Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

MONTFORT-LA-CANE (1386-1739)

  Retour page d'accueil       Retour Ville de Montfort-sur-Meu   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Pendant que l'on travaillait à la reconstruction de Montfort, dit la tradition, eut lieu un évènement extraordinaire auquel la petite ville doit son surnom, en même temps que sa plus légitime célébrité. Qui d'entre nous ne connaît la naïve et gracieuse légende de la cane. Chantée par les poètes, reproduite par la peinture et la sculpture [Note : Le maître-autel de l'ancienne église de Saint-Nicolas reproduisait cette histoire. La cane était également brodée sur les vêtements sacerdotaux. (Archiv. municip. Recollement). Le grand vitrail de l'église représentait aux pieds du saint quatre canes barbotant dans un marais. Ces peintures étaient du XVIème siècle. A notre époque, on a reproduit cette légende dans les sculptures de l'autel Saint-Nicolas et sur l'un des vitraux de la nouvelle église], embellie par l'imagination de nos pères, elle a joui d'une incontestable renommée. Bien des fois déjà elle a été publiée et a exercé la sagacité des érudits. Aussi nous ne voulons pas nous y arrêter longuement, ni redire ce que d'autres ont dit avant nous et bien mieux que nous. Dans ce chapitre, nous ne faisons entrer ce récit qu'à titre d'épisode intéressant pour notre histoire locale, et que nous nous bornons à résumer pour le lecteur.

D'ailleurs, qu'elle soit une ingénieuse fiction ou une réalité, cette histoire est touchante, et longtemps encore cette charmante légende méritera d'être racontée par les mères à leurs petits enfants.

Vers l'an 1386, au moment où l'on achevait les fortifications, le seigneur fit enfermer dans son château une jeune fille d'une beauté remarquable. La pauvre enfant, tout en pleurs, comprit bien vite le sort qui lui était réservé. Se glissant à la petite lucarne de la prison, elle se cramponnait aux barreaux, et là, des heures entières, elle contemplait le vaste étang dans lequel se miraient les murs infranchissables du château, puis elle regardait la blanche flèche de Saint-Nicolas qu'elle apercevait devant elle, et dont les cloches, comme un glas funèbre, retentissaient douloureusement en son cœur. Elle pria longtemps avec des yeux pleins de larmes, et promit au bon saint qu'elle viendrait publiquement le remercier dans son église si elle pouvait échapper au péril.

Le soir même elle parvint à s'enfuir et se trouva bientôt hors du château.

Ainsi délivrée, elle se disposait à s'éloigner au plus vite, lorsqu'elle tomba entre les mains des soldats, qui voulurent la traiter comme ils supposaient que l'avait traitée leur maître. La pauvre fille, éperdue, regarda de tous côtés pour appeler au secours. Mais l'église était loin d'elle encore, les fossés déserts à cette heure, et partout, autour d'elle, une vaste solitude que troublait seul le vent du soir qui grondait dans les grands arbres du Garun. Elle eut beau chercher, elle n'aperçut que deux canes sauvages qui se baignaient dans l'étang.

Alors elle renouvela sa prière à saint Nicolas, et le supplia de permettre que ces animaux fussent témoins de son innocence, et qu'ils accomplissent chaque année son vœu en son nom et à leur manière si elle venait à perdre la vie. Par une permission divine, ajoute la tradition, elle s'échappa des mains des soldats, mais la frayeur qu'elle avait ressentie abrégea ses jours ; elle mourut peu après et fut ensevelie dans le cimetière de Saint-Nicolas.

Or, voilà qu'à la fête de la Translation de cette même année, pendant que la foule se pressait autour des reliques du saint, une cane sauvage, accompagnée de ses canetons, pénétra dans l'église. Après une légère hésitation, elle voltigea devant l'image du Bienheureux, prit son vol jusqu'au sommet de l'autel, salua le crucifix du battement de ses ailes, et redescendit vers la foule qui put la contempler et la saisir à son aise. Puis elle se plaça de nouveau devant l'image du saint et demeura là jusqu'à la fin de l'office. Alors elle ouvrit brusquement ses ailes, traversa l'église, et, laissant un de ses petits, reprit avec les autres son vol vers l'étang, où elle disparut.

Telle est dans sa gracieuse simplicité la légende que l'on racontait jadis à Montfort. Elle a été sans doute créée et embellie peu à peu par l'imagination populaire, pour expliquer certains faits étranges qui avaient frappé nos pères, à une époque où l'on croyait voir partout du surnaturel et du merveilleux.

Ce qui est incontestable, c'est qu'au moyen-âge l'apparition souvent renouvelée d'une cane sauvage avait mis en émoi le bon peuple de Montfort et avait eu alors un grand retentissement en Bretagne.

Comme le disait un auteur du XVIIème siècle, il y avait peut-être « en tout cela un grand nombre de fables et d'exagérations » [Note : Hay du Châtelet, Hist. de Duguesclin]. Car, en ces temps lointains, on affirmait que cette cane, toujours la même, venait rendre hommage à saint Nicolas pour accomplir le vœu de la pauvre fille. Le mystérieux volatile arrivait ainsi presque chaque année, ajoutait-on, et le peuple de Montfort, connaissant le jour de l'apparition merveilleuse, « s'assemblait d'avance sur le chemin qui conduisait de l'étang à l'église » [Note : Candide de Saint-Pierre, Récit de la venue d'une cane en la ville de Montfort]. Alors, accompagnée de ses canetons, la cane venait « en toute paix » [Note : D'Argentré, Hist. de Bretagne] à l'église, rendait hommage au saint, se laissait prendre comme un oiseau apprivoisé, puis disparaissait sans que l'on pût savoir ce qu'elle devenait le reste de l'année. Malheur à qui voulait lui nuire, car l'imprudent était châtié de sa témérité. Aussi, concluait un pieux chanoine de l'abbaye, tout démontrait que c'était bien là « une cane envoyée par un ordre particulier de la Providence de Dieu » [Note : Candide de Saint-Pierre, loco citato].

C'était, en effet, alors la croyance générale, comme le chante le vieux cantique du XVIIème siècle [Note : Candide de Saint-Pierre, loco citato] : Cette histoire est bien véritable. - Et d'en douter on aurait tort. - Vous pouvez, après cela, croire, - Et sans craindre de vous tromper, - La vérité de cette histoire - Dont je viens de vous occuper.

Ce qui est certain, en mettant à part les exagérations populaires, c'est que souvent pendant le moyen-âge, et plus rarement à partir du XVIème siècle, on vit une cane sauvage, accompagnée de ses canetons, voltiger à l'intérieur de l'église ou dans les jardins du prieuré, dans des conditions anormales qui intriguaient beaucoup le peuple de Montfort.

Aussi un grand nombre d'écrivains de cette époque, se faisant l'écho de ces bruits, en ont fait la relation. La plupart y voient une apparition merveilleuse, et tous constatent la réalité des faits sans chercher à les expliquer.

« Il y a près la ville qu'on nomme Montfort, écrivait Chasseneux en 1520, une chose admirable. Au mois de mai, une cane sort de l'étang voisin et vient avec ses canetons dans l'église, fait le tour de l'autel et disparait pendant le reste de l'année » [Note : Barthélemy Chasseneux, Commentaire latin sur les coutumes de France].

« Je me suis rendu par curiosité dans la ville de Montfort, écrivait vers 1633 Hay du Châtelet [Note : Hay du Châtelet, d'abord avocat général à Rennes, puis conseiller d'État, mort à Paris en 1636], membre du Parlement de Rennes, et j'y ai vu cette cane fameuse, mais la foule m'empêcha de voir si elle laissait, comme on le dit, un de ses petits sur l'autel. Je sais qu'on rapporte de diverses manières l'origine d'un fait si remarquable, et je crois volontiers qu'on mêle beaucoup de fables et d'imaginations à ce qu'on m'en a raconté ».

« J'ai connu, dit l'historien d'Argentré, un seigneur de Montfort [Note : Il s'agit du sire d'Andelot, comte de Montfort, qui vint, en effet, à cette époque dans la ville, pour y établir le calvinisme] qui était de la nouvelle religion, et qui, avec mille témoins, n'eût pas voulu croire cette merveille, qu'il traitait de supercherie. Or, un jour qu'il était dans sa ville, la cane apparut, comme si elle avait voulu convaincre cet incrédule. On vint le lui dire pendant qu'il était à table, et aussitôt il accourut, avec sa suite, à l'église. La cane était là et séjourna quelque temps devant le comte, puis elle s'en retourna comme elle était venue. Depuis ce temps, j'ai plusieurs fois entretenu de ce fait ce seigneur hérétique, et chaque fois que j'en parlais, il se taisait, ne mettant plus en doute cette histoire, réservant son jugement, et avouant que c'était bien là une cane sauvage qui n'avait pu être apprivoisée par les prêtres, comme il l'avait prétendu » [Note : D'Argentré, Histoire de Bretagne. — Voir à ce sujet la relation du ministre protestant Louvain à Mme d'Andelot].

« En 1649, écrivait un prieur de l'abbaye de Saint-Jacques, le jeudi de la Pentecôte, je fus témoin de l'arrivée de la cane, qui traversa le faubourg Saint-Nicolas. Elle entra dans l'église et y passa la nuit. Je la pris moi-même et la fis toucher aux assistants. Quand elle partit, elle laissa, comme de coutume, un de ses petits près des fonts baptismaux. Je saisis le caneton et le portai avec les autres, mais la cane le repoussa vivement. Alors il voulut rentrer dans l'église, mais ne le pouvant, il alla se jeter dans une haie voisine, et nul ne l'a pu retrouver ».

« J'affirme, ajoute à son tour le carme Candide de Saint-Pierre, et je déclare que j'ai vu plusieurs fois cette cane dans mon enfance ; je l'ai vue encore l'année que j'entrai en religion, en 1663, et je n'hésite pas à signer tout ceci ».

Non seulement les anciens écrivains affirmaient ainsi leur croyance à l'histoire de la cane, mais de nombreux procès verbaux témoignaient de la réalité de ces faits. Nous ne possédons malheureusement que les documents postérieurs au XVème siècle, c'est-à-dire d'une époque où les apparitions étaient devenues beaucoup plus rares. Le Père Barleuf dit, en effet, qu'autrefois « ces faits étaient si communs. qu'on s'est lassé d'en réitérer les procès-verbaux, dont les plus anciens ont été perdus pendant le trouble des guerres ».

D'après ceux qui nous restent, et ils sont peu nombreux, il est certain que les apparitions devinrent de moins en moins fréquentes, et qu'après le 8 mai 1739 elles cessèrent complètement [Note : Voici la date des principales apparitions de la cane : le 24 avril 1543, le 17 mai 1547, le 17 mai 1548, 17 mai 1550, 17 mai 1560, 17 mai 1562, 29 avril 1564, 14 juin 1584, 9 mai 1600, 5 mai 1605. Elle revint encore à cinq ou six reprises pendant ce siècle, jusqu'à la dernière apparition du 8 mai 1739].

Ce fut alors la dernière visite de la cane de Montfort, et nous tenons à mettre sous les yeux du lecteur ce procès-verbal, extrait des Archives de Saint-Nicolas et que nous reproduisons intégralement, en respectant l'orthographe et le style de l'époque :

« L'an 1739, nous soussigné Messire Joseph Allain recteur de cette paroisse, certifions à qui il appartiendra, pour en conserver l'éternelle mémoire que le huit may, veille de la Translation de saint Nicolas, entre les sept et huit heures du soir, étant à souper chez Mr Toussaint Mouazan sieur de Tremelin, l'un des anciens syndics de cette ville, sénéchal de plusieurs juridictions, en compagnie de noble et discret messire Laurent Brulais [Note : Recteur de La Baussaine de 1729 à 1741], recteur de la Baussaine ; noble et discret messire François René de Léon [Note : Prieur et recteur de 1732 à 1742], prieur de Miniac près Bécherel, messire Louis Davy, prêtre de la paroisse Saint-Jean de cette ville, messire Louis du Bouais de Saint-Condran, receveur actuel des devoirs du département de Montfort, messire Jacques Baudré, commis au bureau des vins, eaux de vie et papier timbré de cette ville, damoiselle Marie Anne de Léon, veuve de feu messire Le Tournoux sieur Desplasses, sénéchal de plusieurs juridictions et ancien syndic de cette ville ; damoiselle Renée Le Tournoux, épouse dudit sieur Mouazan ; le sieur Joseph Vialart, marchand de draps et soyes de cette paroisse nous apporta un petit canneton [Note : Nous conservons l'orthographe du manuscrit : canne et canneton] de la grandeur que serait un canneton domestique, nous disant : Voilà un canneton de votre canne (sic). La canne de saint Nicolas est arrivée et voilà un de ses petits que j'ai pris vis-à-vis de l'église. Le publique est assemblé autour de votre église et assure avoir vu la canne voltiger plusieurs fois alentour de l'église et de la croix ».

Aussitôt « on interrompit le souper et nous nous transportâmes dans la place qui est au devant de l'église, appellée ordinairement le cimetière [Note : Cette place porte encore le nom de cimetière Saint-Nicolas], pour nous assurer du fait, accompagné desdits sieurs de Léon, Davy, du Bouais, même desdits sieurs Brulais et Baudré, mais ces deux derniers s'en étant retourné aussitôt, ne virent point la canne. Étant arrivés dans la dite place, nous trouvâmes, en effet, un grand concours de peuple assemblé, dont la plupart nous attestèrent avoir vu la canne voltiger à plusieurs reprises autour de l'église et de la croix dudit cimetière, et qu'elle pouvait être dans les jardins du prieuré, où nous entrâmes pour tâcher de la trouver, ce que n'ayant pu faire, nous revinmes dans la place, au devant de ladite église, où y étant resté quelques minutes, nous apercûmes une canne que tout le publique nous dit être la même qu'ils avaient vue. Elle nous parut d'une autre figure que les cannes ordinaires par la longueur de la queue et la finesse de son col et de sa tête : elle parut venir, comme du haut de la rue Saint-Nicolas [Note : C'est-à-dire du côté de l'étang], et fit en voltigeant le tour du presbytère, du prieuré et de l'église, en s'en retournant à peu près vers le lieu d'oû elle avait paru venir. — Nota qu'on apporta à notre presbytère, le même soir, un canneton semblable à celuy dont nous avons parlé, trouvé dans un jardin voisin de l'église, que nous avons enfermé sous clef, jusqu'à ce jour deux heures de l'après-midi ; pendant ce temps, on luy a offert à boire et à manger, sans qu'il ait rien pris, excepté une seule fois quelques gouttes d'eau, après luy avoir plusieurs fois mis le bec dans l'eau. Après quoy, en présence d'un grand nombre de personnes, avons donné la liberté à ce canneton qui a marché avec autant de vitesse que si c'eut été un grand, et ayant passé par le trou d'une petite porte qui donne sur le jardin, a disparu. Ce que nous certifions vrai comme cy devant.

Ce neuf mars 1739. Rature de deux mots : et voltigeant approuvé. Ont signé : Brulais, recteur de la Baussaine ; F. de Léon, prieur de Miniac ; L. Davy, prêtre ; Dubouay ; Anne de Léon ; René Le Tournoux ; De Tremelin ; Joseph Vialard. Je certifie que plusieurs personnes m'ont dit avoir vu la canne, ce matin, faire le tour de l'église et voltigeant comme hier soir. Ce 10 may. Allain recteur ».

Ce fut la dernière apparition de la cane.

Depuis lors, nul ne la revit plus jamais, et nos pères cessèrent de contempler le miracle dont personne, à cette époque, n'aurait voulu douter.

Nous n'avons pas à défendre ici leur pieuse croyance ni à condamner leur foi naïve, encore moins à expliquer ces faits étranges dont sourit aujourd'hui notre scepticisme. On peut sans doute considérer comme une simple légende le récit en lui-même, mais il est bien difficile de nier la réalité des faits, confirmés par les aveux des témoins et les procès-verbaux des siècles derniers. Quelques-uns les expliqueront comme nous l'avons entendu dire à un vieillard, sorte de Homais montfortais, aussi sceptique d'ailleurs que spirituel, et d'après lequel le voisinage de l'étang et les marécages voisins du lieu suffiraient à expliquer tout ce mystère. Nous ajouterons même que le dessèchement de l'étang et l'assainissement du faubourg, coïncidant à peu près avec la disparition de la cane, confirmeraient peut-être cette hypothèse. Pour nous, du moins, qui mettons bien volontiers de côté le surnaturel en cette question, nous nous contentons simplement de signaler, sans les expliquer, ces faits si connus qu'admettent les plus incrédules et qui constituent pour nous un précieux souvenir historique que personne ne saurait contester.

Toutefois, si la croyance populaire a faibli sous les coups répétés de l'érudition moderne, la légende subsiste toujours. Longtemps encore on redira cette gracieuse histoire, et souvent, en l'entendant raconter, les petits enfants de Montfort croiront voir, aux fenêtres de la vieille prison, la pauvre fille qui devait mourir parce qu'elle était trop belle, et qui fut sauvée parce qu'elle pria le bon saint Nicolas.

(E. Vigoland).

© Copyright - Tous droits réservés.