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Le bienheureux Louis-Marie Grignon (ou Grignion) de Montfort.

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Le bienheureux Louis-Marie Grignon de Montfort est le dernier serviteur de Dieu qui ait reçu les honneurs des saints dans nos contrées de l'ouest de la France. Les solennités de sa béatification ont été célébrées avec un pieux enthousiasme par les populations chez lesquelles sa mémoire était demeurée vivante depuis cent cinquante ans. En étudiant la vie du bienheureux Père de Montfort on ne peut méconnaître une conduite toute miséricordieuse de la Providence à l'égard de nos contrées. Il fut souvent persécuté pendant sa vie ; sa manière d'agir singulière donnait parfois occasion à de vives critiques, à des mesures sévères de la part même des supérieurs ecclésiastiques. Mais quand on regarde de plus près la physionomie du serviteur de Dieu, on reconnaît que cette singularité d'action et de langage provenait d'une foi profonde qui lui rendait pour ainsi dire palpables les vérités de l'Evangile et les lui faisait pratiquer et enseigner sans aucun ménagement pour les personnes et les choses au milieu desquelles il vivait. Ajoutons que son inviolable attachement à l'enseignement de l'Eglise Romaine le rendait odieux aux Jansénistes qui répandaient le poison des erreurs les plus pernicieuses dans les âmes, sous les dehors d'une vertu austère, correcte et superbe ; le bienheureux Père de Montfort avait été suscité de Dieu pour les combattre et ils ne pouvaient souffrir le missionnaire qui attirait à Dieu les pécheurs qu'ils en éloignaient par leur sévérité pharisaïque.

Bienheureux Louis-Marie Grignon de Montfort.

Quand saint François d'Assise, au XIIIème siècle, vint renouveler la vie chrétienne parmi les peuples, il apparut sous des dehors souvent étranges; c'était la folie de la Croix ; et les âmes entendirent l'appel du pauvre d'Assise, ou plutôt de Jésus crucifié qui vivait en lui et avait imprimé les stigmates de sa Passion sur la chair de son serviteur. Sans vouloir égaler la mission du Père de Montfort à celle de saint François d'Assise, nous dirions volontiers : C'est aussi la folie de la Croix qui se manifesta dans la vie de notre grand missionnaire, et comme toujours cette folie fut la sagesse et la force de Dieu.

Le bienheureux Louis-Marie Grignon de Montfort eut pour père Jean-Baptiste Grignon, sieur de la Bacheleraie, et pour mère Jeanne Robert, fille de Jean Robert, sieur de Launay, un des échevins de la ville de Rennes. 11 naquit à Montfort-la-Cone, petite ville du diocèse de Saint-Malo, le 31 janvier 1673, et fut baptisé le lendemain. On lui donna au baptême le nom de Louis ; il y ajouta le nom de Marie à la confirmation, à cause de sa grande dévotion envers la très sainte Vierge. Plus tard il renonça, par esprit de détachement et d'humilité, à son nom de famille et y substitua celui du lieu de sa naissance et de son baptême. On le nomma le Père Louis-Marie de Montfort ; c'est sous ce nom que l'Eglise devait un jour le placer parmi les saints.

Le jeune de Montfort montra de bonne heure une grande horreur pour le péché, et le zèle qu'il devait plus tard déployer dans les missions se manifestait dès lors par le soin qu'il avait de porter à la piété les enfants de son âge. Le caractère distinctif de sa dévotion était déjà un tendre et ardent amour pour la très sainte Vierge Marie. « Tout son plaisir, étant tout petit, dit un de ses condisciples, M. l'abbé Blain [Note : M. Blain, né dans le Diocèse de Rennes, avec suivi le jeune de Montfort à Paris. Appelé en 1710 dans le diocèse de Rouen, il fut successivement chanoine de la Métropole et curé de Saint-Patrice. Ami dévoué du Bienheureux Jean-Baptiste de la Salle , fondateur de l'Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes, il mourut en 1751], était de parler de la sainte Vierge ou d'en entendre parler, comme sa joie la plus sensible a été plus tard de propager son culte et d'augmenter le nombre de ses serviteurs et de ses servantes... Tout le monde sait qu'il n'appelait Marie que sa Mère, sa bonne Mère, sa chère Mère ; mais tout le monde ne sait pas que, dès sa plus tendre jeunesse, il allait à elle avec une simplicité enfantine, lui demandant tous les secours temporels aussi bien que les spirituels dont il avait besoin ».

Le jeune Louis, arrivé à l'âge de douze ans, fut mis par son père au collège des Jésuites de Rennes. ll entra en sixième et y fit le cours complet des études classiques. Il ne quitta le collège que pour aller commencer ses études de théologie à Paris.

Le serviteur de Dieu se distingua entre les nombreux élèves de cette maison par son intelligence et par sa vertu. Il remportait les principaux prix à la fin de chaque année ; mais il faisait encore plus de progrès dans la piété. Aussi il ne tarda pas à faire partie de la congrégation de la sainte Vierge, qui réunissait les plus fervents écoliers. Il se joignit aussi aux jeunes gens qu'un saint prêtre de Rennes rassemblait chez lui pour leur faire des entretiens de piété et les envoyer servir les pauvres dans les hôpitaux, en leur faisant de bonnes lectures et leur enseignant le catéchisme. Pendant son séjour à Rennes, le Bienheureux ne manquait pas, toutes les fois qu'il allait en classe, d'entrer dans l'Eglise des Carmes, qui se trouvait sur son chemin, et y restait souvent en prière devant une image de la très sainte Vierge. « C'est devant cette image vénérée, dit M. Blain, que par une grâce singulière il reconnut que Dieu l'appelait l'état ecclésiastique. Cette connaissance de sa vocation fut si claire, comme il l'avoua lui-même plus tard à l'un des compagnons de sa vie apostolique, qu'il ne lui resta pas là-dessus le moindre doute ».

La Providence dirige tous les événements de notre vie. Une pieuse demoiselle, qui avait demeuré chez le père du serviteur de Dieu pendant quelque temps, proposa à ses parents de faire entrer le jeune Louis au Séminaire de Saint-Sulpice et de fournir ce qui serait nécessaire pour sa pension. Toute la famille accueillit cette proposition avec joie. Le jeune homme partit aussitôt avec un entier détachement de ses parents et de son pays ; il avait alors vingt ans. On lui remit pour son voyage dix écus. Le Bienheureux se montra dès lors ce qu'il devait être durant toute sa vie. L'argent et un habit neuf qu'on lui avait donné passèrent bientôt entre les mains des pauvres. Il fit son voyage à pied, son chapelet à la main, sans argent, avec un habit usé, demandant l'aumône, et entièrement abandonné à la divine Providence.

A son arrivée il se rendit chez sa bienfaitrice, Mlle de Montigny, qui le conduisit non au Séminaire même de Saint-Sulpice, comme il l'avait cru, mais dans une communauté ecclésiastique fondée par un saint prêtre, M. de la Barmondière, ancien curé de Saint-Sulpice, et où le prix de la pension était fort modique. Mlle de Montigny cessa au bout de quelques mois de payer la pension. M. de la Barmondière, qui avait déjà pu apprécier la vertu du nouveau séminariste, consentit à le garder ; mais, afin qu'il ne fût pas à charge à la communauté fort pauvre, il fut chargé d'aller veiller les morts de la paroisse, et la rétribution affectée à cet emploi lui tint lieu de pension.

Le Bienheureux accepta avec bonheur une combinaison qui lui donnait le moyen de pratiquer tout à la fois la pauvreté, l'humilité et la mortification. Voici l'ordre qu'il suivait dans ces pénibles veillées, d'après le témoignage d'un de ses amis qui en avait été témoin. « Il donnait à l'oraison quatre heures entières, toujours à genoux, les mains jointes et le corps immobile ; ensuite deux heures à la lecture spirituelle : les deux heures suivantes au sommeil, et ce qui restait à l'étude des cahiers de théologie dont il allait prendre des leçons en Sorbonne ». La fatigue de ces veillées si saintement et si laborieusement passées ne suffisait pas à contenter son amour de la pénitence. M. de la Barmondière, qui avait reconnu dans le jeune Montfort une de ces âmes privilégiées que Dieu ne conduit pas par les voies ordinaires, lui laissa toute liberté pour pratiquer la mortification. Disciplines sanglantes, cilices, ceintures et bracelets de fer, hérissés de pointes aiguës, tous les instruments de pénitence étaient à son usage, et il n'était jamais sans porter sur son corps la mortification de Jésus-Christ.

La Providence allait envoyer de nouveau une rude épreuve au fervent séminariste. Pendant qu'il se préparait à recevoir les ordres mineurs, en faisant une retraite chez les Lazaristes. M. de la Barmondière mourut et la communauté qu'il avait établie fut dissoute. Le Bienheureux Montfort se trouvait de nouveau sans aucune ressource. Sa confiance en Dieu n'en fut pas ébranlée : « Quoi qu'il m'arrive, écrivait-il à son oncle maternel, prêtre vénérable qui habitait la ville de Rennes, je ne m'en embarrasse pas : j'ai un père dans les cieux qui ne peut me manquer. Il m'a conduit ici et m'y a conservé jusqu'à présent, il me fera toujours éprouver ses miséricordes ordinaires, quoique pour mes péchés je ne mérite que des châtiments. Je ne laisse pas de prier Dieu et de m'abandonner à la Providence ».

Il se trouva heureux d'être admis dans une communauté semblable à la première, mais plus pauvre encore elle élait dirigée par M. Boucher. Il suffira, pour donner une idée de la pauvreté de cette maison, de dire que tous les écoliers faisaient la cuisine chacun à leur tour.

Le saint jeune homme, épuisé par les privations, le travail et les austérités, tomba malade ; on le transporta à l'Hôtel-Dieu. Les sœurs ne tardèrent pas à voir qu'elles n'avaient pas là un malade ordinaire et ne pouvaient se lasser d'admirer sa patience et sa modestie. Le nom d'Hôtel-Dieu le ravissait ; il dit un jour à son ami, M. Blain, qui venait le visiter : « Je suis dans la maison de Dieu, quel honneur ! C'en est trop pour moi. Il n'appartient qu'aux princes d'être logés dans le Louvre et dans la maison du Roi. Mes parents n'en seront pas trop aises ; mais la nature est-elle jamais d'accord avec la gràce ? ».

Louis de Montfort, en quittant l'Hôtel-Dieu, entra au Petit-Séminaire de Saint-Sulpice. Ce Petit-Séminaire ne différait du Grand-Séminaire de Saint-Sulpice que par le prix de la pension qui était plus modique. C'étaient, d'ailleurs, les mêmes études, les mêmes maîtres. M. l'abbé Brenier était le supérieur et le fondateur de cette maison. Dieu n'avait pas trompé la confiance que le serviteur de Dieu avait mise dans sa Providence. La pension était de deux cent soixante livres. Une riche chrétienne, Mme d'Alègre, demanda qu'on appliquât au jeune Grignon une rente de cent soixante livres qu'elle faisait pour une bourse au Petit-Séminaire de Saint-Sulpice. M. Brenier lui procura un petit bénéfice de cent livres de rente, situé dans la paroisse de Saint-Julien-de-Concelles, au diocèse de Nantes, et qui devait lui servir de titre pour les ordres sacrés.

Le Bienheureux de Montfort passa cinq années au Séminaire de Saint-Sulpice, de 1695 à 1700. il se livra avec ardeur à l'étude de la théologie, sans diminuer en rien son application aux exercices de la piété. « Dès les premiers jours, dit un de ses condisciples, il parut au milieu de cette fervente jeunesse comme un aigle qui s'élève et va se perdre dans la nue, laissant bien loin après lui ceux qui paraissaient les plus parfaits ».

Sa dévotion envers la très sainte Vierge se manifestait le plus en plus. Avec l'approbation de M. Tronson, troisième successeur de M. Olier , il répandit parmi les élèves du Séminaire la pieuse association des Esclaves de Jésus en Marie, dont il avait puisé l'idée dans le livre de M. Bondou, sur l'esclavage de la sainte Vierge.

Aimable et gai dans les récréations, il savait mêler la piété dans les amusements auxquels il devait se prêter comme les autres. Il avait imaginé un jeu de jonchets ou chaque osselet portait le nom d'une vertu, avec une valeur plus ou moins grande : la charité valait cinquante points, l'humilité trente, et ainsi du reste.

Bienheureux Louis-Marie Grignon de Montfort. Bienheureux Louis-Marie Grignon de Montfort.
   

Les pauvres lui demeuraient chers. Il avait trente sous à sa disposition ; une pauvre femme vient lui exposer sa misère ; il lui remet son petit trésor tout entier. Nous avons dès le commencement fait remarquer que le bienheureux de Montfort, tout pénétré des pensées de la foi, disait des paroles, faisait des actes d'une apparence singulière. Son premier directeur, M. Bouin, le traitait avec une grande bonté, et reconnaissant en lui des vertus peu communes, il respectait dans ses manières singulières l'inspiration profonde qui le faisait agir. M. Léchassier succéda à M. Bouin dans la direction du pieux séminariste et le traita constamment avec une grande sévérité. Dieu permit cette conduite de M. Léchassier pour éprouver la vertu du serviteur de Dieu. M. Brenier, supérieur du Séminaire, et M. Léchassier l'humiliaient et le mortifiaient en toute occasion. Jamais l'obéissance et l'humilité du serviteur de Dieu ne se démentirent. Jamais une plainte ne sortit de sa bouche contre ses maîtres. Aussi M. Brenier ne craignit pas de lui confier plusieurs emplois qui témoignaient la confiance qu'on avait en sa vertu. C'est ainsi qu'il fut chargé d'enseigner le catéchisme aux enfants les plus dissipés du faubourg Saint-Germain, de faire, au nom du Séminaire, avec un de ses condisciples, le pèlerinage accoutumé à Notre-Dame de Chartres. Il fut nommé maître des cérémonies et on lui donna le soin de la Chapelle de la sainte Vierge.

Le moment était venu où Louis de Montfort devait monter les derniers degrés du Sanctuaire. Il obtint de son confesseur la permission de devancer les obligations que l'Eglise allait lui imposer dans le sous-diaconat, en faisant le voeu de chasteté perpétuelle. Ce fut l'église de Notre-Dame de Paris, où il avait coutume de communier tous les samedis, qu'il choisit pour faire à Dieu cette oblation volontaire. Désormais, livré tout entier à Notre-Seigneur, il obéit avec une simplicité d'enfant à l'appel de ses directeurs pour la réception des saints ordres.

Quand on l'invita à recevoir le sacerdoce, il aurait voulu différer encore, quoiqu'il eût déjà 27 ans. Il céda à l'ordre formel qui lui fut donné, et le 1er juin 1700, samedi des Quatre-Temps de la Pentecôte, il fut ordonné prêtre par Mgr. de Flamanville, évêque de Perpignan, que le cardinal de Noailles avait chargé de faire l'ordination.

Le jour de son ordination, dit M. Blain le bienheureux de Montfort fut tellement pénétré des sentiments de respect et de reconnaissance envers Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'il obtint de son directeur la permission de passer le reste du jour devant le Saint-Sacrement. Il consacra plusieurs jours à se préparer à sa première messe, qu'il célébra à la chapelle de la Sainte-Vierge, dans l'église de Saint-Sulpice. « J'y assistai, dit encore M. Blain, et j'y vis comme un  ange à l'autel ».

La charité de Notre-Seigneur pressait le nouveau prêtre de se dévouer au salut des âmes. Ayant appris que M. Tronson, Supérieur de Saint-Sulpice, allait envoyer plusieurs prêtres au Canada, au Séminaire de Montréal, que dirigeaient les Sulpiciens, il s'offrit à lui pour les accompagner, afin de prêcher l'Evangile aux infidèles de la contrée. Mais M. Léchassier, son directeur, n'approuva point ce projet, et M. Tronson, persuadé que Dieu appelait ailleurs le Père de Montfort, n'accepta pas sa demande.

Il y avait alors à Nantes un saint prêtre, nommé M. Lévêque, qui travaillait depuis longtemps aux missions. Il avait formé une petite communauté de prêtres à Saint-Clément. Ayant rencontré le serviteur de Dieu, il voulut s'attacher ce jeune prêtre dont il entendait dire beaucoup de bien. Le bienheureux de Montfort y consentit d'autant plus volontiers qu'il trouvait là un moyen de faire l'apprentissage de la vie apostolique sous un maître expérimenté.

Il partit pour Nantes et fit en passant à Saumur un pèlerinage à Notre-Dame-des-Ardilliers.

Montfort ne trouva point dans la communauté de Saint-Clément ce qu'il était venu y chercher. La plupart des membres ne ressemblaient point à leur Supérieur. On ne paraissait pas songer à l'envoyer en mission. Il exprima sa peine à M. Léchassier, son directeur : « Je me trouve, depuis que je suis ici, comme partagé entre deux sentiments qui semblent opposés. Je ressens d'un côté un amour secret de la retraite et de la vie cachée pour anéantir et combattre ma nature corrompue qui aime à paraître, et de l'autre, je sens de grands désirs de faire aimer Notre-Seigneur et sa sainte Mère, et d'aller d'une manière pauvre et simple faire le catéchisme aux pauvres de la campagne et exciter les pécheurs à la dévotion à la très sainte Vierge ».

M. Léchassier l'engagea à ne pas quitter si promptement M. Lévêque, qui l'avait accueilli avec beaucoup d'affection. Le bienheureux Montfort suivit le conseil de son directeur ; mais la Providence allait lui ouvrir la voie dans laquelle il était appelé à marcher et achever de se préparer aux missions en s'appliquant au service des pauvres dans les hôpitaux.

Diverses circonstances, que nous ne pouvons raconter ici en détail, le conduisirent à Poitiers, dans les premiers mois de 1701. Dans une lettre à M. Léchassier, datée du 4 mai, le serviteur de Dieu raconte avec une entière simplicité comment il fut conduit à l'hôpital de Poitiers, où on le prit pour un pauvre et retint à loger : « Je bénis Dieu mille fois, ajoute-t-il, de passer pour pauvre et d'en porter les glorieuses livrées ; je remerciai mes frères (ce sont les pauvres qu'il nomme ainsi) de leur bonne volonté. Ils m'ont, depuis ce temps, pris en telle affection qu'ils disent publiquement que je serai leur prêtre, c'est-à-dire leur directeur : car il n'y en a pas de fixe dans l'hôpital depuis un temps considérable, tant il est pauvre et abandonné. Je vous dirai, mon très cher Père, que j'ai à la vérité beaucoup d'inclination à tiravailler au salut des pauvres en général, mais non pas tant de me fixer et de m'attacher dans un hôpital. Je me mets pourtant dans une entière indifférence, ne désirant que faire la sainte volonté de Dieu ».

Cette volonté sainte ne devait pas en effet l'attacher pour toujours au service de l'hôpital de Poitiers, mais le préparer par ce ministère obscur à sa grande vie de missionnaire. L'humble prêtre n'avait pas osé encore exercer le ministère de la confession, et, dans cette même lettre, il demandait l'avis de son directeur : « On m'a plusieurs fois supplié avec instance de vous demander la permission de confesser ; mais je n'ai point encore voulu le faire car il faut pour cet emploi si difficile et si dangereux une mission particulière ».

Une correspondance du mois de mai 1701, entre Monseigneur l'Evèque de Poitiers et M. Léchassier, au sujet de la demande faite par les pauvres de l'hôpital, peint bien le serviteur de Dieu. L'Evêque de Poitiers demande à M. Léchassier quelle confiance il peut avoir dans le prêtre de Bretagne dont les manières lui ont paru extraordinaires. Nous savons que M. Léchassier traitait sévèrement le Bienheureux, mais sa réponse à Monseigneur l'Evêque de Poitiers est un beau témoignage rendu au Père de Montfort.

« Dieu l'a prévenu de beaucoup de grâces, dit le Supérieur du Séminaire de Saint-Sulpice, et il y a répondu fidèlement, car il m'a paru, et à d'autres qui l'ont examiné de près, avoir été constant dans l'amour de Dieu, dans la pratique de l'oraison, de la mortification, de la pauvreté et de l'obéissance ».

Pendant ces négociations le bienheureux de Montfort, rentré dans la Communauté de Saint-Clément, avait été envoyé par M. du Jonchère, grand vicaire de Nantes, dans la paroisse de Grandchamp et quelques autres des plus abandonnées du diocèse, pour y faire le catéchisme. « Le bon Dieu et la sainte Vierge y ont donné bénédiction, » dit avec simplicité le bienheureux Louis.

M. Léchassier donna enfin sa décision en faveur du diocèse de Poitiers, et le Père de Montfort quitta la Communauté de Saint-Clément, vers le mois d'octobre 1701, pour se rendre dans cette ville.

Ce fut quelques semaines après la Toussaint que le serviteur de Dieu entra comme aumônier à l'hôpital général de Poitiers. Un grand désordre régnait dans cette maison, soit au point de vue spirituel, soit an point de vue temporel. Quelques paroles recueillies dans les lettres du bienheureux de Montfort font connaître les saintes dispositions avec lesquelles il embrassait l'oeuvre que la Providence lui confiait : « J'ai marqué à Monseigneur, écrit-il à M. Léchassier, que dans l'hôpital même, je ne voulais pas me séparer de ma mère la divine Providence et que, pour cet effet, je me contenterais de la nourriture des pauvres sans aucun revenu fixe, ce que Monseigneur a beaucoup agréé, avec offre de me servir de père... J'entrai dans ce pauvre hôpital ou plutôt cette pauvre Babylone, écrit-il encore, avec une ferme résolution de porter avec Jésus-Christ, mon maître, les croix que je prévoyais me devoir arriver si l'ouvrage était de Dieu ».

Dieu bénit un ministère entrepris avec de si saintes dispositions. Le bienheureux de Montfort établit l'ordre dans l'hôpital par des règlements très sages et il travailla en même temps avec une ardeur infatigable au salut des âmes.

« Depuis que je suis ici, écrit-il à M. Léchassier, j'ai été dans une mission perpétuelle, confessant presque toujours, depuis le matin jusqu'au soir, et donnant des conseils à une infinité de personnes ; et le grand Dieu, mon père, que je sers quoiqu'avec infidélité, m'a donné, depuis que je suis ici, des lumières dans l'esprit que je n'avais pas, une grande facilité pour m'énoncer et parler sur le champ sans préparation ; une santé parfaite et une grande ouverture de coeur envers tout le monde. C'est ce qui m'attire l'applaudissement de toute la ville. ». Il ajoute aussitôt humblement : « C'est ce qui doit bien me faire craindre pour mon salut éternel ».

Les contradictions ne lui manquèrent pas et Dieu permit qu'il fût particulièrement éprouvé et humilié dans un voyage qu'il entreprit, à Paris, en 1702, pour ménager l'entrée de l'une de ses soeurs dans un couvent. Le supérieur du Séminaire d'Angers, M. Brenier, qui avait été son supérieur au Séminaire de Saint-Sulpice et lui avait témoigné beaucoup d'affection, le repoussa à la vue de toute la Communauté qui était en récréation, sans même lui offrir un morceau de pain. Le serviteur de Dieu avoua plus tard que jamais épreuve ne lui avait été plus douloureuse. M. de la Chitardie, curé de Saint-Sulpice, et M. Léchassier, supérieur du Séminaire, ne voulurent pas davantage s'intéresser à lui et l'éloignèrent complètement.

A son retour à Poitiers, les malades et les pauvres de l'hôpital le reçurent avec une joie filiale. Dieu sembla avoir préparé son serviteur, par l'humiliation et par l'épreuve, à une nouvelle grâce qu'il allait lui faire. La Providence lui amena la future fondatrice des Filles de la Sagesse. Mademoiselle Marie-Louise Trichet était fille d'un Procureur au Tribunal de Poitiers. Elle avait souvent manifesté au Père de Montfort le désir qu'elle avait d'être religieuse. Un jour qu'elle le supplia avec plus d'instance de lui laisser suivre ce désir : « Eh bien, lui dit-il, allez demeurer à l'hôpital ». Mademoiselle Trichet y fut admise sur la recommandation de l'Evêque de Poitiers et les administrateurs la donnèrent pour seconde à la Supérieure de la maison.

Après avoir éprouvé la vertu de sa fille spirituelle, le serviteur de Dieu résolut de lui donner l'habit religieux, et avec le consentement de sa mère, Mademoiselle Trichet revêtit l'habit que portent encore aujourd'hui les Filles de la Sagesse. Ce fut le 2 février 1703 qu'eut lieu cette cérémonie, date mémorable pour la Congrégation des Filles de la Sagesse. Le bienheureux Père de Montfort voulut que Mademoiselle Trichet s'appelât désormais la soeur Marie-Louise de Jésus.

Le serviteur de Dieu multipliait chaque jour les actes de sa charité envers les pauvres et les malades. On cite des traits touchants de cette charité. Il ne se contentait pas du dévouement avec lequel il remplissait toutes les fonctions du ministère sacerdotal, catéchisme, instruction, confession, préparation des malades à la mort. Il se faisait leur infirmier et leur donnait même les soins les plus répugnants. Un d'eux lui ayant dit pendant l'hiver qu'il avait froid, il lui donna la couverture de son lit. L'entrée de l'hôpital ayant été refusée à un pauvre atteint d'une maladie contagieuse, il obtint, à force de prières, qu'il fût confié à ses soins et le plaça dans une chambre tout à fait retirée pour éviter la contagion. Un jour qu'il pansait les plaies de ce malheureux et qu'il avait plus de peine à soutenir la répugnance qu'elles inspiraient, il fit ce qu'on raconte d'autres saints ; il recueillit le pus de ces plaies dans le creux de sa main et l'avala.

Loin d'obtenir la reconnaissance que méritait son héroïque dévouement, le serviteur de Dieu devint en butte aux attaques de quelques pauvres, et des gouvernantes de l'hôpital surtout, qui ne pouvaient lui pardonner les réformes qu'il avait introduites. Le Bienheureux comprit qu'il lui devenait impossible de faire le bien en présence de cette opposition perpétuelle et il résolut de retourner à Paris. Il alla droit à la Salpétrière et s'offrit pour y soigner les malades et les pauvres qui étaient au nombre de quatre à cinq mille et travailla à la sanctification de leurs âmes. Le serviteur de Dieu fut à la Salpétrière ce qu'il avait été à l'hôpital de Poitiers, l'homme de la charité, de la patience et du zèle ; mais là aussi il rencontra la contradiction ; plusieurs administrateurs trouvèrent sa conduite trop singulière et trop sévère et lui signifièrent son congé. Le Bienheureux, rejeté de tous, se retira dans une chétive maison près du noviciat des Jésuites. M. Blain, son vieil ami, qui le visita dans sa retraite, nous a fait connaître sa manière de vivre.

« Il était si caché et si inconnu que j'eus bien de la peine à le trouver dans un lieu si semblable à l'étable de Bethléem. Ce n'était, en effet, qu'un petit réduit sous un escalier. Je n'y vis pour tout meuble qu'un petit pot de terre et, je crois, un misérable lit qui n'était, aussi bien que le lieu, que propre pour des gueux et des malheureux. Mais Dieu savait le dédommager de sa pauvreté, des humiliations et des souffrances par des communications si délicieuses que le serviteur de Dieu passait la plus grande partie des jours et des nuits en oraison ».

Pendant que le bienheureux de Montfort se sanctifiait de plus en plus dans la solitude, les pauvres de l'hôpital de Poitiers pleuraient son absence et ils adressaient à M. Léchassier une lettre touchante pour le conjurer de leur renvoyer le serviteur de Dieu. « Nous, quatre cents pauvres, disent-ils, vous supplions très humblement, pour le plus grand amour et la gloire de Dieu, de nous faire venir notre vénérable pasteur, celui qui aima tant les pauvres, monsieur Grignon ».

L'évêque de Poitiers et les administrateurs de l'hôpital avaient, de leur côté, regretté vivement le départ du serviteur de Dieu ; il céda à leurs instances et à celles des pauvres et revint à l'hôpital. Son retour fut un triomphe ; on fit des feux de joie en son honneur ; mais ce triomphe ne fut pas long ; les mêmes contradictions recommencèrent de la part des gouvernantes et des méchants pauvres. On indisposa contre lui les administrateurs, et le bienheureux de Montfort, après avoir pris conseil de son confesseur et d'un ecclésiastique en qui il avait grande confiance, prit la résolution de quitter définitivement l'hôpital.

Pendant le temps qu'il y passa, il avait rappelé la Soeur Marie-Louise de Jésus qui, durant son voyage et son séjour à Paris, était rentrée chez sa mère. Mlle Trichet reprit avec bonheur l'habit des Filles de la Sagesse qu'elle avait été obligée de quitter momentanément dans la maison paternelle.

Le Bienheureux, avant de quitter l'hôpital, voulut avoir l'avis de la Soeur Marie-Louise de Jésus. Cette jeune fille de vingt ans, avec une fermeté d'âme que la grâce seule pouvait lui donner, n'hésita pas à conseiller, elle aussi, au Père de Montfort de s'éloigner.

« Ma fille, vous avez raison, repartit l'homme de Dieu, et je suivrai votre conseil ». Puis il lui adressa ces paroles que l'on peut dire prophétiques : « Ma fille, ne sortez point de cet hôpital, de dix ans. Quand l'établissement des Filles de la Sagesse ne se ferait qu'au bout de ce temps, Dieu serait satisfait, ses desseins sur vous seraient remplis. ».

Le bienheureux de Montfort était prêtre depuis quatre ans. Dieu ne lui avait pas révélé encore la voie dans laquelle il devait définitivement l'engager. Mais nous pouvons bien considérer les événements divers qui se succédèrent pour lui pendant ces quatre années, les actes de dévouement, de charité qu'il accomplit, les humiliations et les souffrances qu'il supporta, les bénédictions souvent merveilleuses que Dieu répandit sur son ministère obscur et laborieux, comme la préparation providentielle à sa grande vie de missionnaire. Il devait y consacrer les douze ans qu'il lui restait à passer sur la terre.

Le serviteur de Dieu préluda à cette vie nouvelle, en sortant de l'hôpital, à Poitiers même. C'est dans le faubourg de Montbernage, dépendant de la paroisse de Sainte-Radegonde, qu'il inaugura son ministère apostolique, et dès cette première mission il établit, dans la population qu'il venait d'évangéliser, la récitation du Rosaire. Il transforma une grange abandonnée en une chapelle dédiée à la très sainte Vierge, sous le nom de Reine des Coeurs. C'était là que les habitants de Montbernage, trop éloignés de l'église paroissiale de Sainte-Radegonde, se réunissaient pour réciter le rosaire.

Le bienheureux de Montfort continua sa mission dans quelques autres églises de Poitiers ; mais ses vertus et ses succès suscitèrent contre lui la jalousie de quelques jansénistes ; il reçut l'ordre de quitter le diocèse. C'est ainsi que, dès le début de son ministère apostolique, Dieu fit marcher par la voie des persécutions et des humiliations ce grand amateur de la Croix du Sauveur.

C'est à cette époque qu'il faut rattacher la vocation du premier des Frères de la Communauté du Saint-Esprit. Un jeune homme était venu à Poitiers pour se faire capucin. Le serviteur de Dieu l'ayant trouvé en prière dans une église, l'appela et lui dit, comme autrefois le divin Maître à ses apôtres : Suivez-moi. Le jeune homme se mit immédiatement à sa suite, l'accompagna jusqu'à sa mort et demeura attaché à ses successeurs sous le nom célèbre, dans les missions du Père de Montfort, de Frère Mathurin.

Le bienheureux de Montfort montra aussi dès lors ce qu'il devait révéler de plus en plus dans sa vie de missionnaire. Dieu lui avait accordé la puissance de la parole ; mais ce n'était pas seulement l'éloquence naturelle dont il était doué qui lui donnait cette puissance à la fin de ses premières missions dans la ville de Poitiers, il écrivait aux fidèles qu'il venait d'évangéliser : « Etant unique et pauvre, je périrai, à moins que les prières des bonnes âmes, et en particulier les vôtres, ne m'obtiennent de Dieu le don de la parole ou la divine sagesse qui sera le remède à tous mes maux et l'arme puissante contre mes ennemis... C'est par Marie que je cherche et que je trouverai Jésus, que j'écraserai la tête du serpent et que je vaincrai tous mes ennemis et moi-même pour la plus grande gloire de Dieu ».

Nous trouvons dans ces paroles le secret de la sainte éloquence du bienheureux de Montfort. Sa mission, pour lui, c'était la lutte contre l'enfer et le monde pour sauver les âmes rachetées par Jésus-Christ. Mais il ne faut pas croire que le serviteur de Dieu avait négligé la préparation toujours nécessaire à la prédication évangélique. « Nous avons sous les yeux, dit le dernier historien de sa vie, un demi-in-folio écrit entièrement de sa main, et renfermant tous ses plans de sermons... Imaginez-vous quatre cents pages remplies d'une écriture microscopique, admirable de correction et de netteté. Vous y trouverez tous les sujets de dogme et de morale qui peuvent être traités dans la chaire sacrée. La pensée, comme dans la Somme de saint Thomas, y est à son état extrême de condensation ».

C'était cette doctrine solide que le prédicateur animait de son souffle puissant quand il s'adressait aux foules réunies pour entendre sa parole.

Le bienheureux de Montfort n'était pas seulement orateur, il était poète. Ses cantiques demeurent populaires depuis deux siècles dans les contrées qu'il a évangélisées. Si l'on y trouve quelques négligences dans la forme, on y admire le véritable génie et l'inspiration du poète, sous les formes les plus variées. Ses cantiques pour la Communion respirent la piété la plus suave. L'énergie de l'amour pour Jésus-Christ se traduit admirablement dans ses cantiques en l'honneur de la Croix. Le chant que lui inspira la douleur des profanations commises contre le Saint-Sacrement : Soupirons, gémissons, pleurons amèrement, n'est-il pas le cri de l'âme qui ressent profondément l'outrage fait à l'amour da Sauveur dans la sainte Eucharistie ?

D'autres cantiques sont une exposition précise, didactique des dogmes de la Foi pour les graver dans la mémoire des peuples, tel par exemple le cantique : 0 l'auguste Sacrement, qui renferme toute la doctrine de la sainte Eucharistie. On ne saurait oublier ses cantiques en l'honneur de la très sainte Vierge. Tous ceux qui ont assisté aux missions et entendu les foules répéter les chants du bienheureux de Montfort comprennent l'influence qu'ils exercent pour faire aimer et pénétrer les vérités chrétiennes dans les âmes.

A la parole, le serviteur de Dieu joignit les deux grandes forces du missionnaire : la prière et la pénitence. Un de ses compagnons de mission déclarait qu'il lui serait impossible de dire combien le Père de Montfort faisait d'oraisons par jour, toujours à genoux.

Il se donnait jusqu'à cinq fois la discipline, et ne manquait jamais de le faire avant de monter en chaire. La discipline dont il se servait était hérissée de pointes de fer et souvent teinte de son sang. Il portait habituellement sur lui divers instruments de pénitence.

Sa vie ordinaire était très dure. Levé à quatre heures, il se couchait à onze heures ou minuit ; il dormait à terre sur un peu de paille, ou tout au plus sur une paillasse ; il jeûnait tous les mercredis, vendredis et samedis, et ne mangeait d'ordinaire qu'une sorte de mets et ne buvait jamais de vin pur.

Telle fut la vie du saint missionnaire ; comme tous les hommes apostoliques, il achevait au confessionnal l'oeuvre commencée dans la chaire.

« Monsieur de Montfort était doux, dit son premier historien, jusque dans le tribunal de la pénitence ; il a toujours évité la trop grande rigueur et le trop grand relâchement dans la morale ». Mais « J'aimerais mieux, disait-il, souffrir en purgatoire pour avoir eu trop de douceur pour mes pénitents que pour les avoir traités avec une sévérité désespérante. Car le Fils de Dieu dit que ceux qui sont chargés de crimes et qui travaillent sous le poids de l'iniquité doivent s'approcher de lui pour en recevoir du soulagement ». Parole digne d'un saint et bien éloignée du rigorisme de doctrine des jansénistes qui faisaient alors tant de mal dans l'Eglise.

Comme tous les grands missionnaires, le bienheureux de Montfort savait quelle puissance ont sur les peuples les cérémonies extérieures. « Dans le cours de chaque mission, dit son dernier historien, il faisait faire ordinairement sept processions différentes, savoir : trois les jours de communion générale, que faisaient séparément les femmes, les hommes et les enfants ; le jour du service pour les défunts de la paroisse, celui du renouvellement des promesses du baptême, celui de la plantation de la Croix et celui enfin de la distribution des croix et des noms de Jésus en souvenir de la mission ».

Les traditions du serviteur de Dieu se sont perpétuées dans nos contrées ; le temps a pu en modifier la forme, mais les pieuses cérémonies sont toujours en usage dans les missions, comme à l'époque du bienheureux de Montfort.

Un dernier trait nous semble achever de caractériser l'oeuvre apostolique du saint missionnaire ; c'est le soin de laisser à la suite de la mission, dans chaque paroisse, une institution qui devait en perpétuer le souvenir et assurer la persévérance. Le saint Rosaire et la Croix demeurent encore aujourd'hui le mémorial de la mission dans les paroisses qu'il a évangélisées. Mais il laissait aussi dans les paroisses, après la mission, de pieuses Confréries, celle des Vierges, des Pénitents, des Amis de la Croix. Il établissait, autant que possible, l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement en faisant prendre à chaque personne une heure d'adoration par semaine, par mois ou par année ; et chose remarquable, selon nous, il provoquait l'établissement des écoles chrétiennes pour les enfants, réglant lui-même la tenue des classes et les méthodes d'enseignement.

Avant d'entrer dans la carrière des missions, le bienheureux de Montfort, à l'exemple de plusieurs autres serviteurs de Dieu, voulut aller soumettre sa vocation au jugement du Vicaire de Jésus-Christ. Il entreprit ce long voyage à pied, avec un pauvre écolier espagnol qui n'avait pas trente sous en sa possession. Le serviteur de Dieu voulut qu'il les distribuât immédiatement aux pauvres, et il partit, vivant d'aumônes, souvent rebuté par ceux à qui il demandait l'hospitalité, couchant quand il pouvait dans les hôpitaux, et quelquefois dans le vestibule des églises. Sa piété le retint pendant quinze jours à Lorette. Il célébra la messe avec une dévotion admirable dans la sainte maison où s'accomplit le Mystère ineffable de l'Incarnation. Il était parti au commencement du Carême ; il arriva à Rome vers la fin du mois de mai, sans argent, un bâton à la main. Clément XI, qui occupait alors le siége apostolique, le reçut avec bonté, le 6 juin. Le serviteur de Dieu lui exposa le désir qu'il avait depuis longtemps d'aller prêcher l'Evangile aux nations infidèles. « Mon fils, lui répondit le Pape, vous avez un assez grand champ en France pour exercer votre zèle, n'allez point ailleurs et travaillez toujours avec une parfaite soumission aux évêques dans les diocèses desquels vous serez appelé. Dieu, par ce moyen, donnera bénédiction à vos travaux ». Le saint père lui recommanda de bien enseigner la doctrine chrétienne aux enfants et au peuple et de travailler à ranimer l'esprit du christianime par le renouvellement des promesses du baptême ; et il lui donna le titre de missionnaire apostolique.

Le bienheureux de Montfort avait reçu désormais sa mission du Vicaire de Jésus-Christ et il allait commencer vaillamment à combattre le jansénisme qui avait envahi la France. Il était de retour le 26 août à l'abbaye de Ligugé, mais l'humiliation devait l'accueillir à son arrivée : il reçut la défense de célébrer la messe et dut s'éloigner de Poitiers.

Le serviteur de Dieu, comme tous les saints, se prépara par la prière au ministère évangélique. Après une retraite de huit jours, il fit un voyage à Notre-Dame des Ardilliers, à Saumur, et un autre au Mont-Saint-Michel. Puis il se dirigea vers la Bretagne et se rendit à Rennes, où habitaient alors son père, sa mère et son oncle, prêtre sacriste de l'église de Saint-Sauveur. Donnant, dès le début, l'exemple du détachement de la famille, il n'alla pas demander l'hospitalité à ses parents, mais logea chez une pauvre femme qui fournissait aux indigents comme elle, au prix le plus modique, l'aliment des pauvres, la galette de sarrasin et du lait. Il consentit pourtant à prendre un repas chez ses parents, où toute la famille se trouva rassemblée. Quand la table fut servie, le Bienheureux commença par prélever la part des pauvres, et durant tout le repas ne parla que de Dieu. « Il avait d'ailleurs déclaré qu'il n'oubliait pas ce qu'il devait à ses parents, que son coeur était rempli pour eux des sentiments les plus respectueux et les plus tendres, et que le Seigneur était témoin des prières qu'il lui adressait tous les jours pour eux. Il pensait que par là il leur marquait son amour bien plus solidement que par des visites qui leur seraient inutiles et qui l'empêcheraient de s'employer tout entier aux affaires de son Père céleste ».

Ce trait de la vie du serviteur de Dieu ne rappelle-t-il pas les paroles du Sauveur disant à sa sainte Mère et à saint Joseph, qui le trouvaient dans de temple après trois jours d'une recherche douloureuse : « Ne savez-vous pas que je dois être tout entier aux affaires de mon Père ? ».

C'est au diocèse de Saint-Malo que le bienheureux de Montfort consacra ses premiers travaux en se joignant aux prêtres qui prêchaient une mission à Dinan. Il se chargea de préférence de faire le catéchisme, heureux de suivre les recommandations que lui avait faites le souverain pontife. Pendant son séjour de quelques mois à Dinan, sa vertu se manifesta par des actes qui rappellent les traits les plus touchants de la vie des Saints. « Un soir, ayant rencontré un malheureux tout couvert d'ulcères, il le prit sur ses épaules, le porta à la maison des missionnaires, et trouvant la porte fermée, se mit à crier qu'on l'ouvrît à Jésus-Christ. Chargé de son malade infect, il alla droit à sa chambre, le mit à coucher dans son lit, après l'avoir réchauffé, tandis que lui-même demeura toute la nuit en prières » (R. P. Fonteneau, Vie du P. Grignon de Montfort).

L'exemple du serviteur de Dieu inspira à plusieurs personnes de former entre elles une société pour le soulagement des pauvres. Mais la plus belle conquête du Bienheureux, ce furent M. le comte et Mme la comtesse de la Garaye qui, n'ayant pas d'enfants, cédèrent leur château pour en faire un hôpital où ils soignèrent eux-mêmes les pauvres et les malades pendant quarante ans.

M. l'abbé Lenduger, vicaire général et supérieur des missionnaires séculiers de Saint-Brieuc, invita le Père de Montfort à se joindre à lui. Le serviteur de Dieu accepta volontiers cette invitation vers la fin de février 1707, et prit part à plusieurs missions, entre autres à la Chèze, à Saint-Brieuc et à Moncontour. C'est dans le cours de ces missions qu'il restaura à la Chèze une grande chapelle dédiée à Notre-Dame-de-Pitié, et alors totalement abandonnée.. Saint Vincent Ferrier, prêchant en ce lieu, avait annoncé que la restauration de cette chapelle était réservée par le Ciel à un homme que le Tout-Puissant ferait naître dans un temps reculé. Cet homme viendrait en inconnu, il serait beaucoup contrarié et bafoué ; et cependant, avec le secours de la grâce, il viendrait à bout de cette sainte entreprise.

La prédiction s'accomplit dans la personne du bienheureux de Montfort qui répara et décora splendidement la chapelle. La statue de la très sainte Vierge, sous le nom de Notre-Dame-de-la-Croix, y fut placée avec une solennité qui réunit une foule prodigieuse de peuple ; et le bienheureux de Montfort y établit la pratique du saint Rosaire, que l'on récitait chaque jour, le matin, à midi et le soir, avec la méditation des quinze mystères.

La Providence conduisait le serviteur de Dieu par la voie des humiliations. M. l'abbé Lenduger, mécontent d'une quête qu'il avait faite pour offrir à quelques prêtres des honoraires de messes pour les âmes du Purgatoire, le congédia brusquement. Le bienheureux de Montfort rentra dans son diocèse de Saint-Malo et vint se renfermer dans une solitude près de sa ville natale : c'était un ancien prieuré de Saint-Lazare. Mais toujours actif à procurer la gloire de Dieu, il répara la chapelle du prieuré qui était en ruines et y plaça une statue de la sainte Vierge sous le nom de Notre-Dame-de-la- Sagesse. Les saints ont une puissance d'attraction sur les âmes. La foule venait à sa solitude de Saint-Lazare pour recevoir ses instructions et il sortait de là pour aller prêcher la pénitence aux populations d'alentour.

Le Bienheureux désirait donner une mission à sa ville natale ; il put mettre ce projet à exécution vers la fin de 1707. Son père était venu de Rennes pour le recevoir avec les missionnaires et pourvoir à leur entretien. Mais le serviteur de Dieu, toujours abandonné à la Providence, ne voulut rien accepter ni pour lui ni pour ses compagnons. Il accepta seulement d'aller dîner une fois dans sa famille en demandant la permission d'y inviter ses amis ; et il vint avec une troupe de pauvres qu'il avait recueillis dans toute la paroisse. C'étaient les amis particuliers du saint missionnaire.

La mission de la ville de Montfort, bénie comme les autres missions du serviteur de Dieu, fut couronnée par une douloureuse et humiliante épreuve. Il avait voulu ériger un magnifique calvaire, et la population répondait avec empressement à son appel, quand un ordre du duc de la Trémouille, seigneur de Montfort, vint interrompre les travaux. L'évêque de Saint-Malo arrivait sur ces entrefaites et, trompé par les jansénistes, lui défendit de prêcher et de confesser dans son diocèse. Le serviteur de Dieu reçut humblement cette défense sans ouvrir la bouche pour se plaindre, mais au même instant, le curé de Bréal se présentait à l'évêque et lui demandait d'accorder au Bienheureux l'autorisation de donner la mission dans sa paroisse. Le saint missionnaire pria humblement l'évêque à son tour d'étendre cette autorisation à toutes les paroisses où il pourrait être appelé. Mgr. Dumont leva la défense qu'il venait de prononcer, et Dieu, qui élève ceux qui s'abaissent, voulut dans cette circonstance récompenser immédiatement l'humilité du serviteur de Dieu.

La persécution de la part du clergé continua néanmoins, et après avoir prêché encore quelque temps dans le diocèse de Saint-Malo, le bienheureux de Montfort résolut de s'éloigner. Il choisit une pieuse fille du Tiers-Ordre de Saint-François, Guillemette Roussel, pour être la gardienne de Notre-Dame-de-la-Sagesse, dans la maison de Saint-Lazare, et il quitta le diocèse de Saint-Malo en pleurant sur sa ville natale et annonçant qu'elle serait plus tard dans une grande désolation.

Le bienheureux de Montfort fut dirigé par la Providence vers le diocèse de Nantes. Nous partageons volontiers la pensée de l'historien qui suppose qu'il dut être appelé par l'un des grands vicaires, M. l'abbé Barin, dont nous avons retrouvé le souvenir au tombeau du Père de Montfort et qui a laissé la mémoire d'un homme de science et de vertu.

Les travaux apostoliques du bienheureux de Montfort dans le diocèse de Nantes sont l'époque la plus brillante de sa vie de missionnaire.

C'est avec une consolation particulière que nous inscrivons ici le catalogue des paroisses évangélisées par le serviteur de Dieu dans ce diocèse, où nous avons pendant vingt ans retrouvé les traces du grand missionnaire. Voici donc les paroisses qui ont eu le bonheur d'avoir la mission donnée par le serviteur de Dieu, indiquées par ordre de date :

Saint-Similien, Nantes.

Vallet.

La Chevrolière.

Vertou.

Saint-Fiacre.

Cambon.

Crossac.

Besné.

La Boissière-du-Doré.

La Remaudière.

Landemont (aujourd'hui du diocèse d'Angers).

Saint-Sauveur (aujourd'hui du diocèse d'Angers).

Pontchâteau.

Missillac.

Herbignac.

Camoël (du diocèse de Vannes).

Assérac.

Saint-Donatien, de Nantes.

Bouguenais.

Nous ne pouvons raconter en détail chacune de ces missions ; nous nous contenterons de recueillir quelques traits qui frappèrent davantage les esprits. Le bienheureux de Montfort se montra dans toutes les paroisses tel que nous avons essayé de le peindre au début de sa carrière apostolique : puissant par la parole, par la prière, par la pénitence, souvent persécuté, injurié, et comme saint Paul, surabondant de joie dans les tribulations.

La mission de Saint-Similien eut un succès merveilleux. La foule se pressait autour de sa chaire ; il prêchait avec tant de force contre les vices et les scandales que sa vie fut mise deux fois en danger. Une première fois des écoliers libertins et des impies allèrent l'attendre sur le chemin et se jetèrent sur lui ; le peuple l'arracha de leurs mains et le saint missionnaire dit à ceux qui avaient pris sa défense : « Mes chers enfants, laissez-les aller en paix ; ils sont plus à plaindre que vous et moi ».

Une autre fois il fut saisi par des soldats qu'il avait voulu arrêter dans leurs désordres et qui le conduisaient au château de Nantes. Délivré de leurs mains par un de ses amis, il se plaignait de ce qu'on le privât du bonheur auquel il aspirait depuis longtemps d'être prisonnier pour l'amour de Jésus-Christ.

A Vallet, il n'y eut qu'un seul homme qui refusa de suivre les exercices de la mission. Dieu sembla vouloir manifester à tous les conséquences terribles que pouvait entraîner la résistance à la grâce. Un des derniers jours de la mission, pendant que toute la population était réunie à l'église pour le sermon, un orage violent éclata ; cet homme demeuré tranquillement assis dans sa maison fut subitement frappé de la foudre et expira sans avoir eu le temps de se reconnaître.

Le saint missionnaire avait établi à Vallet, comme toujours, la dévotion du chapelet ; elle fut négligée au bout de quelque temps par les habitants. En 1713 le serviteur de Dieu refusa de s'arrêter à Vallet, en se rendant à Nantes :

« Non, non, répondit-il à ceux qui le pressaient de le faire, je ne passerai point par Vallet, ils ont quitté mon chapelet ». Ce reproche toucha vivement les habitants et la récitation du rosaire fut rétablie.

A la Chevrolière le bienheureux de Montfort recueillit une moisson abondante de croix de tout genre ; il eut à souffrir la maladie, la calomnie la plus odieuse contre sa vertu, les humiliations infligées publiquement par le curé même de la paroisse. « Chantons le Te Deum pour remercier notre bon Dieu de la charmante croix. qu'il vient de nous envoyer », dit le saint missionnaire au pieux ami qui l'accompagnait, après avoir reçu le blâme violent que le curé venait de lui infliger publiquement. L'humilité et la patience du serviteur de Dieu attirèrent la bénédiction sur la mission de la Chevrolière dont le succès dépassa toutes les espérances. La mission de Vertou eut un tout autre caractère ; le bienheureux de Montfort fut accueilli et honoré de tous. Affligé de ne plus y trouver la croix qu'il aimait si passionnément : « Notre mission sera sans fruit, dit-il à son compagnon, parce qu'elle n'est pas fondée et appuyée sur la Croix ; nous sommes ici trop aimés ». Et il voulait terminer la mission dès le lendemain, si son compagnon ne lui eût fait comprendre qu'il ne pouvait laisser l'oeuvre de Dieu inachevée. La mission de Vertou dura un mois et Dieu y répandit d'abondantes bénédictions.

De Vertou le bienheureux de Montfort se rendit à Saint-Fiacre où il retrouva la Croix et les humiliations toujours accompagnés de la bénédiction divine sur ses travaux. Les historiens nous ont conservé un trait touchant de cette mission. Un pauvre, tout estropié, vint le trouver à la maison où logeaient les missionnaires qu'il appelait la maison de la Providence. Le serviteur de Dieu le reçoit sur le champ, le garde pendant toute la mission et à la fin lui donne un cheval et un guide pour le conduire à la Rochelle où ce pauvre homme voulait aller, pendant qu'il prenait lui-même à pied la route de Nantes.

Au commencement de 1709 nous voyons le bienheureux de Montfort à Cambon. Cette grande et importante paroisse était alors dépourvue de pasteur. L'église était dans un état déplorable et en particulier remplie de tombeaux qui semblaient en faire un cimetière. Un jour, du haut de la chaire, après une touchante exhortation sur le respect dû au lieu saint, le missionnaire demande aux hommes, qu'il avait gardés seuls dans l'église, d'enlever immédiatement toutes les tombes : dans une demi-heure elles avaient toutes été transportées dans le cimetière. Le lendemain, les hommes revinrent avec de la chaux, du sable et leurs instruments de travail. On se mit à l'oeuvre avec ardeur et en peu de temps l'église était pavée, blanchie et restaurée.

Le serviteur de Dieu trouva à Crossac, où il se rendit après la mission de Cambon, le même abus que dans cette dernière paroisse. L'église était dans un grand état de malpropreté. La nef servait de cimetière à tous les habitants qui prétendaient avoir le droit, de temps immémorial, de s'y faire enterrer. L'autorité de l'Evêque avait échoué devant l'obstination des paroissiens de Crossac qui avaient fait reconnaître leurs droits par un arrêté du Parlement. Le Bienheureux parla avec tant de force et d'onction contre cet abus que les habitants promirent de ne plus se faire enterrer dans l'église. Un acte rédigé par un notaire et signé par les principaux d'entre eux constata leur renonciation à l'arrêt qu'ils avaient obtenu du Parlement de Bretagne et leur promesse de choisir leur sépulture dans le cimetière.

Le serviteur de Dieu poursuivit ses travaux apostoliques pendant les années 1709 et 1710 ; on le trouve successivement dans les paroisses de Besné, la Boissière-du-Doré, la Remaudière, Landemont, Saint-Sauveur, Pontchâteau, Missillac, Herbignac, Camoël, Assérac.

La mission de Pontchâteau est, si nous pouvons user de cette expression, le point culminant de son apostolat marqué par l'érection du Calvaire qui, à travers les persécutions suscitées depuis l'origine, demeure le grand monument du saint missionnaire dans nos contrées.

Les autres missions dont nous venons de rappeler les noms n'offrent pas de particularité remarquable, du moins les historiens ne nous en ont pas transmis le détail. On n'a plus guère que des traditions orales qui, après un siècle et demi écoulé, montrent quelles traces profondes ont laissées sur le sol les pas du bienheureux de Montfort. Ces traditions se rattachent presque toujours au souvenir d'un Calvaire érigé par le serviteur de Dieu. Il aimait, il prêchait la Croix et Jésus crucifié ; il laissait partout, comme mémorial de la mission, le Calvaire où les populations venaient prier et pouvaient répéter le chant du missionnaire : Vive Jésus ! Vive sa Croix !

Nous ajouterons aussi que l'on retrouve la dévotion au Rosaire dans les lieux où a passé le serviteur de Dieu. Il nous est arrivé plus d'une fois quand nous accompagnions notre évêque dans les visites pastorales, de nous informer de l'origine de cette dévotion dans les paroisses où nous la remarquions florissante, et presque toujours nous apprenions que le bienheureux de Montfort y avait donné la mission ; et c'est aussi toujours avec la Méthode du Père de Montfort que l'on récite le chapelet et que l'on médite les mystères.

Les deux dernières missions données par le serviteur de Dieu dans le diocèse de Nantes, celle de Saint-Donatien, dans la ville même, et celle de Bouguenais furent marquées par une cérémonie particulière que nous croyons utile de signaler. Elles se terminèrent l'une et l'autre par une magnifique procession du Saint-Sacrement. Le Bienheureux avait fait confectionner quatorze étendards en satin blanc pour distinguer les diverses catégories qui se suivaient dans la marche.

La procession de Bouguenais attira plus de deux mille personnes dans une vaste prairie de la Loire, autour d'un magnifique reposoir élevé pour y placer le Saint-Sacrement. Le bienheureux de Montfort y fit des adieux qui tirèrent les larmes de tous les yeux dans son auditoire.

Le serviteur de Dieu allait s'éloigner du diocèse ; mais il nous laissait le Calvaire de Pontchâteau dont nous devons retracer brièvement l'histoire. A une petite distance de cette ville s'étendait une vaste lande appartenant au cardinal de Coëslin qui accorda le terrain demandé par le saint missionnaire. Il réunit les ecclésiastiques de la paroisse. Tous accueillirent avec enthousiasme le projet du bienheureux de Montfort. Il conduisit les travailleurs à la lande et donna le premier coup de pioche.

Le travail était gigantesque ; c'était une montagne qu'il s'agissait d'élever de main d'homme pour y planter l'arbre de la Croix. Voici le plan du Calvaire donné par le bienheureux de Montfort : « Il traça trois cercles concentriques ; le premier de 400 pieds, le second de 500 et le troisième de 000. Dans celui de 400 pieds devait surgir la montagne du Calvaire ayant la forme d'un cône tronqué de 133 pieds de diamètre et de 50 pieds de hauteur. Entre la douve qui devait fournir la terre et la montagne qui en était composée se déroulait circulairement une promenade ou chemin de ronde large de 20 pieds. Enfin la douve comprise entre les circuits de 500 et 600 pieds avait 15 pieds de largeur et 20 de profondeur. Pour accomplir ce travail gigantesque, il fallut extraire environ huit mille mètres cubes d'argile et de grès et porter aU panier ou à la hotte deux millions quatre cent mille kilogrammes de déblais. La parole du missionnaire était si ardente, la foi de ces populations si vive que ce travail volontaire, sans aucune rétribution, ne dura que quinze mois. La plate-forme au sommet, de la montagne avait 80 pieds de pourtour: elle fut entourée d'un mur haut de cinq pieds et surmontée de piliers qui soutenaient un rosaire de 80 pieds de longueur dont les grains avaient la grosseur d'un boulet de canon de moyen calibre. Au milieu de la plate-forme s'élevait la croix de Notre-Seigneur tournée vers l'Orient et ayant à sa droite celle du bon larron, peinte en vert, et à sa gauche celle du mauvais larron, de couleur noire. Celle de Notre-Seigneur était rouge, haute de 50 pieds et grosse en proportion. Le Christ en bois qui y était attaché et que l'on conserve encore avait un peu plus de cinq pieds de hauteur.

Le bas de la montagne était entouré d'un mur de 400 pieds et dans le chemin de ronde on planta, à distance égale, 150 sapins qui figuraient les Ave Maria du Rosaire. Après chaque dizaine s'élevait un cyprès qui indiquait le Pater. L'image du Rosaire était ainsi reproduite sous deux formes différentes au sommet et au pied de la montagne » (R. P. Fonteneau, Vie du P. Grignon de Montfort).

Les travaux étaient terminés. Le bienheureux Père de Montfort avait obtenu de l'Evêque de Nantes la permission de bénir le Calvaire. La cérémonie était fixée au 14 septembre, fête de l'Exaltation de la Sainte Croix. Quatre prédicateurs placés sur quatre points différents devaient simultanément évangéliser les multitudes répandues autour du Calvaire. La contrée tout entière s'était ébranlée pour célébrer la fête qui couronnait l'immense travail accompli en deux ans lorsque la veille, à 4 heures, le serviteur de Dieu reçut de l'Evêque de Nantes la défense de faire la bénédiction. Le Bienheureux ne laissa pas apercevoir le moindre trouble ; il partit, se rendit à Nantes pendant la nuit, pour prier l'Evêque de lever la défense; celui-ci demeura inébranlable.

Malgré ce douloureux contre-temps, la foule fut grande le jour de la fête. A l'exception de la bénédiction de la Croix tout s'accomplit presque comme il avait été réglé.

Le saint missionnaire, de retour à Pontchâteau le lendemain de la solennité, ne laissa pas entendre la plainte la plus légère. Il avait glorifié le Sauveur crucifié par l'humiliation ; c'était la consécration de son oeuvre. Dieu voulut que cette glorification de la Croix dans la personne de son serviteur fût complète et que le Calvaire fût détruit sous ses yeux.

Les Jansénistes, toujours à la poursuite de l'homme de Dieu, ne cessèrent de le calomnier auprès de l'Evêque et des autorités civiles. Dans une lettre écrite au Gouverneur de Bretagne, on représentait le bienheureux de Montfort comme un ambitieux qui jetait le trouble dans le pays et le Calvaire comme une forteresse où les ennemis pourraient s'établir en cas de descente sur les côtes.

L'accusation fut portée devant la Cour qui donna l'ordre de démolir le Calvaire. Cinq cents hommes furent réquisitionnés par le commandant de la milice du canton pour détruire la montagne, et le Christ fut descendu de la Croix au milieu de la désolation générale du peuple agenouillé et versant des larmes.

Une tradition du pays affirme que le bienheureux de Montfort avait annoncé que son Calvaire serait rétabli deux fois. Une première restauration eut lieu en 1747, à l'occasion d'une mission donnée par les successeurs du Père de Montfort. Le Calvaire ne fut cependant pas restauré dans toute sa beauté, et en 1793 les révolutionnaires, ne pouvant souffrir les hommages qu'on y rendait à Jésus crucifié, le détruisirent autant qu'ils purent.

En 1803, quelques personnes pieuses firent élever trois modestes croix sur le sommet de la montagne. C'était l'aurore de la résurrection du Calvaire qui devait s'accomplir de nos jours. M. l'abbé Gouray, curé de Pontchâteau, commença l'oeuvre le 5 février 1821. Les habitants de Pontchâteau et voisinage travaillèrent avec la même ardeur, la même piété et le même ordre qu'au temps du bienheureux de Montfort ; ils fournirent vingt et un mille neuf cent cinquante-trois journées de travail, depuis le 5 février, jusqu'au 29 novembre de la même année, où la bénédiction solennelle fut faite par l'Evêque de Nantes au milieu de plus de dix mille personnes.

La gloire du Calvaire devait grandir chaque jour : les pèlerins qui venaient encore de loin durant les jours de la révolution, lorsque le Calvaire était, en ruine, continuèrent d'y affluer affirmant y avoir obtenu de nombreuses grâces spirituelles et temporelles par l'intercession du serviteur de Dieu.

Le 8 septembre 1825, plus de quinze mille personnes assistaient à la translation d'une relique de la Vraie Croix qui se faisait au Calvaire.

En 1860, sur l'invitation de Mgr Jaquemet, alors évêque de Nantes, les missionnaires du Père de Montfort vinrent s'établir au pied du Calvaire. Les Filles de la Sagesse y fondèrent une maison. C'était la vie spirituelle et la charité qui allaient fleurir d'une manière permanente autour de la sainte montagne.

Le 24 septembre 1872, Monseigneur Fournier conduisit au Calvaire un pèlerinage, afin d'attirer les bénédictions de Dieu sur Rome et sur la France. Cinquante mille personnes répondirent à son appel ; chantant les cantiques du bienheureux de Montfort et récitant son Rosaire.

La restauration et la décoration du Calvaire ont été continuées avec persévérance depuis 1821, et dans ces dernières années du XIXème siècle la gloire du Calvaire est plus grande que jamais. C'est ainsi que Dieu fonde les gloires de ses serviteurs et de leurs oeuvres sur l'humiliation et la souffrance.

Le bienheureux de Montfort avait couronné par un acte héroïque de soumission à la volonté de Dieu ses prédications apostoliques dans le diocèse de Nantes. La Providence le dirigea vers les diocèses de Luçon et de la Rochelle. C'est à ces deux diocèses qu'il devait donner les trois dernières années de sa vie. Nous n'entrerons pas dans le détail de ses courses apostoliques. Sa sainteté qui se révélait de plus en plus faisait une impression profonde. On se rappelait ses moindres actes, ses moindres paroles. Puis Dieu lui donnait le don d'opérer des oeuvres merveilleuses ; on citait les malades qu'il avait guéris ; il semblait lire souvent au fond des coeurs. Les caractères de son apostolat demeuraient les mêmes : c'était l'amour de la divine Sagesse, la Croix, la dévotion à Marie et le saint Rosaire. Puis c'étaient toujours l'humiliation et la souffrance dont il était l'amant passionné et dont il continuait à recueillir la moisson bénie. Ajoutons l'amour de la prière et de la solitude dans l'intervalle de ses travaux.

En se rendant à la Rochelle, l'infatigable ouvrier de Notre-Seigneur fait une mission à la Garnache, dans le diocèse de Luçon et comme toujours il laisse une trace de son passage en restaurant une ancienne chapelle en ruine, où il établit une statue de la sainte Vierge sous le nom de Notre-Dame de la Victoire, toujours honorée depuis deux siècles.

A Luçon, il se recueille dans une retraite de quelques jours, chez les Pères Jésuites, au séminaire. Monseigneur de Lescure, évêque de Luçon, l'invite à prêcher dans sa cathédrale et le Bienheureux y recommande la récitation du saint Rosaire, sa dévotion privilégiée.

Le serviteur de Dieu, arrivé à la Rochelle avec un compagnon de voyage, se rendit dans une hôtellerie, mais quand il fallut le lendemain payer le repas de la veille et le coucher de la nuit, le bienheureux de Montfort avoua à l'hôtelier qu'il n'avait pas les douze sous qu'on lui demandait et laissa son bâton en gage. Il alla célébrer la messe à l'hôpital : une personne pieuse fut si édifiée de la ferveur avec laquelle ce prêtre inconnu avait offert le saint sacrifice qu'elle se chargea de lui donner l'hospitalité.

Monseigneur de Champflour après avoir, pour ainsi parler, essayé les forces de l'homme de Dieu dans la paroisse de l'Houmeau, voisine de la Rochelle, lui lit prêcher successivement quatre missions dans la ville même : la première à l'hôpital Saint-Louis et les trois autres pour les hommes, pour les femmes et pour les soldats dans l'église des Dominicains, qui était la plus vaste de la ville.

La mission qu'il donna aux soldats eut un succès merveilleux. La ville tout entière fut remuée. L'auditoire était souvent ému jusqu'aux larmes. Quelquefois les cris et les sanglots interrompaient le prédicateur : « Mes enfants, ne pleurez pas, disait le bienheureux de Montfort, vos pleurs m'empêchent de parler ; si je ne me retenais, je m'abandonnerais moi-même aux larmes. Mais il ne suffit pas de toucher vos coeurs ; il n'est pas moins nécessaire d'éclairer vos esprits ». Nulle part ailleurs, peut-être, il n'y eut de conversions plus éclatantes et plus nombreuses. Beaucoup de calvinistes rentrèrent dans le sein de l'Eglise. Le serviteur de Dieu n'avait pas voulu faire des sermons de controverse ; mais ils furent gagnés par la démonstration claire et touchante des grandes vérités de la foi.

L'évêque de Luçon avait fait promettre au bienheureux de Montfort d'aller donner la mission à l'lle-d'Yeu, le lieu de son diocèse le plus dépourvu de secours spirituels. Il y avait un vrai péril à courir pour arriver à l'Ile-d'Yeu. Les calvinistes avaient donné avis du passage du missionnaire aux nombreux corsaires qui croisaient dans ces parages. A force de prières, le bienheureux de Montfort obtint du maître d'une chaloupe de la Rochelle de le transporter à l'Ille-d'Yeu. A trois lieues en mer, on aperçoit deux navires de corsaires qui font voile sur la chaloupe. Nous sommes perdus, s'écrient les matelots. Le saint missionnaire chante des cantiques, personne n'a le courage de s'unir à lui. « Puisque vous ne pouvez chanter, dit l'homme de Dieu, récitons ensemble notre chapelet ». A peine le chapelet fini, le Bienheureux dit : « Ne craignez rien, mes chers amis, la sainte Vierge nous a exaucés ». Au même moment, les vents changent, les navires corsaires virent de bord et les pieux passagers chantent le Magnificat en action de grâce.

Le bienheureux de Montfort passa deux mois à l'lle-d'Yeu et y a laissé une réputation de sainteté toujours vivante.

Nous le trouvons ensuite donnant la mission à Sallertaine. A son arrivée il est accueilli par des huées ; on lui jette des pierres. Mais dès le premier sermon ceux qui l'avaient reçu comme des loups furent changés en agneaux. La paroisse, qui était dans le plus déplorable état, fut transformée et devint un champ fécond de vertus. Là, comme partout, le serviteur de Dieu voulut laisser un monument de sa piété envers Marie, en restaurant une chapelle de l'église et la mettant sous l'invocation de Notre-Dame de Bon-Secours.

La mission de Saint-Christophe, qui suivit celle de Sallertaine, fut signalée par un prodige. Le Bienheureux ayant rencontré dans la maison du sacristain une de ses filles occupée à boulanger le pain de la famille, lui demanda si elle pensait offrir à Dieu son travail. Cette jeune fille lui répondit qu'elle le faisait quelquefois, mais qu'elle y manquait souvent. N'y manquez jamais, dit le saint missionnaire, puis joignant l'exemple au précepte, il s'agenouille près de la huche, fait une prière et la bénit. La pâte se multiplia ; on en avait préparé pour une seule fournée que la huche pouvait contenir, on en fit ce jour-là trois fournées.

La mission de Saint-Christophe fut la dernière que le serviteur de Dieu fit dans le diocèse de Luçon. Il consacra désormais son ministère apostolique au diocèse de la Rochelle et commença une retraite à l'hôpital général, à laquelle les personnes du dehors furent admises. Elle fut célèbre par des conversions éclatantes, surtout par celle de Mademoiselle Bénigne Pagé, fille d'un trésorier de France. Cette jeune fille mondaine était venue au sermon pour braver le prédicateur et s'attirer une apostrophe dont elle se proposait de rire ensuite avec les compagnies légères qu'elle fréquentait. Le bienheureux de Montfort l'aperçut et fit une prière fervente. Sa parole fut plus pathétique que jamais ; Mademoiselle Pagé fondit en larmes ; immédiatement après le sermon elle se rendit chez le saint missionnaire, l'entretint longuement, et après avoir passé la nuit à mettre ordre à ses affaires, va dès le lendemain se renfermer dans le monastère des Clarisses où, malgré les menaces du monde irrité de sa conversion, elle fit sa profession et persévéra pendant trente ans dans toute la ferveur de la vie religieuse.

L'homme de Dieu fuyait dans la solitude quand le travail des missions lui laissait quelque loisir. A la Rochelle on remarqua cet attrait et plusieurs personnes de piété lui préparèrent, sur la paroisse de Saint-Eloi, un petit logement bien pauvre. Le Bienheureux y vivait dans une solitude profonde qui fit donner à son humble demeure le nom de l'Ermitage de Saint-Eloi, comme il avait eu près de sa ville natale sa solitude de Saint-Lazare. C'est là que le serviteur de Dieu passa la belle saison de 1713.

Dès que l'hiver eut ramené les jours favorables aux missions par la cessation des travaux de la campagne, nous le voyons évangéliser Saint-Vivien, Esnandes, Courçon et autres paroisses des environs de la Rochelle. Comme toujours la foule s'attachait à ses pas ; non seulement les laboureurs et les pauvres, mais les gentilshommes et les propriétaires, quittant leurs châteaux, accouraient pour l'entendre et se confesser à lui. Comme toujours aussi, les injures et les persécutions l'attendaient dans l'oeuvre de son ministère. Sa foi ardente et son zèle indomptable ne pouvaient souffrir les scandales et les offenses de Dieu.

Cette première période des missions dans le diocèse de la Rochelle se termina par celle de la Séguinière, où le Bienheureux rebâtit une chapelle en ruine et la dédia à la sainte Vierge sous le nom de Notre-Dame de toute patience, en même temps qu'il établissait l'usage de réciter le chapelet dans l'église et dans les maisons.

Cependant le serviteur de Dieu pensait à assurer la continuation de son oeuvre, en s'adjoignant des compagnons de son apostolat. Jusque-là, il avait des prêtres de zèle et de bonne volonté qui lui prêtaient leur concours dans les missions, mais sans s'attacher à lui. Il voulait une compagnie de prêtres. Retiré dans son ermitage de Saint-Eloi, il redoubla ses prières et ses pénitences et rédigea la règle de ses missionnaires avec l'approbation de Monseigneur de Champflour. C'est alors qu'il composa son admirable prière, pour obtenir des missionnaires, prière qu'il faut lire en entier et dans laquelle se révèle l'âme apostolique du bienheureux de Montfort.

Préoccupé de cette pensée, le serviteur de Dieu se rendit à Paris, au séminaire du Saint-Esprit, que M. l'abbé Desplaces, son compatriote et son ami, avait fondé depuis quelques années. M. l'abbé Desplaces était mort depuis quatre ans ; mais le directeur et les élèves firent le plus honorable accueil au serviteur de Dieu ; ils savaient l'étroite amitié qui l'avait uni à leur fondateur et plusieurs le connaissaient déjà personnellement. Le bienheureux de Montfort fit un bien considérable au séminaire par ses exemples et par les entretiens qu'il donna à la Communauté. Après un entretien sur la divine sagesse, il fit mettre à genoux tous ceux qui étaient présents pour la demander à Dieu. « Il le fit, dit le supérieur du séminaire, avec des paroles si pleines de feu et des pensées si sublimes, qu'il nous semblait à tous que c'était un ange et non pas un homme qui nous parlait ».

Dès son arrivée, au séminaire, le bienheureux de Montfort avait fait connaître aux directeurs son projet de choisir des missionnaires parmi leurs élèves. Le fondateur de la communauté, M. l'abbé Desplaces, lui avait promis, quand le temps serait venu, de le laisser prendre parmi ses membres ceux qu'il jugerait propres à ce ministère. Les directeurs lui renouvelèrent la parole que M. l'abbé Desplaces lui avait donnée ; et promirent de coopérer, autant qu'il serait possible, à son oeuvre apostolique, en lui préparant des sujets pour la perpétuer. L'homme de Dieu mentionna en tête de sa règle ce traité d'alliance en écrivant : « Il y a à Paris un séminaire où les jeunes ecclésiastiques qui ont vocation aux missions de la Compagnie de Marie se disposent, par la science et la vertu, à y entrer ».

Durant son séjour, quatre séminaristes furent inspirés de Dieu à se joindre au bienheureux de Montfort, MM. Vatel, Thomas, Hédou et Valois. M. Vatel travailla seul avec lui. Les trois autres n'entrèrent dans la Compagnie de Marie qu'après sa mort. La croix accompagna le serviteur de Dieu à Paris, et il écrivait à sa soeur, religieuse du Saint-Sacrement à Aubervilliers, le 15 août : « Si vous saviez mes croix et mes humiliations par le menu, je doute si vous désireriez si ardemment me voir, car je ne vais jamais dans aucun pays, que je ne donne un lambeau de ma croix à porter à mes meilleurs amis, souvent malgré moi et malgré eux ». Et il ajoute cette phrase qui donne l'explication de ses croix : « Une fourmilière de péchés et de pécheurs que j'attaque ne me laissent, ni à aucun des miens, aucun repos. Toujours sur le qui vive, sur les épines, sur les cailloux piquants ».

Pendant ce temps, Dieu glorifiait son serviteur par des miracles. Un jour il venait de dire la messe chez les Bénédictines du Saint-Sacrement de la rue Cassette. Une pauvre femme, frappée de la dévotion singulière avec laquelle il avait célébré les saints Mystères, vint à lui, tenant un jeune enfant dont la tête était rongée par la teigne. Elle conjure le saint missionnaire d'obtenir de Dieu la guérison de cet enfant. « Croyez-vous, dit le Bienheureux, que les ministres de Jésus-Christ aient le pouvoir de guérir au nom de leur Maître les différentes maladies et d'imposer les mains ? ».« Oui, monsieur, je le crois et suis persuadée que si vous demandez à Dieu la guérison de mon enfant, elle vous sera accordée ». — « Que le Seigneur vous guérisse, mon enfant, et récompense la foi de votre mère, » répond le Bienheureux en lui mettant sa main sur la tête, et à l'instant l'enfant fut parfaitement guéri.

Le bienheureux de Montfort, en revenant de Paris, s'arrêta à Poitiers. Il y retrouva la soeur Marie-Louise qu'il n'avait pas vue depuis sept ou huit ans. Cette admirable fille portait toujours l'habit de la Sagesse ; elle était plus fervente que jamais. Le serviteur de Dieu lui adjoignit une compagne dans la personne de Mademoiselle Catherine Brunet, qu'il avait connue pendant son premier séjour dans cette ville et qu'il avait déterminée à entrer dans la petite société de jeunes filles formée par lui à l'hôpital. L'année suivante, après son retour à la Rochelle, il autorisa la soeur Marie-Louise à donner l'habit à Mademoiselle Brunet, qui prit à la profession le nom de soeur Marie de la Conception.

Il ne restait plus que deux ans au serviteur de Dieu à passer en ce monde. Il semble que la Providence ait voulu multiplier ses oeuvres apostoliques comme si le jour baissait pour lui.

A la fin d'août 1712, il donna à Mauzé une mission sanctifiée par la douleur d'une cruelle maladie. Au mois de mars 1714 il est à Vanneau, dans le diocèse de Saintes. Puis il parcourt les paroisses du diocèse de la Rochelle pour les évangéliser, Saint-Christophe, Vérines, Saint-Médard, Gué-d'Alleré. Ce furent ses missions principales ; ses historiens nomment encore : Saint-Sauveur, Nuaillé, La Jarrie, Marennes, Croix-Chapeau et l'île d'Oléron.

La saison des missions finissait avec le printemps. Le Bienheureux entreprit un long voyage jusqu'à Rouen. Tout au début de son voyage, il dut céder aux instances pressantes du curé de Roussay, et donna chemin faisant la mission dans cette paroisse située alors à l'extrémité du diocèse de la Rochelle.

A son passage à Nantes, il consacra des soins particuliers à la société des amis de la Croix qu'il avait établie dans la paroisse Saint-Similien, et il leur écrivit de Rennes, pendant une retraite de huit ou dix jours qu'il fit dans cette ville, une admirable lettre. La prière qu'il faisait en commençant à l'écrire a été véritablement exaucée. « Que l'Esprit du Dieu vivant soit comme la vie, la force et la teneur de cette lettre, que son onction soit comme l'encre de mon écritoire ; que la Divine Croix soit ma plume, que votre coeur soit mon papier ».

L'Evêque de Rennes avait refusé au serviteur de Dieu d'exercer le ministère dans son diocèse. Il sedirigea vers Saint-Lô et, à la demande de l'aumônier, commença pour les pauvres de l'hôpital une retraite qui se changea en mission pour la ville entière. On ne se lassa pas de l'entendre. Aussi des personnes de tout état, des ecclésiastiques, des religieux se disaient avec étonnement : Quel est donc cet étranger qui vient d'arriver dans notre ville, son bâton à la main, et qui se fait suivre avec tant d'empressement.

Quarante ans après, en 1755, M. Le François, qui tout jeune prêtre avait accompagné le serviteur de Dieu dans cette mission, devenu curé de Saint-Lô, résumait l'oeuvre apostolique accomplie par le saint missionnaire en ces paroles : « Il me serait impossible d'exprimer tout le bien que Monsieur de Montfort fit à Saint-Lô, les conversions qu'il opéra, et les actes héroïques de vertu qu'il y pratiqua et dont j'ai moi-même été témoin. Il sut si bien recommander la piété que quantité de personnes qui vivent encore très saintement sont le fruit toujours persistant de sa prédication. Il y prêcha si bien la dévotion au Rosaire que l'usage de le réciter publiquement s'est toujours maintenu depuis ».

Le bienheureux de Montfort allait à Rouen pour y voir son ami des premiers jours du sacerdoce, Monsieur Blain, qu'il n'avait pas vu depuis douze ans. Leurs âmes s'épanchèrent dans de longs entretiens. Monsieur Blain ne cacha pas au serviteur de Dieu toutes les oppositions que soulevait son genre de vie extraordinaire. Le bienheureux de Montfort répondit à Monsieur Blain, en lui montrant son nouveau testament, en lui demandant s'il trouvait à redire à ce que Jésus-Christ a pratiqué et enseigné, et s'il avait à lui montrer une vie plus semblable à la sienne qu'une vie pauvre, mortifiée et fondée sur l'abandon à la Providence. Monsieur Blain conclut le récit qu'il nous a laissé de ses entretiens avec le serviteur de Dieu en disant : « Il satisfit aux objections que je croyais sans réplique avec des paroles si justes, si concises et si animées de l'Esprit de Dieu que je demeurais étonné qu'il me fermât la bouche ».

Les deux saints amis ne devaient plus se revoir en ce monde. Le bienheureux de Montfort reprit le chemin de la Rochelle marquant pour ainsi dire chacun de ses pas par des actes de piété, de mortification, de zèle qui manifestaient sa sainteté. Il alla reprendre à Pontchâteau les statues du Calvaire, et les déposa à Nantes, dans la chapelle de la maison de la Providence. Cette maison avait été établie par lui pendant qu'il prêchait la mission de Saint-Similien en 1708. Il avait obtenu qu'on mit à sa disposition un vieux manoir tombant en ruines et la chapelle qu'il renfermait. Il la fit réparer et c'est là qu'il logea les chers incurables recueillis dans toute la ville. Les statues du Père de Montfort restèrent à la Providence jusqu'en 1748 où elles furent reportées à Pontchâteau, lors de la première restauration du Calvaire. Il ne reste plus aujourd'hui que la statue du Christ, qui est vénérée dans la chapelle placée au pied de la montagne.

De retour à la Rochelle, l'homme de Dieu reprit ses missions. On peut le suivre à Fouras, à file d'Aix, à Saint-Laurent de la Prée ; il prêcha aussi dans plusieurs églises de la Rochelle. Le Seigneur voulait glorifier son serviteur qui l'avait si généreusement suivi dans la voie des humiliations et des souffrances. Le jour de la Purification, pendant qu'il prêchait dans l'église des Dominicains, en célébrant les louanges de Marie, son visage tout à coup devient lumineux et comme entouré d'une auréole de gloire.

A la mission de Saint-Amand-sur-Sèvre, l'église était trop petite pour le grand nombre de ses auditeurs ; il fit placer la chaire au pied d'un arbre, et comme la foule se pressait pour l'entendre : « Ne vous pressez pas, mes frères, dit le saint missionnaire, Dieu me fait la grâce de posséder mon auditoire ». Et, en effet, plusieurs personnes qui se trouvaient hors de la portée de sa voix attestèrent qu'elles l'avaient entendu, comme si elles eussent été au pied de la chaire.

Quand il arriva à Mervent pour prêcher la mission, on lui présenta une jeune fille dont l'oeil était extrêmement enflé et qui souffrait de cruelles douleurs. Le serviteur de Dieu bénit de l'eau et recommanda à la jeune fille de laver l'oeil malade. La nuit suivante elle fut entièrement guérie.

Plus le Seigneur bénissait le travail apostolique du bienheureux de Montfort, plus il était pressé par le désir de s'unir à Dieu dans la solitude et le recueillement. Au début de ses missions, nous l'avons vu se retirer dans la solitude de Saint-Lazare ; au moment où va s'achever sa carrière, nous le voyons chercher un ermitage dans la forêt de Vouvant. C'était un endroit solitaire sur le bord d'une rivière, entre deux collines rocheuses et boisées. Dans les flancs d'une de ces collines était une caverne assez profonde. Aidé par les habitants, heureux de pouvoir posséder, de temps en temps, un homme qu'ils regardaient comme un saint, il parvint à creuser dans le roc un espace suffisant pour contenir l'ameublement du prophète : une couchette, une table et une chaise. Le gouvernement qui avait fait démolir son calvaire, à Pontchâteau, vint le troubler dans sa solitude de Mervent. L'administration des Forêts fit renverser un mur qu'il avait commencé à bâtir pour garantir du vent du nord la grotte de la Roche aux Faons. Mais l'ermitage n'a pas cessé d'être un lieu de pèlerinage pour les fidèles de la contrée.

Le 8 septembre 1873, huit mille pèlerins accompagnaient Monseigneur Colet, évêque de Luçon, qui célébra la messe sur un autel élevé au pied de la croix qui couronne le plateau nommé le jardin du Père de Montfort. Le 24 mai 1877, le lundi de la Pentecôte, le successeur de Monseigneur Colet, Monseigneur Lecoq, voyait se réunir autour de lui, dans l'ermitage de la forêt de Vouvant, plus de vingt mille personnes.

Le bienheureux de Montfort, sous la conduite de l'esprit de Dieu, achevait de poser les fondements des trois congrégations qui devaient composer sa famille religieuse.

Il avait écrit la règle des missionnaires de la Compagnie de Marie et appelé les premiers compagnons qui devaient continuer son oeuvre.

La soeur Marie-Louise et sa compagne, la soeur Marie de la Conception, étaient les premières Filles de la Sagesse. Le serviteur de Dieu, après les avoir instituées dans l'hôpital de Poitiers, allait compléter leur vocation et les appela à diriger les écoles des petites filles à la Rochelle.

Dans ses missions, il était accompagné par des Frères qu'il appliquait à instruire les enfants. Partout où il passait, il avait soin de pourvoir les paroisses de bons maîtres et de bonnes maîtresses, disant que les écoles étaient les pépinières de l'Eglise. Ce fut l'humble commencement de la congrégation des Frères du Saint-Esprit qui devait prendre sa forme définitive sous la direction de l'un des successeurs du serviteur de Dieu, le vénérable M. Deshayes, supérieur des missionnaires de la Compagnie de Marie et des Filles de la Sagesse, en 1821.

Quand les deux premières Filles de la Sagesse arrivèrent à la Rochelle pour prendre la direction des petites écoles, le bienheureux de Montfort les conduisit dans la solitude de Saint-Eloi : « Vous souvenez-vous, dit-il à la soeur Marie-Louise, qu'étant à Poitiers, lorsque je quittai l'hôpital, vous laissant entre les mains de la divine Providence dans l'embarras du gouvernement de cette maison, seule, sans secours, sans appui, vous me témoignates votre peine, croyant voir écrouler par là tout l'établissement des Filles de la Sagesse. Je vous dis à cette occasion que, quand il n'y aurait de Filles de la Sagesse que dans dix années, la volonté de Dieu serait accomplie et ses desseins effectués. Eh bien ! comptez, vous voyez qu'il y a précisément dix ans que j'avançais cette parole ».

La soeur Marie-Louise n'avait pas quitté l'hôpital de Poitiers sans regret. Le serviteur de Dieu lui fit cette seconde prophétie : « Consolez-vous, ma fille, tout n'est pas perdu, comme vous le croyez, pour l'hôpital de Poitiers, on vous y demandera, vous y retournerez et vous y demeurerez ».

De nouvelles compagnes vinrent à la Rochelle se joindre à la soeur Marie-Louise. Après une retraite de sept ou huit jours, le saint fondateur bénit leur habit dans la chapelle de la Providence le 22 août 1715. Il mit la dernière main à la règle et la présenta à la soeur Marie-Louise en lui disant : « Recevez, ma fille, cette règle, observez-la et faites-la observer à celles qui seront sous votre conduite ». Dans l'intervalle de ses missions, il continua de visiter les soeurs, de les diriger et de les former à la vie religieuse. Un jour, dans une de ses conférences, il s'arrêta, demeura immobile, les yeux levés an ciel, et dans une sorte d'extase : « 0 mes filles, leur dit-il, que Dieu me fait connaître de grandes choses ! Je vois, mes chères filles, dans les desseins de Dieu une pépinière de Filles de la Sagesse ».

L'homme de Dieu quitta la Rochelle pour reprendre le cours de ses missions ; il ne devait plus revoir la soeur Marie-Louise et ses compagnes.

Le 31 décembre, à la veille de l'année qui devait être pour lui la dernière sur la terre, il leur adressa ses conseils et ses voeux, terminant ainsi sa lettre : « Je vous souhaite une année pleine de combats et de victoires, de croix, de pauvreté et de mépris ».

Le Bienheureux donna successivement les exercices de la mission à Fontenay, à Vouvant, à Saint-Pompain. C'est dans le cours de sa mission de Fontenay que Dieu lui envoya un jeune prêtre qui devait être son successeur dans la direction de la Compagnie de Marie et de la Congrégation des Filles de la Sagesse, M. René Mulot. Ce jeune prêtre était venu au nom de son oncle, curé de la paroisse de Saint-Pompain, prier le serviteur de Dieu de donner la mission dans cette paroisse. Le Bienheureux le regarda fixement et lui dit : « Promettez-vous de travailler avec moi le reste de vos jours ? ».

M. Mulot s'excusait sur la faiblesse de sa santé qui lui rendait ce travail impossible. « Que feriez-vous d'un pareil missionnaire ? Je vous serai plus à charge qu'utile ». — N'importe, monsieur, répondit le Bienheureux, comme éclairé sur les desseins de Dieu à l'égard de ce jeune prêtre, toutes vos infirmités ne m'empêchent point de vous dire, comme Notre-Seigneur à saint Mathieu, suivez-moi, sa volonté est que vous me suiviez. Tous vos maux s'évanouiront, dès que vous commencerez à travailler au salut des âmes ».

M. Mulot se mit immédiatement à la suite du bienheureux de Montfort, il l'accompagna dans les missions de Vouvant, de Saint-Pompain, de Villiers-en-Plaine et de Saint-Laurent-sur-Sèvre. Après la mort du serviteur de Dieu, il suivit avec constance la voie où le Père de Montfort l'avait fait entrer, et après avoir donné deux cent-vingt missions, mourut à Questembert, dans le diocèse de Vannes, où son tombeau est entouré de la vénération publique.

A mesure qu'il approchait de la fin de sa carrière, le bienheureux de Montfort s'occupait avec plus d'instance de l'établissement de ses congrégations. Comme tous les saints, c'est du Ciel qu'il attendait le succès de ses sollicitudes. Il voulut obtenir cette bénédiction par une supplication ardente adressée à la très sainte Vierge, et il organisa un pèlerinage solennel à Notre-Dame des Ardilliers Il s'adressa, pour le faire, à la Compagnie des Pénitents qu'il avait établie à Saint-Pompain. Il mit à leur tête les deux premiers prêtres de la Compagnie de Marie, les Pères Vatel et Mulot. Il leur donna un règlement admirable sous ce titre : Le saint Pèlerinage à Notre-Dame de Saumur fait par les Pénitents pour obtenir de Dieu de bons Missionnaires. Les pèlerins marchèrent pendant trois jours, souvent nu-pieds, malgré le froid, priant et jeûnant, c'était en Carême. Les habitants des lieux qu'ils traversaient accouraient sur leur passage et ne pouvaient s'empêcher de verser des larmes à la vue de cette manifestation de piété et de pénitence.

Après le retour des pèlerins, le Bienheureux, qui s'était préparé lui-même dans la retraite à faire son voyage à Notre-Dame des Ardilliers, s'y rendit avec quelques-uns des frères qui s'étaient attachés à lui.

C'était la bénédiction suprême qu'il allait demander à Marie à la fin de son apostolat.

De retour des Ardilliers, le serviteur de Dieu se dirigea vers Saint-Laurent-sur-Sèvre, où il arriva le 1er avril 1716. Il y prit pour demeure un petit galetas, où il avait pour lit un peu de paille, et pour mobilier des instruments de pénitence. La mission commença le dimanche 5 avril. La parole du serviteur de Dieu, épuisé désormais par son travail et ses mortifications, produisit à Saint-Laurent les fruits les plus grands dans les âmes. Déjà il avait fondé les deux confréries des Pénitents et des Vierges. Il se disposait à ériger un Calvaire en souvenir de la mission, lorsque la maladie vint l'arrêter.

Il avait, quelques jours auparavant, adressé aux premières Filles de la Sagesse une lettre qui se termine par ces mots où se révèle l'ardent amour du serviteur de Dieu pour la Croix : « Je ne vous oublierai jamais, dit-il, pourvu que vous aimiez ma chère Croix, en laquelle je vous suis allié, tandis que vous ne ferez point votre propre volonté, mais la sainte volonté de Dieu dans laquelle je suis tout à vous. ».

Mgr de Champflour vint visiter la paroisse de Saint-Laurent ; le bienheureux de Montfort fut rempli de joie par cette visite, à cause de la vénération profonde qu'il portait aux évêques, et en particulier à celui de la Rochelle. Il prêcha une dernière fois en présence du vénérable prélat : mais en descendant de chaire, il fut contraint de se mettre au lit. Le mal fit des progrès rapides ; le Bienheureux demanda et reçut les sacrements de l'Eglise avec la plus ardente dévotion.

Il fit alors son testament pour remettre entre les mains de Monseigneur l'évêque de la Rochelle et de M. Mulot les petits meubles et livres de la mission, et confia l'exécution de ses dernières volontés à ce jeune prêtre, qui devait être son successeur. Et comme celui-ci lui exprimait sa douleur en voyant la perte que l'OEuvre des Missions allait faire : « Ayez confiance, lui dit-il, en lui serrant la main ; ayez confiance, je prierai pour vous ».

Désormais libre de tous les soucis de la terre, le serviteur de Dieu ne songea plus qu'à se préparer à l'arrivée du divin Maître. Et, tenant dans sa main droite le crucifix indulgencié par le Pape, dans sa gauche la statuette de la sainte Vierge qu'il avait toujours avec lui, il les baisait amoureusement en invoquant les noms de Jésus et de Marie.

Un grand nombre de personnes se pressaient à la porte de sa chambre ; le serviteur de Dieu pria de les laisser entrer ; dans son humilité, il ne voulait pas les bénir ; on obtint qu'il le fit avec son crucifix. Alors, ranimant ses forces à la vue des assistants en larmes, il chanta ce couplet d'un de ses cantiques, comme adieu aux peuples qu'il avait évangélisés :

Allons, mes chers amis,

Allons en paradis.

Quoi qu'on fasse en ces lieux,

Le paradis vaut mieux.

Et il expira doucement sur les huit heures du soir, le mardi 28 avril 1716, à l'âge de quarante-trois ans.

Le corps du saint missionnaire qui avait tant aimé Marie fut déposé dans la chapelle de la Sainte-Vierge de l'église paroissiale de Saint-Laurent, au milieu des larmes de tous les assistants. L'évêque de la Rochelle, en apprenant la mort du serviteur de Dieu, versa lui-même des larmes et dit hautement qu'il venait de perdre le meilleur prêtre de son diocèse.

La réputation de sainteté du serviteur de Dieu alla toujours en grandissant ; les pèlerinages se multiplièrent à son tombeau, des grâces nombreuses furent obtenues. Le nom du Père de Montfort fut de plus en plus entouré, dans toutes les contrées qu'il avait évangélisées, d'une vénération religieuse.

Le procès ordinaire de béatification fut commencé le 4 mai 1829, par Monseigneur Soyer, alors évêque de Luçon ; et le 7 septembre 1838, après le jugement favorable de la Sacrée Congrégation des Rites, le Souverain-Pontife Grégoire XVI signa le décret d'introduction de la cause. A partir de ce jour, le bienheureux de Montfort pouvait être appelé Vénérable.

Dès le mois de décembre 1841, la Sacrée Congrégation des Rites délivra les lettres rémissoriales pour le procès apostolique de béatification du vénérable serviteur de Dieu. Un premier décret, en date du 7 mai 1853, déclara, après un examen attentif, que rien dans les écrits et les oeuvres du saint missionnaire ne mettait, obstacle à la poursuite de sa cause. Le décret sur l'héroïcité des vertus fut publié le 29 septembre 1869, et le décret sur les miracles le 20 février 1886. Enfin, le 21 novembre 1887, fut rendu le décret qui terminait le procès apostolique en déclarant qu'on pouvait en toute sûreté procéder à la béatification du vénérable serviteur de Dieu, Louis-Marie Grignon de Montfort.

Les fêtes solennelles furent célébrées à Rome le dimanche 22 janvier 1888.

Ce fut une joie immense dans les religieuses contrées de l'ouest qui gardaient encore vivant le souvenir du saint missionnaire. Le triduum célébré à Saint-Laurent, par l'ordre de Monseigneur l'Evêque de Luçon, les 4, 5 et 6 juin 1888, résuma, pour ainsi parler, tous les hommages rendus au serviteur de Dieu. Une foule immense était accourue près du tombeau du bienheureux de Montfort dans l'humble village devenu glorieux où la Providence a réuni les maisons mères des congrégations fondées par lui et qui perpétuent sa vie dans l'Eglise. Tous ceux qui ont eu le bonheur d'assister à ces solennités n'en perdront jamais le souvenir ; et tous les coeurs étaient émus quand, le dernier jour du triduum, l'éloquent évêque d'Angers répétait trois fois du haut du Calvaire qui domine le village de Saint-Laurent le cri du bienheureux Père de Montfort : Dieu seul. En présence des saints dont la gloire efface toutes les gloires de la terre dont elle démontre l'inanité, les âmes comprennent cette grande parole qui a fait les saints : Dieu seul, Dieu seul, Dieu seul [Note : Nous avons emprunté notre récit à la Vie du B. L.-M. Grignon de Montfort, publiée par le R. P. Fonteneau de la Compagnie de Marie]. (extrait d'un ouvrage de Mgr. Richard, 1898).

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