « S'ensuit les noms de tous les frères deffunctz de la noble confrérie vulgairement appelée la Frairie Blanche de Montfort, ffondée en l'église Sct Jehan de Montfort en l'honneur et révérence de Dieu et de la Nativité de la benoiste et glorieuse Vierge, en l'an 1431 » [Note : Archives d'Ille-et-Vilaine, G 516b. — Les Archives d'Ille-et-Vilaine (abréviation : AIV) conservent : 1) — Pour la paroisse de Coulon (G 506 à G 510) les délibérations du « général » (1689-1792), les comptes (1536-1768), les confréries et autres titres (1513-1788) 2) — Pour Saint-Nicolas (G 513 à G 516a) les délibérations (1694-1792), les comptes (1543-1665) avec lacune pour 1595 et 1666-1673, les fondations, confréries et titres (1405-1762) 3) — Pour Saint-Jean, « Frairie Blanche » et titres divers (G 516b) 4) — Pour les trois paroisses (G 511 et G 512), fondations et titres divers (1588-1784), les fouages, tailles ordinaires et extraordinaires (1665-1722)]. La confrérie est structurée comme un ordre de chevalerie avec, à sa tête, un prêtre de Montfort qui porte le titre de « provost ». En 1606, plus de quarante ecclésiastiques du comté et d'au-delà y participent comme membres actifs. La « Frairie Blanche » est une sorte de mutuelle d'outre-tombe. Une fois reçu officiellement, et moyennant une cotisation annuelle, le confrère bénéficie, après son décès, d'un service solennel dans sa propre église paroissiale assuré par tous les prêtres et laïcs associés (hommes et femmes). Après les obsèques se tient l'assemblée générale, au cours de laquelle sont reçus de nouveaux affiliés. La fête patronale de la Nativité de Marie reste cependant le jour de réception idéal : le 8 septembre 1606 était admis un certain Charles Grignion, ancêtre de saint Louis... Bien structurée et encadrée par un clergé dynamique, la « Frairie Blanche » est alors à son apogée. Bien moins florissante un demi-siècle plus tard, elle ne s'éteindra qu'à la Révolution, après plus de 350 années d'existence.

b) Saint-Nicolas — La confrérie de Saint-Nicolas n'a laissé que peu de traces écrites : en 1623 déjà, la liste des affiliés était négligemment tenue. Il existe par contre une documentation complète concernant la confrérie du Saint-Rosaire, établie en 1627 dans l'église sur un autel privilégié (AIV G 516a, confrérie du Saint-Rosaire). Il y avait là, en 1636, un petit tabernacle supportant « une imaige de Notre Dame, coustant 30 livres » et, sur l'autel même, « un grand tableau du Rosaire enrichi de huit marques doretz à la bordure d'icelluy ». En 1708 est signalé à cet endroit une statue de la Vierge « en argent » reposant sur un piédestal de bois noir. Le premier « provost » fut missire Jacques Huby. Cette fonction reviendra finalement à des laïcs : Me. Jean Régnier, sieur de la Motte (1703) ; Me. Toussaint Pineau, sieur du Hil (1708). Cette confrérie du Rosaire a été fondée principalement pour organiser les secours aux « pauvres pèlerins de monsieur saint Méen ». Dans ses comptes de 1685, le prévôt signale la fête patronale de la confrérie : « J'ay baillé 30 sols pour le prédicateur quy a presché le jour de l'Annonciation ». A cette époque, les confrères rivalisent de générosité pour venir en aide à l'hôpital Saint-Nicolas, lieu de « passade » ordinaire des pèlerins. Les dons substantiels en espèces et en nature, quasi-permanents, proviennent tant des particuliers que des moines de l'abbaye. Les comptes de 1687 donnent des détails intéressants sur les activités des confrères du Saint-Rosaire : ils prennent en charge la petite Quarette, une « pauvresse » que nourrit la dénommée Japelle, et achètent des pots de chambre pour les pèlerins grabataires ; le trésorier donne six livres à missire Roche « pour avoir administré les sacrements aux pauvres mallades » (AIV G 516a, confrérie du Saint-Rosaire). Il faut rapprocher de cette confrérie plusieurs fondations particulières. L'une d'elles, établie sur la pièce du Clos-Pineau sur la Harelle en forme de chapellenie, dote « une messe du matin, les jours de dimanche, dans l'église Saint-Nicolas » ; une autre, fondée en 1431 par Colinet Marivint et toujours en vigueur trois siècles plus tard, consiste en une rente sur le Clos de la Chouannerie à l'abbaye, versée à « quelques hommes pour aller, chaque lundi au point du jour, par la ville et forsbourgs de Montfort avecq une clochette à la main, disant de saintes parolles pour exciter les chestiens sommeillantz à prier Dieu pour les trépassez » (Ibidem, fondations). En 1669, Me. Eustache Grignion fera une fondation semblable pour les paroissiens de Saint-Jean [Note : HERVÉ (abbé), Notes sur la famille du Bx. Grignion de Montfort, Rennes 1927, p. 18].

c) Coulon. — Coulon est sans conteste en tête à Montfort pour le nombre et la variété des confréries. Cette paroisse rurale fut de tout temps régie par des recteurs très proches des réalités matérielles de leurs ouailles. Le patron de la paroisse est saint Sauveur qui a sa confrérie établie sur un autel de l'église. Aucun recteur ne succomba à la tentation d'inventer un « saint Coulomb », et cela malgré la pression de certaines personnes influentes. En 1671, on vit même la veuve de Pierre de Vaucouleur, Geneviève Joubin, reconnaissante envers « saint Coulomb » pour une guérison « miraculeuse », s'étonner de ne point trouver la statue de ce thaumaturge et en placer une, d'autorité, sur le maître-autel (AIV G 509, titres). Par contre, et dès 1640, l'autel de saint Sauveur est « très fréquenté par les pèlerins ». Les comptes paroissiaux (AIV G 509, comptes) signalent qu'en 1699, le jour de la Saint-Sauveur, on paya 3 livres et 3 sols « pour le déjeuner de deux capucins, confesseurs et prédicateurs, et autres confesseurs et porteurs de croix et bannières », et qu'en 1705 on versa 45 livres au sieur Morillon pour « la statue neuve de saint Sauveur de Coulon ».

La confrérie de Saint-Joseph a une longue histoire (AIV G 510, confrérie Saint-Joseph). En 1655, le pape l'avait érigée canoniquement, avec autel privilégié et messe de requiem, chaque lundi, pour les confrères défunts : la magnifique bulle pontificale avec cachet de plomb aura coûté 10 livres aux paroissiens de Coulon. Dès lors, la statue de saint Joseph, placée sur cet autel privilégié, sera l'objet d'une grande vénération populaire : on y venait en « voiage ». Le 1er août 1670, nous voyons assister à la messe de 5 h du matin Julienne Debrosse « disant être venue en voiage à saint Joseph, être de Pleumeleuc et son père (qui l'accompagne) de Romillé » (Reg. bapt. Coulon). A une époque de forte mortalité infantile et de parturientes (surtout à Saint-Nicolas, pour une cause indéterminée), les femmes enceintes venaient à Coulon pour obtenir de saint Joseph une heureuse délivrance. En 1666, le recteur de Coulon prénomme Joseph un petit baptisé, « parce que ledict enfant estoit longtemps dans les voyes, la mère deschargea et fut délivré par l'intercession de saint Joseph à qui il fut voué ». Saint Joseph inspire en outre confiance aux mères qui abandonnent leur enfant, car elles choisissent de préférence pour l'y déposer le « chanseau » de l'église de Coulon : elles savent sans doute que les confrères de Saint-Joseph se disputeront l'honneur de s'occuper de leur petit. Le 19 mars attire à Coulon des foules considérables. Le père prédicateur touche un écu d'honoraires, « sans compter le dîner ». En 1681, missire Gilles Lemartre écrit : « Messieurs les ecclésiastiques que ledit Corbes (recteur de Coulon de 1647 à 1668) faisoit venir des paroisses circonvoisines par l'ordre de messieurs les supérieurs, veu la grande abondance du peuple à se confesser et qu'il n'y avoit que luy de confesseur dans la paroisse, estoient pour l'ordinaire dix du dehors, tant pour la confession que pour faire le service » (Ibidem).

Nombreux sont les bienfaiteurs de la confrérie. En 1663, missire Raoul Corbes note qu'un défunt a testé « 20 livres à l'augmentation de la frairie de Saint-Joseph » (Reg. sépult. Coulon) ; en 1669, missire Pierre Hindré, doyen de Montfort, donne 30 sous, et en 1669 missire Pierre Laperche, chapelain de Saint-Lazare, teste en sa faveur « pour cinq messes à dire en l'honneur des cinq plaies mortelles » (AIV G 510, fondations). Au début du XVIIIème siècle, la confrérie de Saint-Joseph est dirigée par un laïc : le dimanche 6 mai 1708, l'assemblée générale a lieu dans la sacristie de Coulon, au cours de laquelle est élu prévôt, pour trois ans, honorable homme Joseph Bernard, en remplacement de Me. Jean Baudet, sieur de Lisle. Malheureusement, les listes des confrères ayant versé leur cotisation annuelle de 2 sous et demi ne sont conservées qu'à partir de 1731 (Ibidem. Confréries. Tous les Grignion vivant alors y étaient affiliés).

Voici comment furent fondées, en 1649, les Sœurs de la Charité. Missire Raoul Corbes, recteur de Coulon depuis deux ans, a passé le plus clair de son temps par monts et par vaux à visiter les malades de sa paroisse rurale. Il a pu se rendre compte, sur place, de la misère dans laquelle croupissaient la plupart de ces malades et infirmes. Il est particulièrement frappé par le cas de Jeanne Gautray, l'épouse de Jean Huger, laquelle avait accouché en octobre et qui, depuis cinq mois, se mourait dans le plus grand dénuement à la Vieille-Porte, métairie proche du prieuré de Saint-Lazare. Il a donc demandé à quelques dames d'assister « tous les jours » la pauvre femme, en se relayant au besoin, ce qu'elles firent aussitôt. Missire Corbes avait profité de cet élan charitable pour soumettre à l'autorité épiscopale son projet de fondation stable. Le dimanche 21 mars 1649, c'est officiel : la confrérie des Sœurs de la Charité est érigée canoniquement à l'autel de saint Mathurin, « lesquelles Sœurs de la Charité par dévotion assistent les pauvres de ladite paroisse, les voyant nécessiteux et malades, comme ont faict celles-cy, et mesme estant décédés font faire prière pour lesdits pauvres décédés » (Reg. sépult. Coulon). De nombreux donateurs testeront en faveur de cette confrérie qui prendra rapidement de l'ampleur [Note : Les reg. sépult. de Coulon citent, entre autres, Guillaume Bernard qui teste un écu en 1649, et mentionnent les Soeurs de la Charité qui assistent, en 1667, Perrine Guillaumatz, veuve de François Lamy, « estant desnuée de biens et chargée de deux enfants »], et fonctionnera jusqu'à la Révolution.

Le culte liturgique.

Une constatation s'impose : l'Eucharistie est bien au centre de la vie religieuse de Montfort. Le peuple ne s'approche cependant de la table sainte qu'aux fêtes d'obligation qui sont, il est vrai, assez nombreuses. Le terme de « communion » est équivoque lorsque, par exemple, à l'occasion des « indulgences » de la saint-Jean de l'an 1613, Me. Charles Grignion signale qu'il y eut « grand nombre de peuple, la plupart communiants », à tel point qu'il fut contraint de « prendre de l'ayde pour servir en ladite église » (AIV G 516b, comptes) : il ne s'agissait en l'occurrence que de la « communion » au pain blanc et au vin bénits, coutume qui est générale pendant tout le XVIIème siècle dans les trois églises de Montfort. La messe, surtout pour les défunts, est unaniment prisée. Celles du dimanche ou jour de fête rassemblent l'ensemble de la population. Le dimanche 10 novembre 1669, il y avait 70 adultes à celle « du point du jour », célébrée dans l'église de Coulon (l'été, cette messe était sonnée à 5 heures moins le quart). Les procès-verbaux des bannies officielles relèvent tous « le grand concours de peuple » sortant des grands-messes. Les familles aisées ont leur banc réservé, le paroissien ordinaire se contentant d'une chaise : la location de l'un et de l'autre entre pour une bonne part dans les recettes de la caisse paroissiale. Le désir d'associer les défunts à la messe explique sans doute la coutume générale d'enterrer les morts dans l'église : au prône, des prières nominales sont faites pour eux. Même aux messes de semaine, l'assistance masculine ne le cède pas à celle des femmes [Note : Ces précisions sont surtout valables pour l'église rurale de Coulon où ont lieu la plupart des découvertes matinales d'enfants exposés : le recteur cite les noms des témoins venus pour assister à la messe (sur semaine)]. Tôt le matin, à chacun des autels de l'église, commence la longue série des messes, car le clergé est nombreux : recteur, curé, sub-curé, chapelains et autres prêtres habitués. Toutes ces messes sont fondées « à perpétuité ». Les cloches, outre leur fonction liturgique, donnent à la population l'heure « à peu près » exacte aux trois moments de l'angélus, à une époque où la ville de Montfort ne dispose que d'une unique horloge publique. Le baptême d'une cloche nous fournit souvent des détails intéressants de l'histoire paroissiale. Ainsi, le 1er août 1669, celle de Coulon est baptisée en présence du couleur, Me. Claude Garnier. Son parrain est missire Pierre Laperche, le chapelain de Saint-Lazare, qui profite de l'occasion pour fonder à perpétuité la première messe du dimanche, afin (dit-il) de s'assurer des prières et à ses parents défunts, cédant à cet effet, en forme de chapellenie, deux pièces de terre au bailliage de Beaumont, juridiction de la Chasse, et suppliant le recteur de Coulon « d'avoir l'œil » sur sa fondation et... sur la cloche pour que son nom qui y figure ne soit ni fêlé, ni brisé (sic). Parmi les signataires de l'acte figure Me. Louis Hubert, sieur de Beauregard, futur parrain de saint Louis Grignion [Note : Reg. bapt. Coulon. La précédente cloche avait été bénite le 30 mars 1659].

Les temps forts.

Parmi les temps forts extraordinaires, signalons « le jubilé donné par nostre sainct père le pape Paul cinquiesme », en 1604 (AIV G 508, comptes Coulon) ; le doyen de Montfort entreprend alors le voyage de Saint-Malo pour demander à l'évêque que le peuple puisse « gagner le pardon » dans l'église Saint-Jean (Ibidem G 516b, comptes Saint-Jean). L'acte suivant, daté du 27 janvier 1651, fait allusion à l'Année Sainte : « Maistre Robert Rocher, aagé d'environ 45 ans, demeuré au lict subitement et après avoir gagné le Jubilé, adverti nous lui avons incontinent administré le sct sacrement d'extrême onction, lui le requérant avec cognoissance receu, et l'absolution bien qu'il ne parlasse que par intervalle, et a esté en agonie le temps de six heures auquel temps le soubz signant l'assista jusques au dernier respire » (Reg. sépult. Saint-Nicolas) .

Chaque année, la Saint-Jean est célébrée avec un éclat particulier. Après les premières vêpres a lieu, sur la Motte-aux-Mariées, la curieuse danse aux chèvrefeuilles, suivie d'un feu de joie. Mais le « pardon » a surtout une portée religieuse. Dès 1614, Me. Charles Grignion note (AIV G 516b, comptes Saint-Jean) le succès spirituel obtenu par le père Gérard, venu pour le triduum de la Saint-Jean « dispenser les indulgences qu'il apporte ». Un nouvel élan est donné en 1627, quand missire Pierre Régnier, prieur de Saint-Jean, obtient de « Monsieur le Saint Père le Pape une bulle des pardons et indulgences concédées à ladite église de saint Jan, s'y gagnant le jour et feste de la Nativité de M. sainct Jan-Baptiste » (Ibidem, titres). Nous ne pensons pas qu'il y ait eu à l'époque des missions pour l'ensemble des trois paroisses de Montfort. Nous en ignorons par ailleurs le nombre et la périodicité. Une mission eut lieu à Saint-Jean, courant janvier 1649 [Note : Le 16 janvier 1649 est inhumée dans le cimetière Roberde Bréal, « confessée par Monsieur Thébault, prestre de la mission ». (Reg. sépult. Saint-Jean).]. Pour tout le XVIIème siècle, les registres ne comportent qu'une unique signature de « missionnaire apostolique », celle en 1677 de missire Jean Berthelot, qui baptise dans l'église de Saint-Nicolas un enfant dont les parents sont domiciliés sur la paroisse de Bédée. Mais, comme missire Jean Berthelot était encore, deux ans auparavant, curé d'office de Bédée, sa paroisse natale, il est probable qu'il ne donnait pas la mission à Saint-Nicolas : la parenté ou l'amitié peuvent tout aussi bien expliquer ce ministère occasionnel (Reg. bapt. Saint-Nicolas).

Les manifestations interparoissiales.

Les différentes confréries des trois paroisses étant ouvertes à tout le doyenné de Montfort, on peut légitimement les considérer comme des manifestations dépassant le cadre étroit de la paroisse où elles sont fondées. On peut en dire autant des « voiages » à saint Joseph de Coulon et à l'église décanale. En 1605, le doyen de Montfort envoie ses sacristains avertir les paroissiens de Saint-Nicolas d'aller « en voiage à Notre-Dame de Pitié et saint Avertin, et adorer la saincte Croix à Sainct Jan » (AIV G 516b, comptes). Du même ordre sont les Rogations qui unissent les trois paroisses : la procession va à travers la campagne de Coulon au chant des litanies et des cantiques, rythmés par des sonneurs de clochette (Ibidem G 508, comptes Coulon).

La station de carême, assurée à Montfort et environs, est une tradition qui remonterait au XIIIème siècle, à en croire l'aveu au roi de 1685 (Archives de la Houssaye 360, MGMR). Il incombait au prieur de Saint-Nicolas de payer « un prédicateur pour annoncer la parole de Dieu pendant le carême ». Mais les comptes des trois paroisses montrent que celles-ci participaient toutes aux frais. Les registres de la paroisse voisine du Verger (AIV, dépôt Le Verger) signalent même « la station de carême par le père Samuel, religieux carme, faite à Montfort, Tallansac, Le Verger, Bréteil, en l'an 1665 ». Tel fut déjà le cas en 1604 pour missire Ollivier Jan, « prédicateur et administrateur de la parolle de Dieu », à qui le recteur de Coulon verse 60 sous tournois, pour avoir prêché « en l'église et chairre de Sainct Jan et aultres paroisses circonvoisines » (Ibidem G 508, comptes Coulon et G 516b, comptes Saint-Jean). Si missire Thézé perçoit 9 livres pour son carême de 1607, Jean Joucauld, des Frères prêcheurs de Coutances en Normandie, n'en touche que 6 pour le sien de 1612. Le doyen de Montfort est si remué par le pathos sur la Passion du prédicateur de 1614 qu'il ordonne à Me. Charles Grignion, trésorier en exercice, de courir acheter « un terson de vin clairet » pour désaltérer le révérend père ! (AIV G 516b, comptes) Le carême suivant est assuré par le frère François Guillot, religieux de Bonne-Nouvelle de Rennes. Plus on avance dans le siècle, et plus le doyen de Montfort s'assure les services de prédicateurs « patentés ». En 1663, au baptême de Félix Grignion, oncle de saint Louis, signe « frère Jan Gandion, docteur en théologie et prédicateur » ; et, dix ans plus tard, également à un baptême, « frère René Burgeaud, prédicateur de caresme, docteur de la faculté de Paris » (Reg. bapt. Saint-Jean).

Les trois paroisses de Montfort s'unissent également pour aller en « voiage » à Notre-Dame de Bonne-Nouvelle à Rennes [Note : Le 27 juillet 1608, est baptisé dans l'église de Coulon Guillaume Macé, fils de Jeanne Ramel, qui l'avait enfanté à l'Hermitage, en revenant de « Nostre Dame de Rennes ». Les paroissiens de Talensac se joignaient à ceux de Montfort pour ce pèlerinage : le 25 août 1647, le recteur de Talensac y participait. (Reg. bapt. Coulon, 1608, 1647)] ; le 9 mai, « à Bréteil visiter l'autel dédié en l'honneur de Dieu et de saint Mathurin, où les trois paroisses de Montfort allaient ensemble de ce temps-là » (Ibidem.) ; le jour de la Saint-Éloi (ou pour demander de la pluie) à Iffendic, « pour aller au-devant des reliques du cheff de monsieur saint Uniacq » [Note : AIV G 509 et G 516b, comptes. Ces « voiages » à Iffendic sont régulièrement signalés de 1610 à 1708]. Pour toutes ces processions lointaines, les trésoriers doivent louer un cheval pour transporter sur les lieux croix, bannières et ornements. Seuls, les sonneurs d' « eschelettes » (clochettes) sont encore bénévoles ; les autres porteurs, désignés d'office par les trésoriers, exigent une rétribution. Mais l'évêque fait remarquer systématiquement que ces prestations, même celle du cheval, doivent être gratuites, et met les trésoriers en demeure de rembourser la caisse paroissiale... jusqu'au jour où, de guerre lasse, l'autorité épiscopale devra céder à l'entêtement des Montfortais (Ibidem.). La plus spectaculaire des manifestations interparoissiales est la procession du « sacre » de la fête-Dieu, qui vient confirmer la place centrale que tient le Saint Sacrement dans la vie paroissiales montfortaise. Le « sacre » revêt une grande sollennité. Tout Montfort est là derrière le maire et les échevins, les arquebusiers à pied ou à cheval, le châtelain représentant le comte, les dignitaires de la cour seigneuriale revêtus de leur hoqueton d'apparat armorié, les trésoriers en exercice portant les bannières de leur paroisse, les membres des diverses confréries avec leurs insignes et guidons respectifs, la troupe de musiciens venus de Rennes, les quatre principaux notables portant le dais... tout un ordonnancement dont s'inspirera un jour le missionnaire Grignion. Souvent, c'est l'évêque lui-même qui porte le Saint Sacrement : il est d'abord accueilli en grandes pompes à l'hôtel-deville, on fait tirer le canon et, au retour de la procession, un vin d'honneur est servi [Note : Détails extraits des Registres des délibérations de la Communauté de ville (Mairie de Montfort) : ces Registres ne sont conservés qu'à partir de 1632 ; il y a des lacunes de cette date à 1672 mais, à partir de là, ils sont complets jusqu'en 1790. Ils contiennent des renseignements de premier plan sur la vie religieuse de Montfort au XVIIème siècle. En ce qui concerne le « sacre », on y signale la présence de l'évêque (qui réside d'ordinaire tout près de Montofrt, à Saint-Malo-de-Baignon) à maintes reprises. Les registres de bapt. de Coulon donnent l'itinéraire du « sacre » qui ne varie pas de 1621 à 1678: l'évêque prend l'ostensoir à Saint-Nicolas ; de là, la procession se rend à Saint-Jean par la rue de la Saulnerie ; puis, repassant par cette même rue, on monte à Coulon où l'évêque dit la messe]. Me. Pierre Régnier, trésorier de Saint-Jean, note à propos du « sacre » de 1611 : « Le jeudy 21 juin fut faict par ledict comptable achapt pour 10 souldz de pain blancq pour estre, estant bénist, à faire la communion du pain bénist en l'églize de Sct Nicholas où est la custode avecq le précieux corps de Nostre Seigneur ». Et la paroisse donne quatre sous à ceux qui ont sonné la cloche, « pendant que l'on portoit le vray et précieux corps de Jésus Christ » (AIV G 516b, comptes).

Les écoles.

L'école de filles.

L'initiative de doter Montfort d'une école de filles revient au seigneur, Henry de La Trémoille, qui voulut l'établir dans l'enclos même de la ville forte et la mettre sous la direction des Bénédictines de Saint-Malo. Mais les échevins, afin de soustraire cette fondation à la tutelle exclusive du seigneur, décidèrent par délibération du 13 mars 1636 de faire édifier les nouveaux bâtiments hors les murs, dans le faubourg Saint-Jean, face au prieuré du même nom. L'assemblée bourgeoise, dominée par le clergé local, maintint sa confiance aux Bénédictines de Saint-Malo, mais à la condition expresse qu'elles ajouteraient à l'école populaire un pensionnat de jeunes filles, ce qu'elles acceptèrent. Ce double projet ayant obtenu l'approbation épiscopale, les Bénédictines s'engagèrent à envoyer sept religieuses avec une rente annuelle de 600 livres, augmentée d'une dotation de plus de 400 livres pour l'achat de meubles et d'une avance de 3 000 livres en argent liquide pour commencer les travaux. Mais finalement, pour une raison qui nous échappe, ce furent des Ursulines qui prirent l'affaire en main. Dès la fin de l'année 1636, celles-ci firent poser la première pierre du couvent, puis des bâtiments scolaires que l'on voit encore aujourd'hui (Reg. des délibérations).

L'école de garçons.

Cette fondation, certainement fort ancienne, devrait même (en théorie) se confondre avec celle du prieuré de Saint-Nicolas qui remonte à la fin du XIIème siècle. En effet, parmi les obligations de son prieur, il y a celle « d'entretenir un maistre d'eschole pour enseigner la jeunesse des trois paroisses de Montfort, et de celle de Bréteil et de Bedée » (Aveu au roi de 1685, Arch. de la Houssaye 360, MGMR). Une délibération du Conseil de ville de 1678 résume en ces termes les tâches du maître d'école : « à charge pour lui d'assister au service divin à l'église Saint-Jean, d'être assidu tant pour apprendre le latin que l'escripture, l'arithmétique et aultres choses..., sans tirer aulcun lucre de ceux qui n'ont pas les moiens de lui rendre recognoissance de ses soins..., et se rendra le plus assidu à son eschole que faire se pourra ».

Pratiquement, le prieur de Saint-Nicolas est mis sur la touche : c'est la communauté de ville qui, tous les trois ans, élit ou réélit le « scholastique », choisi d'ordinaire parmi les prêtres habitués de Montfort. Dès lors, le maître d'école siège de plein droit parmi les édiles, et son salaire lui est versé par la ville. Aucun document ne nous permet de localiser à coup sûr cette école. Sans doute, le « scholastique » faisait-il tout bonnement la classe à son domicile qu'il partageait souvent avec les membres de sa famille. Il est certain, par contre, que cette école populaire de garçons n'a pas toujours fonctionné d'une façon satisfaisante, surtout à la fin du XVIIème et au début du XVIIIème siècles [Note : Missire Allain-Mathurin Régnier, prêtre fantasque, cousin de saint Louis Grignion, fut nommé « scholastique » en 1699, puis de nouveau en 1721, mais destitué avant expiration de son triennat, pour avoir touché son traitement sans avoir jamais fait la classe, « étant la plupart du temps absent » (Reg. délibérations). — Au début du XVIIIème siècle, le recteur de Saint-Nicolas s'était avisé d'ouvrir une école mixte, tenue par des laïcs, ce qui déplut à Mgr Desmaretz, évêque de Saint-Malo ; celui-ci écrira, suite à sa visite canonique du 15 mai 1708 : « Le recteur tiendra la main à ce que le nommé Gandon ne tienne plus l'école pour les garçons dans la chambre où sa mère la tient pour les filles, si ce n'est à des heures différentes, de sorte que les garçons et les filles ne se trouvent plus à l'école ensemble dans la même chambre » (AIV G 515) — A cette époque, les écoles de Montfort devaient commencer le jour de la Saint-Luc, 18 octobre, et finir le 18 septembre de l'année suivante (AIV G 75) ; le maître d'école touchait 120 livres par an (ibid)]. Était-elle du moins assidûment fréquentée par les écoliers ? On peut en douter, car les signatures de jeunes garçons sont rares dans les registres de l'époque. Soit par la faute des « scolastiques », soit par celle des parents (même les bourgeois ne voyaient pas tellement l'utilité de faire instruire leurs fils avant leur entrée au collège), on ne peut que constater l'échec relatif de cette institution. Cette carence était quelque peu corrigée par les leçons particulières que donnaient les autres prêtres habitués, aux loisirs pratiquement illimités, à leurs filleuls et neveux, dans l'intention, bien sûr, de les orienter vers le sacerdoce. Mais, pour ceux-là comme pour les autres fils de bourgeois, la véritable scolarisation ne débute qu'à l'âge d'onze-douze ans, avec leur admission au collège des Jésuites de Rennes où ils resteront jusqu'à l'âge de 18-19 ans.

L'hôpital et les pauvres pèlerins de monsieur saint Méen.

Nous ne faisons que mentionner la Maladrerie de Saint-Lazare, fondée au XIIème siècle sur les hauteurs de Coulon pour le soin des lépreux, car cet établissement hospitalier n'était plus, depuis longtemps, qu'un simple prieuré occupé par plusieurs foyers de métayers. L'hôpital de Montfort, situé sur la paroisse Saint-Nicolas, doit son implantation à proximité du confluent du Garun et du Meu à un fait merveilleux dont le héros est le saint roi breton Judicaël. Le Cartulaire de Redon [Note : Texte latin cité par F.-L. ORESVE, Histoire de Montfort, 1858, p. 294-296] raconte que celui-ci, revenant un soir d'une expédition guerrière, dut traverser à cet endroit-là la rivière en crue avec sa cavalerie, pour se rendre sur l'autre rive où se trouvait sa « villa de plaisir ». Il fit traverser ses hommes et se trouva seul avec un pauvre (« lépreux », dit le Cartulaire). Alors le roi « s'approche et l'embrasse puis, le prenant dans ses bras, il le monte sur son cheval et le transporte de l'autre côté de la rivière. Après cette action, le lépreux disparaît, et une voix se fait entendre dans les airs : Tu es heureux, Judicaël ! Comme tu m'as élevé parmi les hommes, je t'éléverai parmi les anges, car tu n'as point refusé de me recevoir sous la forme d'un pauvre. ». Telle fut, selon cette chronique, l'occasion providentielle qui détermina le roi Judicaël (+ v. 637) à renoncer au trône des Bretons et à s'enrôler dans les rangs des moines de Saint-Méen. Telle est, en tout cas, la légende qu'au XVIIème siècle encore les parents racontent à leurs enfants. A partir du XIVème siècle, l'hôpital de Montfort est affecté à l'hébergement, à l'aller et au retour, des « pauvres pèlerins de monsieur saint Méen ».

A quatre lieues de Montfort, non loin du monastère fondé par saint Méen, une fontaine, dédiée à ce saint, est réputée miraculeuse pour guérir le « mal d'ahan », maladie de peau dont les éruptions faisaient effectivement ressembler à des lépreux ceux qui en étaient affectés [Note : Nous savons aujourd'hui que le principal vecteur de cette maladie de peau était l'indigo, importé d'Extrême-Orient, dont on teignait les toiles écrues de lin et de chanvre. C'est la raison pour laquelle les peaux délicates des femmes qui avaient de quoi se payer ces tissus à la mode en étaient le plus fréquemment contaminées. Ce détail n'est pas sans importance, car ces pauvres loqueteuses qui transitaient par Montfort devaient être, pour beaucoup d'entre elles, des dames « de qualité » dans leur paroisse d'origine]. Pour avoir quelque espoir de guérison, le pèlerin de monsieur saint Méen doit entreprendre son « voiage » en pauvre volontaire, à pied, en mendiant gîte et couvert, au moins aux premières étapes. De toute façon, guéris ou non, la plupart, quand ils s'en retournent dans leur paroisse d'origine, sont devenus de vrais nécessiteux. Les registres de sépultures de Montfort, mais surtout ceux de Saint-Nicolas, attestent qu'au XVIIème siècle on vient non seulement de Bretagne, mais aussi de Normandie, du Maine, du Poitou, du Berry, de Bourgogne, du Limousin, voire de l'étranger [Note : En 1688, il y eut la « passade » de demoiselles venant d'Angleterre (AIV G 516a, confrérie du Rosaire)]. A quatre lieues seulement de la fontaine de saint Méen, Montfort est la dernière ou la première étape où convergent les pèlerins. Certaines années, c'est une véritable invasion de mendiants : en 1633, la Communauté de ville estime à plus de 20 000 les nuitées à l'hôpital et chez les particuliers, soit une moyenne journalière d'une cinquantaine de « passades ». L'hôpital de Montfort est incapable, à lui seul, d'accueillir tant de nécessiteux, d'autant plus qu'il doit donner la priorité aux malades, indigents et enfants abandonnés des trois paroisses locales, pour lesquels il ne dispose que de onze lits. Il y a rarement des lits disponibles pour les pèlerins « gizant mallades », surtout lorsque la peste se met encore de la partie, comme en 1605, 1628, 1635 et 1637. L'établissement est géré au temporel par un bureau composé des recteurs et principaux notables de Montfort, et présidé par le sénéchal du comté. Le gardien (ou hospitalier) est le seul qui soit salarié par la ville, le restant du personnel étant bénévole. L'hôpital ne jouit que d'une rente annuelle de 500 livres et de vingt mines de blé dues par le prieur de Saint-Nicolas. La confrérie du Saint-Rosaire fournit l'essentiel des bénévoles et, bien qu'établie sur Saint-Nicolas, draine les générosités pécuniaires de tout le comté. Dans ce domaine, il convient de décerner une mention spéciale aux moines de l'abbaye. Par ordre du seigneur de Montfort, le gardien est tenu d'accueillir tout « pauvre pèlerin » qui se présente à l'hôpital, de le nourrir et de l'héberger pour une nuit. S'il est capable de reprendre sa route le lendemain, chaque « voiageur » a droit à un viatique d'un sou. Mais beaucoup de ces malheureux meurent à Montfort, épuisés par les privations et les fatigues du chemin, parfois victimes d'accidents ou de mauvaises rencontres. En mai 1667, missire Raoul Corbes, le fondateur des Sœurs de la Charité de Coulon, assiste, confesse, puis inhume dans son église Marguerite Gouju, « de la paroisse de Condé au payx de Beauce, mordue par un chien enragé et affligée du mal de rage » (Reg. sépult. Coulon). Beaucoup d'entre ces pèlerins qui meurent à l'hôpital sont tombés malades chez des particuliers qui les avaient recueillis. Pour ces familles, c'est un exercice permanent de charité. Aucun document ne signale la présence de faux pèlerins ou de pèlerins révoltés à l'approche de la mort. Tous, au contraire, rendent l'âme dans des sentiments religieux qui ne trompent pas : la population entière, clergé en tête, est dans l'admiration. Les membres des différentes confréries charitables se relaient auprès des « pauvres » et des « pauvresses ». Un prêtre est spécialement désigné pour leur donner les derniers sacrements et les assister dans leur agonie.

Par les actes de sépultures, nous savons que le « pauvre pèlerin de monsieur saint Méen » voyage rarement seul : toute sa famille l'accompagne d'ordinaire. Lors de leur « passade » à Montfort, grands et petits offrent leurs services et travaillent de leurs mains pour survivre. Deux fabriquants de « patenôtres » décèdent à l'hôpital de Montfort : Jean Malorys en 1627 et un anonyme en 1630. En 1634, c'est un prénommé Michel, venu de l'évêché de Coutances qui s'offre à « accommoder la filasse », tombe malade et décède à l'hôpital, à l'âge de 24 ans. Même chose, en 1640, pour Bernard Bellamy, « aagé de 30 ans, se dizant estre de Guignen et couvreur d'ardoise de sa vocation... demeuré mallade en nostre paroisse (Saint-Nicolas) ». Telle encore, en 1654, la jeune Jeanne Timonier (15 ans) qui décède chez l'hospitalier « d'une mort subite et de fluxion » (Reg. sépult. Saint-Nicolas). Les « pauvresses » s'arrêtent en cours de route chez des particuliers ou à l'hôpital pour leurs couches, comme en témoignent plusieurs actes de baptême : en 1613, « baptême d'un pauvre enfant quy estoit à l'hôpital » ; « baptême d'un enfant à la Geneviève quy est à l'hôpital » ; baptême de Pierre, fils de Maurice Durandy et Anne Millechandelle, « pauvres passants voiageurs, se dizant paroissiens de la Pommeraye, diocèse d'Angers » (Reg. sépult. Saint-Nicolas). L'acte de baptême suivant, daté du 2 juillet 1666, et extrait du registre de Saint-Jean, porte la signature de Me. J.-B. Grignion, père de saint Louis. Il nous apprend qu'une certaine Catherine Herbreteau, qui était partie « de la paroisse de Saint-Fulgent au païs de Poictou » avec son mari, René Bodard, mort en cours de pèlerinage, accouche au Village de l'Abbaye, dans la ferme de Couascavre appartenant aux Grignion. C'est la raison pour laquelle les métayers, Guillaume Duplessix et Jeanne Saulduny, pourtant paroissiens de Bréteil, portent le petit Guillaume Bodard dans l'église Saint-Jean dont est paroissien Me. Grignion, pour le faire baptiser par le doyen de Montfort. Un Montfortais ne mérite pas de louanges. Il s'agit d'Ollivier Chollet, le gardien-hospitalier en personne. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il garde un cœur glacé. Le recteur de Coulon, dont l'action charitable est notoire, porte contre lui des accusations graves, et sans doute justifiées. Sa conscience (dit-il) lui dicte la note qu'il trace en marge sur son registre de sépultures : « Le 22 fébvrier m'a esté faict rapport que le mesme jour fut mise hors la maison de l'hôpital une pauvre hydropique quy y estoit depuis deux jours et mourut le lendemain dans un four dans le Village de l'Abbaye, après avoir esté mise hors de (l'hôpital par) Ollivier Chollet, hospitalier de Montfort. En foy de quoy je signe le présent avec honeste homme Ollivier Hobé cheix lequel est morte ladite femme sans confession. Faict en nostre maison de Montfort [Note : Le recteur de Coulon logeait alors « en ville » de Montfort, pour protester contre l'état de délabrement de son presbytère rural de Coulon, lequel ne sera reconstruit que huit ans plus tard, en 1659], ce 24 febvrier 1651... La coustume est audict Chollet, hospitalier, de faire telle action, thémoing un autre homme quy fut mis hors dudict hospital depuis lors, lequel mourut cheix Ollivier Gilles au mesme Village de l'Abbaye, et ledict Chollet réserve cheix luy des coupeurs de bourse, ainsy que plusieurs m'ont dict... » [Note : Ces graves accusations portées par le recteur de Coulon n'empêchèrent pas Ollivier Chollet d'être maintenu dans ses fonctions de gardien de l'hôpital. Il y décèdera douze ans plus tard, « fort aagé, après avoir receu les sacrements » et sera inhumé dans l'église Saint-Nicolas].

Parfois, en effet, certains pèlerins se réfugiaient, à leurs risques et périls, dans les fours pour y passer la nuit. C'est ainsi que, le 24 mai 1662 au matin, Raoul Delaplanche, métayer à la Ville-ès-Manoir, découvre dans son four le cadavre d'un homme. François André, « pauvre pèlerin de monsieur saint Méen », portait sur lui son acte de baptême, établi le 5 mai jour de son départ, et signé : Godefroy, recteur de Soizé (actuelle commune d'Eure-et-Loir). Le malheureux avait donc « voiagé » dix-neuf jours pour venir mourir là.

La vie chrétienne.

Afin de saisir toutes les facettes de sa personnalité religieuse, nous prendrons le Montfortais du XVIIème siècle quand il est encore dans le ventre de sa mère, et nous suivrons jusqu'à sa mort son comportement, ainsi que celui de son entourage.

Le baptême.

Bien avant le dernier mois de grossesse, l'entourage de la future mère est prêt, en cas de nécessité, à baptiser l'enfant qui naîtrait avant terme. Le 29 janvier 1653, le recteur de Saint-Nicolas écrit dans son registre de sépultures : « Vers minuit, il arriva à la personne de Françoise Vissault, femme de Jean Dumény (aubergiste), une couche d'enfant extraordinaire, manque d'environ quatre mois pour le port dudit enfant ; le mercredi matin, environ sept heures, le recteur de la paroisse a été adverti, m'assertoyant de vingt parolles que ledit enfant avoit esté baptizé... ».

Si la parturiente éprouve quelque difficulté, on invoque saint Joseph, et l'enfant lui est voué par la famille présente. En cas « d'éminent danger de mort », chaque laïc (parent ou voisin) sait prendre ses responsabilités, même en présence de la « matrone ». Parmi ces ministres occasionnels se trouve même, à Coulon en 1668, un certain Pierre Hervault, « marchand allant à Saint-Malo », qui baptise l'enfant de son hôte, « d'urgence à cause de la nuit et du danger ». Si néanmoins l'enfant survit, on le porte sans délai à l'église pour le supplément des cérémonies. Même si tout s'est passé normalement, le baptême suit dans les vingt-quatre heures, au plus. Lorsqu'il s'agit du premier-né d'une famille bourgeoise, le clergé accorde parfois un délai supplémentaire, mais rarement au-delà du troisième jour. Le supplément de cérémonies, par contre, peut n'avoir lieu que lorsque le « noble escuyer » a déjà huit, voire dix ans. L'attitude du clergé et des paroissiens envers les bâtards ou les enfants trouvés montre clairement que, pour eux, la nouvelle naissance transcende la filiation charnelle. La mise en scène de la mère qui dépose son enfant sous le chapiteau de l'église de Coulon ne varie guère : « Il a été trouvé un enfant... avec du gros sel dans un petit cresmeau marqué dessus de croix de soye rouge... et, voyant ces signes, j'ay cru que ledict enfant n'estoit pas baptizé... » (Recteur de Coulon, 23 mars 1652). Les paroissiens, venus assister à la messe et témoins de ces découvertes, se font un honneur de parrainer ces enfants abandonnés. Ceux-ci viennent-ils à décéder en nourrice, qu'ils ont souvent pour les accompagner au cimetière une assistance plus nombreuse que bien des enfants « ordinaires ». Le nom de baptême prime le patronyme qui n'est que le « surnom ». L'essentiel est que ce nom paraisse au calendrier des saints. En 1632, on s'avise de prénommer « Phéline » la fille d'un bourgeois montfortais. Lors de l'inspection des registres de Saint-Jean, l'évêque ordonne que « Phéline soit changé en Félix », tant et si bien que la future châtelaine de Montfort s'appellera toute sa vie Félix Grandays... et son exemple fera école (Reg. bapt. Saint-Jean).

Jusque vers 1610, il est de règle à Montfort que le garçon ait un grand parrain qui le « nomme », seulement assisté d'un petit parrain et d'une marraine ; pour la fille, c'est l'inverse : une grande marraine qui la « nomme », seulement assistée d'un parrain et d'une petite marraine. Le parrainage est généralement pris très au sérieux, surtout en ce qui concerne l'éducation religieuse. La joie des parents est grande lorsqu'un prêtre accepte de « nommer » l'un de leurs enfants. Il arrive que le parrain-missire formule nettement ses intentions, tel missire Nouail Leberton, sub-curé de Saint-Nicolas, qui précise, le 15 décembre 1596, dans l'acte de baptême qu'il rédige, au sujet de sa filleule : « Ledict nom de Nycolle luy donné par ledict Leberton en l'honneur de Dieu et de la Vierge Marie et monsieur sainct Nychollas, priant Dieu et ladicte Vierge et le benoist sainct Nychollas luy faire la grasse (sic) d'estre femme de bien... ».

Le déroulement des cérémonies et les réjouissances qui suivent le baptême ne sont pas toujours exempts de superstition ou d'excès. Le recteur de Coulon est persuadé que l'enfant qui « fait » sur celui qui le porte sur les fonts baptismaux file un mauvais coton. Le 30 décembre 1660, il baptise la petite Françoise Demeuré « par surprise, à cause que les eaux estoient fort grandes tant à Rublart qu'aux Ponts-Yvette ; est à remarquer qu'elle se vuida les deux bouts pendant que l'on en estoit aux ephetta, ceci n'est que pour servir de marques, parce que j'ai déjà vu que cela dénotait quelque chose à arriver que l'on voiera avec le temps, Dieu conservant le tout ». Même remarque, le 26 avril 1661, pour le petit Pierre Aubault dont le parrain est un garçon de neuf ans, Pierre Belin : « Pendant que l'on faisoit les exorcismes, ledit enfant se purgea le ventre entre les mains de celui qui le tenoit ». Le 8 août 1616, un paroissien de Coulon rédige un acte de baptême peu respectueux pour le sacrement. Me. Guillaume Demaure, célibataire, a fait un enfant à Jeanne Leclerc, « non mariée ». Fier de son exploit, il invite ses amis au baptême, fait « quérir le fils » par l'un d'eux, et fait inscrire le bâtard sous le nom fantaisiste de « Guillaume du Fresche Blanc ». Parmi les signataires de l'acte figure Me. Jullien Boullier qui s'octroie pour la circonstance le titre de noblesse imaginaire de « baron du Portal » (Reg. bapt. Coulon). Après le baptême, les bourgeois et gros propriétaires terriens qui en ont les moyens organisent un grand repas dans quelque cabaret de Montfort, afin de faire « bonne chère à la venue dudict enfant ». On y invite le clergé, en même temps que « les compères et les commères avecq toutte la compaignie ». Alors, selon la remarque du recteur de Coulon dans son registre de baptêmes de 1595, « baptizement et banquet » ne font plus qu'un. Il est vrai que deux personnages de marque sont absents des réjouissances : la maman restée au foyer et le nouveau baptisé qui est déjà parti au loin avec une étrangère, sa nourrice.

L'enfance.

L'enfant baigne tout naturellement dans l'ambiance paroissiale. Il grandit en voyant vivre autour de lui les adultes, ses parents, ses parrain et marraine. Très tôt, il les accompagne à l'église, aux processions, aux « voiages ». La plupart des foyers étant illettrés, il est rare que la transmission de la foi puisse se faire autrement que d'une façon orale. Le lieu ordinaire de l'instruction religieuse est l'église paroissiale. Là, aux messes matinales des dimanches et jours de fête, un prêtre spécialement désigné fait aux enfants le « prône », catéchisme par questions et réponses qui remplace le sermon [Note : AIV G 516b. — En 1725, missire M.-A. Régnier est dénoncé à l'évêque par son frère, recteur de Saint-Nicolas, pour avoir négligé de dire la messe matinale des dimanches à l'église paroissiale, tout en touchant les rentes de cette chapellenie. Mgr Desmaretz le tance vertement et l'oblige notamment à « faire le catéchisme après l'Évangile, par questions et réponses, conformément à l'article second de nos statuts synodaux ». Cette messe de catéchisme dominical était célébrée à Saint-Nicolas à 6 h depuis Pâques jusqu'à la Toussaint, et à 7 h depuis la Toussaint jusqu'à Pâques. (AIV G 75 et G 516a)]. Cette façon de faire présente l'avantage supplémentaire de catéchiser en même temps les parents. Pour une raison qui nous échappe, le clergé de Montfort n'admet guère les enfants à la confession et à la communion, avant qu'ils n'aient atteint leur quinzième année. Rares sont ceux qui, étant au-dessous de cet âge, sont munis des sacrements à l'article de la mort. Au mieux, le prêtre qui les assiste leur donne-t-il une « bénédiction ». Quant à la confirmation, c'est le silence presque total des registres des trois paroisses de Montfort, tout au long du XVIIème siècle. Le seul document au sujet de ce sacrement nous est fourni par Me. Charles Grignion, trésorier de Saint-Jean en 1613-1614, qui note dans ses comptes qu'il a dépensé 12 sous pour acheter « un pain blanq pour servir à la confirmation » (AIV G 516b, comptes). C'est vraiment peu, et il est étonnant que, durant une si longue période, les recteurs de Coulon et de Saint-Nicolas n'aient fait la moindre allusion à ce sacrement, eux par ailleurs si fins chroniqueurs. Cela ne signifie pas qu'au XVIIème siècle les évêques de Saint-Malo, souvent en visite à Montfort, n'y aient pas régulièrement confirmé, mais les preuves écrites font défaut.

La fondation d'un foyer.

Environ la moitié des enfants parviennent à l'âge adulte. Peu de jeunes gens se marient avant leur majorité, soit 25 ans. Les jeunes filles, par contre, trouvent généralement un parti avant la vingtaine, et il n'est pas rare d'en voir mariées dès l'âge de 14 ans. Mais, après quelques années de mariage, les jeunes veufs chargés d'enfants qui convolent en secondes noces sont beaucoup plus nombreux que les jeunes veuves. Il y a à ce phénomène plusieurs explications, dont la moindre n'est pas la mortalité consécutive à des accidents de la maternité précoce. La bourgeoise, à qui la coutume tenace interdit l'allaitement de ses enfants, est en moyenne trois fois plus prolifique que la nourrice qui n'a que cinq ou six maternités espacées dans le temps. Dans tous les cas, peu d'enfants survivent à leur mère. Ainsi, lorsqu'en 1718 meurt Jeanne Robert, mère de saint Louis Grignion, il ne reste plus en vie de ses dix-huit enfants qu'un seul garçon et quatre filles. Ces hécatombes expliquent que des lignées entières, pourtant solidement implantées dans la bourgeoisie montfortaise, s'éteignent totalement au bout de trois ou quatre générations, l'espace d'un siècle. La préparation du mariage est de règle. Il n'est pas question de « fêter Pâques avant les Rameaux ». Si la paroisse accueille sans trop de problèmes les enfants, « fruits du péché », il n'en va pas de même pour le séducteur qui, pour arriver à ses fins, à promis le mariage : il passera en jugement et sera condamné à tenir sa promesse. La cour seigneuriale de Montfort a habilité le recteur de Coulon pour régler canoniquement ces cas particuliers, et il excelle dans ce ministère. Ne se marie pas qui veut. Des deux côtés, un conseil de famille élargi discute du pour et du contre de la future union, et précise par-devant notaire les moindres détails matériels du contrat de mariage. Alors seulement, après les « bannies » et les fiançailles (au presbytère ou à la sacristie), aura lieu le mariage religieux qui a force de loi. Se passer du consentement parental est un délit sévèrement puni, et vouloir forcer la main du beau-père en séquestrant sa fille n'avance à rien. C'est ce qu'aura pu constater Jean Houssay, de Plélan. Le 3 février 1667, dans l'église de Coulon, il épouse bien Françoise, la fille de Me. François Leborgne, mais le recteur, mandaté par la justice, se doit de préciser que la mariée « avoist esté emmenée par ledict Houssay ou complices, et conduite au bourg de la fillette [Note : On appelait « fillette » un hameau dont la chapelle publique est rattachée à une église paroissiale « mère ». Saint-Péran dépendait de Paimpont] de Saint-Péran, et laissée en une maison jusqu'à ce qu'il a fallu la rendre entre les mains du père, cy soubz signant et consentant à présent ledict mariage ». Conséquence juridique du rapt : Jean Houssay est condamné à verser un supplément de « vingt livres de dot à ladite Leborgne ».

Dès le début du XVIIème siècle, en ville comme en campagne de Montfort, les nouveaux foyers n'ont souvent qu'une solution : cohabiter avec l'un des anciens. On s'entasse dans un espace réduit. Le bourgeois n'est pas mieux loti que ses métayers. Partout, l'habitat laisse à désirer. Les bâtiments mal entretenus menacent ruines. Les toitures de « glée » (chaume ou paille) sont des passoires. Partout aussi, c'est la plus complète absence d'hygiène. Des villages entiers ne disposent que d'un seul puits communautaire. Dans l'enclos de la ville de Montfort, les jardins et la verdure sont rares du côté des remparts. Deux ruelles desservent les trois portes fortifiées. Cet entassement, d'après les registres d'audiences du comté de Montfort [Note : Les registres de greffe du comté de Montfort (anciennement cotés dans la série 4B), jadis conservés au Palais de Justice de Rennes, ont été versés depuis aux AIV, et étaient en 1983 en cours d'inventaire et de re-cotation], facilite les invectives par-dessus les clôtures. Mais, comme les voisins sont tous un peu parents, tout finit par rentrer rapidement dans l'ordre..., à moins qu'on ne soit assez sot pour ester en justice, à la grande joie de la nuée d'avocats, de procureurs et autres greffiers des multiples bailliages qui quadrillent Montfort [Note : Le Montfort du XVIIème siècle avait aussi ses faiblesses. Les accrocs à la morale du mariage, s'ils sont peu nombreux, existent : bâtards, enfants exposés, un cas d'avortement (1684), le cas d'une fille qui organise son propre rapt, parce qu'elle en a assez de « demeurer avec son beau-père dans un cabaret » (1675). — En 1618, des voleurs s'introduisent nuitamment dans l'église de Coulon et emportent linges et ornements. — En 1670, une attaque à main armée a lieu dans la Lande de Coulon : deux blessés graves. — En 1675, les noces sanglantes de la Bouyère font un mort : l'agresseur, qui s'était évadé de la prison de Montfort pour assister au repas, après s'être caché grâce à de nombreuses complicités, malmène la maréchaussée venue pour l'arrêter. — En 1629, en pleine rue de la Saulnerie, deux hommes se battent en duel et s'entretuent : les parents de l'un d'eux, comme le recteur de Saint-Nicolas refuse les obsèques religieuses, gardent le cadavre pendant dix jours pour finalement l'enterrer nuitamment « en terre bénie ». — En 1670, le seigneur de Tréguil et ses laquais organisent l'évasion violente des prisons de Montfort d'un « condamné de mort et gallaires ». — Au cours du XVIIème siècle, neuf meurtres sont perpétrés à Montfort]. Il n'en est que plus remarquable que cette population, formée de petits bourgeois et de manants « du plat pays », et qui vit plutôt pauvrement sous des apparences parfois trompeuses, sache encore faire place aux « pauvres pèlerins de monsieur saint Méen ».

Telle vie, telle mort.

La hantise d'un chacun est de se préparer à « faire une bonne mort ». Ce sentiment inspire les nombreuses fondations que font les donateurs, de leur vivant, en faveur des différentes confréries charitables de Montfort, ainsi que la rédaction d'une multitude de testaments où sont prévus des legs en forme de chapellenies, qui sont autant d'assurances de prières pour les défunts, et particulièrement de messes. On pourrait citer ici à l'appui nombre de documents révélateurs des sentiments de piété qui animent ces testateurs. Retenons simplement la formule de Jeanne Jamet qui, en 1659, « a laissé le revenu de son bien, pour un an, pour estre mis en prières » ; ainsi que l'étonnement, en 1655, de missire Raoul Corbes, recteur de Coulon, en constatant qu'un Berrichon, Allain Hamelin, « n'a rien ordonné pour prier pour lui » après sa mort (Reg. sépult. Coulon).

On peut certes s'étonner de cette façon de monnayer la prière, quand il s'agit des seigneurs calvinistes de Montfort, qui ont droit de messes à perpétuité dans toutes les églises et chapelles du comté dont ils sont les fondateurs et présentateurs, services auxquels les corps constitués sont convoqués d'office et tenus d'assister sous peine d'amende [Note : Aveu au roi de 1685, Arch. de la Houssaye 360, MGMR]. Mais la volonté populaire unanime est de convertir en prières les biens matériels. Les petits bourgeois, eux aussi, suivent cette coutume. Tel J.-B. Grignion qui, malgré son âpreté au gain, distrait de ses revenus les titres cléricaux de ses deux fils prêtres, fonde lui-même une chapellenie sur les rentes de l'une de ses métairies, et verse fidèlement au « général » de Saint-Jean de Montfort les revenus des fondations pieuses que fit son père en 1669.

La préparation à la bonne mort des fidèles (tout au moins des plus de 15 ans) occupe le plus clair du ministère des nombreux prêtres de la paroisse, ministère facilité, surtout auprès des plus pauvres, par tout un réseau de personnes charitables, membres des différentes confréries, lesquelles pratiquent toutes peu ou prou ce genre particulier d'apostolat. A Montfort, le clergé se partage l'administration des sacrements : un prêtre confesse le mourant, un autre le met en extrême-onction, un troisième apporte le viatique. Le mardi 15 mai 1663, le recteur de Coulon rédige en toute hâte un acte de sépulture, omettant de nommer le défunt qu'il vient d'inhumer, et qui a testé « vingt livres en augmentation de la frairie Saint-Joseph estant pressé d'aller voir d'autres malades pour les communier ». Il arrive que le prêtre reste des heures entières au chevet d'un mourant, « jusqu'au dernier respire ». Quand décède l'une de ses ouailles, le recteur en connaît parfaitement la vie chrétienne, et l'inhumation en « terre bénie » ne pose aucun problème, soit dans le cimetière des pauvres, soit le plus souvent dans l'église paroissiale. Les prêtres qui l'avaient assisté participent encore à ses obsèques. A celles de Jean Oresve, en 1669, dans l'église de Coulon, dix prêtres de Montfort sont présents. Si le nom du défunt est inscrit dans l'obituaire de la « Frairie Blanche », le service funèbre est assuré par une trentaine de prêtres et y assistent les autres membres de cette confrérie. Beaucoup de ces défunts avaient fait des legs à leur paroisse sous forme de chapellenies ou d'obits. En cas d'accident grave, on court vite en priorité prévenir un prêtre, dans l'espoir que celui-ci arrivera à temps pour donner l'absolution. De nombreux faits prouvent cette préoccupation majeure des témoins [Note : En 1619, le recteur de Coulon court au village de la Prise donner l'absolution à Jean Rebillard, pris d'un « desnoiement de sanc par la bouche ». — La veille de la Pentecôte 1621, le recteur de Saint-Nicolas donne l'absolution à un jeune charpentier qui « fut tué par une chute de boys quy luy rompit la teste devant l'église... et ne parla à personne depuis l'opression d'ycelle poultre de boys ». — En 1622 encore, c'est un autre homme qui « cheut de dessus le clocher de Saint-Nicollas, l'absolution luy donnée, ledit Gortrays ayant faict quelques signes catholiques ». — Toujours en 1622, un homme « fut trouvé noyé soubz la roue du moulin du seigneur de Montfort, respirant encore, l'absolution luy fut donnée ». — En 1657, à Saint-Jean, un homme tombe d'un toit, « à une levaille de maison » : il reçoit l'absolution avant d'expirer. — En 1661, Noël Bernard, du village de l'Asnière en Coulon, mourut d'une « esquinancie quy l'étouffa et fut confessé à la haste »].

Lorsque meurt subitement un paroissien, il ne reçoit la sépulture religieuse que s'il s'était confessé et avait communié pour la fête d'obligation la plus proche. S'il s'agit de quelqu'un qui était arrivé de fraîche date dans la paroisse pour y travailler temporairement, le clergé exige qu'il ait été aperçu aux messes du dimanche. C'est ce qu'illustrent les deux cas suivants. Aux tout premiers jours de janvier 1649, Pierre Mahé, « fossoyeur de son art », originaire de Saint-Glen au diocèse de Dol, meurt subitement, alors qu'il était occupé à réparer la chaussée du moulin de Saint-Lazare. Il a cependant le temps de demander un prêtre. Le recteur de Coulon arrive trop tard, mais il notera dans l'acte de sépulture : « Lequel, quoy qu'il n'aye receu le saint sacrement de l'Eucharistie et qu'on ne l'eust veu en ses quartiers se confesser, touttefoys allant à la messe et assistant au service divin, et ayant donné seulement signe de vouloir se confesser, on l'a receu à la saincte sépulture ».

En réalité, le recteur de Coulon avait, avant d'inhumer cet étranger, envoyé un courrier à Saint-Glen (à 12 lieues de Montfort) pour s'assurer auprès du recteur que Pierre Mahé avait effectivement fait ses pâques, l'année précédente. Neuf ans plus tard, jour pour jour, mais dans l'église Saint-Nicolas, est inhumé le corps de Guillaume Cheminant (58 ans), trouvé mort dans son lit à côté de sa femme : il s'était confessé et avait communié pour Noël. Pour les « pauvres de monsieur saint Méen », le clergé montfortais n'hésite pas un instant : être « en voiage », voilà qui est suffisant pour mériter la vénération de tous. Ils meurent d'ailleurs avec des sentiments de piété qui édifient les Montfortais. Même le doyen le note en 1618, à propos de René Hamon, « pèlerin de sainct Main (sic), de la paroisse de Banne au diocèse du Mans, mort et décédé bon chrestien et catholique » (Reg. sépult. Saint-Jean). On inhume d'habitude ces « pauvres » et « pauvresses » dans le cimetière spécial de Saint-Nicolas, plusieurs fois agrandi au cours du XVIIème siècle. Mais quand est découvert le cadavre d'un inconnu, le recteur du lieu commence par s'enquérir s'il s'agit bien d'un pèlerin de saint Méen, et non pas d'un vagabond détrousseur de chemin. La preuve est facile à faire : le vrai pèlerin doit être porteur de son certificat de baptême, visé par son curé au moment du départ. En 1628, un homme est ainsi découvert mort dans un fossé du Champ-du-Moulin près de Croix-Ruby ; il ne porte sur lui ni certificat de baptême, ni aucun objet religieux : son corps est enterré « à côté » du cimetière des pauvres de Saint-Nicolas. Par contre, les deux « voiageurs » suivants sont bien enterrés « au grand cimetière où l'on a coustume d'enterrer les pauvres » : le premier portait sur lui un chapelet et une médaille (1649) et le second, « un livre de dévotion, scavoir La Couronne de la Vierge, et un chapelet de patenostre » (1653) [Note : Reg. sépult. Saint-Nicolas.].

Il semble se dégager à première vue de la présente étude une impression de grande stabilité, aussi bien dans la façon dont le clergé exerce son ministère que dans le comportement religieux des fidèles, depuis le début jusqu'à la fin du XVIIème siècle. Et pourtant, à y regarder de plus près, quelque chose change à partir du premier quart du siècle. Jusqu'ici, le clergé paraissait se satisfaire de fidèles assidus au culte (eucharistique et des morts). Dès lors, les trois recteurs unissent leurs efforts pour inculquer à leurs fidèles un comportement nouveau, par les confréries qu'ils multiplient et par l'exemple qu'ils donnent. Il ne s'agit sans doute pas là de consignes épiscopales, mais plutôt de la reconnaissance par tout une cité, sans distinction de paroisses, d'un événement d'importance. L'amorce de ce mouvement coïncide en effet avec la lame de fond des « pauvres pèlerins de monsieur saint Méen ». Le plus à plaindre des Montfortais doit se reconnaître un privilégié, face à un déferlement de misère et de détresse de cette ampleur. Désormais, au fil des années de ce XVIIème siècle une dynamique nouvelle d'accueil et de service du pauvre s'empare progressivement de la vie chrétienne d'une petite ville bretonne.

(Marcel Sibold).

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