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L'ABBAYE SAINT-JACQUES EN MONTFORT-SUR-MEU |
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A l'extrémité de la rue Saint-Nicolas, en face le square de la Gare, commence le nouveau boulevard Carnot, qui n'est simplement que le chemin même de l'Abbaye. Après avoir dépassé l'école libre des Frères de Ploërmel, on arrive en pleine campagne, dans la délicieuse vallée du Meu. Au fond se dessine la colline de la Harelle, qui s'abaisse peu à peu vers Coulon, ravissants coteaux de verdure et de bruyère coupés par le rouge pâle de la carrière ; au bas, la rivière se déroule au milieu de vastes et fraîches prairies égayées par le pittoresque moulin si connu des habitants de Montfort. Bientôt la flèche de l'Abbaye se montre au-dessus des belles constructions de la communauté, et au détour apparaît le charmant châlet de l'aumônerie. Voilà l'Abbaye, le vieux monastère de Saint-Jacques, qui eut, lui aussi, son heure de célébrité.
Le couvent actuel est en grande partie moderne, et il ne reste que peu de chose de l'ancienne maison des Génovéfains. On remarque surtout le portail de la chapelle, construite au XIVème siècle et consacrée par celui qu'on appelait alors le cardinal de Montfort [Note : Le cardinal Guillaume, fils de Raoul, seigneur de Montfort. Il était évêque de Saint-Malo et cardinal du titre de Sainte-Anastasie, mais il se faisait appeler et signait : cardinal de Montfort]. De nombreuses voussures ornent ce portail et retombent sur de ravissantes colonnettes sculptées dans le granit. C'est tout ce qui subsiste de l'ancienne église abbatiale, car la nef est aujourd'hui coupée par une simple voûte qui enlève tout son cachet et toute sa valeur au vieux temple du moyen-âge [Note : Cet état de choses sera, croyons-nous, modifié par la direction actuelle].
S'il est presque impossible de retrouver les traces de l'abbaye primitive, du moins il est facile d'en reconstituer l'histoire, et celle-ci ne manque pas d'intérêt pour nos concitoyens. Ce fut le 1er mars 1152 que Guillaume, seigneur de Monfort, plaça la première pierre de l'abbaye. Le terrain qu'il avait choisi sur la rive gauche du Meu dépendait de la paroisse de Bédée, que possédaient alors les moines de Saint-Melaine. Aussi Guillaume fut-il obligé de demander à l'abbé de ce monastère la permission de construire la maison qu'il projetait, et l'abbé accorda l'autorisation à condition que ses droits n'en seraient nullement lésés. Le baron de Montfort se mit à l'œuvre et déclara qu'il donnerait ce couvent à des chanoines réguliers, et que Bernard, son chapelain, en serait le premier supérieur [Note : D. Morice, Hist. de Bretagne, I, 614. - Cartulaire de Saint-Jacques].
Pour doter la nouvelle abbaye, il accorda un grand nombre de dimes et de revenus dans la petite ville, ses environs et les paroisses voisines. Plusicurs personnages distingués du pays voulurent coopérer à cette œuvre et donnèrent également des rentes ou des terres dans les paroisses de Talensac, Breteil, Bédée, Gaël et Montauban [Note : Les prieurés dépendant de l'Abbaye étaient alors : Baulon, Bourg-des-Comptes, Langon, Monterfil, La Nouaye, Romillé, Saint-Gonlay, Saint-Malon, Saint-Maugan, Tréfumel et Saint-Péran]. La dotation une fois assurée, on commença l'église abbatiale, et quatre ans après saint Jean de la Grille, évêque de Saint-Malo, vint bénir le nouveau monastère et consacra le maître-autel, comme le rappelle la Légende du Bréviaire de Rennes. L'année suivante, Guillaume abdiqua tous ses droits seigneuriaux, revêtit l'habit des chanoines réguliers, et fut enseveli, à sa mort, dans le chœur de l'église qu'il avait construite. L'évêque de Saint-Malo revint, en 1162, bénir le nouveau cimetière et institua comme premier abbé Dom Bernard, qui, jusqu'à cette époque, n'avait porté que le titre de prieur [Note : Les armoiries de l'Abbaye étaient « d'azur à une montagne d'or, surmontée de trois coquilles de même rangées en chef, » et le sceau, tel qu'il est décrit au commencement du XIVème siècle, représente l'évêque saint Jacques debout et bénissant deux personnages agenouillés à ses pieds. (Voir Pouillé de Rennes, II, 638)].
L'abbaye était alors richement dotée, comme nous l'avons dit, et possédait des revenus considérables. Sans doute, dans le cours des siècles, elle subit des pertes énormes, mais aux XIIIème et XIVème siècles, Saint-Jacques était en pleine prospérité. Les bâtiments claustraux étaient vastes, la chapelle abbatiale richement ornée et restaurée dans le style brillant de l'époque. Les seigneurs de Montfort y avaient leur enfeu, et les vitraux qui représentaient la vie de saint Jacques étaient ornés des armes des sires de Gaël-Montfort. En outre, dit un ancien aveu, la salle du chapitre renfermait les tombeaux de plusieurs abbés et celui de la reine de Sicile [Note : Jeanne de Montfort, épouse de René d'Anjou, roi de Sicile. Plusieurs autres personnages du XIIème siécle y ont été inhumés. Le dessin de leurs pierres tumulaires nous a été conservé dans le recueil de Gaignières].
Les chanoines réguliers suivaient alors la règle de l'abbaye d'Arvaise, en Artois, c'est-à-dire une des plus austères de ce temps. Ils étaient habillés de blanc, faisaient maigre toute l'année, ne portaient pas de linge et gardaient le silence le plus absolu. Cette coutume, pour parler le langage de dom Martène, fut suivie rigoureusement pendant trois siècles ; mais là, comme dans beaucoup d'ordres religieux, la commende apporta bientôt avec elle le relâchement. Les abbés cessèrent de donner l'exemple et de résider dans leur maison. Plusieurs familles nobles du pays obtinrent même pour leurs cadets le titre d'abbé de Montfort. Ces commendataires, souvent sans caractère religieux et surtout sans vocation, vivant au loin dans le monde, s'occupant d'aventures joyeuses plus que de piété, laissèrent tomber la règle et la discipline monastiques, qu'ils étaient incapables d'observer eux-mêmes.
Aussi lorsqu'en 1610 Jean de Tanouarn reçut ses lettres d'abbé commendataire, il fut effrayé de la vie peu régulière des moines, chez lesquels la chasse, le jeu et la bonne chère avaient remplacé l'austérité des anciens jours. Pieux et zélé, le nouvel abbé comprit qu'une réforme s'imposait et résolut de se mettre à l'œuvre. Malheureusement, il trouva les moines peu disposés à l'écouter, et pendant quinze ans, avec une rare persévérance, il lutta contre l'esprit mondain des chanoines, qui n'avaient plus de régulier que leur nom et qui aimèrent mieux quitter l'abbaye pour se retirer dans leurs terres ou leurs bénéfices. La crise devint si aiguë que Tanouarn fut obligé de recourir aux prêtres de Montfort pour faire le service de son église. Un pareil état de choses ne pouvait durer plus longtemps, et l'abbé prit alors la résolution de frapper à la porte de communautés étrangères pour y demander des sujets. Mais presque toutes lui firent la même réponse et refusèrent, sous prétexte que les bâtiments étaient trop dégradés, la situation malsaine et les revenus insuffisants pour faire vivre les chanoines. En effet, à cette époque, l'abbaye avait perdu une partie de sa dotation ; l'abbé lui-même ne possédait plus que deux mille livres, et le reste était insuflisant pour entretenir convenablement le monastère. La situation était fort précaire, et c'était vraiment la ruine morale et matérielle aussi bien que la désolation dans le saint lieu.
Tanouarn ne se découragea pas et finit par être écouté de la congrégation de Sainte-Geneviève. Le 26 août 1636, il signa un contrat avec le supérieur, Charles Faure, et, par suite, le monastère de SaintJacques fut uni à celui de Paris. Des religieux de ce dernier vinrent s'établir à Montfort et remirent en vigueur l'observance régulière, selon les statuts de la congrégation. L'évêque de Saint-Malo approuva cette nouvelle organisation et donna à l'abbé le droit de porter la croix, la crosse, l'anneau et tous les autres insignes de ses prédécesseurs.
L'abbaye de Montfort vécut dès lors dans la paix jusqu'à l'époque de la Révolution. Elle fut gouvernée par trente-deux abbés, dont plusieurs devinrent évêques, entre autres Charles Pineau, nommé évêque de Castorie, et Rolland de Neuville, évêque de Léon. Le dernier abbé fut le trop fameux Claude Fauchet (né à Dornes le 22 septembre 1744, fils de Nicolas Fauchet, marchand aisé, et de sa seconde épouse, Anne Ligier/Léger), qui prit possession en 1787, embrassa avec ardeur les principes de 1789, fut élu évêque constitutionnel du Calvados en avril 1791, puis député à la Convention en septembre 1791, et fut enfin guillotiné à Paris le 31 octobre 1793 (13 novembre 1793 ?) [Note : Nous ne connaissons que deux chanoines de l'abbaye qui aient imité Fauchet dans sa défection. L'un, Charles Retoré, venu seulement depuis un an à Montfort, et qui déclara, le 26 janvier 1791, devant le procureur de la commune de Bédée, qu'il profitait de la liberté que lui accordait la loi pour se retirer dans son pays natal. L'autre, Jean Voillerault, prieur de cette même abbaye, né le 15 avril 1731, religieux depuis trente-trois ans, déclara également qu'il quittait la vie religieuse pour vivre désormais à Montfort. Il fut nommé curé intérimaire de Saint-Jean, et en 1793 abandonna toute fonction ecclésiastique pour devenir officier public et greffier du tribunal de Montfort (Arch. départementales et municipales de Bédée)].
Les bâtiments de l'abbaye furent alors sécularisés et vendus nationalement.
Mais quelques années après, une jeune fille de Hédé, Marie Brémard, de concert avec la mère Félicité, ancienne Ursuline, résolut d'acheter l'abbaye, qui tombait alors en ruines. Par un contrat signé le 26 septembre 1806, ces deux femmes devinrent propriétaires du couvent et de ses dépendances. Elles en commencèrent aussitôt la restauration, et quelques mois après onze Ursulines de Rennes vinrent habiter l'antique abbaye. Elles choisirent pour supérieure la sœur Sainte-Ursule, ancienne religieuse de Hédé depuis 1769. Le 7 septembre 1807, la chapelle fut bénite, et le lendemain Mlle Brémard prononça ses vœux, pendant que les anciennes religieuses renouvelèrent leurs promesses et reprirent l'habit monastique.
La communauté nouvelle, autorisée par une ordonnance royale de 1816, se dévoue à l'instruction des jeunes filles : elle entretient une école gratuite, un pensionnat et un externat. Aujourd'hui, le couvent, restauré et agrandi, est dans un état prospère, et la vieille maison des Génovéfains a retrouvé en partie sa destination primitive. Les religieuses vivent, elles aussi, dans la prière, le silence et le travail ; comme les anciens moines, elles passent leur vie derrière ces grilles qui se sont refermées sur elles, dans ce jardin d'où elles ne peuvent même pas contempler les charmantes rives du Meu qui baigne le monastère. Elles n'entendent pas les rumeurs et les bruits de la ville ; leurs regards ne se reposent plus que sur la verdoyante colline qui domine leur maison, sur les coteaux boisés de la Harelle, qui sont pour elles comme une image de la vie humaine, qu'il faut gravir péniblement pour arriver là-haut.
(E. Vigoland).
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